Pouaah !
Au premier pas à l’extérieur du bateau dans lequel je voyageais clandestinement, je prends une grosse bouffée d’air chaud dans le visage. Le soleil cogne, torride. Je ne sais pas du tout où j’ai mis les pieds, mais ce que est sûr, c’est que l’atmosphère est complètement bouillante. Heureusement, je ne suis pas du genre à transpirer des masses, mais je déboutonne tout de même deux fois ma chemise pour prendre l’air et je retrousse mes manches au maximum.
Sous une petite tente qui le protège du soleil, je remarque un homme accoutré avec une sorte de voile qui lui recouvre tout le visage qui semble être du coin et me décide à l’interpeller.
- Salut le vieux, je pourrai te poser quelques questions ?
- Vous êtes ?, désert…
- Un touriste égaré, hum… Peux-tu me dire où je me trouve ?
- Ici, c’est Hinu Town mon grand, et si tu cherches à rejoindre la ville des sables je te conseille fortement d’engager un guide pour traverser le désert. D’ailleurs, quelle coïncidence, tu en as un devant tes yeux !, sable…
- La ville des sables ?
- La ville des sables, oui, c’est le centre de l’île, là où tu trouveras tout ce dont tu as besoin. Mais s’aventurer seul dans le désert pour la rejoindre serait du suicide pour un étranger, alors je te conseille fortement de choisir le guide que je suis pour te guider, hehe, soleil…
Le désert… On m’en avait parlé quelques fois. Une grande étendue de vide sans âme qui vive. Là où le soleil frappe si fort que très peu d’êtres vivants peuvent résister. Même la roche termine son existence en sable impuissant dans ces lieux dangereux. C’est sûr, le plan de cet homme est le plus approprié à la situation.
- Combien demandes-tu pour ce service ?
- Une poignée de berry seulement mon garçon, chaleur…
Mon garçon ? Pervers ! Déjà, je suis un homme, un vrai, viril, et il ose m’appeler mon garçon. Il me fou en rogne, heureusement qu’il est renseigné sur l’endroit, sinon je lui aurais fait savoir ce que je pense à ce vieil imbécile !
- Une poignée de berry, tu peux être plus explicite peut-être, le vieux ridé ?
- L’allé sans retour coûte 5 000 berry, soif…
5 000 berry ! Mais c’est toutes mes économies qui vont partir en fumée si jamais j’accepte. Enfin, il faut bien que j’investisse dans le futur si je veux vraiment découvrir cette île sans me faire manger par le désert. C’est dur de se décider, mais je cède finalement à cet escroc.
- Grmblm, va pour 5 000 berry alors… Arnaqueur…
Je le paie à contre cœur alors qu’il décoche un sourire vaseux.
- Très bien ! Maintenant, jeune homme, va chercher de quoi t’habiller dans cette baraque, le départ aura lieu ici dans une heure tapante, ne le manque pas, soleil…
- TU VAS ARRÊTER DE DIRE N’IMPORTE QUOI A LA FIN DE TES PHRASES ?
Il a vraiment les mots pour essayer de faire passer la dragée celui-là, mais c’est pas en m’appelant « jeune homme » qu’il me fera oublier mes 5 000 berry. L’enflure. Et puis c’est quoi ces manies de répéter des mots complètement hors contexte à la fin de ses phrases ? Il connait peut-être son île mais je crois que le soleil lui tape sévèrement sur le système à ce vieux fou.
…
Je détourne le regard de son visage niai et j’approche du bâtiment vers lequel il m’a dirigé, une sorte de taudis insalubre. A l’intérieur, quelques vêtements similaires à ceux que l’homme portait à l’instant sont disposés sur des cintres. Seulement, le magasin semble à moitié dévalisé et le choix est très réduit.
Je remarque un gus à moitié avachi sur sa chaise qui semble somnoler.
- Hé, le vieux, je vais pas devoir porter ça quand même ?
Il se réveille en sursaut et me scrute quelques secondes avant de comprendre la situation.
- Hum, si tu comptes pas tomber de déshydratation au milieu du chemin, je te conseille d’en prendre un, mais libre à toi, dessert…
Encore un qui se la joue avec ses grands mots. Grr, je déteste cette île, tous ces ancêtres qui osent essayer de me ridiculiser… Et encore un qui a pas toute sa tête. J’espère au moins que cette ville des sables recèle vraiment des choses intéressantes pour me remplir les poches.
Avec dégoût, j’essaie chacun des habits moites, encore puants la transpiration des précédents qui les avait enfilés. Écœuré, je remarque qu’un seul correspond à ma taille, les autres beaucoup trop amples. Il est teinté de rose et me donne une allure particulièrement ridicule.
- T’es vraiment sûr que c’est indispensable ?
Le vendeur nonchalant se tourne vers moi. Il étouffe un rire moqueur et s’approche pour me tapoter le haut du crâne et remettre mon col en place.
- Il aurait fallu naître plus grand mon ami, mais je dois t’avouer que celui-ci te va à ravir, manger…
Enfoiré, il se fou de moi en plus. Si seulement je pouvais lui foutre une bonne raclée à celui-là aussi. Ces vieux sont vraiment incorrigibles.
- Connard… Déclaré-je en sortant mécontent de la baraque, tout de rose vêtu.
- Bonne chance à toi, puisse le désert t’épargner voyageur, enfants…
Enfants… ENFANTS ?!
(…)
Pfiouu…
Il fait chaud. Chaud. Chaud…
Le climat me fait délirer. L’horizon tremble sous les assauts du soleil.
Dé-bouchonnant ma gourde, je la renverse au-dessus de ma bouche grande ouverte avec le peu de force qu’il me reste. La moitié du breuvage s’écoule le long de mes joues et tombe dans le sable qui l’incorpore comme si lui aussi était assoiffé. Ploc. Ploc. La dernière goutte s’écoule. Puis plus rien. J’ai encore soif moi !
Je jette un coup d’œil derrière moi, il ne reste qu’un homme qui porte quelqu’un sur ses épaules. Je ne peux pas distinguer son visage sous son voile. Bizarre, j’aurais juré qu’il y avait plus de monde il y a un instant. Enfin, peu importe. Je m’arrête et me décide à tenter ma chance :
- Vous partageriez une partie de votre eau avec moi ?
L’individu à son tour s’interrompt dans l’effort pour me répondre :
- T’as pas entendu le guide ? Il avait dit de conserver son eau au maximum.
- Qu’est-ce que j’en ai à foutre de ce guide ? Je bois quand j’ai soif, et là je peux plus.
- C’est ton problème. On repart, faudrait pas qu’on le perde.
- D’ailleurs, ça doit bien faire une demi-heure que je l’ai pas aperçu.
- Il a aussi dit qu’on le perdrait parfois de vue derrière les dunes, avance maintenant, avant de perdre ton rythme.
J’ai la tête qui tourne. Tourne. Tourne… Elle me fait souffrir. Je ne vois plus le bout du chemin, même si il n’y a jamais eu de chemin. L’effort est impossible sans eau. J’ai besoin d’eau. Que quelqu’un me vienne en aide ! Et là, coup du destin. Je relève la tête, et je distingue clairement un grand lac autour duquel la verdure fleurit à foison.
- WOAWW ! M'écrié-je en m’élançant comme un dératé dans le sable.
Sans plus attendre, je plonge dans l’étang.
…
Peuarf ! J’ai du sable plein la face. Je me redresse et je crache pour dégager les grains de ma bouche tout en me frottant les yeux qui me démangent.
- T’as perdu un boulon mon pote.
- Mais… Mais…
Je me retourne, le dos au sol, regard vers le ciel, j'écarte les bras et les jambes puis je reste immobile. Putain d'hallucination, j'en peux plus !
- J’ABANDONNE, MANGE MOI, INFAME SOLEIL, JE SUIS VAINCU !
L’homme s’approche et me tend la main. Je l’ignore, jusqu’au moment où :
- Debout, abruti en rose, sinon on te laisse là pour de bon.
J’ouvre les yeux. Il y a l’homme, et sur son dos… Cette voix, c’est une femme, j’ai pas rêvé ! Ni une ni deux, je me relève et je reprends du poil de la bête. Pointant l’horizon du doigt, je me lance dans un discours complètement absurde :
- En avant toute, nous y sommes presque, rattrapons ce vieux guide !
- Je me demande pourquoi j’ai suivi un abruti pareil, on a égaré le reste du groupe, je suis sûr qu’on est perdus.
- PARDON ?
Venant d’une femme, ça passait encore, mais venant de lui, j’allai pas rester indifférent devant un tel affront. Je suis un homme, un vrai !
- LA DERNIÈRE FOIS QU’ON M’A PARLÉ COMME CA, la dernière fois…
Il me regarde. Je le regarde. On se regarde.
- Gaspille pas tes forces et marche, on devrait s’entraider si on veut pas y rester.
Je bafouille machinalement quelques insultes inaudibles et je reprends ma marche à contre-cœur. Je sens le sable qui vient fouetter mon visage et mes habits. Le vent se lève. Avec tout ça, j’ai pas vu le temps passer. Le soleil va bientôt disparaître à l’heure qu’il est. Le guide nous avait prévenus qu’on arriverait dans la nuit, mais j’ai l’impression qu’on est encore très loin de cette fameuse ville.
« Le désert est imprévisible, il y fait une chaleur étouffante le jour et un froid glacial la nuit, sable… » qu'il disait, le vieux fou.
Est-ce que ce grand tourbillon de sable au loin faisait partie de cette imprévisibilité ? En tout cas, ça ne présage rien de bon.
Dernière édition par Epsen Airy le Dim 23 Mar 2014, 01:09, édité 8 fois