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Le blues de l'homme en blouse

« La mort a toujours tort.  »
Anonyme

Je suis médecin. Je sais tout un tas de choses. Comme par exemple le fait que la mort est inéluctable. On fait avec, on se blinde derrière une carapace et on continue à lutter. On avance, petit à petit dans cette lutte inégale. Je sais aussi que jamais nous vaincrons. Mais peu importe, nous sommes des optimistes. Seulement, il arrive parfois que cet optimisme prenne une sérieuse claque. Principalement quand la mort fauche des proches. De la famille, des amis. On reste humain malgré tout. On pleure, comme vous, on maudit le monde entier, on cherche à comprendre l’incompréhensible. On se sent impuissant. Et parfois, de cette impuissance naît en nous une nouvelle conviction pour avancer de nouveau. Parfois..

Le blues de l'homme en blouse Drum_imagesia-com_h3uc
Drum, début de l'année 1625.

Quand j'ai appris les événements de Drum, j'étais en mission sur North Blue. J'aurai donné un bras pour être sur Drum ce jour là. Ce maudit jour où Krabbs a déferlé sur mon île. J'aurai du être là-bas, avec mes collègues. Je m'en veux, je sais que c'est stupide mais je suis emplie de remord. Cela me hante depuis plusieurs jours. Je ne dors plus. Je suis à fleur de peau, mes nerfs sont tendus. Mes professeurs.. Mes amis.. Mes frères... Morts. Pourquoi cette île ? Je n'en sais rien. Je vais devoir faire avec toutes les questions qui me taraudent.  Toutes ses vies fauchées en l'espace de quelques heures. Quel gâchis..

J'ai mis plus longtemps que prévu à retourner sur Drum. A la suite de l'annonce, pas mal de chamboulement se sont produits dans les transports maritimes. Je viens d'arriver sur mon île. Celle qui a fait de moi ce que je suis aujourd'hui. Celle où j'enseigne, celle où j'aime passer mes vacances, celle où je travaille. Mon île, Drum. Le paysage a été bouleversé et ça s'impose à mon regard dès que je pose mon pied géant sur la neige. Je n'ai pas osé regarder l'île avant que la bateau n'accoste. La peur au ventre de découvrir ce que j'avais entendu dire. L'air n'était pas celui que je connaissais. Il flottait une odeur de cendres, de poussières et de roches. La neige semblait plus sombre aussi mais c'est peut être moi qui dramatise. Il manque un truc, où plutôt un énorme truc. Mes yeux s’écarquillent et les pupilles se dilatent. Je sens mon cœur me pincer. Il manque l'académie. Plus précisément, il manque le bâtiment imposant où se trouvait notre lieu de travail, notre école, nos logements, notre histoire, notre avenir ? Je sens mes puissantes jambes m'abandonner. Mes genoux touchent le sol avec violence. Ma main droite se porte sur mon torse qui palpite à une vitesse folle. Je n'en crois pas mes yeux. Les journaux disaient vrais. L'académie de médecine n'est plus.    

Quelques habitants que je reconnais viennent à ma rencontre. Ils me parlent mais le son n'est pas transmis jusqu'à mon cerveau. Ce que je vois, ou plutôt ce que je ne vois plus monopolise complètement mon esprit. Mes mains viennent tirer sur mes cheveux. Je me recroqueville en boule, les coudes sur les genoux. Un tsunami de souvenirs m'assaille. Mes études, mes cours, mes élèves, mes professeurs, mes amis. J'essaye de calculer combien de temps j'ai passé sur cette île. 15 ans, à peu près. Une voix un peu plus familière arrive à me sortir de ma torpeur. C'est le Dr Hemy Radley, alias n°13. Elle est assise sur son fauteuil roulant et me gronde car je bloque l'accès aux docks. Je m'excuse et je me lève. Je n'ai jamais était sensible au niveau des yeux mais là, étrangement, le froid me fait couler quelques larmes. On marche, je la suis, elle parle, me raconte les événements à sa façon. Elle est emmitouflée dans une grosse laine. Je ne sais pas pourquoi, sa présence me rassure. Elle me parle sans cesse avec une voie qu'on les grands-mère quand elles vous consolent. Elle est adorable, je la coupe dans son élan et j'ose poser la question fatidique.

Vous avez un premier bilan ?

Son fauteuil s'arrête dans la neige, ses paroles aussi. Je la vois fermer les yeux, réfléchir et me dire d'une voix empreinte d'une grande tristesse.

Rien de définitif, les recherches sont toujours en cours, ça prendra des mois. N° 3, 9 et 16 sont morts. N° 12 est introuvable, pourtant des habitants l'ont vu peu après la bataille. N° 1 et 18 sont portés disparus. C'est une triste année qui commence Eugène. Une triste année.    
    Le blues de l'homme en blouse A1hjs6

    Nous pensons tous être maître de notre destin. D'être capable de décider de notre sort. Mais avons nous réellement décidé de nous élever ou de chuter ? Ou est-ce qu'une force qui nous dépasse nous montre le chemin ? Est-ce l'évolution qui nous prends par la main ? Est-ce la science qui nous guide ? Est-ce Dieu qui intervient pour nous protéger ? Personne ne peut comprendre ce que vous risquez de perdre en cas d'échec. Vous êtes le maillon d'un plan sans faille mais les enjeux sont énormes. Il en va de la vie elle-même. Le héros apprend vite à distinguer son allié de celui qui se met en travers de son chemin.
    L'évolution est un processus imparfait et souvent violent. Une bataille qui se livre entre ce qui existe déjà et ce qui est à naître. Une succession de naissance douloureuse au cours desquels la morale se perds. Si bien que la question du bien et du mal se réduit à un simple choix : survivre ou périr.                                              
    J'ai décidé de survivre. Quoi qu'il m'en ait coûté, je me suis accroché à ma vie, j'ai décidé d'avancer. La Terre est vaste. Assez vaste pour que l'on soit convaincu que l'on peut se cacher de tout. De son destin, de dieu, des autorités. Et c'est parce que la terre est assez vaste que la plupart des gens décident de fuir. Retrouvant alors sécurité, réconfort, et la sérénité. Tous leurs problèmes se retrouvent alors derrière eux. Et pendant un temps, peut être, ils croient s'être échappés. Mais ce n'est qu'une fausse réalité. Ils regardent derrière eux, toujours et à jamais. J'ai décidé de ne pas suivre cette voie. J'ai décidé de me relever, et d'avancer.

    Étant resté caché depuis quelques semaines dans les appartements d'un villageois lambda et de sa famille, je n'avais pas eu le temps d'observer les dégâts infligés à l'île. De plus, lorsque je me suis réveillé dans la neige, je n'avais pas l'esprit à observer les alentours... Mais lorsque j'ai pris le temps d'observer, quelque chose manquait. Évidemment que c'était un coup des révolutionnaires. C'est toujours et ça a toujours été les révolutionnaires. Des pros pour ce genre de boulot. Quand je dis que quelque chose manque, j'euphémise. Il manque l'académie sur le pilier, sur le plus gros pilier. Le machin qui se voyait bien, auparavant. Ça explique la paranoïa des gens du coin. Même si au final, c'est peut être aussi dû aux combats inter-piraterie si les gens sont apeurés à la vue d'un capitaine... Dire qu'on m'avait dit qu'ils toléraient tout le monde...

    Au final, mon plus gros soucis était de partir de l'île sans que les marines ne me posent de problème. C'était une tâche plutôt ardue. Et puis, quelle valeur ai-je à leurs yeux sans équipage ? Je suis beaucoup moins dangereux seul, non ? Ils accepteront de me laisser partir si je leur fournis la garantie de les mener à mon équipage. Ce que je ne ferais pas. Quoique. Je sais pas. Peut être. Dépend de ce qu'ils mettent en jeu. Après tout, ils m'ont abandonné, peut être qu'ils le méritent. Mais je me ferais alors réquisitionner mon navire et je resterais sans biens. C'est pas le bon plan. Mieux vaut arriver au navire tout seul, récupérer ce que j'ai, pendre un ou deux Truands pour l'exemple, et repartir de plus belle. Et quitte à les pendre, autant le faire aux yeux et à la vue de tous. Que ce soit les marines ou les Truands. Il est nécessaire qu'ils voient qui dirige d'une main de fer ses hommes, et que si il est capable de leur infliger ça, il est capable de tout avec ceux qui ne sont pas amicaux.

    Enfin.

    Alors que je regarde au loin du toit de la maison dans laquelle je loge, un navire se profile et perce l'épais brouillard qui entoure l'île. Un navire arborant fièrement un pavillon pirate. Je ne le reconnais pas. C'est ma chance. Il ne doit pas être bien connu, par conclusion, soit c'est un gros dur sans couilles, soit c'est un rookie des bas fonds qui risque de ne pas faire long feu sur la route de tous les périls. J'enfile ma tête dans ma capuche, voulant rester incognito à la vue des villageois et des potentiels marines que je pourrais croiser, et je me laisse tomber au sol, me dirigeant vers la côte. J'ai trouvé ma porte de sortie.


    Dernière édition par Satoshi Noriyaki le Sam 15 Mar 2014 - 21:02, édité 2 fois
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    Le royaume de Drum avait pour ainsi dire de cette féerie, de cette merveille presque surnaturelle dont tous les mômes rêvent un jour d’y faire un tour. Fallait bien pour autant bien avouer qu’on se pelait sacrément les maracasses en dépit du panorama presque fantasmagorique que procurait le royaume de Sakura.  Le contingent de la marine et la reconstruction des infrastructures de l’île ne m’avait guère laissé autre perspective que de me murer dans l’une des nombreuses cavernes des hauteurs de l’île qui, par bonheur, demeurait encore inoccupé. La succession des événements qui avaient eu cours ici bas m’avait plongé dans une morosité profonde, de celle qui vous tiraille l’âme jusqu’à plus soif, de celle qui vous laisse exsangue après vous avoir suçoté jusqu'au plus petit morceau de moelle qui subsiste sur votre carcasse décharné.  Les truands s’étaient fait la malle en me laissant derrière, tel un vulgaire paria dont on se libère après service rendu, me livrant à cet environnement inhospitalier avec comme seuls armes mon manche et mon couteau. J’avais aperçu le Lady Million mettre les voiles alors que les choses se gâtaient et tandis que je prenais lentement conscience de m’être fait copieusement enflé, je me sentais chuter, profondément dépité, dans cette neige omniprésente dont j’aurais voulu anéantir désormais le moindre flocon. Pingre comme je suis,  le choc psychologique, brutal, presque indigne, de voir toutes ces ressources me glisser entre mes doigts crochus, finit par m’anéantir et me pousser à l’exil sur cette terre glaciale que je ne connaissais ni d’Eve ni d’Adam. Le départ du navire avait t’il été motivé pour des raisons légitimes ? Allais-je un jour recroiser les trombines de mes comparses pour avoir le plaisir de leur faire la peau ? Pourrais-je encore être riche ? Autant d’interrogations en suspens auxquelles je ne trouvais de réponses satisfaisantes.

    Puis vint ce jour presque anodin où cette étrange personnage me déposséda du dernier bien qui me restait encore sur cette foutue croûte terrestre. Vint ce jour où j’eus cette amertume à la commissure des lèvres,  la désolation trépidant dans le cœur palpitant,  où j’expérimentai la sensation acerbe de me faire détrousser, de me faire dépouiller de ce que je pensais m’être acquis pour l’éternité. Autant se rendre à l’évidence, je ne valais guère plus qu’un mortel désormais, qu’un misérable et piètre quidam, un résidu d’homme, l’un de ces laissé sur le carreau sur l’autoroute de la gloire et de la richesse. J’avais eu beau haïr cet enfant de catin, il s’était volatilisé après avoir commis son odieux larcin et ce sans que je ne puisse faire quoi que ce soit. La haine dans les veines, la noirceur dans l’âme, je ne pouvais cependant me résoudre à mener cette vie frugale et dérisoire dont les lignes grossières semblaient pourtant se profiler devant ma presque dépouille. Je ruminais tous les maux de la terre tandis que je me morfondais, j’envisageais de monter de toute pièce une nouvelle existence, j’élaborais toute sorte de plans chacun plus rocambolesques que le précédent pour regagner cet honneur bafoué, cette réputation ternie par l’apparition de cette homme, de cette malédiction funeste qui avait fini par avoir presque raison de mon opulente existence d’autrefois. J’étais cependant bien loin de me douter de ce qu’il allait désormais advenir de ma personne. Dans l’une des plus grandes déchéances de mon existence, je reçus finalement l’illumination divine.

    Ce jour là fut un des rares où je m’extirpai de mon antre, la mine caverneuse des mauvais jours comme les cavités béantes de mon crâne, je m’orientai non sans mal vers la ville en contrebas avec pour maigres vêtements des haillons dans lesquelles je m’étais emmitouflé et que j’avais réussi à récupérer au gré de mon infortune dans les steppes enneigés.  Au large, un pavillon pirate pointait, je me foutais royalement de connaître l’identité du type qui faisait mouiller l’ancre au royaume pour le peu qu’il ne vienne guère me chercher des noises. Je pénétrais dans l’enceinte de la ville, la vie y avait repris non sans mal alors que je prenais connaissance des dégâts matériels que tout le beau monde avait causé. Dissimulé dans mes guenilles, j’offrais à la foule, un piètre spectacle, un spectacle qui ravivait de douloureux souvenirs lorsque blessés et laissés pour compte venaient trouver une oreille attentive auprès des villageois. J’accoste finalement un quidam pour lui solliciter une clope et le remercie pour l’hospitalière attention. Je l’allume difficilement, le vent acerbe venant me fouetter la gueule avec violence. Je parvins finalement à la griller, je tire une latte et tandis que je savoure ce plaisir presque abandonné, j’observe l’horizon avec nonchalance. L’heure est finalement venue de se remettre en selle.


    Dernière édition par Sharp Jones le Sam 14 Juin 2014 - 16:34, édité 1 fois
      Chaque numéro quelle annonce est un coup de poignard dans mon thorax. Chacun d'eux étaient des amis et des collègues fidèles. Je suis abasourdi, je me sens un peu fébrile. Je  pense à leurs familles, leurs amis, à eux. J'espère qu'on retrouvera les deux disparus et n° 12. Pour notre chef, n°1 je ne m'inquiète pas trop. C'est un dur à cuir, si il y a bien une personne qui peut s'en sortir, c'est lui. Nous poursuivons notre lente marche. Elle me conduit vers l’hôpital provisoire. Les quelques blessés y sont transférés. Elle m'apprend que Amsterdam, alias n°10 est dans le coma suite à une commotion cérébrale. Elle me rassure tout de suite en voyant la tête que je tire, il va bien, il n'est pas en danger. Radley m'explique que les villageois nous aident beaucoup dans les recherches sur le pilier. Whou, Schultz et Octavius sont avec les villageois en train de fouiller les ruines et le pilier central à la recherche de nos disparus. Mamour et le chef de la milice, Montcalm font le tour de l'île à la recherche d'éventuels traînards ou égarés.

      Je ne savais pas que Montcalm était le chef de la milice, c'est récent ?

      Les villageois lui ont demandé d'être le chef de la milice dès la fin de l'attaque, ils s'estiment bafoués et se sont tournés vers quelqu'un de compétent. Ce Montcalm est assez impressionnant, il émane de lui quelque chose de singulier.

      J'ai vu un navire de la marine sur le port, ils semblent s'installer. Le roi l'est a autorisé ?

      Non, bien au contraire, c'est d'ailleurs pour ça qu'il a approuvé la nomination de Montcalm. Les marines ont chassés les révolutionnaires et les pirates. Ils nous ont bien aidés mais à quel prix.. Depuis, leur navire stationne ici, semblerait-il qu'une avarie les empêches de repartir. La guerre est finie mais les tensions sont encore présentes Eugène. Nous marchons sur des yeux.

      Des oeufs.

      Oui, c'est bien ce que je dis.

      Radley est vraiment d'un grand secours, elle est toute petite, tassée dans son fauteuil roulant et pourtant, elle sait tout. L'avoir à mes côtés durant cette épreuve est un soutien appréciable. Je m'inquiète pour les élèves, elle me dit que les habitants se sont portés volontaires pour les héberger. Je reconnais bien là les habitants de Drum. Leur générosité ne me surprend pas, ils ont bon fond. D'ailleurs, sur le trajet, quelques uns nous interpellent pour nous saluer et nous soutenir moralement. C'est touchant de leur part. Arrivé à l'hôpital provisoire, je salue mes camarades et je demande si je peux faire quelque chose. Zélé est là pour une fois, c'est étonnant. Il dirige l’hôpital d'une main de maître.

      Rastignac, votre morphologie de géant nous sera utile pour une fois. Nous gérons la situation ici, vous devriez grimper sur le pilier et aider au déblaiement des ruines.

      Effectivement, je vais y aller de ce pas, autre chose à savoir avant que je monte ?

      Il y aura une réunion ce soir, tous les toubib 20 présents doivent y être. Nous fermerons temporairement l'académie, il n'y a pas d'autres alternatives pour le moment.

      Entendu, je transmettrai le message à nos confrères. Je ne m'attarde pas plus longtemps par ici, bon courage.

      J'enregistre le message automatiquement dans ma mémoire sans y prêter attention. Ce n'est qu'une fois dehors que je réalise que l'académie va être fermée. De mémoire, la situation ne s'est jamais produite à l'exception de l'incident avec Barbe Noire et le tyran Wapol, mais c'était il y a plus d'un siècle. Il va falloir repartir à zéro, tout recommencer. Reconstruire une académie, recruter des médecins talentueux pour combler les immenses vides que viennent de créer nos amis. Je traverse la ville et faisant un détour par le cimetière. Je n'ai pas vraiment besoin de chercher longtemps pour trouver les tombes de nos camarades. Elles sont couvertes de fleurs. Je prends quelques instants pour honorer leur mémoire. Je ne sais pas si une cérémonie est prévue mais en tout cas, j'écrirai une lettre à leur famille. Une fois le recueillement terminé, je me remets en route, direction le pilier central. Sur la route, je crois une escouade de marine. Une femme est au centre, c'est visiblement une gradée. Je ne me sens pas de la saluer, pas aujourd'hui. L'escouade de fixe avec attention puis reprenne rapidement leur discussion. J'entends la voix de la commodore distinctement.

      Ce navire pirate, vous l'avez identifié ? Quel est leur cap ? Préparons nous quand même. Il faut qu'on les intercepte avant la milice locale si ils débarquent.

        Je me rapproche dangereusement du navire. L'heure fatidique approche. Bientôt je quitterai cette île définitivement, et je retrouverai la prospérité que j'avais quelques semaines auparavant. Bientôt ce qui est arrivé au lendemain de notre bataille ne sera plus qu'un lointain souvenir. Cette pauvreté à laquelle j'ai du faire face, plus jamais je ne veux y avoir droit. Ces vêtements dans lesquels j'ai du vivre, plus jamais je ne veux m'y remettre. Ma garde robe me manque, mon porte monnaie me manque. La satisfaction d'un coup réussi rapportant des millions me manque. Si j'étais resté quelques mois de plus, je ne me souviendrai sans doute plus de l'odeur de l'or. L'odeur d'un bon billet de banque. L'odeur d'un Berrys. Et ça je ne veux pas. C'est pourquoi je me hâte à dévaler la pente qui me sépare de la côte. En ville c'est la panique, mais je n'en ai que faire. Les gens crient, les femmes pleurent, les enfants ne comprennent pas ce qu'il se trame. Ce qu'il se trame, c'est qu'un équipage de pirate allait bientôt débarquer sur l'île. Mais quand ils repartiront, ils repartiront avec moi à son bord. Tout ce que j'ai à faire, c'est m'introduire dans leur bâtiment et y rester le temps qu'il faudra. Je n'en ai que faire de tisser des liens avec eux, ce ne sera qu'un équipage à usage unique. Un équipage jetable. Ils n'ont guère d'importance à mes yeux. Rien de plus qu'un moyen pour arriver à mes fins. Qui plus est, si ils en viennent à me découvrir, je n'aurai qu'à leur faire comprendre que ce n'est pas moi qui devrai vivre avec eux, mais eux qui devront vivre avec moi. Là-bas, ce sera chez moi le temps qu'il faudra.

        Dos à un arbre sans feuille, je me cache du bâtiment qui est maintenant à quelques dizaines de mètres de moi. Toute la route durant, je m'étais demandé ce que je devrais dire lorsqu'ils me verraient, et ce que je devrais dire si ils me reconnaissaient. J'ai donc pris soin de faire en sorte qu'ils ne puissent pas me reconnaître, en ayant bien encapuchonné la totalité de mon faciès. Malgré que cet accoutrement manque cruellement de classe, je dois avouer qu'il allait s'avérer très pratique.
        Ancre jetée, log pose checké, une petite équipe descend maintenant du navire qui doit être à peine plus petit que le Lady Million. A vue de nez, l'équipage doit compter aux alentours d'une quarantaine d'hommes et/ou de femmes, ce qui n'est rien de bien méchant en somme. Aux aguets, je dois attendre que leur nombre sur le navire diminue pour avoir plus de chance de passer inaperçu. Pour le moment, deux groupes de dix hommes sont descendus. Ce qui n'est pas rien pour des équipes censées éclairer les autres sur la situation de l'île, mais ils doivent sûrement être au courant des récents événements qui ont frappés l'île de Drum, ce qui expliquerait donc les directives qu'ils prennent. Dans ce cas, je ne peux pas dire si ils sont prudents parce qu'ils sont faibles, où qu'ils prennent ces mesures parce qu'ils ont une méthode bien précise d'approche, due à leur niveau élevé.

        Avec ces alternatives, je ne peux prendre de risque. Il faut que je sois disc*

        Bouge plus. T'es qui, toi ?


        Rofl.

        Pêcheur ! Moi pêcher ! Laissez moi pêcher ou j'appelle... J'appelle... Satoshi Noriyaki ! Terrible pirate sur île ! Ici et ami !

        Oh non, pitié ! Pas lui ! Non s'il te... Et puis quoi encore.
        C'est là que ça s'envenime un peu. Il tente de me donner un coup de crosse avec son fusil, mais le soucis c'est que je ne me laisserai pas faire... Ca fait des bleus, et les bleus c'est laid, par conséquent, je bloque le coup en attrapant la crosse. Ca l'agace ? Tant pis. Ce n'est pas vraiment des choses à faire... Il tente maintenant de me donner un coup de pied. Je lâche la crosse et recule d'un pas. Le pied part dans le vide. Il est encore plus agacé. Son équipe derrière lui semble se moquer. Ils pensent toujours que je ne suis qu'un pêcheur. Finalement ils ne sont pas si futés. Peut être qu'il n'y a pas énormément de grosse tête, parmi eux... Ils sont dix. L'un semble sortir du lot, et ce n'est pas celui qui est venu m'importuner. Celui-ci, c'est le rigolo de service. Pas le plus fort. Nah. Le plus fort, c'est sûrement celui avec les énooooooooôôôooormes sabres qui ont l'air de coûter bonbon. Si ils cherchent encore, c'est celui ci que je viserai en premier. Même si, d'après moi, le plus fort de ce groupe ne vaut même pas Juusei. Le clown m'a dans sa ligne de mire. Il arme son fusil. Sans sommation. Il s'apprête à appuyer sur la gachette. Je me glisse rapidement entre lui et l'arbre. Je me rapproche de l'arbre, et au dernier moment, je le contourne pour l'effet de surprise. Je le désarme. D'un coup de pied, son fusil s'en va valser dans les airs. Ses yeux s'écarquillent.

        Je me souviens avoir dit que j'étais pêcheur, mais jamais que j'étais inapte au combat.
        Mon regard se tourne maintenant vers le meilleur sabreur de leur équipe. Ils sont un demi décamètre plus loin. Une cicatrice large de trois centimètres traverse le visage de l'homme du coin de son front au haut de sa lèvre du côté opposé. Dur. Il dégaine ses sabres et bondit sur moi. Meh. Mauvais plan, mon garçon.

        Strike 1-0-1.


        Un coup de panard rapide à distance lui envoie une onde de choc. Sa ruée est stoppée nette. Un sourire s'esquisse sur mon visage. Je n'ai pas combattu depuis bien longtemps.

        Bastard's kick.


        Je me rue sur lui. Et lui inflige un coup puissant au thorax, et un autre au niveau du foie. Du sang est expulsé de sa bouche, et sa respiration est coupée. De là, je suis en position de force. Je pose mes mains sur le sol et lui assène un coup de talon dans le menton, le projetant une dizaine de mètres plus loin. Il est inconscient, mais mon plan est foutu. Pour une entrée discrète, c'est raté.

        Sur le pont du navire, un homme rouspète. Une voix grave, mais forte. Sans voir son visage, sans voir sa carrure, on sent que l'homme est plein de charisme. Mais en dépit de cet homme là, qui est l'autre homme dont le visage est couvert, au loin ? Il semble confiant. Beaucoup trop confiant.
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        La clope consumée, je poursuis mon escapade en évitant autant que faire se peut la foule avoisinante. Je ne veux guère risquer de susciter trop l’attention et éviter tout amalgame avec la prime juché sur mon crâne. Ces gars étaient d’ores et déjà partis au casse-pipe pour refréner l’invasion révolutionnaire, alors mieux valait qu’on n’ait pas à se friter pour une histoire de faciès qui ne leur revenait pas. Quoi qu’il en soit, ll me faudrait bien assez tôt prendre la poudre d’escampette et délaisser cette terre désolé. Rares sont les business foutrement juteux et profitables dans l’enclave glacée qu’était Drum, si ce n’est de s’arranger pour écouler des carottes glaciaires à l’île voisine désertique répondant au nom d’Alabasta.

        Avant de faire faux bond à cette belle brochette de montagnards, il me restait cependant une action à accomplir ici bas. Une action d’éclat, une habile manœuvre qui restera à la postérité et gravera le nom de Sharp Jones à jamais sur une pierre tombale. Si j’envisageais le suicide ? la rédemption pour expier toutes les fautes et pêchés que j’avais commis sur l’ombre de cette planète ? L’idée était séduisante à bien des égards mais je ne comptais guère offrir ce genre de plaisir mesquin…bien au contraire.

        Les docks, il fallait que je batte le pavé jusqu’à la bas afin d’obtenir les quelques informations nécessaires à la concrétisation de l’entreprise. Depuis l’explosion de l’académie de médecine, les toubibs, du moins ceux qui n’étaient pas passés l’arme à gauche, avaient mis en place un bon paquet de d’antennes de premiers soins à travers le royaume. Je finis par arriver à l’embarcadère où un bon paquet de navires en tous genres étaient amarrés, la plupart, des navires civils, servent à la pêche traditionnelle, tandis que deux cuirassés brise glace de la marine imposent, à l’aune de ce qu’ils sont censés représenter, leur formidable prestance dans le petit port de pêche. C’était là un message fort du gouvernement à l’égard d’un royaume qui n’était pourtant pas de leur giron, un moyen efficace et surtout apparent du soutien matériel et logistique apporté pour désengorger l’île et écraser tout velléité révolutionnaire dans ce trou paumé. M’est d’avis que les révolutionnaires avaient du s’acoquiner avec la gente locale pour sortir leur petit coup fumant de derrière les fagots, les émissaires de la mouette avaient dû aussi, en dépit de leurs facultés mentales limités par la visière de ce qui leur servait de casquette, en prendre conscience.

        Un peu plus loin, le navire pirate aperçu il y a peu, venait de mouiller l’ancre. C’était foutrement osé que d’opérer une telle manœuvre sur un territoire qui venait d’avoir été placé sous les feux de la rampe. Avoir les dents longues à en rayer le pont d’un vaisseau était une chose, celle d’attaquer de la populace qui n’avait plus rien à perdre et qui nourrissait une haine perceptible pour le pavillon noir, en était une autre. Un type semblait déjà avoir fait irruption sur le galion et débutait la distribution de baffes en guise d’ouverture des hostilités. Aussi étrange que cela puisse paraître pour celui que je présumais être un gradé à épaulettes, le gus était seul pour s’occuper de la sale besogne et du bottage de culs. Je ne comptais guère interférer dans un affrontement qui ne me concernait ni d’Eve ni d’Adam, du moins jusqu’à ce que j’apprenne l’info convoitée.

        « L’un des toubib 20 a été kidnappé par leur chef ! Le Docteur Modo s’est fait enlevé par leur capitaine ! Mon dieu ! «


        Cesse donc de blasphémer gamin. C’est mauvais pour tes affaires avec le très haut. J’arrêtais le gamin d’une main ferme en l’agrippant par le poignet, il devait pas faire plus de dix ans le môme et pourtant pouilleux comme un chiard du Grey Terminal.

        « C’est qui ce docteur Modo au juste ? Pourquoi ils l’ont capturé ? »
        « Maaaaais euh M’sieur, c’est que je sais pas, moi, vous savez… je suis qu’un gamin des docks, v’savez. »

        « à moins que si vous auriez pt’et une pièce, la mémoire pourrait me revenir «
        « Allons bon, tiens et grouille toi de me lâcher le morceau. »
        « Leur chef, j’ai entendu dire qu’il était recherché activement par la marine sur Grand Line. Pis bon, comme l’a pas l’air d’une lumière ni d’une pointure non plus. Paraîtrait qu’il voudrait se refaire une beauté grâce au doc’ avant de le zigouiller »

        Alors c’était mon homme, le fameux doc’ à l’illustre réputation. Parait qu’il fait des merveilles pour réparer les gueules cassés et qu’il y aurait nulle pareille sur tout ce vaste océan.

        Je lâchais aussitôt le môme et me précipitait à tombeau ouvert en direction du navire. Je pénétrais sur la cale, assénait quelques mandales à la marmaille de passage, histoire de me faire la main avant que mon regard se porte vers les deux seuls types qui semblaient avoir une once de valeur. Le premier, à l’image de votre serviteur, est habilement emmitouflé dans un épais vêtement de manière à ce que sa trombine reste caché, le deuxième, gros soupe au lait, la moustache rousse broussailleuse, les yeux écarquillés, la mine réjouie vous vous en doutez bien, et à la dégaine lourde et imposante comme en témoigne l’épais couvercle de marmite qui protège sa panse bien garnie, ne laisse aucun doute sur son statut à bord.


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        « Le docteur modo, tu l’as casé, ou ? Espèce de gros pâté de foie dilaté ! T’as plutôt pas intérêt à me balancer que tu lui as joué le supplice de la planche sinon je m’en vais te dégraisser, le dodu«

        Comme réponse, l’omission. Derrière lui, dans ses quartiers, le carré du capitaine, un sac de jute s’agite au sol, sanglé par quelques cordages.

        Je lui envoie ma semelle de quarante quatre dans l’blair, il recule de deux pas, stoïque, avant de me balancer la hache sur le coin de la gueule. Trop lent. J’utilise la hache comme appui et balance une praline, localisé droit dans le couvercle de fer. Ouille, mauvais estimation, je récupère ma main en compote d’os, mes frappes ne sont plus ce qu’elles étaient depuis que j'ai perdu le pouvoir. Va falloir s’y faire, va falloir que j’y aille molo avec les uppercuts du moins jusqu’à ce que je me sois dérouillé sinon c’est moi qui risque de dérouiller.

        Je retente le coup en essayant de me servir de la marmite comme appui. Le type me voit venir et m’immobilise avec ses gros bras velus avant de me serrer de toute sa force pour m’écrabouiller. Le squelette craque de tout bords et je finis par lui caser un coup de crâne droit dans l’bourre pif et un pain dans les bijoux. Le haillon qui dissimulait mon faciès s’enlève dans la manœuvre, révélant mon crâne à l’auguste assemblée. Stupéfaction générale.


        Dernière édition par Sharp Jones le Dim 15 Juin 2014 - 16:32, édité 1 fois
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          Pulupulu Pulupulu Pulupulu

          Gotcha !

          Les pirates que nous surveillons ont débarqués. Ils sont en train de se battre avec des personnes que nous ne connaissons pas, ce n'est pas la milice en tout cas. Que faisons-nous chef ? La marine aussi est sur place.

          Humf... N'engagez pas le combat sauf en cas de légitime défense. Profitez de la Marine pour temporiser. Je suis sur le retour.

          Mais ! Si la Marine s'en occupe, ça veut dire qu'on n'est plus autonome et qu'on devient redevable du Gouvernement Mondial, c'est un scandale chef !

          Si la Marine souhaite prendre des risques en dehors de sa juridiction, c'est son problème. Maintenez une ceinture de sécurité autour du port, commencez à évacuer les civils, je suis là dans dix minutes. Ne soyez pas téméraires.

          Yae !


          Le trappeur, nouveau sauveur de Drum est à des bornes du village. Pourtant, ça ne semble pas l'effrayer. Il fonce, slalome entre les sapins, les roches et tout ce qui se met en travers de son chemin. Il connaît le terrain comme sa poche. Les coups de battons qu'il donne le propulse toujours plus vite. Le toubib 20 qui l'accompagne, Dr Mamour, a plus de mal à suivre. Il galère et souffle comme un bœuf. Il a beau être sportif et avoir le cuir chevelu impeccable, il se traîne. Le village est en alerte, pas le temps de s'en occuper. Munro fonce tel un skieur olympique. Un lapin tente de croquer le trappeur, d'un simple mouvement de chevilles, celui-ci l'esquive sans problème. L'homme n'a pas été choisi au hasard, c'est un colosse. Surement l'homme le plus fort de l'île.

          x
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          Pendant ce temps, j'ai escaladé la falaise et je me trouve désormais en haut du pilier. C'est triste à voir et surtout à dire. Le paysage est dévasté, les arbres sont couchés, le château de glace a prit une grosse claque. Des blocs de pierres étaient en bas du pilier, au sommet, c'est pire, il y en a partout. Ils sont de différentes tailles, je crois reconnaître ici et là des bouts de dortoir, de salles de cours, bref, de l'académie. J'ai un pincement au cœur en voyant le carnage. Tout est à refaire mais là encore la nostalgie me gagne. Par chance, des citoyens m'ont repérés et viennent à mon encontre. Ils sont formidables les Drumos. J'ai rarement vu une aussi grande volonté de vivre en harmonie avec tout le monde. Ils sont bienveillants et heureux de me voir. Je salue tout le monde et je les remercie sincèrement de l'aide qu'ils apportent. Mes confrères viennent me saluer et me font un petit topo. C'est pas très brillant, voir pas du tout. Aucun signe de vie de n° 12 ni de n° 1. Nous tentons de nous auto-rassurer mais sans grandes convictions. J'annonce la convocation pour la réunion de ce soir, ils acquiescent et on se met au travail sans plus tarder.

          Je ne sais pas pourquoi mais j'étais fou de rage en dégageant les blocs. Tout m'assaillait, j'avais envie d'étriper quelqu'un alors pour passer mes nerfs, j'envoyais valdinguer à plusieurs dizaines de mètres des pans entiers de l'académie. Au début, j'ai effrayé pas mal de Drumos mais rapidement, ils ont vu que je faisais ça dans les règles de l'art. J'avoue avoir versé une larme quand j'ai dégagé le lit géant dans les décombres du hangar. C'était mon lit.

          L'après-midi passe à une vitesse fulgurante. Je suis éreinté, comme tout le monde. J'ai envie de me plaindre mais personne ne le fait alors je reste muet malgré les reins qui tirent. On poursuit, silencieusement à extraire bloc après bloc les décombres de l'académie. Plusieurs piles sont faites afin de récupérer ce qui peut l'être. Octavius est au centre de triage, avec ses multiples membres, il peut facilement classer tout ce qu'on lui apporte. C'est la première fois que je le vois poser les pieds au sol et se servir de ses mains. Il a beau être grassouillet, il va à une vitesse folle. Whou s'occupe de tout ce qui est attrait à la sécurité des secouristes. Il vérifie les équipements et s'occupe en plus de la paperasserie. L'aide de notre confrère Amsterdam aurait été précieuse pour les recherches. Son fruit du démon nous aurait épargné tout ce dur labeur. On a embauché quelques chiens pour nous aider dans les décombres mais aucun résultat probant.

          On sait que chaque heure qui passe amenuise les chances de survie de n° 1 et 12. Alors on poursuit malgré la tombée de la nuit. Plusieurs braseros sont allumés pour se réchauffer et s'éclairer. Schultz apporte de la soupe à tout le monde. Elle n'est pas trop salé, on reconnaît bien là le côté protecteur du médecin. Chacun fait une pause quand la fatigue ou l'épuisement l'empêche de poursuivre, Whou y veille.

          On allait descendre pour la réunion des toubib 20 en ayant promis un retour rapide avec des renforts à nos amis Drumos quand quelqu'un s'écrie. Tout le monde s’agglutine rapidement. Je fonce sur place et je commence à déblayer les gros morceaux de débris qui gêne. J'ai beau être minutieux, je m'arrête quand nous touchons le but. J'ai peur de blesser celui qui est en dessous. La fatigue et l'épuisement ne me permette pas un travail de précision. Les Drumos fournissent l'effort restant et l'un des sauveteur s'engouffre dans la brèche que l'on vient de dégager. Il en ressort, l'air grave. Il porte un regard lourd de sens sur nous, les toubib 20. Le suspens est horrible et morbide. Personne ne lui reproche, annoncer à quelqu'un le décès d'un proche est difficile pour un médecin alors pour quelqu'un qui ne le fait pas régulièrement, c'est insoutenable. Whou, la voix de la sagesse pose une simple question. Sa voix est douce et presque réconfortante. Le sauveteur délie enfin sa langue et annonce que c'est n° 1 et qu'il n'y a plus rien à faire.

          Une ponction lombaire m'aurait moins fait mal que d'entendre ce sinistre verdict. Je ne peux retenir mes larmes. Tout le monde est abasourdi. Si il y avait quelqu'un qui avait une chance de survivre, c'était bien lui. Les maladies mortelles l'avaient toujours touché sans rien lui faire. Je n'y crois pas, ma tête secoue de droite à gauche. C'est impossible qu'un type comme lui meurt. J'ai beau le savoir, tout le monde meurt et pourtant, je m'y refuse pour cette fois. Je réfute l'idée que ce symbole de la médecine moderne soit mort à cause de Révolutionnaires. Lui qui les admirait tant.. Ce déni m'énerve et la colère s'empare de moi. Je brise une roche d'un coup sec qui surprend toute l'assemblée. J'ai envie de tout raser, j'en veux à la terre entière. J'en veux aux Corsaires, à la Marine, aux Révolutionnaires, à tout ceux qui ont participé à cette aberration. Je songe même à démissionner sur le champs. Je fais quelques pas pour me calmer et ne pas effrayer nos amis les Drumos. Pendant ce temps là, on extrait le corps et on le place dans un cercueil.  A mon retour, celui-ci est fermé et tous les sauveteurs l'entourent. Ils sont silencieux, ils se recueillent devant la dépouille de mon confrère, mon professeur, mon ami.

          Whou, que rien n'ébranle, nous fait redescendre pour la réunion. Comme souvent, je me laisse glisser par le câble du téléphérique jusqu'en bas du village. Dans mon sac, j'ai le cercueil de notre ami et sur mes épaules, trônent mes confrères. La descente est rapide mais me paraît une éternité. Je suis complètement déprimé par cette macabre découverte. Mes confrères aussi gardent le silence. Nous sommes tous plongés dans nos souvenirs. En arrivant auprès des autres médecins, nous leur apprenons la mauvaise nouvelle. Une profonde tristesse s'empare de tout le groupe. Le cercueil est déposé au milieu de notre petite assemblée. On contacte par Den Den le reste des toubib 20. Quelques uns ne sont pas encore rentrés sur l'île. Radley est la plus touchée par ce décès et pourtant, c'est elle qui impulse le commencement de la réunion. J'aurai pensé que n° 2 en aurait profité mais même lui semble très marqué par cet événement. Comme si ça ne suffisait pas, notre confrère Modo n'était pas des nôtres. Personne ne l'avait vu depuis la matinée.  
            Ma trogne toute charbonné apparaît au vu et à la su de toute cette petite assemblée de pieds nickelés. La petite troupe ne s’attendait guère à tomber nez à nez avec pareil esthète, fallait bien avouer que mon crâne était d’une beauté rare, doté d’une symétrie à faire pâlir les plus grands toubibs de Drum. La boucane, estomaqué par l’éminent coup de théâtre semble quelque peu dérangé par pareille spectacle du moins jusqu’à ce que l’autre ventru rappelle ses mecs à l’ordre en leur faisant miroiter le sort que leur réserverait leur capitaine si je me faisais la malle. La tension palpable, l’effroi de la vision de pareille créature tout autant, je me permets un petit écart de conduite, histoire de tirer mon épingle du jeu de ma position cocasse. Les mousquets tremblotent traduisant les états d’âme de la petite troupe,  Les mines non rassurés des hommes de bord, emplie d’une appréhension à peine dissimulé sur des faciès pâles, blanchâtres, renforcent ma volonté à m’adonner à cette petite blague vaseuse des chaumières que j’aime tant.

            « BOUUUUUUUUUUUUUUHOUUUUUHHHH »

            « AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH »

            Sursaut général, les hommes empreints d’une panique gueulent leur terreur passagère en chœur, des fusils tombent sur le pont.  ils n’ont pas pu s’en empêcher, c’était physique. Sourire carnassier aux lèvres, je me délecte de cette intervention mesquine avant de consécutivement, balancer mon panard sur le couvercle d’acier de l’ami au hachoir. Élan oblige, notre gars vole dans l’armature du navire et se fracasse la trombine droit dans le bâti de la cabine de leur capitaine. De l’autre côté, le deuxième comparse que je présumais être l’un des leurs, se met en mouvement et assène une tornade de frappes de semelles, modèle Richelieu avec sabot en acier messieurs, dans les mines de ce ramassis de flibustiers amateurs, le gus sait y faire et distribue une ribambelle de trempes cocasses, je me félicite d’avoir les mêmes intérêts que ce type, ce serait foutrement coton si çà n’avait guère été le cas. Les pirates font cracher l’acier dans tous les sens, la peur a déjà submergé les rangs étiolés de cette garnison de bons à rien. La leçon allait être salvatrice, ils n’étaient pas prêts à rejoindre l’océan de tous les périls et cette petite remontée de bretelles illustrait de manière clair et concise toute leur impuissance ainsi que leur inaptitude à naviguer sur ces flots hasardeux.

            Le gros rouquemoute broussailleux se relève avec peine, l’amertume dans le regard et le feu dans l’âme, on ne le traîne guère dans la boue devant ses hommes, çà flanque singulièrement l’ego et l’ego, c’est une grande partie de tout ce que possède un flibustier digne de ce nom.

            « Tu vas me le pay… »

            Schblang, un coup de crosse dans la tronche, le second dans les bras de Morphée, asta la vista. S’extirpant de sa gangue obscure, le tenancier de ce foutu rafiot daigne enfin montrer le bout du museau au grand jour.

            « Braaaaaahhh. L’heure de roupiller, Monsieur Chank, l’heure de roupiller «

            Il maugrée quelque sympathies dans son double menton, et s’avance avec lourdeur, une jambe de bois cahotante et de l’autre une canne boursouflé affreusement, sur laquelle pustules et autres furoncles fleurissent sans vergogne. Le capitaine est en rogne, il n’aime pas être dérangé pendant son repas, que dis-je sa goinfrerie quotidienne. Ce genre de frivolités l’agace, ce n’est habituellement pas de son ressort. Agrippant fermement le sac de jute, il se traîné avec pénibilité, creusant par la même une énième strie sur le pont d’un vaisseau vieillissant. Rendu devant ma poire, il balance avec virulence et énervement le sac au sol, déchirant les mailles de ce dernier et dévoilant par la même la mine pleine d’appréhension et d’angoisse du fameux Docteur Modo.

            « Braaaaaaaaah, Qui ose déranger Gournaud dans son repas?,  c’lui que tu veux, hein ?! Ce satané toubib est aussi coriace que ma vieille carne, l’veut pas me refaire ma trogne pété parce qu'il a pas ses instruments qu'il dit, Ses instruments t'entends !. Main’tenant, je suis véner’ BRAAAAAAH »

            Un mugissement d’outre-tombe sort de sa trachée, ses cordes vocales branlent dans sa cage thoracique difforme, par l’engloutissement de festins trop copieux. Un beuglement rempli de colère et de hargne qui, m’aurait fait presque mouiller mon falzar. Le doc’, lui, est terrorisé et se carapate vite fait vers le bord du navire, loin de l’affrontement qui va se mener entre les deux hommes. Une bourrasque souffle dans la voile, un calme émerge, une confrontation psychologique opère… le calme avant la tempête, comme on dit.

            Le ventripotent tente de me balancer sa canne dans la mâchoire, je l’interromps in extremis avec la paluche et prend conscience trop tard que sa pogne toute graisseuse, surmonté de bagues dorées,  me file droit dans le buffet. Je vole à une dizaine de mètres, raclant le pont avec mes chicots, avant de m’encastrer avec force dans le mat du navire. La misaine a tenu bon et ne s’est pas effondré, le temps que je reprenne mes esprits, le gros est déjà prêt à faire sa fête au doc’. Je m’extrais de l’armature, me débarrasse avec violence des chutes de bois dans ma vieille carne et balance un bout de planche vers la jambe branlante. Il esquive sans effort la planche tandis que je me précipite à toute hâte et balance mon poing droit vers les bijoux du gros tas, mon uppercut rebondis sur la bedaine du bibendum, plutôt pratique pour éviter de se faire exploser les burettes. Le capitaine se gausse, lève le poing et l’abat avec intensité droit vers mon crâne. Dans un éclair de lucidité, je colle une balayette sentie dans la jambe de bois de notre boucanier, lui faisant perdre l’équilibre précaire dont il jouissait jusqu’à présent. Tombant a la renverse, j’en profite pour lui coller mes rotules dans le tarin. Le gars tombe avec fracas et traverse même le pont pour s’écraser en contrebas, un nuage de poussière s’élève dans l’atmosphère en écho du choc et j’en profite pour agripper Modo par le col, histoire de le foutre à l’abri.

            Le pied sur le bastingage, je sens l’odeur grasse du capitaine à mon insu et tandis que je pousse modo sur le ponton dans un ultime effort. Une praline vient m’enfoncer à six-pieds sous le plancher. J’ouvre un œil, le temps d’apercevoir le gros s’apprêter à faire feu sur le docteur. Une balle vint bientôt l’empêcher de mener à bien son œuvre funeste, une balle unique, un projectile qui lui perfore l’estomac de part en part. L’ami bouffie crache un filet d’hémoglobine dans sa paume, ne comprenant guère ce qui venait d’advenir. Une seconde balle transperce alors l’articulation dans l’épaule du bras qui, il y a quelque instant de ça, menaçait Modo. Le bras ballant et témoin de son insuccès, Gournaud tombe genoux au sol, frustration sur le visage.

            « Capitaine, regardez là haut ! »

            Sur le poste de vigie, un homme grand, trapu, des mirettes perçantes qui semblent en avoir vu long sur la douloureuse expérience de l’existence, a été témoin de toute la scène. Un voile pourpre sur le bas du faciès, un couvre-chef en cuir et une longue parka en peau, doublée d’une fourrure blanche, usée par le temps et l’expérience. Le fusil de chasse encore fumant, pointé à quarante-cinq degrés vers le meneur de ces canailles. Un contingent de la marine en renfort sur le ponton, trop tard pour prendre la poudre d’escampette mes bons, vous êtes faits comme des rats.

            Enfoncé dans la dunette, je ne peux guère plus me relever, mon œil est fébrile s’apprêtant à se clore tôt ou tard, je crois reconnaître la voix de Modo dans le brouhaha constant autour de ma personne.

            « Aidez donc cette homme, officiers ! Il m’est venu en aide à plusieurs reprises. Regardez-le donc, il n’a plus de visage, je suis certain qu’il s’agit là d’une pauvre victime de l’affrontement de Drum.  Amenez le dans le poste de secours le plus proche ! «

            Je ferme l’œil, littéralement épuisé et me laisser porter dans la civière dans laquelle les marins me hissent avec précaution. Les choses se goupillent plutôt bien on dirait.
               


            Dernière édition par Sharp Jones le Sam 14 Juin 2014 - 15:52, édité 1 fois
              Désolé pour l'attente Doc, il y avait une avalanche, j'ai du la traverser, ça m'a un peu ralenti. Content que vous soyez en un seul morceau. Je vous ramène au centre de secours dans un instant, j'ai un truc à régler avec la Marine.

              Merci ô vaillant Munro... Sans vous, ma tête aurait été percée de part en part et tout ce qui compte de mon âme ce serait évanouï dans la nature... Je m'étais résigné à mourir, le coeur léger en ayant pensé à ma famille, mes amis, qui jamais ne me reveraient. Prenez votre temps, il me reste quelques bandages à faire pour réparer vos terribles dégâts... La cruauté des armes à feu n'a d'égal que celle de l'humanité... De surcroît, il y a là, dans ce navire branlant, une victime fauché par les aléas de la vie... Cet homme a perdu son visage, son âme, son identité, sa joie de vivre... Je me dois d'intervenir afin de lui permettre, tel un phénix de revivre... Jusqu'à ce que la cruauté sinistre de la vie lui reprenne ce cadeau en lui ôtant la vie...

              O.k... Faites, faites, je reviens vous voir d'ici peu...


              Munro s'éloigne en levant les yeux au ciel. Dans le genre mélodramatique, Dr Modo était un expert. Mais il excellait également dans la reconstruction faciale et c'est d'un geste très théâtrale qu'il stoppa le brancard à sa hauteur. Il jeta sa cape par dessus son épaule et de tout son corps se pencha pour examiner la tête en charpie du Sharp. La tête du médecin oscillait de gauche à droite, murmurant ici et là des phrases à lui même. De sa main ganté, il épousa le crâne du mutilé. Puis, d'un coup, surprenant l'assistance, il se redressa et écarta les bras.

              FASCINANT ! Occupons nous de cet enfant !

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              La réunion commença assez morbidement par un pèlerinage jusqu'au cimetière de la ville. La rumeur avait très vite circulé et en très peu de temps, beaucoup d'habitants s'étaient joints à nous. Le cortège déambula jusqu'à la dernière demeure de n° 1. Plus nous avancions, plus les torches augmentaient. Je dominais tout le monde de hauteur et je ne pouvais que constater l'ampleur grandissante du phénomène. Pas une seule parole s'éleva du cortège, tout le monde se recueillait et respectait le deuil. Il y avait bien entendu des larmes, dont les miennes, mais la nuit camouflait cet étalage de tristesse. On déposa tout doucement le cercueil au fond du trou et nous passâmes tous, les uns après les autres pour y jeter nos instruments de médecine. Je ne sais pas si c'est une coutume mais en tout cas, tout les toubibs présents l'ont fait. Puis vint le tour des villageois qui malgré le froid, prirent une poignée de terre et recouvrirent le cercueil. Il y avait tellement de monde que le trou se boucha rapidement. Soudain, un voix connu s'éleva, c'était le roi en personne qui avait fait le déplacement. Sa couronne brillait à la lueur des torches. J'avoue ne pas avoir écouté son discours, j'étais trop ému. Mes pensées allaient droit dans mes souvenirs et je voyais un film défiler devant moi, retraçant par anecdotes le bout de chemin que j'avais partagé avec n°1.

              La foule se dispersa comme elle s'était formée, doucement. Je n'ai même pas vu le souverain s'éclipser, pour ma part, je regagnais avec mes confrères le poste de secours. Nous avions une réunion à tenir. On contacta par Den Den les absents, chaque annonce de la mort de n° 1 était une torture. L'ambiance était lourde mais on devait faire la réunion alors n° 2 se lança. A l'instant même où il entamait l'ordre du jour, Dr Modo se pointa comme une fleur, l'air goguenard. On ne voyait pas sa tête, bien évidement mais il ricanait comme un dément. Il annonça avoir fait un miracle aujourd'hui en recréant un visage sur un mutilé. Malheureusement pour lui, son annonce fit un bide et Radley lui annonça la triste nouvelle. Son attitude changea radicalement et il se joignit à nous dans la morosité. Peu de monde prirent la parole au final, juste trois toubibs. Zélé fit le difficile état des lieux et prononça la fermeture de l'académie jusqu'à nouvel ordre. Whou évoqua la reconstruction et le coût financier de l'opération. Radley acheva la réunion par la liste des toubibs à remplacer pour que l'ordre perdure malgré ce coup dur.

              Personne ne ramena sa fraise, moi y compris. Au final, sur les 20 toubibs que comptait l'ordre, à l"instant nous pouvions avancer les chiffres suivants:

              - 4 Morts (1, 3, 9, 16)
              - 2 Disparus (12, 18)
              - 1 Comateux (10)
              - 9 Présents sur Drum (2, 4, 5, 6, 8, 13, 17, 19, 20)
              - 4 Absents (7, 11, 14 & 15)


                Un éveil pénible, je ressens une grosseur derrière le crâne, une bosse suffisamment salée pour me ficher un mal de crâne du tonnerre. Une odeur de Bétadine entremêlé à de la javel et autres produits thérapeutique, cette atmosphère aseptisée qui fout mal à l’aise, ce genre de relent médicamenteux que les gosses détestent humer dès lors qu’ils vont à la clinique. C’est cette odeur qui fout la gerbe, qu’est finalement venu me piquer ce qui me sert de narines, si tant est que le trou béant dans le cartilage en lieu et place de l’appendice puisse être qualifié de tel sorte, me ramène en un saut à la réalité de ma situation. Celle du gars qui il y a peu de temps encore avait la carcasse foutrement mal en point et ne savait si il lui serait permis d’apercevoir la prochaine aube. Les yeux rivés sur les dalles blanches du plafond, je tente de bouger mes muscles, de produire le moindre mouvement susceptible de me rassurer quant à ma condition. Pourtant, rien n’y fait, tous mes muscles demeurent ankylosés et bouger ne serait-ce que le poignet me cause un mal de tous les diables. Ne pouvait rien faire d’autres du moment présent, je me résigne à compter les dalles du plafond et les linteaux entre chacune, l’alternance méthodique d’une bichromie noir/blanc, la dualité de la vie se révélant à votre serviteur dans sa plus simple façon, dans toute sa trivialité si insipide et anodine. Les membres endoloris faisant, je n’ai d’autres choix que de piailler pour me faire entendre.  

                « Bwaaah’ ou-suis-je ? »

                Le temps de prendre conscience que j’avais atterri dans une enceinte médicale ou du moins à ce qui s’y affiliait, qu’un brancardier vint bientôt à mon chevet. Blouse blanche, masque sur le coin de la gueule, de petites lunettes rondes surmontés sur l’arrête d’un nez bosselé, l’archétype de l’infirmier en puissance, entre altruisme et curiosité malsaine, paradoxe du scientifique conventionnel, tiraillé entre l’humanité dont il doit faire preuve et son désir ardent de contribuer au progrès médical.

                « Le poste médical, 26. C’est une aubaine que vous soyez revenu à vous si tôt ! Le docteur Modo sera heureux d’apprendre la nouvelle. C’est qu’il est très impatient de vous faire part de son projet, de son auguste œuvre. «

                « Son projet ? «

                « Votre visage, voyons ! Vous lui avez sauvé la vie et vous est tellement reconnaissant qu’il veut vous faire cette faveur ! Vous savez le nombre de gueules cassés qu’il a retapé se comptent par centaines, c’est un plasturgiste de génie ! Le docteur est tellement populaire que nous sommes obligés d’inscrire ses patients sur une liste d’attente de plusieurs mois ! «

                « Trop aimable de sa part... C’est que je ne voudrais guère m’imposer et… puis-je voir quelques photographies de ses exploits chirurgicaux ? Afin que je me fasse une petite idée, bien sûr. «

                Le brancardier me faussa compagnie quelques instants. Le doc’ voulait me charcuter le portrait, il en avait l’intime volonté tout du moins. La chose se profilait plus ou moins comme je le présumais même si je ne m’attendais guère à me retrouver dans cet état de délabrement. Une véritable épave, une espèce de ruine, presque un légume, c’en était presque affligeant pour un homme de ma facture. Impatient de me retaper la façade, ouais hmmh, je vois le topo et le genre de grand génie qu’est notre ami. Un bon gars se figurant qu’il a recu une mission divine, l’annonciation d’une existence providentielle au service de son prochain, un doc’ aux mains d’or, qui le sait et qui le revendique. Je le fourre pas pour autant dans la classe des illuminés, le gars tâte bien, trop bien pour être catégorisé de telle sorte, il gère la fougère et est loin de la boucherie plasturgique adonné pour son bon plaisir.

                L’infirmier finit par se repointer avec une pile de dossiers sous le coude, m’invitant à consulter le contenu de ceux-ci. Des fiches d’état civil, des radiographies, des photographies, des témoignages des patients, des comptes rendus d’opération, je parcourais les documents avec un œil convoiteux. De la reconstruction faciale, des accroissements d’organes, des rétrécissements également, le traitement de malformations et traumatismes tout cela était monnaie courante pour le bonhomme.  Le contraste avant/après était saisissant, j’observais avec quel dextérité le chirurgien plastique s’adonnait à son art, des stars du show-biz, des gens de la haute et le nec le plus ultra du gratin comptaient parmi ceux ayant passé dans ses mimines expertes. Un virtuose du bistouri qui explorait les limites du corps humain, poussant la recherche plastique toujours davantage dans ses retranchements. Modo semblait vouloir s’occuper aux petits oignons de mon sort, je n’avais guère grand-chose à risquer entre les mains du toubib, ce n’est pas comme si la chose pouvait se révéler encore pire qu’elle ne l’était à l’instant présent. D’une inclinaison de tête, je donnais un accord tacite à l’infirmier.

                « Le docteur lui-même va vous rendre une petite visite et vous proposer de nouveaux faciès envisageables en accord avec l’ossature de votre visage. C’est qu’il a déjà pris les devants, vous savez «

                Une attente insoutenable s’ensuivit, de celle du patient s’apprêtant à passer sur le billard, sachant qu’il ne coupera pas à son sort, inéluctable, comme le couperet sur la nuque du condamné. Je me morfonds dans mon moi profond, je donne du mou à ce doute, cette incertitude de l’accident, du malencontreux incident advenant si rarement qu’on n’en parle plus, dont on nierait presque l’existence si la déontologie professionnelle ne tiraillait pas l’esprit de ces toubibs le soir venu. Je me fais un sang d’encre, je voudrais bien vous y voir vous à vous faire refaire la façade, surtout que je suis convaincu que je vais faire office de sujet expérimental pour le doc’, le genre de cas d’école dont il pourra se vanter d’avoir rattrapé le cas auprès de ses confrères, histoire de mieux se faire mousser dans les petits séminaires auquel l’énergumène doit assister. Pris les devants ? M’étonnerait pas qu’il soit responsable de ma foutue paralysie ouais, j’ai forcé contre le boucanier c’est clair mais pt’et pas à ce point-là, l’espèce de petit enfoiré !

                Ja patiente une vingtaine de minutes, la boule au ventre, je peux même pas ronger aux sangs, avant que Modo au masque de fer fasse irruption dans la petite salle de réveil.

                « Vl’a, le héros du jour, formidaaaable, formidaable ! Vous allez devenir l’une de mes plus belles œuvres, Monsieur ! Monsieur..euh ?! »

                « Appelez moi Sharp. »

                « Non, ca ne va pas, il vous faut un autre nom, quelque chose au travers duquel toute ma grandeur et mon génie diabolique de chirurgien puisse s’exprimer ! »

                « On verra ca plus tard si vous le voulez bien héhé «

                « Tâchez donc de bien y réfléchir ! Mon assistant vous a montré quelques visages que j’ai raboté, je crois ?! Savez-vous ce qu’elles ont toutes en commun, le savez-vous hein ? »

                Comme si j’en avais la moindre idée, de ce qu’elles avaient en commun toutes ces tronches. Comme si je pouvais me figurer un seul instant, de ce qu’ils pouvaient bien partager, j’ai plus l’âge des devinettes à la con, de ces énigmes qui m’insupportent, le gars s’apprête à m’écharper copieusement l’anatomie et trouve rien de mieux pour me foutre à l’aise que de me proposer sa petite énigme.

                « La syyyyyymétrie, La syyymétrie, voyons. Regardez-donc l’uniformité des lignes de ces visages, l’équilibre entre les parties, l’équilibre des visages et leur balancement, des proportions superbes pour ces visages façonnés par l’émissaire du grand modeleur que je suis ! D’ailleurs, à partir de votre crâne, j’ai opéré quelques croquis éventuelles pour votre reconstruction faciale, regardez «  

                Des tronches, des trombines, des gueules encore et encore, une petite quintaine de profils distincts m’étaient proposés par le bon doc. C’est qu’il avait le souci des conventions en dépit du fait qu’il trépignait d’impatience de tailler dans le vif héhé. Le premier ? Trop marqué. Le second, le troisième et le quatrième ? Des faces qui jurent, des minois de bienheureux noblion ou bourgeois qui a jamais fait d’huile dans son ben, du gars qui croit avoir tout vu, le cul juché dans son fauteuil. Le cinquième ? Le seul qui tenait vraiment la route, un mec lambda, le visage angulaire, les arcades fournies et saillantes qui sous plombent des sourcils arqués et broussailleux,  un front net et dégagé, nez busqué, mâchoire proéminente, joues creuses et pâles oreilles banales, bouche étriqué, un menton fuyant. Le seul qui me ferait passer pour le John Doe parfait et me permettrait de me fondre dans la masse.

                « Excellent choix ! Vraiment ! Formidaable ! Je m’en vais faire de vous une auguste œuvre ! Ah oui, j’ai d’ores et déjà pris soin de vous inséminer un paralysant ainsi qu’une bonne dose de morphine comme vous avez dû le remarquer ! «

                La réplique aussitôt dite, des infirmiers débarquent dans la petite salle de repos, et poussent le brancard droit devant en direction des portes battantes et du long couloir du derrière. Allongé sur l’aluminium froid, les lumières m’éblouissent tour à tour, la tension monte, palpable, on pourrait presque la trancher au coupe-chou. Les fillettes aimeraient trouver du réconfort sur les faciès des brancardiers dans l’instant présent, aimerait trouver un appui, une sorte de soulagement pour l’épreuve à venir. On finit par pénétrer dans le bloc, Modo enfile ses gants, se saisit de ses instruments et revêt son masque. La trombine au-dessus de la lampe d’opération, je me fais sangler solidement sur la table d’opération’ tandis qu’une piqûre me perfore la veine. Un somnifère puissant s’instille dans l’hémoglobine et à peine ai-je le temps de compter les secondes que je tombe dans les bras de Morphée, mon œil se refermant sur la vision du masque de Modo penché au-dessus de moi.

                Le scalpel, dans la pogne, l’homme se livre à la besogne des heures durant avec pleine satisfaction, faisant étalage de tout le génie inhérent à ce grand prodige. Le crâne n’est plus, il a passé l’arme à gauche, un nouvel être de chair lui a succédé. Recouverts de bandages en tous genres, l’homme nouveau est plongé dans une sorte de léthargie réparatrice, le début d’une longue convalescence pour le nouvel individu.