Chez Pinky - Port de Norland -1624– Luvneel – North Blue
Chez Pinky. Repère malfamé s’il en est. Petite enseigne non loin des docks, elle a su attirer son lot de malandrins, d’aventuriers et de crapules : n’ayons pas peur de l’affirmer. Ce qui fait tout le charme de l’endroit est sa fameuse bière ambrée légèrement fumée. Tout le monde se l’arrache. Rectification, la bière a un gout de pisse, mais n’est pas chère et c’est pour cela qu’on se l’arrache en fin de compte. Revenons-en à cet endroit où tout est à l’envers ou presque. Des verres vols dans la salle, une épaisse fumé hante constamment l’endroit et les bagarres y sont monnaie courante. Dans ce lieu de perdition, je trouverais bien au moins une âme pour m’accompagner dans mon périple.
Quoi que c’est déjà tout un périple d’arriver jusqu’au comptoir sans en prendre une au passage. Je joue des épaules, je plante précieusement mes pieds au sol en évitant l’urine, le vomi, le derrière de la grosse serveuse, le pickpocket qui cache sa main sous son journal daté de l’an passé et enfin un corps. Un corps ! Propulsé avec force jusque l’un des piliers porteurs contre lequel il se rompt. La chute est abrupte, la mine du trouble-paix est déconfite. J’ai à peine eu le temps d’esquisser un pas de côté digne d’une parade d’escrime. Mon regard se porte alors aussitôt sur celui ou celle à l’origine du lancer et je trouve finalement une petite fille assise sur le comptoir, des élastiques dans les mains et un chewing-gum en bouche.
Ma surprise est total et pour le coup, mon visage affiche clairement mon étonnement tandis que je peux admirer ma frimousse d’ahuri contre l’un des miroirs fêlés du présentoir. Puis, une fois installé sur l’un des tabourets encore potable, j’observais plus attentivement cette petite gamine. Elle n’avait rien à faire dans ce genre d’endroit. D'une part, parce qu’elle était bien trop jeune, d’autre part, son style vestimentaire composé d’une robe à froufrou et de mocassin vernis contrastait plus que grandement avec l’infamie qui régnait dans ce bar. Soudain, je vis une large et immense silhouette émerger depuis les abysses, sous le comptoir. L’homme, bien que viril, arborait les artifices d’une femme comme le fond de teint sur les joues, du rouge sur les lèvres, du noir sous les yeux et des cils largement accentués. Une perruque faite de boucle d’or habillait le crâne, surement dégarni, de l’individu. Un nez franc et large surplombait sa bouche généreuse qui ne s’ouvrait jamais, mais qui se plissait toutefois pour sourire tendrement à la petite fille. Les deux semblaient être très complice, toutefois l’enfant fit une moue lorsque les bras puissant du tavernier la soulevèrent comme si elle ne pesait rien pour ensuite, la poser de son côté du comptoir. On ne la distinguait alors plus ou presque. Boudeuse, elle frappa le géant au tibia d’un grand coup de pied avant de disparaître sous ses rires et les complaintes de la montagne. Observant la scène avec naïveté, cela me fit aussitôt songer à ma sœur. Il fallut la mine sévère du maître de maison et le bruit d’une chope de bière pleine claquée devant moi sur le présentoir pour que je revienne dans le monde matériel.
Souriant simplement en laissant choir sur le comptoir quelques pièces, j’observais lentement la mousse de cette bière et les curieux mystères que recelait sa douce robe blanche. Combien de personnes avaient déjà tentés de s’y baigner, de s’y perdre, de trouver un semblant de réconfort ou un quelconque endroit improbable en plongeant leurs lèvres dans ce breuvage… Les abrutis. Après avoir éloigné cette pisse de ma vue, je tournais lentement mon corps sur le tabouret pour contempler la déchéance, la décadence. Les hommes étaient affalés sur le sol les uns sur les autres. Les plus courageux étaient encore attablés, la tête en arrière ou bien posée lourdement contre le bois, une bave dégoulinante dans la bouche. Les relents me donnaient des haut-le-cœur et j’avais bien là sous les yeux la direction même dans laquelle se dirigeait le monde. Alors que j’étais dans la peau d’un spectateur dépité, je lorgnais lentement sur le papier que je venais de sortir de ma poche. Ce petit mot tout droit sorti d’une bouteille et qui à travers vents et marées m’était parvenu. Réajustant mon col une fois la lecture de celui-ci terminé je pris place au milieu de la pièce, tournoyant sur moi-même en tentant de captiver mon auditoire sourd et ivre, ou plutôt rendu sourd par l’ivresse justement. Alors que mes élans participaient à ma fougue et à moi soif d’aventure, je vis que tout ne s’offrait toutefois pas complètement à ma vue. En effet quelques personnes demeuraient dans les recoins sombres des lieux, je ne distinguais d’ailleurs que le blanc de leurs yeux ou bien encore, la braise rougeoyante au bout de leurs cigarettes.
Alors il n’y a donc personne ici pour se joindre à moi ?
A cet instant, une meute sortit du bois, à comprendre, des gens louches se levaient et avançaient vers moi. Ils semblaient sortir de nulle part et là, sans un semblant d’avertissement, une jambe terminée par un pied géant fonçait droit sur moi. Trop rapide pour que je puisse esquiver, mes bras se levèrent instinctivement pour atténuer la puissance du coup qui m’envoya à plus de deux mètres de la position dans laquelle je me trouvais initialement. Plaquant mes longs cheveux en arrière et sans même que je n’ai eu le temps de correctement cerner mon agresseur, c’était hélas moi qui me retrouvais cerné puis pris à partie. J’avais beau répliquer, ils étaient trop nombreux. Je ne pouvais que reculer jusqu’aux battants des portes de l’entrée. Une table vola ensuite au-dessus de mes agresseurs. Esquivant celle-ci au dernier moment avec la même adresse dont j’avais fait preuve pour esquiver le corps quelques instants plus tôt, je fus cueilli par un coup net et franc au niveau du thorax. Sonné et chancelant, quelques pas en arrière et un soufflé coupé plus tard, je me retrouvais assis sur le sol, dehors. Ma main avait laissé échapper ma carte et je ne pus que demeurer dans cette position en regardant ces bandits s’éloigner avec ce qu’ils pensaient être la promesse d’un avenir meilleur. Loin d’être le plus fort, j’étais plutôt malin et je serais loin quand ils découvriront une recette gribouillé sur le parchemin. Tapotant mes vêtements, je souriais amèrement alors que machinalement, mes doigts apportaient à mes lèvres une cigarette bien mérité.
Si ça commence comme ça, ça promet…
Dernière édition par Sorrento Olin le Lun 21 Avr 2014 - 21:10, édité 1 fois