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Born on monday.




Gris. Tout était gris. Des nuances inexpliquées, des odeurs grises. De la moisissure, de la douleur. Un canevas gris aux relents putrescents. Une sensation oppressante d’impuissance qui enserrait la poitrine et fouraillait les entrailles. Ce qui vint en premier fut la lumière. Diaphane, incertaine. Elle se glissait, ricochait sur les imperfections du décor avant de se perdre en ténèbres opaques. Pas de vision claire de son calvaire. Une simple lueur diffuse qui lui brûlait la rétine. Il ne voyait pas le ciel, il ne voyait pas ses pieds. Il était immobile entre deux mondes. Un calvaire amplifié par des questions sans réponse. Il se rendit compte qu’il était humain, qu’il avait des bras. Des jambes. Mais il ne bougeait pas. Il ne bougeait plus. Ses forces, sa volonté. Tout cela lui échappait. De l’eau entre ses doigts. Un feu sans fumée le consumait, et il ne savait pas pourquoi. Un râle guttural s’échappa du fond de sa gorge, émanation claudicante d’un débris d’homme. Puis il comprit. Au fur et à mesure que ses yeux s’habituaient à sa nouvelle condition, il percevait ce qui l’entourait.

Une texture caoutchouteuse, mollassonne. Un goût ferreux, écœurant. Et il vit. Il vit l’intérieur de leur chair. Il vit un nourrisson aux yeux révulsés, grouillant d’une masse informe et mouvante. Il entendit les chiens s’arracher les membres des morts. Le croassement furibond des charognards qui planaient au-dessus de cette héroïque boucherie. Ce qu’il avait pris pour une déficience de son audition n’était en réalité que le bourdonnement des insectes qui faisaient festin. Quant à la chaleur étouffante qui régnait ici-bas, ce n’était que les résidus des cadavres entassés par-dessus lui. Fèces, urine et sang se mêlaient dans une fragrance qui lui aurait fait rendre le contenu de son estomac, s’il n’était pas déjà vide. Il commit cependant l’erreur d’inspirer une grande goulée d’air. Et se mit à tousser. La masse des charognards se mit en branle,  un repas chaud … du sang frais. Quelque chose qui les changerait de cette diète infâme qui durait depuis des jours ?

Les corps se mirent à bouger, à onduler. De l’espace, la liberté ! Il comprit alors qu’il n’était pas paralysé, qu’il pouvait bouger. Il agrippa un bras, le tira en arrière. Le corps chût et lui tomba dessus. Un visage tuméfié, à la gorge déployée. Une femme nue, écœurante. Il se débattit, sans avoir assez de force pour enlever cette masse glacée, rigide. Les replis de la chair de son agresseur l’empêchaient de faire mieux. Il s’effondra encore plus, lorsque le jour se fit à lui. Il entendit des voix, et la carcasse qui l’étouffait disparu. Il inspira à grandes goulées cet air nouveau. Des masses noires se dessinaient sur le soleil hivernal, humaines ou … ?

« Là, y’en a un qui respire ! »

C’était une voix puissante, un brin rigide. La voix tendue d’un homme en souffrance. Il le savait. Sans trop savoir comment, c’était le genre de chose qu’il savait. Tout comme il savait qu’on ne lui ferait pas de mal. Qu’il était sauvé, secouru. Pour l’instant.

« Le pauvre gars … il est à moitié carbonisé. Manchot, borgne. Putain, y’en a qui s’accrochent à la vie … »

Il sentit des mains fermes lui attraper le coude et le tirer vers l’extérieur. Brûlé ? Manchot ? Borgne ? Se posait alors la question … comment était-il avant ? Avant … avant quoi ? Il écarquilla les yeux, du moins l’œil,  et commença à haleter de panique. Il ne comprenait pas. Que faisait-il ici ? Pourquoi ? Son cœur s’emballa, il essaya de se débattre sans succès.

« Tout doux l’ami. Tout doux … tout va bien, c’est fini. Goa a été sauvée : tu risques plus rien. »

Non, il mentait. Quelque chose dans sa voix. C’était le ton compatissant d’une mère à son enfant, avant que la garde ne fracasse leur porte et ne les réduise à néant. La garde … comment savait-il cela d’ailleurs ? Peu importait, on le tirait de là. Il comprit alors la douleur d’une naissance. Au chaud, au cœur du tas de cadavres, ses brûlures n’étaient pas tant un problème. Mais face au froid mordant de l’hiver, c’était autre chose. Il se replia en deux, hoquetant un cri que nul ne put entendre. Comme des milliers de lames lui perforant la peau. La douleur irradiait son corps et le paralysait plus efficacement qu’aucune prise. Des larmes silencieuses se glissèrent sur ses joues avant de se perdre dans la terre gorgée du sang des innocents.

« Tch. Vite, une couverture, et trouvez-moi un endroit à l’ombre. Je veux savoir ce qui lui est arrivé à celui-là … »

On le souleva, tirant sur ses blessures. La douleur en fut si forte qu’il perdit connaissance. La seule chose dont il se souvint alors, ce fut le bleu océan des yeux de son sauveur. Des yeux à la couleur familière …
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Le crépitement d’un feu. L’odeur du bois brûlé et de la suie. Une touche fruitée. De la peau d’orange dans les flammes, pour chasser les mauvaises odeurs. Il releva la tête, percevant alors la fragrance du charnier. Il ne devait pas être loin. Allongé sur un lit sommaire, il n’était recouvert que d’une couverture rêche. Il tenta de se lever en s’appuyant sur le mur. Ses muscles endoloris se tendirent sous l’effort, lui tirant un râle de douleur. Il s’appuya contre le bois de la masure, la douleur de ses brûlures s’étant estompée. Il regarda ses membres. Il était recouvert de bandages. On l’avait soigné, il était donc vraiment en sécurité. Une odeur de suif s’exhalait de ses membres. Son ventre gargouilla. On lui avait étalé de la graisse sur le corps mais son ventre criait famine. Il boita jusqu’à la table où trônait une bougie éteinte, ainsi que les restes des pansements qui lui parcouraient le corps. Il s’appuya là quelques secondes, avant de se diriger vers la porte d’entrée, encadrée de lumière. Il resserra la couverture sur ses épaules, percevant le froid qui en émanait. D’un pas lent et incertain, il avança. Il traînait des pieds, se sentait enfant dans un corps de vieillard. Il tendit la main vers le loquet, frissonnant à son contact glacé. Il lui fallut une dizaine de secondes avant de réussir à le bouger.

Un nouveau monde. Couleurs, sensations. Il s’avança, franchissant le pas de la porte comme il l’aurait fait du Rubicon. Il plissa les yeux, observant à quelques mètres une assemblée de quatre lurons qui le regardaient ébahis. Des types en armure rapiécée, buvant et jouant tout leur saoul. Alors que derrière eux trônaient les fosses … Il boitait, avançait comme s’il découvrait pour la première fois ses jambes. Les soldats s’échangèrent des regards, jusqu’à ce que l’un d’eux osa se lever. Il s’avança, l’air compatissant, vers le blessé et posa sa main sur son épaule. Il esquissa un geste de recul. Un pressentiment. Il leva ses propres pupilles vers l’individu, le dévisageant de ses propres iris océans. L’échange dura quelques secondes, aussi mordant que le vent froid qui s’infiltrait sous leurs vêtements.

« Tu vas prendre froid l’ami, tu ferais mieux de retourner près du feu ... On t’apporte du gruau bien chaud et un choppe de bière, d’accord ? »

Il n’avait pas le choix, ce n’était pas une proposition. Et il n’était pas en état de faire quoi que ce soit. Le soldat barbu lui posa la main sur l’épaule et le guida vers son lit comme il l’aurait fait avec un vieillard. Il le réinstalla tandis que deux de ses camarades fermaient la porte derrière eux. Ils l’assirent, lui donnèrent ce que leur chef avait promis puis un long silence s’installa. Le blessé soupira, tenta de manger avec crainte. Il se rappela alors à quel point il était affamé. Grommelant de plaisir et de douleur, il engouffra la nourriture en moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire. Les soldats se regardèrent, visiblement soucieux.

« Je vois que tu reprends des forces, l’ami. C’est très bien. T’en as eu de la chance, tu sais ... y’en a pas beaucoup qui survivent après avoir été tirés du charnier. Ça arrive assez souvent qu’on balance des corps sans s’assurer qu’ils soient en vie, tu sais. Les malheurs d’une guerre ... »

Il était intarissable. Ce qu’il cherchait, c’était visiblement de mettre son interlocuteur en confiance. De faire taire ses craintes, de le rassurer. Revenir d’entre les morts au milieu d’un tas de cadavres en décomposition, cela pouvait se négocier en dizaines d’années de thérapie. Il ne le savait que trop bien, il avait combattu pendant cette guerre et n’en avait que trop vu. Il s’assit en face du blessé, sourire en bouche. Ses deux hommes restèrent debout à barrer la porte. Il fronça les sourcils, quelque chose lui dictait de fuir. De ne pas se laisser prendre au piège. Mais il était encore trop faible pour prendre garde aux avertissements de son subconscient. Le soldat lui enleva sa chope.

« Alors, l’ami. Mes gars et moi, on avait quelques petites questions. On a vu tes cicatrices, on a vu comment t’étais dans les fosses ... alors on sait que t’étais un de ces rebelles. »

Rebelle ? De quoi parlait-il ? Il n’avait pas la sensation d’exister au-delà de ces quelques heures. Rien qui ne puisse le faire remonter plus loin. Il ouvrit la bouche, essayant de chasser le feu qui habitait sa poitrine. Une sensation oppressante d’angoisse. Quelque chose qui lui criait au danger, quelque chose qu’il ne savait plus écouter. Comme s’il avait saisi des braises à pleines mains, sans avoir le réflexe de les jeter.

« Shhh, là. T’inquiète donc pas. On dira rien si tu nous aides, tu vois ? On t’a sauvé la vie après tout, alors ça pourrait être du donnant-donnant ... Tu nous balances un des planques de tes potes, et nous on te trouve un bon endroit pour récupérer. Tu sais, la guerre est finie. Alors ça ne sert plus à rien de les protéger. Ton chef est mort, c’est fini. Tu sauveras tout plein de monde, d’accord ? »

Il s’y prenait avec une infinie patience. Cet homme cherchait véritablement à faire le bien ? Pourtant, la façon dont il menait les choses, cela trahissait une certaine habitude. L’esprit du blessé était empoissé dans une mélasse incapacitante ... mais il restait aussi alerte qu’il le pouvait, puisant dans des ressources inconnues. Son oeil se balada à travers la masure, cherchant les failles potentielles. Analysant, décryptant avec un professionnalisme qui le fit frémir. Un frisson parcourut son échine. Le soldat barbu le dévisageait étrangement.

« Tu peux parler ? »

« O ... oui. »

Ce mot lui écorcha la gorge, nouée par du plomb en fusion. Il fit un geste vers la chope. Ce simple effort lui avait coûté énormément. Le soldat fronça les sourcils et la retira de sa portée.

« Alors réponds-moi, l’ami. Ce ne sont que les criminels qui sont balancés dans les fosses, alors je n’ai aucune autre raison de t’aider autre que celle-là. Où sont les rebelles ? »

Voilà le coeur du problème, il n’avait pas fait ça par bonté de coeur. Où s’arrêtait le mensonge, où commençait la vérité ?

« Je ... ne me souviens pas. »

Le soldat était visiblement contrarié. Il grommela dans sa barbe, se levant avec la chope. Le criminel supposé leva vers lui un oeil océan, implorant quelque chose pour lui rincer la gorge. Il fit un signe de la tête à ses camarades. Le rescapé avait dit la vérité, et il n’en doutait pas une seconde. Quelle veine que de tomber sur un amnésique ... Malheureusement pour lui, son calvaire n’était pas terminé. Ils sortirent, fermant la porte à clef. Il se retrouva seul, rampant vers l’âtre du feu qui s'éteignait. Il s’endormit, trop faible pour faire quoi que ce fut d’autre.


Dernière édition par Solomon Grundy le Lun 24 Mar 2014 - 1:21, édité 1 fois
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Le son des chaînes. La douleur des fers. Une sensation connue. Pourquoi ? Il était pourtant vierge au monde, accusé d’un passif dont il n’avait pas la moindre connaissance. Un frisson parcouru son échine. Etait-ce là l’odeur des embruns de la mer ? Non ! Il ne fallait surtout pas qu’il tombe à l’eau ... surtout pas. Pourquoi ne pas y tomber ? Pourquoi en avoir peur ? Il ne le savait pas. C’était ancré au fond de lui. Il avait peur de l’océan et de ses abysses. Et tandis qu’en choeur raisonnaient les chaînes des damnés, il revenait à lui, contre le fer d’une cage. Il entrouvrit les paupières, distinguant un peu plus le soldat qui échangeait sa vie contre quelques pièces. Voilà donc ce qui arrivait aux rebelles qui reprenaient vie ? Où était-il donc tombé ? Quand est-ce que l’homme avait abandonné honneur et bon sens en faveur du diable ?

« ... ils vont commencer à se douter de quelque chose, ce n’est pas le premier rescapé qui disparaît, Beckles. »

« Ni le dernier. Personne ne remontera le filon, il y a encore de quoi se faire un paquet, je te l’assure. Et ce serait bête qu’on en vienne à inspecter ton navire ... »

C’était cela que lui avait soufflé son instinct ? Sous ses airs compatissants, sous le couvert de le soigner, cet homme n’avait fait que le condamner à une vie de servitude. Qu’avait-il donc fait dans sa vie pour mériter cela ? Le soldat passa devant lui sans lui adresser un regard, soupesant sa bourse replète. Une fois qu’il eut dépassé le pont, on remonta l’ancre et les tambours se firent entendre ... Esclave, à jamais. Galérien ou pire encore. Il frissonna, se demandant d’où ces connaissances pouvaient lui venir. Quelque chose essayait de se faire un chemin dans son crâne, il le sentait mais ne pouvait le saisir. Une brume diaphane. Il ferma les yeux, visualisant cette fumée grise et absconse. Toujours cette même vision depuis son réveil. La personnification de l’état de ses souvenirs, de sa vie. Il se sentit à nouveau défaillir. Il avait faim et froid. Il avait mal et un bourdonnement éreintant lui martelait le crâne.
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« Solomon Grundy. »

Le croassement d’un corbeau le tira de son sommeil. Le contremaître se tenait sur le pas de sa cage. Une immonde bestiole blanche se tenait sur son épaule, grinçant de sa voix stridente. Un corbeau albinos. Ses yeux rouges jetaient sur le prisonnier un regard amusé, se gaussant de sa mauvaise fortune.

« Né un lundi. »

Le contremaître agita sa main devant le corbeau, essayant de lui faire cesser son immonde comptine. Il s’enfuit un peu plus loin dans le couloir, en ricanant de sa voix malicieuse. Le prisonnier se redressa, frigorifié et trempé jusqu’aux os. Un sourire amusé se peignait sur les traits du contremaître. Une espèce de géant à la peau noire, bardé de multiples cicatrices. Un os lui barrait les narines, faisant de lui une parfaite caricature. Il fit tinter son fouet contre les portes de la cage puis il partit d’un rire silencieux, voyant que sa victime tremblait de tous ses membres.

« Baptisé un mardi. »

L’infâme volatile s’était rapproché, continuant sa comptine. Visiblement, le contremaître ne savait - ou ne pouvait - parler et c’était cette bestiole qui remplaçait son office. Il claqua des dents, faisant voler sa lanière de cuir et le piaf revint sur son épaule, penchant la tête sur le côté. Il ausculta le prisonnier tandis que son maître ouvrait la porte balançait dans sa cage un seau et une assiette remplie d’une espèce de pâte malodorante.

« Marié un mercredi. »

L’oiseau de malheur continuait sa chanson, alors même que le contremaître tentait une nouvelle fois de le faire taire. C’était, semblait-il, peine perdue car l’animal s’amusait à devancer l’homme en se balançant sur ses pattes blafardes. Le contremaître fit signe  au prisonnier de manger, pointant l’assiette de son doigt. Pendant ce temps, il s’avança vers lui, la main serrée sur son fouet. Il sortit de sa besace un pot à l’odeur de graisse et lui fit signe de ne pas bouger. Lentement, il lui retira ses bandages et commença à s’occuper de ses brûlures. Un esclave mort n’était bon à rien. Mieux valait rentabiliser la survie de celui-là ...

« Malade un jeudi »

Le corbeau se posa sur le sol de la cage, tentant de chaparder un morceau du repas de l’esclave. Le contremaître l’en dissuada d’un coup de pied. Il essaya alors de picorer les bandages qui tombaient autour de lui, empreints de suif et d’odeurs diverses. Il se rendit compte que cela ne servait à rien. Il croassa de colère et s’en alla fureter dans les coins de la cage, continuant sa macabre comptine.

« A l'agonie un vendredi. »

Il revint vers son maître, plongea son bec dans le pot de graisse. Gloussant de plaisir, il s’éloigna en agitant les ailes tout en faisant couler la boule de suif au fond de sa gorge. Le contremaître soupira de dépit puis rangea le pot, ayant fini d’en étaler sur le corps de l’esclave. Il tira de sa besace des bandages propres puis poussa au loin les pansements crottés. L’animal se rua dessus, croyant apercevoir là un petit rongeur. Il ne tarda pas à revenir.

« Mort un samedi. »

Le contremaître acheva de panser le prisonnier, serrant au mieux les bandages pour qu’il ne souffre pas trop. Il faisait son travail efficacement, sans un regard ni un commentaire. C’en était dérangeant. La seule source d’humanité dans cette cage résidait en la personne du corbeau blanc qui exprimait toute sa malice à travers ses lubies aviaires. Et toujours sa comptine, comme s’il ne connaissait que celle-là.

« Enterré un dimanche. »

Il continuait encore et encore. Le contremaître avait abandonné tout espoir de lutter. Il rassembla les bandes usées, récupéra l’assiette vide et commença à pousser le tout hors de la cage. Le corbeau s’approcha en sautillant du prisonnier, ricanant doucement. Il pencha la tête sur le côté, claqua du bec.

« Ainsi finit la vie de Solomon Grundy. »

Il termina sa comptine et s’en retourna à tire-d’aile sur l’épaule du contremaître. Celui-ci flatta le cou de l’animal et lui gratta la tête tendit qu’il gloussait comme un enfant. Le prisonnier se traîna jusqu’à la porte de la cage, enserrant les barreaux de sa main bandée. Il les observa quitter le couloir, le laissant seul à son obscurité. Puis la voix du corvidé résonna dans les tréfonds de la galère, malicieuse et pernicieuse, trahissant la vive intelligence de l'animal.

« Solomon Grundy, ressuscité un lundi ... »

Puis pendant vingt-sept jours, au gré des vagues, ce cycle se répéta. La comptine, le corbeau et le contremaître ... jusqu’à ce qu’on considéra le prisonnier assez revigoré pour une sortie en plein air.
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« Finalement, j’en ai eu pour mon argent … »

C’était le type qui avait pris l’argent du soldat barbu. De Beckles. Il se tenait devant la grille de la cage, aux côtés du contremaître. Son corbeau albinos croassait à tout va, répétant le nom de Solomon Grundy. Il dévisageait le prisonnier en hochant la tête, avant qu’une taloche du Capitaine du navire, apparemment, ne le fasse aller caqueter plus loin. Le colosse à la peau noire grommela. Il remarquait pour la première fois qu’au milieu de ses cicatrices un tatouage ésotérique. Curieusement, cela lui rappelait qu’il s’agissait d’un esclave. Comment il le savait, mystère : encore une de ses certitudes enfouies au plus profond de son subconscient. Cela l’énervait. Il fouraillait dans la brume sans succès et les maigres enseignements qu’il en retirait ne faisaient que renforcer son agacement. Il était un rebelle. De quel endroit, et pourquoi il n’en savait cure. Ce satané volatile s’était bien gardé de le dire.

« Bien, lève-toi. Tu vas pouvoir nous être utile finalement. Nous approchons de la fin de Calm Belt. Un endroit idéal pour respirer le grand air, hé hé. »

Le contremaître ouvrit la cage et saisit le prisonnier sous l’aisselle, le forçant à se mettre debout avec une infinie douceur. Il tint bon sur ses deux jambes. Il s’était déjà levé plusieurs fois durant le trajet, mais n’avait jamais quitté l’espace restreint de sa cage. Le contremaître en parut satisfait. Il fit quelques pas avant de faire signe qu’il pouvait se débrouiller tout seul. Ses forces semblaient revenir au fur et à mesure qu’il avançait. Au bout de quelques pas, il se redressa et put commencer à monter les marches. Son cœur s’emballa à l’idée de contempler le terrible océan. Calm Belt. Calm Belt. Alors ils allaient vers Grand Line. Mais … c’était quoi Grand Line au juste ?

« Tu vois, Coco, je t’avais bien dit qu’il survivrait. »

Vu l’air du dénommé Coco, ce n’était, de une, pas son réel nom et, de deux, pas le Capitaine qui avait misé sur la survie du prisonnier. Il semblait satisfait, pour une raison qu’il ignorait. Que faire d’un borgne manchot au sein d’une galère, hein ? Le mettre au banc n’avait aucun sens. Pas plus que de le caser à un quelconque poste à responsabilité sans qu’il n’ait fait ses preuves. Ils devaient avoir de bien sombres projets pour lui. Le Soleil lui foudroya les yeux, le forçant à reculer d’un pas. Le contremaître le poussa d’une main impérieuse et il fit ses premiers pas à l’air libre. Il tituba et se rattrapa à la rampe d’escalier qui menait à la barre. Les tambours battaient au rythme de son propre cœur, ou était-ce l’inverse ? Quoi qu’il en fût, sa tête commençait à tourner. Dangereusement. La panique de se retrouver encore plus proche des flots meurtriers, l’inconnu auquel il se frottait. Tout cela allié à sa faible condition physique le terrifiait.

Le monde se mit à tourner. Les couleurs se mélangèrent. Puis il entendit leur voix à tous. Dans une mélopée cinglante de souffrance. Tous ces esclaves qui ramaient à l’unisson. Des vieux, des jeunes. Certains furent des soldats, d’autres des marchands. Des frères, des ennemis. Tous se trouvaient assis là dans la même gangue. Prisonniers d’un terrible destin, voués à une mort certaine. Le prisonnier mit un genou à terre, percevant la souffrance de ces hommes de plein fouet. Le contremaître fit un geste pour le relever mais le Capitaine le stoppa d’un geste.

« Solomoooon Gruuuuundy … »

Le corbeau croassa en s’ébouriffant le plumage. Né un lundi. Ressuscité un lundi … Il était tétanisé par la douleur morale qui ne cessait de se déverser dans son esprit. Une sorte d’empathie poussée à l’extrême. Il percevait leurs voix. Quelque chose qui était ancré en lui sans qu’il ne sache pourquoi c’était aussi fort. Qui était-il, bon sang ? Il savait que ce n’était pas quelque chose d’anodin. C’était insupportable, il aurait tout fait pour que cela s’arrête. Tout. Puis une voix sembla vaciller. Pareille à la flamme d’une bougie sous un courant d’air. Il se releva tant bien que mal, voulant se ruer au secours de cette âme en détresse. Au fond de lui, il savait ce que cela signifier. Quelqu’un allait mourir. Le contremaître voulut l’arrêter en attrapant son bras mutilé. Par réflexe, le prisonnier secoua son bras. Le colosse à la peau noire alla s’écraser dans le cabestan avec un craquement sourd, volant de plusieurs mètres. Le Capitaine esquissa un geste de recul, écarquillant les yeux. Le prisonnier se retrouva au milieu des galériens, l’air complètement hagard. Quatre individus armés se dressèrent face à lui. Il s’arrêta, ne maîtrisant plus grand-chose. Puis une douleur atroce lui perfora l’arrière du crâne et le monde devint noir.
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Des fers. Aux pieds et aux bras. Enchaîné comme un animal au fond de sa cage. Seule lui restait une douleur à l’arrière de la tête. Le contremaître se trouvait devant la porte, comme si rien ne s’était passé. Son corbeau s’était faufilé à l’intérieur de la cage et s’amusait avec les chaînes du prisonnier. Le colosse à la peau noire émit un étrange son et le corvidé se réfugia à tire d’aile sur son épaule, passant à travers les barreaux.

« Solomooooon … »

« Tais-toi, maudit volatile … si tu n’as rien d’autre à me dire, ferme-là. »

Le prisonnier lui parlait pour la première fois. La bestiole claqua du bec et commença à sautiller sur les épaules de son compagnon. Celui-ci commença à ricaner doucement. Il était terrifiant. Quelque chose de mystique émanait de lui, une vive intelligence brillait derrière son regard. Il savait bien des choses, plus qu’il ne voulait en dire. Le Capitaine ressemblait presque à un pantin fantasque à ses côtés.

« Hé, t’es réveillé ? »

Le prisonnier sursauta, tournant la tête vers l’autre côté de ses barreaux. Une cellule adjacente. Combien de temps était-il resté dans les vapes ? Il se retourna vers la porte. Le contremaître et son corbeau avaient disparu. Il se sentait vaseux. Il se redressa et dévisagea son nouvel ami. Il le reconnaissait. C’était un des gars assis à côté de la voix qui avait disparu.

« Dire qu’on te prenait pour une légende avant que tu ne débarques au milieu des bancs … y’en a même qui disaient que t’étais une donzelle. »

Il haussa les épaules, tout cela ne l’intéressait pas. La solitude lui allait bien, elle permettait de réfléchir.

« J’ai été ramassé sur une île de North Blue … et t’es visiblement là depuis plus longtemps que moi. Quand mon père est mort d’épuisement à force de ramer, j’ai tenté de le leur faire payer, mais … »

Il agita ses fers en ricanant doucement. Son regard était fiévreux, affamé et rendu à moitié fou par l’isolement. Il semblait avoir un besoin impératif de se livrer à son nouveau compagnon.

« Dis moi … ce que t’as fait à Hebieso … tu viens d’où ? »

« Ce que j’ai fait ? »

Premier regain d’intérêt.

« J’ai jamais vu quelqu’un capable d’envoyer un type comme lui à terre. Et encore moins de l’envoyer voler comme ça. T’es qui, mec ? Pourquoi ils te gardent ici ? »

Le prisonnier grogna. Si seulement il le savait. Il percevait tout avec un temps d’avance, il entendait la voix intérieure des gens. Il possédait une force qu’il ne maîtrisait pas. Quoi d’autre, hein ? Peur de l’eau, ah ah. Voilà de quoi dresser un tableau atypique. Il soupira.

« Si seulement je le savais. Ils m’ont traité de rebelle et m’ont enfermé ici. Ils m’ont soigné, mais je n’ai aucune idée de ce qui m’attend … »

Se confier à un strict inconnu. Son instinct lui soufflait que c’était une très mauvaise idée. Tout comme son instinct lui avait soufflé d’aider la voix qui disparaissait. Débilité que d’écouter son instinct.

« Rebelle ? T’es un révolutionnaire ? »

Révolutionnaire … cela lui évoquait quelque chose. Comme un écho dans sa poitrine. Oui, il en était visiblement un. Pourquoi le garder en vie alors ? Peut-être que c’était ça leur finalité. Le soigner jusqu’à ce qu’il puisse leur servir, qu’il trahisse les révolutionnaires ?

« C’est quoi un révolutionnaire ? »

La question avait fusé sans qu’il n’y pense. À son grand regret.

« Des types qui disent se battre pour un monde meilleur mais qui ne font que se cacher derrière un masque de bonnes raisons. »

Le gars avait visiblement un passif.

« Alors j’en suis pas un. À vrai dire, je me souviens seulement d’avoir été vendu sur ce navire par un soldat. »

« Ce sont tous des soldats ici. Mais ils ne veulent pas qu’on le sache trop. »

Hm. Ça collait après tout. On l’avait tiré d’un tas de corps puis interrogé et revendu lorsqu’on avait compris qu’il était inutile. Un soldat corrompu qui faisait affaire avec un autre ? Un convoi secret ? Ou des déserteurs ? Il n’en savait pas grand-chose … mais l’esclavage lui était intolérable. Ça, c’était ancré dans son sang. Il le sentait par tous les pores de sa peau. Son intuition lui souffla la thèse la plus probante.

« Des déserteurs ? »

« M’étonnerait pas. Surtout que les bateaux avec du granit marin sur la coque, ça court pas les rues … »

« Pour traverser Calm Belt, je me doute … »

Son compagnon d’infortune leva un sourcil. Ce n’était pas le genre d’information qu’on balançait innocemment lorsqu’on clamait ne se souvenir de rien. Il haussa les épaules, pensant certainement que son interlocuteur ne lui faisait pas assez confiance pour se livrer. Ce qui n’était qu’à moitié faux. Il se tut pendant quelques minutes, mais son besoin de communiquer fut plus fort.

« Je m’appelle Bennett. Joe Bennett. »

« Je n’ai aucune idée de mon nom. Mais le corbeau m’appelle Solomon Grundy, visiblement. »

« Le corbeau ? Quel corbeau ? »

Quel corbeau ? Le prisonnier fronça les sourcils. Et bien, le corbeau albinos qui … Non. Mieux valait ne pas continuer, au risque de paraître encore plus dément qu’il n’en avait l’air.

« Rien. Une blague. Appelle-moi Solomon Grundy. Ça m’ira bien comme nom. »

« Solomon Grundy ? »

« Né un lundi, mort un dimanche … ressuscité un lundi. Quoi de mieux pour un amnésique ? »

Son comparse frémit.

« Beaucoup de choses, justement. Faut avoir du cran pour tutoyer le diable. »

« Tutoyer le diable ? »

« Ressuscité un lundi, sans âme ni remords. Du diable il a revêtu le corps. Prenez-garde, voici Solomon Grundy. »

Maudit corbeau. Il s’était bien gardé de lui conter la fin de la chanson. Il entendait d’ici son croassement moqueur. Tant pis, il prendrait ce nom. Il se sentait d’humeur à défier le diable de toute manière. Et quelque chose lui disait que ce n’était pas la première fois.

« Ce n’est qu’un nom. »

« Les noms ont un pouvoir qu’il serait sot d’ignorer. »

« Tu m’agaces, Joe Bennett. »

Et il se retourna, coupant court à la conversation. Le sommeil ne tarda pas à venir.

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« Debout là-dedans. »

Ce n’était pas la voix du Capitaine. Le prisonnier ouvrit les yeux et se leva tant bien que mal. C’était un des gardes qui lui avaient fait face sur le pont de la galère. Plus il reprenait des forces, plus il reprenait de sa morgue. Cette suffisance qui s’était emparée de lui n’était que le résultat de ses frustrations. Ne pas savoir le tuait. Il darda un regard vers Joe Bennett. Qui n’était plus là. Hm. Il avait encore dormi plus que nécessaire. Il sentait cependant que la fin de sa convalescence approchait. Hebieso, puisque c’était son nom, ne venait plus aussi souvent changer ses bandages. Toujours sans un regard ni une parole. Il n’empestait plus le suif et pouvait bouger ses membres sans trop souffrir. Il s’était même surpris à faire quelques exercices d’entretien, soufflés par son inconscient. Ainsi, le prisonnier avait recouvré des forces, et pas des moindres.

« Tu changes d’appartement, mon gars. »

Ce faisant, il fit tourner la clef dans la serrure de ses chaînes, situées hors de la cage, et lui ordonna de le suivre après avoir ouvert la porte.

« Qu’est-ce qu’il se passe ? »

« Tu vas gagner un lit et un repas chaud, ce qui est déjà mieux que la grande majorité des gens ici. »

« Pourquoi moi ? »

« C’est évident, me semble. »


Non, ça ne l’était pas. Il ne comprenait pas. Soigné, nourri. Le seul hic restait les chaînes. Que lui voulait-on donc ? Il suivit le soldat en traînant des pieds, gravissant les marches une à une. Il se sentait en bien meilleure forme que la dernière fois. Il avait, d’ailleurs, repris forme humaine. Ses muscles saillaient sous ses bandages et ses mouvements étaient assurés. Il passa sur le pont, entre les tambours, puis rejoint ce qui semblait être les quartiers du Capitaine. Celui-ci était affairé devant quelques cartes. D’un œil, le prisonnier reconnu les eaux des environs d’Alabasta. Diantre. Encore une fois, sa mémoire morcelée le surprenait. Cela signifiait qu’il était déjà venu ici ? Probablement … Il devait aller là-bas. Même s’il devait tous les tuer pour ça. Tuer … une bien cruelle échappatoire. Ça lui était venu si facilement qu’il doutait que ce fut un hasard. Après tout, il était revenu sans âme ni remords et avait du Diable pris le corps. Tch. Foutu corbeau.

« Ah, notre amnésique. Comment ça va depuis la dernière fois ? »

Pour toute réponse, il agita ses fers, avec un regard à glacer le sang.

« Nécessaire, nécessaire. Tu as causé un vif émoi parmi nos ouailles. Je ne voulais pas que tu abîmes quelqu’un d’autre. »

Il fit un signe vers le contremaître qui se tenait droit dans le coin, sans bouger. Son corbeau blanc sur l’épaule. L’oiseau tourna la tête sur le côté. Il cligna même de l’œil, malicieux. Décidément, ce foutu corvidé lui filait des sueurs froides. Hebieso, lui, ne broncha pas. Pas un sourire, pas un sourcil froncé. Lisse et impénétrable, comme de juste.

« Quoi qu’il en soit, la situation s’est quelque peu … dégradée. Tu comprends, avec ta petite démonstration, il y en a qui ont commencé à croire que tu les délivrerais. Enfin, tout le tintouin des désespérés. Alors je t’offre une cabine. Un repas chaud et des draps propres. »

« Pour qu’ils me prennent pour un vendu … Pathétique comme tactique. »


« Oh, tu parles donc. On dirait que tu as repris du poil de la bête. Peu m’importe, tu es ici pour une raison bien précise, et tu feras ce que je dis. Point. Compris ? »

Il ne pipa mot, se contentant de le défier du regard. Le Capitaine fit un signe de la tête au soldat qui escortait le prisonnier. Celui-ci lui donna un coup de coude dans les côtes. Le prisonnier fléchit un genou, surpris.

« Compris ? »

« O…oui. »



« Bien. Maintenant que tu vas mieux, nous allons pouvoir prendre le temps de te dresser. Coco, tu veux bien lui montrer ses nouveaux quartiers. »

Le contremaître acquiesça et s’avança pour s’emparer des fers du prisonnier. Le soldat sortir son épée et leur fit signe de s’avancer. Ils ne prendraient pas le risque qu’il fasse à nouveau des imbécilités sur le pont, ça au moins c’était clair. Ils sortirent à l’air libre avant de regagner les profondeurs du navire, non loin des quartiers du contremaître. Celui-ci ouvrit une porte. Une chambre à peine plus grande que sa cellule, mais une chambre tout de même. Le contremaître ferma la porte derrière eux. La séance hebdomadaire, maintenant, des soins.

« Tu vas peut-être enfin me dire ce qu’ils me veulent, Hebieso ? »

Le contremaître haussa un sourcil puis ricana doucement. Il s’affaira sur ses blessures sans répondre, entreprenant de vérifier méticuleusement chaque parcelle de peau. Le prisonnier semblait guéri. Après des mois de convalescence.

« Et c’est quoi cette histoire avec les galériens ? Hein ? Bah, de toute façon, tu me répondras pas … j’en viendrais presque à regretter ta maudite corneille blafarde… M’est avis que tu ferais mieux de la mettre dans une casserole … »

Le contremaître s’arrêta et fronça les sourcils. Il darda un regard ésotérique sur le prisonnier et déglutit bizarrement.

« Le corbeau blanc ? »

Il parlait donc ? Diantre. Il aurait au moins pu décrocher un mot durant tout ce temps …

« Quoi d’autre ? Tu penseras à lui apprendre autre chose que la comptine de Solomon Grundy … »

Il avait pris le parti de faire comme si de rien n’était. Il aurait pourtant mis sa main au feu que cet énergumène ne pouvait pas parler. Toute cette aventure prenait un tournant de plus en plus étrange.  Le contremaître s’empara du poignet brûlé du prisonnier. Il le retourna et lui révéla ce qu’il n’avait pu voir sous les bandages. Un tatouage. Un corbeau blanc. Bordel, mais qu’est-ce que tout ceci voulait dire ? Il leva un regard interrogateur vers Hebieso.

« On va devoir accélérer les choses. Si le Capitaine pense que tu es prêt à te souvenir, il sera prêt à tout. »

« De quoi ? »



« De quoi ? »

Putain. Et le voilà qui repartait dans son mutisme. Il termina son travail, malgré la mauvaise volonté du prisonnier puis il s’en alla avec son mystère …
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Le son d’une cloche. Une alerte ? Des cris. Il entendait des cris. Il se leva de son lit, faisant tinter ses chaînes. On se battait dehors, il en avait la certitude à présent. Il tenta de marcher vers la porte, mais ses liens étaient trop ténus. De rage, il le secoua, jusqu’à ce que sa porte ne s’ouvre à la volée. Sans qu’il ne comprenne trop pourquoi, deux soldats se tenaient là, épée ensanglantée en main. Ils firent un mouvement vers lui, mais il n’eurent que la possibilité de s’écrouler à ses pieds, tandis qu’un colosse à la peau noire entrait dans la pièce. Hebieso tira de sa ceinture une clef qu’il glissa dans la serrure des fers du prisonnier pour l’en libérer.

« Qu’est-ce que tu fais ? »

Le contremaître l’ignora royalement. De colère, le prisonnier l’attrapa par le col et, avec une force insoupçonnée, le colla contre le mur en bois de la cabine. Le colosse ne se laissa pourtant pas impressionner et se contenta de regarder le blessé dans les yeux.

« C’est bon ? »

Il se sentit bien imbécile d’avoir agressé l’homme qui venait de le délivrer et le reposa à terre. Il regarda sa main quelques secondes, ne comprenant pas d’où lui venait cette force incroyable.

« Ton corps se souvient mieux que toi. J’ai essayé d’aider ton esprit avec l’onguent. Il était un peu spécial, tu devais t'en douter … mais tes souvenirs sont toujours enfouis au fond de toi, Solomon Grundy. »

« Solomon Grundy ? »

« C’est ainsi qu’ils te nomment. »

« Qui ça ? »

« Les esclaves. Enfin, ça a commencé par un certain Joe Bennett puis ça s'est rapidement étendu ... Je leur ai offert une occasion de se libérer et ils l’ont saisie. Les autres ne doivent pas percer le voile de tes souvenirs. »

« Pourquoi ? »

«  Tu m’as engagé, Solomon Grundy. Tu m’as engagé pour te soigner sur ce navire avant de partir. »

« Quoi ?!! »

« Tu m’as aussi demandé de ne rien te révéler. »


Bordel de … que signifiait tout cela ? Il avait engagé ce triste sire avant de perdre la mémoire ? C’était d’une bêtise sidérante. Il commençait à croire qu’il n’y avait aucun hasard dans cette situation. Tout d’abord les cartes d’Alabasta … pourquoi cet endroit lui disait tant quelque chose bordel ? Cet homme devait de toute manière connaître son véritable nom. Il devait aussi savoir d’où ils venaient. Mais il ne lui répondrait pas, il s’en doutait.

« Vite, nous n’avons pas le temps. Prends ceci et aide-nous, ou tout sera compromis. »

Il lui tendit un katana usé. Il n’attendit pas qu’il s’en empare et lui fourra directement dans la main. Solomon Grundy, car il lui fallait bien un nom, regarda l’arme. Les réponses viendraient plus tard, donc. Il opina du chef et fit jouer l’arme entre ses mains. Etait-il un bretteur de talent ? Ils allaient vite le savoir … Solomon s’engouffra dans les couloirs à la suite d’Hebieso. Contre toute attente, l’homme était aussi preste qu’un félin. Deux soldats se mirent en travers de sa route. Le prisonnier libéré entendit le chuintement d’une lame et les deux hommes s’effondrèrent dans une mare de sang. Il fronça les sourcils. Il était persuadé de ne pas avoir vu d’armes sur lui. Lui aussi devait avoir des talents cachés. Ils débouchèrent sur le pont où une bataille sanglante avait éclaté. Le contremaître adressa un signe de la tête à Solomon puis se dégagea un passage en poussant un soldat par-dessus le bastingage. On les remarqua alors, et les esclaves libérés scandèrent le nom de Grundy. Il adressa un regard interrogateur au contremaître.

« Il leur fallait une raison et un nom. J’ai peut-être grossi les choses. Mais crois-moi, lorsque tu te souviendras ce ne sera que broutille comparé à ce que tu as déjà accompli. »

Encore des énigmes, bordel. Solomon haussa les épaules. Il était plus prompt à écrire son histoire pour l’instant qu’à la remonter. Il s’écarta d’un pas sans même s’en rendre compte. Un coup d’épée le manqua de peu. Il crocheta le pied de son agresseur et le fit tomber. Dans le même geste, il lui enfonça sa lame dans le cœur. Un simple mouvement, un pur réflexe. Donner la mort était donc si facile ? Un frisson lui parcouru l’échine. Sans âmes ni remords, du Diable il a revêtu le corps. Une violente secousse ébranla le navire. Des flammes perlaient sous le pont. Qui diable avait été assez stupide pour toucher la réserve de poudre ? D’un regard les deux nouveaux alliés se concertèrent. Comme un seul homme, ils se ruèrent en bas. Hebieso car il ne pourrait sauver tous les esclaves si le navire sautait, Solomon car il avait peur de l’océan et il ne voulait pas y finir.

Ils dévalèrent les marches, le contremaître s’occupant de la majorité des soldats qui se trouvèrent en travers de leur route. Ils arrivèrent rapidement dans la cale, où une grande partie des soldats s’étaient barricadés. Ils barraient l’accès aux stocks de poudre et faisaient face avec un canon. Un canon dans le bateau. Une mesure aussi ridicule que désespérée. Hebieso poussa Solomon sur le côté, lui évitant un boulet qui pulvérisa une cloison non loin de là. S’il pouvait anticiper nombre choses, ce n’était pas systématique. Il s’était tenu face au boulet sans ressentir la moindre once de danger. Qu’est ce qui n’allait pas chez lui ? Il était entraîné à tuer, était reconnu comme rebelle … Puis ces étranges pouvoirs …Un frisson lui parcouru l’échine. Il avait la sensation de ne pas être au bout de ses surprises …

« Toi ! »

Le Capitaine pointa son mousquet sur le contremaître. Celui-ci lui offrit un sourire étincelant, satisfait d’avoir joué ce mauvais tour aux esclavagistes.

« Ce n’est que le juste retour de la balance : les déserteurs et les esclavagistes forment la pire engeance. »

De hargne, le Capitaine se retrancha derrière ses hommes, leur ordonnant de faire feu. Une situation insoluble. Hebieso lui adressa un signe de la tête.

« Faudrait pouvoir passer derrière eux, tu t’en sens capable ? »

« Et je fais comment ? »

« Tu trouveras un moyen, j’en suis certain. Fais-toi un peu confiance. »


Puis il s’en fut,  courant à il ne savait quel autre plan. Ce contremaître était devenu bien loquace. Il l’irritait avec ses allusions. Solomon serra le poing et fronça les sourcils. Se faire confiance … c’était si simple. Tch. D’un geste, il commanda aux esclaves de se retrancher. Cela ne servirait à rien de mourir ici. Il lui fallait trouver un moyen de gagner cette pièce pourtant sous scellé. Diantre, que cela l’agaçait. Il n’aurait pas pu se réveiller sur une petite île de South Blue, sous les cocotiers et les palmiers ? Il se souvint alors de sa force. Il avait été capable de choses extraordinaires. Peut-être qu’avec un peu de volonté … Il regarda sa lame. Un début de solution se fit percevoir. Il passa la tête à travers un des trous du mur. Il y avait quelques mètres entre le canon et lui. Il se recula avant qu’une balle ne vienne s’encastrer dans la cloison. Evidemment, ils ne tireraient avec leur canon qu’en dernier recours. Un sourire naquit sur ses lèvres. Il l’avait anticipée, il avait pu la prévoir. Bien. Il pouvait le faire. Il inspira profondément.

A trois.

Un.

Deux.

Deux et demi.

Deux trois quarts …



Bon sang.

« TROIS ! »

Il se rua à travers la pièce, se baissant pour esquiver une balle puis … se retrouva au milieu du stock de poudre. Heu. Plaît-il ? Il avait vu gris une fraction de seconde et il s’était comme téléporté.

« Que … comment as-tu … ? »

Il ne le savait pas lui-même. Il regarda le Capitaine, perplexe. Tous les soldats se retournèrent vers lui, le maintenant en joue. Il entendit le cliquetis des armes. Il vit la bouche du Capitaine se déformer.

« NON !! PAS DANS LE STOCK DE… »

Boum.

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