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Une erreur de Genèse

[Note préalable : ce RP se situe en même temps que celui avec Ange, pendant la pause de « quelques jours » – les deux s’intercalent donc – avant qu'il ne dépasse au-delà de la fin du Rp avec Ange.]

    La nuit était tombée sur Rainbase et le désert semblait entre plus surréel à la lumière des néons de la ville. Rainbase, la ville qui ne dormait jamais, Rainbase, la ville de beaucoup des vices... Et pourtant, c'était ici que je trouvais la solution pour un renouveau. Comme quoi, la sagesse des anciens est véritable : le fumier permet de fertiliser la plus abrupte des terres. Avouer que je devais à Ange le printemps de la révolution à Alabasta, était tout de même humiliant.
    Le passage des Rhino Storms il y a quelques mois avait fait des dégâts, beaucoup de dégâts. La révolution souffrait et surtout avait peur. Traqués si ce n'était arrêtés, les insurgés contre le Gouvernement Mondial se terraient et n'osaient plus bouger. Or, c'était dans l'union que résidait notre force, et c'était dans l'action continue, même si elle devait être lente, que nous faisions avancer les choses. Après tout, une révolution, c'était aussi le temps que mettait la planète pour accomplir sa trajectoire atour d’un autre astre. Qui peut se vanter de réellement sentir la Terre bouger sous ses pieds ? – à l'exception de deux-trois porteurs de fruits du démon, cela s'entend... Oui, nous étions comme des termites, nous rongions imperceptiblement la structure jusqu'à ce qu'un jour, l'édifice s'écroulât.

    Il me revenait, en tant qu'As, de prendre la responsabilité de ranimer la flamme, recruter de nouveaux partisans, de fournir les moyens nécessaires à la poursuite des actions. Je devais profiter de ce moment de flottement dans les forces ennemies, pour souffler sur le brandon de nos convictions et en tirer une étincelle pour que le brasier de nos voix devint le feu de nos bras ! Un phare dans la nuit, guidant les âmes perdues et en mal de réconfort, offrant la chaleur d'un foyer, tel était notre but, notre rôle.

    Voilà pourquoi je me retrouvais, au crépuscule d'une journée riche en émotion, au milieu du désert. Comme son nom l'indiquait, il n'y avait personne, et c'était idéal pour une conversation par den-den sans oreille indiscrète. Par contre, il n'y avait pas un endroit où se poser plus ou moins confortablement. Parfois, je me prenais à imaginer une capsule d'où je pourrais tirer une chaise longue ou tout autre objet encombrant. Finalement, je dus me résigner et me contenter d'un amas rocheux pour poser mon postérieur et me donner juste ce qu'il fallait d'ombre pour ne pas griller comme un homard. Devant moi, le den-den tirait la tronche. Promis petit, je te mettrai dans un seau à champagne rempli d'eau fraîche dès notre retour.

    Raven répondit assez rapidement mais étrangement, notre conversation prit une tournure que je n'avais pas envisagée. Je pensais qu'elle serait « folle de joie » - on parle de Raven là – en apprenant qu'Alabasta serait tel le phénix de la légende. Mais non, elle râla comme un vieux lama pelé et si elle avait pu cracher par den-den interposé, elle l'aurait fait. Dans l'état, elle approuvait la théorie, mais pas du tout la pratique. Particulièrement le cas « Ange Del Flo ».
    - « Mais quelle idée d'avoir conclu une telle alliance avec un... un... pirate !!! Et un pas très bon pirate, qui plus est ! » Ce en quoi elle n'avait pas tort.
    - « C'est une question de logique, d'équilibrer les pertes... » Ma propre indécision me fit mal. Où était passé mon assurance ? Raven ne manqua pas de s'engouffrer dans cette faille.
    - « Les stratégies, ce n'est clairement pas de votre niveau ! » Ça, ça faisait mal. Mon orgueil fut fouetté à vif : je vivais stratégie depuis que j'avais trois ans. Certes, au départ, c'était plutôt un calcul pour faire retomber sur mes frères la responsabilité de mes bêtises. Après, c'était pour gagner le titre officieux de reine du bal. Plus tard encore, pour m'arranger dans la répartition des missions et des entraînements. La stratégie avait été les seules classes où j'avais brillé, que ce fut au CP ou au BAN. Oui, j'étais vexée comme un pou !
    - « Nous savons que la reine Vivi ne devrait plus tarder à passer l'arme à gauche. Elle a 116 ans et des brouettes et même si elle survit encore, son esprit ne devrait plus tarder à faire des galipettes dans la semoule. Mais sa succession est loin d'être assurée, avec ses nombreux héritiers qui sont déjà en train de s'entretuer. Et même si la couronne finit par se poser sur une des rares têtes royales pas trop pourries, le royaume d'Alabasta aura tout de même vécu quelques temps dans le doute. Or, s'il vacille, ne serait-ce que vaciller, ça sera le signal pour toutes les racailles du coin pour venir jouer les vautours. Vrai ou pas ? »
    - « Vrai ---.. » Sans lui laisser le temps de continuer sur l'objection forcément sensée qu'elle me ferait, je continuai :
    - « D'un autre côté, Ange del Flo partira à la conquête d'une plus grande richesse, qu'on le veuille ou pas. Être roi ne lui avait pas effleuré l'esprit avant que je la lui soufflasse. Et vous savez pourquoi j'ai fait ça ? Parce que Ange del Flo a été un pirate des plus médiocres. Pourtant, il a réussi à mettre la main sur la lettre de marque de Krabbs – qu'il a revendu assez rapidement, pour un meilleur ou pour un pire – à sortir son épingle du jeu face à Satoshi, à son équipage et maintenant ici à Rainbase. » Je défendais mon poulain avec la dernière énergie, bien déterminée à ne pas passer pour la bouffonne de service. « Ne pas prendre en compte qu'il a du potentiel et que ses résultats inégaux sont signes d'un manque de perspective et pas d'un manque d'intelligence serait... bête. J'ai parlé au type, c'est... un diamant brut. » Oui, je recyclais cette expression, mais il n'y avait pas plus parfaite image.
    - « S'il est brut, cela n'empêche pas qu'il peut être plein de bulles... »
    - « En effet, mais un mauvais diamant reste un diamant, et vaut mieux que du toc. Et je suis capable de déguiser un mauvais diamant en quelque chose de semi-précieux. Et puis, au pire de cas... Qu'avons-nous à perdre ? Et si vraiment mon jugement semble à ce point hasardeux, la révo pourra bientôt venir en force ici et groomer un autre candidat -ou candidate. »
    - « Je reste toujours sceptique sur la possibilité de voir un étranger à la famille royale ET à la cour d'obtenir le trône. »
    - « Je n'ai pas dit que ça serait facile. Et si j'échoue, nous aurons un allié bien placé. Del Flo ne sera peut-être pas roi ou prince consort, mais il finira pair du royaume, ça, je le garantis. Qui sait, ministre de l'économie, de la marine marchande ou autre ? Et même sans cela.... même s'il n'est 'que' un parvenu, un nouveau riche au passé et aux méthodes troubles... il sera notre allié. »

    Je savais désormais que j'avais gagné. Aussi bancal que fut mon projet, il ne l'était pas moins que toute autre perspective sur la succession Vivi-esque. Mon plan avait le mérite d'en être un, de plan, à la différence de la morne indifférence qui planait sur les reliefs peu accidentés d'Alabasta. Pas grand chose à perdre – notre crainte principale résidait dans le fait qu'Ange nous trahisse. Mais si nous devions tomber par sa faute, il l'emporterait dans la tombe. Beaucoup à gagner.
    Raven me donna carte blanche, de nombreux conseils et plus encore d'interdictions – ce qui invalidait un peu le côté « carte blanche » mais elle s'inquiétait de me voir prendre à bras le corps un aussi gros projet. Après l'échec de Goa, la révolution pouvait difficilement se permettre de perdre du terrain, qu'il fut physique ou moral. Si très peu de personnes devaient souffrir d'une erreur de calcul de ma part, la perte définitive d'une emprise révolutionnaire sur Alabasta serait un coup terrible à notre organisation. Vaincre ou crever.
    La routine quoi.
  • https://www.onepiece-requiem.net/t1165-l-agent-double-s-habille-e
  • https://www.onepiece-requiem.net/t1127-shainess-raven-cooper-termine

    Mon premier réflexe fut de m'assurer du soutien de l'équipe locale – ou de ce qu'il en restait. Sonny Balwin fut des plus circonspects à mon arrivée et bien que je lui livrasse les codes de reconnaissance adéquats, il resta méfiant une bonne partie de notre conversation. Et encore, j'avais l'impression à mon départ qu'il n'était pas plus convaincu que ça de mon identité de révolutionnaire. Je pouvais le comprendre, je n'avais pas réellement la gueule de l'emploi. Puisque j'étais censée être à Alabasta – Rainbase pour être précise – pour une mission CP, je ne pouvais pas me permettre de faire comme si je n'étais pas surveillée par ma hiérarchie. Hors de question de me fondre dans la masse locale sans avoir une idée, un prétexte... Non, je devais maintenir l'apparence de Shaïness Raven-Cooper, la saloperie de CP qui avait bien caché son jeu depuis son intégration jusqu'à devenir la chef d'équipe intransigeante que j'étais aujourd'hui. Et ce fut comme telle que je me présentais à Sonny.

    Oui, Raven m'avait donné son nom, mais aucune clé de lecture. Je ne savais pas comment prendre en main ce vigoureux gaillard, un survivant parmi les survivants... « Bonjour, moi c'est Scarlett et je viens vous sauver, moi toute seule, maintenant que vous avez eu le cul botté par des connards de Marines ! » n'était pas une option envisageable. C'était pourtant ce que je pensais. Au moins en partie. Cela faisait des années que je n'avais pas vu Jenkins mais il m'avait foutu la trouille pour bien des nuits. Ce type était juste glauque. Et pas que. Apparemment, c'était un bourrin qui avait détruit à lui tout seul une partie d'Erumalu, elle qui avait tant de mal à émerger des sables. Bon, il avait été le bras droit de Fenyang du temps du vivant de ce dernier, et sans aucune offense à sa mémoire, Alheïri n'était pas un tendre ou un délicat au romantisme débordant. Cela expliquait des choses. N'empêche. Se prendre une branlée aussi monumentale, il fallait le faire.

    Et je crois bien que Sonny sentait ce sentiment de dédain dégoûté en moi. Tout nous opposait au départ, et les choses n'allèrent pas en s'améliorant. Après pas mal de discussions en rond, je finis par lui tirer les vers du nez.
    – « Je ne vous fais pas confiance : comment une donzelle comme vous pourrait rassembler la révolution ? Rien qu'un regard sur vous : vous incarnez parfaitement le Gouvernement. Pourquoi devrais-je risquer mes hommes et mes ressources pour un plan foireux ? »
    - « Parce que j'ai des ressources que vous, vous n'avez pas... » répondis-je d'un ton presque lascif.
    – « Je demande à voir. » railla-t-il.
    - « Rendez-vous demain à 16h00 à Erumalu, sur la place principale. »

    Soit le début de la chute de l'astre solaire. Le moment de la journée où la ville recommençait à être vivable, une fois les chaleurs ardentes de l'après-midi absorbées par le sable et l'ombre. Autrement dit, l'heure d'influence. Pourtant, le chantier géant qu'était la cité n'avait qu'à peine ralenti au cours de la journée. Il fallait reconnaître cette qualité aux Alabastaiens. Ils avaient la peau dure. Peut-être était-ce du à l'action volontaire de la Princesse Mimi, qui était presque aussi adulée que sa... quoi, arrière-grand-mère... ? Vivi.

    J'eus la grande satisfaction de surprendre Sonny. Je l'avais repéré, après quelques minutes de scan intensif de la foule, appuyé contre un mur, se fondant parfaitement dans le décor local. Bah, c'était un local, après tout. L'exploit n'avait rien de bien exceptionnel. Par contre, ma transformation l'était. Habillée exactement comme la plupart des femmes du coin, avec des vêtements tissés et cousus sûrement par ces dames, un voile autour de la tête pour me protéger du sable et de la poussière, ayant copié leur démarche et attitudes, j'étais méconnaissable. Il ne me reconnut pas quand je m'avançai vers lui, ni même quand je pris place à ses côtés. A peine me jeta-t-il un regard discret... Au bout de quelques instants cependant, son regard revint vers moi, peut-être étonné de voir quelqu'un si près de lui... Puis une seconde fois et à la troisième, ses pupilles se dilatèrent. Puis il grogna et je me permis un petit « hum » ironique.
    – « Ouais, bon, vous avez acheté des habits. Et après ? »
    - « Et après, vous restez ici et vous ne bougez pas. Mais ouvrez bien vos oreilles... »


    Fendant la foule sans à-coups, je traçai un chemin sinueux jusqu'à la grande fontaine plus ou moins en état de fonctionner. Elle gargouillait parfois en crachant de l'eau avant de se taire avec un chuintement dépité. Pauvre fontaine. Le symbole de cette ville... de ce royaume, presque... Sans m'arrêter, je montai sur le rebord, me tournai vers la foule qui n'avait, à l'exception des plus proches passants autour de moi, rien remarqué de ma présence.
    Je dus paraître bien imbécile, là, debout, plus haute que n'importe qui. Voir ces vagues de têtes qui clapotaient atour de moi, à la limite du tsunami, me gela les entrailles. Et pourtant, il faisait chaud. Dans quoi venais-je de me lancer ? Je n'avais jamais fait ça, auparavant. Les mots soigneusement préparés depuis hier s'envolèrent, comme les notes sur une partition qui prendraient la poudre d'escampette, ne laissant à mon esprit que l'image de la page blanche. Amatrice, j'étais une amatrice en termes de harangue, et encore plus quand il s'agissait d'une allocation improvisée. Mais je sentais le regard dur et presque cavalier de Sonny me transpercer et l'atteinte à mon orgueil fut pire que ma peur galopante.
    Une grande respiration et c'était parti !
    - « Peuple d'Alabasta, écoute-moi !!! » Ma voix ou mon grand geste de bras attira l'attention et petit à petit le brouhaha des conversations diminua en une rumeur sourde. « Citoyen d'Erumalu et d'ailleurs, prête-moi ton oreille. Je sais que ton temps est précieux, aussi je ferai vite. Car tu as bien des préoccupations, toi le peuple digne qui est fier de son héritage, de sa culture. Alabasta, le royaume du sable et du mystère... Un royaume à la race des sages guerriers, tels les sphinx du temps passé. Oui, j'en appelle à ta grande sagesse, peuple d'Alabasta et je t'implore... Ne laisse plus jamais le Gouvernement et sa Marine s'imposer chez toi. Ils sont déjà là, ils pensent avoir gagné le droit de fouler en toute impunité ton sol, et toi, tu es enclin à partager, mais tu ne vois pas à quel point ta générosité se retourne déjà contre toi ! Méfie-toi, peuple d'Alabasta, car le serpent a en vérité déjà frappé et le venin coule dans tes veines et ton esprit !!! »

    Mon introduction provoqua des remous, et je sus que des rats venaient de déguerpir pour aller prévenir dare-dare le contingent militaire le plus proche... en fait, le seul contingent Marine du territoire, autorisé à contre-coeur par Vivi. Un bout de terrain en bordure d'Eramulu, le trou côtier le plus paumé d'Alabasta. Comme ça, le navire n'était pas loin lorsque viendra le temps de les remettre à la mer. Le compte-à-rebours était enclenché, et maintenant, c'était Shaïness Vs l'ordre naturel des choses qui veut que toute chose retombe, et généralement sur le mauvais côté de la tartine.
    - « Ils sont venus, ces Marines, et ont mené le combat contre des révolutionnaires. L'ennemi de la paix comme ils sont appelés. Mais la paix de qui ? Certainement pas celle que la bonne reine Vivi a protégée de toutes ses forces. Oui, ta grande reine veille sur toi, ô peuple d'Alabasta. Elle a su donner eau et nourriture, abri et tranquillité, et Erumalu est le symbole du renouveau d'Alabasta. Sortir du sable le passé, pour en faire les fondations du futur. Et la Marine arrive, et sous prétexte d'arrêter des dangereux individus, détruisent des mois de travail. Quels dangereux individus ? La Reine Vivi n'aurait jamais laissé passer une menace aussi grande, tu le sais. Pas contre ses enfants !! Elle mourrait avant de céder son peuple à la pression de malfaiteurs. N'a-t-elle pas combattu presque seule les sombres manigances de Baroque Works ? »

    Baroque Works qui s'avéra être sous la coupe de Crocodile, un Corsaire soit-disant aux ordres du Gouvernement. Gouvernement qui n'avait rien fait pour stopper les exactions pourtant portées à sa connaissance. C'était cent ans auparavant et les choses étaient déjà pourries, et cent ans après, rien n'avait bougé.
    Si la révolution tenait à ce point à établir un comptoir durable à Alabasta, ce n'était pas par hasard. Peu savaient, et encore moins s'en souvenaient, que Vivi, la jeune princesse d'à peine seize ans, avait voyagé sur le Vogue Merry aux côtés de Chapeau de Paille et de sa clique... Les archives CP que j'avais consulté avaient même souligné son intense déchirement à devoir choisir entre le trône et le drapeau pirate. A peu de chose près, l'Histoire aurait été profondément modifiée...
    Bien qu'actuellement, la vieille Vivi ne fut ni pirate, ni révolutionnaire, il n'avait échappé à personne que sa bienveillance envers les... appelons-les « esprits libres » avait permis à la révolution de prospérer, à l'ombre de sa cécité sélective. Oui, il était plus que vraisemblable que l'armée royale eût à plusieurs reprises suffisamment d'informations pour monter un raid sur les réseaux Dragon. Oui, la Marine avait été forcée à agir, puisque Vivi jouait la carte de l'immobilisme. Ne rien faire serait revenu à l'aveu tacite de la part du Conseil des Cinq Etoiles de son impuissance à botter le cul d'insurgés localisés. Agir, et ils étaient accusés du manque de confiance auprès des dirigeants locaux ou d’ingérence.
    Ou dans mon cas, de tentative d'affaiblissement du pouvoir local.
    Comme quoi, les méthodes CP pouvaient servir à quelque chose : faire tomber le CP.


    - « A qui voudrait-on faire croire que ta souveraine n'est pas capable d'assurer la sécurité de son peuple ? Ou peut-être est-ce un prétexte pour l'accuser de dilettantisme ? Voilà, peuple d'Alabasta, la réalité des choses. La reine Vivi est une incompétente, et ton commerce local lourdement handicapé. Oui, Erumalu n'est pas encore la rivale de Nanohana... Plus maintenant, pas avant plusieurs années pour ramasser les débris laissés dans le sillage de la Marine. Et pourquoi ? Pour arrêter des « criminels » qui n'avaient enfreint aucune loi à Alabasta ? Des « criminels » dont l'arrestation a nécessité cette intervention aussi musclée que dévastatrice, alors que jamais auparavant ils n'avaient fait parlé d'eux ? Des révolutionnaires ? Un prétexte, ou une réalité, peut-être. Oui, peut-être étaient-ils réellement révolutionnaires, lutant contre un Gouvernement Mondial qui vient, prend et repart.
    Tu l'as vu, bon peuple d'Alabasta, comment la Marine et le Gouvernement considèrent des royaumes : comme des chiens. On vous a promis la liberté, mais uniquement dans un terrain préalablement clos. La moindre velléité de regarder de l'autre côté de la barrière, et on vous cravache. Vous êtes censés être libres, mais si vous ne montez pas à la garde autour de la maison, on vous accuse de tous les crimes. Un chien à qui on n'accorde aucune considération. Juste bon pour qu'on leur lance des restes et des os déjà à moitié rongés. Un chien qu'on expédie au fond de la niche d'un coup de pied rageur quand ça ne va pas....
    Quel besoin d'envoyer ici des agents tels que Oswald Jenkins ? Un personnage aussi instable, aussi violent, peut-il vraiment assurer la sécurité des citoyens du Monde ? Comment le Gouvernement peut-il faire confiance à un homme connu pour son comportement caractériel ? Un Toji Arashibourei n'est-il pas suffisant ? Combien encore de fois le Gouvernement va-t-il fauter avant de comprendre ses erreurs ? Que ce n'est pas par la terreur qu'il va instaurer la paix. Et pourtant, le Gouvernement veut faire croire à tous qu'il est un bon maître, quand il daigne s'abaisser pour grattouiller un menton, ou pour libérer un chien blessé par le barbelé qu'il a lui-même dressé.
    Oui, le voici, ce venin dont je vous ai parlé.
    Cette sensation que tu as d'avoir été protégé, Peuple d'Alabasta... alors que la menace vient du soit-disant chevalier.
    Voilà la triste vérité, voilà comment il faut voir les faits, et non pas se laisser berner et bercer par les mensonges du Gouvernement.
    Qu'est-ce que le Leviathan a apporté à Alabasta ? Paix et Prospérité ? Ou plutôt mort et destruction ? Voilà bien un symbole manifeste de l'oppression : un navire de cette importance, pour régler un prétendu problème de « révolutionnaire ». N'est-ce pas disproportionné ? A moins que la « menace » révolutionnaire ait été depuis toujours minimisée dans les média, pour vous faire croire que le sacro-saint Gouvernement avait la main mise absolue sur la Justice et la Sérénité. Un symbole d'oppression, une punition pour l'exemple en fait, pour montrer aux royaumes de Grand Line que s'ils ne rentrent pas dans le rang, alors ils seront les proies de démons sans foi, sans loi, avides de sang et totalement hypocrites, à distribuer des primes qu'ils ont eux-mêmes fixés, pour réparer des dégâts qu'ils ont eux-mêmes commis. Oui, Peuple d'Alabasta, pose-toi cette question :qui est mort, qui a souffert le plus, au bout du compte, et pendant tout ce temps ?
    A se demander si cette menace révolutionnaire existait réellement et n'avait pas été montée de toutes pièces... »


    Et je pouvais parler, en toute connaissance de cause, puisque j'avais mené une expédition similaire sur une île de North Blue assez récemment. Des agents déguisés en révolutionnaires pour justifier l'intervention musclée du Gouvernement, qui se posait alors en sauveur des populations opprimées...

    - « Peuple d'Alabasta, pose-toi bien cette question : à l'heure critique où Impel Down a chuté, où le Gouvernement a fait le procès public de sa propre nécrose en la personne de l'odieux Père-Tempête, où les pirates n'ont jamais été aussi puissants... Que fait le Lévianthan, le vaisseau à la pointe de la technologie des chantiers navals ? Il se promène sur Grand Line et prend le temps de détruire des royaumes alliés. Ils appellent ça « aider les populations locales »... Ne serait-il pas plus en utile, si on lui donnait un eternal pose pour les eaux de Marie-Joie, ou en train de traquer les véritables menaces ? Dois-tu attendre, peuple d'Alabasta, que Red et son armada, surgissent devant tes quais, pour que le Gouvernement mette en place la toute puissance de ses réseaux d'information ? Où est le vrai du faux ????

    Mais ne sois pas aveuglé, bon peuple d'Alabasta. Si le Gouvernement est le chevalier, et la Marine son écuyer, le roi qui trône derrière eux, c'est cette caste ignoble qu'on nomme Dragons Célestes ! Des hommes et des femmes qui n'ont rien fait de leur dix doigts, qui se contentent de jouïr de privilèges parce que leurs ancêtres ont fait, à leur différence, preuve d'un grand courage et clairvoyance, en unissant leurs forces contre les pirates. Des hommes et des femmes qui se comportent comme de véritables tyrans, se considérant comme au-dessus de toutes les lois. Ne croyez pas que celui qui a détruit le port de Nanohana – comme si cela ne suffisait pas que la « justice » de la Marine détruise celui de cette bonne ville – ne croyez pas que Libervitz soit un cas unique. Ils sont tous aussi égoïstes, égocentriques, cruels et vils. Pas un pour rattraper les autres. Par tout dans le monde, les populations sont en danger, à la merci de leur caprice. Retiens bien mes mots, Peuple libre d'Alabasta, tu n'es pas à l'abri d'attirer sur toi leur convoitise. Rien ne se dresse sur le chemin des Dragons Célestes, pas même le Gouvernement Mondial et sa Marine. Si les Dragons Célestes peuvent sacrifier un des siens, un homme de valeur, comme Alheïri Salem Fenyang, un homme bon et voué à compter dans le futur, comme un vulgaire pion... auraient-ils la moindre considération pour toi, Erumalu, toi qui n'es même pas sur leur échiquier ? Tu es en danger mortel, Alabasta, mais il est encore temps de te sauver »
    m'égosillai-je un peu sur ma dernière tirade.
    Les abords de la place oscillaient, comme l'horizon se déformant par l'arrivée d'un mirage. Mais les cris secs aboyés par des hommes de la Mouette étaient bien réels. J'étendis mes bras pour englober la foule, la faire communier avec moi.

    - « Vive la reine Vivi qui a toujours protégé Alabasta de la main mise gouvernementale ! A bas l'ingérence qui déguise des ambitions d'invasion des dragons célestes !!! Peuple d'Alabasta, ressaisis-toi ! Ne te laisse pas berner, et vois la vérité. Vive la reine Vivi pour sa clairvoyance ! Puisse sa sagesse être transmise au futur roi ou reine, quelqu'un qui n'aura pas peur de réfléchir en dehors des conventions, qui saura continuer d’insuffler un vent nouveau ! Aie confiance, Alabasta, comme j'ai confiance en toi. Quand viendra le moment, tu sauras faire le bon choix. Défendre les bonnes valeurs, voir le vrai du faux, le bon du mauvais ! Vive la Reine Vivi !!! »

    Et je sautai à terre. Les passants étaient partagés : beaucoup avaient réagi uniquement aux cris d'acclamation de leur souveraine. D'autres gueulaient en exigeant ma tête pour trahison. La plupart en était réduit à des murmures angoissés. Moi, j'étais satisfaite de mon discours. J'avais même réussi à glisser une allusion à Ange, avec cette histoire de vent nouveau. Oui, c'était tout juste une brise, à peine plus qu'un pet de cafard. Mais c'était là. J'avais planté la graine de beaucoup chose ici, et notamment une ferveur patriotique antigouvernementale... ce qui revenait un peu à un élan révolutionnaire. La frontière était floue, je l'accorderai bien volontiers, mais je n'étais pas là pour galvaniser des troupes qui monteront aux créneaux les armes à la main. Non, j'étais là pour initier un mouvement...

    Et j'avais intérêt à appliquer ce concept à mon popotin si je ne voulais pas que celui-ci finît dans une geôle ou pire encore. Tenant le pan de tissu qui recouvrait mes cheveux pour m'assurer qu'en dépit des multiples épingles déjà enfoncées dans mon crâne, aucune mèche rose n'allait traduire mon identité – des filles aux cheveux roses, ça ne courrait pas les rues ! - je pris la poudre d'escampette. Si au début, les Alabastaiens se poussaient devant moi, ne voulant ni m'arrêter, ni m'aider dans ma fuite, mais désirant bien marquer leur distance, plus je m'éloignais du centre, plus il me fut facile de me mélanger dans la foule.
    - « Là-bas, c'est elle !!! » couina je-ne-savais-qui. Une chance pour lui car sinon, je le tuais. Peut-être pas là, maintenant – j'avais d'autres priorités, mine de... - mais un jour, ou plutôt une nuit...
    J'avais commencé à ralentir pour réellement me mêler aux gens, adopter le même rythme de pas, mais je dus reprendre de la vitesse et m'engouffrer dans la première ruelle venue. Un tournant à droite, un à gauche, un engouffrement via une porte cochère qui donnait sur un jardin et lui-même sur une cour puis une autre grille et une énième ruelle, j'étais totalement perdue au cœur des petites rues typiques de la ville des sables, et j'avais deux Marines endurants sur les talons. Des femmes qui courent, c'était assez « flag » dans son genre.
    Mon cœur battait à tout rompre, entre la peur, l'excitation et le parcours en lui-même. L'adrénaline fusait tandis que je passais en revue tous les schémas possibles. Il m'était impossible d'utiliser du soru ou du geppo sans m'être préalablement dégagée de leur champ de vision. Je n'avais pas envie de laisser un indice aussi flagrant. Certes, les troufions de la Marine ne sont pas connus pour leur intelligence, mais tout de même... Et si ce n'était pas eux, ça serait leur supérieur.
    Tenace, je l'étais autant qu'eux et peut-être plus. Les Marines sont plus dans la catégorie sprinteur que coureur de fond. Et j'avais l'énergie du désespoir grandissant qui me soutenait. Notre écart ne grandissait ni ne rétrécissait de manière flagrante et nous avions déjà quitté le cœur de la ville, pour nous déporter vers le port, les quais et les entrepôts. Les ouvriers avaient déjà quitté leurs postes, eux qui avaient dû travailler sous la chaleur, et l'endroit était comme un désert d'empilement de caisses et tonneaux, résonnant parfois de nos pas ou respirations. Finalement, je vis mon salut: une succession de petits conteneurs en rangée mais alternant la droite de la gauche. Idéal pour s'abriter pour les quelques secondes nécessaires pour mon changement en papillon. Zou, me voilà insecte.
    Mon plan était de rester immobile, collée à mon pan de métal pendant quelques instants avant de m'envoler vers une zone plus sécurisée pour mon bien-être. Il fonctionna pendant un moment. Les deux soldats, soufflant comme des buffles, suant comme des porcs et bien décidés à me mettre la main au collet, passèrent devant moi et j'entendis qu'ils s'éloignaient...
    - « Pff, pfff... où... où elle est ?.. »
    – « Elle... pff... doit se cacher... On... pff pff... pas pu la perdre de vue.... »
    - « On... se... pff... sépare ? »
    – « Ouais. »

    Et zut.
    J'aurais été un papillon autre que rose pétant, j'aurais déjà pris ce petit souffle qui me taquinait les ailes. Mais voilà, j'étais rose fluo. Pour une espionne et un agent double, c'était une douce ironie. Oh, comme je maudissais Pludbus... Quoi que... Sans ce fruit, serais-je encore en vie ? Mosca ? Mais avec des « si »...
    - « Tu la vois ? »
    – « Nan ! »
    Sans blague. Avec le boucan qu'ils faisaient, tout humain un minimum intuitif serait capable de les éviter. Moi, j'avais une solution encore meilleure mais....
    - « Ooooh, le joli papillon !!! »
    – « Mais qu'est-ce qu'on s'en fout ? » Oui, hein !!!
    - « Non, mais attends !!! Je n'en ai jamais vu, des comme ça. Peut-être une espèce locale ? Je dois l'attraper ! »
    – « On n'a pas que ça à faire !! » Oui, hein, bis !!!!
    - « Bah, on a perdu l'agitatrice, donc autant ne pas revenir les mains vides. Ce spécimen sera superbe dans ma collection. Je vais peut-être trouver une espèce nouvelle ! »

    Et Zut².
    De tous les Marines du coin, j'étais tombé sur le lépidoptériste amateur. C'était bien ma chance !!! Certes, m'échapper fut facile : un coup d'ailes et je n'étais plus là. Mais ils m'avaient vu et ça, ça me contrariait. Et la contrariété, ça donne des rides et ça, c'était juste hors de question !!! Encore une fois, à leur place, le coup du papillon bizarre juste quand une cible disparaît, ça m'aurait fait tiquer. Dans un monde où les fruits du démon rendaient l'impossible probable, il ne fallait pas se contenter de ses cinq sens.
    Je voletais et ils me suivirent presque bêtement du regard. En fait, pas « presque ». Juste totalement. Totalement bêtement, car à l'instant où ils se prirent le soleil en pleine poire, fronçant des yeux pour s'abriter de son éclat – et dire que ce n'était que le soleil de 16h – je me transformai en quelque chose digne de hanter leur... même pas, ils ne vivraient pas une nuit de plus.
    La vision de ce que j'étais devenue, mi-femme, mi-papillon, les pétrifia sur place. Le premier des tomba avec cette expression de terreur étonnée sur le visage. Le second revint à lui en sentant le sang de son compagnon gicler sur lui, mais je n'hésitai pas à utiliser ma pointe de vitesse pour le tuer d'un coup de lame précis. Je repoussai tous les remords au fond de ma mémoire. Oui, j'avais sûrement rendu deux femmes veuves et un certain nombre d'enfants orphelins. Oui, j'avais certainement dérobé la vie à deux bonnes âmes, bonnes et absolument meilleures que la mienne. Ils n'avaient fait que leur devoir, courir après une agitatrice. Mais ce n'était pas de ma faute si leur boulot, c'était de bosser pour des vendus. Tant que les dragons célestes existeront en vivant sur le dos des autres au nom d'un quelconque dû, tant que le gouvernement autorisera la traite des êtres pensants par d'autres êtres pensants, tant qu'il cautionnera l'abus de pouvoir et la corruption comme un moindre mal par rapport au bien général, il y aura des pourritures comme moi qui tueront des types biens.

    Je disposai des corps, de la façon la plus qui fut : dans un trou rempli de ciment en train de sécher, fondations de ce qui semblait être un atelier en cours de reconstruction. Tout ici était en cours de reconstruction.
    La révolution ne faisait pas exception.



Dernière édition par Shaïness Raven-Cooper le Sam 5 Avr 2014 - 19:59, édité 1 fois
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    Mon retour à Nanohana fut des plus calmes. Un voyage sans embûche une fois que j'eusse repris forme humaine à l'abri des regards me conduit à nouveau devant Sonny.
    - « Alors ? » fis-je d'un petit ton plein de défi en guise en salut.
    - « Pas mal... » commenta-t-il laconiquement.
    - « Allez-vous m'aider maintenant ? »
    - « Peut-être. Vous avez quoi, en tête ? »
    - « Beaucoup de chose, mais je pensais que vous pourriez m'aider à sélectionner nos futurs alliés. Après tout, vous en serez le chef local... Par contre, tout de suite, je voudrais localiser un Venezio Delgado. »

    Derrière ce nom un peu étrange se dissimulait l'architecte d'intérieur qui avait si juteusement profité de la crédulité et du manque de goût d'Ange. Sheila m'avait communiqué son nom et les coordonnées de son bureau à Rainbase, mais il s’avéra que l'endroit n'était qu'une simple succursale pour entreposer les biens destinés aux clients. L'ensemble des fichiers et la tête pensante, l'odieux PNJ qui avait massacré la notion de bon goût, se trouvaient dans la capitale économique, Nanohana.
    Pourquoi est-ce que je tenais tellement à résoudre cette affaire, je ne saurais le dire. Après tout, un pirate qui se fait arnaquer, cela devrait provoquer en moi des vagues de joie. Mais là, non. Je trouvais odieux la façon dont Delgado avait abusé de la faiblesse d'Ange. Pourtant, Ange n'avait rien d'un enfant de cœur, et s'il avait été assez malin pour se hisser là où son cul reposait actuellement, il aurait dû pouvoir désamorcer cette bombe anti-artistique. Au moins se douter d'un piège.
    Parfois, il est des élans qu'on ne contrôle pas, et j'en vivais un.

    Sonny connaissait bien Delgado, qu'il décrit comme un escroc de petite taille, bien qu'ayant réussi à creuser son trou de façon à être accepté par la petite bourgeoise d'Alabasta. Je fus surprise d'apprendre qu'il n'était pas natif de ce royaume, car, pour l'avoir vu de loin, serré dans son costume de lin beige et son panama, il m'avait semblé parfaitement moulé à la culture alabastaienne.
    - « Sûrement un trafic de quelque sorte. Recel de biens antiques, je pense. Rien qui ne nécessitait ou légitimait une action. » me lâcha Sonny d'un ton blasé, en guise d'explication sur sa bonne fortune. Parce que bon, Alabasta n'était pas empli à ce point de crétins à rouler dans la paille en leur vendant le kitsch pour le charme subtile d'une ambiance d'intérieur. Après, peut-être que Venezio s'y connaissait en déco et avait réellement travaillé pour obtenir son succès. Il s’avéra que c'était un peu des deux.


    Orientée vers sa demeure par des indications précises, je n'eus aucune difficulté à m'y introduire depuis une ruelle absolument déserte où je me transformais en papillon, voletant dans le but avoué de trouver un espace entre deux fenêtres où m'y glisser. Changer de peau me venait désormais avec une grande facilité, au point que je souffrais presque d'une désorientation passagère à chaque retour en forme humaine, à vouloir avoir une paire de bras supplémentaires. Parfois, alors que j'avais les deux mains occupées, je sentais ces membres fantomatiques s'étendre et saisir ce que j'aurais voulu prendre. Mais non, en tant que femme, j'étais bipède et numérairement normale sur le plan des bras.
    Planant d'ombres en ombres, profitant de l'obscurité fournie par la nuit, je cherchais ma cible. Quelque part, j'avais du mal à réaliser que plutôt dans la journée, j'avais tué de sang-froid deux hommes et que je contemplais une répétition de l'acte ici-même. Cela m'effraya. Avais-je franchi cette limite que je m'étais jurée pourtant de ne pas passer, celui de la perte de toute considération pour une vie. Pensais-je réellement que la mort d'un homme (ou femme, je n'étais pas regardante sur ce détail) aussi pourri fut-il, n'était qu'une moindre perte par rapport au plus grand bien ?
    Non, pas encore. Je n'étais pas totalement anesthésiée. Je sentais l'aiguillon de l'horreur s'enfoncer, dans les ténèbres de mon âme. Mais je comprenais de plus en plus, et cruellement, que vouloir être qui trône au sommet, pour ne plus être manipulée, amenait à devoir faire des sacrifices. Et là, je ne parle pas d'humains, de vie, mais de code, de morale. Or, j'avais juré que je mettrai mon honneur avant tout autre chose. J'avais comme heurté un écueil ici.

    Pendant mes pérégrinations métaphysiques, j'avais pu observer les deux molosses dans le jardin qui gardaient d'un œil mauvais les haies – et ils avaient la dent dure et la course leste, comme me l'apprit un infortuné matou. J'avais aussi remarqué que le périmètre était doté d'un système de visio-den-den de surveillance assez efficace, puisqu'il n'y avait aucun angle mort. Autant dire que sans mon fruit du démon, je l'aurais eu mal.
    La sécurité à l'intérieur de la maison était tout aussi tangible. Certaines portes étaient fermées à clé, et si le jardinier avait la carrure d'un gorille, c'était plus à cause de son activité de garde du corps que de planteur d'hibiscus. J'étais certes plus que capable de me débarrasser de lui... s'il n'avait rien de « bizarre » en lui. Or, nous étions sur Grand Line, et les possesseurs de fruits, comme moi, se faisaient plus courants. D'autant plus que Delgado avait les moyens d'en payer un et de s'attacher ad vitam eternam les services d'un gros bras boosté aux vitamines et au logia.
    La prudence s'imposait donc.

    Venezio se trouvait dans son bureau, une somptueuse pièce au troisième étage, s'ouvrant sur le jardin. Alors que toutes les fenêtres étaient soit fermées soit munies de moustiquaires, qu'il prenait un soin particulier à limiter les entrées intempestives dans son domaine – une maison de ville dont la façade ne payait pas de mine de prime abord – voilà qu'il laissait la grande baie vitrée entre-ouverte. Comme une invitation. La grande paranoïaque en moi se réveilla, mais je me convainquis toute seule qu'il ne pouvait absolument pas savoir que j'étais après lui, et surtout pas sous cette forme. Il devait juste se penser en sécurité, là, en haut de son domaine.
    Profitant d'un fin nuage qui fait presque tache dans le ciel étoilé, je passais dans la pièce, puis dans le dos de Delgado. Je repris ma forme humain en un clin d’œil et la demi-seconde après, le décorateur était saucissonné et bâillonné par une main ferme – mais douce, vu le prix de ma crème de jour, il y avait intérêt - dans son fauteuil et une lame affûtée reposait contre sa jugulaire.
    J'avais pris la précaution de recouvrir ma tête d'un de ses foulards gigantesques qu'aiment tant les nomades du désert. Le dernier pan recouvrait ma bouche, et de ce fait, seuls mes yeux restaient visibles. Mais ça, Delgado l'ignorait, puisque je me tenais derrière lui, une main fermement maintenue sur ses lèvres.
    - « Que ce soit bien clair : tu hurles, je te tranche la gorge. » Pour prouver mon propos, je fis glisser ma lame et une entaille rouge se dessina sur sa chair étrangement pale pour un Alabastanien.
    - « Mh, mh.. » acquiesça-t-il en secouant la tête de haut en bas presque trop vigoureusement pour son propre bien... Mon wakizashi mordait toujours sa gorge. Lentement, les muscles tendus pour réagir au moindre coup fourré de sa part, je retirai ma main. Il déglutit, s'humecta difficilement les lèvres et m’interpella d'une voix chevrotante. « Q-q-que voulez-vous ? »

    Je dus lui reconnaître une certaine maîtrise. D'autres auraient glapi pour qu'on les aide, la plupart seraient déjà en sanglots en implorant ma pitié « je vous donnerai tout ce que vous voulez, mais ne me tuez pas. » Lui, il cherchait encore – ou déjà ? - à négocier. Malgré moi, je me sentis sourire. C'était toujours mieux d’arnaquer un gars qui se montrait filou jusqu'à la fin.
    - « Vous avez abusé l'un de mes amis. Je suis très protectrice envers mes amis. »
    - « Je vois ça. Vais-je payer de ma vie pour ça ? » Oh, la carte de la provocation. Dommage, Venezio, je suis l'as incontesté en ce domaine.
    - « Nous savons très bien tous les deux que si je vous avais voulu mort, votre corps serait déjà en train de refroidir. Ce qui indique clairement que je veux autre chose. »
    - « Oh, mortelle et intelligente. Une combinaison rare. En tant qu'amateur éclairé d'art, j'aime ce qui est rare. Pourrais-je vous convaincre de travailler pour moi ? Bien entendu, j'offrirai mes plus plates excuses à votre ami. » Il se débrouillait bien. A se demander pourquoi il avait fait cette erreur vis à vis d'Ange. Sûrement l'avait-il sous-estimé, comme tant d'autres avant lui.
    - « Les excuses d'un morpion, ça ne vaut pas grand chose. » répliquai-je d'un ton glacial.
    - « Ah, c'est donc une question d'argent. Quelle déception. Je vous prenais pour une personne éclairée... »
    - « Tu t'es peut-être trompé, qu'en sais-je ? » Sans le savoir, il venait de se trahir complètement. Il avait truandé Ange parce qu'il méprisait les gens sans éducation artistique. Pas plus, pas moins.
    - « A mon plus grand regret. Je suppose donc que vous voulez que je rembourse votre ami, qui n'a pas été content de mes services. Vous savez, j'ai une assez bonne mémoire, donc j'ai réduit à 3 personnes le nombre de mes clients qui auraient à se plaindre de moi. »
    - « La rancune est une chose tenace, et il est bien dit que la vengeance est un plat qui se mange froid. » Delgado eut un sourire mince, qui n'atteignit en aucun cas ses yeux.
    - « Qui me dit que vous ne me tuerez pas une fois que j'aurais payé ? »
    - « Absolument rien. »
    Et là, j'agis avec toute la vitesse dont j'étais capable. Ma lame qui était l'instant d'avant sur son cou se porta à sa main et trancha dans la masse de la main gauche, d'un coup net et précis, passant à travers les tendons et les veines. Il ne réalisa pas immédiatement ce qui se passait, et ce ne fut que quelques demi-secondes après, quand la douleur accompagna la vision de la petite flaque de sang sur son bureau, qu'il voulut hurler. Là, j'appuyais sur l'arrière de son crâne violemment, de telle sorte que sa tête plongea sur le plateau en bois dur, cognant avec force, au point d'entendre craquer l'arcade sourcilière. A moitié assommé pour le coup, il ne put que gémir. C'était Jérémy qui m'avait appris cette petite astuce, tout comme il m'avait confirmé qu'en cas d'amputation directe, le saignement artériel s'arrêtait de lui-même en une à deux minutes, en raison du spasme des artères. Un garrot n'est donc pas nécessaire. Bien au contraire, la vision du sang qui jaillissait en petits geysers au rythme des pulsations cardiaques avait un certain effet psychologique sur la malheureuse victime.
    - « J'espère que tu comprends maintenant la situation dans laquelle tu es. Je suis TRES protectrice des mes amis. »
    - « Votre... ami... a l'air... susceptible.. » L'homme réussit à placer sa bravade sans dégobiller. Pourtant, il suait à grosses gouttes et ses pupilles aussi grosses que des bulles se quittaient pas sa main gauche. J'avais coupé en biais, le privant de deux phalanges à l'auriculaire et d'une à l'annulaire. Pour le moment.
    - «Tu as forcément un coffre ici. » Je ne demandais pas sa localisation ou son code. S'il était intelligent, il saurait faire face à la demande cachée.
    - « Sous la plante verte, une trappe dans le sol. Le code est 18957.. » Je suivis ses indications et bientôt j'avais devant moi une cachette regorgeant de billets de berrys, de barres d'or et de pierres précieuses. Une belle petite fortune

    D'un mouvement de poignet, je rembobinai mes fils, de telle sorte que le fauteuil à roulettes dans lequel Delgado était prisonnier glissa jusqu'à moi. Comme je l'avais prévu, sa blessure ne saignait plus. Jouant avec mes fils, je le détachai de sa chaise, le propulsai en avant, le religotant de la taille au pied, lui laissant donc les bras de libres.
    - « Tiens. » Je lui lançais un sac à glissière, d'une taille moyenne. « Remplis-le. »
    - « Mais je..... » Je resserrai ma prise sur mes fils et le dernier, celui d'acier, commença à mordre cruellement ses jambes à travers le tissu fin de son costume. Cette fois, le truand ne put retenir un petit sanglot. « Qu-qu-que voulez-vous ? »
    - « Un peu de tout. »
    Il voulut protester, mais se retint, ne faisant que gargouiller sur une étrange modulation. Tremblant comme une feuille, comme s'il souffrait d'une fièvre terrible, il commença à entasser quelques barres d'or et des billets.
    - « N'oublie pas les pierres. C'est important, les pierres. Facile à revendre, en plus. »
    - « Il ne va plus rien me rester !! » gémit-il.
    - « C'est bien, tu as compris le but du jeu. »
    Quand le sac fut plein à ras bord, et que Delgado tira les liens pour le fermer, je suis certaine qu'il pensait avoir fini avec moi. Comme il se trompait.

    Je marchai d'un pas décidé, mais léger jusqu'à son bureau, où je le tirai, pour le remettre de force sur son fauteuil – mes lombaires !! j'allais déguster demain. Là, il fut de nouveau attaché de manière plus qu’inconfortable, sa main droite libre, mais son bras gauche collé sur le plateau du bureau, avec un coussin pour amortir le tout, et surtout, pour commencer à éponger le sang qui commençait à se figer. Là, je présentai un document :
    - « Signe là, là, et là. » Je sus qu'il envisagea en un instant de faire une fausse signature, d'utiliser sa main libre pour s'emparer de la paire de ciseaux, d'une plume affûtée, d'un trombone, n'importe quoi, pour lutter contre moi. Je soupirai et je plantai ma lame dans sa main, pile au milieu. Et sa tête refit connaissance avec le bois et cette fois, ce fut le nez qui prit.
    - « Arrêtez, je vais.. signer !! » supplia-t-il.
    - « Et ne tremble pas. » glissai-je avec mordant, en retirant ma lame. Le sang fut absorbé par la mousse du coussin et bientôt, la blessure ne serait plus qu'une plaie – certes, béante. Par contre, j'avais dû méchamment endommager les tendons, là. Fallait dire que je n'avais pas spécifiquement d'entraînement sur ce coup. Mon frère m'avait affirmé qu'un peu de pratique était nécessaire pour trancher à l'endroit unique et exact pour minimiser les dégâts. Mais quelque part, en cette nuit, je ne cherchais pas, pas du tout, à minimiser les dégâts.
    - « C'est... c'est un acte... de cession...de mon... entreprise... tout... le stock, la... galerie... »
    - « En effet. »
    - « Mais vous me prenez tout !! »
    - « Pour le moment, je n'ai pas pris ta vie. »
    Nos yeux se croisèrent et là, il ouvrit la bouche pour crier. Parce qu'il savait qu'il ne pouvait plus exclure cette possibilité, que j'allais le tuer. Ma détermination, mon détachement suprême par rapport à sa vie, devaient se lire dans mes prunelle. Là, je frappai du poing. Quelque part, ça ressemblait à un shigan, mais j'étais bien loin du niveau nécessaire pour modifier cette technique. J'avais agi par instinct, en sentant qu'il allait ameuter son personnel, et que pour le coup, je ne pourrais pas faire autrement que de les tuer. Aussi l'urgence de la situation avait poussé mon corps à agir de lui-même, défonçant sa mâchoire, quelques dents en plus, poussé par une énergie nouvelle. Là, je lui attrapai la langue – ewww, c'est juste ignoble ! Qu'est-ce que je n'aurai pas fait au nom de la révolution !! Ça c'était Angus qui me l'avait dit : un type ou une bête à qui tu choppes la langue, ne peut ni gueuler ni mordre. « Je suis déçue, Delgado. Je pensais que tu aurais compris que si je t'empêchais de crier, c'était pour éviter de tuer tes employés. Non que je ne le puisse pas. Je ne suis juste pas une psychopathe, mais si tu me forces la main... » Encore une fois, il acquiesça en silence, et je le relâchai. « Bien. Tu mettras tout au nom du prochain propriétaire : Théa Malion. »
    - « Quoi ? C'est elle qui vous envoie !!?» piailla-t-il soudain, outré jusqu'au tréfonds.
    - « Qu'est-ce que ça peut te faire ? Ce n'était pas comme si tu pouvais me désobéir. Mais non, ce n'est pas elle. Je profite juste de l'occasion pour réparer une injustice. »
    - « Oh, la vengeresse masquée au bon cœur... » railla-t-il. Il reprenait du poil de la bête, et cela ne m'allait pas. Il aurait mieux fait de s'abstenir, car cette fois, je ne pouvais pas reculer.

    Quelque part en moi, s'agita alors une présence malsaine qui se délecta de ce que j'allais faire. Heureusement pour ma conscience, j'étais principalement dégoûtée. Dégoûtée mais appliquée, tandis que je faisais pivoter ma lame pour inciser la peau de son annulaire déjà abîmé, le long de ce qui lui restait de doigt, de chaque côté, jusqu'à la paume. Il me regarda, totalement terrifié, alors que j'enfonçais un bâillon dans sa bouche, le tout sécurisé par un lien de tissu pour l'empêcher de le recracher. J'aurais peut-être dû commencer par ça, en fait. Mais je pensais qu'il coopérait, en bonne petite lavette. Finalement, on passe son temps à sous-évaluer le courage et l'intelligence d'autrui.
    - « Sais-tu quelle est la pire douleur qu'on puisse infliger ?. »
    - « Mh-mh-mh.. » protesta-t-il en tremblant encore plus fort que la dernière fois.
    - « Ce n'est pas la mutilation. Certes, ça donne des sensations et des douleurs fantômes. Mais pire que l'absence d'une chose est la déformation. Le fait d'avoir quelque chose d'impropre, d'inutile. Comme un doigt à la peau arrachée. Écorcher, on appelle ça. »
    Avec beaucoup de soin, délicatement, presque avec amour, je glissai la pointe sous la peau pour tirer, un peu comme à la broderie. Selon mon aîné, il n'y avait pas plus efficace pour réduire un homme en une masse informe de pleurs. Je n'avais pas détaché trois millimètres que Delgado s'évanouissait, entre hyperventilation, peur, perte de sang et circulation comprimée.
    Je le réveillai d'une claque. Étant donné son arcade et ses dents, ça ne devait pas être indolore.
    - « Théa Malion. Nom, prénom, date, signature. Plus vite que ça.. » ordonnai-je. Il plia.

    Cette Théa, je ne la connaissais pas. Et je ne la connaîtrai jamais, si tout allait comme je le prévoyais. Ce n'était même pas une histoire de psychose, à vouloir tout compartimenter. Juste de la logique. Théa n'était pas révolutionnaire.
    La jeune femme était entrée en contact avec Sonny suite à une sordide affaire de trafic d'influence. Ancienne collaboratrice de Venezio, au poste de directrice des collections, elle avait eu la mauvaise idée – personnellement, j'appelais ça « inconscience » - de s'étonner d'un inventaire peu scrupuleusement tenu. Quand elle s'était confiée, en toute naïveté à son patron, ce dernier n'avait pas mis plus d'une demi-journée à se retourner, la faisant accuser dudit trafic, l'éjectant de sa société et par là-même, de toute société. Si Miss Malion échappa à la prison, ce fut grâce à la « bonté » de Delgado, qui certifia en personne des services impeccables dans le cadre de son commerce, regrettant que tout cela ne fut qu'une façade pour couvrir ces odieuses malfaçons, mais ne pouvant qu'apprécier tout ce que l'accusée avait fait pour lui. Un témoignage poignant, qui ému le juge, au point de communier la peine en spoliation de tous biens, au lieu de la prison, voire les chaînes.
    Hé oui, une fois enfermée dans un pénitencier ou vendue comme esclave, Théa échappait à son contrôle. Qui sait alors ce qu'elle aurait pu dire, à qui, comment... Non, la contraindre à la misère, exclue de tout contact de « la bonne société d'Alabasta », elle qui travaille dans l'art, la culture et le luxe, voilà un moyen certain de ne pas se salir les mains tout en restant en position de force.
    Et Sonny, dans cette histoire ? Bah, il avait simplement remonté cette histoire de trafic, et n'avait pas perdu de temps à comprendre que la victime dans le lot était cette pauvre jeune femme. Alors, il l'avait aidée, lui  donnant notamment un job dans un des chantiers de Erumalu en tant qu'architecte junior. En gros, il s'était attaché sa loyauté et si elle se doutait que son protecteur Balwin n'était pas tout blanc, elle était loin de le savoir gris.
    Récupérer l'intégralité des biens commerciaux de Delgado et les confier à Malion, c'était bel et bien réparer un tort. Mais c'était surtout le moyen idéal de procurer à la révolution une façade tout ce qu'il y a de plus légal. Théa laissera Sonny utiliser les caisses de livraison pour y dissimuler ce qu'il y a dissimuler et placer en tant qu'employés-manutentionnaires des hommes fidèles à la cause. Si vraiment je devais qualifier cette Théa, alors je dirais qu'elle est une partisane.  

    - « Co... comment allez-vous justifier... mon départ... et le fait que... tout revienne à cette... pauvre cruche... » En dépit de tout, il avait encore la « niaque », le Delgado. Je devrais donc m'en méfier jusqu'au bout.
    - « Ah, tu penses peut-être que je n'y ai pas pensé ? » Et je produisis un autre document, une belle profession de foi dans laquelle il avouait avoir condamné à tort Miss Malion pour les indélicatesses d'un de ses autres employés, et que la honte le poussait à partir se remettre en cause, lui qui avait toujours agi en toute circonstance comme un homme du monde. Vu le personnage-patin qu'il s'était crée, cette explication était tellement logique... Elle justifiait aussi pourquoi la maison se serait vendue que plus tard, avec les bénéfices de la vente à partager entre ses employés de maison, en « remerciements des services rendus ». Bien entendu, c'était la révolution qui allait récupérer ce bâtiment. Qui, je ne voulais pas le savoir. Pour le coup, là, je compartimentais. Sonny savait ce qu'il faisait, je ne faisais que suivre ses instructions.

    Alors que je méditais tout cela, inspectant les documents paraphés pour m'assurer que Venezio n'avait pas contrefait sa propre signature, il eut le geste le plus inconsidéré qu'il fut. Non, il ne tenta pas de fuir : il tenta de m'attaquer. Comment avait-il réussi à se défaire de mes fils, je ne le sais pas trop. Sûrement l'effort conjoint de ses tortillements que j'avais pris de douleur, et ma baisse de vigilance. L'un dans l'autre, il se jeta sur moi. Il aurait eu plus de chance en ouvrant sa porte et en gueulant « à l'aide ». C'était ce que j'aurais fait à sa pl--- non, en fait, je ne pourrais jamais être à sa place. Je me serais soit délivrée avant toute mutilation, ou alors, je me serais évanouie depuis belle lurette.
    Ce type devait agir avec l'énergie du désespoir. Il devait se dire qu'en dépit de mes actes, je n'étais qu'une greluche. Après tout, je ne faisais pas très « mastoc », comme terroriste. Il devait se dire qu'il avait ses chances.
    Et bientôt, il ne se dit plus rien, à part « aïe ». Si j'avais l'espace d'un instant divisé mon attention, je ne l'avais pas supprimée et dès que Delgado jaillit du fauteuil comme un clown hors de son cube, je lui envoyai une mandale qui tenait presque de l'uppercut. Presque, parce que je me démolis les phalanges en mettant vraiment, mais vraiment follement mon pouce entre mes doigts repliés. Aïeeeeeeu !!!!!
    Cette fois, j'étais excédée. Toute la colère, le ressentiment, la haine, le dégoût, envers le GM, envers moi-même, envers ce monde, me submergea et je basculai du côté obscur de la force. Les coups ne plurent pas : ils s'écrasaient, avec précision, tandis que je visais ses articulations et autres points faibles. Delgado, affaibli par le mauvais traitement récent reçu, incapable d'utiliser sa main gauche durement mutilée, fut rapidement réduit à une masse gigotante au sol, recroquevillée sur elle-même, pour limiter l'impact de mes coups. A ce jour encore, je ne sais pourquoi personne n'est venu à son secours. Sûrement, sa bonne, sa cuisinière, le jardinier-majordome, quelqu'un aura entendu le chahut provoqué par la chute du corps et les plaintes qui s'en suivirent. Il me plaît à penser qu'en fait, ces « employés » dont le qualificatif le plus exact aurait été « serviteurs », se complaisaient à entendre leur « maître » se faire ainsi punir, et que secrètement, ils étaient de bonnes personnes. Sinon, cela faisait d'eux des indifférents à la douleur d'autrui, et quelque part, des gens tout aussi mauvais que Delgado.

    J'allais le tuer. Je ne le savais pas vraiment, ou plutôt, cette pensée, je la fuyais. Je ne voulais pas admettre que j'étais à ce point folle de rage que j'allais littéralement réduire en pulpe cet être vivant.
    - « Pitié, pitié !!! » implorait-il, mais je restais sourde à tout bon sens. Il dut le sentir, et à l'aube de sa mort, Venezio eut recours à toutes les bassesses. « Je vous ai tout donné... je disparaîtrai, je ne dirai rien. Arrêtez, pitié ! Jamais je ne parlerai de vous... je vous donne ma promesse. Vous pouvez tout prendre, je--- »
    - « Silence, tu n'es qu'un escroc et tu ne mérites pas de vivre. Rien de ce que tu peux faire ou me donner n'a de la valeur ! » finis-je par lui cracher à la gueule une fois que je dus ralentir mes coups, mes poings se faisant lourds, et ma respiration hachée. « Tu ne sais rien, tu n'es rien pour moi. »
    - « Je sais... je sais quel réseau devrait vous intéresser. Un réseau plus grand que le mien. Le Théâtre, vous avez déjà entendu parler du Théâtre ? » Il prit le fait que mon bras resta en l'air au lieu de s’abattre sur lui pour une invitation à développer. - « Le chef du Théâtre, il est ici, à Alabasta. Je peux vous donner plein d'informations !!! »
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[HR : je précise que j'ai eu l'accord de Aoi et de Rafaelo pour utiliser les PNJs du Théâtre et de l'Umbra. Je souligne aussi que j'ai volontairement laissé un très gros flou flotter sur le comment de cette réalisation, pour que Raf et Aoie aient une marge de manœuvre pour leurs propres RP, et surtout, pour peut-être jouer plus tard cette scène en détail...]


    Le Théâtre. Oui, je connaissais vaguement. Rafaelo m'en avait parlé, alors qu'il évoquait ses plans de guerre contre son ennemi personnel, l'Umbra Corporation. Je ne pouvais imaginer la douleur qu'il pouvait éprouver, lui le père trahi par sa propre progéniture. Je savais combien son visage s'assombrissait à chaque fois qu'il mentionnait le réseau d'assassins, et sa voix prenait toujours cet accent d'acier trempé dans le cœur du plus sulfureux des volcans. Je lui avais promis mon aide, pour qu'il pût mener à bien cette vengeance. Je comprenais pourquoi il méprisait ces mécréants, et j'abondais dans sa décision inébranlable de les détruire jusqu'à la plus petite particule. Plus effrayant était pourtant cette une haine terrible qui le dévorait de l'intérieur, comme un vers qui rampait jusqu'au pépin de la pomme, pour ne laisser qu'une enveloppe vide. Je craignais vraiment que mon ami se fît consumer par ce désir de venger son honneur. Un comble, pour celui qui avait le pouvoir de la fumée. Quelque part, je savais que plus vite nous en aurions fini avec l'Umbra, plus vite Rafaelo serait sauvé de lui-même.

    Cette réflexion, alors que j'étais moi-même dévorée par les sentiments les plus négatifs possibles, n'était plus d'actualité. J'avais reçu confirmation que mon frère d'armes était tombé. Goa n'était plus que ruines et cendres, mais la royauté se relevait comme le phénix. Raf, lui, n'était plus que fumerolle dans les pages de l'histoire locale. Oh, combien de larmes avais-je versé cette nuit-là, quand Céline m'avait informée, à travers le réseau den-den, que tu étais tombé. Et quelle tombe ! Et quel bourreau ! Fenyang père, dont le fils m'avait lui aussi chagriné le cœur. Finalement, qui restait autour de moi ?
    Cette mélancolie qui m'avait tant assaillie à ce moment s'évaporait, laissant place à la froide détermination de finir l’œuvre d'un homme profondément convaincu d'agir pour le bien de tous. Dus-je y passer le reste de mes jours, je pourrais décorer le cercueil d'El Mentor du cadavre des parjures.
    Une perspective sanglante qui ne dépareillait pas de mon état d'esprit actuel.

    Je savais donc à peu près tout ce qu'il y avait à savoir sur l'Umbra, y compris les détails de l'opération que Rafaelo avait monté ici-même, à Alabasta. Le reste, je l'avais trouvé dans les archives CP. Ces dernières étaient par ailleurs assez succinctes sur le sujet, mais plus prolifiques quant au Théâtre. J'y avais notamment trouvé amusant toute la frustration clairement inscrite, là, à l'encre noire, dans les rapports de mes confrères, alors qu'ils devaient avouer leur impuissance à démanteler le réseau de trafiquants d'art.

    Pas étonnant, quelque part, que Venezio Delgado, décorateur de son état, eusse trempinocher à un moment donné dans les eaux floues mais forcément glauque de cette organisation criminelle. Néanmoins, cette information cruciale sur la présence du chef de ladite organisation ici à Alabasta, en sa possession ? Ce n'était pas un piège, mon « client » n'ayant plus les ressources nécessaires en lui pour me mentir. Serait-il à ce point ingénieux, ou plutôt, fouineur ? Pas chanceux, ou alors, il avait épuisé son stock. Le fait qu'il fût capable de se dégoter cette information sans mourir après ne collait pas au personne qui avait si honteusement et crûment trompé Ange. Comme quoi, tous les hommes ont leurs moments de faiblesse, et là, je m'étais engouffrée dans la seule faute commise par ce suave truand...

    Mais là n'était pas la question. Galvanisée par le secret révélé, je n'avais plus que l'Umbra en tête. J'avais déjà tournée la page « Delgado ». Celui-ci ne connut pas la mort. En tous les cas, pas de ma main, et pas cette nuit. Finalement, ce qui allait faire plonger Rafaelo dans les abysses de l'inhumanité, me sauva de ce funèbre destin. Pour sûr, si j'avais tué l'architecte cette nuit, j'aurais franchi cette limite. Tel un papillon, je me serais défait d'une chrysalide, mais ça n'aurait été que pour étendre des ailes bien sombres et carmines sur le monde. La vengeance... Dire que je lui devais avoir garder le sens de la raison... ô ironie, quand en auras-tu fini avec nos pauvres carcasses ?
    Tout cela pour dire que je ne me souviens pas comment, mais je réussis à traîner Delgado hors de sa villa et à le fourguer entre les mains des hommes de Sonny. Ils avaient pour mission de le mettre dans le premier bateau en partance, sans attacher la moindre importance à la destination. Pour seul bagage, le sac empli de billets et de pierres précieuses qu'il avait lui-même composé. Qu'il ne fut pas dit que la révolution – ou moi – lui avait « tout » pris. Avec ceci, il pouvait vivre une confortable vie de pacha dans n'importe quelle Blue, dorlotant ce qui lui restait de main et d'honneur.

    Mais ceci était une autre histoire, et franchement ? elle n'avait pas l'air bien intéressante.
    Sonny et moi nous concentrâmes sur le Théâtre. Bien entendu, le magouilleur connaissait l'existence de ce réseau tentaculaire. Quiconque voulant croire qu'il comptait dans la sphère des sombres affaires se devait de connaître le Théâtre. Le connaître, et le craindre. L'ignorer, c'était se vouer à une rencontre avec une lame, car le Théâtre n'était pas sujet à rigolade.
    Mis bout à bout, tous les fragments de rumeurs, de suppositions et autres indices pointaient vers Alubarna, la capitale.
    - « Laisse-moi un peu de temps pour travailler tout ça. Je vais faire appel à mes contacts, et je te recontacte. » me proposa Balwin. Malgré moi, je ne peux cacher ma déception. J'espérai qu'il allait me sortir, là, maintenant, tout de suite, une adresse. Il sourit d'un air las à ma petite moue. Ah, il n'était qu'un homme, après tout.
    - « Bien. Je vais quitter la ville, et retourner à Rainbase auprès d'Ange. Je dois notamment lui communiquer les renseignements sur la famille royale. Merci pour le coup de main. » Peu à peu l'adrénaline quittait mes veines, et je sentais le contre-coup des derniers jours retomber sur mes épaules : l'alliance avec Ange, les négociations avec Raven, le test de Sonny et ce fameux discours, puis l'affrontement avec les Marines et maintenant ça. Affrontement ? Mise à mort, oui. Je ne leur avais pas laisser une chance et maintenant que je n'avais plus rien sur lequel focalisé ma satanée paranoïa, je savais que les regrets et les « et si » allaient hanter mes nuits. Perspective au combien attrayante !!!

    - « Attends. » Sonny me tendit une affiche. C'était un poster « wanted », avec un dessin d'une figure enrubanné dans son voile, portrait de tous et de n'importe qui. Une somme de 200 berrys était offerte pour toute information sur « l'agitatrice ». Une somme médiocre, mais qui pouvait corrompre des âmes désespérés. Et des drames, qui savait combien il y en avait ici, à Alabasta...
    - « Personne ne peut m'identifier. J'en suis certaine. »
    - « Aucun témoin ? » insista-t-il.
    - « Des témoins qui pourront simplement dire avoir vu une femme courir. Pas plus, pas moins. » J'avais payé le prix fort pour cette certitude.
    - « Il y a autre chose. La Marine a arrêté des gens à Erumalu. »
    - « Quels gens ? »
    - « Des gens. Des femmes surtout, qui n'avaient rien à se reprocher. Tu sais bien que les nouvelles lois du Gouvernement permettent à la Marine de tout faire ou presque. » Je grimaçais. Je n'avais pas pensé que mon discours aller provoquer une telle répliqu---- non, pas mon discours, la mort des deux crétins, assurément.
    - « Et la garde royale ? La Marine ne peut pas, même avec ces lois, passer outre le droit local. »
    - « Justement, la Reine Vivi s'est interposée. Les « accusés » sont détenus dans la prison royale. C'est déjà mieux que les cellules de la Marine. »
    - « Je suis désolée. Non, vraiment. Ces hommes et ces femmes, et leurs familles. Mais je n'avais pas le choix.. »
    - « Je sais. Tu vivras avec ça sur ta conscience. »
    - « Je verrai ce que je peux faire. Après tout, ça serait tout un symbole, que d'arriver à les faire s'échapper. »
    - « Avant d'être un symbole, ce sont des hommes. Mes co-citoyens !. » La voix grondait d'une menace d'avertissement. Je lui retournai un regard de glace.
    - « J'en ai parfaitement conscience. Des victimes collatérales, sans nul doute. Mais sûrement pas des innocents. Ils n'avaient pas qu'à laisser la Marine s'installer comme ça à Alabasta. La passivité est un crime en son genre. »
    Oui, j'étais dure, mais Alabasta et Goa m'avaient inscrit cette leçon au fer blanc, dans mon cœur : les sentiments sont parfois de trop. On ne gagne pas en voulant toujours tout bien faire. J'avais perdu Rafaelo et Alheïri, et enfin, je comprenais ce que cela pouvait être, d'être la fourmi se battant contre l'éléphant.
    Écrasant....
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    Un autre truc qui était écrasant, c'était le cas d'Ange. Finalement, c'était une bonne chose que j'eusse à faire la capitale. Je ne n'étais pas certaine de pouvoir tenir plus longtemps dans son bureau. Mais heureusement, Sonny me contacta rapidement. Sans avoir réussi à localiser exactement le chef, il savait où je pouvais faire passer un message.

    Je me présentai donc à une galerie de peintures, habillée comme je ne l'avais jamais été depuis.... pfff.... jamais ? et abordant une perruque d'ébène, me faisant un bob court en dégradé. Pas trop moche, mais tellement différent de ma propre chevelure que ça en restait saisissant. Je n'aurais pas parié que Père eusse été en mesure de me reconnaître. Avec les lunettes de soleil aux écrans fumés taille XL, le foulard Her Miss autour du cou et ma robe bariolée, j'étais la réplique exacte d'une de ses dindes qui se trémoussaient dans le casino d'Ange. J'avais travaillé mon personnage entre deux cours de maintien, le temps de laisser Ange mémoriser qui était la fourchette à salade et celle à poisson.

    Le grand péteux derrière non pas le comptoir – il n'y avait pas de comptoir dans une galerie de peintures, fussent-elles les croûtes les plus hideuses du monde, mais une banque d'accueil avec catalogue – me regarda avec son air de « j'ai reniflé une odeur de graillon ». Vu qu'il avait un balais dans le cul, on pouvait comprendre qu'il avait la digestion contrariée, et qu'un remugle de classe populaire l'indisposât. Quelle ne fut pas sa surprise quand je m'approchai et lui dédiai un sourire des plus ingénus. Comment j'arrivais encore à passer pour une cloche, je me le demandais vraiment. Personnellement, j'avais l'impression que j’exsudais une sorte de nuage de noirceur absolue par chaque pore de mon corps. C'était comme une cicatrice qui me défigurait, je ne voyais que ça dans le miroir chaque matin. Pourtant, à la différence de la dernière fois que j'avais eu ces sentiments, j'acceptais. Je n'irais pas à dire que j'en étais fière. J'avais juste accepté qu'il y avait un prix à payer pour toute chose, et que c'était à moi de monnayer ma force et mes remords. Tant que j'avais des regrets et des cauchemars, alors tout allait bien. Je pense donc je suis ? Nenni. Je souffre donc je suis, voilà un bon motto.

    - « Bonjour. Je ne suis qu'un mirage, un masque sur une illusion. Veuillez dire au Collectionneur que je souhaiterais l'inviter à prendre un thé. Ou un café. A sa convenance. J'attendrai à la Pagode Illuminée toutes les après-midis pendant cinq jours. Je m'appelle Scarlett et je suis de ceux qui n'existent que dans les rêves. »

    Le message d'un révolutionnaire à un pirate. Comprenne qui pourra et le Paradis est ouvert aux imbéciles...


- A suivre -
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