L'hiver 1624. Tu t'en souviens bien. Tu avais été envoyé en mission sur North Blue. Et le fait est que... Tu détestes les hivers là-bas. Et évidemment, c'est le seul moment où tes supérieurs ont décidé de t'y envoyer. Franchement. Tu te demandes s'il le font exprès. Ils en seraient bien capables, ces nuisibles. Franchement. Tu te demandes qui a eu la magnifique idée de créer le système de hiérarchie. Pourquoi faut-il que les petits pistonnés se trouvent au sommet alors que les autres doivent trimer ? Pourquoi ne peuvent-ils pas reconnaître le génie lorsque celui-ci se manifeste ? Pourquoi ne peuvent-ils pas te donner la reconnaissance que tu mérites ? Ca te dépasse. Franchement, tu mérites bien mieux que ça. Tu mériterais bien mieux que ça. Mais à bien y réfléchir... Est-ce que tu le veux vraiment ? Pas sûr. Après tout, tu risquerais de t'ennuyer. Passer des journées à superviser tout, sans rien pour t'occuper vraiment... Non. Finalement non, tu n'aimerais pas être au sommet. Trop de responsabilités écrasantes. Trop d'entraves à l'expression de ton génie. Mieux vaut rester où tu es. Te contenter du titre de simple agent, et garder des opportunités de t'amuser un peu. Même s'il en faut beaucoup pour t'amuser. Et que cette mission est probablement la plus barbante du monde.
Et puis... T'envoyer à cause de simples soupçons à propos de sous officiers de la base G-6. Franchement. Ce n'est rien d'autre qu'une belle dépense de temps et d'énergie. Ils auraient tout aussi bien pu convoquer les suspect en prétextant une mutation temporaire afin de les surveiller directement... Quoique. Ils auraient fini par se douter de quelque chose, au vu de la discrétion pachydermique de tes supérieurs. Il veut encore mieux que ce soit toi qui te charge de cette affaire. Même si au final, tu ne feras rien d'autre que quelques études de cas parmi la multitude de soldats là-bas. Tu espères juste pouvoir croiser quelques fortes personnalités là-bas. Oui, juste quelques personnes un peu disparates. Ils te doivent bien ça. Tu as été obligé de te présenter comme mousse devant la Marine. Et il faut bien le dire... Les soldats avec lesquels tu as fait le trajet étaient tous d'un tel ennui... Gentils et sympathiques, certes. Mais. Tellement... Tellement surfaits. Tellement plats. Tu avais beau sourire, tu crevais d'ennui en leur présence. Ce n'était un ennui mortel. C'était encore pire. Tu étouffais. Tu agonisais au milieu de toute cette débilité. Au milieu de toute cette médiocrité.
Mais te voilà enfin arrivé à destination. Dans ton esprit, c'est un râle de soulagement, alors que tu trépignes sur le pont, en gentil petit garçon, impatient de débarquer pour revoir la terre ferme. Tu vois certains marins sourire alors que tu restes scotché au bastingage. Oui. Allez, souriez. Si seulement tu pouvais leur dire combien tu les méprises, ils ne souriraient pas. Mais tu n'es qu'un gentil petit garçon, sous la double couverture d'un apprenti charpentier et d'un jeune mousse. Tu as été envoyé à la base G-6 pour parfaire tes connaissances en tant que charpentier, et devenir un meilleur marin, c'est tout. Aux yeux du monde, voilà comment on devrait le résumer. Dans les faits, tu n'es pas vraiment le gentil petit Caleb. Et non. Tu n'es autre que l'agent Moriarty, envoyé sur le terrain pour étudier les cas de quelques soldats. Et tu t'ennuies. Profondément.
Même une fois débarqué, tu te sens... Lésé. Blasé. Te voilà devant ce bâtiment ressemblant horriblement à tous les autres. Tu ne sais pas qui sont les architectes de la Marine, mais le mot originalité ne semble pas faire partie de leur vocabulaire. Et puis... Au niveau de la structure, on ne peut pas vraiment dire que les choses soient optimisées. Il aurait fallu construire ces murs avec des angles moins aigus, et donner au bâtiment une structure en étoile. Mais ce n'est que ton humble avis. L'humble avis d'un jeune homme se voulant encore ignorant et naïf. Ah. S'ils savaient. S'ils savaient à quel point tu leur est supérieur. Tous autant qu'ils sont, ils ne représentent rien d'autre que des puits de bassesse pour toi. Et tu soupires intérieurement, alors que vous faîtes votre entrée au sein de la base. Tu scrutes les environs d'un rapide coup d'oeil. Des sentinelles postées un peu partout. Des soldats armés pour la plupart, même s'ils ne sont pas en service. Beaucoup se retournent à votre passage, alors que le Colonel en charge de l'équipage se rend dans les bureaux du responsable de la base. Tu restes avec les autres membres de l'équipage, observant rapidement tous les soldats passant. Rien de bien folichon au final. Rien de bien digne d'intérêt pour l'instant. Oui. Pour l'instant...
Once upon a time [Shaïness]
Ce n'était pas que je n'avais pas le pied marin.
Je tenais plutôt bien le roulis, mais en cas de forte houle, je blanchissais, verdissais et évitais de manger.
Ce n'était pas que j'avais passé trop de temps à terre. Et quelle terre ! Le QG du BAN, pour ne pas le citer. Une île infernale où l'on perdait jusqu'à son âme. Chef oui chef, non chef non, bien chef bien et bien d'autres encore qui réduisaient votre libre-arbitre et votre capacité à formuler une opinion – qu'elle fût fondée ou non – à l'état de... même pas d'hérésie, mais de non-existence.
C'était un mixte entre l'état peu engageant de la navette maritime, la face renfrognée des marins devant la nécessité de prendre une femelle à bord, la date de péremption largement dépassée de la bouillie infecte qu'on nous servait en tant que nourriture.
C'était le manque d'intimité, avec leur yeux qui glissaient partout, surtout entre les planches mal jointes des cabines, leurs voix rocailleuses qui pensaient faire de l'humour subtile.
C'était le vent gonflé d’humidité, promesse d'un bel orage, c'était la vision des hauts murs du G-6 si différents de ceux de Marie-Joie auxquels j'espérais.
C'était la fatigue moulue dans ma moelle, c'était cette sensation d'être sale au-delà des mots, c'était ce sentiment d'être en mode zombie sans volonté 24/7, c'était de ne pas en voir la fin.
Je débarquai dès qu'il m'en fut possible, avant même que la passerelle fut lancée. En effet, après avoir récolté mon baluchon – le BAN m'avait dépouillée de pas mal de chose – j'avais littéralement pris mes jambes à mon cou et franchi l'espace entre le pont du rafiot et le quai à coups de geppo. J'étais tellement pressée que j'oubliai l'espace d'un instant que même sans avoir le mal de terre, j'allais devoir me réhabituer à un sol stable. Un instant... et ce fut suffisant pour perdre l'équilibre dès que j'eus fini de glisser dans les airs, oscillant dangereusement de droite à gauche, comme si j'avais trop bu.
Et bien entendu, hors de question de m'écraser tranquillement contre un mur, de façon totalement anonyme, de façon à ce que mon honneur fût sauf. Nooon. Il fallut que je percutasse quelqu'un, sans grâce ni légèreté. Patatra !!
- « Je suis --- » J'essayai de me relever, mais mon bagage glissa de mon épaule, faisant contre-poids de l'autre côté, m'entraînant avec lui et je retombai. « vraiment désolée... »
mon pied se déroba sous moi, action conjointe des pierres glissantes et d'un talon vicieux. Patatra² « je suis confuse, et d'habitude bien moins gourde... » En essayant de me relever encore une fois, je pris appui sur ce qui s'avéra être une partie de l'estomac de la personne ainsi mise à terre... ça, ça ne devait pas faire du bien. « Toutes mes excuses. »
Je finis enfin par mettre terme à ce mauvais numéro et après avoir rapidement épousseté ce qui me tenait lieu d'uniforme – un vieux sur-vêt aux couleurs du BAN, puisque j'avais perdu quelques rondeurs qui faisaient que mes tailleurs flottaient un peu sur moi – je tendis la main pour remettre debout l'infortunée victime de ma maladresse.
Je tenais plutôt bien le roulis, mais en cas de forte houle, je blanchissais, verdissais et évitais de manger.
Ce n'était pas que j'avais passé trop de temps à terre. Et quelle terre ! Le QG du BAN, pour ne pas le citer. Une île infernale où l'on perdait jusqu'à son âme. Chef oui chef, non chef non, bien chef bien et bien d'autres encore qui réduisaient votre libre-arbitre et votre capacité à formuler une opinion – qu'elle fût fondée ou non – à l'état de... même pas d'hérésie, mais de non-existence.
C'était un mixte entre l'état peu engageant de la navette maritime, la face renfrognée des marins devant la nécessité de prendre une femelle à bord, la date de péremption largement dépassée de la bouillie infecte qu'on nous servait en tant que nourriture.
C'était le manque d'intimité, avec leur yeux qui glissaient partout, surtout entre les planches mal jointes des cabines, leurs voix rocailleuses qui pensaient faire de l'humour subtile.
C'était le vent gonflé d’humidité, promesse d'un bel orage, c'était la vision des hauts murs du G-6 si différents de ceux de Marie-Joie auxquels j'espérais.
C'était la fatigue moulue dans ma moelle, c'était cette sensation d'être sale au-delà des mots, c'était ce sentiment d'être en mode zombie sans volonté 24/7, c'était de ne pas en voir la fin.
Je débarquai dès qu'il m'en fut possible, avant même que la passerelle fut lancée. En effet, après avoir récolté mon baluchon – le BAN m'avait dépouillée de pas mal de chose – j'avais littéralement pris mes jambes à mon cou et franchi l'espace entre le pont du rafiot et le quai à coups de geppo. J'étais tellement pressée que j'oubliai l'espace d'un instant que même sans avoir le mal de terre, j'allais devoir me réhabituer à un sol stable. Un instant... et ce fut suffisant pour perdre l'équilibre dès que j'eus fini de glisser dans les airs, oscillant dangereusement de droite à gauche, comme si j'avais trop bu.
Et bien entendu, hors de question de m'écraser tranquillement contre un mur, de façon totalement anonyme, de façon à ce que mon honneur fût sauf. Nooon. Il fallut que je percutasse quelqu'un, sans grâce ni légèreté. Patatra !!
- « Je suis --- » J'essayai de me relever, mais mon bagage glissa de mon épaule, faisant contre-poids de l'autre côté, m'entraînant avec lui et je retombai. « vraiment désolée... »
mon pied se déroba sous moi, action conjointe des pierres glissantes et d'un talon vicieux. Patatra² « je suis confuse, et d'habitude bien moins gourde... » En essayant de me relever encore une fois, je pris appui sur ce qui s'avéra être une partie de l'estomac de la personne ainsi mise à terre... ça, ça ne devait pas faire du bien. « Toutes mes excuses. »
Je finis enfin par mettre terme à ce mauvais numéro et après avoir rapidement épousseté ce qui me tenait lieu d'uniforme – un vieux sur-vêt aux couleurs du BAN, puisque j'avais perdu quelques rondeurs qui faisaient que mes tailleurs flottaient un peu sur moi – je tendis la main pour remettre debout l'infortunée victime de ma maladresse.
Dernière édition par Shaïness Raven-Cooper le Jeu 15 Oct 2015 - 18:04, édité 2 fois
Tu aurais pu t'attendre à tout. A tout. Sauf à ça. Tu ne l'as même pas vue arriver. Tu as juste entendu son pied se poser sur le sol, et le temps de te rendre compte qu'elle était là, elle s'affalait déjà sur toi, tombant lamentablement. En t’entraînant avec elle au passage. Réfléchir à ce qui venait de se passer ? Oui, tu pouvais. Ou du moins tu aurais peut-être pu. Tu aurais pu si tu avais eu le moyen de recentrer tes pensées. Et c'était là que se situait le problème. Comment aurais-tu pu réfléchir convenablement en te faisant ainsi malmener ? Tu étais tombé une fois, sans comprendre. Tu l'avais juste vue débarquer comme une fleur, à côté de toi. Comme si elle venait de tomber du ciel. Ce qui en soi n'était pas totalement faux, mais comment aurais-tu pu savoir ? Comment aurais-tu pu deviner d'où elle venait ? Tu avais tourné la tête, pour la voir perdre l'équilibre et s'écraser sur toi.
Problèmes psychomoteurs ? Choc ou traumatisme crânien ayant engendré ce genre de comportement ? A moins qu'elle n'ait simplement passé trop de temps en mer. Tu sais que ce genre de choses est monnaie courante. Mais comment aurait-elle pu mettre autant de temps pour se remettre du roulis ? Elle ne pouvait pas avoir franchi toute la distance séparant les quais et l'endroit où tu te trouves et ne pas avoir repris l'habitude d'un sol stable. Et cela éveille ta curiosité. Tu ne comprends pas comment elle a pu faire. Et il faut bien l'avouer. C'est ce genre de situations incompréhensibles qui t'intér. Urf. Coupé dans tes pensées par une nouvelle chute.
Et tu lâches un petit cri. Un petit cri aigu, digne d'un jeune enfant, alors que tu chutes. Tu fais mine d'accuser le coup. Tu grimaces. Tu ne te frottes pas les fesses, mais ce n'est pas l'envie qui manquerait. Tu as appris à tomber d'abord assis avant de finir allongé. Ce n'est qu'un détail. Un très léger détail, mais cela évite souvent les douleurs lombaires inutiles. Et tu te retrouves à terre, n'osant plus te relever. Tu sens les regards des autres marins peser sur toi. Tu sens le ridicule de la situation. Et tu t'apprêtes à te relever, la tête déjà pleine de questions à propos de ce qui vient de se passer. Les questions de l'enfant curieux. Avec le visage du gentil petit Caleb. Mais ton esprit s'excite. Tes pensées commencent à converger vers la demoiselle qui vient de faire son entrée. Une entrée pour le moins renversante.
Mais tu n'as le temps de rien, une fois encore. Et la voilà qui s'appuie sur ton ventre plutôt que sur le sol, se relevant pour de bon. Et tu serres les dents. Tu étouffes un cri. Un cri qui sort de ta bouche plus ou moins volontairement, sous la forme d'un borborygme semblable à un « Jaaaaaargh. » Ou autre exclamation du même genre. Et tu croises tes bras sur ton estomac, te repliant sur toi même, toujours au sol. Tu restes ainsi, alors qu'elle finit de se relever et vient te présenter une main pour t'aider à te lever. Que tu n'oses même pas saisir, vu ce que tu viens de subir. Et tu restes encore un peu sur le sol, tentant de faire passer la douleur. Pauvre petit, doivent-ils tous se dire. Tu connais les marins avec lesquels tu as navigué. Tu sais que ça doit les avoir amusé. Mais qu'ils vont finir par venir te relever si tu n'y arrives pas toi même. Après tout, tu es le plus jeune et le plus maigrelet d'entre eux. Et comme tu le pensais, les voilà déjà qui viennent et qui commencent à te soulever. Mais tu les repousses d'un geste de la main, finissant de te remettre sur pied de toi même, une main toujours refermée sur ton estomac. Et c'est le visage toujours grimaçant que tu réponds à la jeune femme.Je. N-n. Non, ne. Ne vous excusez pas pour ça voyons.
Et tu souris. Tu lui offres un joli sourire. Un sourire d'enfant candide et joyeux. Le sourire d'un enfant qui ne connaît pas la rancœur. Et qui aura probablement oublié l'incident dans les heures qui suivront. Mais en toi, l'incident a déclenché un processus de curiosité. Tu as beau aligner les calculs, tu ne comprends pas comment elle aurait pu, d'une quelconque façon, arriver jusqu'ici et conserver le mouvement des vagues inscrit dans ses pas. Et c'est à ce moment que tu remarques sa tenue. Ainsi que la couleur de ses cheveux. Tu la parcours légèrement du regard. Mouvement normal, puisque tu relèves la tête, toi qui était encore en partie replié à cause de ta douleur au ventre. Et tu observes les détails au passage. Vêtements sales, uniforme du BAN, bagages assez peu conséquent, une certaine odeur de crasse, et surtout, cette expression de fatigue. De lassitude. Mais aussi de confusion. Probablement mêlée à du soulagement ? Tu ne saurais guère le dire. Mais son maintien et son regard semblent indiquer qu'elle vient d'être rompue aux codes des soldats. Et qu'elle ne s'y est pas encore totalement habituée. Quant à ses cheveux... Tu arrêtes ton regard sur eux, quelques secondes. Tu restes un instant à les contempler. Des cheveux roses. Intéressant. Assez rare. Disparate. Symbole d'une personnalité à part ? Ou bien simple volonté de se démarquer ?
Mais tu finis par cligner des yeux, te rendant compte que cela fait quelques secondes que tu es bloqué là, dans cette contemplation étrange. Et tu rougis en te rendant compte de la situation. Tu baisses immédiatement le regard, avec ces habitudes de jeune homme timoré. Mais... Tu ne peux pas t'en empêcher. Et tu finis par reporter ton regard sur elle, remarquant alors le contraste entre le rose de ses cheveux et son teint. Et tu reprends la parole, d'une voix assez peu assurée, alors que les soldats autour de toi commencent à se disperser pour retourner vaquer à leurs occupations.Mais. Je. Vous êtes sure que vous allez bien ? Vous avez l'air très pâle vous savez...
Et tu joues la carte de l'inquiétude. Tu affiches une moue un peu inquiète, te mordillant légèrement la lèvre inférieure. Et tu te grattes les cheveux. Nerveusement. Tentant de cacher ta gêne. Tentant de ne pas laisser tes joues reprendre ce teint rosé. Essayant de paraître plus sûr de toi. Toujours dans ce rôle de composition. Toujours dans le rôle du gentil petit Caleb. Dans ce rôle parfait, alors que pendant ce temps, ton esprit génial attend. Il attend une occasion de s'exprimer. Et il attend patiemment...
S'il y avait bien une chose qui ne fonctionnerait plus avec moi, c'était l'intox. Mensonges, illusions, faux-semblants et autre escamotages, rien ne passait à travers mes yeux de lynx acéré. Je mentais comme une pro à l'âge de cinq ans, et j'avais peaufiné mes techniques au fil du temps. A l'âge désormais vénérable de vingt-quatre ans, je me considérais comme experte. Une certaine disposition qui m'avait conduite au Cipher Pol, qui n'avait pas manqué de polir ce diamant brut en bien plus qu'une simple menteuse. Je savais distiller le vrai pour rendre le faux encore plus crédible, le peut-être pour que le jamais ne fût plus aussi impossible et l'énormité pour faire accepter le dérangeant. Venait ensuite cette occupation d'espion et d'agent double. Un rien, un pas grand chose. A peine une ligne sur un curriculum vitae, à la ligne « considération politique ». Ce n'était ni une capacité, ni une qualité. Ça n'avait aucun fondement concret, mais purée, qu'est-ce que que ça prenait de la place ! Désormais je passais toute ma vie au filtre « informateur » avant même qu'elle ne parvînt au cerveau. Et maintenant, je sortais du BAN. Là, j'avais appris à peu près tout ce qu'il y avait à savoir en terme de psychologie appliquée, de signes qui ne trompaient pas, de tics, de mots, de trucs-machins-choses. Fraîchement diplômée, j'entendais encore la voix de gueulard de mon sergent instructeur en écho dans mes tympans.
C'était infime, indiscernable et indéterminable. Mais c'était là. Pour quiconque qui avait ne serait-ce que la moitié de mon bagage... erf, pédagogique... ça crevait les yeux : ce petit gars cachait quelque chose. Quoi, je ne savais pas. Pas plus que je pouvais énoncer, tel un avocat devant son parquet de jurés, ce dont il s'agissait : mensonge, désir de cacher quelque chose, pari merdique perdu ou panique d'être vu au mauvais endroit, mais s'il y avait une vérité au monde, c'était celle-ci.
Il y avait quelque chose d'étrange ici.
Ce n'était pas au vieux singe qu'on apprenait à faire la grimace, et je n'étais ni singe, ni vieille, donc ce commentaire ne servait à rien, si ce n'était à démontrer à quel point j'étais fatiguée, à laisser mon fruit du démon prendre à ce point le contrôle de mes pensées. Je secouai donc ma tête, chassant les papillons d'un coup de main mental excédé. Parfois, c'était bien bordélique, chez moi.
Faisant fi de cette ultime pensée parasite, j'examinai d'un œil à la fois bovin – mou, morne et mouillé – et félin – aiguisé, vif et autoritaire – ce nouveau défi. Si je n'avais pas déjà une drôle de tête, cette fois, c'était bon.
Petit, maigre, et qui en joue. Franchement, je n'avais pas pu lui faire si mal que ça. Il surjouait. Par simple envie ? Ou pour un motif moins innocent ? Faut dire... il n'y avait rien d'innocent en lui. Ce côté timide, ça n'allait pas avec son regard en coin. Il était apparemment aussi intrigué par moi, que moi par lui. … …. Bah, la tempête qui s'approchait aller bloquer les navires pendant une poignée d'heures. Autant passer ce temps en m'amusant. Parce que s'il voulait jouer, on allait jouer. Personne ne défiait Shainess Raven-Cooper à ce genre de jeu sans en payer le prix. Même s'il ne savait pas qu'il m'avait défié.
J'eus un petit sourire, un soupir léger et je vacillai légèrement sur mes pieds. Pour le moment, pas de problème pour paraître crédible, je commençais juste à retrouver le pied terrien.
- « Ah ! » gémis-je. « J'ai eu une traversée épouvantable. Pourriez-vous m'accompagner à la cantine ? Que je me remette des mes émotions ? Ce n'est pas très BAN de moi, mais je pourrais vous remercier en vous offrant une collation. »
Bien sûr, je ne pouvais pas savoir que j'avais affaire avec un jeune débarqué comme toi, agent CP de surcroît. Je m'étonnais juste de la qualité des mousses recrutés. Celui-ci ne semblait pas être du bois dont on faisait les armoires goaïennes pleins de muscles et de neurones atrophiés typiques de la Marine. Pas étonnant que le Gouvernement fût dans la panade, tiens. Un mousse feinteur, on aurait tout vu ! A quand l'amiral comique ou le juge débonnaire !
Pour parfaire ce numéro, pour être à la hauteur du grand jeu sorti par mon adversaire, je papillonnais des cils. Les autres Marines autour de moi succombèrent.
- « Je ne connais pas du tout cette base, voyez-vous. Je suis en transition mais la tempête me force à demander refuge chez vous. »
Ça grogne dans la foule. Méchante tempête. Brave tempête. Bien sûr qu'on va m'accueillir. On n'est pas des brutes. Enfin si, on n'est pas des femmelettes !! Tu quoque fili mi?
Dernière édition par Shaïness Raven-Cooper le Jeu 15 Oct 2015 - 18:05, édité 2 fois
Elle n'était clairement pas le genre à jouer de ses charmes. C'était une chose claire. Limpide. Qui pouvait se lire dans ses mouvements. Sur son visage. Alors pourquoi agissait-elle ainsi ? Là était la question. Question intéressante. Amusante. Toi qui jouait avec tes faux-semblants, tu étais tombé sur quelqu'un à ta hauteur. Et ça te plaisait, oui. Son comportement était maquillé. Pas grossièrement, ça non. C'était fin. Très fin. Affiné à l'extrême. Au point que c'en devenait trop subtil pour faire vraiment illusion. Quand à ses micro-expressions, elles la trahissaient. Tu avais étudié ce genre de comportements dans un bouquin de psychologie couplé à quelques ouvrages de motricité et de neurologie. Oui, tu déballes ta science. Et tu l'examines. D'un coup d'oeil éclair. Furtif. Lui faisant traverser ton champ de vision alors que tu lèves la tête pour observer le ciel. En effet, le temps se dégradait. La tempête serait là dans moins de quelques heures. Et elle serait passée après quelques minutes. D'après l'aspect des nuages, leur forme, leur taille, leur masse, et l'humidité ambiante, tu pouvais déjà dire que l'intempérie serait rapide. Pas par expérience. Simplement par déduction. Tout comme tu pouvais dire qu'elle cachait quelque chose. Pas à toi en particulier. Quelque chose en général. Mais de là à dire de quoi il s'agit, tu n'en es pas vraiment capable. Du moins, pas encore.
Seulement, tu sais. Tu sais qu'elle a quelque chose à cacher. Balancement en arrière, mais tension du muscle jambier en même temps que le soléaire. Doigts de la main droite légèrement repliés. Muscle faciaux en légère tension, un peu plus que la normale. Les informations défilent. Elles se présentent à toi, les unes après les autres. Tu les classes. Tu les ranges. Tu joues le... Comment disent-ils déjà ? Ah. Tu fais ton psychopathe. Analyse. Classement des informations. Rangement. Le tout en quelques secondes. Le tout dans ton esprit. Sans laisser transparaître quoi que ce soit. Mais tu sais déjà qu'elle ne sera pas la plus simple à berner. Il te faudra du temps. Il te faudra déployer de nombreux moyens pour endormir sa vigilance. Il n'y a qu'à la regarder. Son vêtement sale. Ses cheveux mal coiffés. Les marques sur ses mains. Sa maigreur. Sa pâleur. Son bagage maigrelet, et l'absence de toute forme de coquetterie. Aucun bijou. Aucune fioriture. Et pourtant, elle n'a pas l'air d'être une femme négligée. En tant normal, elle aurait de bien meilleurs vêtements. Probablement pas de bijoux en fait. Ou peut-être juste un ou deux. Mais pas d'avantage. Les apparences peuvent en tromper certains, mais pas toi. Madame n'est pas de ce genre de demoiselles qui se contentent d'être belles et de se taire. Non. Loin de là. Madame est une femme soldat. Une agent du gouvernement pour être précis. Son uniforme vient du BAN. Ce même BAN que tu as dû endurer. Et à voir ses réflexes, à étudier ses micro-expressions, ses gestes les plus minimes et les plus anodins... Tu sais qu'elle fait partie du même bord que toi. Qu'elle aussi sert le Gouvernement. Seulement tu es en mission. Tu ne peux guère te permettre d'écart. Ou peut-être que si en fait.
Tes obligations peuvent attendre. Rien ne garanti que tu pourras avoir une telle opportunité deux fois. Tu l'as sous la main, la laisser filer ainsi serait bête, non ? Non seulement elle est jolie, mais elle a ce petit quelque chose. Elle transporte ce sentiment. Ce sentiment capable de réveiller ce frisson d'intérêt. Ce frisson délicieusement glacial, qui te parcourt l'échine. Tu sais que tu vas pouvoir t'amuser. Que tu vas pouvoir jouer. Et qu'elle va te suivre dans ton jeu. Dans ce petit jeu. Ce jeu stupide. Ce jeu cruel. Ce jeu dont tu te délectes, tel un nectar. Tel un don divin. Ce petit jeu de faux-semblants auquel vous allez vous livrer. Et ce sera toi le vainqueur. C'est toi le génie. C'est toi le plus talentueux. Tu as la jeunesse. La fougue. L'intelligence. Tu as tout. Tu as toutes les cartes en mains pour gagner. Car au jeu du mensonge, tu es le meilleur. Tu as déjà trompé tous tes camarades. Tous tes supérieurs. Tu n'as jamais été qu'un gentil garçon pour eux. Pas un esprit génial. Pas un esprit aux pensées tordues et morbides. Tu es le gentil Caleb pour eux tous. Pas l'agent Moriarty. Pas ce sinistre psychopathe, aux pensées déstructurées, aux idées vectorielles, colinéaires, aux lubies dangereusement géniales, aux pulsions destructrices. Et pourtant. Pourtant. S'ils savaient. Les pauvres.
Mais tu ranges tes pensées et tes pulsions. Tu te contentes de l'écouter parler. Et tu hoches la tête, effaçant du mieux que tu peux ta grimace de douleur, en essayant de la faire transiter vers un gentil sourire. Mais tu continues à grimacer, la douleur n'étant toujours pas passée. Tu ne lui affiches qu'un rictus, vestige de sourire déformé par ton incapacité à faire taire la douleur. Si elle ne s'était pas écroulée sur toi, tu pourrais lui sourire. Mais ce n'est pas le cas. Tu te contentes de lui indiquer une direction, alors que tu te diriges déjà vers le bâtiment.C'est par ici... Et puis. Je. Ne vous inquiétez pas pour ça, je ne pense pas que vous dérangiez qui que ce soit ici.
Tu avances en direction du réfectoire, prêt à ouvrir la porte pour la laisser passer. Tu en profites pour lui jeter un nouveau regard. Tu te demandes ce qu'elle peut bien cacher. Tu as un peu de temps devant toi. Et probablement moyen d'obtenir un peu d'alcool. Alors tu ne dis pas que tu la feras forcément parler mais... Tu peux toujours essayer. Et tu vas commencer tout de suite, avec le ton de la conversation d'un gamin curieux. D'un gamin innocent et simplement curieux.Mais. Je. Je me demandais... De quelle île arrivez-vous au juste ? Et. Je. Je me demandais aussi vers où vous allez. Enfin je. Si ça ne vous dérange pas de répondre bien sûr.
Et tu lui ouvres la porte. Tu attends qu'elle passe. Qu'elle te réponde. Qu'elle commence à faire des erreurs. Tu es à l’affût. Aux aguets. Comme un chasseur. Un prédateur. Prêt à saisir la moindre occasion qui se présentera. Car elle se présentera. Tôt ou tard. Mais elle viendra. Et tu seras là pour la saisir, il n'y a pas à en douter.
Il était mignon. Enfin, non. A notre niveau, mignon ne s'applique pas. On ne traite pas un gros serpent sinueux de mignon. On peut lui reconnaître une beauté, une majesté même. Mais sûrement pas mignon. Mignon est par ailleurs vu comme une insulte pour les gens comme nous. Mignon fait référence aux bébés chiens, aux tissus à motif floral, aux gâteaux aux couleurs improbables et aux arc-en-ciel. Et les petits lapins blancs. Est-ce que nous avons une gueule de lapin blanc? La seule chose qui est blanche chez nous, c'est la carte que le gouvernement nous a donné pour damner les âmes qui viendraient à errer entre nos mains. Ça et le sucre dans son café, si jamais on était adepte du breuvage chaud. Personnellement, je préférais le thé, et c'est bien connu, on ne sucre pas un thé, à moins d'être un sacré sagouin.
Ce bégaiement transformé en hésitation. Très mauvais choix. Trop de butée, de répétition sur le “je”. C'était un signe qui ne trompait pas. Il était sûr de lui, le petit. Certain de m'avoir pris dans son filet, certain que j'étais encore au stade de victime consentante. Il n'avait pas encore compris que je savais ce qu'il était et que je partageais sa nature profonde. Ah, les ombres dans lesquelles nous nous plaisions à nous perdre. Pas les ténèbres. Ça a un côté trop absolu, les ténèbres. Nous, les agents du chaos, n'aimions rien d'autre que les nuances. Les ombres, c'était fait de lumière et d'obscurité mélangées, diluées, par à-coups et en petites touches, étalées au couteau ou retouchées par pinceau. Tel un peintre, nous confectionnions une image fausse de la réalité, mais tellement plus parlante.
Je le laissais me guider, le laissant s’enorgueillir de m'avoir trompée, paradant dans son rôle, pendant que je tissais à mon tour ma toile. De papillon à araignée. Ce n'était pas la transition dont j'aurais rêvé mais au moins avait-elle le mérite de me plaire.
- « Merci, merci beaucoup. Oh, je vous en prie... » Bataille de politesse et de « petitesse ». Il était pauvre mousse, et j'étais simple agent. Dans la Marine, être femme ne vous donnait aucun passe-droit, aucun coupe-file. Les bonnes manières, comme ouvrir les portes ou ramasser les choses tombées, vous pouviez vous les mettre derrière l'oreille. Et comme j'étais la soldate, je n'étais pas habituée à ce florilège d'attention.
Dans la cantine, où rien ne changeait par rapport aux autres cantines que j'avais pu fréquenter, je pris un thé justement, et un en-cas consistant. Si je devais reprendre la mer, autant avoir l'estomac calé avec de la nourriture un peu plus appétissante. De la soupe, du pain et une part de tarte à la pomme. Des trucs que les cuisiniers de la Marine ne pourraient pas planter, même en essayant. Même moi, je savais faire de la soupe et de la tarte à la pomme. Après des semaines de cantoche BAN, mon estomac n'était pas prêt pour des mets plus... gourmands.
- « Laissez-moi vous offrir quelque chose ? Un café ? Une part de gâteau ? »
Après quelques cuillerées, je pus reprendre mon inspection du gars. Je n'arrivais pas à mettre le doigt sur ce qui me dérangeait chez lui. A priori, il n'avait pas d'autres tics que ceux qu'il se donnait, et les coups d’œil en biais pouvaient être ceux d'une jeune recrue encore intimidée par son affectation et désireux de surveiller ses arrières.
- « Je viens du BAN, j'y ai passé quelques semaines en entraînement spécial... » fis-je en répondant à sa question. Entraînement spécial, tu parles ! Vous en connaissez beaucoup, vous, des Agents des Bureaux, qui se tapaient l'entraînement des Marines d’Élite ? Calvaire oui. Espérons que cela paiera au long terme. Dans mes capacités comme sur mon CV. - « … et je ---!!--- oh, je ne me suis même pas présentée ! Je suis vraiment à compter de mes pompes. Je m'appelle Shaïness, et vous ? »
S'il était ce que je pensais qu'il était, il n'aurait aucun problème à faire face à la situation présente où je n'avais rien dit qu'il ne savait déjà, à part mon nom – ce qui ne l'amenait pas très loin – et où je lui avais redonné la balle. Il était désormais nécessaire pour lui de se « mouiller ». J'avais déjà fait attention à sa commande [ou non commande (HRP)] et ses choix. Désormais j'allais pouvoir jauger de son habilité dans l'art délicat de noyer le poisson...
Ce bégaiement transformé en hésitation. Très mauvais choix. Trop de butée, de répétition sur le “je”. C'était un signe qui ne trompait pas. Il était sûr de lui, le petit. Certain de m'avoir pris dans son filet, certain que j'étais encore au stade de victime consentante. Il n'avait pas encore compris que je savais ce qu'il était et que je partageais sa nature profonde. Ah, les ombres dans lesquelles nous nous plaisions à nous perdre. Pas les ténèbres. Ça a un côté trop absolu, les ténèbres. Nous, les agents du chaos, n'aimions rien d'autre que les nuances. Les ombres, c'était fait de lumière et d'obscurité mélangées, diluées, par à-coups et en petites touches, étalées au couteau ou retouchées par pinceau. Tel un peintre, nous confectionnions une image fausse de la réalité, mais tellement plus parlante.
Je le laissais me guider, le laissant s’enorgueillir de m'avoir trompée, paradant dans son rôle, pendant que je tissais à mon tour ma toile. De papillon à araignée. Ce n'était pas la transition dont j'aurais rêvé mais au moins avait-elle le mérite de me plaire.
- « Merci, merci beaucoup. Oh, je vous en prie... » Bataille de politesse et de « petitesse ». Il était pauvre mousse, et j'étais simple agent. Dans la Marine, être femme ne vous donnait aucun passe-droit, aucun coupe-file. Les bonnes manières, comme ouvrir les portes ou ramasser les choses tombées, vous pouviez vous les mettre derrière l'oreille. Et comme j'étais la soldate, je n'étais pas habituée à ce florilège d'attention.
Dans la cantine, où rien ne changeait par rapport aux autres cantines que j'avais pu fréquenter, je pris un thé justement, et un en-cas consistant. Si je devais reprendre la mer, autant avoir l'estomac calé avec de la nourriture un peu plus appétissante. De la soupe, du pain et une part de tarte à la pomme. Des trucs que les cuisiniers de la Marine ne pourraient pas planter, même en essayant. Même moi, je savais faire de la soupe et de la tarte à la pomme. Après des semaines de cantoche BAN, mon estomac n'était pas prêt pour des mets plus... gourmands.
- « Laissez-moi vous offrir quelque chose ? Un café ? Une part de gâteau ? »
Après quelques cuillerées, je pus reprendre mon inspection du gars. Je n'arrivais pas à mettre le doigt sur ce qui me dérangeait chez lui. A priori, il n'avait pas d'autres tics que ceux qu'il se donnait, et les coups d’œil en biais pouvaient être ceux d'une jeune recrue encore intimidée par son affectation et désireux de surveiller ses arrières.
- « Je viens du BAN, j'y ai passé quelques semaines en entraînement spécial... » fis-je en répondant à sa question. Entraînement spécial, tu parles ! Vous en connaissez beaucoup, vous, des Agents des Bureaux, qui se tapaient l'entraînement des Marines d’Élite ? Calvaire oui. Espérons que cela paiera au long terme. Dans mes capacités comme sur mon CV. - « … et je ---!!--- oh, je ne me suis même pas présentée ! Je suis vraiment à compter de mes pompes. Je m'appelle Shaïness, et vous ? »
S'il était ce que je pensais qu'il était, il n'aurait aucun problème à faire face à la situation présente où je n'avais rien dit qu'il ne savait déjà, à part mon nom – ce qui ne l'amenait pas très loin – et où je lui avais redonné la balle. Il était désormais nécessaire pour lui de se « mouiller ». J'avais déjà fait attention à sa commande [ou non commande (HRP)] et ses choix. Désormais j'allais pouvoir jauger de son habilité dans l'art délicat de noyer le poisson...
Cependant, mon infortuné compagnon du moment n'eut pas à me répondre. Une sonnerie s'éleva depuis le système de communication, un hululement sinistre qui vous vrillait les oreilles et fouettait votre sang.
- « Mais c'est quoi, ça ? » croassai-je une fois que mon estomac eût fini sa visite chez mes amygdales.
- « L'alerte météo. » me répondit un Marine en se levant, le visage fermé. « La pluie, le gros temps ? Transformés en tempête, apparemment... » Il jeta un coup d’œil par une des fenêtres encore non obscurcie par un volet en bois. Ah oui, l'efficacité légendaire de la Marine. Le son lugubre venait tout juste de s'arrêter que déjà toute la base avait laissé tomber les activités en cours pour enclencher le processus « ouragan ». « Hum, et pas une gentille, en plus. »
- « Hein ? Mais... mais ça se prévoit, ce genre de trucs. Je veux dire, on n'est pas sur Grand Line non plus. Les aberrations climatiques, ça n'existe pas, sur les Blues ! »
Il haussa les épaules.
- « C'est la saison des tempêtes, et la mer, ben, c'est la mer. Si on dit « changeant comme la mer », c'est pour une raison. »
Non mais merci. J'étais une Raven-Cooper. Le sang de douzaine de générations de Marines coulait dans mes veines. Sans avoir le moindre talent pour la navigation, j'en savais suffisamment, ne serait-ce que théoriquement, sur la mer et ses dangers.
Toutefois, mon attitude, je le compris, venait du fait qu'avoir vécu sur Grand Line avait changé ma perception du monde. Confrontée aux dangers des sept courants, j'avais plus ou moins fini par repousser les Blues dans un coin de mon esprit, dans la case « périphérie pour péquenots. » Pour moi, les Blues étaient des jolies campagnes paisibles où les soit-disant pirates n'étaient que des apprentis-mafiosi sans la moindre perspective d'évolution. Comme quoi, il fallait se méfier de soi-même ; il n'était pas de pire ennemi.
En ma qualité d'hôte éphémère, je fus conduite dans une petite chambrée de six, où il me fut galamment, mais fermement, ordonné d'y rester. N'ayant aucune expérience de ce qui était en train de se passer, j'allais être dans les pattes de tous. Du coup, j'en profitai pour prendre ma douche, profitant d'une salle de bains communes complètement vide. Un petit luxe que j'avais appris à apprécier avec mon passage au BAN, où non seulement les douches étaient rares, mais parfaitement et totalement collectives. « Il n'y a pas d'hommes ou de femmes au BAN, que des soldats !! » avaient souvent gueulé les instructeurs au départ.
Lorsque je revins, toutes les fenêtres avaient été obstruées, aussi je ne pouvais pas voir les vagues hautes comme un homme se projeter sur les murailles pour y mourir en de panachés nuages d'embruns, la luminosité douloureuse des éclairs qui déchiraient les entrailles des nuages bas, lourds et gorgés d'eau. Non, je n'avais que les bourrasques du vent qui s'agrippaient aux murs, tentant d'infiltrer leur doigts crochus à travers le moindre interstices. Ou les tremblements du sol à chaque fois qu'une lame d'eau martelait les remparts. Les gémissements du cyclone qui se muaient en hurlements en rage quand ils rencontraient la résistance du bâtiment.
Pourtant, je dormis comme un loir, et rien de tout cela ne me réveilla... et encore moins l'arrivée de mes compagnes de chambrée. Je me réveillai donc un peu désorientée, mais parfaitement reposée. A tâtons, je récupérai mes affaires, m'habillai et me mis à la recherche d'un moyen de continuer mon voyage loin de tout ça. Le QG Nord n'avait été qu'une étape.
Je déchantai rapidement. Il n'y avait aucune navette disponible pour m'acheminer vers Reverse ou Logue Town. Si pendant la nuit, la tempête était passée, elle ravageait encore des coins de North Blue, et il fallait faire face au sillage de calamités laissé.
- « Partout, on a des civils manquants, emportés par les eaux, ou à la rue, avec des maisons détruites. Les arbres sont couchés sur les routes et les secours n'arrivent pas aussi rapidement qu'il le faudrait ! » me fit savoir un Marine qui semblait ne pas avoir dormi de la nuit. « Vous pensez vraiment que j'ai les moyens de m'occuper de votre petite personne ? »
La question était rhétorique. Je le savais. Mais je ne pouvais pas m'empêcher.
- « Je ne pensais pas que le grain avait été aussi terrible. Encore une fois, les prévisions météos n'ont jamais parlé de ça. »
- « Ouais, ben, les météorologues, c'est comme les CPs! » me fit-il avec un zeste d'agressivité goguenarde. « Ils ne servent jamais à rien, sauf quand ils se plantent. » Il s'était déjà détourné de moi, consultant un message qu'un mousse venait de lui remettre. D'un claquement de doigt – ce que je détestais ça ! - il me retint alors que j'allais tourner les talons. « Minute, papillon ! » En dépit de tout, et notamment de la certitude que personne ici ne connaissant l’existence de mon fruit du démon, mon cœur eut un raté. « Vous ne pensiez pas rentrer vous mettre au sec et vous tourner les pouces ? »
Encore une fois, la question n'appelait pas de réponse, surtout qu'elle aurait été d'un très cru et innocent « ben oui ». Ne venait-on pas de me signifier mon incompétence notaire ?
- « Tenez, puisque vous êtes une lève-tôt, vous écopez du plus facile. » Il me tendit le message.
« L'Hibiscus a été repéré. Échoué sur l'îlot flottant, pas trop d'ici. Prenez donc une navette et trois hommes, et allez remorquer cette vedette. »
- « Hein ? Mais pourquoi moi ? »
- « Pourquoi pas vous ? »
- « Non, ce que je veux dire... Je ne vais servir à rien, sur votre navette. Clairement, vous n'avez pas besoin de moi. »
- « Si. Tous mes sous-off sont occupés ou en repos. Le règlement dit qu'un détachement doit être commandé par un sous-off. Par défaut, un chef d'équipe CP. Vous êtes bien chef d'équipe CP, non ? ALORS AU BOULOT ! Vous n'aurez rien à faire, mes gars connaissent leur métier. Vous restez assise dans la cabine et vous signez les papiers. C'est encore dans vos compétences, non ? »
Certes. Parfois, l'obsession de la Marine à suivre le règlement causera sa perte. Nous, les Bureaux, avions une relation beaucoup plus souple, avec les règles. Nous en respections l'esprit... et prenions une tangente sur la forme. M'enfin... Vu que j'avais besoin d'un navire pour quitter cet endroit, allons chercher l'Hibiscus. Peut-être qu'avec cette vedette supplémentaire, je pourrais prendre congés ?
Steve, John et Matthew étaient des Marines de rang tout ce qu'il y avait de plus classique. Plutôt forts, peu enthousiastes à l'idée de se faire diriger par une femme, ayant tous côtoyés à un moment donné un Raven ou un Cooper. J'évitai ainsi un silence lourd ou une âpre discussion sur qui-faisait-quoi-comment-sur-ce-navire, en passant le temps du trajet à clarifier mes liens de parenté avec tel ou tel lieutenant qu'ils avaient fréquentés lors de diverses affectations. Pour nombreux que nous étions, peu d'entre nous, Raven comme Cooper, avaient pénétré la sphère très fermée des officiers et de la maréchaussée ; nous étions donc une famille « proche du peuple ». A mon plus grand en-chan-te-ment.
La haute mer était encore agitée, et notre navette tressautait sur les vagues, rendant tout échange difficile. Cela m'arrangeait très bien. Je n'avais pas l'intention de laisser les trois Marines réaliser que nous étions d'accord sur le fait que je n'avais rien à faire ici. C'était, et je parlais d'expérience, le meilleur moyen de se retrouver coincée à la pire tâche possible. Or, si je n'avais qu'un rôle administratif, et si j'étais, bon gré mal gré, embarquée dans cette mission, il était hors de question que je fusse réduite à servir le rhum ou masser les pieds. Chef j'étais, sur le papier... et j'entendais bien dans le fait.
- « Voilà l'îlot ! » fit Steve en pointant une masse sombre qui se détachait sur l'horizon. Rapidement, grâce aux talents de navigation du trio, nous étions en bordure de ce bout de terre. Louvoyant avec précaution le long des côtes, pour éviter les bas-fonds, nous fîmes le tour de l'île, jusqu'à apercevoir l'Hibiscus, échoué sur la grève, tel qu'il nous avait été décrit.
- « Mais comment a-t-il fait son compte, celui-ci ? » râlai-je. La vedette gisait sur le flanc assez haut sur la plage de sable rocailleux. Le remettre à flot allait être tout sauf une sinécure.
- « … hum, au moins, il semble intact. Le ramener sera d'autant plus facile. »
A mon tour, je fis plus attention au petit bâtiment. Sans être experte, j'en connaissais assez en charpenterie navale pour savoir, qu'en effet, l'Hibiscus ne semblait avoir souffert d'aucun dégât conséquent. Son unique mat était complet, les voiles repliées avec soin laissaient penser qu'elles étaient sans trou, pas de brèches dans la coque et le gouvernail était entier.
- « La tempête, elle a du pousser le navire plus haut. En tous les cas, chapeau aux gars. Ils ont superbement manœuvré, pour le coup. »
- « Tiens, en parlant d'eux... où est l'équipage ? » John avait déjà sonné la cloche de bord, pour signaler notre arrivée – au cas où nous n'étions pas assez visible, mais personne ne se montra. « Une vedette comme ça... c'est quoi, six personnes ? »
- « Plutôt quatre, voire trois, Ma'am. L'Hibiscus est un un gros portant, il a tout dans la cale. Un équipage réduit suffit à le manœuvrer. Il sert surtout à l'approvisionnement des bases et le commerce local, pas aux combats. »
- « Voyons... Tom MacHannon, Eliott Herserange et Darry Uster... capitaine, Ajax Mérincourt. » fis-je en parcourant le dossier très succinct qu'on m'avait remis. « Vous les connaissez ? »
- « Non pas plus ça. »
- « Pourquoi vous faites cette tête, alors ? »
- « C'est que ce n'est pas l'équipage habituel de l'Hibiscus. Je le sais, d'habitude, il y a Sean Ferby dessus, et ce fils de pute me doit plusieurs de tours de gardes, mais à chaque fois, il est en tournée de ravitaillement et il me la met profond... je veux dire.... »
- « Ce n'est pas la peine. Je sors du BAN, et de toutes les façons, on ne parle pas mieux dans les Bureaux. »
- « … je vous vois mal jurer. Sans offense. »
- « Nulle faite. Je suis un cas très spécial, moi. »
L'un des gars grommela un « on l'aura deviné » dans sa barbe, et je lui dédiai un sourire fourbe. Là, il se raidit, rougit, et commença à compter ses abattis. Nan mais oh !
- « PAREZ A LA MANOEUVRE !! » gueula soudain Steve en ramenant la voile tandis que les balustres gonflés étaient jetés.
- « Bah besoin de hurler, on vous entend très bien comme ça. Vous n'êtes pas sur le Lévianthan non plus. »
- « … dans la Marine, on gueule. Et puis d'abord, qu'est-ce que ça peut bien faire ? On n'est pas en mission d'espionnage pour le Bureau. »
Ce qu'un Marine pouvait être bouché ! Je levai les yeux aux cieux.
- « Ben, ça va peut-être arriver, mon grand. C'est louche, qu'il n'y ait personne. Pas un des 4 gars ne se s'est montré. On a des armes, à bord ? »
- « Nan, mais faut arrêter de voir des complots partout, la CP ! »
- « Sauf que c'est ce qui m'a maintenu en vie jusqu'à présent, et je ne compte pas m'arrêter. Alors, on s'arme, on fait gaffe et on fait un minimum discret. John, vous êtes le doc pour le coup. Steve, préparez la navette pour partir rapidement. On ne sait jamais, et j'ai un super mauvais pressentiment, là. »
- « Chef, oui, chef.. »
L'inspection de l'Hibiscus ne prit pas plus de temps que ça : le navire était comme sortant du port, et il n'y avait aucun signe de violence ou autre.
- « La pluie aura effacé les traces. »
- « Attendez deux secondes, soyons logique, là. L'Hibicus s'est vautré sur la plage--. »
- « Échoué, ma'am, on dit échoué. »
- « Si ça vous fait plaisir. Donc, il s'est vautré à cause de la tempête... et l'équipage ne reste pas à bord pour éviter la pluie ? Au contraire, il serait sorti ? Tous ? »
- « ….. y'a pas de signe de danger qui expliquerait cette sortie... » me concéda Matthew, pendant que John tentait de trouver une piste à suivre dans la forêt qui commençait dès que la plage s'arrêtait.
- « Hum, vous qui vous y connaissez en navires et procédures et tout ça... si l'Hibiscus avait été au mouillage AVANT la tempête... il aurait été plus ou moins au niveau de notre navire à nous, c'est ça ? »
- « Plus ou moins, oui. »
- « Et si l'Hibiscus a été laissé vide et sans surveillance, est-ce que cela pourrait expliquer pourquoi il est monté si haut sur la plage ? Avec les vagues de la tempête ? »
- « Oui, ça semble coller. Surtout avec la cale vide comme ça. »
- « Donc... dans votre manuel, qu'est-ce qui justifierait que tout un équipage quitte son navire, comme ça, sans même radiophoner ? »
- « Hum, ils ont peut-être tenté de contacter la Base. Avec la tempête, les escargophones sont parfois mal au point. On n'a pas le matériel le plus récent, vous savez. Mais bon... s'il n'y a pas de danger immédiat à bord, la seule raison d'évacuer un navire, c'est en cas de force majeure extérieure au corps naviguant. »
- « Euh, comme... un signal de détresse ? »
- « Oui, voilà. Techniquement, en cas de signal de détresse ou quelque chose d'approchant, on fait comme vous avez fait : un membre à bord qui reste pour le 'au cas où', le reste en éclaireur circonspect. »
- « Un éclaireur circonspect ? Vraiment ? Y'a ça dans vos manuels ? »
- « Oui ma'am. Y'a quoi, dans les manuels CPs ? »
- « Aucune idée. Une des règles de base des CPs est qu'on ne lit pas les manuels. Ça bloque les capacités d'improvisation. »
- « Ben ça explique beaucoup de choses. »
- « … …. allez donc éclairer circonspectement plus loin, voulez-vous ? »
- « Oui ma'am. »
Il y avait quelque chose qui ne collait pas. Mes instincts de CP hurlaient en moi qui c'était plus que louche. Je finis par prendre le manifeste de route et à coups de geppo, rejoignis Steve, l'expert en navigation.
- « Voulez-vous bien m'expliquer leur carnet de route ? Ils avaient fini leur tournée ou pas ? Ils étaient sur le retour ? »
- « Hum... non pas vraiment. En fait, ils n'avaient rien à faire dans le coin. M'enfin, vu que l'équipage a changé, on a peut-être affaire à un changement de mission. »
- « Sans que ça ne soit répertorié ? En trois exemplaires ? »
Steve haussa les épaules, un peu mouché par mon ironie.
- « J'sais. Ils étaient peut-être en mission secrète ou je ne sais pas. C'est votre domaine, non, les missions secrètes ? »
- « Il faut arrêter de voir le mal partout. Vu comment on m'a refilé cette mission, ce n'était vraiment pas parce que j'étais CP. Si ça avait été le cas, j'aurais eu un mini briefing. Au moins un mot d'avertissement. »
- « En trois exemplaires ? »
- « Pensez-vous. Aucune trace écrite, voyons. Bon, ces gars, MacHannon and Mérincourt, vous les connaissez ? Des Marines de chez vous ? » Ou étaient-ils des Cps sous couverture ?
- « Non, ils sont de chez nous. Ce ne sont pas les réguliers de l'Hibiscus, mais ils sont du QG. Alors quoi ? »
- « La réponse la plus évidente est donc qu'on a affaire à des Marines qui font du détournement de marchandises. A voir les raisons de ce détournement. »
- « De la corruption, à North Blue ? »
- « La corruption a ça qu'elle est universelle. »
- « Mais... pourquoi avoir choisi l'îlot flottant pour faire du trafic de marchandises ? »
- « Mais qu'est-ce que j'en sais, moi ? C'est vous, les experts locaux ! Y'a quoi, sur vot' satané caillou ? »
- « De la jungle et des cannibales. »
- « … souhaitons pour tous que vos quatre gars se sont sentis des âmes de missionnaires culinaires. »
- « C'est pratique, votre truc. On ne se mouille pas les pieds. »
- « Ouais, hein ? Ça s'appelle le geppo. Vous devriez essayer, un jour. Bon vous avez quoi, pour moi ? »
- « Une piste. Enfin on croit. Trop gros pour des animaux classiques, mais avec toute cette eau, difficile de dire si c'est humain ou un gros croco. »
- « Génial... Bon, Matthew, vous restez ici avec Steve pour commencer à remettre l'Hibiscus à flot. John et moi, on va tenter de retrouver Ajax and co. L'un dans l'autre, si dans quatre heures, on n'est pas revenu ou donné signe de vie, vous rentrez, avec ou sans l'Hibiscus et vous donnez l'alerte. »
- « Pourquoi on ne la donne pas maintenant ?. »
- « Déjà, on n'en sait pas assez. Et si les gars étaient juste là, sans aucun bobo ou rien ? Et puis, passer à côté d'une chance de briller ? Ne me dites pas que vous avez envie de rester plancton toute votre vie. Un peu d'initiative. Beaucoup de gloire, peu de risques. »
- « Pas sur l'îlot flottant, ma'am. »
- « Si j'y vais, vous aussi. Deux heures aller, deux heures retour. Ça ne va pas vous tuer. »
- « C'est vous qui le dites, ma'am. »
Des pouilles mouillées, ces hommes. Pas un pour en rattraper un autre. J'vous jure.
Docteur John et moi avancions précautionneusement. Déjà, pour ne pas se maraver la tronche sur une feuille de bananier glissante ou mettre le pied dans un trou ; en plus, pour ne pas perdre la piste. Pour le moment, la jungle autour de nous vrombissait de bruits d'insectes et d'animaux qui se déplaçaient furtivement autour de nous. Pas de prédateur à l’affût donc, même si je n'aimais pas me savoir entourer de bestioles que je ne voyais pas.
Au bout d'un moment nous étions profondément engagés dans la jungle, à tel point que la canopée au-dessus de nous occultait la lumière en bonne partie. Ce qui voulait dire que la pluie avait fait moins de dégâts ici et John put confirmer qu'on suivait bien la trace de quatre hommes.
- « Hum vous êtes capables de voire s'ils étaient lourdement chargés ? »
- « Heu... attendez... non pas plus que ça. »
Donc les marchandises de l'Hibiscus avaient été déchargées après leur départ, et surtout, sans laisser de trace. Je n'imaginais pas les Marines faire de la manutention pendant la tempête, mais c'était pourtant la seule explication à la « volatilisation » du cargo, sans empreinte ou preuve.
Nous continuâmes, et bientôt, je savais que nous devrions faire demi-tour pour revenir à notre vedette à temps. Hors de question de passer la nuit ici ! Pourtant, ni John ni moi ne ralentissions. Bien au contraire. Plusieurs fois, nous perdîmes la piste, ce qui nous obligea à marcher en cercles de plus en plus larges, jusqu'à retrouver un semblant d'indice.
- « Une chose est sûre : nos gars savaient où ils allaient. La piste est assez droite, elle ne dérive pas. Pas d'hésitation, de retour en arrière ou autre. »
- « S'il y a destination précise, c'est qu'il y a une raison logique. Vous êtes certain de ne voir que leurs traces à eux ? »
- « Hé, je suis Marine, canonnier avec un peu d'expérience en bandages, et tout autour en baroudage. Pas pisteur professionnel. JE ne vois pas d'autres traces, ça ne veut pas dire qu'il n'y en a pas. Mais je n'ai pas vu de trace de bagarre, et les gars n'étaient du genre à se laisser compter misère comme ça. »
- « Sauf s'ils étaient avec des contacts connus. »
- « … ce n'est pas que je veuille défendre l'honneur de mon QG ou autre à tout point, mais j'vais vous dire, honnêtement. Des îles dans le coin, pour faire du trafic, il y en a suffisamment pour ne pas avoir choisi ce trou pourri. Même les pirates et les révos l'évitent. Donc soit l'Hibiscus était, pour une raison X, dans le coin au moment de la tempête et l'équipage a tenté de se réfugier ici, soit les gars étaient ici pour une raison bien meilleure que trafic quelques barils de bœuf séché et de bière acre. »
C'était logique, et ça ne nous menait à rien.
- « Bon, on rentre. On reviendra avec des troupes en plus. Pour le moment, on ne peut rien faire, et clairement, vos Marines sont venus ici chercher des ennuis. On ne va pas mettre en danger l'équipement du QG et nos vies pour ça. Et si j'ai tort... ben, ça sera ma décision de putain de CP, pas la vôtre. Vous avez même le droit de protester haut et fort contre ma décision. »
- « En fait, je ne vais pas protester, et même pas haut et fort. » me chuchota John. Pourtant sa voix porta. Fallait dire, autour de nous, c'était un silence... de mort...
Je revins à moi sans me souvenir de m'être assoupie. L'espace d'un instant, je fus complètement déboussolée avant que ne me revinssent en mémoire la tempête, l'Hibiscus et notre laborieuse avancée dans la jungle, jusqu'au moment où nous nous fussions tapis, tous les sens à l’affût... jusqu'à ce que la pression ne devinsse trop fort et que nous nous mîmes, en dépit de toute raison et entraînement, à cavaler vers la plage.
En me redressant, je réalisai que j'étais libre de mes mouvements, sans entrave quelconque, mais aussi faible qu'un agneau. Aucune blessure apparente ou autre, si ce n'était une étrange boule, comme une sorte de piqûre, au niveau de mon cou. Voici donc ce qui m'était arrivé : tirée à la sarbacane comme un pigeon. La drogue m'avait plongée dans l'inconscience presque immédiatement, et elle continuait de m'affecter. J'étais ainsi chez les cannibales. Qui d'autre sur cette île aurait pris la peine de m'endormir et me traîner ici, quoi que fut ce 'ici' ? Un crocodile m'aurait attaquée violemment et m'aurait boulottée sur place.
Tandis que je prenais mes esprits, je me rendis compte que j'étais dans une sorte de cave suffisamment profonde pour que la lumière de l'entrée ne fût qu'une lueur diffuse. Le temps que mes yeux fussent habitués à la pénombre, j'avais distingué les formes de tonneaux et de sacs : le cargo manquant de l'Hibiscus. Rapidement, j'explorai les alentours, avec les mains tendues pour palier à toute surprise. Je rencontrai donc bientôt le corps de John. Lui était encore sonné, mais je sus le réveiller efficacement.
A deux, nous nous approchâmes de l'entrée. J'avais vu juste : une grotte, avec plusieurs couloirs qui partaient en descente vers le cœur de l'île. Elle donnait sur une sorte de clairière dans la jungle. C'était un espace de terre battue, un cercle sommaire d'une centaine de mètres de rayon à vue de nez, entouré par la mangrove. Le terrain était de plus en plus boueux au fur et à mesure on s'éloignait du camp, où une dizaine d'hommes et de femmes s'affairait autour du reste d'un brasier.
- « Oh putain de bon dieu.... » John avait blêmi en réalisant que ce n'était pas un brasier, mais un tourne-broche et que la forme qui était en train de rôtir était indubitablement humaine.
- « Allons mon vieux, c'est peut-être l'un des leurs ? » Je n'en menai pas plus large. C'était une chose que de savoir qu'il y avait des cannibales. C'était une autre que de se retrouver nez à nez avec eux.
- « J'crois pas, non. » Autant en emporte le vent, mes espoirs aveugles venaient d'être dispersés.
- « Bon, ce n'est pas le moment de flancher. Vous, vous allez vous échapper et retourner à la plage. Il faut encore jour, on n'a pas été assommé si longtemps que ça, ce qui veut dire qu'on ne doit pas être si loin de l'Hibiscus. Moi, je reste ici et je fais diversion. Alors, vous en profitez pour filer et appeler des renforts. »
- « Mais, et vous ? »
- « Ben quoi, moi ? J'ai dit : je fais diversion. »
- « Mais je ne vais pas vous laisser seule et encore moins vous sacrifier !! »
- « Nan, c'est gentil, mais rassurez-vous, je n'ai aucune intention de me sacrifier. »
- « Mais c'est débile ! Vous allez crever ! »
- « John, chacun sa spécialité. Vous êtes un canonnier avec des bouts de savoir en bandages et en baroudage. Ça fait de vous l'homme de la situation pour se tirer de la mangrove et de la jungle. Moi, je vous ralentirais, et seule, je me ferais bouffer par les moustiques. Par contre, je suis l'experte en discrétion et camouflage. Si quelqu'un doit survivre sur ce camp, c'est bien moi. En plus, je n'abandonne pas l'espoir de retrouver les autres gars de l'équipage. »
- « … je n'aime pas ça ! »
- « Parce que vous croyez que moi, oui ? »
Un peu plus tard, je me précipitai hors de la cave en hurlant comme une demeurée, allant droit vers le feu, pendant que John profitait du chaos pour se tirer. A ce moment, je réalisai que les cannibales vivaient sous terre, dans les couloirs. Ils sortaient dans mon dos en file continue. Avec un rankyaku, je fis voler le tourne-broche dans les airs. La plupart des indigènes se précipitèrent pour sauver leur repas avant qu'il ne tombât dans la gadoue. J'en profitais pour faire exploser le feu. Des nuages de fumée s'élevèrent et dans la confusion, je me changeai en papillon, disparaissant ainsi du radar de mes geôliers.
J'espérai que John s'en sortait mieux que moi. Je ne savais pas ce que les cannibales mettaient dans leur drogue, mais c'était assez puissant pour nous avoir fait tomber rapidement, et pour continuer à m'affecter bien après mon réveil. Oh, faites que ça donne un goût immonde à la viande, tiens. pensai-je alors. Quitte à mourir, autant faire maronner ses ravisseurs. Et quelque part, c'était encore me donner une lueur d'espoir : celui qui, s'ils me rattrapaient – et à ce moment, ça semblait plus être une affaire de 'quand' que 'si' – ils me laissassent en vie encore un peu, le temps d'évacuer la toxine en moi.
La drogue me donnait notamment des troubles de l'équilibre. Ce qui, en forme papillon, était très dérangeant. En plus, elle m'empêchait de me concentrer. Déjà qu'en mode animal, j'avais du mal à garder le contrôle sur mes pensées papillonnantes, mais là ? Je me retrouvais à faire des trucs de papillons pendant que mon moi-intérieur se perdait en contemplation de questionnements métaphysiques. Et ce que ça pouvait être con, un papillon ! Entre autre, ça avait des tendances masochistes : le feu l'attirait irrémédiablement, alors que ça lui était mortel. Une chance pour moi que la douleur me fît revenir à moi à chaque fois à temps pour éviter le pire. Mais j'héritai de plusieurs brûlures, et je savais que ça allait former des cloques.
L'exploration des tunnels allait lentement. Entre ma faiblesse générale, ma dispersion mentale et le fait que je devais me montrer prudente, j'avançais presque pas à pas. Quelque chose me disait qu'un papillon rose ne passerait pas inaperçu parmi ces gens qui vivaient très... en symbiose... avec la nature. Cannibales oui, et entomologistes, sans nul doute. Ne serait-ce pour savoir si tel ou tel papillon pouvait se faire frire avec des épices.
Au bout d'un moment, je tombai sur ce que je cherchais. J'avais pénétré assez profondément sous terre, ou du moins, c'était ce que je pensais. Il faisait froid ici, et les couloirs n'étaient que très chichement éclairés, voire même pas du tout. La salle où je débouchai servait ainsi de garder manger. Comprendre qu'elle gardait la viande au frais, et par viande, je voulais bien entendu signifier les corps. En l’occurrence, une demi-douzaine, dont un de petite taille, comme un enfant ou un vieux ratatiné.
Parmi ces silhouettes, deux bougeaient encore.
Reculant dans le couloir, je repris forme humaine, pour garder mon fruit secret. Puis je m'approchai à pas de loup, comme si je découvrais la salle pour la première fois.
- « Mérincourt ? Her--- » J'avais à peine commencé à chuchoter le noms des Marines que je cherchais, qu'un des vivants (pas encore totalement mort) sursautait et scrutai les ombres à ma recherche.
- « Qui--- ? »
- « Agent Raven-Cooper, CP5. Vous allez bien ? » J'étais maintenant à ses côtés, tentant de voir quelque chose. Mais je n'avais que des formes, et rien de plus.
- « Un méchant coup de sagaie dans le flanc, mais ça va encore. Uster, par contre... Il a beaucoup saigné et j'ai peur que leur satané poison ne l'affaiblisse encore plus. »
- « Et les deux autres ? »
- « MacHannon est mort pendant le combat. Paf, sous mes yeux. Et Herserange a été emporté ce matin. »
- « Il y a un … corps... dehors... » fis-je avec précaution. Je n'avais jamais été très douée à annoncer la mort des proches.
- « Herserange, j'en suis sûr. Ils ont bouffé Tom cru. Devant nos yeux. »
- « Eww. C'est déjà assez moche d'être cannibales pour en rajouter.... » Et je me mordis la langue. Cependant, Mérincourt avait d'autres chats à fouetter.
- « Bon, aidez-moi à soulever Uster. »
Cahin-caha, nous réussîmes à nous mettre en route.
- « Mais qu'est-ce qu'il s'est passé ? » demandai-je alors que nous remontions le couloir. Je ne savais pas encore comment nous allions nous sortir d'ici en évitant tous les sauvages du coin. Surtout avec un poids sur les bras. Uster n'était pas mort, ni inconscient. Il était juste en proie à une fièvre féroce.
- « Non, pas par ici !!! » Mérincourt m'exhorta à prendre un autre couloir qui partait encore plus vers les entrailles de l'île.
- « Hein ? »
- « … Écoutez, je connais cette île, d'accord ? Je sais qu'il y a un moyen de sortir, dans le coin. »
- « Nan, mais comment ça, vous connaissez cette île ? Depuis quand cette île est connaissable ? »
- « Ce n'est pas le moment ! Je vous expliquerai plus tard, là, il faut se tirer rapidement. »
Plus tard, Ajax Mérincourt m'avoua le dessous de cette affaire. Nous prenions une pause bien méritée. J'avais l'impression que ça faisait des heures que nous marchions, mais il m'assurait que cela faisait moins d'une heure. L'un dans l'autre, la navette avec Steven, John et Matthew était partie. Il n'y avait donc aucune urgence à quitter les tunnels qui nous offraient encore un peu de couverture. Une fois dehors, nous étions aussi à découvert que des oies dans les plaines en période de chasse. Ceci dit, je donnerais beaucoup, à ce moment, pour revoir la couleur du ciel.
Uster nous ralentissait, mais l'espoir de se tirer du coin lui redonnait des forces. Le capitaine de l'Hibiscus tenta de me servir une histoire abracadabrante que je ne crus pas une seconde. Je me fâchais, les menaçais de les abandonner purement et simplement. Là, Darry Uster gémit :
- « Non, pitié ! Ne me laissez pas me manger ! Je renonce, je renonce ! C'est la malédiction du trésor !! »
- « De quoi il parle ? » Mais à ce moment, il était presque hystérique et je dus lui foutre une claque pour le calmer. Suite à quoi, nous déguerpîmes rapidement, la peur au ventre. Et si ses cris avaient attiré les cannibales ?
Plus tard donc, le Marine passa aux aveux.
- « Il se trouve que sur cette île, il y a un trésor. Mes gars et moi voulions le récupérer ni vu, ni connu. On a profité de la tempête pour venir ici. On aurait prétexté qu'on avait dérivé et tout. On avait prévu de pousser les sauvages loin de leur caverne en les attirant avec la nourriture. Encore une fois, on aurait dit qu'on l'avait passé par dessus bord à cause de la tempête. »
- « Je croyais que cette tempête, personne ne l'attendait.... »
- « Je... j'ai trafiqué les infos météo. C'était mon rôle, dans cette histoire. Je ne devais pas être ici ! Ils devaient se débrouiller et m'apporter ma part du trésor ! » pleurnicha Darry.
- « Ta gueule, Uster. Vu comment tu as tenté de te défiler et d'aller cafter au commandant, on a bien été obligé de te prendre avec nous... »
- « Et pourquoi votre plan ne s'est pas passé comme vous le vouliez ? » Parce que je le trouvais bien ficelé, moi.
- « J'en ai foutrement aucune idée. Notre « offrande » sur la plage n'a pas eu l'air de plaire. Ou peut-être qu'on est arrivé pendant un jour férié chez eux. Allez savoir, avec ces maudits cannibales ! Ils nous ont poursuivis et attaqués, et on s'est réveillé là où vous nous avez trouvé. »
- « D'accord. Mais dans ce cas, comment savez-vous où vous allez ? »
Ajax me dévoila son bras. Comme beaucoup de Marines, il avait des tatouages sur le corps. A la lueur des torches que nous avions fabriqué avec les moyens du bord, je distinguai des lignes.
- « Euh ? »
- « C'est la carte au trésor. »
- « Mais bien sûr. Comment vous avez où ça, vous ? »
- « Pour faire court, j'ai été... une sorte de contrebandier plus jeune, avant de rejoindre la Marine. J'ai traîné dans les mauvais endroits, avec les mauvais gens. Billy Un-oeil n'arrêtait pas de me bassiner avec cette histoire de trésor. Il tenait la carte de son père, qui l'a tenait de son capitaine à lui. A l'époque, l'îlot n'était pas aussi pourri, même si c'était déjà une belle galère. Et le vieux de Billy avait toujours juré qu'il irait retrouver le butin qu'il avait enterré là avec son équipage. Billy disait que le capitaine de son paternel avait vogué avec Roger D. Gol, mais j'n'y crois pas. Question d'âge et tout ça. L'un dans l'autre, Billy s'est fait tatoué par son père qui s'était fait tatoué par son capitaine, et peut-être que lui s'était fait tatoué par D. Gol... Et Le Billy Un-oeil m'a tatoué en retour, sur son lit de mort. »
- « … comme ça ? Ça vous arrive souvent de faire tatouer n'importe quoi par n'importe qui ? » Excusez-moi de douter la véracité de cette histoire, puisqu'elle cautionnait celle de la carte, qui à son tour cautionnait notre survie. Si ça se trouvait on était en train de suivre des lignes qui ne voulaient rien dire. Bientôt, il allait me sortir qu'on allait trouver le One Piece...
- « Déjà, j'étais complètement ivre mort. Et j'ai moi-même longtemps douté, jusqu'à ce que... Bon, vous avez bien vu, jusqu'à présent, la carte n'a pas menti. » Ouais, pour le moment, on avait tracé droit. Pas de piège, pas d'impasse.
- « Bon, supposons que la carte soit vraiment la carte des tunnels... même si je ne comprends pas vraiment comment elle s'est retrouvée sur le bras du capitaine du père de Billy Un-oeil et par héritage, le vôtre. Rien que ça, ça rend votre histoire louche. Mais bon, admettons. Malgré tout ça, vous y croyez ? A cette histoire de trésor ? Alors que c'est clairement de la fumette ? Entre une carte qui correspond à quelque chose, et une carte qui mène à un trésor, il y a des grosses différences. »
- « Billy Un-oeil... il n'avait qu'un œil... mais deux orbites bien pleines. A la place de son œil gauche, il avait un rubis. »
- « Le rubis maudit !! Ce trésor est maudit !! »
- « Ta gueule, Uster. » « Ta gueule, Uster. »
- « Montre-lui, Merincourt ! Elle doit comprendre !! Elle comprendra, quand tu lui montrera. »
- « Bon, montrez-moi, alors. Si je dois lui refoutre une mandale, j'ai peur qu'il ne s'en remette pas. »
Clairement Ajax n'était pas enchanté à l'idée de me montrer. Pourtant, il n'avait pas le choix. Il finit donc par me dévoiler une superbe pierre, de la taille d'un œuf de caille. Il n'était que très partiellement taillé, pourtant sa pureté se voyait à l’œil nu. J'avais déjà vu des bijoux, et des beaux, mais à ce moment, je compris la différence entre bijou et joyau. Une fois ciselé, il allait être une petite merveille.
- « … …. il a vraiment vécu avec ça dans son orbite vide ? » Parlez d'un gâchis ! Et puis, beurk, question hygiénique...
- « Oui ! Et ça prouve bien que le trésor vaut bien plus ça. »
- « Bon, d'accord, d'accord. Il y a un trésor, et votre carte est réelle. Du coup, c'est par où, la sortie ? » Curieuse, et surtout décidée à ne pas dépendre du savoir d'un seul – surtout que le un seul n'est pas moi – je me penchais sur son bras. « Comment ça se lit, tout ça ? »
Ajax me retira son membre d'un geste brusque.
- « Chut... j'ai entendu du bruit. »
Dernière édition par Shaïness Raven-Cooper le Ven 16 Oct 2015 - 0:34, édité 1 fois
Il fallait croire que les cannibales avaient une carte eux-aussi, et qu'ils savaient où nous allions. Bah, ce n'était pas parce qu'ils étaient anthropophages et sauvages qu'ils étaient bêtes. J'avais vraiment une tendance certaine à sous-estimer les gens qui ne connaissaient pas la crème de nuit et le tofu, moi.
Commença alors une cavalcade dans les couloirs de l'île. A un moment donné, j'ai pensé qu'à ce rythme, nous n'étions plus sous l'île, mais quelque part sous l'océan, ou en train de plonger vers le cœur bouillant de la planète. Ce n'était pas possible de faire tout ce chemin, tout en restant sur (ou sous) ce caillou inhospitalier. Uster, entre Mérincourt et moi, avait de plus en plus de mal à suivre le rythme. Le doute me taraudait : pourrais-je l'abandonner à son triste sort pour sauver ma couenne ? Fondamentalement oui. Pourtant, j'étais là, à le tirer et à le pousser, quitte à perdre mes forces pour rien. Ensuite, une autre question, plus pernicieuse, se posait : dans l'optique où nous devrions continuer sans lui, aurais-je ce qu'il fallait de courage et d'honneur pour mettre fin à ses jours avant qu'il ne se fît attraper par les cannibales. Ils semblaient aimer la viande crue, et même sans ça... à quoi bon le laisser entre les mains de ceux qui allaient le torturer ? Ah peut-être allait-il espérer... pouvais-je seulement lui faire miroiter un sursis: celui de revenir le chercher ? Je ne pouvais pas jurer que le Gouvernement irait déplacer des troupes juste pour sauver un mec qui s'était mis tout seul dans ce merdier.
- « Vous êtes horrible !!! Vous l'avez tué !!! » Si je chuchotais, c'était autant par manque de forces que par précaution. J'étais à bout, physiquement et moralement. Tout le bien-être apporté par la bonne nuit de sommeil venait de s'envoler, et le stress de la situation me rendait presque hystérique. Presque. « Vous... vous êtes un monstre ! » crachai-je
- « Ouais, ouais, si tu veux. T'oublies juste que je t'ai sauvé la vie ! »
- « En quoi balancer Uster depuis la corniche m'a sauvé la vie, hein ? »
- « Mais réveille-toi, petite ! Il était dans ton dos, et il était près à faire la même chose pour toi, que ce que je lui ai fais !! »
Mérincourt se pencha sur moi, pour me bander la cheville à l'aide d'un pan de sa chemise. Je ne pus retenir un sursaut de... oui, de peur. Je revoyais la scène comme si c'était hier. Pour cause, ça ne faisait pas cinq minutes. Les cannibales nous avaient retrouvés dans les couloirs, et nous avions dû fuir. Acculés dans une sorte de caverne, nous avions crus notre dernière heure venue, quand, alors que notre torche s'éteignait dans un ultime grésillement, nous avions voir une faible lueur se découper sur la paroi, quelques mètres au-dessus de nous. Un couloir, un boyau, quelque chose, et clairement (et c'était le cas de le dire), qui menait vers de la lumière !
Un geppo ou deux plus tard, j'avais atteint l'endroit et je tentai de hisser Uster à l'aide d'une corde improvisée par les deux chemises Marines nouées ensemble. Les bruits se rapprochaient, dans quelques instants, les sauvages seraient là, et en grand nombre. Darry arriva, gémissant de plus bel. Pff, s'il avait encore de l'énergie pour se plaindre, il pourrait la concentrer dans ses bras. Puis ce fut au tour d'Ajax. Le capitaine de l'Hibiscus était handicapé par sa plaie au ventre, et si pour le moment, il avait tenu le rythme, c'était parce qu'il était une force de la nature. Cela allait se retourner contre lui. Fort et lourd, il luttait contre la gravité plus que la fatigue dans sa tentative de grimper.
- « Uster, venez m'aider ! » le pressai-je, alors que je me penchai vers Mérincourt pour l'aider à monter. La tête de ce dernier apparut, puis il saisit mon bras pour se stabiliser et entreprit enfin de hisser sa masse sur le bout de rocher. Au même moment, nos poursuivants déboulèrent dans la salle. S'ils furent étonnés de ne pas nous y voir, ils trouvèrent rapidement notre moyen de sortie ; ils se précipitèrent sur « la corde » que je m'empressai de remonter. « Pfff, surtout ne vous press---. » Malgré toute ma lassitude, j'avais le reproche aux lèvres à l'encontre de Darry qui n'avait rien fait.
Et ce fut à ce moment que Darry Uster passa par-dessus bord. Empoigné par Ajax, il fut propulsé en avant, dans le vide. Il eut à peine le temps de commencer à hurler qu'il retombait dans les bras des cannibales, qui n'en firent qu'une bouchée. Encore une fois, c'était le cas de le dire. Prise de haut-le-corps, je me serais écroulée sur place, si Mérincourt ne m'avait pas attrapée et tirée, me faisant me tordre la cheville au passage.
- « Mais c'est débile ! Me tuer ne lui aurait servit à rien ! Bien au contraire ! »
- « Non. Il avait très bien calculé son coup. Sans toi au milieu, il avait alors toute mon aide pour continuer à avancer, sans avoir la peur de se voir abandonné. »
- « On ne l'aurait pas abandonné ! » protestai-je. « JE ne l'aurais pas abandonné, et certainement pas VO--... quoi, vous l'auriez abandonné ? » Cette fois, c'était fini, j'avais peur. Non plus de la dizaines de carnivores humains qui étaient en train de se carapater dans les tunnels pour nous retrouver, mais de l'homme en face de moi.
- « Techniquement, je l'ai déjà fait. » me répondit-il placidement en me remettant sur pieds.
Il se mit à marcher, et cahin-caha, je le suivis, en dépit de mon envie de mettre le plus de distance entre nous. Mais il avait la carte. Et n'en déplaise à mon sens moral très, très développé, il était encore ma meilleure chance de survie.
- « Qu'est-ce qui me dit que vous n'allez pas me faire à moi, ce que vous lui avez fait, à lui ? »
- «Tu ne l'aurais pas abandonné, si ce n'était contrainte et forcée, et ça aurait été trop tard. Tu n'allais pas me faire un coup dans le dos, alors qu'Uster ne s'était pas gêné. Il était prêt à te pousser. Tu penses que j'ai envie de rester seul avec lui ? Alors je l'ai dégagé. »
- « En fait, vous l'avez fait plus pour vous, que pour moi. » lâchai-je amèrement.
- « ... »
Je ne sais toujours pas s'il aurait été préférable qu'il me répondît quelque chose.
La lueur que nous avions pensé être de la lumière du jour filtrant depuis la surface se trouva être une sorte de champignons luminescents. Ce n'était pas encore ça, mais tout espoir n'était pas perdu. Pour briller, il fallait bien qu'ils engrangeassent de la lumière à un moment donné. Ça voulait bien dire qu'il y avait un moyen de sortir, quelque part.
Pour le moment, le couloir n'offrait qu'une direction, et comme il remontait un peu, je me pris à y croire. J'étais passée devant Mérincourt – plus grand que moi, il me cachait la lumière – et sans m'en rendre compte, j'avais pressé le pas, entorse ou pas. Autant dire que mes espoirs furent âprement balayés quand nous nous retrouvâmes dans une autre salle, en tout point comparable à celle d'avant où Uster était mort. Cette fois, la lumière provenait bel et bien du soleil, à travers d'infimes craquelures dans le plafond. Mais elle parvenait de tellement loin. Pour autant que je pus en juger, il y avait une certaine épaisseur entre nous et la surface.
- « Je peux faire péter tout ça à coup de pieds, je pense.. » Déjà, je m'apprêtais à taper sur la pierre.
- « Tudieu ! Tu veux nous faire tomber la colline entière sur la tronche !?!?! »
- « T'as une meilleure idée, peut-être ? » râlai-je. Le « vous » de circonstance avait volé en éclats après sa stupéfiante révélation sur son soi-intérieur.
- « Ouais, c'est par là. »
Il me désigna un des quelques couloirs qui partaient s'engouffrer dans de nouvelles couches de ténèbres. Docilement, je le suivis. Pourtant, alors que nous tâtonnions dans le noir, nous éclairant chichement par des poignées de champignons arrachés à la paroi – beeeurk – me vint finalement l'épiphanie.
- « Mérincourt ? » Il me grogna un truc que je pris pour un accord à continuer. « Ôte-moi d'un vilain doute, là... mais ta carte, et le chemin qu'on suit, c'est pour la sortie, hein ? »
- « ... »
- « Hein ?.. »
- « ... »
- « MAIS PUTA*N DE B*RDEL J'N'Y CROIS !!! TU-ES-EN-CO-RE-SUR-LE-FOUTRE-DE-MER-DE-DE-TRE-SOR !!! » A chaque syllabe, je lui jetai des champignons – re beeeeruk – à la tête. Bientôt, je fus à court de munitions et surtout, à court de souffle.
Il sortit des ombre, se dressant devant moi, et là, je compris. C'était un pirate. Il n'avait jamais été Marine. Les pourquoi du comment de son enrôlement n'avaient aucun intérêt. Sûrement une décision contrainte et forcée, pour éviter la corde. Jamais il n'avait fait sien l'esprit de justice, ou l'esprit de corps. Pas étonnant, donc, qu'il eût été prêt à sacrifier cargaison, navire et hommes dans sa recherche de son trésor.
- « Est-ce que tu as seulement eu l'intention de partager, ce trésor ? Ou est-ce que depuis le début, tu avais prévu de tous les tuer ? »
- « Mais qu'est-ce que tu baragouines ? Bien entendu que j'allais partager. Mais tu crois quoi ? Que j'allais prendre le trésor, le charger seul dans l'Hibiscus et me barrer ? Mais il faut au moins deux hommes de plus pour manœuvrer cette coque de noix. En plus, j'aurais eu les Marines rapidement au cul. Non, l'idée était de remonter le trésor, de le planquer, et de faire profil bas. Puis on aurait arrangé notre sortie, pour aller se la couler douce sur Grande Line et même au-delà. »
- « Oui, mais bien sûr. Le noble Ajax. Bien, c'est du propre, tiens ! »
- « Crois ce que tu veux. N'oublie pas que tu es encore en vie, alors que tu connais le secret de notre expédition. »
- « Parce que tu as besoin de moi, pardi ! » A ma grande surprise, il éclata de rire.
- « Mais tu ne sers à rien ! Tu ne sais pas naviguer, tu ne sais pas te battre. »
- « Hey, oh, j'ai fait le BAN moi. Je... je ne sais pas naviguer, mais qui de toi ou moi était prisonnier, hein ? »
- « Tu as fais joujou au soldat pendant 2 semaines. Ça fait vingt ans que le BAN, c'était mon quotidien. Les gars et moi étions prêts à tout pour ce trésor. Je pourrais sauver ma peau, mais je finirais en taule, avec ton rapport. Alors, quitte à tout perdre, autant chercher à tout gagner. Hé oui, ça commence par chopper le trésor. … Et si tu es sage, tu auras une part. Celle d'Uster, tiens. »
- « Que dalle. Si je dois avoir une part, c'est 50 % »
- « La part de Herserange et de MacHannon doivent revenir à leur famille. »
- « Ben voyons, un pirate avec de l'honneur et un bon cœur. »
- « Dans un équipage, il faut se faire confiance. C'est à la vie, à la mort entre nous. Et Herserange s'est sacrifié, pour que je vive, parce que j'ai le plan. Mes deux gars – j't-parle pô d'Uster, c'était une pauvre merde de météorologue – ça fait des années qu'on bosse sur cette mission, et eux aussi y croyaient dur comme fer. Jamais je n'aurai une nouvelle chance de mettre la main sur ce trésor. Alors, on va aller voir ce trésor, et advienne que pourra. »
- « Ouais, mais après ? Tu vas faire comment, pour t'en sortir ? »
- « Au mieux, tu ne dis rien et me laisse partir. En bonne intelligence, tu te laisses soudoyer. Au pire, je te prends comme otage. »
- « Tu as oublié une option : je te laisse te démerder et moi, je prends le risque de péter ce plafond. »
Et je tournai les talons
J'avais au départ cru qu'il allait me suivre, et que j'allais le ramener à la raison. Il s'avéra que non. Il n'avait pas émis la moindre protestation, mais, et je réalisai après coup que j'avais joué gros, il m'avait laissée partir. Vu que je connaissais toute la vérité sur cette histoire, j'étais pourtant un danger pour lui, et il avait tout à gagner à me tuer, en me poignardant dans le dos que je lui avais si généreusement offert. En plus, il aurait pu se traîner mon cadavre pour amadouer la Compagnies des Quenottes si besoin. Pourtant, rien de tout ça. Donc soit il y avait en lui une réelle bonté d'âme à côté de laquelle j'étais passée, soit – et bien entendu, c'était la théorie qui avait ma préférence – j'étais loin de savoir toute la vérité sur cette histoire. Oh, oui, j'en savais assez pour le condamner à mort par un tribunal militaire. Ce qui voulait dire qu'il avait beaucoup, beaucoup plus à gagner qu'à perdre, avec des meilleures chances de tout gagner que de juste sauver sa peau.
L'espace d'un instant, je l'avouerai, j'ai eu très, très envie de courir après lui. Un quart de trésor aussi colossal, au point de valoir la vie de Mérincourt et de ses deux gars (pas Uster, qui était donc une limace incapable même de baver), ce n'était pas rien. Je me contenterai même que du rubis.
Puis je me repris. J'étais une CP, j'étais une révo, j'étais une Raven-Cooper et j'étais une femme forte devant la tentation. Sniff, parfois, être du faible sexe pouvait avoir ses avantages... Avec un soupir, je fis contre mauvaise fortune, bon cœur. Sans Ajax à mes basques, j'avais un moyen à ma portée de sortir de sous terre. Un papillon pouvait se trémousser à travers les fissures, même si ce ne fut pas facile. Apparemment, j'étais dodue, pour un papillon... Est-ce que mes ailes me faisaient un gros cul ?
Cette question de la plus haute importance dut pourtant attendre. Libre, je l'étais peut-être, mais certes pas sauvée. Déjà, je repris forme humaine en crachant un poumon ou deux. Satané poison ! Je ne l'avais toujours pas éliminé et mes pouvoirs me demandaient toujours une concentration plus accrue. Je ne pourrais pas faire ce petit tour une nouvelle fois, sous peine de finir raplapla.
Pantelante comme une vieille rombière en train de méditer sa dernière méchanceté en date malgré son asthme, je me mis en route. Direction, l'Hibiscus. Les secours allaient venir, et ils viendraient là où nous avions abordé ce matin. La mission initiale était de retrouver la navette et l'équipage. Ben, les hommes, perdus corps et âmes, mais la vedette était encore là. Je savais pourtant que ça serait là que les cannibales pourraient venir me chercher – ils sont primitifs, mais pas cons, primitifs mais pas cons, continuai-je à marmotter. Ça valait bien tout autre chant de marche, pendant que je pataugeais vers ce que j'estimais être la plage.
Je ne pouvais m'empêcher de me sentir pleine de pitié pour eux. Quelle vie devaient-ils mener, sur ce bout d'île ? Je ne comprenais vraiment pas le Gouvernement Mondial : les autorités pouvaient dépenser des sommes folles pour envahir des territoires modernes en gouvernement auto-suffisant, mais ne pouvaient pas se décider une bonne fois pour toute de régler le problème de l’îlot ? Bon sang, c'était le 15ème siècle, pas l'aube préhistorique ! Des cannibales en 1625 ! Nan, mais je vous jure ! Des cannibales, en plein milieu des Blues ! On serait dans un trou perdu à la limite de Calm Belt, je pourrais à la rigueur comprendre. Mais là ? Vivre et laisser mourir ? Mais depuis quand le GM respectait le droit à la diversité culturelle ? Surtout que pour une fois, il ferait une bonne action. Soit les civiliser, soit les exterminer.
Je me rappelais de manière très vive la façon dont ils s'étaient rués sur Uster... et apparemment, ils avaient fait pareil pour MacHannon. Soit ils avaient des vers solitaires, soit ils crevaient la dalle pour de bon... Et s'ils en étaient arrivés à bouffer leurs propres cadavres... J'pouvais comprendre. Imaginez que vous saviez que votre ordinaire de la semaine sera Tatie Bavouille, aussi maigre que filandreuse. Et puis vous tombent dessus quatre grands gaillards bien gras et frais, roses et frétillants. Ça donnerait des envies de rillettes à un végétarien, ça.
Oui, j'avais pitié d'eux.
J'avais bien entendu dérivé. J'étais loin, très loin de la plage. En fait, je n'avais aucune idée de là où j'étais, sauf que pour sûr, je n'étais pas à la plage. Au temps pour le BAN, hein. Jamais je n'avais été aussi démunie. Sauf que... c'était justement dans ces situations où aucun pouvoir n'était à sa disposition que l'humain devenait prolifique. La plupart des gens dans le monde n'avaient ni fruit du démon, ni entraînement militaire, et ils s'en sortaient plutôt pas mal. Certes, ils n'étaient pas sur une île perdus dans la jungle avec des cannibales, des crocos et des moustiques. Mais ils vivaient avec le GM... ouais, ben je prenais le conseil des Cinq Étoiles et les Capitaines-Corsaires réunis, plutôt que de rester ici. C'était bien le signe que j'étais faite pour être révo, et pas aventurière.
Un vol de perroquets interrompit ma nouvelle errance dans une nouvelle direction. Bizarre, je n'avais pas encore vu de perroquets dans le coin. Ils avaient dû apprendre à se planquer, pour ne pas se faire plumer. Ils fuyaient donc quelque chose. Je les suivis. En tous les cas, je ne pris pas la direction d'où ils venaient. Donc, bien entendu, après un passage entre lianes et racines géantes, je me retrouvai à déboucher en plein combat.
Mérincourt était aux prises avec une petite dizaine de cannibales, et s'en tirait plutôt bien. C'était une vraie force de la nature, ce type. Comment était-il arrivé ici ? En suivant sa carte, sûrement. Il évitait d'ailleurs les combats autant que pouvait, pour se diriger vers une structure croulant sous la végétation. A moitié enfoncée dans la boue, la porte était un trou d'ombre dans un creux du terrain sans lumière. Je n'y aurais jamais fait attention.
Le bon sens, le sens de survie, le sens de l'orientation, l'intuition féminine... tout en moi me criait de partir par là où j'étais venue, sans être vue. Ne pas me mêler de tout ça. Sauver ma peau. Femme, contradiction est ton nom. J'avais encore une fois déjà tourné les talons, quand une nouvelle vague de cannibales se dessina de l'autre côté de la clairière. Cette fois, Ajax était mal barré. Et contre tout sens, commun ou pas, je me précipitai à son secours. Il fallait croire que j'étais désespérément bonne et altruis--- naaaan, même pas en rêve. Cela voudrait-il dire qu'inconsciemment, Ajax avait touché quelque chose en moi ? Comme je n'avais ni cœur ni morale, je ne voyais pas quoi, mais le fait était là.
- « Mais qu'est-ce que tu fais là ? » hurlait-il au-dessus des cris de guerre. Bonne question.
Je n'avais pas la réponse. En plus, j'étais occupée à utiliser mes fils comme des fouets pour tenir à distance les sauvages, utilisant le kami-e ou le tekkai pour éviter les coups. Une lance, une parade de bras aussi dur que la pierre. Une attaque au couteau, une virevolte. Une tentative de corps à corps, un ficelage en bonne et due forme. J'encaissai. Mes côtes, mon estomac, mon épaule, j'avais l'impression que mon corps était une plaie unique sur pattes. Et encore, j'avais une entorse. Mérincourt et moi combattions dos à dos, et tacitement, nous avancions vers le carré délimitant cette nouvelle bouche vers les entrailles du monde.
- « Si on continue, on va se retrouver encore sous terre ! C'est là d'où tu viens non ? »
- « Non, c'est là où je vais. C'est le temple !!! »
- « Hein ? Un temple ? Mais quoi encore ? »
- « Le trésor est là dedans !!! »
Nous devions nous époumoner pour parler, tout en bataillant. Ce n'était pas la conversation la plus aisée.
- « Si c'est un temple, c'est que c'est un trésor sacré ! Tu vas nous les mettre encore plus en colère !! »
- « Parce que ça va changer quelque chose ? » Je détestais quand on avait raison par rapport à mes arguments, surtout lorsque cela était démontré avec panache et dérision.
- « N'empêche, ils sont drôlement violents !! On ne va pas s'en sortir comme ça !! »
- « T'inquiète, j'ai un plan ! »
Je ne sais pas pourquoi, je le crus. Quelque part, j'avais raison. Il avait un plan. Il était juste mauvais.
Nous arrivâmes à l'entrée du Temple, cahin-caha. J'avais du sang un peu partout, et l'un dans l'autre, j'étais encore plus faible qu'avant. Je sentais mon souffle devenir de plus en plus court. La peur... ? Non, je n'avais même pas la force d'avoir peur. C'était un luxe que mon organisme me refusait. Avoir peur produisait de l'adrénaline ou je ne sais quoi encore ; ça vous boostait pendant quelques minutes. Moi, j'étais cuite.
Une main de fer se posa sur mon col, et je sursautai. Mérincourt m'attrapa et me balança dans le Temple, malgré mon geste, comme si je ne pesais rien. Mon corps réagit par habitude. Je fis un roulé-boulé pour amortir et me réceptionnai accroupie, déjà prête – techniquement - pour un autre round. Ajax était à la porte et il prenait toute la place. Il continuait à repousser les cannibales.
- « Ben bravo ! Et maintenant, on fait comment ? » lui reprochai-je. « T'as l'intention de tous les tuer ou quoi ? »
- « Ben toi, tu cours. Et vite. »
- « HEIN ? » A ma plus grande horreur, Ajax se retourna. En l'espace d'une seconde ou deux, je vis les lances passer autour de lui, puis se planter en lui. « NAN MAIS QU'EST-- » A moitié hystérique, comme si être complètement paranoïaque ne suffisait pas, je me précipitai vers lui. Encore une fois, je ne savais pas pourquoi, mais... Il m'arrêta d'un geste. Automatiquement, je tendis les mains pour attraper ce qu'il venait de me lancer. Avec ses épaules, son dos, qui masquaient presque toute la vue, je devinais plus que je ne le vis le rubis, là, roulant sous mes doigts. Les arrêtes, la pointe et le sang incrusté...
- « J'suis cuit, petite. Ils m'ont eu. » Il grimaça alors qu'une autre lance le heurta, le transperçant presque. Il vacilla sur ses pieds, mais tint bon. Pourtant, il crachotait du sang. « Pourquoi tu pleures ? J'suis qu'une canaille de pirate, petite. » Alors comment savait-il que je pleurai ? Je ne m'en étais pas rendue compte.
- « Mais pourquoi ? Même blessé, tu aurais pu continuer ! »
- « J'étais déjà cuit, je te le dis. Quand tu es arrivée, j'étais déjà blessé à mort. Au moins, j'ai la satisfaction de passer la torche. Va trouver mon trésor, Shaïness. »
- « Mais au diable ton trésor !!! On parle de ta vie !! »
- « Ma vie ne vaut pas un trésor. Ma vie, mon rêve, c'est ce trésor. Tu ne m'as pas sauvé, je ne sais pas pourquoi tu es venu m'aider. Mais je sais saisir une opportunité quand je la vois. Billy Un-Oeil m'a passé la carte, moi, je te passe la clé. Mon héritage, mon rêve, c'est ce trésor. Il ne mourra pas avec moi, et j'en suis très heureux. Maintenant, cours... et vite... »
Et là, avec un rugissement de rage terrible, un de ces cris qui vous monte depuis les origines du temps, Ajax abattit son épaule sur le montant de la porte. Le mur, la structure, tout trembla. Il avait bel et bien l'intention de se sacrifier, pour que je pusse partir. Je le regardai donner encore un coup ou deux, et là, les pierres se mirent à tomber, comme des grêlons en mars. Un nuage de poussière s'éleva, des bouts de racines s'agitèrent, et bientôt l'air fut irrespirable.
Ajax Mérincourt était devenu invisible. Je préférai ça. Je garderai en mémoire l'image de l'homme fort, plutôt que la bête mourante, le Minotaure abattu à l'entrée du labyrinthe.
J'avais eu peur de me perdre, mais le couloir filait sans intersection. Il tournait légèrement de temps en temps, et petit à petit les murs de pierres se transformèrent en pierre ; j'avais quitté la partie construite par les humains, pour revenir sur le domaine de Mère Nature. Là, quelque chose me frappa. Ces sauvages... tout intelligents qu'ils fussent, ils ne me semblaient pas assez évolués pour connaître la taille de pierre et les travaux de construction au niveau d'expertise nécessaire pour avoir bâti le vestibule du Temple. Le reste d'une ancienne civilisation ?
J'étais partie en pleurant, en toussant, écœurée de cette mort. Elle me semblait si injuste. Pourtant, on ne pouvait pas dire qu'il avait été un angelot, l'Ajax. Mais il ne méritait pas cette mort. Encore moins si près du but. Il y avait quelque chose de définitivement noble dans cette entière dévotion, voire abnégation, à la quête de ce trésor. Ajax n'avait jamais réellement parlé de s'enrichir. Son but n'avait-il pas été de vivre au soleil tranquille ? Il ne voulait pas plus qu'une belle vie. En fait, l'obtention du trésor avait depuis longtemps remplacé la vie après le trésor comme objectif dans sa vie. Ce n'était pas la cupidité qui guidait - avait guidé - ses gestes, mais la gloire, l'honneur « familial ». Ce n'était pas juste un trésor, c'était une mission, un héritage passé de pirate en pirate. J'en étais la dépositaire, et franchement, je ne savais pas trop quoi en penser.
Le couloir s'élargit. Ce n'était pas une pièce. Pas vraiment. Des poutres de bois supportaient un toit. Tiens, des briques, ou des pierres taillées qu'en savais-je, encore une fois. Et le sol était dallé. Mais ce n'était qu'une sorte de carré un peu plus large que deux fois le couloir. Je ne voyais pas d'autres sorties. Par contre, au fond, je voyais une forme. Éclairée de nouveau avec des champignons – mais re-re beuuurk - j'avais l'impression d'étouffer. Savoir que la seule sortie se trouvait derrière moi, et était complètement obstruée, notamment par le cadavre de quelqu'un pour qui j'avais une sorte de respect, n'était pas une pensée réconfortante. J'étais prise au piège, dans ce trou, dans une île pourrie de North Blue. Mon souffle se précipita, et je tremblai. Peur et fatigue se mélangeaient pour donner naissance à panique, une terreur de mourir ici et là, un putain de rubis à la main. Retenant mes larmes à grand peine, misant tout sur ce dernier espoir, je me traînai. Une clé, il avait dit, l'Ajax. Ça voulait dire une porte. Ce machin, là, au fond de cette non-pièce.... Mon ultime espoir.
C'était une sorte de niche gravée dans la pierre, à mi-chemin entre l'autel et la tombe. Il y avait un crâne, bien jaunâtre et poncé par le temps, les restes d'une couronne de fleurs et des coupes très artisanales en argile. Pas de coffre, pas de pièces d'or. Rien, niet, zada. Pourtant, Ajax avait été tellement sûr de lui. Au point que trois hommes s'étaient sacrifiés. Je restai là, vacillante sur mes pieds, à retourner le rubis entre mes doigts, sentant le contrôle que j'avais sur mes nerfs s'écouler, s'échapper, comme le sable glissait. Un premier hoquet me secoua, et franchement, je ne m'y attendais tellement pas que je sursautai. Cette fois, je perdis l'équilibre, tombai à genoux pour sangloter à corps perdu. Je martelai de mes poings le mur en face de moi, à la fois de rage pure, à la fois de désespoir. Ouvre-toi, pousse-toi, laisse-moi passer. Je ne veux pas mourir ici ! Je me cassai une phalange ou deux, m'éclatai la peau, et plus j'avais mal, plus je m'en voulais de sentir encore une douleur, alors que les autres étaient morts. J'en avais marre d'être la survivante. C'est chiant, d'être la survivante. Il ne vous reste que les regrets et les cauchemars, la culpabilité d'être là et pas les autres. Je n'avais plus rien.
Si ! J'avais le rubis. Mérincourt me l'avait confié. C'était une clé. Il y avait donc un trou de serrure, quelque chose ! Il ne pouvait pas avoir tort sur ce point. Fébrilement, je tâtonnais dans le noir. J'avais lâché la pierre précieuse dans mon moment de folie et mes champignons avaient valsé au loin. Sous mes doigts, la poussière, les dalles, des restes de je-ne-voulais-pas-savoir-quoi. Finalement, ma main heurta quelque chose, qui roula un peu plus loin suite à l'impulsion donnée. Avec un gémissement, je me précipitai ; les mains tremblantes, à bout de nerfs, je revins à l’alcôve dans le mur, et je l'explorai, tapotai, palpai.
Un bruit sourd roula derrière moi. Les cannibales étaient en train de défoncer les gravas bloquant l'entrée du temple. Il y eu comme un courant d'air fantomatique ; des doigts de vent froids comme la mort, décharnés comme ceux d'un cadavre, m'enveloppèrent, comme un linceul. Ce n'était pas un temple ici, mais un mausolée. Et si je ne me dépêchais pas, il y aurait une âme errante de plus dans ces pierres.
Finalement, je trouvai une sorte de dépression. Là, quelque chose, entre relief et trous. Dans ma précipitation, je faillis perdre à nouveau le joyau. Ce que j'avais pris pour du sang incrusté ? Sans lumière, je ne pouvais pas en être sûre, mais... les mains de plus en plus tremblotantes, alors que les coups s'intensifiaient derrière moi, je manipulai la pierre. Ça devait correspondre, s’emboîter, forcément, ça ne pouvait être que ça.
Clic.
Et là, tout trembla.
Encore une fois.
Par contre, c'était le clic ou les sauvages ? Aucune idée.
Un nouveau nuage de poussière venait d'envahir l'atmosphère. Impossible de voir, de respirer. Affolée, je me mis à courir vers « la sortie », uniquement pour me bananer sur une pierre tombée au sol. En fait, c'était une dalle qui s'était soulevée. Des champignons !!! J'avais besoin de champignons !! Où étaient les champignons quand on a besoin d'eux !? Fiat lux et toutes ces conneries.
Dans le couloir, des fissures de la taille de ma main zébraient les murs. Je le savais, je mis les doigts dedans jusqu'au poignet en tentant de ramasser des champignons lumineux – re-re² beuuurk. Tout était en train de s'écrouler, notamment ledit couloir. Je fis retraite précipitée vers la salle, me remangeant la dalle, tout en me traînant vers l'autel. A défaut d'autre chose, retrouver le rubis. Histoire de ne pas avoir tout complètement perdu, et ça pourrait me permettre de payer mon dû à Charon. Les enfers devaient avoir un siège réservé à mon nom, depuis.
Je tombai sur quelque chose de nouveau. Ça ressemblait à un coffre en pierre. Difficile de dire, mais j'avais l'impression qu'il était gravé. Trop lourd pour le porter. Mais avec les tressauts du sol, son couvercle glissa et se fracassa, me laissant juste le temps de l'explorer du bout des doigts. Je choppai quelque chose, et tout devint bruit assourdissant. La poussière retomba, le sol se déroba. Au moment de la chute, le plafond s'entrouvrit, avant de basculer vers moi. Satanée loi de la gravité ! Si ça me tombait dessus, même si je chutais plus bas, j'allais tout de même finir en crêpe Shaïness, même pas flambée.
La volonté du macchabée sûrement, me donna la force de faire un geppo-soru, ma combinaison préférée depuis l'Eglise. Je l'avais tellement pratiquée que j'étais certaine qu'en cas de crise de somnambulisme, je la ferais. Comme le ciel me semblait petit, à travers ces pierres qui tombaient. Puis il explosa, m'enveloppa. Il était mon soleil et mon monde à la fois, il était le début et l'infini, et au-delà... et l'au-delà.
Dernière édition par Shaïness Raven-Cooper le Ven 16 Oct 2015 - 0:38, édité 1 fois
- « Et vous ne savez pas comment vous êtes revenue à la plage ? »
- « Je suis revenue à moi sur la plage, en effet. »
- « Ne vous faites pas plus bête que vous ne l'êtes ! »
- « Mais que voulez-vous que je vous dise ? Je me rappelle Mérincourt qui me pousse dans la structure en pierre, les sauvages qui attaquent et le bâtiment qui s'écroule sur nous. C'est tout. »
- « Et comment vous expliquez que vous soyez revenue sur la plage, indemne ? »
- « Euh ? Indemne ? »
- « Vous n'avez pas été boulottée aux fines herbes, vous ! J'ai perdu 4 gars moi, sur cette île, et vous, rien, non seulement ils ne vous touchent pas, mais en plus, ils vous ramènent à la plage, ces putains de cannibales ? »
- « Techniquement, ils n'ont tué et mangé que trois de vos gars. Ajax s'est vaillement sacrifié pour me sauver la vie. »
- « On se demande pourquoi. »
- « Je vais commencer à mal le prendre, là. »
- « Ce n'est pas tellement contre vous, même si je ne vous aime toujours pas, vous les CP. Mérincourt était un bon guerrier, mais pas un bon soldat. J'vois pas pourquoi il vous aurait sauvé vous, et pas sa propre peau. »
- « C'était un chevalier qui s'ignorait. Il n'était pas né au bon moment, c'est tout. »
- « Hein ? »
- « Non, laissez tomber, j'suis fatiguée. Écoutez, vous avez récupéré l'Hibiscus, malheureusement sans son équipage. Moi, j'ai fait ce que j'ai pu pour les aider. Maintenant, je souhaite rentrer chez moi. Il y a une navette pour Logue Town dans dix minutes, je ne veux pas la rater. »
- « Ouais, foutez-moi le camp. »