A l’angle d’une rue marchande où chaque jour des milliers de vies passaient, je m’étais assis sur un étrange bloc de pierre mouillé, qui contrastait avec l’humeur de la foule, bruyante et chaleureuse. Même au milieu de ces tonnes d’histoires, je me sentais quelque peu seul avec pour unique compagnie une âme exténuée et boursouflée qui me suppliait de la laisser sortir. J’étais un jeune homme vieux de mille ans avec mes cheveux gras et crasseux, une coupe de révolutionnaire qui signifiait à elle seule une rébellion contre toutes et tous, mes mains moites soldatesques s’étant trop de fois vêtues de cette robe d’épines qui me sert encore d’arme jusqu’à aujourd’hui. J’avais aussi la posture d’un guerrier las du combat qu’il menait contre son esprit, et pour se consoler, avait dans son fardeau adoré une bouteille du bourbon du Général.
Je pensais être un homme à part, comme cloué dans ce décor pourtant plein de vie, comme cloué dans ce monde auquel je voue un dégoût sans fin, comme cloué dans l’univers. Car, je me trouvais dans un lieu qui ne signifiait rien pour moi, et aujourd’hui encore ce n’est qu’un simple souvenir de ces nombreux témoignant de mon incapacité à être quelqu’un.
Car je n’étais qu’un regard et que des yeux, même pas des mains car une main signifie l’aide et je n’étais même pas capable de m’aider moi-même. Non, je n’étais que ces deux globes terrifiants qui vous jugeaient et vous foudroyaient si vous, vous osiez me juger. J’étais ces jambes qui dansaient, poussées par le bloc de pierre jusque dans l’air pour une seconde, entrainées par cette frénésie à regarder les autres qui incarnaient le monde, cette organisation secrète et anonyme où j’étais persuadé de ne pouvoir jamais entrer. Un mouvement qui se répétait encore et encore jusqu’à ce que la nuit se fasse mais à mon grand désespoir il ne faisait jamais nuit, et j’étais toujours éclairé, aveuglé, assassiné par le soleil comme si une force Divine me voulait du mal. Mais ce n’était qu’un mirage car des choses comme ça n’existent pas, mais la question alors est, Pourquoi ?
A cette époque, je lisais les mots sur papier de Hank du CAS, et c’était seulement dans ces moments là que j’autorisais mon âme mourante à sortir, pour pousser un grand soupir, non, pour enfin respirer en me disant que je n’étais pas un être à part. Et qu’il y avait des gens comme lui, encore plus compréhensible, pas in-, oui, compréhensible. Encore moins vivant en l’étant encore plus. Et il disait que les meilleurs mourraient souvent de leur propre main pour se libérer et ceux qui restaient ne comprenaient jamais vraiment pourquoi on voudrait se libérer d’eux. Et ce qui était marrant, c’est que je ne me reconnaissais dans aucun de ces portraits et parfois je voulais pleurer ou crier ou souvent foutre des coups dans quelque chose d’autre que ce qui n’a ni de masse ni de poids. Car j’étais persuadé que même ce bloc de pierre mouillé vivait plus que moi.
Alors, peu de temps après, j’ai pris une aiguille trouvée dans un lieu quelconque et, tard le soir, je faisais courir les brèches sur les murs pour former des vers, des mots, des lettres. Et je me souviens avoir écrit que j’étais pour tous le coupable parfait, pas qu’on ne m’en voulait qu’à moi, mais c’était comme si j’avais la gaule, la gueule de bois et pas d’avocat.
Ensuite, j’ai commencé à écrire plus, moins sur les murs car on a fini par m’attraper, mais ensuite, sur des bouts de papiers que je jetais à l’eau ou dans la rue, il n’y a pas grande différence, les deux ont des courants, les deux ont des flots.
Je disais qu’il ne fallait
Pas s’enfuir,
Que suer devrait
Suffire
Ou faire semblant.
Je disais morts
Aux gens
Ou pendaisons, en restant
Elégant.
Et je me clamais artiste, car maintenant tout est art disent-ils, surtout l’insurrection, mais un artiste est-il censé se sentir vide ?
C’était presque mon cas,
Car il y avait un mal
Qui me rongeait, qui mangeait,
Le peu qu’il me restait.
J’ai alors vomis ces lettres interdites qui touchent l’humanité et qu’on ne réclame pas à l’artiste.
Et ma célébrité urbaine
Fut de courte durée
Car on m’a banni l’entrée
Aux Cercles, même l’ébène.
Ce bloc de pierre, avec le temps, s’était creusé la forme du fessier de ceux qui s’asseyaient là. Et ces gens me parlaient d’une voix lointaine, et ils me disaient que mon merveilleux support n’était qu’une représentation de ce que j’étais pour moi-même et pour les autres et que peu importe le temps que je passerai assis là, jamais il ne se réchauffera.
J’étais vraiment comme ça, qu’un support pour la folie, la merde et la crasse que laissaient le monde et sa vie, et ses mouvements et ses habitants, et ses chiens et sa mauvaise herbe. Sauf qu’ils ont l’air heureux, eux. Et mon dos me fait mal. Car je porte un poids que je ne peux qu’assumer seul et même si je voudrais que l’on m’aide, je ne peux pas. Je ne peux pas… car je ne suis qu’un putain de bloc de pierre.
Mouillé.
Je regardais le ciel, parfois, et c’est horrible ce que je vais dire, mais ça me faisait du bien de pouvoir ne plus croire en rien, même si on compte soi dedans, en quelque sorte. Mais c’était seulement quand je levais la tête. Les étoiles sont des choses que l’on n’attrapera jamais. Alors que, quand je baissais le nez, il y avait tellement d’objets à portée de main que j’entrais dans une terrible angoisse, et je me demandais encore une fois, Pourquoi ?
Alors j’ai eu peur de rêver. N’est-il pas préférable de faire des cauchemars en sachant que l’on va se réveiller plutôt que d’imaginer une fausse vie joyeuse ? Pêcher, se balader dans le monde, respirer, faire partie de la foule et ne pas être qu’un spectateur qui applaudit ou s’insurge, ou lance des projectiles… Je préfère me faire tuer par l’imaginaire et revivre, que de vivre pour me faire tuer par la réalité.
Dernière édition par Kiril Jeliev le Mar 1 Avr 2014 - 14:05, édité 1 fois