TITRE SWAG
Lloyd BARREL | Althéa PANABAKER
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Saint Urea la grande. Je dis bien la grande, parce que pour moi, c'était tout simplement gigantesque comparé à ma petite île natale. Sa forme plutôt ronde, avec les différents murs, m'avait tout d'abord surprise mais j'avais fini par m'y faire. Je ne fréquentais que la frange, là où la populace vivait. J'avais réussi à me faire un ami d'un tavernier, qui m'hébergeait, me donnant gîte et couvert contre ma voix chaque soir. Et cela m'allait parfaitement - du moins pour un temps. Je comptais bien trouver un moyen de partir d'ici et d'atteindre mon objectif. Devenir légendaire, en écrivant une saga digne des plus grands musiciens. Certes, j'avais de l'ambition, mais sans ambition il n'y a pas de talent.
J'avais une vie assez bien régulée. La journée, je vaquais à mes occupations - marché, promenade, tissage de liens avec les gens de la ville. Le soir, je retournais à l'auberge pour y chanter, et j'avais même le droit de garder pour moi l'argent qu'on m'offrait. Ce n'était pas souvent, ce n'était pas grand chose, mais j'amassais sagement mon pécule, n'achetant que ce qui m'était nécessaire : vêtements de rechange quand les miens étaient abîmés, chaussures, instruments. Je me levais avec le coeur empli de joie, à l'idée de pouvoir percer peut-être ici-même avec ma voix. Mais je devinais bien que je ne pourrais pas. Et que, même si l'occasion se présentait, j'avais trop soif d'aventures pour rester tout simplement dans une ville.
Je me levais de mon lit, et relevais mes cheveux devant la coiffeuse mise à me disposition. Le miroir était de cuivre, et mon reflet était étrangement coloré. Je formais des tresses, puis attachais ma masse sombre de manière à cacher mes cornes. Encore à présent, alors que j'étais à St Urea depuis presque un mois et demi, on continuait à me regarder de façon plus qu'insultante. Je n'étais pas habituée à ça, moi qui avait vécu longtemps sur mon île. J'avais découvert la pauvreté, la misère, la tristesse humaine. Mais la méchanceté gratuite, je l'avais déjà connue. Ici, on me jetait des coups d'oeil de travers parce que j'avais des cornes ; d'où je venais, c'était parce qu'elles étaient trop longues, révélant une virilité ridicule chez moi. Ce n'était que des légendes : les hommes aux longues cornes étaient sensés être plus "masculins". Sottises ! Je soupirais, et finis de me préparer, m'habillant d'un corset, d'un châle délicat d'une magnifique couleur cyan et bordée de glands dorés, ainsi que d'une jupe faite de différents voiles colorés. Ca faisait très bohème, tout cela, et j'adorais ! Littéralement. J'adorais me grimer, me travestir, mettre des habits voyants, ou bien discrets. Ici, les gens ne faisaient attention à moi que quand je me démarquais. C'était agréable, et en même temps ...
▬ Oy, Althéa, tu te dépêches ?
▬ J'arrive !
Je sortis de ma chambre et dévalais les escaliers ; la salle où j'atterris était ronde, lumineuse et emplie d'un agréable fumet de viande rôtie. Quelques habitués étaient déjà installés. J'inspirais, le coeur battant à tout rompre. Je ressentais toujours cette espèce d'excitation quand je devais me produire. Mes mains se serrèrent un instant sur mes jupons, et je relâchais la tension dans mes épaules. Selène, la femme de Keran le tenancier, s'approcha de moi et me sourit. Doucement, elle m'encouragea d'un geste et j'allais m'installer là où j'en avais l'habitude. Près de la cheminée qui tirait agréablement ; il y faisait doux, délicatement chaud même. Je pris sur ma table l'un de mes instruments. Un luth d'un bois rouge pâle, aux cordes délicates, qui produisait un son digne des dieux. Je gardais le sourire, et me mis à jouer.
Puis, ma voix s'éleva. Cristalline, pure, comme si la puissance des chansons que j'étalais aux oreilles des gens était trop imposante en moi, que je devais la partager. Soutenue par les notes tranquilles que mes doigts tiraient du luth, je m'enfermais dans ma bulle enchanteresse, tout en faisant profiter les autres de mes chansons. Je fermais mes prunelles sombres ; je me concentrai sur mes vocalises, sur ce que ma gorge pouvait faire. Toutes les émotions se formaient en un panel étonnant et touchant, alors que mes mots traversaient la pièce pour atteindre les gens. Je ne sais combien de temps je chantais ainsi, mes bras tenant mon instrument à corde à la manière d'un enfant. Je sais que je cessais quand ma gorge devint aussi sèche que du parchemin. Quand ma voix se stoppa, et que je rouvris les yeux, je vis que la salle était à présent bondée.
Selène apporta un verre de vin et j'en bus une gorgée, me levant pour m'étirer, le luth posé près de moi. J'allais faire une pause, manger un peu, et reprendre. Je sentais des papillons dans mon ventre. Je comptais essayer une toute nouvelle chanson. Alors que j'allais m'approcher des cuisines, une grosse main s'interposa et me prit le bras.
▬ Althéa, c'est ça ? Comme t'es mignonne ! exulta l'homme gigantesque qui se tenait près de moi.
▬ Lâchez-moi répondis-je, d'un ton glacé, en me retirant à sa poigne.
Je détestais qu'on me touche. Mais je sentis ma colère fondre de suite ; j'étais incapable de faire du mal à quiconque. Je l'observais curieusement alors qu'il me souriait, clairement intéressé. Il avait bu, de toute évidence. Mais j'étais trop stupide pour me méfier.
▬ Si tu veux, j'peux t'amener chanter dans ma chambre déclara t-il avec un rire gras, et je clignais des yeux sans comprendre.
Il leva la main et je n'eus pas le temps de réagir. Il retira d'un geste sec le voile qui camouflait mes cheveux. S'éparpillant en mèches sauvages, ma coiffure se retrouva éparse, et mes cornes bien visibles. Une satisfaction cruelle se lut dans ses yeux, alors que la foule autour de moi se mettait à chuchoter. Athel, la gazelle ... Avec douleur, je me souvenais en flash de toutes les moqueries que j'avais subies. Je reculais d'un pas, alors que l'homme semblait prendre de la puissance, bien plus grand que moi.
▬ Paraît que les femmes cornues sont bien plus lubriques que les femmes normales ; j'ai hâte de voir ce que ça peut donner ...
J'écarquillais les yeux. Je venais de comprendre où il voulait en venir. Je ne savais pas qui il était, pirate, marine, civil, révolutionnaire, mais une chose était sûre, je ne tenais absolument pas à ce qu'il me touche. Je reculais encore d'un pas, et cherchais appui dans la salle ; quelqu'un allait bien m'aider ! Mais je ne croisais que des regards qui se baissaient, curieux néanmoins de voir la suite. Je serrais les dents, et carrais les épaules en sentant mon dos heurter le mur. Keran était au loin, mais je savais qu'il ne bougerait pas pour moi. Je l'appréciais, mais nous n'étions pas liés au point qu'il veuille se mouiller dans les ennuis pour moi. Je ne savais pas quoi faire, et ma respiration s'accéléra, tandis que je mettais à trembler tel le lapin dans les serres d'un aigle. D'un gros aigle, alors.
▬ S'il vous plaît ... tentais-je de l'amadouer, en croyant dur comme fer qu'en me voyant refuser, il reculerait.
Mais la naïveté ne conduit pas les autres à être meilleurs. Ni ma croyance en la bonté humaine. L'homme se contenta de sourire, et m'attrapa le bras une nouvelle fois, si fort qu'il me fit mal. J'ouvris les lèvres pour crier, mais aucun son n'en sorti. J'étais pétrifiée de peur.