Un coup à gauche, un coup à droite, mon corps se fait malmener par les aléas de la voie terreuse sur laquelle roule le transport. J'essaye de tenir ma lecture tandis que mes bras sont diligentés comme le seraient ceux d'une ridicule marionnette de spectacle. A la fois exaspérée par l'inutilité du contenu et l'impossibilité de lire correctement, je grommelle :
- Ah putain, y’a pas d’accroche dans ce fichu bouquin... Ça fait déjà trois heures que je lis et aucune action, l’auteur ne fait que parler de lui ! Pis c’est écrit chelou aussi !!
Je referme le livre, déçue de mon achat. « Voyage au Bout de la Nouille » de Louise F. Céligne, un navet, décidément. Ennuyée, je déplie ma main, la replie, regarde attentivement mes ongles. J’fais pas de manucure, non pas besoin, j’aime pas ça. Ben à la limite, même si j’me trimballe une trousse de maquillage, c’est qu’à l’intérieur j’ai bien deux trois vernis qui se baladent : un blanc, un couleur chair et un turquoise. Mais je m’en sers rarement comme ça, juste quand je dois me mettre en valeur à l’issue d’une rencontre, d’une soirée, d’un diner aux chandelles… Bref ! Tiens, le carrosse s’arrête. J’pousse légèrement le rideau du plat de la main et regarde ce qu’il y a dehors. On est pas arrivés pourtant. J’alerte le conducteur, la tête sortie, en gueulant :
- Eh m’sieur ! Y’a rien dehors, là-bas. C’est juste des vieilles baraques alignées le long du chemin, qu’on sait pas comment elles tiennes debout ! Dites-moi quand on est censés arriver à la fameuse, grande, New-Rea !
L'homme saute à terre et vient vers moi. Il ouvre la porte et me fait poliment signe de descendre. Je m'exécute, le regard interrogateur. Enfin, un peu lent comme gusse, il me répond :
- Mais vous êtes bien arrivée mademoiselle ! Voici New-Rea, la plus grande ville du pays.
Je le regarde, suspicieuse, la moue déformée, la bouche tordue sur le côté.
- Mouais.
L'homme fait demi-tour et remonte sur sa caravane. Pas le temps de lui poser une question qu'il a déjà pris les rennes et s'est déjà envolé vers une autre "grande ville" comme celle-ci.***J'me pose sur la table avec ma bière aromatisée. Ça a beau être un trou, niveau alcool c'est bien fourni. J'admire l'architecture improbable de la taverne : on sait pas comment ça se fait, mais les planches en bois tiennent tant bien que mal les unes contre les autres, et le plafond se suspend comme par miracle au dessus de ma tête. J'avais fait un petit tour du fortin juste avant de trouver la bicoque, et bien heureusement tous les bâtiments n'étaient pas dans un tel état. En revanche celui-ci était bel et bien l'un des plus grands, et celui que j'avais directement remarqué en sortant de la calèche. Je plonge le nez dans ma bière à la cerise et profite de la lampée pour m'hydrater convenablement. Les idées ont l'air plus claires, là, maintenant.
J'suis pas venue ici pour jouer aux touristes, hein, sinon j'aurais choisi un meilleur endroit. Il paraîtrait qu'un gusse s'éclate dans le coin à faire des conneries, et si normalement c'est du ressenti de la Marine, quelque chose ferait qu'il passe à chaque fois entre les mailles du filet. Du coup j'étais venue pour enquêter, non pas sur l'individu qui commettait les actes, mais plutôt sur celui qui s'amusait à les camoufler aux yeux de la justice. Car j'suis faible, car mon chef, Ao, s'évertue tous les jours de ma vie à me répéter que je sers à rien - et ça encore c'est quand il me parle - et que le soutien d'Era Cles n'aide en rien à cela, pour ces raisons donc, on m'avait envoyée dans cet endroit perdu pour négocier ce paradoxe merdique. Et le seul indice que j'avais, c'était le nom d'un petit contrebandier reconnu mais pas assez important pour se faire coffrer, dont les exactions rituelles avaient soudainement disparu, couvertes par le fameux agent double du jour au lendemain, comme bon nombre d'autres délits désormais.
Ayé, j'ai fini mon verre. J'pose deux cent berries en p'tite monnaie près du reçu, histoire de me vider les poches. J'passe faire un tour aux toilettes histoire de vider la vessie à son tour. En retournant au comptoir, j'vois que y'a des chambres de libres, j'hésite. J'ressens même pas la fatigue du voyage, et si tout se passe bien, j'peux tabler ça dans la nuit. Je hausse les épaules et trace ma route. Plus vite ça sera fini, mieux ce sera.
- Bon allez, trouvons ce fameux Pat Riss. Direction le grenier de West !
Dernière édition par Annabella Sweetsong le Mar 17 Nov 2015 - 4:42, édité 2 fois