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Criminels dans les champs

C'pas trop mal, Orange. P'tite cité tranquille, autochtones pas trop cons, marine bien installée désormais et surtout plutôt bien accueillie. Puis du soleil, tout le temps. La ville s'est retrouvée prise dans une bataille, y a quelques temps. Boum, la moitié de la ville partie en fumée. La marine participe activement à la reconstruction. Avec le sourire. Mieux que ça : pas d'uniforme, quasi tous en civil, pour pas incommoder les habitants. Ces derniers rechignent pas trop, ils sont même en bons termes avec leurs occupants camouflés. Encore mieux que ça : le premier réflexe de la plupart de ceux que j'ai rencontré, hier, c'était de se faire la remarque qu'un homme-poisson dans la marine, c'est super rare. J'veux dire, personne pour m'insulter ou pour me lancer de sales regards. Voilà, c'est la ville d'Orange. Débarqué fraîchement hier, on m'a dit que j'surveillerai des ouvriers sur les chantiers. Ça me paraissait bien parti.

Mais en fait, j'suis en route pour les champs, à quelques kilomètres de la ville. La marine y a déployé de la main d'oeuvre pas chère pour compenser le manque de paysan et pouvoir nourrir de nouvelles bouches... Celles des marins fraîchement installés, entre autres. La main d'oeuvre, c'est des taulards. Pour les récoltes. Parce qu'en ville, tout le monde est mobilisé sur la reconstruction, et personne n'a d'yeux pour ce qui se passe dehors, dans la campagne. Et moi, j'vais surveiller ces braves gens. Pas tout seul. Sergent-chef Kamina, nourrice improvisée pour détenus dangereux équipés de faucilles. Mmmh. J'suis secoué. Mentalement, physiquement aussi, en fait. La carriole qui nous amène dans les champs se balance. Foutue campagne. Gros cailloux partout sur la route. Dès le petit matin, ça m'assomme plutôt que ça me réveille. J'ai pas besoin de ça. Pas besoin non plus des autres soldats qui se parlent bruyamment de la pluie et du beau temps. Ils prennent cette... "mission" vachement mieux que moi, apparemment. J'crois que j'ai un blocage.

J'me tourne vers mon voisin de gauche. C'est mon lieutenant. Lui qui m'a annoncé que finalement, j'serai muté du côté des taulards recyclés en paysans. J'ai pas grand chose à lui dire. Juste une question.

Pourquoi ?
T'es intimidant... au moins physiquement, héhé. Les plus faibles de ces types baisseront les yeux, devant toi, t'sais ? Tu devras en profiter.
Mouais. J'ai pas signé pour ça.
Si, si. Tu débarques ou quoi ? C'est quoi le problème ? C'est une de tes attributions, et largement pas la pire.

Comme d'hab'. Rien de neuf à signaler, finalement. J'aurais pu m'en douter. J'ai pas la poigne d'un geôlier effrayant, mais j'en ai la gueule. Bien sûr. Les mauvais rôles me suivront toujours. C'est une de mes malédictions. J'me sens... résigné.

Tu fais juste comme les autres. Tu patrouilles, tu secoues ceux qui paressent, tu calmes ceux qui jouent aux caïds. T'hésites pas à rameuter les copains si t'aperçois quoique ce soit qui sorte de l'ordinaire.
J'suis pas gardien de prison.
T'es marine. T'inquiètes, tout va bien se passer. Montre leur tes dents, ils broncheront pas.
... On est bientôt arrivés ?
Ouaip.

C'est pas ça qui m'inquiète. C'est mon... blocage. Cette impression d'être inutile. Jouer aux matons. Voir toutes ces têtes usées que j'connais pas. Des têtes de criminels de circonstance malheureux, ou de salauds endurcis. Soutenir leurs regards défiants, se montrer ferme, ne pas oublier ce qu'ils ont fait, ou ont pu faire. Parce que si j'vois juste une bande de pauvre types qui triment dès 5h du mat' dans la boue et les hautes herbes, j'vais les prendre en pitié et devenir une pauvre bête affaiblie par la culpabilité. Mais c'est des taulards. Des sales types. Ils... méritent leur sort. Normalement...

C'est tous ces souvenirs et mes vieux rêves qui vont peu à peu refaire surface, ces remontées gastriques. 'sont mes regrets, mes compagnons d'infortune. Les flashs de cette époque où j'rêvais encore de devenir un héros, au service de la justice. Ou au moins, quelqu'un de bien. J'voulais défendre les opprimés. J'étais faible, tellement crédule, d'une guimauverie gerbante. Mais c'était si doux. Ces espoirs sans fondations. P'tits fêtus de paille que j'me construisais, en souriant. Et que l'frangin m'aidait à préserver. Tark, qui m'a toujours servi de pare-vent, il savait pas ce qu'il faisait en me prenant autant en pitié. Parce que c'était ça, j'suis sûr. Il pensait que j'étais un peu illuminé. Lointaines évocations qui me donnent aujourd'hui envie de cracher sur mon reflet. Naïf, sirupeux, trop fragile. J'avais aucune structure, j'vivais dans mon monde. J'étais un innocent qui campait dans l'ombre de son frère. Une merde.

Aujourd'hui, j'suis différent, mais pas meilleur. Comme souvent, j'me retrouve du mauvais côté de la balance. J'tiens le fouet. J'aurais du devenir révolutionnaire, suivre mon frère. J'ai loupé le coche. Alors, à part les remords, qu'est-ce qui me reste ? ... Hmmf. La sensation d'me faire balloter par le monde. Et mes sales échos. J'crois que si j'fais pas gaffe, je vais finir par plus habiter que dans le passé. Y a un peu... d'amélioration. J'ai plus la mine aussi déconfite qu'avant. J'serre plus les dents pour me déstresser. Mes yeux ne sont plus ceux d'un merlan mort, et ça fait longtemps que les larmes y ont séché. J'ai du retrouver ma tronche de prédateur... avec un zeste d'apathie en plus. L'idéal. Mon physique me protège contre les gens.

Les odeurs de bouses et d'herbe humide me reclouent au plancher des vaches.
On arrive aux champs. On descend. Vachement sensitif, j'ai pas besoin de beaucoup de nuisances pour m'empêcher d'me réfugier dans mes pensées sombres, en ce moment. J'ajoute à ça le boucan grandissant des prisonniers et des matons. Et là-haut, ce soleil matinal aveuglant qui m'fait baisser la tête. Je sature déjà... La journée va être longue. J'balaye la zone des yeux. Ces rangées de types enchaînés entre eux m'impressionnent. J'calcule même pas ceux qui me semblent... "normaux". Par exemple, qui ont pas la moitié de la figure arrachée comme ce type. Ou qui ont pas un profil de rat vicelard comme celui-ci. Ou qui font pas cinq mètres comme celui-là. Normaux. Pas que j'me formalise sur leurs physiques. J'connais pas le passif de ces mecs. J'ai aucun droit de les juger juste pour leur tronche et par leur présence ici. Le gouvernement l'a déjà fait pour moi, donc...

Belle matinée, les gars !
Répartissez vous dans le secteur. On prend la première relève de la journée. Faites ça proprement.
'va faire beau aujourd'hui, ouaip.
Et restez alertes, on est pas sur une terrasse...

Et tout le monde se déploie. J'oublie pas les consignes. Faut toujours avoir les yeux grand ouverts. Regarder ce que fait chaque captif, mater où sont les copains. Pas oublier où on est. Un gardien, c'est pas tout-puissant. J'pense qu'il faudrait le rappeler à certains des gars avec moi, qui balancent déjà de sales mots aux types à côté desquels ils passent. Malgré ce qu'ils ont pu faire, que ce soit à des innocents ou au gouvernement, j'parviens pas à m'empêcher d'avoir pitié d'eux. J'crois qu'ils me rappellent trop ce que j'ai vu sur l'île des esclaves.

J'commence ma ronde, j'rentre dans le champ. Le pas lent et faussement assuré.
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Entassés comme des sardines, ils se serrent les uns au aux autres avec à peine quelques centimètres entre chaque épaule. Ils sont là, au milieu du champs, en rangé, et ils récoltent, et ils récoltent. Il y a le soleil qui brûle leur crane, il y a leurs gorges qui se sèchent de la chaleur et du manque d'eau. Et pourtant, ils sourient. La plupart. Ils ont leurs lèvres qui se pointent vers le haut à pouvoir passer quelques temps à l'air libre. Et s'il n'y avait pas les chaînes pour leur rappeler à la réalité, ils pourraient presque s'y croire, ils pourraient presque se croire dehors. Pour de bon.

Mais il y a les chaînes, les chaînes et les matons qui sont là pour réveiller les plus endormi.

Ils ne parlent pas, ou peu. Parce que les mots sont proscrits et les gestes trop rapides. Il y a leurs dos tous voûtés pour ramasser les pommes de terre qui s'entassent dans leurs sacs. Comme autant de fourmis emmêlées dans une étrange ligne droite, ils se cognent les uns aux autres, tous semblables qu'ils sont avec leur uniformes de taulards.

C'est drôle, c'est drôle comme les matons semblent si fiers, libre qu'ils sont. C'est drôle comme il lancent leur mots d'insultes comme autant de poignards. Mais les fourmis ont l'habitude. Elles connaissent. Et même si certains tiquent, et même si certains se piquent. La plupart ne dit rien, n'entend qu'à peine, entre deux bruissement d'herbe et de terre. Entre deux ramassages. Ils se taisent parce qu'au fond ils savent que ça ne sert à rien. Ça ne sert qu'à gagner quelques coups.

Et les coups, ils n'aiment pas ça.

Alors ils se taisent. Tous. Tous excepté deux voisins de chaînes. Ils sont là, à rammasser leurs légumes. Le premier perd sa longue barbe dans la terre et le second, plus jeune, a les cheveux roux recouverts de poussière. Ceux là parlent, mais bas, tout bas, comme pour ne pas se faire entendre, comme s'ils préparaient un quelque chose. Et à côté l'immense voisin, l'immonde homme poisson fait comme si de rien.

-Et comment qu'on saura que c'est bon ?
-Ça se verra.
-Et comment que ça se verra ?
-Sois patient, gamin. Et discret, surtout.

A côté, le Monstre rumine.

-Hein, que ça te pose pas de soucis, Ishii ?
-Hmm.
-Allez, m'dis pas que tu sais pas.
-Hmm.

Mais les paroles se taisent au même moment que les bâtons se sortent. Le maton le plus proche en a eu mare d'entendre les bruissements de bec plutôt que ceux de labeur. Alors il frappe. Et même si ça fait mal, même si ça cogne fort, les trois taulards continuent à sourire de toutes leurs dents.

Loin, devant leurs yeux à mi ouvert, s’élève un soleil jaune qui remplit le ciel de ses rayons. Et tout autour, les couleurs et teintes de vert, bleu, marron, se mélangent entre elles pour former arbres et buisson, rossignols  et alouettes chantant, et toute cette nature qu'ils croyaient avoir oublié, elle se redessine sous des yeux ébahis.
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Chacun de ces mecs a la mine usée, les corps sculptés par le malheur et par le crime. Pourtant, j'en compte pas mal qui sourient. C'est comme s'ils trouvaient du réconfort dans cette campagne matinale, boueuse et puante, et son affreux soleil éblouissant. A force de vivre enfermé, ils se gavent de la moindre lumière que laisse passer une ouverture, même timide. Chose que j'sais pas faire. Profiter de l'instant présent, j'sais pas faire. Relativiser, me satisfaire de ma condition, passer des trêves avec moi-même, toutes ces conneries, j'sais pas faire.

J'passe dans les rangs, j'avance lentement, j'soutiens le même rythme depuis tout à l'heure, le pas lourd et affreusement militaire. J'pense que mon malaise me suinte par tous les pores, mais les bagnards semblent trop absorbés pour le sentir. Peu de réactions face au passage d'un homme-requin derrière eux. Peu de regards en biais, peu de commentaire chuchoté, pas de peur, pas de médisance. Comme s'ils étaient plus tout à fait en vie, ou pas dans la même réalité. J'suppose que la vie et le destin a tué quelque chose en chacun d'eux. Et bizarrement, pour la plupart, c'est p'tete pas l'espoir. Voilà, c'est ce que j'craignais. J'commence déjà à penser à ce qu'ils sont plutôt qu'à ce qu'ils ont pu faire. La marine m'a trop souillé pour que j'puisse me sentir en sécurité à ses côtés, alors, c'est comme si j'm'improvisais d'autres alliés véreux mais plus sincères, comme ces démons. Tueurs, dealers, voleurs, traîtres, pirates, sûrement tous un peu victimes. J'aurais jamais l'coeur d'en mater un, même si j'en ai largement les moyens. J'prie fort intérieurement pour qu'aucun de ces mecs ne joue au con pendant que j'suis dans les parages.

Et quand j'essaye de m'changer les idées en repérant les collègues, c'est pire encore. Une partie d'entre eux qui punit, l'autre qui se promène l'air à moitié insouciant. Peu importe où mes yeux pointent, tout ce qu'ils croisent m'ébranle un peu plus. Valable pour le présent comme pour le passé. Valable pour le monde extérieur comme pour l'intérieur de mon esprit. J'me sens cerné par le malheur, écrasé. J'me sens terriblement seul et minuscule au milieu de ces rangées d'âmes perdues. Et quand j'en vois certains d'entre eux sourire, pourtant enfoncés dans leurs drames... J'sens que je perds pied. Ces criminels ont p'tete pané des choses que j'effleurerai jamais. Certainement de sacrés salopards pour la plupart. Des salopards qui ont une longueur d'avance sur moi, aujourd'hui.

Une dizaine de mètres devant moi, le lieutenant frappe trois de ces ombres. Un vioque, un jeunot, un gros. Très gros. En passant à mon tour à côté d'eux, j'aperçois leurs visages. J'vois la barbe crasseuse du premier, la jeunesse poussièreuse du second, et le troisième... Un homme-poisson. Comme moi. J'fais pas de faveurs aux bestioles de mon espèce, d'habitude. J'sais qu'mes congénères sont violents, impitoyables, vengeurs et soudés. J'comprends que les humains puissent en avoir la trouille, eux si fragiles et nombrilistes. Mais, alors que j'passe derrière le cachalot, j'peux pas m'empêcher de baisser les yeux, et de ruminer. De lâcher deux-trois jurons. D'me sentir toujours plus atteint par le sort des gens de l'ombre et de m'éloigner encore d'mes principes naïfs de justice et de héros/vilains de BD. J'en ai toujours eu gros sur la patate, et ces dernières années, la pression a continué à s'accumuler. Mais jamais j'aurai l'droit d'ouvrir les vannes.

J'ai baissé les yeux trop longtemps. Enfermé dans mes pensées, j'ai failli rentrer dans mon lieutenant.

Tu sors de ton secteur, là.
... ah ?
Rien à signaler ?
Rien, mon lieutenant.
Alors demi-tour. Sois un peu sérieux, merde.
Oui, oui, mon lieutenant.

J'm'éxécute, j'emboîte mes propres pas et j'me recentre sur ces types, j'regarde ce qu'ils font. C'est mon boulot. J'passerai la matinée à faire des allers-retours dans les mêmes rangées... J'vais finir par connaître toutes les têtes du coin. Elles vont toutes venir se graver en moi. Des fantômes de gens que l'monde sauvera pas, qui intéressent personne, et qui verront jamais la vraie lumière.
J'espère que l'aurore leur a pas trop piqué les yeux, au moins.
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C'est l'heure de la bouillasse. De celle que les hommes vident et lèchent de tout leur saoul. C'est l'heure de la bouillasse infâme qu'un chien ne voudrait pas mais que ces hommes là, ils piactent avec hargne. Il crochent leurs dents au cœur de la viande, lèchent leurs langues bien au fond de la gamelle.

Et pas une miette ne restera. Et pas une goutte ne tombera.

Parce que cette bouillasse là sent bon les champs, sent le cochon élevé au milieu des herbes. Et ce goût là, ce goût de la nature qui se retrouve, même si cette nature n'est pas si belle, n'est faite que de restes, ce goût là est magnifique. Parce qu'il avait été oublié au gré des couloirs de prison et des barreaux de fenêtre. Alors ce goût là assombri par la puanteur ne se gâche tout de même pas en restes.

Et les hommes piactent.

Et les prisonniers bouffent.

Et les geôliers mirent.

Et puis, ça braille, oh que ça braille. Ça braille dans toutes les gueules, chez tous les hommes et entre toutes les bouffées. Ça braillerait presque la joie si à chaque mouvement les crocs des chaînes ne venaient pas enserrer les mollets ensanglantés. Mais ça braille. Quand même. Sans fin, parce qu'ils ont beau avoir perdu leurs bien, leurs familles, leurs libertés, il leur reste la gueule pour dire la vie. Ça dit des âneries, ça parle des femmes comme s'ils en voyaient encore. Ça parle de leurs futurs comme s'il leur en restait. Ça parle fort en sachant que ça ne fera rien. Parce que ces mots là qui sortent à tout va et sans rien dire. Ces mots là qu'ils ne savent plus garder, ces mots là... C'est tout ce qu'il leur reste.

Et au milieu de tout ce vacarme qui fait perdre les sens en même temps que l'ouïe, il y a l'autre. Le tout calme. Le tout grand, l'immobile. Et celui là, il ne dit rien. Il piacte dans sa gamelle sans un bruit. C'est comme si la bulle qu'il s'était créé ne pouvait pas se faire déchirer. C'est comme s'il était ailleurs. Mais pourtant, ces deux gros yeux se baladent entre les hommes tout calmement. Et quand ces deux yeux là se posent sur un taulard, le taulard se tait. Il ramasse sa gueule dans son assiette et n'ose la ressortir que lorsque le regard est parti.

Puis il recommence comme si ce moment n'avait jamais existé. Comme si ce n'était qu'une illusion. Comme si le maton avait révé.

Mais le maton ne rêve pas et dans tous ceux qui sont là, il y en a un qui ne prend pas. Le jeune poisson qu'est parti trop loin de son eau. Ce poisson là ne comprend pas. Alors il s'avance, à petit pas. Et plus il s'avance et plus ses doutent se font. Et plus sa peur se fond. Alors il avance, encore. Jusqu'à ne plus être qu'à une dizaine de pas. Puis cinq, puis dix. Et plus il avance et plus le Monstre se restreint ses gestes, pour ne plus devenir qu'immobile. Le cachalot est assis, à renifler de ses grosses narines l'autre poisson qu'avance dans son dos. Quand les deux ne sont plus qu'à un mètre il y a la grosse voix qui sort. Elle est calme la voix, presque trop.

Hmm. Dis moi, l'ami. ..

C'est beau chez nous ? Parce que moi... On m'a traité de fils de. De sale race. De mangeur d'hommes. Et d'autres choses que j'ai préféré ne pas garder. Mais moi je ne connais pas. Je ne fais qu'écouter. Alors je voudrais savoir.

C'est beau, là bas ?
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La matinée est passée vite. Mon état s'est dégradé. Le soleil m'a grillé le système. Il me frappait. M'éblouissait. M'faisait bouillir, et chacun d'ses rayons m'empalait. Mais j'me forçais à le mirer. C'était soit laisser le ciel m'agresser, soit m'pencher au-dessus d'ce précipice qui m'donne la nausée. Ce gouffre d'âmes en sursis...

Le réfectoire est plein à craquer. Debout, dans un coin, à circuler entre les tables en grinçant des dents, m'imaginant mordiller des lèvres rosées et pulpeuses... Celles d'un humain qu'j'aurais pu être. Être un humain, c'est si facile. Ils sont si puissants, si violents, si grands et si nombreux. Fantasmer d'être quelque chose d'autre. Terni toujours plus par mon imagination, mon esprit s'laisse encore un peu plus flageller par l'ambiance du réfectoire. Cette atmosphère chargée qui m'écrase, et ces regards palpitants qui m'fusillent quand j'entre dans leur visée, et cette chaleur étouffante, et le parfum de la terre et de la poussière qui s'unifie à celui de la sueur, et ces fenêtres qui laissent tomber sur le carrelage des rayons si dorés et si déphasés avec l'activité des âmes par ici...  

Chaque voix qui s'mêle à une autre, puis à une autre, et à encore une, des dizaines d'intonations différentes, du rauque, du fluet, du cassé, qui convergent tous vers l'évidence qui m'échappe encore. Ils ont encore la force de parler, de rire, d'espérer. Même d'causer de choses qu'ils reverront p'tete plus jamais. Vous becquetez cette mélasse poisseuse, dont j'oserais même pas humer l'fumet. Les cliquetis d'vos chaînes vous rappellent à chaque instant où vous êtes, c'que vous êtes. Mais vous vous laissez vivre, vous dévorez le présent en même temps qu'cette pâté. C'est quoi, au fond, votre problème ? Ou le mien ? Ou celui du monde ? L'est où, l'bonheur ? Votre passé vous hante pas ? Vous vous haïssez pas ? Vous désespérez pas d'vous être fait voler votre horizon ?

Je m'enfonce et perd peu à peu les forces pour m'retirer vers le haut. Fauchées, mes convictions. Happés, mes repères. Tark est parti. Plus de famille. Pas d'amis, jamais d'amis. Pas pour moi, les amis. Pas d'évasion dans la drogue. Pas de noyade dans la picole. Plus de consolations dans les pleurs et les larmes. Seuls le silence, et ma face de marbre. J'évolue désormais sur un plan où ce n'est plus le noir qui m'oppresse, mais la lumière. C'est un point de non-retour. M'suis vidé de toute ma substance. Plus envie de rien. Ou envie de tout. J'sais pas bien. L'est passé où, l'enfant avide d'avenir et de sourires dessinés à la craie sur ces gens qu'il aurait secouru, sauvé, aidé, voire aimé ? L'est mort, l'enfant ?

Moi, j'cale sur mes méditations, mais mes pattes continuent, l'une après l'autre, à tamponner le carrelage pendant ce temps. Et avant qu'je puisse me rendre compte d'où elles me portent, et avant que j'puisse changer de cap, trop tard. J'suis forcé de l'affronter. Le cachalot de tout à l'heure. Celui trop tranquille pour être honnête. Grosse voix calme qui raisonne dans mes tympans fragilisés.

J'mets bien quelques secondes pour avaler les mots, encore quelques unes de plus pour les digérer.
J'essaye de régurgiter quelque chose. En sortant, ça s'coince.

C'est beau... pas pour tout le monde.

Enlisé, j'suis bloqué dans la vase de mon propre mouron. Pour m'sortir de là, j'décide d'essayer d'me délester d'un d'ces poids qui m'alourdit l'coeur. Et d'le livrer au cachalot, impassible, comme si lui aussi avait les mirettes retournées, rivées sur son monde intérieur.

Moi aussi, j'ai du mal. Avec ce que je suis. Enfin, avec ce que je... un homme-poisson, quoi...

J'vois des regards acérés filer droit vers mes mirettes cernées. Cherchant à croiser le fer avec mes yeux froids, les autres gardiens s'font déjà bien méfiants. Croient déjà que je pactise avec le diable ? M'doute que ces rapaces me savent vulnérable. Mais ça fait quelques temps qu'mes propres collègues sont devenus étrangers, tandis qu'j'ai fais de la misère du monde ma camarade... Alors sans penser plus, j'laisse mon regard retomber sur le cachalot. Puis d'un ricochet, sauter dans l'magma marron qui lui sert de mangeaille. Je fixe c'qui avait l'air de le régaler. Et ça m'semble infâme. J'résiste pas. Ça s'effrite en moi. Et ça s'échappe. J'lui glisse à messe basse :

Euh, dites... 'voudriez p'tet béqueter quelque chose de meilleur ? J'ai accès aux cuisines. J'peux faire semblant d'me ravitailler. Si vous voulez manger... vous voyez... autre chose que cette bouillie.

C'est comme si j'avais pas pu m'en empêcher. M'improviser bon samaritain d'pacotille, lui proposer quelque chose que j'devrais pas lui offrir. Faire l'aumône à un taulard qui m'a piqué les sentiments au vif. A fleur de peau, c'est comme des vieux réflexes d'altruisme débridé qui ressortent sans que j'puisse les canaliser. J'sais pas, hein, c'qu'il a dans la tête ? Qui sait c'qui a pu le faire tomber en enfer ? Mais j'parviens pas à m'rétracter, et m'contente de le mirer d'mon air niais et fuyant, m'préparant à fouiner dans la cuisine... chercher du plus savoureux à partager, plus savoureux que quelques mots volants suintant la tristesse.
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C'est qu'il est du genre à payer ces dettes, le cachalot. C'est que le Monstre, c'est un homme qui rend. Alors le Monstre sourit, il se dit que ce cadeau tout bête qu'il vient de proposer, que le Craig ne sait peut être même pas pourquoi il l'a fait, et bien ce cadeau le sera pour eux deux. Il montre ses belles dents, le cachalot, toutes blanches et carrées comme un joli collier de pierres blanches. Ça fait peur les pierres blanches parce qu'on se dit que ce n'est pas... Humain. Mais le Monstre s'en fout parce que le Monstre se sait Monstre et que ce détail là, c'est le détail qui l'a construit. Dans la douleur, dans les larmes et dans le sang qu'il aurait aimé ne pas faire couler, mais qui l'a construit quand même.

Alors c'est ce qu'il dit au Craig, en continuant à mirer son assiette comme si ce n'était qu'à elle qu'il parlait. C'est juste que le collier qu'il a autour du cou l'empêche de se tourner pour voir l'autre poisson perdu au milieu de la terre. C'est juste que ce collier là avec les autre lui broient le corps jusqu'à lui rendre douloureux chaque mouvement trop important. Mais le Monstre ne montre rien, non monsieur. Il reste droit comme un L sur sa chaise de bois. Il reste calme comme un sage dans ses pensées de fou. Il reste humain comme le Monstre qu'il est.

-Hmm. L'ami. Tout faible que je suis, tout incapable que je suis, ce service là que tu m'offres, je te le rendrai. Parce que ce sourire là que tu m'offres avec ce ventre plein que je vais connaître, Hmm... Il a un prix. Comme toute chose. Et chaque prix se paye. Hmm... Merci.

Alors lorsque l'assiette lui vient devant ses deux énormes yeux, lorsque sa fourchette pique les bon bouts de légumes frais pour venir s’empaler sur ses canines, le Monstre savoure. Il savoure ce goût des champs, de verdure, de nature. Et durant quelques instants il oublies les chaînes qui lui saignent la peau pour ne plus se rappeler que de sa liberté qu'il a perdu depuis bien longtemps. Ce n'est pas le goût du plat, des aliments qu'il cherche, c'est le goût de la vie qu'il redécouvre.

Ce cadeau là, tout bête, ces quelques morceaux de pomme de terre, de courgettes, ce cadeau là est l'un des plus beau que l'on puisse lui faire.

Mais le temps passe. Le repas se finit et ce rêve d'une autre vie disparaît avec les derniers morceaux engloutis.

♫-♪-♫-♪-♫-♪-♫-♫-♪-♫-♪-♫

-Il est d'accord ?
-Bien sûr qu'il est d'accord !
-Mais alors... C'est bon ?
-Chut, le Monstre arrive...

Le vieillard et son acolyte se taisent. Leurs dos voutés recommencent à bêcher la terre tandis que le Monstre et sa marche en canard dû aux fers qui lui broient les jambes s'avance à leurs côtés. Ils restent là, un moment, à becher la terre, à enfoncer leurs pioches et leurs pelles le plus loin possible, à retourner crasse et poussière sous le cagnard d'été. A peine quelques jours qu'ils sont là, et déjà, leurs uniformes ont perdu toute couleur pour ne plus être qu'un mélange de gris, de verdâtre et de marron qui se mélange entre elles pour donner une teinte immonde à des vêtements déjà laids.

Ils ne parlent pas. Peut être est ce la peur, l’inquiétude, ou seulement la chaleur mais le crane dégarni du vieillard suinte. Le visage blanchâtre du gamin se colore de rouge.

-Hmm.. Vieillard, tu te rappelles ?
-Oui Ishii, bien sûr.
-Hmm. Et tu sais ce que j'en pense, Hmm ?
-Bah euh, j'en sais fichtrement rien, de ça, par contre.
-J'en pense, hmm... Que je n'aime pas les retards.


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C'est quoi, un monstre ? On naît monstre ou on l'devient ? Comment tu sais si t'en es un ? J'suis un monstre ? Ces rasoirs qui sertissent mes rares sourires font d'moi un monstre ? Même si j'm'en sers pas ? Même si la moindre pièce de viande m'écoeure ? Même si au-delà d'la mâchoire du prédateur, j'ai ces étranges mirettes humides et écarquillées de bovin ? Elles macèrent, ces questions, élèvent un arôme qui m'envahit et apporte un peu d'goût à ma courte épopée dans les couloirs de misérables qui strient ces champs crasseux. Contaminé d'un virus qui n'cesse d'attiser ma fièvre, depuis quelques jours. Ça me monopolise. Une obsession. Une flamme vacillante que j'veux transformer en brasier. Mon frère avait la torche. Il a disparu. M'retrouve seul sans lumière dans c'monde obscur. Alors je cherche un sens. Juste un sens.

J'me pose trop de questions ? Est-ce que j'me pose trop d'questions ? Pourquoi j'peux plus mirer un seul de ces gars sans être assourdi d'échos ? P'tete un peu la faute du cachalot. Il l'avait pas remarqué, et moi non plus ce jour-là. Mais c'est limpide maintenant, j'ai échangé cette bouffe contre ce virus. Et ces doutes qui m'laminaient avant deviennent aujourd'hui encore plus virulents. J'en ressortirai plus fort après les avoir affronté, j'en suis sûr. Et j'y serai immunisé. Et j'les retrouverai consolidés, ouais, elles doivent pas être bien loin. J'les retrouverai, mes convictions. Mes certitudes. Ma voie.

Craig ? Reviens nous ?
Quoi ?
Encore dans la lune, planté au milieu d'la voie. C'est peut-être pas le meilleur endroit pour réfléchir ?
Désolé, mon lieutenant.
T'es toujours désolé. Je vois pas ton arme ?
Euh... oubliée. Désolé.
T'as fais toute la matinée sans arme ?
Oui.
T'inquiètes tout le monde, en ce moment.
C'est mon rôle.
Fais pas le malin. Je parle de tes collègues, et d'moi-même. Le sort de ces types te touche tant que ça ?
Je...
Réponds pas, en fait. On verra ça après avoir amené ce beau monde au réfectoire. Va te chercher une arme et rejoins l'escorte.

Même pas de "oui mon lieutenant". La diligente économie d'salive qu'a depuis bien des semaines posé son embargo sur ma voix. J'me lance dans la moindre discussion comme si j'partais moi-même au bagne. C'est l'dos voûté que j'm'éloigne du patron, l'air de porter un fardeau trop lourd pour ma colonne comme pour mon âme.

J'calque cette démarche sur celle de la plupart de ces enfants de l'ombre. Qu'est mon bagage par rapport au leur ? J'les revois, sourire. Souvent. S'gausser de leur propre malheur. Faire le deuil de leur passé dans l'espérance. A côté d'ces âmes en peine qui puisent une force d'un puits qui n'appartient qu'à eux, j'ai la sensation d'pas avoir l'droit d'être malheureux. Mais c'est plus fort que moi. J'ai peur, parfois. De ce qu'ils peuvent penser, ou prévoir. Ces rictus traduisent p'tete un furieux espoir d'évasion. De la malice, la soeur du vice, mais leur unique chance de se hisser hors de leur gouffre. J'la ressens, leur envie d'évincer le poisson volant au-dessus d'un nid de rats. Par leurs regards, leurs murmures. Quelques jours suffisent à lire et saisir ma face abattue et pensive. Une simple vitrine complètement transparente. Derrière, on perçoit la faiblesse.

J'tourne la tête, timidement, freinant un rythme déjà bien lent. Adresse un oeil cerné des insomnies et de leurs cauchemars à mon lieutenant. Il me matait déjà, lui. Immobile au milieu des bagnards. Il m'envoie un regard en biais dur et lointain, où s'affrontent la pitié et l'agacement, rejoint d'un profond soupir, qui concilie les deux. T'penses que j'tiendrai pas, lieutenant ? Que je ferai quelque chose de stupide ? Bizarrement, aujourd'hui, j'ai jamais été aussi puissant dans ma faiblesse.

*****

Longue file qui longe les barrières du sentier. Tout au bout, de quoi remplir tout ces estomacs creux qui raisonnent.

L'bois du fusil griffe ma nuque suante et poisseuse. Le fer froid de sa crosse dans l'creux d'ma palme alimente le frisson qui m'agite. L'âme tombée dans mes bottes qui m'amènent mécaniquement à l'arrière du convoi. Le son de toutes ces bottes m'fascine. C'est comme si elles mâchaient la terre qu'elles foulaient. Et croquaient les cailloux sur lesquelles elles tombaient. Le bruit d'une centaine de lourds pas, d'matons, d'taulards, de pattes qui transportent des ventres vides, ça a une sonorité sacrément vorace. Bizarre.

Eh ! Tu te tais, toi !

Signal crispé d'un matelot devant moi, mutant en frappe meurtrissant l'épaule d'un vieillard à la longue barbe touffue et grisonnante, une espèce de fourrure d'animal mort pendue à un long menton cabossé par le temps. Juste quelques bavards recadrés par la jeune recrue nageant dans son manteau, trop grand pour lui. La marine, sûrement trop grande pour lui aussi. J'déteste ce p'tit caïd. Pas de chance, ses manières sont l'reflet d'excès d'un max d'ceux qu'on prétend être mes camarades.

M'sens gorgé de vide. L'esprit s'aventurant dans des contrées un peu loufoques pour oublier les paysages torturés. Mes questions me murmurent toujours leurs doutes aux portes de mes pensées. J'ai hâte de décompresser. D'arriver au réfectoire. De grailler un peu, moi aussi. L'espace d'un repas, d'être au niveau d'ces gars. La tambouille de la marine, le brouet des prisonniers. J'vois pas la différence. Pourtant, les mirettes du cachalot s'étaient éclairées, l'autre jour, devant l'patchwork de légumes entassé dans la gamelle de ferraille réglementaire. Encore une logique et des nuances qui m'effleurent sans m'investir.

Il va bientôt passer devant moi. L'réfectoire est tout droit et la tête du long serpent de malheur y est déjà rentrée. J'devrais presser un peu les retardataires, mais j'en ai pas l'coeur.

Il va bientôt passer devant moi, l'autre homme-poisson. Accrocher son regard risque de malaxer un peu plus la bouillie glougloutante qu'est devenue mon esprit. Alors j'reste droit, les mirettes défiant l'horizon d'l'autre côté des barrières. Ça ressemble à une position fière, et déterminée. J'force mon corps à m'contredire. J'voudrais regarder partout, qu'ma curiosité et les débris d'ma fougue tentent de prendre le pas sur mes questions. Juste un instant.

Et j'craque. L'homme cachalot arrive à mon niveau. J'baisse ma tête mais mes mirettes restent vives. Et se collent à lui, comme des aimants.
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Les épaules voûtées, c'est la vie qui devient trop lourde et le poids du Monde qui fait craquer les muscles, les tendons, les os, la chair d'un corps qu'a déjà du mal à ne pas se faire bouffer par l'esprit. Mais le Monstre, lui, se tient droit comme un I lorsqu'il passe devant le poisson perdu sur terre.

Ce I là qui tient, ce I là, grand, fort, sans un seul virage de travers, sans une seule once de doute, ce I là se tient comme ça parce que le monde, il l'a abandonné depuis longtemps, parce que ce poids ne vient pas s’agripper à ses épaules et que son corps ne laisse porter que le corps. Parce que le Monde est à sa place, sous la paume des pieds et pas agrippé sur deux sangles, tenues par les épaules.

Celles du petit Poisson font penser à des années du Monstre. Elles lui rappellent un temps où le froid bouffait le corps. Elles lui rappellent un long pont, une longue marche où les gueules gelaient les langues sur des stalagmites pour pouvoir lécher quelques gouttes de pluie et ne pas mourir. Elles lui rappellent la faim qui lui dévorait le ventre vide depuis des jours. Elles lui rappellent le poids d'un gamin trop léger pour son âge, trop affamé, pour son âge, un gamin qui ne tenait plus sur ses jambes tellement la fatigue avait fini par presque le tuer.

Le Monstre ne sourit pas. Le Monstre ne houspille pas. Il ne dit rien et passe devant Craig à peine quelques secondes. La nourriture l'attend. Tout autour et comme chaque soir, c'est la débandade. Ce sont les becs qui s'ouvrent aussi vite que les cœurs pour tout avaler.

Ça braille de partout ce soir. Ça rit même. Ça oublie sa vie de misère le temps de vider une assiette. Autour, les marines tournent en rond pour calmer les plus hardis. Alors parfois ça arrête de rire un court instant pour repartir quelques secondes plus tard.

Le petit poisson lui, continue ses tours, encore plongé dans un autre Monde, dans d'autres rêveries. Il passe à quelques centimètres du Monde qui l'arrêtte d'un mouvement de tête.

-Dis moi, l'ami, tu connais l'histoire du poisson rouge ? Celui qui vit dans un minuscule bocal et qui n’arrête pas de se cogner la tête sur les parois en criant « laissez moi sortir, laissez moi sortir !! ». IL cogne et rencogne sa tête chaque soir jusqu'à rendre fou son propriétaire. Alors un jour, exténué et se demandant à quoi bon avoir un joli poisson rouge si c'est pour l'entendre gueuler à longueur de soirée, l'homme libère le poisson. Il lance le bocal dans l'océan. Le poisson sort, mettant ses nageoires dans le monde libre. Un peu perdu il regarde autour et voit son bocal à quelques mètres. Il fonce dessus et se cogne violemment le crane. « Laissez moi entrer » qu'il braille, « laissez moi entrer.


Tout le monde se marre. Sauf le petit poisson qui recommence à marcher comme s'il n'avait rien entendu. Le Monstre lui aussi recommence simplement à avaler ce qui lui reste. Et le repas recommence. Les gens mangent, les gens braillent, les gens rient. Sauf deux, deux hommes assis l'un à côté de l'autre qui peu à peu deviennent blanc. Le Monstre les voit. Le Monstre aimerait prévenir leurs voisins mais le Monstre préfère se taire.

Alors les deux hommes passent du blanc au jaune au vert. Ils se taisent d'abord puis commencent à tousser, manquant de s’étouffer. Et puis forcément le drame arrive. Leurs gueules s'ouvrent presque en synchronisation pour venir dégobiller tout ce qu'ils avaient avaler. Les deux hommes viennent de gagner une nuit en infirmerie. Les voisins s’horrifient de l'odeur, se moquent des victimes, mirent leurs assiettes avec suspicion mais la faim est trop présente et ça n'empêchera pas chaque prisonnier de finir chaque morceaux de nourriture.

-Glurps, c'est quand même salement méchant.

-Yep, boark, c'est salement méchant.

Les deux victimes quittent la salle sous les huées, accompagnés de deux marines.
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