En préparation de ce qui allait venir, j'avais réservé une chambre dans un hôtel de moindre qualité. Oh, ce n'était pas taudis. Après tout, la capitale d'Alabasta pouvait s'enorgueillir d'une richesse certaine, de telle sorte que son « bas quartier » n'aurait pas dépareillé dans un lotissement de petite bourgeoisie à Marie-Joie. C'était là que je passais mes journées solitaires, à arpenter les rues, poussant quelque fois jusqu'aux grands boulevards. Mais peu désireuse de risquer de croiser quelqu'un capable de voir Shaïness sous ma nouvelle apparence, je me limitais aux quartiers des artisans. Les allées et les ruelles débordaient de vie, de couleurs et de fragrances. Les sacs d'épices en camaïeu d'ocre et de carmin, les chatoyants et les brocards et les damassés des tissus, les reflets des bijoux en pierre de nacre ou en or pale, le grésillement de la viande tournant sur sa broche et les chants des aèdes locaux... Le trépignement des petits petons des enfants jouant à grands renforts de piaillement, à se poursuivre ou à taper dans une balle. Les œillades des matadors qui roulaient moustaches et épaules en directions des jeunes donzelles faisant le marché ou servant de l'autre côté de l'étal.
C'était un monde que je ne connaissais pas. Un monde de normalité, où cuisiner son repas et laver son linge faisait partie du quotidien. Oui, depuis que j'avais quitté la maison familiale, j'avais appris à me passer de serviteurs. Je n'étais pas peu fière des mes œufs au plat et de mon poisson en papillote ! Mais au bout du compte, je n'avais fait que le côtoyer, ce quotidien, plus par obligation de survie que par immersion. Si je le pouvais, j'aurais une femme de ménage et je mangerais des petits plats traiteurs à chaque repas. A la place, j'avais un foyer vide de tout sentiment – mais plein à craquer d'accessoires de mode et de beauté ! - et jusqu'à présent, je n'avais jamais regretté mon choix. Mais à voir leur insouciance et leur joie de vivre, je me questionnai. Ce n'était plus ces questions critiques et acérées sur « comment pouvaient-ils rire ainsi alors que par le monde, le Gouvernement corrompt et contamine, comme la pire des pestes ? ». Non, c'était une douce réflexion, presque mélancolique. Leur vie ressemblerait-elle davantage à mes rêves et mon idéal si j'avais fait d'autres choix ? Moi qui voulais me rendre utile, faire un peu changer la vie, pour que demain soit plus facile et plus beau pour les gens d´ici... je me rendais compte que finalement, ils ne me demandaient rien. Oh, quand viendra la tempête oui, ils se lamenteront. Mais personne ici, pas plus que là-bas, du temps de Père et Mère, ne s'interrogeait avec autant d'angoisse que moi sur les grandes questions existentielles de « le monde tourne-t-il bien ? Pourrait-il le faire mieux ? ».
En quoi étais-je à ce point différente ? Je m'étais longtemps crue meilleure, parce que j'étais femme de conviction et surtout, de vision. Moi seule, élue parmi la plèbe, avait vu le danger, et seule, âme vaillante, je portai la bannière du bon et du bien envers vents et marées
Puis je repensais à ces femmes enfermées à cause de moi, pas très loin d'ici à bien y réfléchir, et je me posais réellement la question de savoir si j'avais eu raison de sacrifier le peu de bonheur qu'elles avaient dans ce monde, au nom d'une menace qui arriverait peut-être...
D'un autre côté, je confessai que je n'avais nulle envie de leur tenir la main en guise de réconfort pendant qu'elles endureraient la férocité gouvernementale. On ne pouvait les forcer à se révolter, mais je n'avais pas l'obligation de les protéger si elles faisaient l'autruche. Mais je ne savais pas comment leur ouvrir les yeux de façon discrète, douce et respectueuse de leur crédulité. A part fracasser le miroir aux alouettes, de la même façon qu'on enlève une bande de cire à épiler : d'un coup, avec un petit cri, je ne savais pas. Pourtant, je prenais conscience de comment ces mêmes actes, nés de l'envie d'aider, de protéger, pouvaient se retourner contre nous. Comment le Gouvernement avait berné les populations en nous réduisant au rôle du gamin qui déboule dans le jeu de quilles... en faisant taire nos paroles qui annonçait la venue du loup. Ainsi, la population continuait à jouer, jusqu'à ce qu'elle soit croquée et avalée toute crue.
Si ces pensées avaient l'avantage de me détourner des considérations sur l'inhumanité de mes récentes actions, elles ne me distrayaient pas. Aussi avais-je pris le pli de combler mes attentes au salon de thé en lisant. Enfermée dans le monde de papier, je laissais la réalité glisser autour de moi en un brouhaha ronronnant, presque réconfortant. Des petits mondes fermés dans des petits mondes fermés, répétés à l'infini, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que l'impression d'être dans une cage. Dehors, la foule qui se pressait dans les rues était comme une barrière protégeant la boutique, et la clientèle ici agissait comme une frontière, délimitant l'espace autour de ma table, comme une frontière. A plus grande échelle, la tempête qui mugissait en s'écrasant en vagues terribles sur les remparts de la capitale, isolant la ville du reste du monde. Une autre chute d'Impel Down pourrait avoir lieu que nous ne le saurions pas. La malédiction du Roi-Momie, qu'ils disaient. Moi, oublieuse de tout ça, je lisais.
Cela faisait désormais deux jours que je suivais les aventures supposément haletantes de Bon D. Djems, un aventurier luttant contre des pirates de tout acabit, quand « il » entra. Cette littérature de gare, je l'avais toujours prise de haut, mais l'ouvrage allait bien avec mon personnage – une petite dame comme ça, ça doit lire des « thrillers » à gros tirage - et puis, un peu comme avec la populace, je lui trouvais un certain charme, une fois qu'on avait décidé de lui donner une chance au-delà des apparences.
Absorbée par la lutte interne du grand brun qui devait choisir entre sauver son aimée ou sa patrie – mais je me doutais qu'il allait réussir à faire les deux, parce que c'était Djems, Bon D Djems – je ne réalisai sa présence presque trop tard, alors qu'il tirait une chaise pour prendre place à ma table.
Quelque part, je me doutais de son identité. Mais je ne pouvais exclure qu'il était un vieux beau venu draguer la jeune beauté que j'étais. Bon, cela voudrait dire que soit il avait des goûts étranges, soit qu'il avait l’œil. Mon look n'était pas déplaisant, juste tellement cliché. Or, aimer l'ordinaire ? En quoi le banal pouvait éveiller le désir ? Bref, encore une question qui poussait à me demander si j'étais bien normale.
Nous nous regardâmes pendant quelques instants, chacun scrutant le visage de l'autre, refusant de parler, refusant d'admettre une indécision ou un manque d'information. Après tout, je ne savais pas à qui j'avais affaire. Il devrait appartenir au Théâtre. Il devrait être haut gradé. Je n'étais pas idiote, je me doutais bien que le Collectionneur n'allait pas se déplacer pour moi. Après tout, à ses yeux, je devais être une révolutionnaire. Je devais être haut gradée. Nous n'en savions pas plus mutuellement l'un sur l'autre, si ce n'était que la révolution avait trouvé le moyen d'entrer en contact avec le Théâtre.
Finalement, notre concours de circonspection fut brisé par le serveur.
- « Un café aux épices. »
- « Je reprendrai un jus tropical, je vous prie. »
Le steward acquiesça et partit, laissant un silence retomber. Mais c'était un bon silence, celui de ceux qui sont partagés avec connivence. Nous nous étions « plu », dans le sens où nous n'avions rien décelé de menaçant de prime abord chez l'autre.
- « Ainsi, vous êtes Scarlett. »
- « En effet. Comment dois-je vous appeler ? »
- « El Professor. » Si Monsieur Watanabe se montrait si libéral envers moi, à se montrer à visage découvert et en me donnant son nom de code, c'était qu'il était persuadé que jamais Scarlett ne le reconnaîtrai. Parce que jamais Scarlett ne le connaîtrait en tant que Monsieur Watanabe. Ce dernier était professeur de théâtre et avait vu clair dans mon petit jeu. Si j'avais donné un créneau ouvert de cinq jours, c'était pour être sûre de chopper un contact, mais pour leur donner le temps de m'espionner tout leur saoul. Donc chacun de mes gestes lui avaient été rapportés et en bon comédien, il avait percé mon déguisement. Toutes ses petites manies, mes tics et mon intonation, tout ce que je n'arrivais pas à contrôler, lui avait indiqué mon âge, ma condition sociale et une bonne définition de mes champs d'activité. Bon, il était loin de se douter que j'appartenais au Cinquième Bureau. Mais quelque part, j'étais comme à nue, sans robe à pois et perruque devant lui. Finalement, nous nous regardions face à face. Et il savait que l'autre-derrière-Scarlett ne mettrait jamais les pieds dans un endroit où il pourrait se trouver en tant que Monsieur Watanabe.
Bien entendu, j'ignorais tout ça à ce moment là.
J'étais juste en train de psychoter comme la grande malade que j'étais sur les raisons qui motivaient cet élan de vérité tout en tentant de voir s'il y avait un code ou une menace cachés derrière cette assurance. Alabasta... Non, Alubarna... c'était leur terrain de jeu. Ici, ils étaient en position de force. Qu'importe si je savais où les trouver. Qu'importe si je savais à quoi ressemblait l'un d'entre eux. S'ils le voulaient, je ne quitterai pas cette ville vivante. C'était du moins ce qu'ils devaient penser.
- « Je suis contente que mon invitation soit parvenue jusqu'à vous, et je vous remercie d'y répondre aussi rapidement. Je craignais d'avoir attendre les cinq jours. »
- « Ceci n'aurait pas été très poli de notre part. »
- « Et je suis contente de voir que le Théâtre n'est pas un réseau de criminels sans aucune distinction. » J'avais murmuré ces derniers mots, puisque nous parlions désormais de sujets sensibles.
- « J'aurais pu croire que le choix de nos cibles vous ait déjà convaincue de ce fait. »
- « Les gens comme moi survivent en se méfiant de beaucoup de choses. »
- « Assurément. Ne devriez-vous pas vous méfier de nous ? »
- « Vous êtes le Théâtre. Bien sûr que je me méfie de vous. Je suis révolutionnaire, pas idiote. »
- « Et pourtant, vous m'avez convié à ce rendez-vous.. »
- « Méfiance ne veut pas dire crainte. Ne sommes-nous pas deux personnes civilisées ? Capables d'échanger sans avoir à se frotter le ventre, ou à se fusiller du regard ? »
Pour toute réponse, il eut un sourire fin, froid, qui ne montait pas à ses yeux.
- « Assurément. » se répéta-t-il. « Puisque vous avez pris l'initiative de cette rencontre, je vous laisse donc m'en exposer les raisons. »
- « C'est très simple. Je ne viens pas faire ami-ami avec vous, parce que nos intérêts divergent de trop, notamment sur les... convictions profondes de nos actions, alors même que nous avons généralement les mêmes actions. Mais ces convictions qui nous séparent ne devraient pas nous diviser. Juste nous amener à nous côtoyer sur des lignes plus ou moins parallèles, et lors que nous nous croisons, nous voudrions ne pas nous gêner les uns les autres. »
- « Travailler en bonne intelligence, donc ? »
- « Exactement. »
- « Et pourquoi la Révolution suggère-t-elle soudainement un tel échange de bons procédés ? » En effet, pourquoi. Jusqu'à maintenant, nous n'avions pas eu affaire les uns avec les autres et les pertes dû à un télescopage de nos missions n'avaient été que très minimes.
- « Parce qu'une de nos actions à venir risque de justement déranger certains de vos plans. Or, nous n'agissons pas pour vous... contrarier. Je suis là pour prévenir toute animosité entre nos deux organisations. »
- « Voilà un discours très contradictoire. Si vous dérangez nos activités, nous n'allons pas vous jeter des fleurs. »
- « Disons que vous serez une victime collatérale. »
- « Hum, je vois... Je comprends la motivation de votre démarche. Dois-je donc en déduire que vos chefs sont prêts à compenser les pertes que vos actions induiraient ? »
- « Induiront, El Professor. Induiront. Il n'y a rien de conditionnel, ici. »
Le visage de l'homme en face de moi se ferma, et là, je vis enfin le vrai Professeur.
Il n'était pas beau. Ce n'était pas une question d'âge. Je lui donnais entre 50 et 60 ans, soit à peu près de la génération de mon père. Certains hommes donnaient dans le beau jusqu'à très tard. Par ailleurs, certains ne le devenaient qu'à un âge avancé : jusqu'alors adolescent sans grand charme, puis adulte peu intéressant,le voilà homme. Et les rides magnifiaient soudain un visage qui exprimait enfin les soupirs de l'âme qui avait vécu.
El Professor n'était donc ni beau, ni embelli. Ce n'était pas charisme. Ou alors d'un charisme presque glauque. A la fois figés dans la pierre comme une gravure et mobile comme les reflets de l'eau vive, ses traits ne se posaient pas. J'aurais été dans l'incapacité de le décrire précisément. Il était comme un kaléidoscope de personnes. A un moment, il me semblait voir en lui l'ancien Commandeur, voisin de mes parents puis il devenait ce jeune cousin à peine sorti du boutonneux. Il n'y avait que sa chevelure auburn profond agrémenté ici et là d'argenté qui restait un point fixe.
Et cela faisait de lui un homme remarquable, et un adversaire tout aussi redoutable.
Il pouvait me tuer. Là, maintenant, en plein public. Pas lui. Mais je sus avec une précision qui donnait dans la prémonition à la Cassandre, que les clients attablés autour de nous devaient en majorité allégeance au Théâtre. Dans la rue, les passants ne marchaient pas au hasard.
- « Dans ce cas, il n'y aura rien de conditionnel dans le dédommagement que nous ne manquerons pas d'exiger.. »
- « Ce n'est pas la peine de jouer votre dur à cuire. Bien entendu que vous voudrez réparation. C'est bien pour ça que je suis ici. Pour prévenir un coup de sang et des promesses de vengeance qui nous desserviraient à tous. »
- « Et donc la Révolution vous envoie négocier les termes de ce... traité ? »
- « Hum, la Révolution ne m'envoie pas vraiment. Il s'agit plus d'une initiative personnelle, voyez-vous. » Et je sus que je l'avais déstabilisé quand il prit sa tasse pour y tremper les lèvres. Une autre que moi, l'espionne maintenant rompue à l'observation doublée d'une fine connaisseuse en termes de maintien, n'aurait pas forcément perçu ce petit moment de relâche dans sa pupille. Mais j'avais appris récemment que la pupille réagissait aux émotions, et vu qu'elle s'était légèrement dilatée, je pouvais en conclure avoir eu un effet sur El Professor. Le problème ? Identifier l'émotion. Étant donné ce qu'il était – pas n'importe qui – et le contexte, ça ne pouvait être que la surprise. Parce que les autres options n'étaient pas en ma faveur. Du tout.
- « Vraiment ? »
- « Oui. C'est un peu l'avantage de la révolution. Tous nos membres ont un but commun, mais chacun œuvre à sa façon. Et ma façon entre malheureusement en conflit avec vos intérêts. »
- « Continuez. Mais soyez brève. »
Ok. Si tu veux.
- « Je vous demande d'arrêter toute... transaction... avec l'Umbra. »
- « En quoi ce que nous faisons ou pas vous regarde? »
- « Ce qui vous amène à travailler avec l'Umbra ne regarde pas la Révolution. Du tout. Mais ce que je vais, au nom de la Révolution, mettre en place va pousser l'Umbra à vous trahir. Or, si le Théâtre devait... trébucher ou péricliter, cela ouvre la porte à beaucoup d'autres truands possédant beaucoup moins de retenue que vous. »
- « Vous osez appeler le Théâtre une bande de truands ? » Aucune fausse indignation, défi, admiration dans sa question. En fait, ce n'était même pas une question, si ce n'était une de rhétorique.
- « Ce n'est pas tant oser que dire la vérité. Vous êtes des voleurs, des receleurs et bien d'autres choses encore. Je suis une anarchiste terroriste. Nous n'allons tout de même pas jouer à qui à la plus grosse ? »
Il eut encore ce sourire fin et s'il retrempa ses lèvres dans sa tasse, c'était pour laisser le temps à la pause de s'installer. Sitôt le tintement de la porcelaine sur l'assiette, tels des boxeurs mus par un gong, nous reprîmes notre échange.
- « Je pourrais prévenir l'Umbra que la Révolution en a après elle... »
- « Vous pouvez. Ils ne seront pas surpris, vos assassins. Et ils vont trahiront du de même. »
- « Pourquoi cela ? »
- « Parce qu'ils disparaîtront dans l'ombre, sans laisser de trace. Et vous êtes une trace. De plus, la menace que je porte peut vous sembler vide de sens, mais ce n'est pas le cas pour vos assassins. S'ils apprennent que la Révolution a décidé de s'en prendre à eux, ils iront chercher une planque pour être en sécurité. Une sécurité que seul le Gouvernement peut leur offrir. Quelle meilleure façon de caresser la Marine dans le sens du poil que de leur offrir sur un plateau d'argent un des réseaux criminels les plus prolifiques des dernières années ? Maintenant que Thunder-F est démasqué, vous devriez être la menace numéro 1 pour le Gouvernement. »
S'il ne se rengorgea pas du compliment, il ne le démentit pas. Et il ne pouvait pas plus rejeter mes explications. Elles étaient d'une logique imparable. Aussi, je poussais mon avantage.
- « Vous saviez depuis longtemps que l'Umbra n'était pas un partenaire fiable.»
- « Et bien entendu, votre parole est parole d'évangile. »
- « Bah, ce n'est pas un révolutionnaire qu'on a trouvé mort dans une ruelle de la capitale il y a deux jours. » Ce n'était pas la plus diplomatique des remarques, mais sa pique m'avait énervée. Et puis, il l'avait cherché, et il m'avait même tendu une perche.
Je faisais bien entendu référence à ce fait divers qui avait à peine rempli deux lignes dans la gazette locale, mais qui avait fait bruisser les marchés pendant des jours. Pensez-vous, un crime, à Alubarna. On ne n'avait pas vu ça depuis quelques années, peut-être mêmes des dizaines. Des vols, des trafics oui, mais un meurtre ? Là, sous le nez de la garde impériale ? Ah ! L'affaire avait été étouffée, donc tous étaient au courant.
Par contre, seul Sonny avait réussi à me sortir, d'on ne savait où, qu'il pensait très fortement que c'était un assassin de l'Umbra. Aucun signe pour l'identifier, mais s'il y avait bien quelqu'un sur cette île pour savoir ce que personne ne pouvait savoir, c'était bien Sonny. Ce n'était pas pour rien qu'il était le chef local de la révolution. On n'était pas des brêles, hein !
Après ce moment d'autosatisfaction, je me concentrai sur la discussion. Ce n'était pas un bavardage futile entre deux mémés, parsemé de commentaires acidulés sur le fils de, ou la robe de.
« En plus de ce qui pourrait être un unique accident de parcours, dans une organisation qui se targue que son taux de réussite justifie ses tarifs.... Je vous rappelle que l'Umbra mange à tous les râteliers, et des criminels qui préfèrent travailler avec -ou pour- le Gouvernement, ce ne sont pas des criminels honorables. » Pour le coup, je lui tirai un petit rire sec.
Mais c'était un rire jaune. Sans le savoir, j'avais tapé dans le mille. Personne, même pas Sonny, n'aurait pu deviner qu'en fait, cet assassin travaillait pour le compte du Théâtre qui avait eu maille à partie avec un concurrent. Et quel concurrent ! Meilleur voleur et tueur au sang froid, capable de tuer un des meilleurs... Mais ce n'était pas ça qui donnait des crampes d'estomac al Professor. C'était l'attitude qu'avait eu l'Umbra face à cet échec. On aurait pu croire qu'ils se sentiraient piteux, ces grands hommes de l'ombre. On aurait pu croire qu'ils rembourseraient. Mais non, ils avaient jeté un regard noir et hautain, avaient largement sous-entendu que le blâme était à jeter sur le Théâtre qui s'était fait plumé et n'avait pas averti l'Umbra de la dangerosité de la cible. Un comportement qui n'aidait pas le vice-commandant de l'empire du crime à réfuter les arguments de la jeune et jolie – ben quoi ? - révolutionnaire devant lui.
- « Oh, pour vous, il est possible d'être un truand et d'avoir de l'honneur. »
- « Le Théâtre n'en est-il pas la preuve vivante ? De plus, cela s'applique aussi à la Révolution : nous savons parfaitement que nous agissons contre « le bien ». Cela ne nous empêche pas d'avoir de l'honneur. En fait, c'est parce que nous avons de l'honneur que nous sommes ce que nous sommes.. »
- « Je me demande si vous êtes sincères ou si vous me... comment avez-vous dit ? Me caressez dans le sens du poil... »
- « Je ne suis pas admirative du Théâtre. Tout ce qu'il est est exactement ce que je hais le plus. C'est à cause des truands que les gouvernements autonomes ont fondé la Marine puis le Gouvernement Mondial. Je respecte juste vos méthodes qui sont précises et généralement indolores pour le commun des mortels. »
- « Ah oui, la Révolution, paladin en armure des populaces... » Oh, tu veux jouer à ça, mon grand ?
- « Hé oui, il faut bien se soucier du plus grand nombre. Tous ces gens qui ne peuvent pas forcément lire et écrire... Allez au musée, par exemple. » Bim ! Aurais-tu donc oublié ce fiasco où l'un de tes hommes a totalement raté sa mission ? Une sordide histoire presque comique si elle n'était pas pitoyable de momie zombie et de malédiction...mais là, même Sonny avait du mal à croire
Le gong retentit, stoppant là nos armes, sous la forme d'un éclat de voix venant d'une mère réprimandant son enfant dans la rue. C'était peut-être une joute verbale, mais elle faisait mal. Nous reprîmes des forces dans notre coin, avant de reprendre de plus belle.
- « Donc, la révolution va nous enlever un outil et elle espère que nous allons la remercier ? »
- « Nous vous évitons aussi d'être arrêtés et mis en prison. »
- « La prison et le gouvernement, en ce moment... » El Professor tenta de minimiser la menace.
- « Il serait idiot de sous-estimer le Gouvernement. Impel Down est peut-être tombé, mais avez-vous des Tahar Tagel et des Toji Arashibourei dans vos rangs pour mener l'assaut ? Et puis, des prisons, il y en a pleins. » Tequila Wolf, le Trou, pour ne citer qu'elles.
- « Comment êtes-vous sûre que l'Umbra nous trahirait ? »
- « Parce que l'Umbra est à la base une organisation regroupant des traites révolutionnaires. Nous les avons entraînés, formés et ils ont rejetés nos enseignements pour devenir de vulgaires mercenaires. Nous savons comment ils réfléchissent, comment ils agissent et à quel point ils sont dangereux. Par exemple, si un jour un de vos concurrents payait suffisamment cher, vous, El Professor, tomberez sous leurs lames. Ils n'ont aucun scrupule, et leur seul objectif, c'est leur profit. »
- « Donnez-moi des raisons de vous croire. » Nous avancions. Il payait pour voir, je l'avais harponné
- « C'est à l'Umbra que nous devons l'échec de Goa. Sans leur trahison, nous aurions réussi. Or, ils n'avaient rien à perdre ou à gagner dans la situation. Que Goa tombe ou pas, ça ne changeait rien pour eux. Ils ont fait ça pour nous nuire. »
- « Quoi d'étonnant, puisque vous voulez les tuer. »
- « Je n'ai jamais dit que nous voulions les tuer. »
- « Vous---.. »
- « J'ai dit qu'une de nos opérations allaient les pousser à vous trahir. »
- « Cette opération ne consiste-t-elle donc pas à les anéantir ?.. »
- « La vengeance n'est pas le leitmotiv de la Révolution. » Ça, c'était mon privilège. « Ils nous ont trahi, mais tant qu'ils le font pour des raisons de manque de conviction, cela nous va. Nous les aurions laissé mener leur... guilde sans nous occuper d'eux. »
- « Je croyais que vous luttiez contre tous les crimes ? »
- « Nous ne sommes pas des justiciers masqués. La Marine doit faire son boulot. La Révolution ne veut pas simplement défaire le Gouvernement et danser sur les ruines fumantes en pleine crise d'épilepsie fanatique. Nous voulez le purger de ses maux, de la corruption. En fait, puisque nous parlons entre techniciens, notre ennemi, ce n'est pas le Gouvernement. Après tout, ce n'est qu'un outil. Ce que nous visons, c'est la main qui agite le pantin. »
- « Les Dragons Célestes... »
- « Leurs privilèges. Encore une fois, nous n'avons rien contre eux en particulier. S'ils vivent comme des riches personnes, mais des personnes normales, sans esclave, sans immunité par rapport à la CUL, nous serions heureux. »
- « Et donc vous laissez le soin à la Marine de nous traquer, nous les pirates, les bandits, les voleurs et les assassins... »
- « C'est dans l'ordre des choses. » fis-je avec un sourire doux mais tout aussi froid que lui. Oui, nous n'étions pas amenés à être amis, ou alliés. Tout avait été dit en préambule : nous cohabitions en bonne intelligence, mais nous étions, in fine, à l'opposé sur l'échiquier de la justice.
- « Et donc, vous désirez faire en sorte que la Marine s'en prenne à l'Umbra, ce qui pousserait l'Umbra à nous vendre, comme pour proposer au chasseur une meilleure proie. »
- « Si je réponds à votre question, je vais devoir vous tuer. »
Et il éclata de rire.
Pourtant, je ne rigolais pas. Bon, ce n'était pas comme si j'avais envisagé de réellement confirmer ou pas ses déductions... Mais s'il le prenait comme ça, cela m'allait parfaitement.
- « Je comprends. Il n'empêche que votre plan nous enquiquine. Je pourrais faire capoter vos plans, afin de ne pas rompre les liens actuels entre nos deux organisations. »
- « En effet, vous pourriez. Mais vous savez très bien qu'une des conditions nécessaires à la survie, c'est de ne pas s'enliser dans les habitudes. Or, vous et nous sommes des survivants. Il est mauvais de toujours s'appuyer sur le même bâton, car un jour, il se dérobera sous vous. Or, dérober, c'est votre spécialité.
De plus, cela me surprendrait que vous ne preniez pas mes informations un tant soit peu au sérieux. Même si nos conflits internes ne vous intéressent pas, il n'en reste pas moins que l'Umbra n'a aucun sens de ce qu'est la loyauté. Je ne parle pas d'une fidélité aveugle, mais du bon sens, du respect qu'on accorde aux autres. Si en dépit de mes informations, vous continuez à faire commerce avec eux, je remettrai en cause votre intelligence. Ou je vous prêterai des tendances masochistes. »
- « Et ceci n'est pas du conditionnel... » glissa-t-il d'un ton pince sans-rire.
- « N'en feriez-vous pas autant à notre égard, si les rôles étaient inversés ? »
- « Si les rôles étaient inversés, nous descendrions sur l'Umbra avec toutes les forces à notre disposition, pour faire passer un message fort. »
- « Et c'est bien pour cela que nous êtes le Théâtre et nous, la Révolution. » C'était une douce amertume. Encore une fois, nous n'étions pas pareils.
Je me levai. Il n'y avait plus rien à dire. J'avais obtenu ce que je voulais, je le savais. Le Théâtre n'aurait plus recours à l'Umbra. Pire, il s'en méfierait. Donc, si l'Umbra n'avait pas grand chose à faire des pertes de contrats ainsi induites, il ne pouvait pas se permettre de recevoir l'opprobre d'un des « grands » du milieu. C'était un grand coup que je venais d'asséner aux meurtriers de Rafaelo. Désormais les renégats d'Adam ne pourraient louer leur talent qu'à des petites organisations, généralement sur les Blues. Ça les rendrait bien plus repérables.
- « Vous ne proposez pas de faire alliance, de vous substituer à l'Umbra. » commenta-t-il dans mon dos.
- « Bien entendu que non. Nous ne sommes pas des assassins. Est-ce un dernier piège, l'ultime test ? Parce que je le trouve assez pitoyable, à ce niveau de la conversation. »
- « C'est bien dommage. Comme vous l'avez dit, nous avons tout de même des champs d'actions en commun. »
- « Oh, ça. Rien n'empêche de nous contacter en cas de doute ou de besoin. Si nous pouvons faire affaire, si nos intérêts coïncident, nous pourrions travailler ensemble. Ponctuellement. »
- « C'est vous, que j'aimerais pouvoir contacter. Je ne fais confiance qu'à un petit nombre et puisque nous nous sommes déjà rencontrés. » Voilà une proposition à double tranchant. Nous pouvions nous trahir mutuellement, et des liens, ça se remonte. Exactement comme l'Umbra aurait fait remonter la Marine jusqu'au Théâtre.
Parfois, il fallait faire confiance et prendre des risques. C'était assez ironique, puisque nous vivions comme criminel de droit commun et criminel politique. Mais je ne pouvais pas refuser, puisque j'avais loué l'intégrité du Théâtre tout au long de notre échange. C'était même la pierre angulaire de mon argumentaire.
- « J'ai un den-den. Je serai donc l'intermédiaire. »
L'amitié est un contrat par lequel nous nous engageons à rendre de petits services à quelqu'un afin qu'il nous en rende de grands. Je ne savais plus qui avait dit ça, mais il s'était trompé. Car je ne me voyais pas appeler El Professor mon ami. Pourtant, nous avions désormais un lien. Ce pacte... A quoi m'engageais-je. Mais bon... le travail est le seul ami qui vous trahit jamais...
C'était un monde que je ne connaissais pas. Un monde de normalité, où cuisiner son repas et laver son linge faisait partie du quotidien. Oui, depuis que j'avais quitté la maison familiale, j'avais appris à me passer de serviteurs. Je n'étais pas peu fière des mes œufs au plat et de mon poisson en papillote ! Mais au bout du compte, je n'avais fait que le côtoyer, ce quotidien, plus par obligation de survie que par immersion. Si je le pouvais, j'aurais une femme de ménage et je mangerais des petits plats traiteurs à chaque repas. A la place, j'avais un foyer vide de tout sentiment – mais plein à craquer d'accessoires de mode et de beauté ! - et jusqu'à présent, je n'avais jamais regretté mon choix. Mais à voir leur insouciance et leur joie de vivre, je me questionnai. Ce n'était plus ces questions critiques et acérées sur « comment pouvaient-ils rire ainsi alors que par le monde, le Gouvernement corrompt et contamine, comme la pire des pestes ? ». Non, c'était une douce réflexion, presque mélancolique. Leur vie ressemblerait-elle davantage à mes rêves et mon idéal si j'avais fait d'autres choix ? Moi qui voulais me rendre utile, faire un peu changer la vie, pour que demain soit plus facile et plus beau pour les gens d´ici... je me rendais compte que finalement, ils ne me demandaient rien. Oh, quand viendra la tempête oui, ils se lamenteront. Mais personne ici, pas plus que là-bas, du temps de Père et Mère, ne s'interrogeait avec autant d'angoisse que moi sur les grandes questions existentielles de « le monde tourne-t-il bien ? Pourrait-il le faire mieux ? ».
En quoi étais-je à ce point différente ? Je m'étais longtemps crue meilleure, parce que j'étais femme de conviction et surtout, de vision. Moi seule, élue parmi la plèbe, avait vu le danger, et seule, âme vaillante, je portai la bannière du bon et du bien envers vents et marées
Puis je repensais à ces femmes enfermées à cause de moi, pas très loin d'ici à bien y réfléchir, et je me posais réellement la question de savoir si j'avais eu raison de sacrifier le peu de bonheur qu'elles avaient dans ce monde, au nom d'une menace qui arriverait peut-être...
D'un autre côté, je confessai que je n'avais nulle envie de leur tenir la main en guise de réconfort pendant qu'elles endureraient la férocité gouvernementale. On ne pouvait les forcer à se révolter, mais je n'avais pas l'obligation de les protéger si elles faisaient l'autruche. Mais je ne savais pas comment leur ouvrir les yeux de façon discrète, douce et respectueuse de leur crédulité. A part fracasser le miroir aux alouettes, de la même façon qu'on enlève une bande de cire à épiler : d'un coup, avec un petit cri, je ne savais pas. Pourtant, je prenais conscience de comment ces mêmes actes, nés de l'envie d'aider, de protéger, pouvaient se retourner contre nous. Comment le Gouvernement avait berné les populations en nous réduisant au rôle du gamin qui déboule dans le jeu de quilles... en faisant taire nos paroles qui annonçait la venue du loup. Ainsi, la population continuait à jouer, jusqu'à ce qu'elle soit croquée et avalée toute crue.
Si ces pensées avaient l'avantage de me détourner des considérations sur l'inhumanité de mes récentes actions, elles ne me distrayaient pas. Aussi avais-je pris le pli de combler mes attentes au salon de thé en lisant. Enfermée dans le monde de papier, je laissais la réalité glisser autour de moi en un brouhaha ronronnant, presque réconfortant. Des petits mondes fermés dans des petits mondes fermés, répétés à l'infini, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que l'impression d'être dans une cage. Dehors, la foule qui se pressait dans les rues était comme une barrière protégeant la boutique, et la clientèle ici agissait comme une frontière, délimitant l'espace autour de ma table, comme une frontière. A plus grande échelle, la tempête qui mugissait en s'écrasant en vagues terribles sur les remparts de la capitale, isolant la ville du reste du monde. Une autre chute d'Impel Down pourrait avoir lieu que nous ne le saurions pas. La malédiction du Roi-Momie, qu'ils disaient. Moi, oublieuse de tout ça, je lisais.
Cela faisait désormais deux jours que je suivais les aventures supposément haletantes de Bon D. Djems, un aventurier luttant contre des pirates de tout acabit, quand « il » entra. Cette littérature de gare, je l'avais toujours prise de haut, mais l'ouvrage allait bien avec mon personnage – une petite dame comme ça, ça doit lire des « thrillers » à gros tirage - et puis, un peu comme avec la populace, je lui trouvais un certain charme, une fois qu'on avait décidé de lui donner une chance au-delà des apparences.
Absorbée par la lutte interne du grand brun qui devait choisir entre sauver son aimée ou sa patrie – mais je me doutais qu'il allait réussir à faire les deux, parce que c'était Djems, Bon D Djems – je ne réalisai sa présence presque trop tard, alors qu'il tirait une chaise pour prendre place à ma table.
Quelque part, je me doutais de son identité. Mais je ne pouvais exclure qu'il était un vieux beau venu draguer la jeune beauté que j'étais. Bon, cela voudrait dire que soit il avait des goûts étranges, soit qu'il avait l’œil. Mon look n'était pas déplaisant, juste tellement cliché. Or, aimer l'ordinaire ? En quoi le banal pouvait éveiller le désir ? Bref, encore une question qui poussait à me demander si j'étais bien normale.
Nous nous regardâmes pendant quelques instants, chacun scrutant le visage de l'autre, refusant de parler, refusant d'admettre une indécision ou un manque d'information. Après tout, je ne savais pas à qui j'avais affaire. Il devrait appartenir au Théâtre. Il devrait être haut gradé. Je n'étais pas idiote, je me doutais bien que le Collectionneur n'allait pas se déplacer pour moi. Après tout, à ses yeux, je devais être une révolutionnaire. Je devais être haut gradée. Nous n'en savions pas plus mutuellement l'un sur l'autre, si ce n'était que la révolution avait trouvé le moyen d'entrer en contact avec le Théâtre.
Finalement, notre concours de circonspection fut brisé par le serveur.
- « Un café aux épices. »
- « Je reprendrai un jus tropical, je vous prie. »
Le steward acquiesça et partit, laissant un silence retomber. Mais c'était un bon silence, celui de ceux qui sont partagés avec connivence. Nous nous étions « plu », dans le sens où nous n'avions rien décelé de menaçant de prime abord chez l'autre.
- « Ainsi, vous êtes Scarlett. »
- « En effet. Comment dois-je vous appeler ? »
- « El Professor. » Si Monsieur Watanabe se montrait si libéral envers moi, à se montrer à visage découvert et en me donnant son nom de code, c'était qu'il était persuadé que jamais Scarlett ne le reconnaîtrai. Parce que jamais Scarlett ne le connaîtrait en tant que Monsieur Watanabe. Ce dernier était professeur de théâtre et avait vu clair dans mon petit jeu. Si j'avais donné un créneau ouvert de cinq jours, c'était pour être sûre de chopper un contact, mais pour leur donner le temps de m'espionner tout leur saoul. Donc chacun de mes gestes lui avaient été rapportés et en bon comédien, il avait percé mon déguisement. Toutes ses petites manies, mes tics et mon intonation, tout ce que je n'arrivais pas à contrôler, lui avait indiqué mon âge, ma condition sociale et une bonne définition de mes champs d'activité. Bon, il était loin de se douter que j'appartenais au Cinquième Bureau. Mais quelque part, j'étais comme à nue, sans robe à pois et perruque devant lui. Finalement, nous nous regardions face à face. Et il savait que l'autre-derrière-Scarlett ne mettrait jamais les pieds dans un endroit où il pourrait se trouver en tant que Monsieur Watanabe.
Bien entendu, j'ignorais tout ça à ce moment là.
J'étais juste en train de psychoter comme la grande malade que j'étais sur les raisons qui motivaient cet élan de vérité tout en tentant de voir s'il y avait un code ou une menace cachés derrière cette assurance. Alabasta... Non, Alubarna... c'était leur terrain de jeu. Ici, ils étaient en position de force. Qu'importe si je savais où les trouver. Qu'importe si je savais à quoi ressemblait l'un d'entre eux. S'ils le voulaient, je ne quitterai pas cette ville vivante. C'était du moins ce qu'ils devaient penser.
- « Je suis contente que mon invitation soit parvenue jusqu'à vous, et je vous remercie d'y répondre aussi rapidement. Je craignais d'avoir attendre les cinq jours. »
- « Ceci n'aurait pas été très poli de notre part. »
- « Et je suis contente de voir que le Théâtre n'est pas un réseau de criminels sans aucune distinction. » J'avais murmuré ces derniers mots, puisque nous parlions désormais de sujets sensibles.
- « J'aurais pu croire que le choix de nos cibles vous ait déjà convaincue de ce fait. »
- « Les gens comme moi survivent en se méfiant de beaucoup de choses. »
- « Assurément. Ne devriez-vous pas vous méfier de nous ? »
- « Vous êtes le Théâtre. Bien sûr que je me méfie de vous. Je suis révolutionnaire, pas idiote. »
- « Et pourtant, vous m'avez convié à ce rendez-vous.. »
- « Méfiance ne veut pas dire crainte. Ne sommes-nous pas deux personnes civilisées ? Capables d'échanger sans avoir à se frotter le ventre, ou à se fusiller du regard ? »
Pour toute réponse, il eut un sourire fin, froid, qui ne montait pas à ses yeux.
- « Assurément. » se répéta-t-il. « Puisque vous avez pris l'initiative de cette rencontre, je vous laisse donc m'en exposer les raisons. »
- « C'est très simple. Je ne viens pas faire ami-ami avec vous, parce que nos intérêts divergent de trop, notamment sur les... convictions profondes de nos actions, alors même que nous avons généralement les mêmes actions. Mais ces convictions qui nous séparent ne devraient pas nous diviser. Juste nous amener à nous côtoyer sur des lignes plus ou moins parallèles, et lors que nous nous croisons, nous voudrions ne pas nous gêner les uns les autres. »
- « Travailler en bonne intelligence, donc ? »
- « Exactement. »
- « Et pourquoi la Révolution suggère-t-elle soudainement un tel échange de bons procédés ? » En effet, pourquoi. Jusqu'à maintenant, nous n'avions pas eu affaire les uns avec les autres et les pertes dû à un télescopage de nos missions n'avaient été que très minimes.
- « Parce qu'une de nos actions à venir risque de justement déranger certains de vos plans. Or, nous n'agissons pas pour vous... contrarier. Je suis là pour prévenir toute animosité entre nos deux organisations. »
- « Voilà un discours très contradictoire. Si vous dérangez nos activités, nous n'allons pas vous jeter des fleurs. »
- « Disons que vous serez une victime collatérale. »
- « Hum, je vois... Je comprends la motivation de votre démarche. Dois-je donc en déduire que vos chefs sont prêts à compenser les pertes que vos actions induiraient ? »
- « Induiront, El Professor. Induiront. Il n'y a rien de conditionnel, ici. »
Le visage de l'homme en face de moi se ferma, et là, je vis enfin le vrai Professeur.
Il n'était pas beau. Ce n'était pas une question d'âge. Je lui donnais entre 50 et 60 ans, soit à peu près de la génération de mon père. Certains hommes donnaient dans le beau jusqu'à très tard. Par ailleurs, certains ne le devenaient qu'à un âge avancé : jusqu'alors adolescent sans grand charme, puis adulte peu intéressant,le voilà homme. Et les rides magnifiaient soudain un visage qui exprimait enfin les soupirs de l'âme qui avait vécu.
El Professor n'était donc ni beau, ni embelli. Ce n'était pas charisme. Ou alors d'un charisme presque glauque. A la fois figés dans la pierre comme une gravure et mobile comme les reflets de l'eau vive, ses traits ne se posaient pas. J'aurais été dans l'incapacité de le décrire précisément. Il était comme un kaléidoscope de personnes. A un moment, il me semblait voir en lui l'ancien Commandeur, voisin de mes parents puis il devenait ce jeune cousin à peine sorti du boutonneux. Il n'y avait que sa chevelure auburn profond agrémenté ici et là d'argenté qui restait un point fixe.
Et cela faisait de lui un homme remarquable, et un adversaire tout aussi redoutable.
Il pouvait me tuer. Là, maintenant, en plein public. Pas lui. Mais je sus avec une précision qui donnait dans la prémonition à la Cassandre, que les clients attablés autour de nous devaient en majorité allégeance au Théâtre. Dans la rue, les passants ne marchaient pas au hasard.
- « Dans ce cas, il n'y aura rien de conditionnel dans le dédommagement que nous ne manquerons pas d'exiger.. »
- « Ce n'est pas la peine de jouer votre dur à cuire. Bien entendu que vous voudrez réparation. C'est bien pour ça que je suis ici. Pour prévenir un coup de sang et des promesses de vengeance qui nous desserviraient à tous. »
- « Et donc la Révolution vous envoie négocier les termes de ce... traité ? »
- « Hum, la Révolution ne m'envoie pas vraiment. Il s'agit plus d'une initiative personnelle, voyez-vous. » Et je sus que je l'avais déstabilisé quand il prit sa tasse pour y tremper les lèvres. Une autre que moi, l'espionne maintenant rompue à l'observation doublée d'une fine connaisseuse en termes de maintien, n'aurait pas forcément perçu ce petit moment de relâche dans sa pupille. Mais j'avais appris récemment que la pupille réagissait aux émotions, et vu qu'elle s'était légèrement dilatée, je pouvais en conclure avoir eu un effet sur El Professor. Le problème ? Identifier l'émotion. Étant donné ce qu'il était – pas n'importe qui – et le contexte, ça ne pouvait être que la surprise. Parce que les autres options n'étaient pas en ma faveur. Du tout.
- « Vraiment ? »
- « Oui. C'est un peu l'avantage de la révolution. Tous nos membres ont un but commun, mais chacun œuvre à sa façon. Et ma façon entre malheureusement en conflit avec vos intérêts. »
- « Continuez. Mais soyez brève. »
Ok. Si tu veux.
- « Je vous demande d'arrêter toute... transaction... avec l'Umbra. »
- « En quoi ce que nous faisons ou pas vous regarde? »
- « Ce qui vous amène à travailler avec l'Umbra ne regarde pas la Révolution. Du tout. Mais ce que je vais, au nom de la Révolution, mettre en place va pousser l'Umbra à vous trahir. Or, si le Théâtre devait... trébucher ou péricliter, cela ouvre la porte à beaucoup d'autres truands possédant beaucoup moins de retenue que vous. »
- « Vous osez appeler le Théâtre une bande de truands ? » Aucune fausse indignation, défi, admiration dans sa question. En fait, ce n'était même pas une question, si ce n'était une de rhétorique.
- « Ce n'est pas tant oser que dire la vérité. Vous êtes des voleurs, des receleurs et bien d'autres choses encore. Je suis une anarchiste terroriste. Nous n'allons tout de même pas jouer à qui à la plus grosse ? »
Il eut encore ce sourire fin et s'il retrempa ses lèvres dans sa tasse, c'était pour laisser le temps à la pause de s'installer. Sitôt le tintement de la porcelaine sur l'assiette, tels des boxeurs mus par un gong, nous reprîmes notre échange.
- « Je pourrais prévenir l'Umbra que la Révolution en a après elle... »
- « Vous pouvez. Ils ne seront pas surpris, vos assassins. Et ils vont trahiront du de même. »
- « Pourquoi cela ? »
- « Parce qu'ils disparaîtront dans l'ombre, sans laisser de trace. Et vous êtes une trace. De plus, la menace que je porte peut vous sembler vide de sens, mais ce n'est pas le cas pour vos assassins. S'ils apprennent que la Révolution a décidé de s'en prendre à eux, ils iront chercher une planque pour être en sécurité. Une sécurité que seul le Gouvernement peut leur offrir. Quelle meilleure façon de caresser la Marine dans le sens du poil que de leur offrir sur un plateau d'argent un des réseaux criminels les plus prolifiques des dernières années ? Maintenant que Thunder-F est démasqué, vous devriez être la menace numéro 1 pour le Gouvernement. »
S'il ne se rengorgea pas du compliment, il ne le démentit pas. Et il ne pouvait pas plus rejeter mes explications. Elles étaient d'une logique imparable. Aussi, je poussais mon avantage.
- « Vous saviez depuis longtemps que l'Umbra n'était pas un partenaire fiable.»
- « Et bien entendu, votre parole est parole d'évangile. »
- « Bah, ce n'est pas un révolutionnaire qu'on a trouvé mort dans une ruelle de la capitale il y a deux jours. » Ce n'était pas la plus diplomatique des remarques, mais sa pique m'avait énervée. Et puis, il l'avait cherché, et il m'avait même tendu une perche.
Je faisais bien entendu référence à ce fait divers qui avait à peine rempli deux lignes dans la gazette locale, mais qui avait fait bruisser les marchés pendant des jours. Pensez-vous, un crime, à Alubarna. On ne n'avait pas vu ça depuis quelques années, peut-être mêmes des dizaines. Des vols, des trafics oui, mais un meurtre ? Là, sous le nez de la garde impériale ? Ah ! L'affaire avait été étouffée, donc tous étaient au courant.
Par contre, seul Sonny avait réussi à me sortir, d'on ne savait où, qu'il pensait très fortement que c'était un assassin de l'Umbra. Aucun signe pour l'identifier, mais s'il y avait bien quelqu'un sur cette île pour savoir ce que personne ne pouvait savoir, c'était bien Sonny. Ce n'était pas pour rien qu'il était le chef local de la révolution. On n'était pas des brêles, hein !
Après ce moment d'autosatisfaction, je me concentrai sur la discussion. Ce n'était pas un bavardage futile entre deux mémés, parsemé de commentaires acidulés sur le fils de, ou la robe de.
« En plus de ce qui pourrait être un unique accident de parcours, dans une organisation qui se targue que son taux de réussite justifie ses tarifs.... Je vous rappelle que l'Umbra mange à tous les râteliers, et des criminels qui préfèrent travailler avec -ou pour- le Gouvernement, ce ne sont pas des criminels honorables. » Pour le coup, je lui tirai un petit rire sec.
Mais c'était un rire jaune. Sans le savoir, j'avais tapé dans le mille. Personne, même pas Sonny, n'aurait pu deviner qu'en fait, cet assassin travaillait pour le compte du Théâtre qui avait eu maille à partie avec un concurrent. Et quel concurrent ! Meilleur voleur et tueur au sang froid, capable de tuer un des meilleurs... Mais ce n'était pas ça qui donnait des crampes d'estomac al Professor. C'était l'attitude qu'avait eu l'Umbra face à cet échec. On aurait pu croire qu'ils se sentiraient piteux, ces grands hommes de l'ombre. On aurait pu croire qu'ils rembourseraient. Mais non, ils avaient jeté un regard noir et hautain, avaient largement sous-entendu que le blâme était à jeter sur le Théâtre qui s'était fait plumé et n'avait pas averti l'Umbra de la dangerosité de la cible. Un comportement qui n'aidait pas le vice-commandant de l'empire du crime à réfuter les arguments de la jeune et jolie – ben quoi ? - révolutionnaire devant lui.
- « Oh, pour vous, il est possible d'être un truand et d'avoir de l'honneur. »
- « Le Théâtre n'en est-il pas la preuve vivante ? De plus, cela s'applique aussi à la Révolution : nous savons parfaitement que nous agissons contre « le bien ». Cela ne nous empêche pas d'avoir de l'honneur. En fait, c'est parce que nous avons de l'honneur que nous sommes ce que nous sommes.. »
- « Je me demande si vous êtes sincères ou si vous me... comment avez-vous dit ? Me caressez dans le sens du poil... »
- « Je ne suis pas admirative du Théâtre. Tout ce qu'il est est exactement ce que je hais le plus. C'est à cause des truands que les gouvernements autonomes ont fondé la Marine puis le Gouvernement Mondial. Je respecte juste vos méthodes qui sont précises et généralement indolores pour le commun des mortels. »
- « Ah oui, la Révolution, paladin en armure des populaces... » Oh, tu veux jouer à ça, mon grand ?
- « Hé oui, il faut bien se soucier du plus grand nombre. Tous ces gens qui ne peuvent pas forcément lire et écrire... Allez au musée, par exemple. » Bim ! Aurais-tu donc oublié ce fiasco où l'un de tes hommes a totalement raté sa mission ? Une sordide histoire presque comique si elle n'était pas pitoyable de momie zombie et de malédiction...mais là, même Sonny avait du mal à croire
Le gong retentit, stoppant là nos armes, sous la forme d'un éclat de voix venant d'une mère réprimandant son enfant dans la rue. C'était peut-être une joute verbale, mais elle faisait mal. Nous reprîmes des forces dans notre coin, avant de reprendre de plus belle.
- « Donc, la révolution va nous enlever un outil et elle espère que nous allons la remercier ? »
- « Nous vous évitons aussi d'être arrêtés et mis en prison. »
- « La prison et le gouvernement, en ce moment... » El Professor tenta de minimiser la menace.
- « Il serait idiot de sous-estimer le Gouvernement. Impel Down est peut-être tombé, mais avez-vous des Tahar Tagel et des Toji Arashibourei dans vos rangs pour mener l'assaut ? Et puis, des prisons, il y en a pleins. » Tequila Wolf, le Trou, pour ne citer qu'elles.
- « Comment êtes-vous sûre que l'Umbra nous trahirait ? »
- « Parce que l'Umbra est à la base une organisation regroupant des traites révolutionnaires. Nous les avons entraînés, formés et ils ont rejetés nos enseignements pour devenir de vulgaires mercenaires. Nous savons comment ils réfléchissent, comment ils agissent et à quel point ils sont dangereux. Par exemple, si un jour un de vos concurrents payait suffisamment cher, vous, El Professor, tomberez sous leurs lames. Ils n'ont aucun scrupule, et leur seul objectif, c'est leur profit. »
- « Donnez-moi des raisons de vous croire. » Nous avancions. Il payait pour voir, je l'avais harponné
- « C'est à l'Umbra que nous devons l'échec de Goa. Sans leur trahison, nous aurions réussi. Or, ils n'avaient rien à perdre ou à gagner dans la situation. Que Goa tombe ou pas, ça ne changeait rien pour eux. Ils ont fait ça pour nous nuire. »
- « Quoi d'étonnant, puisque vous voulez les tuer. »
- « Je n'ai jamais dit que nous voulions les tuer. »
- « Vous---.. »
- « J'ai dit qu'une de nos opérations allaient les pousser à vous trahir. »
- « Cette opération ne consiste-t-elle donc pas à les anéantir ?.. »
- « La vengeance n'est pas le leitmotiv de la Révolution. » Ça, c'était mon privilège. « Ils nous ont trahi, mais tant qu'ils le font pour des raisons de manque de conviction, cela nous va. Nous les aurions laissé mener leur... guilde sans nous occuper d'eux. »
- « Je croyais que vous luttiez contre tous les crimes ? »
- « Nous ne sommes pas des justiciers masqués. La Marine doit faire son boulot. La Révolution ne veut pas simplement défaire le Gouvernement et danser sur les ruines fumantes en pleine crise d'épilepsie fanatique. Nous voulez le purger de ses maux, de la corruption. En fait, puisque nous parlons entre techniciens, notre ennemi, ce n'est pas le Gouvernement. Après tout, ce n'est qu'un outil. Ce que nous visons, c'est la main qui agite le pantin. »
- « Les Dragons Célestes... »
- « Leurs privilèges. Encore une fois, nous n'avons rien contre eux en particulier. S'ils vivent comme des riches personnes, mais des personnes normales, sans esclave, sans immunité par rapport à la CUL, nous serions heureux. »
- « Et donc vous laissez le soin à la Marine de nous traquer, nous les pirates, les bandits, les voleurs et les assassins... »
- « C'est dans l'ordre des choses. » fis-je avec un sourire doux mais tout aussi froid que lui. Oui, nous n'étions pas amenés à être amis, ou alliés. Tout avait été dit en préambule : nous cohabitions en bonne intelligence, mais nous étions, in fine, à l'opposé sur l'échiquier de la justice.
- « Et donc, vous désirez faire en sorte que la Marine s'en prenne à l'Umbra, ce qui pousserait l'Umbra à nous vendre, comme pour proposer au chasseur une meilleure proie. »
- « Si je réponds à votre question, je vais devoir vous tuer. »
Et il éclata de rire.
Pourtant, je ne rigolais pas. Bon, ce n'était pas comme si j'avais envisagé de réellement confirmer ou pas ses déductions... Mais s'il le prenait comme ça, cela m'allait parfaitement.
- « Je comprends. Il n'empêche que votre plan nous enquiquine. Je pourrais faire capoter vos plans, afin de ne pas rompre les liens actuels entre nos deux organisations. »
- « En effet, vous pourriez. Mais vous savez très bien qu'une des conditions nécessaires à la survie, c'est de ne pas s'enliser dans les habitudes. Or, vous et nous sommes des survivants. Il est mauvais de toujours s'appuyer sur le même bâton, car un jour, il se dérobera sous vous. Or, dérober, c'est votre spécialité.
De plus, cela me surprendrait que vous ne preniez pas mes informations un tant soit peu au sérieux. Même si nos conflits internes ne vous intéressent pas, il n'en reste pas moins que l'Umbra n'a aucun sens de ce qu'est la loyauté. Je ne parle pas d'une fidélité aveugle, mais du bon sens, du respect qu'on accorde aux autres. Si en dépit de mes informations, vous continuez à faire commerce avec eux, je remettrai en cause votre intelligence. Ou je vous prêterai des tendances masochistes. »
- « Et ceci n'est pas du conditionnel... » glissa-t-il d'un ton pince sans-rire.
- « N'en feriez-vous pas autant à notre égard, si les rôles étaient inversés ? »
- « Si les rôles étaient inversés, nous descendrions sur l'Umbra avec toutes les forces à notre disposition, pour faire passer un message fort. »
- « Et c'est bien pour cela que nous êtes le Théâtre et nous, la Révolution. » C'était une douce amertume. Encore une fois, nous n'étions pas pareils.
Je me levai. Il n'y avait plus rien à dire. J'avais obtenu ce que je voulais, je le savais. Le Théâtre n'aurait plus recours à l'Umbra. Pire, il s'en méfierait. Donc, si l'Umbra n'avait pas grand chose à faire des pertes de contrats ainsi induites, il ne pouvait pas se permettre de recevoir l'opprobre d'un des « grands » du milieu. C'était un grand coup que je venais d'asséner aux meurtriers de Rafaelo. Désormais les renégats d'Adam ne pourraient louer leur talent qu'à des petites organisations, généralement sur les Blues. Ça les rendrait bien plus repérables.
- « Vous ne proposez pas de faire alliance, de vous substituer à l'Umbra. » commenta-t-il dans mon dos.
- « Bien entendu que non. Nous ne sommes pas des assassins. Est-ce un dernier piège, l'ultime test ? Parce que je le trouve assez pitoyable, à ce niveau de la conversation. »
- « C'est bien dommage. Comme vous l'avez dit, nous avons tout de même des champs d'actions en commun. »
- « Oh, ça. Rien n'empêche de nous contacter en cas de doute ou de besoin. Si nous pouvons faire affaire, si nos intérêts coïncident, nous pourrions travailler ensemble. Ponctuellement. »
- « C'est vous, que j'aimerais pouvoir contacter. Je ne fais confiance qu'à un petit nombre et puisque nous nous sommes déjà rencontrés. » Voilà une proposition à double tranchant. Nous pouvions nous trahir mutuellement, et des liens, ça se remonte. Exactement comme l'Umbra aurait fait remonter la Marine jusqu'au Théâtre.
Parfois, il fallait faire confiance et prendre des risques. C'était assez ironique, puisque nous vivions comme criminel de droit commun et criminel politique. Mais je ne pouvais pas refuser, puisque j'avais loué l'intégrité du Théâtre tout au long de notre échange. C'était même la pierre angulaire de mon argumentaire.
- « J'ai un den-den. Je serai donc l'intermédiaire. »
L'amitié est un contrat par lequel nous nous engageons à rendre de petits services à quelqu'un afin qu'il nous en rende de grands. Je ne savais plus qui avait dit ça, mais il s'était trompé. Car je ne me voyais pas appeler El Professor mon ami. Pourtant, nous avions désormais un lien. Ce pacte... A quoi m'engageais-je. Mais bon... le travail est le seul ami qui vous trahit jamais...