J’ai regardé le pistolet fumant, l’air sonné, ne sachant quoi penser, puis je l’ai laissé tomber sur le sol de la jungle. Wallace est accouru à toute vitesse, manquant déraciner un pauvre petit arbre tropical dans sa cavalcade. Il m’a regardé, puis il a regardé le pistolet, puis il a vu la balle enfoncé dans le sol meuble de la forêt. Il a murmuré « Non… non… », moi, j’ai simplement baissé les yeux, honteux.
J’ai essayé de me mettre un plomb, la balle a ricoché sur l’écran de ma volonté.
Wallace a soupiré. Il s’est assis. J’ai fais pareil.
Et on est resté comme ça, sans un mot, pendant deux bonnes heures.
J’ai voulu essayer. Juste pour voir si c’était possible. Juste pour voir s’il y avait une simple chance que j’évite de nuire à d’autres plus longtemps. J’ai voulu savoir si la solution à bien des problèmes se trouvait au fond de ce flingue.
J’ai voulu savoir si c’était si simple de se débarrasser de Double Face.
Faut croire que c’est pas l’cas.
Au final, y’a fallu que j’me retrouve au sommet de cet arbre, du papier et un crayon dans les mains, à rédiger un autre truc que personne ne lira. À croire que ça me vide l’esprit, que ça me sécurise. Tout ça parce que je sais que ce que je couche sur cette feuille, Dark ne pourra pas y toucher ou le détruire.
Ça serait pourtant si simple, si rapide, si agréable. Le laisser étendre ses tentacules jusqu’à mon âme, m’enfoncer lentement dans ses ténèbres, ne plus avoir à réfléchir, ne plus avoir à retenir quoi que ce soit. Me transformer, retrouver l’innocence bestiale du monstre qui agit sans se poser de question, qui écrase pour écraser, qui brise pour briser, qui tue parce que ça lui démange.
Faire le mal. Sans aucun scrupule.
Pourtant, à chaque fois que je sens l’adrénaline qui me submerge, que mon regard se voile et que mes pensées s’embrument au profit de la colère, il n’y a que son visage qui me vient en tête. Son visage fin aux courbes douces, son petit nez pointu, ses lèvres pulpeuses, ses sourcils délicats qui se renfrognent de façon tellement amusante lorsqu’elle se fâche, ses yeux ambrés, ses cheveux flamboyants, ses petites tâches de rousseur, ses cils qui . .
Lilou.
Chaque fois que je crois que je vais laisser tomber, que je vais le laisser prendre le contrôle, c’est elle qui est dans ma tête. À croire que j’ai associé l’espoir à son minois, ou que c’est plutôt elle qui me donne une raison de ne pas sombrer. Une bouée de sauvetage dans cet océan de haine.
Je sauve qui en étant ici? Sur cette île? Je fais quoi, en étant sur cette île? Je pacifie le monde? Je poursuis les projets d’un contre-amiral mort? Je viens me récolter un paquet de médailles?
Je ne sais pas ce que je fais ici. Je ne sais pas ce que je fais sur cette mer. Je n’ai que la stupide impression de venir nourrir la graine de folie dans mon esprit. De venir pousser à bout la limite que Dark peut supporter avant de me tuer de l’intérieur.
Parce que oui, je me sens mourir. J’ai l’impression qu’on me ronge les trippes et qu’on gruge ma raison. J’ai l’impression d’avoir été privé trop longtemps d’une drogue vitale et que désormais, celle-ci est à portée, mais que je m’interdis de consommer. C’est horrible, même Wallace ne peut pas comprendre,
personne ne le peut.
Et personne ne pourra m’arrêter non plus, si je perds les pédales. Si je ne suis pas capable de me tuer en me mettant une balle moi-même, qui le fera?
Mihai? Serena? Oliver? Jeska? Smile?
Lilou?
Ou alors un envoyé du gouvernement, lorsqu’ils auront assez de preuves pour comprendre que je suis le commodore le plus pourri de Grand Line. La schlague viendra, un jour ou un autre…
J’ai voulu écrire un truc plus sensé, une prose, un poème, un état d’âme concis. Mais rien ne vient. Même quand je parle d'amour je suis incapable d'écrire un truc joli.
Au final, il n’y a vraiment que dans la folie que je puise ma détresse, et dans cette détresse que je puise ma violence.
Et jamais un artiste ne trouve l’inspiration dans la violence.
DF