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Rien n'arrive jamais par accident

Il était encore très tôt sur le navire que guidait Rachel au nom de Mona Lisa. Le soleil avait encore deux bonnes heures de sommeil et les étoiles se cachaient régulièrement derrière de nombreux nuages filant à toute vitesse dans ce ciel noir. Les nuages n'étaient pas gros, pas même noirs -pas plus qu'un nuage en pleine nuit tout du moins- mais le vent les poussait sans plus de cérémonies que s'ils avaient été des feuilles mortes devant le balais du jardinier. Et ce vent, sifflant, soufflant, incarnait une colère intarissable, une violence rare. Et qui n'était visiblement pas disposé à se calmer puisqu'il s'évertuait depuis la veille à s'insinuer entre chaque planche, faisant claquer les voiles et craquer les mâts sous tension, à tout renverser sur le pont, que l'on parle de tonneaux ou des pauvres hères un peu perdus dans le noir, à réveiller les dormeurs dans des bourrasques à faire chavirer le navire et à empêcher de dormir les plus effrayés. Et pourtant, comble de l'ironie, la mer avait rarement été aussi plate et calme qu'en ces jours. Et si plus rien n'étonnait Rachel sur Grand Line, certains craignaient tout de même une manifestation de Davy Jones. Pauvres marins perclus de croyances, seuls déboires de la marine.

Il devait donc être cinq ou six heures du matin. Et personne à bord ne dormait. À part la vigie qui ne répondait de toute façon jamais quand on l'interpellait. Personne ne dormait, car personne n'était rassuré avec tout ce vent et face aux craquements répétés d'une coque qui ne savait plus très bien si elle devait tanguer contre le vent malgré que la mer lui intimait que tout allait bien. Personne ne dormait et ceux qui n'étaient pas de quart passaient donc leurs heures de repos dans une gigantesque partie de Poker insouciante. Personne ne dormait et plus personne n'en avait l'envie.

Pas même Rachel.

Elle était fatiguée pourtant. Elle se sentait vidée, rincée et prête à être servie sur un plat en argent pour un banquet. Mais ce n'étaient pas les bourrasques qui l'empêchaient de dormir. Plutôt de savoir qu'elle allait contre vents et marées. Au sens propre comme au figuré. Car elle pourchassait Nazca, cette poupée de porcelaine agitée par les fils du malvoulant, mais en sachant pertinemment qu'elle ne se trouverait pas où notre commandante allait. D'ailleurs, tout le monde à bord le savait, que ce n'était qu'une simple traversée de routine. Ils étaient habitués. Et nombre d'entre eux n'étaient déjà plus rentrés se réchauffer les pieds au foyer d'une maison confortable depuis les mesures prises par le gouvernement contre les pirates. Ils étaient habitués. Presque heureux, même, de savoir que pour une fois ils ne seraient pas sur le devant de la scène. Insouciants, disions-nous. Et il fallait dire que comme destination pour un marin, il y avait pire que Citadelle. Car si on exceptait son climat épouvantable et ses fortes pluies diluviennes, les citoyens les adoraient. La mouette y était toujours très bien reçue. À l'excès même, certains diraient.

Mais pas Rachel.

Elle ne dirait rien. Car elle n'avait rien à dire. Et malgré qu'il joue à n'en plus pouvoir avec ses anglaises noires, même le vent ne l'écouterait pas. Car il s'en foutait, le vent, de savoir que c'était sur cette île même qu'elle avait rencontré les Sea Wolves ; Toji, Lin et Red qui est par là. Rachel frissonna. Un frisson qui laissa sur la langue un arrière goût de sanglot qui lui déplut.

Sur le navire, personne ne cherchait le contact avec elle et elle ne cherchait le contact avec personne. Avec personne du navire. Car les lettres qu'elle écrivait restaient sans réponses. Ni Red, ni Salem. Elle ne s'était jamais sentie aussi seule. Et si toutes les demi-heures elle redemandait au vent de souffler au loin ses pensées noires, ça n'avait pas l'efficacité qu'elle demandait. A tribord, une forme sombre, gigantesque, se découpait sur le ciel noir. Mettons bleu très très très foncé. Le Trou. La destination finale. Mais pour y aller, il faudrait viser Citadelle. Rachel soupira puis ferma les yeux, main sur le pommeau d'un sabre qu'elle n'avait pas utilisé depuis des années. Elle ne serait guère plus qu'une donneuse d'ordres.


La nouvelle de la venue d'un navire de la marine,directement détaché du commandement de la Valkyrie, s'était vite répandu. Non pas que ce soit une surprise, ou même un secret, mais Rachel n'aurait pas pensé que cette information, ou cette visite, entrainerait de tels déploiements pour les accueillir.

Ils avaient dû rentrer les voiles à l'aube à cause du vent et quitter les casquettes de la marine de peur qu'elles ne s'envolent comme il avait redoublé de puissance. Malgré le manque de sommeil de beaucoup, les rames furent sorties pour finir le trajet jusqu'au port sans risquer d'arriver avec trop de vitesse. Même les plus petites des voiles leur faisait prendre trop de vitesse et manquaient de s'arracher lors des coups de vents allant jusqu'à plus de 50 nœuds -avait jugé bon de préciser une vigie que tous pensaient morte depuis quelques jours. Et malgré ça, ils étaient arrivés au port avec une vitesse un peu excessive et avaient manqué d'arracher un bout de ponton auquel ils n'avaient pas réussi à s'amarrer assez vite. Mais une fois fait, et après que tout le monde ait soufflé de soulagement, ils admirèrent le comité d'accueil.

Rachel ne put s'empêcher de penser que Mona Lisa aurait aimé venir ici.

Le tapis rouge, il y était. Complètement détrempé par la pluie qui s'était mêlée aux vents violents, mais au moins il était là. De chaque côté, comme des platanes mouvants, des gardes, stricts, sévères, et au faciès visiblement typé ; des étrangers. Partout autour, le peuple s'amassait pour admirer le navire chahuté par un vent cinglant et une pluie froide. Rachel ouvrit la marche en posant le pied sur la passerelle qu'on lui offrit et descendit à quai, suivie par quatre marins assignés à ses talons et qu'elle trouvait déjà lourds. Qu'on la suive parce qu'elle était importante, pour la mettre en valeur, elle n'aurait rien dit ; mais elle avait la désagréable impression qu'ils la surveillaient plus qu'ils ne veillaient sur elle. À moins qu'elle ne se fasse des idées.
Le claquement de son talon sur le plancher des vaches -qu'elle aurait souhaité aussi instable que le pont d'un bâtiment par grosse houle- n'avait pas encore fini de résonner qu'on lui apportait un parapluie. Un homme, grand, un peu plus de deux mètres, les cheveux noirs tirés en arrière et un stylo dans la poche de son costume, se tenait au-dessous. Aimable et souriant. Elle le remercia d'un mouvement sec de la tête et détourna vivement le regard pour s'élancer vers la ville. Sans le parapluie ni l'homme en costume trois pièces qui parut désemparé. Il jeta un regard hésitant au navire d'où elle venait puis la rattrapa

-Euh... Bonjour ?
-C'est ça bonjour.
-Euh...
-Écoutez, j'ai pas dormi de la nuit, je suis un tout petit peu irritable, alors vous allez garder vos manières de tombeur pour un autre de mes marins. Eux non plus n'ont pas beaucoup dormi, mais ils seront plus à même que moi de recevoir vos attentions pour le moins...
-Suspectes ?
-Exactement.
-Wow. Pour une première rencontre, vous y allez fort.
-J'ai eu une mauvaise semaine.
-Vu le ton, je dirais un mois entier.
-Deux ; puisque vous tenez tant à le savoir !
-Enchanté. Moi c'est...
-Oui c'est ça, on lui dira. Je peux vous demander de suivre quelqu'un d'autre maintenant ?

Désarçonné, l'homme s'arrêta au milieu de la route, le visage figé dans une expression proche de la pure surprise, comme si devant ses yeux un diable venait de jaillir de sa boite pour l'effrayer. Puis il éclata de rire et se détourna. Rachel marqua un temps d'arrêt et se retourna vers lui pour le regarder faire demi-tour. S'il en avait visiblement fini avec elle, il avait une dernière chose à dire. Et malgré tout, c'était de l'amusement qui perçait de ses mots comme s'il venait d'assister à une très bonne farce.

-Je suppose qu'il faut de tout pour faire un monde. Un hôtel est mis à votre disposition jusqu'à ce soir. On vous emmènera à la catapulte depuis là-bas. Vous le trouverez à trois cent mètres sur votre gauche. Vous ne le raterez pas, j'en suis persuadé.

Pendant une seconde, Rachel crut qu'il allait ajouter quelque chose, mais il se contenta de marcher d'une démarche laconique et décontractée, parapluie dressé à plus de deux mètres cinquante au-dessus du sol. Non loin d'elle, les quatre hommes qui la suivaient/protégeaient/surveillaient (rayer la mention inutile) restèrent interdits. Elle les foudroya du regard comme s'ils avaient été responsable de la subite colère qui l'envahissait. Elle leur aboya d'aller guider les hommes jusqu'à l'hôtel et ils s'exécutèrent à contre-cœur. Et tandis qu'ils tournaient les talons pour s'engager sur les pas de cet homme disparu à travers le rideau de pluie, Rachel sentit une vague d'impuissance la traverser. Un mélange de couleurs pastelles dans sa poitrine. L'animosité, toujours, mais envers elle-même ; une tristesse, également, mais qu'elle n'arrivait pas à s'expliquer. Elle laissa la pluie ruisseler sur son visage, pour en sentir chaque goutte au coin de ses cils, avoir conscience de chacun des ruisseaux qui descendaient de ses cheveux détrempés jusque dans son cou. Puis elle tourna les talons à son tour et s'engouffra dans la ville. Empruntant délibérément le chemin opposé à celui du l'hôtel.

Notre commandante fut incapable de dire quelle route elle emprunta alors. Elle passa par des chemins pavés, puis des goudronnées. Il lui sembla passer devant des enseignes, des magasins, des habitations éclairées, mais sans y faire attention. Une volée de gigantesques marches l'emmena vers les hauteurs de Citadelle et se surprit à observer un paysage aux teintes de gris déteindre de toutes parts. La pluie estompait les traits, embrumait les lumières et rendait flou le paysage. Elle eut l'impression d'observer un tableau à l'acrylique sur lequel on avait jeté un sceau d'eau. Et dans son souvenir, cette ville n'était pas aussi morne.
Ensuite elle arpenta des ruelles étroites où de délicieuses effluves de viande et de bouillon auraient fait tourner de l’œil n'importe quel mendiant et qu'elle ignora magistralement ; elle se retrouva sur une espèce de place du marché bondé et couvert où elle fut secouée en tous sens comme un grain de riz dans une casserole d'eau bouillonnante ; Il sembla même qu'elle s'aventura sous un pont avec un sans domicile fixe, mais elle n'en était même plus sûre. Peut-être même avait-elle partagé une gorgée de sa gnôle.

Et alors elle se retrouva à l'hôtel.
En observant la devanture, elle se demanda si quelqu'un ne l'avait pas guidée sans qu'elle ne s'en aperçoive. Elle entra, trempée comme une soupe, laissant sur ses talons des flaques d'eau de pluie. Mais à peine avait-elle fait quelques pas que des marins soulagés l'abordèrent en courant vers elle et en criant qu'ils la cherchaient depuis plusieurs heures et que les hommes du coin étaient arrivés il y a bien une demi-heure pour les emmener jusqu'à la catapulte géant qui leur ferait la traversée vers le Trou.

-Faîtes les patienter une demi-heure de plus. Je vais prendre une douche.
-C'est que... nous devions passer avec le chargement de nourritures et de diverses fournitures...
-Ils sont enfermés sur cette île 24h sur 24. Une heure de plus ne changera pas leurs habitudes.

L'un des hommes lui offrit alors d'utiliser sa propre chambre pour se mettre à l'aise et elle accepta volontiers. Elle prit cependant la peine de glisser à leurs futurs guides qu'elle serait prête dans une demi-heure avant de s'éclipser sous leurs récriminations acides.
Rachel prit le temps de laisser couler l'eau chaude sur son visage et sur son corps comme s'il s'agissait d'un bain purifiant, l'esprit occupé. Encombré même. Par toute cette histoire. L'impression de n'être qu'un pantin qu'on agitait pour faire plaisir à quelques garnements et leurs parents. Un simple outil dont les désirs n'étaient pas même pris en compte et sur qui l'on ne comptait d'ailleurs même pas. Le trou l'attendait, mais rien là bas ne l'y attendait réellement. Elle commençait à se faire à cette idée que nulle part dans le monde quelque chose ou quelqu'un ne l'attendait plus. Dans un mouvement rageur qu'elle attribua à un désespoir subit, elle coupa le jet d'eau et entreprit de se laver frénétiquement. Chaque parcelle de peau. Jusqu'à en devenir rouge. Elle ne sut s'expliquer cette réaction mais ne s'en étonna pas. Elle se rinça et ne put se résigner à s'extraire du jet d'eau. Elle aurait voulu s'y assoupir... Aussi est-ce après quarante-cinq minutes qu'elle se présenta aux hommes qui devraient la conduire elle et une poignée d'homme de la Valkyrie jusqu'à la catapulte, puis au Trou. Et en tête de ce cortège, l'homme au parapluie attendait, jambes croisées et yeux fixés sur un journal, enfoncé dans un canapé en cuir visiblement confortable. Il s'en extirpa avec réticence à son arrivée.

-Officier Blacrow. Bonsoir. Nous avons failli attendre.
-J'en suis navrée.

Elle n'aurait su dire si elle était honnête et lui-même paru hésiter une seconde avant de décider que c'était sans importance.

-Vos hommes ont préparé vos affaires pour le voyage. Je serai le guide ; êtes vous prête ? Nous sommes déjà passablement en retard.
-Ce ne sont pas mes hommes...
-J'en suis navré.

Une étincelle pétilla dans son regard. Elle la saisit et soupira.

-Très bien, allons-y.

L'homme fit son plus grand sourire et ce fut le signal de départ pour tous. Il déposa sur le comptoir de l'hôtel un bon de remboursement -du moins ce qu'en vit Rachel- puis ouvrit la marche vers la sortie. La météo restait inchangée. L'homme sortit son parapluie et en couvrit la commandante d'élite. La toile de l'objet était tellement grande qu'elle abritait également un mètre tout autour d'eux, mais il alla jusqu'à en ouvrir un second qu'il porta à bout de bras pour venir abriter un couple de chiens comme des serpillères qui s'y précipitèrent sans plus de cérémonies, bienheureux d'échapper à ce temps qu'ils auraient qualifié « d'homme ».

Ils marchèrent pendant quelques minutes, sans décrocher un mot. Du moins Rachel et son guide, car à l'arrière, les marins de la Valkyrie et les « étrangers » qui les accompagnaient faisaient connaissance et riaient de bon cœur et ce malgré la barrière de la langue. Et si notre commandante avait le visage fermé, presque gênée en repensant à la scène qu'elle avait faite à cet homme plus tôt dans la journée, lui semblait décontracté. Il s'agissait d'une simple promenade et pour peu il aurait sifflé un air guilleret.

L'homme aux parapluies les fit alors entrer dans une espèce de hangar, à l'écart de la ville, surplombant une falaise abrupte où s'écrasait en contrebas une écume et des vagues de taille modeste.

-Installez-vous dans les parages, il faut une dizaine de minutes avant d'être paré à l'envoi.

À peine eut-il fini sa phrase qu'il alla se poster dans un coin où l'attendait un escargophone posé sur une petite colline de feuilles de salade. Il sortit un petit carnet de sa poche intérieure et décrocha le combiné pour communiquer avec le Trou et ordonner le déploiement du filet pour les récupérer en entier et pas concassé contre les récifs au pied de la falaise carcérale.
À nouveau, les discussions s'animèrent et les langues se délièrent. Rachel se posa dans un coin du pseudo hangar et ferma les yeux. Elle était incapable de dire quelle heure il était et depuis combien de temps elle était éveillée ; elle se laissa aller et somnola quelques instants jusqu'à ce que l'homme au parapluie commence à élever la voix dans son combiné. Avec difficultés, elle émergea de cette rapide léthargie et se dirigea vers lui. Il parlait dans le vide. La commandante d'élite allait demander quel était la nature du souci quand le combiné grésilla pour laisser filtrer une voix inconnue mais froide, cassante. Hautaine. Une voix qui se présenta et qui glaça instantanément Rachel sur place.

-Bonsoir. Je me présente. Je suis Nazca. Je représente le Malvoulant. Et j'ai un requête de sa part à vous soumettre.
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De l'autre côté du combiné, un cliquetis étrange résonne derrière la jeune fille qui regarde fixement un point sans le lâcher. La chevelure tombant dans sa chute de reins, elle bouge la tête d'un côté puis de l'autre, lentement, sans que ses pupilles ne bougent avec elle. Ses deux iris bleus sondent l'infini, sans prendre la peine de vraiment interroger l'escargophone de l'autre côté. Le cliquetis persiste bon gré mal gré, s'accompagnant de gémissements étouffés, terrifiés, de plaintes lugubres et morbides, teintés d'une peur et d'une incompréhension qu'on ne saurait comprendre à ta place.


Vous êtes là ?

Le silence de plomb fait réagir Nazca qui reprend d'une voix douce et enfantine pour tenter d'avoir un interlocuteur viable. Elle n'est pas réellement consciente d'avoir terrifiés, voire tétanisés de peur, les deux autres personnes à l'autre bout du fil. C'est même pour cette raison qu'elle continue la conversation avec cette tonalité définitivement trop innocente pour lui appartenir. Vous mettez sans doute du temps à vous rendre compte que quelque chose ne tourne pas rond. Vous vous posez probablement une centaine de questions sur le comment elle a pu arriver si vite, sur le pourquoi elle se trouve là. Mais Nazca, derrière son masque de porcelaine et d'enfant qui ne rentrera certainement jamais dans l'âge adulte, ne vous laisse pas le temps de continuer de supposer trop longtemps des excentricités en tout genre. Elle veut quelqu'un a qui parler. Quelqu'un qui répondra positivement à sa requête, de préférence. Parce que tu sais, toi mieux que personne, qu'elle n'est pas une poupée à qui on dit "non".

Pourrions-nous parler autour d'une tasse de chocolat ?

Tasse. Elle ose, sans vraiment savoir qu'elle ose. Le cliquetis résonne derrière et le mot "tasse" doit maintenant t'évoquer une conversation avec une impératrice diminuée autant physiquement que mentalement. Et le cliquetis ressemble étrangement au bruit que fait la porcelaine lorsqu'elle rencontre une surface dure. Nazca a déjà joué de son démon...

J'en ai apporté.

Et la candeur dont elle fait preuve, après avoir transformé la petite unité se chargeant du filet en service à thé, a de quoi faire frisonner d'horreur.

Je vous attends. Mais faites vite s'il vous plait.
    Les questions « pourquoi » et « comment » résonnaient avec fracas dans la tête de Rachel. Elle fixait avec une intensité renouvelée le visage candide et innocent que leur rapportait l'escargophone. Elle espérait que ce visage allait s'évaporer, qu'il laisserait place au regard dur et ennuyé d'un mâtons en stationnement obligé dans le Trou et elle se réveillerait en sursaut de son coin où elle s'était finalement endormie. Parapluie-man se frotta les yeux en pensant exactement la même chose, et si pour lui la situation lui échappait complètement, ça ne l'empêchait pas d'en comprendre toute la complexité. Toute l'horreur même.

    Les périodes de troubles de Rachel étaient de plus en plus régulières ces temps-ci, et à propos de tout et de n'importe quoi. Il lui en fallait peu pour se murer dans un mutisme à la limite de l'autisme et pour maudire intérieurement son karma pourri. Mais cette voix de l'autre côté de l'escargophone était la pire chose qu'elle ait pu entendre. Or cette chose était à tant de lieues de ce qu'elle imaginait. Et pourtant tellement proche de ce qu'elle avait espéré. Ce contraste saisissant et brusque la rendit muette et elle fut prise d'un vertige. Elle n'arrivait pas à savoir si sa bonne étoile lui faisait un clin d’œil ou si son destin lui montrait goguenard la fin de son chemin. Nazca. Elle avait tenu tête à l'impératrice des amazones... Hanabi lui avait bien dit. Elle n'était qu'un nourrisson face à cette folle furieuse. Cette Nazca. Et pourtant...

    Sa poitrine la fit souffrir. Elle n'avait pas à hésiter. Nazca était de l'autre côté de cette mer, enfermée avec des centaines de prisonniers probablement aussi dangereux qu'elle ; elle ne pouvait rester les bras croisés. Ce serait une catastrophe. Et puis Mona Lisa ne comptait peut-être pas sur la commandante d'élite, mais notre officier avait bien l'intention de lui montrer de quel bois elle était faite. Et si pour cela elle devait capturer Nazca, seule, alors elle le ferait. Tout en sachant que c'était une très mauvaise idée. Du genre qu'on n'a qu'une fois. Du genre à être plutôt définitive.

    Elle n'aurait pas le droit à l'erreur.
    Elle réfléchit à toute vitesse et se saisit du combiné d'entre les mains inertes de l'homme aux parapluies.

    -Je suis là. Sa voix était assurée et cette constatation la satisfit. Et je viens avec une poignée d'hommes. Si jamais tu tues ceux que tu détiens ou que le filet n'est pas tendu pour nous, les négociations seront rompues.

    Et nos cous également... pensa-t-elle à son insu en mettant fin à la conversation. Elle venait de parier sur une information qu'elle tenait juste de Hanabi et qu'elle espérait vraie. Que Nazca ne supportait pas le « non ». Et qu'ainsi, la menace de rompre les négociations serait le meilleur moyen de maintenir un semblant de statu quo. Un statut d'autant plus fragile que Rachel était paniquée.

    Pourtant, l'homme aux parapluies put le voir. Cette peur alluma le regard de braise de Rachel. Tout à coup, elle avait un réel but et ne se contentait plus de pourchasser une ombre. Là-bas, des hommes avaient besoin d'elle. Pire : si elle n'y allait pas ou si elle échouait, sachant que Nazca voulait une armée pour le Malvoulant, elle mettrait en danger une grande partie de la population. De Grand Line sûrement, mais ouvrirait la porte à une véritable guerre entre lui et l'empereur des neiges. Un équilibre trop précaire et pourtant si important qu'elle ne pouvait que prendre en compte dans la balance.

    -Est-ce qu'on a des menottes en granit marin ?
    -Aucune paire, commandant !
    -Ça aurait été trop facile je suppose...
    -On devait pas en avoir besoin, commandant !
    -Je sais, c'est bon. Toi ! Va donc chercher les corbeaux qui doivent rester sur le navire. Ramène-les ici avec les graines droguées ! Fais vite mais prend garde à tes yeux, ils restent voraces.

    L'homme blêmit et s'enfuit vers le navire, conscient qu'il avait écopé de la pire des tâches.
    Rachel se tourna vers l'homme aux parapluies et le jaugea du regard un instant. Il avait le visage grave, mais dans son regard restait allumée cette lueur de bonne humeur. Au moins restait-il optimiste.

    -Quel est ton nom ?
    -Maintenant ça a une importance ? Répliqua-t-il indifférent.
    -Non, avoua-t-elle de butte en blanc. Tu peux m'assurer que le filet sera bien en place ? Avec une longue vue ou une lunette ou bien ?
    -Facilement.
    -Merci. Vous ! Elle se tourna d'un coup sec vers les hommes droits et fiers dans leurs uniformes qui savaient partir en guerre et s'y étaient préparés. Elle en désigna une petite quinzaine du doigt et les héla pour qu'ils se mettent en rang devant elle. La moitié vient avec moi. Les autres, vous vous débrouillez pour mettre en joug le Trou avec ce que vous pouvez. Canon, explosifs, lames d'air, ou quoique ce soit qui puisse le détruire en cas de besoin. Si jamais nous échouons à arrêter Nazca, je préfère voir tous les prisonniers morts et le Trou détruit qu'une seconde vague de forbans sanguinaires lâchés dans la nature comme l'ont fait Tahar, Red et Toji. Est-ce bien clair ?

    Cette dernière phrase avait été dure à dire. Parce que dire du mal de Red lui en coutait de base et que sa boussole interne s'était affolée en pensant à lui. Mais au moins, cet ordre fit son effet sur les hommes en face d'elle. Ils comprenaient bien l'enjeu. Tout comme elle, ils donnaient l'impression d'avoir été jetés en pâture à un gibier trop gros pour eux, aux tenants et aboutissants qui les dépassaient. Alors qu'ils espéraient juste se reposer avec une mission simple et tranquille. Dans leurs yeux, la peur. Dans leur mine, l'agitation due à l'incompréhension. Les mêmes doutes et craintes que celles et ceux qui hantaient l'esprit de Rachel mais dont elle tâchait de se séparer. Et à son grand étonnement, ça fonctionnait plutôt bien pour l'instant.
    Puis ce fut le chaos pendant quelques instants, où tout le monde lustra son arme, chargea son fusil, ajusta son équipement et revint se placer au galop devant Rachel.

    Rachel, elle, grâce à sa capacité de retour à la vie, noua ses cheveux en cornes, comme on se pare d'une armure avant un combat, et réussit à déplacer la marque noire, palpitante, agitée, attractive, au creux de sa paume. Elle lui murmurait des mots qu'elle discernait plus qu'elle n'entendait. Des mots qu'elle savait s'inventer. Red est là-bas. On lui dira répondait-elle en murmurant. L'homme aux parapluies revint vers elle ; elle ferma le poing et lui fit signe de parler.

    -Le filet est en place, comme elle l'a dit.
    -Très bien. Messieurs ! Ne faisons pas attendre plus longtemps cette poupée de porcelaine. Nous allons boire un thé alors n'oubliez pas vos bonnes manières !

    Et ce n'était pas qu'une blague pour rasséréner les hommes ou détendre l'atmosphère.


    La catapulte se dressait, fière et immuable, sous une pluie fine et persistante. On aurait dit qu'elle était bâtie en un seul morceau sculpté dans un arbre millénaire et il semblât à Rachel que l'eau glissait à sa surface comme sur les plumes d'un canard. Ce qui ressemblait à du cuir travaillé à l'extrême, tendu comme une corde de piano, et les cales de la taille d'un tonneau de bière donnaient à l'ensemble cette impression de force et de stabilité qui n'aurait pas dû suinter d'une simple catapulte, aussi grande fût-elle. Car grande, elle l'était. De la taille d'un petit navire et capable d'en propulser un autre au bas mot et Rachel se dit que si jamais elle échouait, au moins pourraient-ils détruire le Trou avec cette machine. Des hommes, toujours ces étrangers, étaient occupés à la préparer et faire les vérifications qui s'imposaient avant son utilisation. La commandante d'élite restait non loin de parapluies-man et profitait pour la seconde fois et à sa grande satisfaction de l'abri qu'il lui offrait pour la troisième fois. Elle restait immobile mais trépignait à l'idée que les préparations ne prennent trop de temps.

    Puis ce fut prêt ; et à l'image de ces coureurs qui s'élancent au coup de feu depuis leur ligne de départ, Rachel s'élança contre la pluie laissant en plan les parapluies qui lui souhaitèrent bonne chance. Elle grimpa dans la nacelle d'un bond et aida la poignée d'hommes à en faire de même. Au dessus d'eux volaient en cercles des corbeaux coassants. Tout le monde fut installé. Parés pour le grand saut. L'un des hommes fit un signe de croix.

    Ce n'est qu'à cet instant que Rachel réalisa ce qu'elle était en train de faire. Durant une seconde, elle pensa que cette entreprise était perdue d'avance et que l'idée même de quitter Citadelle pour le Trou dans une catapulte était une folie. Du moins sans personne pour savoir rebondir dans les airs comme Toji ou Red, et la rattraper en cas de problème. Au pire les corbeaux seraient là, mais ce ne serait pas la même ; elle pouvait difficilement avoir autant confiance en eux qu'en le Geppou. Dans un geste rassurant, elle tâta son épée à ses côtés. Finalement, après un regard aux hommes qui l'accompagnaient pour s'assurer qu'ils étaient prêts, elle abaissa le bras d'un geste sec, signe du lancement.

    Après un court instant où il sembla à tous que leurs cerveaux étaient soudainement comprimés dans leurs boites crâniennes, ils flottèrent en apesanteur, fouettés par un vent plus cinglant que jamais et une pluie plus glaçante encore. La gigantesque montagne abrupte qui se rapprochait dangereusement ressemblait depuis ce point de vue à une gueule béante qui attendait qu'ils approchent assez pour les gober dans un bond. Une truite géante où Rachel ne serait qu'une mouche. L'officier d'élite eut le temps de se gifler mentalement pour cette comparaison avant d'apercevoir le filet tendu, rouge pour qu'on le voie bien même par temps de brouillard. Et il se rapprochait maintenant trop vite. La trajectoire était bonne pour elle, mais l'un des hommes avait été déporté par le vent et il irait directement se démembrer sur les rochers acérés qui les lorgnaient avec une voracité qui n'était pas qu'imaginaire. Elle héla un des corbeaux qui accompagnaient leur route et ce dernier agrippa de ses serres les vêtements de l'homme pour le remettre sur le droit chemin. Ensuite, tous fermèrent les yeux pour l'atterrissage.

    Rachel fut la plus prompte à se remettre debout malgré la violence du choc et se dévissa le cou en tous sens pour observer ces éperons rocheux entre lesquels étaient tendus ce filet, vérifiant qu'aucune attaque surprise ne les cueillerait maintenant. La pierre était de toute part érodée par la pluie, le vent et l'écume. Mais elle restait par ailleurs persuadée que des dizaines d'yeux les observaient à travers des cavernes presque naturelles dans ces falaises, que des gens étaient postés un peu partout pour s'assurer de l'arrivage. Devant eux, un pont de cordes était tendu et menait à une ouverture directement creusée dans la roche par la main de l'homme, probablement des prisonniers eux-mêmes, et la noirceur au fond de ce tunnel les invitait à y pénétrer. Déterminée, Rachel s'y engagea, suivie des sept hommes qui l'accompagnaient, consciente que partout autour d'eux, des corbeaux étaient posés et en bons charognards  ne bougeraient pas avant le bain de sang. Sauf si elle leur demandait. Dans le noir total du tunnel, elle en profita pour bénir le nom de Mister Crow et sa drogue pour corvidés. Dans son dos, quelques exclamations de douleur des hommes qui se cognaient au plafond bas, aux pierres sur le chemin ou au trous qui le minait la suivirent.

    Et enfin ils débouchèrent à l'intérieur du Trou. Enfin, pas tout à fait, seulement à l'intérieur des remparts naturels de l'île. Un cuvette aux proportions gigantesques, aux centaines de maisons creusées directement dans la pierre des murailles comme des cubes collés à la glue extra-forte. Et au milieu, la mine et la prison à proprement parler. Un gouffre rond complètement noir avec un monte-charge de bois et de cordages comme on pourrait en trouver dans n'importe quelle ville portuaire. Sans oublier, bien évidemment, la trentaine de forbans, armés de fusils pour les plus gentils, de bazookas pour les plus agressifs, qui entouraient le groupe de marins fraichement débarqués et qui les regardaient comme un lion loucherait sur un steak de bison.

    -Nous sommes attendus, dit simplement Rachel à l'homme au plus gros canon.
    -Sans blague... ajouta dans son dos un marin désespéré.
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    Les hommes, armés jusqu'aux dents, vous estiment les uns après les autres. Ils ont tous l'air patibulaire, d'un molosse prêt à mordre son maître s'il ne lui tend pas un bon morceau de steak. Tous portent au moins les vestiges d'un combat passer à même le corps : éborgnés, édentés, tu peux voir un panel de cicatrices s'afficher devant toi comme sur le présentoir d'un marché. Des hommes violents donc, qui ont déjà tué plus d'une fois et qui, étrangement, obéissent au doigt et à l'oeil d'une petite fille. Celui à qui tu t'adresses te lance un regard équivoque et se retourne en t'invitant à le suivre. Il creuse un passage entre deux de ses coéquipiers en te demandant expressément de venir avec seulement ton meilleur homme, ou celui en qui tu as le plus confiance. Pas un soldat de plus n'est convié à passer la porte du bâtiment où il t'amène.

    Il ouvre une large porte en bois et te pousse à y rentrer avec ton second d'un signe de tête franc. Pas un mot de lâcher pour te dire à quoi tu dois t'attendre. Et ton imagination se met déjà sans doute au travail. Devant toi s'affiche un long couloir qui donne sur une dizaine de pièce. Il y fait sombre et tu peux voir quelques traces sur les murs et le sol. Des marques rouges traînées jusqu'au bout du couloir. Tes pieds écrasent par instant comme des petits morceaux de porcelaine qui se coincent sous ta semelle. Haut les coeurs. Tu sais sans doute ce que ça signifie.

    En arrivant au bout, tu passes la porte et l'ouvre en grand, faisant irruption dans une salle assez grande mais vidée de tous ses meubles. Il n'y a que des fenêtres grandes ouvertes portant des rideaux en dentelles et une table en plein milieu, ronde et joliment forgé. Et derrière cette table, fixant le mur en se balançant de droite à gauche, tu peux voir une petite fille, avec de long cheveux noirs tombant dans sa chute de reins, portant une jolie robe dentelée, des collants blancs lui arrivant à mi-cuisse avec des souliers cirés. Et sur son crâne, un serre-tête fleuri. Et la gamine se retourne, le visage aussi pâle que ses collants blancs, en te regardant avec de grands yeux bleus.

    Glaçant.

    Vous voilà !

    Et elle sourit à pleine dents, en sautillant dans votre direction. Elle claque dans ses mains et deux hommes qui encadraient la porte discrètement déboulent vers la table. Elle leur somme de s'accroupir et ils s'exécutent en reniflant bruyamment, avec le regard terrifié. Et à peine ont-ils fait cela qu'elle pose une main sur leur nuque et les transforme en banc de porcelaine. Visage ravi de son petit tour de magie, elle vous invite joyeusement à prendre place sur ses nouveaux meubles de salon :

    Vous voulez des cookies ? J'ai fait des cookies.

    Et en effet, sur la table trône dans un plat de porcelaine ses petites pâtisseries. Elle sert le chocolat dans deux grandes tasses et se rassoie en te fixant intensément :

    J'adore tes cheveux.

    Nouveau sourire, ses petits doigts tapent sur la table alors qu'elle te fixe avec deux grands yeux étrangement vides.

    Je pourrais les coiffer, après ?

    Petit balancement de la tête. Elle n'attend pas vraiment ta réponse. Sans ciller, elle croque dans un cookie et demande avec une innocence enfantine :

    Mais avant. Je voulais vous demander de faire sortir tous les prisonniers pour que je les amène se battre avec moi. Pourriez-vous faire ça vite ?
      L'homme en qui elle a le plus confiance ? D'un regard circulaire par dessus son épaule, Rachel jaugea les visages de ceux qui l'avaient accompagnés, bien malgré eux, dans un guet-apens qui causerait très certainement leur perte à tous. Aucun n'était prêt à mourir mais elle ne pouvait leur en vouloir. Ils auraient dû être de repos dans toute cette histoire. Pas la pâture que l'on jette dans le No-Man's Land sans espoir qu'elle en revienne. Terrifiés, ils l'étaient, mais chacun savait rester digne. À l'instar de Rachel qui restait fière, la tête haute et la mine avenante. Compatissante. Ils restèrent ainsi figés presque trente secondes, détournant le regard devant ses yeux verts pénétrants qui ne désignaient personne. Ils n'étaient que légèrement concernés. Elle n'allait certainement pas choisir comme chez un poissonnier le marin qui se soir mourrait. Aussi attendit-elle patiemment, jusqu'à ce que l'un d'entre eux fasse un pas vers elle, plus déterminé et résigné que les autres. Leurs regards se croisèrent. Rachel inclina la tête, presque imperceptiblement, de respect envers cette décision qu'il avait prise pour protéger les autres. Sans se retourner, il rejoignit Rachel que l'on exhortait à avancer ; cette dernière se contenta d'ordonner au reste des hommes de retourner sur le filet -là où ils auraient l'avantage en cas de combat grâce au tunnel qui séparerait les deux camps- puis elle suivit obligeamment monsieur gros canon.

      Sur le chemin, malgré toutes les traces de lutte et d'horreur, Rachel brida son imagination. Elle n'avait pas besoin que son cerveau lui envoie des messages d'avertissements en sons et lumières. Derrière lui, l'homme qui serait sa main, restait aussi silencieux qu'une tombe. Il n'en pensait pas moins à plein régime. Rachel opta pour un silence strict que seuls ses talons claquant sur un sol de pierre et les morceaux de porcelaines craquants sous ses semelles venaient troubler.

      Ne pas se faire de films était un exercice extrêmement compliqué qui l'occupa jusqu'à ce qu'enfin ils arrivent dans la pièce où les attendait Nazca.

      Elle avait entendue la voix, pourtant. Mais elle n'avait pas eu de photos sous les yeux. Pas même l'imagination assez poussée en fait. La fillette -car elle ne devait pas avoir plus de treize ans en misant large- était plus petite qu'elle et ses longs cheveux noirs cascadaient jusqu'au milieu du dos. Mais si encore il n'y avait eu que ça. Parce qu'elle se retourna. Et son air jovial, son sourire candide et ses grand yeux bleus d'un vide effrayant glacèrent Rachel sur place. Son homme de main et elle eurent la même pensée lorsqu'elle sautilla joyeusement vers la table pour les accueillir et leur offrir une hospitalité remarquable. L'un fut effrayé, terrorisé, les yeux braqués sur les deux hommes qu'il pensait morts. L'autre fut ravie.

      Car Nazca était un démon.

      -Ça aurait été avec plaisir, mais mes cheveux n'ont pas besoin d'être coiffés.

      Et joignant le geste à la parole, la chevelure de Rachel s’emmêla de son propre chef pour former soudain un magnifique chignon, une très longue tresse qu'elle prit entre ses mains dans un geste automatique, une coupe au carré à la frange trop longue puis finalement revenir aux anglaises habituelles, non sans agrémenter son crâne des habituelles cornes torsadées qu'elle arborait avec une coquetterie qu'ont ses dames arborant des diamants de douze carats à chaque phalange. Elle sourit ensuite à la fillette pour faire bonne figure, comme devant une petite princesse qu'il vaut mieux ne pas contrarier au risque de perdre sa tête sur la place publique. Car il fallait l'avouer, après avoir vu avec quelle désinvolture elle avait transformé en bancs de salon les deux hommes inconnus, Rachel n'avait aucune envie que cette enfant l'approche à moins d'un mètre. Un bref coup d’œil par dessus son épaule lui apprit que son homme de main aurait préféré ne pas se trouver dans la même pièce qu'elle ou même sur la même île. Voire sur le même océan. Leurs regards se croisèrent et silencieusement, il fut conclu qu'il resterait en arrière, à son plus grand plaisir.

      -Mais j'accepte volontiers les cookies.

      Gérer les questions évidente en premier. Laisser pour la fin celle qui requérait du doigté. Les prisonniers... Rachel réfléchissait à toute vitesse et prit le temps de tremper le cookie qu'elle tenait du bout des doigts dans la tasse en porcelaine remplie de chocolat chaud. Gagner du temps. Réfléchir. Savourer le biscuit. Réfléchir. Gagner du temps. Déglutir. La complimenter. Ne pas se resservir. Réfléchir.

      -Ce sera difficile. Surtout sans l'accord du directeur. Où est-il d'ailleurs ?

      Il y eut un silence grave. Mais pas pesant, non. Pesantes, tendues, ce sont les atmosphères autour de Toji, quand il décide qu'il a raison, que les autres sont des moins que rien et que chacun fait vœu de mort envers l'Homme poisson sous son regard orgueilleux. Ça c'est une atmosphère tendue. Le silence qui suivit la phrase de Rachel, uniquement entrecoupé par le tintement de la cuiller de Nazca sur sa tasse en porcelaine, était plutôt de celui qui tombe sur un cimetière à minuit les soirs de pleine lune. Ou celui qui suit l'exécution d'un homme sur la chaise électrique, une fois ses cris calmés. Rachel sut instinctivement deux choses. La première, Nazca était très dure en affaire. La seconde, c'est que visiblement, Rachel n'avait pas du tout le jeu en sa faveur. C'était plutôt même l'inverse. Déjà refuser qu'elle lui brosse les cheveux avait été une stupidité ; elle avait décliné sans même s'en rendre compte et au jour de ce silence étouffant, elle se comprenait qu'elle avait fait l'une des plus grosses erreurs de sa vie après celle de planter ce CP à Enies Lobby pendant le jugement de Toji.

      -Mais si je peux me permettre, osa-t-elle cherchant à rattraper le coup en sachant que la pente en plus d'être abrupte était rocailleuse, du genre à rouler sous les talons et à provoquer une chute mortelle, pourquoi avoir besoin de moi pour ça... ?

      Histoire de gagner encore un peu plus de temps et trouver un moyen de s'en tirer sans finir en service complet pour le Malvoulant...
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      Et bien c'est parce que c'est mieux si ça vient de vous, tu comprends ?

      Elle attrape sa tasse entre deux doigts trop blancs et la porte à ses fines lèvres. Tu peux voir, en fixant assez longtemps son visage, une fine craquelure parcourir dans la longueur son minois adorablement pâle. Vestige d'un combat passé qui a été particulièrement violent pour laisser des séquelles aussi apparentes des semaines après...

      Il faut toujours demander avant de prendre les choses. C'est une jolie politesse. A laquelle je tiens parce que j'aime bien quand on me dit "oui". Et il faut toujours demander pour avoir une réponse positive. C'est la règle.

      Nazca affiche un léger sourire enfantin, penchant la tête sur le côté après avoir reposé sa tasse simplement sur sa table. Et là, son regard s'assombrit, légèrement. Ses yeux vides affichent une petite étincelle malicieuse qui fait froid dans le dos et elle perd sa risette au profil d'un air plus "fou", disons.

      Mais si la réponse est "non", c'est différent. Mon Maître m'a dit qu'il ne faut jamais se contenter d'un refus, parce que les refus ne sont que des obstacles qu'il faut franchir.

      Elle marque une pause. La brune retrempe les lèvres dans son lait avant de te sonder profondément. Voix calme, elle te fixe sans te lâcher :

      Ça veut dire que tu vas être un obstacle ?

      Et sans lien avec ce qu'elle a dit juste avant, elle sourit de presque toutes ses dents, regardant à nouveau tes cheveux :

      Tu peux le refaire ? Le truc avec tes cheveux...
        Un frisson glacé glissa le long du dos de Rachel. À plusieurs reprises. Tout d'abord lorsque Nazca éluda la question sur le directeur, laissant à notre officier le soin d'imaginer les pires réponses à ses questions. La seconde fois, ce fut au moment où le regard de la gamine de porcelaine prit cette étincelle qui aurait fait peur aux ténèbres elles-même ; lorsqu'elle demanda si Rachel serait un obstacle. Et toutes deux savaient que la réponse était oui. Notre commandante pouvait bien tourner la situation dans sa tête ou chercher une solution, le résultat restait le même : elle était l'obstacle sur la route de Nazca. Sa présence ici en était d'ailleurs la preuve formelle. La troisième fois où Rachel frissonna, ce fut quand sa vis-à-vis sourit pour lui demander de refaire le tour avec ses cheveux.

        Cette manière que Nazca avait de lui parler, de poser ces questions qui ressemblaient plus à des ordres... perturbant...

        Derrière elle, l'homme de main avait le dos collé au chambranle de la porte et cherchait vainement à paraître impassible alors que sa seule envie était de se fondre dans le bois ou de devenir souris pour se faire dévorer par un chat de bonne famille. Tout mais pas se faire transformer en banc ouvragé aux couleurs exacerbées et aux arêtes saillantes. Et à côté de ça pourtant, Rachel souriait. Un sourire franc qu'elle ne cherchait pas à masquer. Certes elle avait peur. Peur de cette fillette que rien ne semblait pouvoir arrêter, qui vivait dans ce monde à elle où tout lui réussissait, Dans les yeux de laquelle se vivait le diable... Mais elle la fascinait au moins tout autant. Elle n'avait pas le charisme ou la stature de Hanabi ou de Mona Lisa, mais elle dégageait cette aura de terreur propre aux clowns et aux poupées de porcelaine dans une chambre d'enfant à peine éclairée par une lampe de chevet fatiguée. Une aura que Rachel enviait.

        Entre ses doigts fins, Rachel tenait toujours la tasse de chocolat chaud offerte par Nazca. Elle lui avait servi tout au long de l'entretien de bouilloire et d'ancre pour ne pas se faire happer par le magnétisme effrayant de Nazca, mais maintenant qu'elle pouvait la regarder dans les yeux sans craindre, elle ne risquait plus de sombrer dans la terreur, celle-là même qui pétrifiait l'homme dans son dos. Maintenant qu'elle n'avait plus peur d'elle.
        Alors elle leva la soucoupe et but son chocolat chaud en quelques gorgées rapides. Le tintement de la tasse lorsqu'elle la reposa sur la table flotta dans l'air pendant de longues secondes. Comme un glas. Après avoir rapidement incliné la tête en guise de remerciement, Rachel se leva simplement, sans prêter attention à son siège humain, et comme l'avait demandé la fillette, ses cheveux se remirent à onduler, mus par une volonté propre, et s'enroulèrent pour reprendre la coiffure qu'ils adoptaient généralement : les deux anglaises qui entouraient son visage blanc. Mais en plus, deux cornes torsadées vinrent se nouer sur le dessus de son crâne. Des cornes menaçantes. Elle porta la main à son fourreau et alors son regard s'alluma, de cette lueur verte qui brûlait comme un âtre en hiver. Son visage se fit masque impassible. Et au cas où ça ne suffisait pas, elle ajouta d'une voix vibrante :

        -Je crains d'être effectivement un obstacle...

        Dans la seconde qui suivit, l'homme de main se précipita dehors en claquant la porte avec une hâte non dissimulée. Mais surtout, un couple de corbeaux jaillit d'entre les rideaux de dentelle qui encadraient les grandes fenêtres ouvertes, accompagnés d'une volée de pluie et de plumes noires. Toutes serres dehors, il se précipitaient vers Nazca, également la cible du sabre vif de Rachel. Et tandis qu'elle sautait par dessus, la table se renversa, entraînant dans sa chute tasses, cookies, chocolat chaud et bancs humains.

        Un accident est si vite arrivé...
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        Le directeur avait dit ça, lui aussi.

        Nazca n'a pas bougé de son banc au moment de ton bond soudain. Elle n'a même pas sursauté en voyant l'homme déguerpir à vitesse grand V sans se faire prier. La brune ne se met en mouvement qu'au tout dernier moment, mais des  mouvements mesurés, prémédités, minutés comme il le faut. Elle évite l'assaut d'un premier corbeau et en arrache deux plumes. La bête croasse de douleur en faisant demi-tour, alors que Nazca a déjà planté la seconde bestiole avec les rémiges transformées en porcelaine dont elle s'est saisie tantôt. Un geste de la main réglé transforme le majestueux corbeau en pigeon de porcelaine qui s'éclate au sol comme après un tir de fusil à pompe. Elle n'a pas regardé en arrière pour savoir ce qui pouvait arriver.

        Elle savait.

        J'irai donc me servir.

        Il ne reste plus que toi qui perce vers elle avec ta lame et qui pourrait bien l'embrocher. Mais elle esquive à nouveau, comme si elle avait vu ton mouvement bien avant, en glissant comme si elle n'était que de l'air sur le côté du tranchant de ton arme, envoyant le banc valsé en arrière et se briser au sol, main en avant et prête à t'attraper. Mais alors qu'elle est sur le point de t'effleurer la patte tenant l'arme, sur le point de faire de toi sa chose, elle appose ses doigts sur la garde du katana que tu vois instantanément perdre en couleur. Et le mal semble s'étendre jusqu'à la poignée et ronge en partie le métal, grignotant sur la longueur.

        On va pouvoir jouer toutes les deux.

        Et Nazca te lance un regard troublant. Celui qu'ont les enfant quand ils vont faire une bêtise qu'ils savent être une bêtise. Celui qu'ont ces gens fous lorsqu'ils sont heureux de faire quelque chose de mal. Celui qu'a une petite fille tourmentée lorsqu'elle arrache les ailes d'une libellule qu'elle a attrapé entre ses griffes pour le plaisir de la torturer. Et des cris te parviennent de dehors.

        Ce dehors que tu avais sans doute oublié, au milieu de ce qui se passe dedans. Tu peux entendre des hurlements, des bruits de casses et de combats, des hommes qu'ont égorge et des tirs de fusils. La sortie en trombe de ton second était le signal pour un assaut à l'extérieur et le combat fait maintenant rage.

        Et Nazca rit.
          Pourquoi les Dieux n'en finissaient-ils pas avec elle ? Étaient-ils obligés de jouer avec elle comme un chat avec une souris ?
          Sérieusement... L'Empathie ? C'était une blague, c'est ça ? Autant lui donner une corde tout de suite. Ou au moins une chaudière à gaz. Non parce que là, clairement, à part le suicide, Rachel n'avait aucune chance de sortir d'ici en un seul morceau. Ah non, elle n'abandonnait pas. Elle était réaliste. Un réalisme qui lui avait ordonné de prendre du recul et de garder une distance de sécurité obligatoire avec Nazca.

          En résumé. Elle était dans un espace clos avec une fille qui ne devait absolument pas la toucher et qu'elle ne pouvait pas attaquer sous peine de se faire transformer en porte-manteau de porcelaine d'un seul contact. Totalement désavantagée sur le papier, avec en plus le haki du côté de cette brune démoniaque, Rachel était donnée perdante à mile contre une. Au bas mot. Et feue la lame de son sabre, en miette sur le sol, pouvait en attester. Elle laissa tomber la garde qu'elle tenait encore en main, dépitée. Parce qu'en plus elle était désarmée... Très rapidement, des idées fusèrent dans sa caboche de gothique stressée. S'enrouler le poing dans ses vêtements, jeter des cailloux au hasard dans la pièce en espérant qu'en rebondissant sur les murs ils atteindraient la pauvre et frêle petite fille en face, allant jusqu'à imaginer fuir. Une situation désastreuse pour notre commandante d'élite au bord de la crise de nerf et, il fallait le reconnaître assez désespérée.

          Con cœur battait la chamade. Autour d'elle, l'aura noire se répandait à ses pieds comme de la brume sur un lac un matin d'hiver. Son esprit fonctionnait à plein régime et elle avait même l'impression de voire la pièce au ralenti. Elle discernait chaque morceau de ses corbeaux devenus confettis et chaque dalle brisée par une table renversée et un banc violemment repoussé. Elle sentait même la marque noire sur sa paume pulser à un rythme complètement différent du sien, probablement celui de Red. Lui aussi avait l'Empathie. Elle l'avait mis en difficulté, une fois, en l'empêchant de fuir...
          Sur le papier, se débarrasser de Nazca était simple. Il suffisait de frapper partout à la fois, ou alors de l'attaquer avec des objets ou des pièges. Ou bien cogner trop vite pour qu'elle puisse l'éviter.

          Mais Rachel n'avait pas d'arme, pas de piège et ne serait jamais assez rapide. Et même comme ça, la toucher serait synonyme de défaite. Le seul rayon de soleil à ce tableau était la vilaine balafre qu'elle arborait et qui craquelait son beau minois blanc. Elle semblait aussi fragile que la porcelaine qu'elle créait. Tout se jouerait très certainement en un coup. Mais pas pour le moment. Car autre chose attira l'attention de Rachel. Un bruit persistant qu'elle mit de trop longues secondes à reconnaître. Des bruits de bataille. Et de bataille violente.

          -Sale chrysanthème asthmatique...

          Il ne restait donc qu'une seule solution. Rachel se pencha vivement et ramassa des poignées de débris de porcelaine épars, se taillant par la même occasion les doigts et les paumes, mais déjà elle se relevait. Et déjà Nazca avait compris. Car Rachel se retourna, dos à son adversaire, et jeta par-dessus son épaule des poignées entières de mini projectiles probablement inoffensifs. Du moins pour une personne normale. Mais Nazca, loin d'être normale et plutôt fragile, se réfugia vivement derrière la table renversée.

          -Loterie Corvidée !

          Et elle claqua la porte derrière elle en s'enfuyant.
          Ça, le directeur ne l'avait pas fait.

          Le long couloir s'ouvrait de nouveau devant elle. Elle s'élança vers la sortie. Première étape, retrouver les marins et les protéger. Ils devraient normalement avoir l'avantage du terrain depuis le filet, à protéger la grotte. Mais il n'était pas dit que des meurtrières n'étaient pas creusées tout le long de la paroi, juste pour les évincer. Seconde étape, trouver une arme. Dernière étape, trouver un escargophone et faire bombarder le Trou. Et tant pis pour les prisonniers qui mourraient. Mieux valait avancer l'heure de leur exécution que de les voir mettre le nouveau monde à feu et à sang. Troisième étape...

          Il aurait dû y avoir une troisième étape. Mais lorsqu'elle déboula hors du bâtiment où on l'avait trainée, elle se retrouva devant la même bande de vauriens qui avait accueilli les marins. Ils étaient toujours aussi trempés, avaient l'air toujours aussi sanguinaires, mais surtout ils étaient couvert de sang. Assurément pas le leur au vu de l'empilement grossiers de corps vêtus de vestes bleues et blanches. Du moins étaient-elles bleues et blanches avant. Myr laine machine allait avoir du boulot avec tout ce rouge en plus.

          Et donc la première étape était compromise.

          Mais elle pleurerait plus tard. Nazca devait être juste derrière la porte et les brigands semblaient surpris de la voir sortir aussi vite et surtout seule. Certains eurent à peine le temps de ciller, d'autres prirent peur en moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire, mais gros monsieur au gros bazooka n'avait pas froid aux yeux. Il la mit en joue. Parfait. Trois corbeaux fondirent comme jaillissant du néant et attaquèrent directement les yeux de trois hommes neutres, effrayants plus encore ceux qui étaient terrifiés, donnant un petit coup d'adrénaline à Monsieur Bazooka. Si bien que notre commandante d'élite ne bougea pas jusqu'à ce qu'il tire sur elle avec un boulet de canon utilisé d'ordinaire pour les batailles navales. Alors seulement elle bondit hors de la trajectoire. Arborant un petit sourire satisfait qui la surprit. Dans son dos, la porte fut tout simplement soufflée par la déflagration ainsi qu'une bonne partie du couloir, et avec un peu de chance, Nazca. C'était peut-être le seul petit coup de pouce du destin depuis des mois.

          N'ayant pas envie de finir vaporisée de la sorte, Rachel ne prit pas le temps d'admirer l’œuvre commune de Monsieur B et d'elle même. Déployant soudain la silhouette glaçante de la Faucheuse dans son dos, dernier vestige de son propre surnom en l'absence de Black Crow, elle fondit sur les quelques hommes qu'elle balaya à coup de talons et de tirs croisés. Elle se débrouilla même pour voler un sabre à l'un deux -deuxième étape de son plan initial- et à briser la rotule d'un autre. Il faudrait qu'elle pense à renforcer ses semelles avec des plaques de métal, comme des claquettes. Pour bien marquer les esprits et les visages des forbans qu'elle affronterait.

          La pluie prenait joyeusement part au combat et le vent prenait un malin plaisir à chahuter les cheveux fins de l'officier d'élite. Et malgré ces conditions difficiles et le surnombre de ses adversaires, ils ne furent très vite plus que trois à tenir encore debout sur leurs deux jambes intactes. Elle tenait entre ses mains un sabre volé et son regard était assuré. Ils n'étaient que de pauvres insectes. Elle s'en allait les écraser.
          Dans son dos, le bâtiment n'était qu'un tas de cailloux, à l'image de ces constructions pour enfant qu'un gamin turbulent aurait détruit d'un coup de pied.

          Et pourtant...
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          Et pourtant, la bâtisse effondrée et ses gravats se transforment progressivement en porcelaine. Les éclats sur lesquels les hommes encore en vie marchent craquent sous leurs chaussures. Ils craquent et se brisent en fine poudre. Et au milieu de cet entassement de briques, certaines se désagrègent après un coup violent porté de dessous. Un coup si violent que la porcelaine vole et s'éclate à quelques centimètres de toi. Une poupée se redresse péniblement, ses longs cheveux emmêlés tombent sur son visage grisâtre. La poussière recouvre sa parfaite petite robe dentelée. Ses petites chaussures cirés écrasent brutalement une énième brique, alors qu'elle fait un pas vers le semblant de civilisation qu'il reste près du Trou.

          Qui...

          Comme une poupée mécanique qui peine à avancer, elle vacille jusqu'à ses hommes de main. Ses longs cheveux noirs s'écartent pour laisser apparaître un oeil assassin et vide d'humanité. Et sa voix, sortie tout droit de sa tombe de brique en porcelaine, teinte à nouveau comme si elle appartenait à la mort elle-même :

          ... Qui a fait ça... ?

          Les hommes se figent puis se tournent vers le responsable. Celui au bazooka, qui comprend immédiatement que son destin est scellé. Et en un battement du cil, la petite fille bondit au visage de son homme de main pour lui plaquer ses doigts sur les joues. Et comme si le mauvais sort s'acharnait, l'individu se transforme immédiatement en porcelaine. Il met du temps, mais il s'en rend compte, s'agite, hurle, cri, supplie qu'on lui rende sa chair et son sang. Mais Nazca se contente de lui asséner un coup de pied dans les jambes. Et la jambe de porcelaine se brise, l'homme tombe à terre et éclate un bras dans sa chute. Le calme revient quand elle réduit en morceau la tête de son second sur place. Et elle se tourne vers toi, d'un mouvement mécanique et millimétré, pour se figer et te regarder fixement...

          Commandante !

          Mais les hauts parleurs hurlent la voix d'un marin que tu connais. Celui qui t'a accueilli ici, qui a préparé ton arrivée, qui t'a considéré comme son égal, voire sa supérieur. Et en même temps, une alarme vrille les oreilles de tout le monde sur place. Une épaisse grille se ferme en face de la gueule qui mènent aux prisonniers enfermés. Puis une autre grille, qui se cache enfin derrière une immense porte blindée devant laquelle se dresse de monstrueux piques d'acier...

          La Valkyrie est avertie ! Elle a dépêché un galion pour venir vous soutenir ! Il faut tenir, Commandante Blacrow ! On vous envoie du soutien dès que possible !

          Et Nazca balance la tête, de gauche à droite... Tenir. Toi face à une folle furieuse, à devoir impérativement protéger une porte qui semble bien se garder... Et la gamine s'avance, doucement, main tendue comme pour essayer de t'attraper, avec des yeux fous... Et tu peux voir le long de son bras une zébrure remontant jusqu'à son épaule. Une blessure infligée durant la chute de la bâtisse ou vous vous abritiez il n'y a pas si longtemps.

          Il faut tenir, Commandante...

          En avançant toujours vers toi...
            -Prévenir Mona Lisa ! S'exclama Rachel en se frappant le front. Voilà ce que j'avais oublié de faire ! Je suis nulle, mais je suis nulle ! Vivement que je meure pour me réincarner en potence. Au moins je serais utile !

            Elle ne faisait pas attention à Nazca qui prenait la tête effrayante qu'avaient les zombies devant un cerveau fraichement écrasé par un  quatre tonnes. Non loin, les pirates l'observaient avec cette expression indéchiffrable, entre abasourdissement et lassitude.
            Mais en vérité, Rachel restait dubitative. Plutôt même pessimiste. Tenir bon ? Hihi. S'ils pouvaient voir la gamine de porcelaine en ce moment, ils auraient été persuadés, tout comme elle, de préférer être n'importe où sur le globe. Pas de bol pour la commandante, elle était au Trou, et elle tenait tête à Nazca. En même temps, elle l'avait bien voulu, elle ne récoltait que ce qu'elle avait semé. Mais bon, on lui demandait de tenir. Elle tiendrait. Elle la retiendrait.

            -Alors : C'est l'Histoire d'un gentil monsieur dans une prison blanche et entouré de... Aïeuh !

            Une bille de la taille d'un calot la heurta avec la violence d'un buffle au galop juste au milieu du front. Projetée à terre par l'impact qu'elle n'avait même pas vu venir, elle contint à grand peine une exclamation de douleur légitime. C'était à peine si Nazca ne lui avait pas brisé le crâne avec sa bille et son lance pierre. Car oui, elle arborait maintenant un lance pierre, et visiblement, les histoires c'était pas son truc. Ou plutôt...

            Elle est nulle ton histoire ! J'aime pas le blanc et les gentils messieurs !
            -Oh, tu préfères les Basiliks mangeurs d'hommes où le héros meurt à la fin ? Demanda Rachel en s'assaillant sur un morceau de brique cassé comme une conteuse qui prépare son auditoire.
            Ah oui alors ! S'exclama Nazca en se postant face à elle en tailleur, le même regard que quand Rachel lui avait fait le coup de ses cheveux.

            Si seulement il n'y avait pas eu les quelques hommes de la petite poupée de porcelaine pour s'indigner de cette situation rocambolesque.

            -Gyaaaaah ! Nazca ! Vous laissez pas avoir !
            -C'est une fourbe elle vous manipule !
            -Oui, je la connais cette histoire, à la fin y'a un dragon chinois du nom de Kohaku qui arrive et qui sauve la jeune fille !
            C'est vrai ? Gronda Nazca d'une voix de tonnerre au regard soudain bien plus fou.
            -Hein ? Heu... mais non voyons...

            Et Rachel de s'enfuir en hurlant sous une pluie de billes de la taille d'un œil de vache. Elle se réfugia in-extremis derrière le mur d'un bâtiment, constellant ce dernier de multiples trous de la taille d'un poing. Elle fit mine de s'enfuir mais une bille la cueillit à l'instant précis où sa tête dépassait de derrière le mur. Évidemment, Nazca l'avait prédit. Aussi Rachel, massant avec fébrilité son arcade violemment atteinte, resta quelques secondes de plus derrière son abri précaire. Et elle avait cruellement conscience qu'ainsi terrée, elle n'était qu'une proie facile. Un lapin dans ton terrier qu'il fallait juste enfumer. Bien trop prévisible. Le seul bon point dans toute cette affaire était la nouvelle blessure de Nazca. Ainsi le haki n'était pas nécessaire pour la blesser. C’eut été plus ennuyeux encore et la commandante d'élite ne put s'empêcher de se réjouir de ce maigre rayon de soleil. Ah. Si seulement ce dernier avait été là... Pas besoin de s'essuyer les yeux toutes les trente secondes pour enlever les gouttes qui se déposaient sur les paupières à chaque instant. Et si seulement n'importe qui d'autre avait été là pour l'épauler... La marque noire sur sa main palpita faiblement mais elle l'ignora.

            Surgirent alors soudain de part et d'autre de son abri précaire les quelques hommes encore debout. Mise en joue par des canons bien trop malveillants, elle fut contrainte de bondir en direction du plus proche, pour espérer le pourfendre avant qu'ils ne la trouent.

            Il fut alors trop tard pour s'inquiéter de ne recevoir aucune attaque de Nazca. Car tout à coup elle jaillissait toute entière de son angle mort. Mortellement proche.
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            Rachel n'avait jamais ressenti un son. Un son cristallin, une simple vibration que le corps remonte vers les tympans, comme à contre-courant. Elle était certaine d'une seule chose, le son qu'elle entendait, elle était la seule à le percevoir ; il se détachait en notes ciselées, comme un essaim de grillons minuscules, et semblable à celui d'une mer qui gèle progressivement à l'arrivée de l'hiver arctique. De l'écorce qui se déchire. Un verre qui se brise. De la banquise qui craque. Arc boutée contre un destin qui a resserré ses griffes autour d'elle, elle admira, avec une terreur qui broie la poitrine comme on presse une orange, ce frisson remonter lentement le long de son poignet, jusqu'à son coude, grésillant dans ses muscles, se frayant un passage dans les interstices d'os pourtant solides, s'immisçant dans les chairs gelées. Nazca est là. Trop proche. Au contact même. Et si ses doigts fins, sa peau fine et ses ongles affutés avaient électrisé Rachel d'adrénaline pendant une seconde, elle ne sentait même plus ce contact. Impuissante, elle ne pouvait que voir la poigne de la poupée de porcelaine s'arrimer à son propre poignet, comme un navire qu'on amarre et que la houle ne pourra plus déloger. Rachel croise le regard fou de Nazca, mais ivre de bonheur de savoir qu'elle l'obtenait ; qu'elle aurait une nouvelle poupée qui peut faire tout de ses cheveux sans y toucher ; qu'elle allait pouvoir récupérer les prisonniers pour les donner au Malvoulant, puisqu'elle avait éliminé les obstacles.

            Désespérément, Rachel avait tenté de trancher, un peu au hasard, la petite brune qu'elle n'aurait jamais dû arrêter de craindre, mais sans plus de succès que si elle avait tenté de rattraper un mirage à la course. Même bondir en tout sens, tel un étalon en furie, n'avait été d'un grand secours, Nazca toujours à même de prévoir le moindre geste, le moindre mouvement, et de se déplacer, même d'un millimètre, mais toujours diablement suffisant, pour maintenir la pauvre commandante entre ses filets mortels.

            Comment décrire ce qui s'empara alors de Rachel ? Le désespoir était né en elle depuis quelques temps déjà, à peu près deux mois maintenant et se repaissait quotidiennement de sa chair et de son esprit. Dire qu'elle l'avait apprivoisé serait pure illusion, mais mettons qu'elle s'y était presque habituée, à lui et ses désirs soudain de lame de rasoir ou de bloc en béton aux pieds. Aussi ne put-il pas s'emparer sauvagement d'elle, à cet instant, comme il l'eut fait de nombreuses fois en ces temps houleux. Tout juste releva-t-il un visage curieux avant de se rallonger, chat fainéant sur son lit de sentiments étouffés et de sensations bridées. La peur en revanche... elle la saisit à la gorge et tel un étau lui coupa le souffle, lui broyant les cordes vocales, devenues muettes de frayeur. Ses genoux grelottèrent un instant. Ses jambes auraient pu se figer, à l'instar de ces lapins pris dans le faisceau qui les aveugle et porte leur trépas, mais elle continuaient de s'agiter, pattes de souris, prises dans un piège à loup. Dans un piège à Louve.

            Sur son bras gauche, presque entièrement grignoté par la porcelaine, la marque noire de Red pulsa. Une unique fois.

            Red est par là. Red est...

            Puis se tut.

            Le sabre de mauvaise facture s'éleva, bras droit auréolé de noir. Dans son dos naquit la forme familière d'un silhouette, apprivoisée. La résignation l'a emportée. La peur de la mort aussi. La sabre s'abat une dernière fois. Rachel croisa le regard fou de Nazca et serra les dents. La lame mordit la chair au-dessus du biceps, puissant ; le sabre brisa l'os -puis continua son chemin. En un instant, le bras fut tranché. Rachel croisa le regard stupéfait de Nazca et arma de nouveau son bras droit. Faisant pivoter son bassin et profitant du corps à corps, notre commandante d'élite décocha un coup de pommeau juste sous l'aisselle de la poupée de porcelaine, dans les côtes. Dans les poumons. Choc lourd, gorgé de haki. Nazca accusa le coup sévèrement touchée. Elle recula. Et Rachel s'effondra à genoux.

            Comment décrire ce qui s'empara alors de Rachel ? Facile. Le désespoir se redressa, s'étira comme un chat languissant et poussa un terrible mugissement qui la secoua des pieds à la tête et lui arracha des sanglots énormes qui se mêlèrent aux gouttes que le ciel crachait déjà avec dédain sur la commandante d'élite. La flaque de sang se répandait autour d'elle. Au moins ne pouvait-elle plus penser à rien. Nazca qui se redressait plus exorbitée que jamais. Le croiseur de la marine qui s'approcha de l'île. Red qu'il lui sembla perdre une nouvelle fois. Sa carrière. Très probablement terminée.

            Peut-être mourrait-elle d'une hémorragie. Pour avoir cru pouvoir battre Nazca.
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            Le navire approche lentement mais sûrement de l'île ou le combat fait rage. Les meneurs de troupes regardent avec une longue vue dans cette direction, te cherchant des yeux. Ils ne distinguent que ta silhouette à terre et s'imaginent déjà le pire. Il n'est plus question maintenant de sauver qui que ce soit, si même toi tu as plié devant l'adversité. Non, le fait est que l'urgence maintenant est d'annihiler la gamine et ses sales manières, et la faire battre en touche ou de simplement la tuer.

            Et dans cette optique, les canons du croiseur dévoilent leurs gueules béantes, visant dans votre direction.

            Pas de quartier ! Qu'on hurle d'un côté.
            Armez les canons ! Qu'on crie d'un autre.

            Et lorsqu'on arrête de crier, un silence religieux tombe sur l'ile et sur ses alentours. Seul le bruit de la pluie s'écrasant sur les gravats te parvient. Les hommes encore debout de Nazca viennent à elle pour la bouger, alors qu'une veine palpite à sa tempe en te regardant à terre. Des larmes de rage coulent sur ses joues pâles, et elle crie plus que de raisons :

            TU AS TOUT GACHE ! TU ES MECHANTE ! MECHANTE !

            On la retient par les bras alors qu'elle se rue vers toi pour te rouer de coup.

            TU AS TOUT GACHE !

            Mais la petite a de la force en réserve, et elle entend bien te briser un peu plus. Elle ne supporte pas l'idée de voir sa nouvelle surprise, celle qu'elle voulait transformer en poupée, déjà tellement jolie, s'être sabotée elle-même pour ne pas vouloir être avec elle. Alors les cris et les larmes et les sanglots brisent le silence.

            TU ES CASSEE MAINTENANT, AAAAAH ! POURQUOI TU VOULAIS PAS ETRE AVEC MOI !!? ON AURAIT PU ETRE AMIE ! TU AURAIS ETE MON AMIE RACHEL ! JE T'AURAIS COIFFE LES CHEVEUX !

            Complètement hystérique, tu peux voir quelques morceaux de porcelaine tomber de son bras blessé. Ton oeuvre.

            JE VEUX QUE TU MEURS RACHEL, TU ES TROP MECHANTE !

            Et avant qu'elle ne te maudisse plus, les premiers boulets s'écrasent près de vous, remuent de la terre, crachent du feu. Les gravats et une fumée opaque s'élèvent, et derrière eux, les cris de rage de Nazca qui fulmine en s'éloignant.
              Affalée au milieu des trop nombreux pans des murs rocheux de la cavité que formait le Trou, en appui bancal sur le bras qu'il lui reste, l'officier à la veste maculée d'un sang qui l’indiffère observe sans vraiment les voir, les volutes de poussières, les débris qui tombent en pluie et la pluie elle-même qui redouble d'intensité comme blessée par cet affront que lui font les gravats ; elle voit sans en comprendre les silhouettes ces hommes qui partent et plus tard ces autres hommes qui viendront pour elle. Le sol vibre, gîte, roule. Elle tangue, elle aussi, sous les assaut d'un vent et d'une pluie qui lavent son visage salé à grandes eaux, mère attentionnée qui ne supporte pas de voir des larmes sur les joues de son enfant tourmentée. Alors elle accepte, pas bien consciente, il est vrai, un peu absente même. Mes ses yeux sont de nouveau sec, à notre Rachel. Visage trempé, regard fixe. Elle regarde autour d'elle avec cette acuité et cette curiosité d'un nourrisson qui voit et découvre son monde. Rachel observe et voit de nouveau. Petite chose fragile aux cheveux lisses, elle détaille Nazca qui fuit, contrainte et forcée.

              Puis soudain, un choc. Pas la douleur, non. Loin de là. La sensation étrange qui l'avait gagnée, qui l'enveloppait, qui la couvait. Tandis qu'autour d'elle le calme revenait progressivement, alors que choyaient encore les dernières onces de roche téméraires et que le sol retrouvait un sismographe proche du zéro, Rachel redressa le buste, le plexus et se rendit compte qu'elle n'avait plus peur. Mieux : la Peur s'était envolée et avec elle la détresse et le désespoir. Ne restait dans sa poitrine, dans ses poumons, dans sa gorge, que l'apaisement. Aussi surprenant que cela puisse paraître, Rachel l'accueillit à bras ouvert. Un sourire flotta un instant sur son visage baigné et elle eut envie de rire. Son regard se posa néanmoins sur le bras de porcelaine qui gisait à ses pieds, à peine abimé. Elle ne sentait plus Red. Avoir déplacé la marque sur sa paume pour toujours pouvoir la regarder avait été sa bêtise. Elle aurait tout aussi pu la laisser sur l'épaule -et à l'heure qu'il est son lien avec lui serait toujours intact.

              Mais le voulait-elle ?

              Deux mois maintenant, peut-être plus, que les Sea Wolves étaient partis en fumée, que sa relation balbutiante et à peine révélée avec Red avait brusquement pris fin. Et de ce manque, elle n'avait eu de cesse de s'en repaître, à s'en étouffer, à en souffrir, de s'y perdre, obnubilée qu'elle était, à ne plus discerner le reste de son monde, mouvant. À trop vouloir protéger ce lien détruit, elle n'avait cherché qu'à s'imposer, à imposer aux autres son existence. Pauvre enfant abandonnée, adolescente capricieuse trop longtemps couvée et qui comprend à peine que le monde dans lequel elle évoluait maintenant, celui des adultes, ne s’embarrassait pas des trop fortes têtes. Mona Lise et Hanabi le lui avaient dit, la garce derrière son bureau aussi. Elle n'était pas adaptée à cette existence, elle qui toujours avait évolué dans l'ombre d'autres. Salem, Kimura, puis Toji, cajolée d'eux, centre de leur attentions. Celles de Red surtout. Elle n'avait pas vu qu'il n'était plus là pour elle. Elle le savait, certes, mais elle ne le comprenait que maintenant ; maintenant où elle ne le sentait plus dans sa chair et son esprit. Il n'était plus là. Plus du tout. Elle allait devoir évoluer, dorénavant, seule comme un oisillon qui quitte le nid. Encore une fois. S'adapter, se fondre, entrer dans ce système, mûrir. Encore. Elle pensait l'avoir fait en quittant Salem pourtant. Quitter ses jupes pour se réfugier dans celles d'un autre. Louve n'était jamais bien loin de Rachel.

              La voie n'avait pas changée pourtant, or elle la voyait différemment de la veille, différemment de la semaine ou du mois dernier. Heureuse ? Probable. Une pointe de remord naquit pourtant dans sa poitrine alors qu'elle se relevait lentement. Pourquoi avait-il fallu qu'elle perde un bras, qu'elle perde le dernier lien avec Red, pour s'en rendre compte ? Qu'elle aurait pu obéir à Mona Lisa et se tenir à carreau en l'attendant. La prévenir au moins, ne pas foncer, tête baissée, téméraire, dans un typhon qui l'avait déchirée et rejetée sur la rive, pantin désarticulé. L'enfant avait fini de jouer avec sa poupée, l'avait usée jusqu'à la couture. Mais Rachel se relevait. Se relèverait encore. Dans un souffle douloureux, elle se pencha pour ramasser le bras de porcelaine qui gisait là. Elle tangua un instant comme un animal sans sa queue. Et alors elle remarqua les hommes de la mouette, balancés sur le filet directement depuis le pont du navire de sauvetage, l'un des plus rapides du coin, l'observer, ahuris, muets. Rachel ressentit une vive douleur dans l'épaule. La souffrance, une fois les sens moins engourdis, promettait quelques nuits blanches et probablement des kilogrammes d'antidouleurs.

              -Nazca ? Demanda-t-elle simplement.
              -Partie. En navire. On ne sait toujours pas comment elle est entrée dans le trou ni comment elle a pu en ressortir.
              -Vous ne la poursuivez pas ?
              -'Pas notre rôle, Commandante ; vous aviez besoin de nous. Et puis, on est pas suicidaires nous.

              Rachel le prit dans le bon sens. La pique gratuite et à peine remarquée fait fleurir un sourire sur son visage. Sa veste détrempée d'eau et de sang colle à sa peau et alourdit sa démarche. Elle oscille légèrement en avançant vers le filet, d'une démarche chaloupée qu'elle ne contrôle pas vraiment. Il suffisait de penser au roulis d'un navire pour tenir debout. Pas bien compliqué.

              -Si jamais je m'écroule, que je remets à pleurer toutes les larmes de mon corps à cause de la douleur, j'aimerais juste que vous n'oubliez pas mon bras. Je voudrais le brûler ou le balancer à la flotte moi-même.
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              Le calme qui s'est instauré sur le Trou n'a été que temporaire. Les canons ne crachent plus de feu, mais les marins se ruent ça et là, partout autour de toi. Tu as à peine le temps de te remettre sur tes jambes, blessée jusqu'à l'âme, que les mouettes s'agitent comme des moustiques en fouillant les gravats à la recherche d'une victime. Le temps n'est plus cette ligne continue, ni un repère fiable. Et toi, tu te retrouves trimbalé de bras en bras, de main en main, avant qu'on ne te couche sur une civière et qu'on ne t'amène à moitié consciente vers l'infirmerie du croiseur.

              Et tu quittes l'agitation au profil d'une petite petite cabine étroite et immaculée, qui sent la javel et le propre à plein nez. La vision réduite, tu sais déjà que des petites mains se chargent de bander des plaies, à réparer les pots cassés. Mais sais-tu combien de temps elles mettent à te réparer ? A te reconstruire ? On vient te voir régulièrement et tu passes le temps entre le sommeil et l'éveil. Des rêves troublés par les médicaments qu'on te donne contre la douleur, des éveils groggys troublés aussi par ce qui s'écoule en masse dans ton hémoglobine.

              Mais le temps, dans tout ça... Sais-tu comment il s'écoule ? Comment il passe ?

              Sortez d'ici.

              Rien n'arrive jamais par accident  Monalisam_imagesia-com_3kh7_large

              Combien de fois t'es-tu endormie et réveillée avant d'entendre cette voix glaciale dans ta cabine ? Qui sait ? Mêmes les infirmières qui vont et qui viennent n'ont pas compté pour toi... Lorsque tu rouvres les yeux, un peu plus consciente que d'habitude, c'est pour voir le regard froid de Mona Lisa, ses traits tirés et l'impassibilité qui lui est propre. Au-dessus de ton lit, elle vient à ton chevet et se contente de se baisser pour poser les mains sur ton matelas. A l'endroit pile où on aurait dut trouver ton bras.

              Raconte-moi.
                Le temps passé ainsi allongé? Si. Rachel le connaissait. C'est juste qu'il ne s'était pas écoulé en secondes, en minutes ou en heures. Autour d'elle, dans cette cabine trop petite, trop sombre et au bois mal imperméabilisé où ça et là, sur les plafonds mités, nichaient des moisissures qui avaient échappées aux yeux des autre, ceux qui passaient leur vie debout à soigner ceux qui passaient leur temps couchés sur ce lit dur et grinçant sous la houle, le temps s'était écoulé en bandages tâchés de sang, changés douze fois. Il s'était écoulé en nausées, quatre, qui en pleine nuit avaient retourné les tripes et jusqu'aux poumons de Rachel à cause de la douleur insupportable. Il s'était écoulé, au rythme irréguliers des passages, dans la chambre et le couloir ; un rythme claqué comme autant de talons sur le plancher. Et au vu de ce temps, elle en avait trop perdu. Elle se levait souvent et faisait les cent pas, pendant la nuit lui semblait-il, testant les limites d'un corps déséquilibré. Dormir lui avait fait du bien, énormément. Le temps que l'on change ses draps deux fois. Mais maintenant, le sommeil l'avait quitté, complètement, et elle s'ennuyait, fébrile, à l'idée d'être enfermée, inutile. Aussi son cœur fit-il un bond lorsqu'au milieu d'un examen de son moignon en bonne voie de guérison, vint Mona Lisa. Elle avait autant espéré que redouté sa venue. Et maintenant, elle se retranchait dans un silence poli et un regard inquisiteur tandis que la Valkyrie faisait sortir le personnel médical ; dans l'espoir vain de savoir de quoi il serait question.

                La Colonel s'avança de l'officière et posa les mains à plat sur le lit désespérément vide de ce côté-ci des draps. Et posa une unique question. Moins glaciale qu'elle ne s'y était attendue, un peu plus énigmatique, il fallait le reconnaître. Rachel frotta ses paupières de sa main blanche et remit de l'ordre dans ses idées.

                -Que je raconte ?



                J'ai suivi vos directives. Et Nazca, contre toute attente, était déjà là. Mon erreur fut de ne pas vous contacter dès l'instant. Je n'y ai tout simplement pas pensé. Ma seconde est d'avoir emmené des hommes avec moi. Des hommes morts pour rien. Ma troisième et la plus importante : avoir répondu à son invitation et d'être allée la rejoindre. Quand vous me disiez qu'elle était un trop gros poisson... je ne voulais pas y croire. J'aurais dû.

                ...

                Nazca est folle. Mais on peut tirer parti de sa bipolarité. J'y suis arrivé par deux fois. La distraire avec quelque chose qui l'intéresse, tourner les phrases pour ne pas formuler de refus à ses demandes. La jouer fine. Je n'ai pas réussi bien longtemps et ai dû engager le combat. Mais l'inconnue qui m'a coûté la victoire est son haki. Elle maîtrise l'Empathie. Une cible presque intouchable pour une sabreuse comme moi.


                Le mot ex-sabreuse avait failli franchir ses lèvres, mais Lin n'aurait pas voulu qu'elle s'abatte pour si peu. Les hautes instances de la marine et de la flèche comportaient de nombreux éclopés. Elle en rejoignait les rangs. À vingt-et-un ans.

                -J'ai pourtant réussi à briser son bras gauche et son côté droit...

                ...

                Dîtes, qu'est devenu le directeur du Trou ?


                Rachel, autant pour bouger que pour faire reculer une Mona Lisa décidément trop proche pour ses nerfs à vifs, se redressa sur son séant et laissa pendre ses jambes hors de son lit. Elle avait beau prendre la choses de manière étonnamment bien -à tel point que ça lui faisait peur- voir la Valkyrie en appui là où aurait dû se trouver son bras avait malgré tout le don de la mettre mal à l'aise, de lui nouer la gorge. Ainsi assise, la Colonel recula d'un pas pour jauger la commandante des pieds à la tête. Jusqu'au moignon aux bandages frais et blancs. Une cicatrisation rapide et sans difficultés. Se trancher le bras au haki avait laissé une coupure nette et plus simple à soigner. Dans un coin de la chambre exigüe, le bras de porcelaine reposait sur un caisson en bois où l'on avait rangé habits de rechange et draps propres. Son regard glissa dessus avant de revenir sur la valkyrie, borgne.

                -Il était concis, je l'admets, mais c'était mon rapport.
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                Transformé en statue de porcelaine.

                Elle reste stoïque et droite, te fixant droit dans les yeux en se contentant de ce que tu as à dire. Même si au fond elle a tout l'intérêt piqué par ce que tu lui dis, elle reste incroyablement froide. Tes informations lui sont pourtant précieuses, elle les note scrupuleusement dans un coin de sa tête. Et quand elle répond à ta question sur le directeur, il n'y a rien qui perce derrière son unique viable.

                Mais l'affrontement lui a fait retrouvé sa forme humaine.

                Une bonne nouvelle. Enfin. Tous les membres de l'équipe du Trou ont été retrouvés, soit retranchés dans la prison, soit retrouvant leur forme humaine en demandant frénétiquement ce qui leur été arrivé. Mona Lisa se retourne et se dirige vers le hublot, regardant l'agitation à l'extérieur d'un oeil noir.

                J'ai perdu mon second, dit-elle d'une voix glaciale.

                La vérité, c'est qu'elle l'a flanqué dans les cellules juste après qu'il lui ait transmis la nouvelle. Et qu'il croupit encore en attendant qu'elle se rappelle de lui. Mais as-tu vraiment besoin de le savoir ?

                J'ai besoin d'un nouveau bras droit.

                Et c'est à toi qu'elle le dit. Sans te le proposer. C'est un fait, clair, net, concis, et quand elle repose son regard sombre sur toi, tu comprends que le nouveau bras qu'elle veut, c'est le tien. Et elle ne fait pas d'humour.

                Une fois remise, tu reviendras sous mes ordres.
                  La nuque de Mona Lisa disparut derrière la porte quelle fit mine de refermer sans un regard pour Rachel. Elle n'avait pas attendue de réponse. Ce n'était pas une question, ni même une proposition. C'était un état de fait. Lorsque Rachel serait rétablie, elle passerait sous son commandement direct. En tant que seconde de la valkyrie. Autant notre commandante avait montré des signes de soulagement lorsque la Colonel lui avait parlé du directeur, avait également retenu sa respiration et émis une exclamation de compassion quand elle lui avoua pour son second, autant elle resta interdite, muette de stupéfaction, à l'annonce de son augmentation soudaine et inattendue. Pour être réellement franche, si elle avait dû en parler, elle crut tout d'abord avoir mal compris. Parce que ce n'était tout simplement pas possible. Puis, alors que la Valkyrie se levait pour partir, Rachel crut à une blague. Une ironie froide et cruelle. N'avait-elle pas foiré une mission de sauvetage ? Enfin de son point de vue. Et selon elle, en cette seconde précise, la disparition du second de Mona Lisa était forcément de sa faute ou de son fait. Alors oui, Rachel ne comprit pas les termes exacts de la situation, d'où l'absence de réponse.

                  À peine la porte refermée sur une Rachel encore sous le choc d'une nouvelle qu'elle n'était pas sûre de saisir amplement que les infirmiers entrèrent de nouveau pour finir ce que la Valkyrie avait interrompue. Mais leur ballet n'intéressa pas Rachel. Elle resta là, assis, bras ballant, à observer la porte. Et les médecins qui la regardaient du coin de l’œil se demandèrent bien de quoi elles avaient parlé toute les deux pour qu'elle arbore un tel sourire.

                  *****


                  Trois jours plus tard, alors que la bise giflait les marins d'eau profonde et que les cheveux de Rachel, lisses comme personne ne les avaient jamais vus, faisaient un rideau sombre devant son visage pâle, alors que les nuages filaient au-dessus de leurs têtes, bien au-dessus du hunier de la vigie, masquant un soleil timide et qui demeurait froid sur la peau lorsqu'il osait sortir son nez, tandis que marins affairés hululaient des ordres ou des questions, que d'autres tiraient sur des cordes, bordaient le foc, ferlaient des voiles ou en tendaient d'autres qui faséyaient sous vent debout, sous une houle faible mais persistante qui faisait rouler des yeux au navigateur, remonter la bile du plus jeune des matelots pour le laisser exsangue par dessus le bastingage et donner aux chats de bord l'occasion de jouer avec des tonnelets de sel vides abandonnés sur le pont comme on oublie sciemment un jouet dans la chambre d'un enfant, alors même que Rachel sortait tout juste de sa convalescence, un bras de porcelaine décrivit une courbe parfaite, tout juste malmenée par une écume paresseuse, pour s'enfoncer, sans un bruit, sans une éclaboussure, au creux d'une vague lascive, puis disparut aux yeux des rares ayant suivi ce mouvement fugace et pourtant si poignant. Depuis le gaillard d'arrière, à quelques pas derrière Mona Lisa qui tenait la barre d'une main experte, Rachel laissa dériver son regard sur cette mer qui l'avait vue naitre et sur laquelle elle mourait, un jour -et le plus tard serait le mieux.

                  Notre officière n'avait pas demandé à la Colonel pourquoi elle l'avait choisie elle pour devenir son second. Les raisons étaient à peu près évidentes, en y repensant, bien qu'elle pensât qu'elle ne méritait pas la place de l'ancien et que jamais elle ne pourrait s'intégrer et se faire respecter sur ce navire dont elle ne connaissait rien et où elle passait de serveuse de café à seconde sans même passer par l'étape bosco. D'ailleurs.

                  -C'est l'heure, je vous apporte votre café.

                  On ne change pas une équipe qui gagne et au moins Rachel était-elle à l'aise dans ce rôle. Et heureuse en fin de compte. Car Mona Lisa lui avait parlé de la prochaine étape. Et il s'agissait d'aller épauler un équipage de marins sur Jaya aux prises avec les lieutenants du Malvoulant comme Rachel avec Nazca -qui très probablement fuyait dans cette direction ou bien vers Thriller Bark.
                  Et cet équipage était celui des Rhinos Storms.
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