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Le monde avec les yeux d'une bête.

Le feu crépite et chasse l'inconfortable humidité de la jungle. À défaut de vraiment chasser l'obscurité nocturne, il fait s'allonger les ombres et éclabousse les environs de sa lueur orangée. Debout, près du brasero, j'enfile une lourde cape et rabat un capuchon sur ma tête. J'ai un truc à faire ce soir. Un truc qui se rapproche plus cette fois de mon boulot, mais qui nourrit aussi un autre dessein.

Ces temps-ci, à force de m'isoler dans cette stupide jungle, à errer entre les arbres tropicaux en contenant les pulsions qui me poussent à la violence et en attisant les maux de tête qui me scient constamment le crâne, des idées stupides sont nées dans mon esprit.

Les conneries que je fais avec Shoma, mes plans foireux pour défier l'autorité gouvernementale qui envoie déjà ses propres pions sur le jeu, tout ça n'aide en rien à mon cas. À chaque instant, j'ai l'impression d'être une bête traquée. Mes mains tremblent sans arrêt, je ne dors que d'un œil, je fume cigarette sur cigarette pour calmer mes nerfs. Rien ne va.

Si seulement je pouvais juste en frapper un…

J'en frapperai un.

À être un monstre, on doit savoir agir comme tel, avec les atouts de sa condition.

Un craquement, une branche sous le pas lourd d'une autre bête de la nuit.

Je fais volte-face plus rapidement et nerveusement que je l'aurais voulu. De l'autre côté du feu, dans notre clairière aménagée en camp de base, Wallace est debout, me fixant d'un œil insondable. Je jette un regard à la tente d'où je capte les ronflements de Karl, notre responsable des communications.

-Je croyais que tu dormais.

La réplique sonne à la manière d'une accusation, plus que je ne l'aurais voulu, en tout cas. Que peut-il bien penser?
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La jungle. La chaleur moite, les insectes et cette saveur particulière. Celle de la vie sauvage et des instants retrouvés. Les pupilles rétrécies, les gargouillements bestiaux. Tout cela faisait partie du passé du Docteur. Il n’aimait pas cet endroit. Il s’y sentait trop chez lui pour l’aimer. Il gargarisait chaque étouffante bouffée d’oxygène. D’ailleurs, il avait laissé tomber sa tenue usuelle pour ne plus se déplacer que torse nu, sa chair chlorée à vif. Ses plaques constituaient une défense suffisante pour les dards des moustiques et autres bestioles. Il n’était pas rare qu’il s’emparât d’une bestiole grosse comme le poing pour croquer dedans à pleines dents : peu de choses rebutaient le monstre. Avec ses anciennes habitudes, il avait aussi retrouvé son instinct. Dans les égouts, il n’y avait nulle place pour le Soleil, ainsi dormir n’était qu’un luxe. En pareil terrain,  il peinait à trouver ses aises. Il se sentait épié par la nature environnante. Il sentait les œillades incessantes de ses camarades monstres à travers les fourrés. Il rêvait de mort et de destruction : les séquelles d’Alabasta. Lui aussi n’était qu’un homme au fond, avec ses faiblesses et ses doutes.

Ainsi le Docteur restait à quelques mètres du feu, assez loin pour se fondre avec le décor, se surprenant à sonder son propre esprit dans les braises vivaceses. Il était assis à même le sol, ses seuls pupilles trahissant sa présence. Le jaune de ses yeux luisait d’un rouge éclatant dans la nuit, à l’instar de certains cervidés. Cela était dû à l’organisation particulière de ses cellules, ce qui ne l’en rendait que plus inquiétant. L’esprit du monstre s’égarait de plus en plus, cherchant des solutions à des problèmes qu’il ne pouvait résoudre. Sauver Oswald, guider l’équipage sur une meilleure pente. Panser les plaies de Lilou, tempérer les autres membres sans dommages collatéraux. Céder à la violence aurait été trop facile, mais il était tenté de le faire. Il se détestait pour cela. Il fixait donc les braises avec le regard le plus haineux qu’on lui ait jamais vu. Il était un monstre bon, un monstre honnête et loyal. Mais à quoi cela servait-il dans ce monde, hein ? À qui ses soins profitaient-ils ? Pourquoi tous ces efforts si cela ne faisait que les précipiter dans le giron des pirates pour encore plus de sang et de morts ?

Une forme mouvante attira son attention. Le monstre haussa  un sourcil, huma profondément l’air. Oswald. D’un mouvement lourdaud, il se redressa en s’emparant de son trench-coat. Il ne laisserait pas Double-Face faire une fois de plus des siennes. Il finirait par se blesser, ou pire. Il était son ami après tout, n’était-ce pas là le devoir d’un ami ? S’il ne pouvait l’empêcher de poursuivre sa lutte interne, il serait au moins à ses côtés pour lui offrir un secours compatissant. Il ne pouvait faire que cela, il n’était bon qu’à cela. Tant que la bête ne sortait pas, tant que la bête ne cédait pas à la violence. Il savait de quoi il était capable, mais il pensait alors que la force était preuve de faiblesse et désirait que son intellect se révèle plus probant. Tout n’était que causalité. La violence engendrait la violence. Mais qu’en était-il de la paix ? D’un pas lourd, le Docteur emboîta le pas à Oswald, qui se retourna alors.

« Si tu veux tromper ma vigilance, ami Oswald, change de parfum. » ricana le Docteur, reconnaissant pertinemment l’accusation sous-jacente de Double-Face.

Il le rejoint, prenant le temps de fermer son habit et de cacher au mieux son horrible gueule. Il arriva à ses côtés, jeta un regard arrière à la tente. Ils se débrouilleraient très bien sans eux, pas à s’inquiéter de leurs actes. Le monstre inspira profondément, goûtant avec délice l’air moite de la jungle.

« Je pense qu’il serait de bon ton que nous marchions un temps ensemble. Après tout, il y a longtemps que nous n’avons pas parlé tous les deux … » lâcha le pachyderme, en subtile référence à un épisode précédent, mêlant Oswald volonté et mousquet.

Son but n’était pas de le blesser ou de le ramener à ses sombres pensées. Il cherchait plutôt à rappeler à Double Face qu’il n’avait pas à surmonter tout cela tout seul, et qu’il ne le jugeait pas. Qu’il l’aiderait de son mieux, mais à sa manière. La manière du Docteur n’impliquait ni sang ni mort. Seulement compassion et discussion. Ainsi veillait-il à améliorer les choses, même si cela était dans une moindre mesure …

« Allons bon, ne perdons pas de temps : je gage que tu as un rendez-vous important, non ? » lui demanda-t-il, malicieusement.

Ce faisant, le monstre sortit sa vraie boîte de bonbons et en tendit un à Double Face, tout lui faisant remarquer qu’il sentait fortement la cigarette et que ça serait un bienfait tant pour son haleine que pour sa gorge.
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-Téh, foutu psychanalyste…

Merci Wallace. Je l'ai probablement dit trop souvent. Et je le dirai probablement encore une tonne de fois. Je suis complètement perdu. Perdu dans la jungle de mon esprit. Au même titre que toi, je suis une bête qui s'est poussée elle-même dans une cage. Un paria qui a pris la résolution de regarder la mort, la fange et les excès de loin. Un paria qui s'est menotté assez loin du mal pour ne pas avoir à s'en imprégner en tendant les doigts.

Et pourtant, je trouve toujours moyen de contrecarrer ce que je devrais réellement faire. À l'époque, je peinais à suivre les ordres des autres. Maintenant, c'est ma propre raison que je perds de vue. Mais toi, sacré reptile, seul être assez proche de ma condition pour en comprendre la rigueur, tu es le phare dans l'obscurité. Tu incarnes cette flèche qui indique le bon chemin à prendre. Toute ma vie je n'ai jamais pu passer par la case "Go" et réclamer deux-cent balles. Avec toi, ton réconfort, ta compréhension, c'est peut-être possible.

Continue de me mettre de ces claques derrière la tête, Wallace. Tu es presque aussi réconfortant que la sucrerie qui fond dans ma gorge.

-Ouais, j'allais justement patauger dans les ordures de Jaya. Aussi bien avoir avec moi quelqu'un qui va s'assurer que je n'sois pas complètement gangréné par le mal qu'on respire là-bas.

Parce que ce soir, je vais jouer à nouveau les diplomates, mais plutôt dans un meilleur objectif, cette fois. Sur cette île, un vil créancier, mais aussi un marchand d'influence fait fonctionner le système dysfonctionnel de cette société à l'extrême opposée de l'utopie. Un certain Gaspard Fetcher, alias Crésus. Un gros porc claudiquant qui vendrait sa mère s'il pouvait en tirer profit et dont la résidence au port de l'île m'a été révélée par Jeska.

S'il y a bien quelque chose d'indéniable avec cet homme, c'est que sans lui, l'apport en nourriture et en boisson de l'île risque de drastiquement baisser.

Toutefois, je ne compte pas me débarrasser de lui. Il faut s'assurer qu'il cesse lui-même de faire vivre Jaya, sans quoi les affaires pourraient continuer sur l'île pirate.

Et quoi de mieux que deux monstres dans la nuit pour effrayer un gros lard sans défense.

Je tâte ma poche, sous ma cape, pour trouver mon holster vide. Wallace a caché toutes les armes à feu depuis l'incident… Mesure compréhensible, quoique peu utile. Il sait autant que moi que je n'aurais qu'à réfléchir deux minutes pour les trouver. Il sait aussi que si je veux réellement me débarrasser de moi-même, la mer est à une quinzaine de minutes de course à travers la jungle. Cependant, Wallace sait aussi autant que moi que ce n'est pas de moi-même que je veux me débarrasser, mais plutôt de cette facette de mon âme que je déteste.

-Allons-y. Faut que je marche.

Quand je parle, c'est presque nerveusement. Mon ton semble toujours légèrement essoufflé. C'est probablement parce qu'Il se rend compte progressivement que je me rapproche de victimes potentielles qu'Il s'excite. Et quand Lui se met à grogner, moi, je panique.

D'une main, je saisi l'autre, histoire de l'empêcher de trembler sans arrêt. Foutue nervosité.

J'enjambe racines et branches, écarte les bosquets et les arbustes. Mon cœur bat si fort qu'il en enterre mes pensées, j'ai l'estomac dans la gorge, je vois rouge.

On vient à peine de quitter le camp que je veux déjà tuer.

-J'ai l'impression de devenir cinglé Doc. Je me suis jamais autant retenu de frapper quelqu'un de toute ma vie. Ils sont là-bas, encastrés dans leurs bidonvilles et dans leurs tavernes sordides, Flist, Hijiro, Shoma, Le Kidd. Ils sont là et je ne fais rien.

Je saisi une branche au passage. Je la sens se briser sous ma poigne, elle craque, frêle et incapable de se défendre, son écorce gémit, son père l'arbre souffre en silence.

Il souffre en silence. Lui aussi.

-Si ça se trouve, c'est la jungle qui me fait sentir encore plus monstre que je ne l'ai jamais été…
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Le médecin soupira. Evidemment, l’esprit était long à cicatriser et il y avait des choses que même lui ne pouvait espérer guérir. Il savait apaiser les maux, il savait être là. Mais après ? Comment contenir ce qui rongeait Oswald ? Ce n’était qu’une émanation de ses colères, de ses peurs et de ses souffrances. Il y avait une douleur ancrée en lui qu’il ne pouvait atteindre. Quelque chose que toute sa bonne volonté ne pouvait pas même effleurer. Que faire alors ? Devenir encore plus puissant pour l’empêcher de se blesser ? Non. La force n’était pas une solution. C’était la facilité, le danger. Il ne le savait que trop bien, tout comme il ne pensait pas en manquer. Il s’était déjà vu à l’œuvre, il s’était terrifié. Cette jungle ne faisait que lui rappeler ce sinistre souvenir. Il vissa son borsalino sur son crâne, espérant avoir l’air un peu plus humain ainsi. Dans l’ombre, cela ne l’en rendait que plus terrifiant avec ses dents étincelantes et ses yeux luisants. Le Diable personnifié. Les deux ‘monstres’ du Léviathan, ce qu’il pouvait enfanter de pire.

« Ne sois pas trop prompt à les juger. Ce sont pour la plupart des gens qui n’ont pas eu le choix ou qui n’ont pas pris les bons chemins. Ils en paient aujourd’hui le prix fort, Oswald. Et le pire dans tout ça, c’est que certains vont forcément en mourir. Des gens que nous ne pourrons pas sauver … » se désola le monstre en s’enfonçant dans les fourrés à la suite de son supérieur hiérarchique.

Supérieur … en réalité, il appartenait à la brigade médicale et ne connaissait pas réellement de supérieur sur le Léviathan. Il était certes sous les ordres d’Oswald mais celui-ci avait toujours eu la délicatesse de lui demander son avis avant d’entreprendre quoi que ce soit à son encontre. Le Docteur s’y pliait souvent de bonne grâce et force était de reconnaître que le Commodore faisait du bon travail. Malheureusement, il était tellement préoccupé par l’idée de ne pas pouvoir égaler Alheïri qu’il ne pouvait pas même percevoir ce qu’il accomplissait. Un cercle infernal dans lequel il se réfugiait, plaidant mériter sa souffrance. Comment donc le sortir de cette gangue mortifiante ? Le monstre vert posa sa patte sur un arbre, s’appuyant sur son écorce pour se faufiler entre les broussailles de la jungle. Malgré lui, il y enfonça ses griffes, labourant profondément l’écorce. Ce n’était pas bon, il était trop tendu. Quelque chose n’allait pas, ou allait mal se passer il le pressentait. Oswald confirma bien assez tôt ses dires …

« Tu ne fais pas rien, puisque nous sommes là. Parfois, il faut tempérer, prendre le temps de réfléchir. Le meilleur moyen de limiter la casse c’est de considérer leurs propres rivalités après tout. Eux aussi sont des personnes qui n’ont pas eu de chance. En général, ceux qui ont souffert adoptent deux modes de fonctionnement : la miséricorde ou la vengeance. Je gage que ceux-là ont pris la seconde voie. Et même si je n’aime pas cela, il est vrai que leurs rivalités internes nous seraient utiles … » grommela le Docteur, serrant le poing de dépit.

Il posa une main sur l’épaule de Double Face et lui offrit un sourire timide. Il ne pouvait pas faire grand-chose d’autre que lui apporter son soutien pour passer cette épreuve. C’était assez rare qu’il se confie ainsi, exprime ses doutes. Il ne pouvait pas le contredire après tout, lui aussi était en proie à de nombreuses questions sur l’avenir du Léviathan et sur la difficulté de la tâche qui les attendait. Le psychologue soupira, levant les yeux vers le ciel qui lui était caché par les arbres.

« Moi aussi. Cela me rappelle de mauvais souvenirs. » soupira-t-il, rabaissant le borsalino sur son crâne et carrant les épaules.

« Allons bon. Que comptais-tu faire avec Crésus ce soir ? Entrer par la grande porte serait mettre le feu aux poudres, tout comme le tuer. On néglige trop souvent la valeur d’une vie, mais bien souvent elle est plus utile qu’une mort. » lâcha-t-il sur un ton anodin.

Mais on ne s’y trompa pas, c’était une mise en garde à peine dissimulée. Tuer Crésus serait une erreur aux yeux du Docteur et il espérait intérieurement que ce n’était pas là l’idée d’Oswald. D’une part parce qu’il avait juré de ne plus jamais tuer et de tout faire pour empêcher cela et d’autre part parce que les conséquences seraient désastreuses pour la population locale et les Rhinos dans leur ensemble. Il savait Double Face malin, bien plus qu’il ne l’admettait ainsi il se doutait qu’il avait quelque chose de plus savoureux à lui proposer. Quelque chose de plus … mesquin peut-être.
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L’air entre régulièrement dans mes poumons par larges bouffées. À chaque inspiration, j’ai l’impression de pourrir un peu plus l’atmosphère viciée de cette île cousue avec le tissu du rêve par des tisseurs de morts et de pillages. Ne pas être trop prompt à juger les crève-la-faim qui composent cette île, ces buveurs, ces joueurs et ces bandits qui ne suivent inlassablement qu’une carotte qu’on a pendue devant eux. Que ce soit un rêve de richesses, de liberté ou de pouvoir, tous sont ici pour les mauvaises raisons.

Ce sont des pirates jusqu’aux tréfonds de leurs êtres. Ils sont devenus infâmes parce que ça pouvait servir leurs ambitions. Et ça, même la répartie de Wallace ne peut m’empêcher de le croire.

D’un côté, je les envie peut-être d’avoir pu délibérément choisir de prendre la mer sous le drapeau noir. D’avoir eu le choix de mener une vie malsaine. De pouvoir boire dans des tavernes sordides, de pouvoir trinquer au nom d’hommes qui terrorisent le monde, de pouvoir prendre la mer et faire leur propre loi. Moi, je n’ai pas eu le choix d’être une ordure. Je ne peux que diluer les ténèbres qui me hantent dans une bonne couche de modération.
Je suis le pantin de mon vice.

Dark. Il cogne à chaque instant contre mes tempes, Il me somme de frapper, de devenir fou. Il me veut prédateur, il en a déjà marre de me voir jouer les meneurs. Comment mener des hommes si l’on est à peine capable de se gouverner soit même? Comment obtenir la confiance d’un équipage, quand on en incarne la principale menace? Si ce n’était pas de ces captures sur Alabasta, ou de ce massacre sur Drum, je serais probablement depuis longtemps au Trou. Si ce n’était pas de Wallace, je serais probablement depuis longtemps perdu.

-Je veux persuader Crésus de cesser de subvenir aux besoins de cet énorme et ingrat bambin qu’est Jaya. Et pour ça, il ne me faudra qu’une bonne dose de diplomatie…

Je ralentis mon pas dans les broussailles. Hésitant à poursuivre. La jungle cesse de s’étendre devant nous, nous sommes au sommet d’une corniche qui surplombe les premiers bidonvilles du port.

-…et aussi la peur que peuvent inspirer deux horribles créatures de la jungle…

Je ressasse les derniers mots de Wallace, le regard perdu vers les torches qui illuminent le port de Jaya. Sous ma capuche, je ferme fortement les yeux, contenant ces battements sourds qui percent mon crâne. C’est horrible de savoir qu’on a le pouvoir d’influencer le cours des choses de façon drastique et ne rien faire en attendant le bon moment. Salem, lui, n’aurait pas supporté une attitude aussi roublarde.

Je suis bien loin du paladin des Storms lorsqu’il est question de stratégie.

-On ne tue personne… Non…

Il y a beaucoup de dépit dans cette phrase, malgré moi. Mes poings se serrent. Je cherche nerveusement une cigarette dans ma poche, puis abandonne avec regret en me disant que l’odeur pourrait nous trahir. Alors je masse mes tempes sous ma capuche en appréhendant ce que nous devrons entreprendre.

-Je vais le dire quand même, au risque que je me répète, et au risque que tu te répètes aussi ; n’hésites pas à utiliser la force si tu vois que ça vire mal pour moi…

Je connais pertinemment le discours de mon ami. Le psychologue ne voudrait pas un instant avoir à user de son physique sur moi, au risque de me blesser, quoique peu envisageable, mais aussi au risque de ne pas respecter son code de conduite. La dernière fois qu’il s’est réellement imposé à moi, c’est lorsqu’il m’a empêché de sauter rejoindre Salem qui sombrait dans les flots d’Alabasta.

Un pincement au cœur me prend d’un coup. Mieux vaut ne pas penser à tout ça. La route à travers le bidonville est longue encore avant d’atteindre la demeure de Crésus, et maîtriser mon propre instinct sans m’empêtrer dans de douloureux souvenirs est déjà assez ardu comme ça.

-Crésus réside de l’autre côté de ce bidonville, il a une large demeure de style colonial aux abords de la rive. Faut éviter de se faire repérer. En avant.

L’oreille attentive aux bruits nocturnes de la ville, mais aussi aux faits et gestes de mon compagnon, je m’élance au bas de la corniche en m’agrippant de mon mieux à la paroi.
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Eviter de se faire repérer. C’était ardu, ça. Quant à faire frémir, terrifier ses interlocuteurs … il le faisait sans le vouloir. Alors ça, ça le bottait plus déjà. Quoi que même le premier volet, il savait y faire. Après tout, ils étaient dans la jungle et il faisait nuit. Combien de temps avait-il … ? Non. Inutile d’y repenser. Cette période de sa vie était révolue. Du passé faisons table rase. Le Docteur acquiesça aux demandes d’Oswald, sachant pertinemment qu’il n’userait de sa force qu’en dernier recours. D’autant plus qu’il ne désirait pas pousser son ami à devenir plus violent encore. La violence engendrait la violence. Il fallait rompre ce cercle infernal, voilà tout. Enfin, voilà, c’était vite dit.

« Tu veux qu’on se fasse une place dans sa chambre à coucher ? Hm. Ça va être dur, mais nous n’avons pas le choix. » grommela Wallace en emboîtant le pas à Oswald.

Les deux monstres se faufilèrent sans mal dans les bidonvilles, s’écartant des torches et des quelques filets de voix qui perçaient ça et là. Le Docteur posa sa main sur l’épaule de Double Face plusieurs fois, pour l’enjoindre à poursuivre sa route sans s’attarder. Il sentait qu’il était troublé, et que ce trouble était l’occasion rêvée pour lui de flancher. Or ils ne pouvaient pas se le permettre. Si Oswald était en proie au doute, cela ne ferait qu’empirer : il ne fallait pas lui laisser le temps de réfléchir. Ainsi, le Docteur lui fit répéter plusieurs fois son plan et quelques détails quant à la position de Flist ou d’Elize sur Jaya afin de lui garder l’esprit ailleurs, ainsi que quelques informations sur Crésus. Si Jenkins s’en rendit compte, il ne sut le dire, mais la traversée des bidonvilles en fut d’autant plus courte. Les deux hommes, ou ce qui s’en rapprochait le plus, arrivèrent ainsi en bas d’une petite colline, au sommet de laquelle une large bâtisse blanche trônait. La demeure comptait bien trois ailes et un clocher avec un poste de garde pour surveiller l’ensemble des lieux. Une muraille était installée en bas, avec pour vocation d’empêcher tant les effluves que les habitants des bidonvilles d’approcher trop près.

« Cela ne me dit rien qui vaille … » murmura le Docteur, indiquant d’un signe de la tête les gardes qui patrouillaient non loin du mur.

Crésus semblait, en plus d’en avoir adopté le style, se donner de grands airs de colonisateur. Sa bâtisse était à la fois proche de la rive et assez haute pour surplomber toute la région. Un endroit de choix. Contrôlait-il l’accès à l’eau ? Ils verraient bien. Wallace n’était pas forcément partant pour s’infiltrer et menacer l’homme, d’autant plus qu’il ne devait pas être sans ressources face aux citoyens/délinquants de Jaya. Peut-être serait-il ouvert à la négociation, ou ce qui s’en rapprochait le plus ? Il se plaça dos à la muraille et fit signe à Oswald de lui tendre la main.

« Je te jette de l’autre côté, siffle si la voie est dégagée. » chuchota le monstre, avant de saisir l’avant-bras de Double Face et de l’envoyer deux mètres au-dessus de la muraille.

Il attendit quelques instants puis recula de deux pas et sauta contre la muraille en y enfonçant ses griffes. Il se propulsa par-dessus le chemin de ronde et atterrit lourdement de l’autre côté. Il se releva en époussetant son trench-coat puis il en releva le col. Seuls ses yeux jaunes perçaient dans l’ombre de son borsalino. À vous en faire frémir, assurément.

« Bon. On frappe à la porte ? Ce serait plus poli … Bon, certes, on a passé la muraille, mais ça aurait été trop long si on avait dû attendre. Là, si on frappe, on va les intriguer, et tout … et … Hm. Bon, j’te laisse faire, chef. » fit-il, en avisant une petite troupe qui se radinait par là.

Fallait vraiment que la population de Jaya soit coriace pour qu’un type comme Crésus veuille à ce point protéger son patrimoine … Wallace posa cependant une main sur l’épaule d’Oswald, l’implorant de ne pas faire de dégâts d’un regard. Ces hommes-là ne devaient pas mourir, et il ne le laisserait pas faire. Personne ne mourait sous la vigilance du Docteur.


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C'est grisant et étouffant à la fois. Le fait de se sentir à nouveau en pleine chasse, de se perdre dans cette impression de violente supériorité qui m'envahit. Mes yeux s'injectent de sang et mes mains s'aiguisent malgré moi, les paroles de Wallace sont de plus en plus indistinctes. Seul l'écho de ma respiration rauque se répercute dans mon esprit et m'empêche de réfléchir correctement. Le contour des silhouettes qui s'approchent dans l'obscurité est flou et vacille comme une migraine me cogne aux tempes.
Au travers de ce chaos qui assaille mes sens, une seule pensée claire reste intacte, dressée face aux ténèbres du Prédateur: Je ne dois pas tuer.

Surtout pas.

Se cacher, il faut se cacher.

Et dans ce cas-ci, même avec une armoire à glace comme Wallace, l'obscurité devient notre meilleur allié.

-Les buissons, vite!

Dans un bruissement léger, je m'enfonce dans la broussaille qui décore le chemin de ronde, m'éclipsant dans les ténèbres sans être vu. Wallace fait de même, plus bruyamment, cela dit.

Assez bruyamment pour attirer l'attention des curieux…

L'un est persuadé d'avoir entendu un bruit. L'autre lui assure qu'il fabule, que personne n'oserait réellement pénétrer la demeure de Crésus. Un troisième, le litre à la main, vante à quel point il lui serait facile d'abattre un intrus de son pistolet. Trois pirates convertis au culte de l'avarice qui, même sur l'île de tous les possibles pour les crapules de leur genre, en viennent néanmoins à vendre leurs lames au profit du plus fort.

Ici, il y pas peut-être ceux qui suivent des leaders nés, mais il y aussi ceux que l'appât du gain gardera dans son giron toute leur vie.
L'un suggère de fouiller les environs. L'autre acquiesce à contre cœur. Le troisième braque son arme sur les buissons en avalant une rasade d'alcool. Il n'y pas trente-six solutions avant qu'ils ne réalisent notre présence, d'un coup, je me lève, provoquant le sursaut des trois mercenaires. La bouche d'un pistolet rencontre ma tempe droite, d'une main je tire le mien de sous ma cape et le pointe vers le buveur qui projette une forte odeur de whisky.

Les deux autres ont tiré les leurs et me voilà cerné par trois armes à feu.

-Tirez pas, sinon ce sera lui qui y passera.

Une part de moi jubile intérieurement à l'idée de descendre le buveur, tandis qu'une autre rechigne de son mieux le goût du sang qui me vient en bouche. Si l'un d'eux est assez fou pour appuyer sur la détente, dieu sait ce que je ferai.

-J'aimerais parler à Crésus.
-Et t'es qui toi d'abord, enfoiré? Tu crois sérieusement que t'es en position pour nous demander des faveurs, avec trois flingues braqués sur la gueule?
-Je suis quelqu'un avec qui vous êtes loin de vouloir des emmerde.

Le scintillement glauque qui s'échappe de mes yeux, sous ma capuche, a pour effet de déstabiliser le premier qui m'a adressé la parole. Mon ton bestial est loin d'être rassurant lui aussi.

-…Et peut-être que mon ami à moi saura vous convaincre de nous laisser passer.

C'est le moment que choisit Wallace pour s'extirper des broussailles, directement à côté des deux hommes venant juste de sortir leur pistolet. Effrayés, ils en perdent leurs moyens, le premier panique et recule de plusieurs pas, le second, paralysé, s'effondre de peur au sol devant la montagne de muscles qui lui fait face. Profitant du chaos momentané, je saisis le canon du buveur et le jette dans les fourrés d'un geste presque désinvolte.

-…J'insiste pour voir Crésus. Dieu sait ce qui pourrait vous arriver si vous ne voulez pas coopérer…

De sous ma cape, une main noire comme la nuit s'extirpe et fait reluire l'acier dont elle est recouverte sous le clair de lune. Mes pulsions écrasent mon cerveau et battent à mes tempes avec vigueur, combien de temps encore avant que ces trois larbins ne soient réduit à l'état de macchabées…

-Allez… on peut bien trouver une entente qui exclue la violence…

Il y a un brin de supplique dans ma voix, un léger timbre qui demande à ces trois victimes en sursis à ne pas me faire commettre l'irréparable. Je jette un œil qui crie "à l'aide" à Wallace, de sous ma capuche, tandis que ma main acérée se crispe pour ne pas se lancer à la gorge des pirates.
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À la lueur d'une lanterne posée sur une grande table en chêne, Crésus aligne des liasses de berrys qu'il compte et recompte machinalement. L'éclat orangé de la lumière fait reluire l'étincelle de cupidité insatiable qui s'agite dans le regard du prêteur sur gage. Sous le poids de Gaspard Fetcher, la chaise en bois craque et ploie légèrement comme il respirer bruyamment en marmonnant des chiffres à la manière d'un comptable. La pièce dans laquelle il se trouve est annexe à un grand hall d'entrée, dans ce genre de maison, il n'y a aucun couloir, simplement de larges pièces donnant toutes les unes sur les autres.

Le plafond haut, un spacieux escalier en colimaçon donnant sur une mezzanine en bois peint blanc, la large table en chêne, le tapis sexagénaire, des cartes de Grand Line encadrées sur les murs, des coutelleries et de la vaisselle de porcelaine rangées soigneusement dans un imposant vaisselier, tout dans la demeure de Fetcher respire un luxe qu'on ne soupçonnerait pas sur Jaya. En effet, pratiquement tout ce qu'on peut trouver dans cet endroit, des meubles aux fruits frais, est un fruit de la contrebande de Jaya. Tout ce qui sert à embellir la maison ou à la tenir en place est le produit d'un caprice de l'hargneux propriétaire, gros porc baignant dans le luxe de sa fange.

Le gros Fetcher étouffe un bâillement, c'est bien la troisième fois qu'il recompte la somme de ses derniers profits. Avec satisfaction, il trempe une plume d'autruche dans un flacon d'encre, puis note le résultat de ses calculs presque paranoïaques sur un parchemin. Les berrys retournent dans le coffre portatif que Crésus scelle d'une clé attachée à son cou. Les yeux tombant, Fetcher reprend sa pipe toujours fumante et se frotte la barbe d'une main fatiguée. Il devrait bientôt se mettre au lit s'il veut être en forme pour la descente qu'il a planifié dans une auberge de l'île, où un pirate endetté doit se terrer.

Soudain, un cliquetis se fait entendre, suivit d'un très léger glissement. Surpris, Crésus fait basculer son énorme corps flasque en faisant volte-face vers le hall d'entrée, là d'où provenait le son. Son premier réflexe est de mettre la main sur son coffre portatif qu'il cache derrière lui, son second est de tirer le fusil qu'il porte encore à la ceinture. À une telle heure, même les gardiens de nuit n'oseraient le déranger, car il devrait déjà dormir, qui peut-être ce visiteur nocturne?

La réponse, il l'obtient quand trois fusils aux canons pliés ou broyés glissent dans la zone éclairée par la lanterne.

-Qu…. qui est là? demande-t-il sur un ton craintif.

La lueur glauque d'un regard inhumain brille dans les ténèbres, puis une voix glaciale, exempt de toute diplomatie se prononce.

-Quelqu'un qui veut parler, Crésus.

***

À l'arrière de l'imposant bâtiment colonial, Wallace fait asseoir le dernier des trois pirates contre le mur.

-Si vous voulez bien m'éviter d'avoir à user de rigueur…
-T'inquiètes, j'vais m'gêner…

Solution diplomatique oblige, il fallait bien que quelqu'un reste auprès des trois gardiens de nuit si l'on ne pouvait se résoudre à les violenter. Ce rôle, le psychologue s'en veut désormais de l'avoir pris, laissant ainsi Double Face à lui-même, seul avec un bandit contre lequel il n'hésiterait pas à sévir… À bien y penser, la seule idée de se séparer du Commodore revenait pratiquement au sabotage de la mission. Décidément, d'une façon ou d'une autre, il devrait trouver un moyen d'escorter les trois hommes jusqu'à l'intérieur, ou du moins se débarrasser d'eux de façon pacifique pour rejoindre Oswald.

-Dis… le gros baraqué…
-Plait-il?
-Tu sais qu'on pourrait simplement crier à l'aide?
-Oui, je sais. Mais je sais aussi que vous savez que vous perdrez toutes vos dents si vous le faites.

Perturbé, le premier des trois pirates pose un regard anxieux sur les mains aux proportions de pelles du docteur. Et puis, à quoi bon bluffer la montagne de muscle, d'une façon ou d'une autre il finira par pâtir de son incompétence, que ce soit de ces deux monstres ou de ses employeurs.

Le problème, c'est que lui comme ses partenaires ne savent pas encore de qui la sanction serait la pire…

BAM!

Wallace redresse la tête nerveusement. Un coup de feu, venant de l'intérieur!

-Oh bordel, il l'a tué. Ça y est, il a tué Crésus bordel de merde! On est fini! On est fini! Tout le monde va se ramener et on va être dans la purée!

Le psychologue, déjà campé sur ses deux pieds, se retournent vivement vers le plus loquace des trois brigands.

-Tout le monde va se ramener?!
-Ben oui! Vous croyez qu'on est seulement trois gardiens de nuit à surveiller l'homme le plus riche de Jaya?
-Oh diantre…

***

Corbeau perché sur les toits du vieux port, il hume l'air sale et humide, pis capte l'écho du coup de feu. Il est proche, mais si loin, seul son ouïe pourrait distinguer ce son des bagarres nocturnes de l'île. Il tire son sabre, fléchit les genoux, puis saute de son perchoir pour s'engager dans une folle course vers là où son partenaire appelle au secours.

***

-Raahh… Pourquoi t'as tiré…

La balle s'est fiché dans le bois du plancher, pas très loin, après avoir ricoché contre l'acier de mon corps. Un tremblement incontrôlable agite nerveusement ma main, ma respiration est saccadée.

Personne ne sait ce qui se passe ici, je pourrais si facilement inventer un truc crédible pour me déculpabiliser…

-Dégage espèce de monstre! me hurle le gros porc, le visage baigné de sueur.
-Écoute Fetcher, j'ai à peine pu te faire ma proposition…

Il a trébuché de peur quand il a vu ma tronche, un peu plus tôt. Désormais, il est avachi au sol, un fusil braqué vers moi, un coffre dans l'autre main, le regard fou; un vrai animal traqué.

-T'es complètement fou! Tu penses sincèrement que je vais risquer ma fortune et ma vie pour faire cesser les importations vers Jaya?! 'Foiré de monstre cinglé!
-C'est pas bien compliqué non? Tu cesses toutes tes opérations, et t'as la vie sauve. Dès demain, je veux un embargo complet sur Jaya, sinon…

Je m'approche un peu, mes bottes claquant sur le plancher ciré. Ma main complètement noire s'extirpe de sous ma cape, les doigts acérés comme des crochets. Et comme j'avance, mes doigts entament le bois de la table et soulèvent cinq longs filaments de sciure là où mes griffes sont passées.

Fetcher est à bout, il halète et panique sans modération.

-Et Flist dans tout ça? Tu y as pensé à Flist? Il va me faire égorger s'il apprend ce plan stupide!
-Flist ne sera plus un problème très longtemps…

Soudain, il semble se calmer, comme si son cœur venait de rater un battement. Ses yeux déjà ronds comme des billes s'élargissent de plus belle, un éclat de compréhension brille dans ses pupilles.

Il me replace. Il a compris qui je suis. Ce que je fais ici. On commence à me connaître sur la première voie…

-D…Double….Double Face…
-Allez Crésus, on peut bien parvenir à un accord comme des grandes personnes, si?

La lumière de la lanterne vacille un instant, éclairant parfaitement le sourire carnassier qui illumine mon visage.
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Comme un murmure qui perce l'air lourd de Jaya, le capitaine Casimir Souffleciel se pose au sol avec la grâce d'un félin. Devant lui s'étend la demeure de Crésus, son associé. Son souffle court est couvert momentanément par le chuintement de la lame qu'il tire de son fourreau. Ses yeux de fauves se plissent comme il tend l'oreille avec anxiété pour guetter les environs.

D'un mouvement sec mais pourtant étrangement fluide, Souffleciel fend l'air et braque sa lame à la gorge d'un gardien qui émerge des broussailles à sa droite. Le pirate hurle de peur et déglutit difficilement lorsque le capitaine contrebandier abaisse son arme.

De sous ses cheveux noirs hirsutes, on peut apercevoir le sourire carnassier du célèbre Casimir qui est éclairé par le halo lunaire.

-C…Capitaine Souffleciel… On… On vous attendait… y'a des monstres sur la propriété de Monsieur Fetcher… Des monstres!
-Hmm… Monstre ou pas… ils vont regretter de s'en être pris à mon quartier.

Un ton plus glacial que les hauteurs de Drum, un air plus sombre que les profondeurs d'Impel Down, et une lame plus aiguisée que les meilleures insultes du pirate Tournebroche. Comme une ombre, Casimir s'évanouie dans la nuit sous les yeux tétanisés du larbin qui ne sait plus vraiment qui est vraiment le prédateur dans toute cette histoire.

***

-Bon, je suis persuadé qu'on peut trouver un accord à l'amiable qui m'évitera d'avoir à vous soigner par après, n'est-ce pas messieurs?
-Allez, crevure! Tu les laisses foutre le camp et tu te laisses gentiment flinguer!
-Je crois que vous n'êtes pas spécialement en position de me donner des ordres, si je puis me permettre. Je serais d'ailleurs près à parier que vous n'oseriez pas tirer sur ces trois messieurs.

Wallace, adossé contre le mur arrière de la maison, tient tant bien que mal ses trois otages dans ses mains, alors que onze pistolets le tiennent en joue. Des onze larbins de Crésus, celui qui se démarque comme étant le leader, un borgne munie d'un tricorne au cuir usé et décousu et au visage bosselé, est engagé dans un dialogue sourd avec le psychologue depuis plusieurs minutes déjà.

-Attends un peu que le capitaine Souffleciel rapplique, mon gars! Tu vas voir ce que tu vas voir!
-Attendez, le capitaine Souffleciel? grogne Wallace avec inquiétude.
-Ouaip! Ça te jette un froid mon gars, hein! T'as peur pour ta vie héh!
-Non, plutôt pour la sienne… murmure le docteur qui réalise avec amertume à quel point la situation commence à lui échapper.

***

Clac.
L'escargophone du marchand s'éteint, et le visage de son propriétaire se crispe comme il voit sa richesse le fuir. C'est la huitième cargaison que je le pousse à canceller.

-C'était la dernière?
-Oui…

Je frappe la table avec force! BAM!

-Dis moi la vérité.
-OUI! OUI C'ÉTAIT LA DERNIÈRE BORDEL DE MERDE! Y'A PLUS UN SEUL BATEAU QUI METTRA LES VOILES VERS JAYA JE T'LE JURE MERDE! ME TUE PAS! ME TUE PAS! PITIÉ!
-Quelle magnifique coopération. Maintenant, on peut récapituler. Dès que Flist te demandera des comptes, t'auras qu'à dire que ta flotte a été coulée, ou alors qu'elle a été victime d'une mutinerie générale. Je m'en fou, tant que tu trouves une excuse plausible qui le satisfera un temps.

Compris?

-Oui…

BAM!

-Compris?
-OUI OUI J'AI COMPRIS ÇA VA! ARRÊTEEEUUH JE T'EN SUPPLIES!

J'ai la tête comme une théière en ébullition. Je ne peux me retenir de subvenir à de fréquents accès de violence. C'est comme si n'importe quoi devenait une raison suffisante pour me calmer les nerfs. Je vois flou, mes yeux s'injectent de sang, ma bouche s'assèche, mes mains s'engourdissent. J'ai l'esprit dans un étau, les gémissements de Crésus me semblent lointains. Et pourtant, mes sens sont plus à vif que ceux d'un fauve.

Assez à vif pour que je capte les pas silencieux d'un homme dans le hall. Assez à vif pour me permettre de faire volte-face et d'attraper une lame se dirigeant droit vers mon cœur. Mon cœur s'emballe, mon cerveau cogne sur mes tempes, des frissons me parcourent le dos.

Une proie.

Une proie.

Une proie et personne pour me voir faire.

-On ne s'aventure pas sur le territoire de Casimir Souffleciel impunément. murmure la silhouette venue de nulle part.

Un éclair de lucidité me traverse, m'empêche de briser sa lame d'une main et de lui ouvrir le ventre de l'autre. Un éclair de lucidité me traverse et me paralyse.

Je ne peux pas le tuer.
Je n'ai pas le droit.
Si je le tue, Dark aura gagné.
Je l'ai dit à Wallace, personne ne meurt ce soir.

Mon bras se crispe, stoppe sa course vers l'abdomen du pirate. Je lutte intérieurement contre mon vice qui se répand petit à petit dans mon organisme. Il étend ses tentacules et prend le contrôle, déjà ma vue se brouille, déjà le goût du sang afflue à ma bouche, déjà des sueurs froides baignent mon front.

Je suis paralysé par la dualité qui me brûle de l'intérieur. Paralysé assez longtemps pour que le contrebandier, incapable de dégager sa lame de l'étreinte de ma main, ne se résolve à m'enfoncer son pied en plein ventre.

Propulsé à travers la pièce, je percute la table qui se brise en deux sous le choc. Paniqué, Crésus glapit et rampe vers un endroit sûr. Amusé, Souffleciel fait des moulinets avec son sabre en se rapprochant de moi. Sonné, je me masse le crâne en calmant mes pulsions.

"Tue le."
-Non.
"TUE LE."
-Non!

Je lutte contre moi-même, le brouillard recouvre mes pensées, je convulse légèrement en tentant de garder le contrôle sur mes membres. Les yeux brillants du pirate se sont agrandis lorsqu'il a remarqué qui était son adversaire.

-Double Face…
-S'il te plait… Ne fait pas ça… tu vas le regretter…

Je le supplie en me tordant au sol, au milieu des morceaux de la table, tableau à la fois pittoresque et effrayant.

-Eh bien, je vais m'gêner. prononce Souffleciel en levant son arme pour l'abattre.
La lame forme une courbe parfaite dans sa descente, fend l'air dans un sifflement meurtrier.



Dark a gagné.
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-Non! Vous ne comprenez pas! Vous devez me laisser passer! Il en va de votre survie à tous! Si vous tenez à la santé de Crésus ET du capitaine Souffleciel!
-Te fous pas de notre gueule, gros lard! Si t'avais un nez, on l'verrait s'allonger!
-Vous ne vous rendez pas compte que je suis médecin! C'est mon rôle que de prévenir un maximum de blessés! Mes otages peuvent en témoigner, mon compagnon a tout d'une menace pour chacun d'entre vous!
-Essaies pas de nous faire peur et laisse nos potes partir, merde!

À bout de patience, Wallace grogne de colère, puis tire sa boîte de pilule de sa poche. Il va devoir passer, peu importe le coût, il en va de la santé de son capitaine et ami.

-Je vais devoir recourir à la force, pardonnez-moi d'avan…

CRAAACCC!!!

Le mur derrière le colosse explose dans un craquement sinistre, projetant des échardes de bois et un nuage de poussière sur le groupe de pirates. Le trou béant donne sur une pièce où on aperçoit une table massive fracassée et un gros lard terrifié. Le nuage se disperse sous la brise nocturne, et est suivit de cris de surprise étranglés.

Il est là, devant eux, Double Face.

Et loin, bien loin dans l'herbe, enfoncé dans le sol après avoir ricoché de nombreuses fois contre l'humus en soulevant des montagnes de terre, il gît.

Casimir Souffleciel, spectre d'un pirate glorieux.

Son corps meurtri et sale peine à rester en vie. Sa cage thoracique brisée se soulève tant bien que mal, lui permettant de respirer dans un sifflement douloureux. Du sang macule son visage méconnaissable. Il voudrait hurler sa douleur, il voudrait appeler à l'aide, il voudrait se relever et venger cet affront qu'on lui a fait, mais il n'est plus rien.

Il n'est qu'un cadavre en sursis. Une âme agonisante aux rêves brisés par Double Face.
Simple prédateur, il s'en est pris à bien trop puissant pour lui.
Simple humain, il a osé provoquer le monstre sommeillant.
Et déjà, il cesse d'exister. Peu à peu, Jaya se met déjà à l'oublier pour se tourner vers plus fort, plus intimidant.
Il n'est plus le maître de rien, que ce soit de son quartier du vieux port, ou alors simplement du cours de son existence.

Et comme il expire une dernière fois, Dark, lui, sourit de toutes ses dents.

Même les pirates dans les bras de Wallace trouvent le moyen de partir à toutes jambes devant le monstre qui s'est profilé devant eux. Ils ne peuvent mettre de nom sur l'horreur qui se saisit de leur chef pour le marteler de coups en riant sauvagement. Mais personne ne veut mettre de nom sur une telle chose, personne ne veut voir son vrai visage, les deux globes jaunes qui luisent dans la nuit leur suffisent. Alors tous courent dans différentes directions, espérant chacun être le dernier à être attrapé par le monstre.

Car ils savent déjà qu'ils ne pourront lui échapper.

Sauf si…

Il gronde de colère et siffle comme un alligator quand sa poigne monumentale se saisit du crâne de Double Face pour l'écraser contre le sol à la manière d'une poupée de chiffon. Le monstre se débat et invective le docteur en tentant d'échapper à sa proie. Ils luttent, roulent comme deux êtres primitifs, se frappant et se griffant comme des animaux. Double Face blesse, lacère, saccage, mutile. Pour toute réponse, le psychologue, devenu bête à son tour, écrase de toute ses forces son poing aux proportions de rocher dans l'abdomen de son ami.

Et par chance, le coup est assez puissant pour couper la respiration de Double Face.
Et par chance, la bouche de Double Face s'ouvre assez largement pour que Wallace y lance une capsule.
Et par chance, le monstre, fou comme un diable dans l'eau bénite, avale la capsule.
Et par chance, le somnifère est assez fortement dosé pour assommer littéralement Double Face.

***

Le cœur battant la chamade, la respiration rauque, les bras recouverts de griffures, le manteau en lambeaux, Wallace s'assoit piteusement au sol. Son torse aussi est ensanglanté, ses yeux s'adoucissent petit à petit, cessent d'être ceux d'un animal traqué. Amer, il ôte son chapeau, puis se gratte le crâne avec anxiété.

-Aaah…. Oswald… Quel cas tu peux faire…

Il aurait dût refuser à Oswald une telle mission, il aurait dût s'imposer, il aurait dût lui-même parler à Crésus, il aurait dût affronter Casimir Souffleciel, il aurait dût…

Il aurait dût beaucoup de choses, mais les faits sont tels qu'ils sont. Il a tué quelqu'un. Encore. Et lui-même a eu à briser ses propres vœux d'objecteur de conscience.

Piteux, Wallace se relève, monte Oswald sur ses épaules, puis s'enfonce dans la nuit, laissant un Crésus tétanisé et un paysage Drumesque derrière lui.
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-Monsieur Fetcher?
-Écoutez-moi bien. Si on vous demande où est le capitaine Souffleciel, vous répondez qu'il a repris la mer. Si on vous demande pourquoi ces échafauds contre la maison, vous répondez que je fais des rénovations. Si on vous demande pourquoi le port est vide, vous les envoyez se faire foutre. Compris?
-Euh…. oui…
BAM!
-Compris?
-OUI! OUI! COMPRIS!
-Maintenant, vous allez me trouver un navire en partance pour Water Seven le plus rapidement possible, je ne veux plus vivre ici. Ah. Et vous allez aussi oublier ce qui s'est passé cette nuit.
-Mais… mais monsieur Fetcher… Vous ne pouvez pas vous expliquer?
-J'AI UNE TÊTE À VOULOIR M'EXPLIQUER?! ALLEZ FOUTEZ MOI LE CAMP BORDEL!
-B…b…bien m'sieur.
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