Cling, Clang, Cling, Clang, Cling...
Je restais ébahie par les talents du maître artisan qui arrivait à concilier les deux emplois d'armurier et de forgeron. Ça faisait déjà un an qu'il m'hébergeait et me logeait gratuitement. Il m'avait simplement fallu énoncer le nom de Tonton Bob pour qu'il accepte de me prendre sous son aile. Et c'était un homme bon, plein de ressources et jamais dénué de douceur ou de gentillesse. Pourtant rien de tout ça ne collait avec son physique de brute épaisse : une véritable tête de forban manifestée par son teint basané, sa cicatrice au niveau du nez et des joues et les rouflaquettes grisonnantes qui encadraient son visage ; un corps massif et musculeux de deux mètres au moins, généralement recouvert d'un simple gilet de coton. Quadragénaire depuis un bon bout de temps, le bonhomme semblait toujours au mieux de sa forme : c'était gaiement qu'il frappait de son gigantesque marteau sur son imposante enclume et c'était toujours joyeusement qu'il employait délicatement les minuscules ustensiles entrant dans la composition d'une arme à feu. Belphegor Sacrebleu - c'était son nom - était un miracle dans le monde de la fabrication d'armes : la qualité primait à chaque fois tandis que les prix étaient toujours extrêmement bas. Des gens venaient de toutes parts d'East Blue pour effectuer des commandes auprès de lui, qu'il s'évertuait à régler dans sept jours ouvrables. Que ce soient des soldats de la Marine comme des civils, des chasseurs de primes ou encore, malheureusement, des bandits. Belphegor accomplissait toujours les taches qu'on lui confiait, et rendait systématiquement un travail parfait.
- Maître Belphegor, vous n'avez pas faim ?
L'homme gigantesque me toise involontairement comme il le fait à chaque fois qu'il se redresse tout en s'épongeant le visage avec un chiffon blanc précédemment posé sur l'établi.
- Ça ira jeune fille, je mangerai quand j'aurai terminé cette épée. Mais si tu as envie tu peux toujours aller m'attendre à la cuisine et te préparer un bon petit plat. Tu as été acheter les navets comme je te l'ai demandé ce matin ?
Je lui tire la langue tout en ôtant délicatement les lunettes de protection de mes yeux.
- Beuh ! Non, j'aime pas les navets, héhé ! A la place j'ai pris des carottes, la marchande les faisait moitié prix.
- Ah... tu as bien fait. Même si j'aurais bien voulu manger de la soupe de navets ce soir, jhajhajhajhajha !!
Affamée, je l'informe finalement que je vais préparer le repas en espérant qu'il rentre avant que ça ne soit froid. En ville, tout le monde l'aime le vieux Belphegor et d'aucun n'hésite à nous faire des prix lorsque nous faisons des emplettes. Pourtant, personne ne peut dire avec certitude quand le gaillard a installé sa forge à Honnoji ni depuis combien de temps il est là. Et c'est pas faute d'habiter un cottage assez volumineux en périphérie de l'agglomération, une maison dont le vieux bois qui compose les fondations ne semble pas être tout neuf. Comme l'atelier n'est pas loin, j'arrive à la maison en une dizaine de minutes, après avoir traversé un long terrain vague enneigé. Je débarque dans le hall d'entrée, frigorifiée, ôte mes chaussures de sécurité et mes chaussettes, puis me dévêtis finalement totalement pour rejoindre la salle de bain le plus rapidement possible. Dix-sept ans, mon corps a quasiment cessé de grandir et me confère déjà les formes d'une véritable femme. Et le vieux ça il le sait, même si pour lui je suis qu'une apprentie, des fois j'ai l'impression qu'il joue un peu au papa qui veille à ce que sa fille ne fasse pas trop de conneries. Car oui, comme toutes les pisseuses de mon âge, il y a bien tout un tas de choses que je souhaite découvrir.
Je plonge lentement mon corps par parcelles progressives dans l'eau tiède de mon bain jusqu'à y être totalement engloutie. Elle est passée depuis longtemps cette période où je maudissais sans fin ma maladie, ce qu'elle avait fait de moi, cependant je rêve toujours la nuit de me faire des amis. Voire désormais plus que ça en réalité, je rêve d'un homme fort qui veuille me prendre dans ses bras et me serrer, me cajoler et m'embrasser tendrement. Enfin ça c'est dans les histoires romantiques à l'eau de rose et ça fait un moment que j'y crois plus à tout ça. Alors j'me dis que tout ce dont j'ai besoin c'est d'une présence, d'un gars avec qui je me sens bien et qui m'accepte comme je suis.
- Et si tu essayais de tenir le plus longtemps possible sous l'eau sans respirer.
- Non.
- T'as pas le choix, héhé. Obéis-moi.
Je résiste du mieux que je peux. C'est pourtant la énième fois que je m'inflige cet entrainement, sans avoir l'impression de progresser à chaque fois. Comme prévu, la migraine envahit rapidement mon crâne tandis qu'un bourdonnement se propage au niveau de mes oreilles. J'ai beau être plongée dans l'eau chaude, la température de mon corps descend irrémédiablement et des sueurs froides parcourent ma peau. A chaque fois je me dis : encore quelques secondes et tu seras peut-être délivrée, tiens bon ! Mais alors que je m'apprête systématiquement à tomber dans les pommes, je sais pertinemment que je ne suis pas assez forte pour combattre ma maladie et abandonne. Une fois n'est pas coutume, je me propulse sous l'eau et choisis d'obéir docilement à Bachibouzouk.
- C'est bien.
Au bout de trente secondes je commence à ressentir le besoin d'oxygène et remonte à la surface. Habituée à ce genre de "crises", je termine ma tâche et sors de la baignoire pour me sécher rapidement et enfiler des vêtements propres. Ma garde-robe n'est pas très développée, mais je choisis finalement quelque chose d'élégant et de plutôt sobre. Pas une robe non, je déteste ça, mais pas non plus l'une des tuniques de voyage que j'ai l'habitude de porter. Je finis donc par opter pour un jupon blanc et un haut en laine gris, le tout accompagné de bottes en daim assorties. Une fois mes cheveux séchés, je passe vingt bonnes minutes à les boucler légèrement. Entre temps le soleil a rejoint l'horizon et menace de disparaître. Enfin satisfaite, il ne me reste plus qu'à rejoindre Honnoji pour participer à la fête organisée en cette période, comme chaque année. Et si je me fais aussi belle, c'est car j'espère bien réussir à me faire remarquer des autres personnes de mon âge. Car ce soir n'est pas un soir comme les autres.
Ce soir c'est le réveillon de Noël.
Tu viens ? On va faire des bébés !
C’était un jour amer pour le vieil homme. Tous ces foyers décorés et ces sourires qui fusaient ne faisaient que le renvoyer à sa solitude. La neige qui tombait en doux flocons pas plus que l’ambiance de fête ne déridaient Julius. Il n’avait personne pour partager ces moments avec lui. Le souvenir de la dernière veille de Noël avec sa famille était encore plus poignant. Il n’avait pas trouvé le temps de le passer avec eux tant sa certitude de gros con lui assurait d’autres fêtes dans l’avenir.
Cette année, Julius avait appris à ses dépens que l’éternité durait longtemps, beaucoup trop.
Il avait pour unique compagnon une bouteille de gnôle ; liqueur d’origine indéterminée tant son goût était immonde. C’était tout ce qu’il pouvait espérer vu ses maigres moyens. De toute façon, il avait retrouvé son mode de vie rustique ayant précédé son arrivée sur Kikai. Sa pauvreté était l’un des moyens par lesquels il se punissait. Il reprit une longue lampée de la bouteille qui devenait dangereusement légère.
Il ne pouvait décemment pas rester sobre ce jour-là, c’était au-dessus de ses forces.
Depuis peu, il était devenu chasseur de prime, suite à une intuition plutôt qu’à une vraie vocation. Pour lui, cela équivalait plus à un mercenariat légal qu’à une quête de rédemption. Il était trop aveuglé par son chagrin pour envisager autre chose que de noyer sa tristesse dans l’errance et la binouze. Une autre généreuse lampée et la bouteille ne lui renvoyait plus l’écho du liquide infect qui s’y trouvait. Il la jeta violemment sur un sol qui absorba le contenant sans la briser. Le regard dans le vague, Julius était catatonique, transi par un froid soudainement et par une douleur trop présente à son esprit pour louvoyer. Il se sentait à bout, physiquement et mentalement. Il se brisait ici, loin des épées et des balles, loin des dangers de la mer et de la séduction des femmes. Il avait eu une longue vie où il survécut à chacune de ces épreuves malgré tous les pronostics.
Cependant, ce jour-là le trouvait terrassé par le constat de sa vie, une lutte aride qui avait sapé ses forces jusqu’au bout. Il perdait pied, il n’avait plus la force de continuer à marcher. Le froid lui promettait une fin rapide et vu la noirceur de cette nuit et les réjouissances tiendraient tous secours loin de lui.
Il envisageait son trépas avec une sérénité, l’effet de l’alcool lui donnait l’illusion d’une extralucidité. Il voyait dans l’abandon la fin de ses souffrances.
De toute façon, il avait déjà tout perdu sans retour possible. Lutter n’y ferait rien.
Il s’allongeait dos contre le sol. Le matelas de neige était doux au contact, mais la morsure du froid s’insinua en lui et l’assiégea. Il se mit à grelotter et à claquer des dents et se trouva pris de crampes le rendant incapable de bouger. Paniqué, il essayait de se lever, le souffle court. Néanmoins, ses membres ne lui obéissaient plus. Trop de privations l’avaient affaibli. Il avait les idées de moins en moins claires. Pourtant, il continuait à se débattre et ne réussit qu’à remuer la neige autour de lui qui raffermit ses griffes sur sa vie.
Éreinté, il se sentit partir de manière insidieuse, il était désormais trop tard pour les regrets.
Cette année, Julius avait appris à ses dépens que l’éternité durait longtemps, beaucoup trop.
Il avait pour unique compagnon une bouteille de gnôle ; liqueur d’origine indéterminée tant son goût était immonde. C’était tout ce qu’il pouvait espérer vu ses maigres moyens. De toute façon, il avait retrouvé son mode de vie rustique ayant précédé son arrivée sur Kikai. Sa pauvreté était l’un des moyens par lesquels il se punissait. Il reprit une longue lampée de la bouteille qui devenait dangereusement légère.
Il ne pouvait décemment pas rester sobre ce jour-là, c’était au-dessus de ses forces.
Depuis peu, il était devenu chasseur de prime, suite à une intuition plutôt qu’à une vraie vocation. Pour lui, cela équivalait plus à un mercenariat légal qu’à une quête de rédemption. Il était trop aveuglé par son chagrin pour envisager autre chose que de noyer sa tristesse dans l’errance et la binouze. Une autre généreuse lampée et la bouteille ne lui renvoyait plus l’écho du liquide infect qui s’y trouvait. Il la jeta violemment sur un sol qui absorba le contenant sans la briser. Le regard dans le vague, Julius était catatonique, transi par un froid soudainement et par une douleur trop présente à son esprit pour louvoyer. Il se sentait à bout, physiquement et mentalement. Il se brisait ici, loin des épées et des balles, loin des dangers de la mer et de la séduction des femmes. Il avait eu une longue vie où il survécut à chacune de ces épreuves malgré tous les pronostics.
Cependant, ce jour-là le trouvait terrassé par le constat de sa vie, une lutte aride qui avait sapé ses forces jusqu’au bout. Il perdait pied, il n’avait plus la force de continuer à marcher. Le froid lui promettait une fin rapide et vu la noirceur de cette nuit et les réjouissances tiendraient tous secours loin de lui.
Il envisageait son trépas avec une sérénité, l’effet de l’alcool lui donnait l’illusion d’une extralucidité. Il voyait dans l’abandon la fin de ses souffrances.
De toute façon, il avait déjà tout perdu sans retour possible. Lutter n’y ferait rien.
Il s’allongeait dos contre le sol. Le matelas de neige était doux au contact, mais la morsure du froid s’insinua en lui et l’assiégea. Il se mit à grelotter et à claquer des dents et se trouva pris de crampes le rendant incapable de bouger. Paniqué, il essayait de se lever, le souffle court. Néanmoins, ses membres ne lui obéissaient plus. Trop de privations l’avaient affaibli. Il avait les idées de moins en moins claires. Pourtant, il continuait à se débattre et ne réussit qu’à remuer la neige autour de lui qui raffermit ses griffes sur sa vie.
Éreinté, il se sentit partir de manière insidieuse, il était désormais trop tard pour les regrets.
Perdue. Je m'étais perdue. La bourrasque soufflait fort et soulevait de larges mèches de cheveux dans tous les sens. Je me surprenais même à être fouettée par certaines d'entre elles - aléatoirement - et à être semi-aveuglée par moment. La tumulte se voulait coriace, tellement que j'étais persuadée d'avoir dévié de mon chemin initial : si ça n'avait pas été le cas, j'aurais vu les lumières de la ville depuis longtemps. Pourtant, alors que le chemin se voulait logiquement en pente, mes pieds ne cessaient de s'élever plus haut à chaque enjambement que je faisais pour avancer, désignant la très légère cote que je suivais presque délibérément. Obstinée, ce fut probablement l'un de mes caprices de gamine qui voulut que je continue à avancer bêtement sans penser à rebrousser chemin. Mes vêtements se faisaient humides, mon manteau beaucoup trop léger pour un blizzard aussi coriace - et encore ce n'était que le début. J'affrontais là une tempête de neige ascendante, les vents contre lesquels je luttais se voulant désormais non seulement contraires, mais aussi de plus en plus fort.
Dans cette bourrasque neigeuse, j'ai peine à respirer et à avancer. Il n'est jamais trop tard pour renoncer, mais, comme une bourrique, je continue à me perdre dans les méandres de ce désert blanc. Tranquillement mais sûrement, ma vision se brouille tandis que mes larmes arrachées par le froid gèlent ; que mes mains frigorifiées ne trouvent plus un pet de chaleur dans les poches au fond desquelles elles sont enfouies ; que les perles liquides qui s'écoulent de mes narines forment des stalactites plus ou moins prononcées au bout de mon nez, revenant irrémédiablement malgré les multiples tentatives du dos de ma main de les déloger définitivement de là. Autant effrayée par la faible visibilité que la météorologie me procure que par le silence pesant au sein de la tempête, la peur de la mort commence petit à petit à avoir le dessus. Je frissonne, les bottes trempées, le cou gelé, mortifiée par cette froideur environnante et la morsure du gel.
- S-si j-je rest-te ici plus longt-temps…
J’arrive même pas à finir ma phrase, le vent l’emporte elle aussi, comme mon corps jusque là, comme ma volonté de vivre. « Et mon âme, le vent l’emportera ? » Mes pas se font lourds tandis que la fatigue se fait véritable torture psychologique et que mes paupières mi-closes menacent de répondre à l’endormissement qui me menace tel une épée de Damoclès.
Tout d’un coup, mon pied bute dans un minuscule tas de neige et manque de me faire chuter tête la première. Je récupère mystérieusement un équilibre pour le moins tangent et tente de surmonter l’obstacle, persuadée qu’il s’agit probablement d’une racine ou d’un arbuste. « Bizarre, je pensais pas la couche de neige aussi épaisse. » Ainsi donc je commence à enjamber sans véritable détermination la masse poudreuse, avant de remarquer une pièce de tissu dépassant de l’endroit où mon pied était venu se fourrer. Ravivée par la curiosité, j’entreprends de creuser pour découvrir l’entité submergée. Peu à peu mon expression se fait blafarde et subjuguée, découvrant là une jambe inerte, une peau blanche, des cheveux tout aussi immaculés et un visage frigide. Mon oreille se colle à son torse, s’élevant et s’abaissant dans un rythme particulièrement lent : le gaillard a l’incroyable chance d’être encore en vie !***Je ne savais quelle mouche m’avait piquée pour que j’en vienne à imaginer ramener le corps inerte de l’homme aux portes de la mort. Je ne m’étais que très peu attardée sur son physique tant son teint semblait froid et ses muscles rigides. Pourtant, je devais bien reconnaître que le gazier était un véritable tas de muscle et que si la chaleur de l’effort pour le porter ne m’avait pas maintenue en vie et motivée, il m’aurait été impossible de faire le chemin retour. Ce fut d’ailleurs par un étonnant coup de chance que je retrouvais du premier coup la route que j’avais empruntée à l’aller, car nulle trace ou nul indice dans la purée de pois environnante ne trahissait la validité de la voie que j’avais suivie jusqu’alors, tout du moins jusqu’à ce que la tiédeur des luminaires jaunes du salon ne filtre à travers une fenêtre latérale du rez-de-chaussée et me soulage de mille maux. Ainsi je débarquai en grandes pompes, couverte de poudreuse de la tête aux pieds et frigorifiée comme si j’avais passé plusieurs heures au congélateur.
Belphégor se précipite vers le vestibule que je traverse hasardeusement avant de m’écrouler dans le hall d’entrée, un petit espace décoré d’un tapis, joignant salon et salle à manger. Les derniers flocons fondent vivement sur mon facies et terminent d’inonder mon corps et façonner des minuscules rivières d’eau glacée tout autour de moi, sur la carpette moelleuse. Je pourrais très bien m’endormir là, mais deux mains fortes et secourables m’empoignent les épaules et me poussent vers l’escalier. Le bon patron ne dit aucun mot, moi je continue mon ascension vers ma chambre, vidée. Je jette tout de même un œil derrière moi pour voir ce que le géant fait du bonhomme congelé : le transportant comme s’il ne pesait guère plus qu’un ballot de blé, il l’allonge doucement sur le sofa où il était lui-même installé lorsque je fis mon entrée. Soulagée de voir que mon tuteur allait prendre le relai, je finis par rejoindre ma chambre où, débarrassée de mes vêtements mouillés, je m'allonge confortablement en tenue d’Ève, enroulée dans une couette chaude réchauffant mon misérable corps tremblotant.
Alors peut-être eu-je rêvé que, dans la nuit, un grand guerrier recouvra ma chair nue d’un plaid doux et chaud.
Dernière édition par Annabella Sweetsong le Jeu 22 Mai 2014 - 17:20, édité 5 fois
Il n’y croyait pas d’être toujours vivant. De sentir son cœur taper dans sa poitrine. Il tremblait de tout son corps et se sentait atrocement mal, mais il respirait. Il ne se souvenait pas bien de ce qui s’était produit pour qu’il en arrive dans cette cheminée, saucissonné dans une couverture et badigeonné dans de l’alcool de menthe. Cela dit, il y avait deux détails qu’il se rappelait. Premièrement, quelqu’un était venu l’emmerder dans sa tentative de suicide, apparemment, il avait chopé le mauvais lopin de terre. Deuxièmement, cette même personne qui l’avait sorti la tête du cul avait bien failli y passer elle-même. Pur hasard ou humour cosmique douteux, le gars n’en savait foutre rien et c’était pas plus mal.
Les tremblements ne cessaient pas et, selon son expérience, il venait de se taper une putain de crève qui risquait bien de finir le travail. Morose, il contemplait le feu rougeoyer dans cette jolie cheminée qu’il avait en face du pif. Soupirant de temps en temps, il rassemblait les parcelles de son esprit sans arriver à fixer son attention sur quoi que ce soit. C’était un moment où il se trouvait suspendu, prompt à évoquer plutôt qu’à vivre. Ses amers souvenirs remontaient à la surface avant de crever comme des bulles. Il avait dans son crâne une lancinante ritournelle qui l’enfonçait irrémédiablement dans la mélancolie.
Lucide à nouveau, du moins, le croyait-il au bout d’un moment, il se demandait bien pourquoi le monde ne voulait pas le lâcher. Il avait donné et espérait bien qu’on lui foute la paix. Au lieu de cela, il crevait la bouche ouverte, gelé jusqu'au trognon, rongé par la maladie. Claquant des dents jusqu’aux tifs, il serrait sa couverture contre son torse avant de se mettre à frotter ses mains contre ses épaules. Il sentait à peine ses doigts.
« Réveillé ? »
Pas bien, non, avait envie de répondre le gars. Et il ne se priva pas de tenter le coup. Tout ça pour produire un gémissement vite étranglé. Celui qui lui avait parlé n’insista pas. Il lui fit boire de l’eau fraîche et sa gorge s’en sentit franchement reconnaissante. Julius prit un moment pour observer son vis-à-vis, principalement parce qu’il n’avait pas bien le choix. Il était massif, le visage encadré de favoris touffus et blancs. Sa gueule disait qu’il en avait distribué des tartes par-ci par-là et qu’il n’était pas un enfant de chœur. Bâti comme un ours, il se déplaçait lourdement et ses vêtements étaient tendus par des muscles et du gras. Un vieux combattant, sans aucun doute.
Julius aurait voulu s’endormir tout de suite ou bien se lever, mais il était coincé dans cet état de mi- veille. Son instinct de survie le maintenait alerte et sa fatigue l’assommait. Tiraillé qu’il était, il tendait ses efforts pour se réchauffer, claquant des dents, tremblant intégralement et sentait peu à peu sa peau redevenir sensible. Avec ce retour à la vie venait une douleur de plus en plus croissante, une brûlure qu’il ressentait surtout dans ses mains et dans ses pieds. Il était comme écorché vif et son cœur s’emballait encore plus. Au bord de l’évanouissement, quelque chose le retenait. De plus en plus paniqué, il commença à respirer rapidement, retenant son souffle lors d’un brusque accès de souffrance et expirant bruyamment tout de suite après.
Comme s’il était désarticulé, son hôte le souleva d’un coup et se mit à le frictionner énergiquement avec une substance à l’odeur alcoolisée. Encore de l’alcool de menthe, semblait-il. Julius sentait comme jamais la chaleur qu’il diffusait en lui. Et puis, après un moment qui lui sembla s’étirer infiniment, il se calma. Il n’était pas entièrement soulagé. Cependant, il y avait du mieux. Alors que le maître des lieux tenta de lui parler, il sombra dans un sommeil agité qui lui valut un repos plus que relatif.
Quand il s’éveilla, il faisait nuit encore, il était couché dans un lit et ses vêtements avaient été changés par d’autres. Il sentait leur contact rugueux contre sa peau. Dans un réflexe acquis depuis sa plus tendre jeunesse, il se remit brusquement sur son séant provoquant ainsi un bon mal de crâne. Il résista à l’envie de se rallonger et retint sa vigilance pour examiner les lieux autour de lui. Il était dans une chambre minuscule qui avait à peine assez de place pour y foutre un lit. Pas de meuble en vue, une porte verrouillée délimitait rapidement son champ de vision. La chambre avait des murs en bois qui, bien qu’accusant l’âge, semblaient bien entretenus et surtout propres.
Propre, n’était pas l’adjectif qui lui seyait. Il devinait à la fragrance de la chambre, la maladie et la crasse. Comme il était le seul à y résider, il ne lui était pas bien difficile de percuter qu’il avait bien besoin d’un bain. Perclus de douleurs, il se releva du lit et se mit à tousser bruyamment. En reprenant son souffle, il avait l’impression d’avoir inhalé une botte d’aiguille et qu’elles se tapaient une nouba. Ce fut le signal qui marqua l’ouverture de la porte et l’entrée du grand costaud. Julius n’avait pas remarqué qu’il était aussi grand, d’ailleurs.
« - Je vois qu’on se sent mieux, bien. T’as comaté pendant des jours. Et crois bien que t’as été bien chiant. Non, pas le temps de papoter, je retourne bosser. Essaye de pas trop te remuer.
- Attendez. Un bain.
- Je t’envoie la petite avec une bassine d’eau et une éponge, mais eh, pas touche, hein ? J’aimerais avoir à te buter après tout ce temps à te pouponner. »
Julius écarta la menace de son esprit qui partait déjà dans le vague. Sa gorge était enrouée au point qu’il reconnut à peine sa voix. Cela dit, pas seulement ça. Combien de temps était-il resté ici ?
Déjà épuisé, il se rallongea et resta les yeux fixés sur le plafond. Une lumière dansante passait à travers la porte et illuminait en raie une nouure dans le bois. Il la regardait médusé de se sentir le corps si lourd et la tête si embrumée. Cependant, il sentait au fond de son bide un appétit féroce monter et monter.
Il était en train de revivre.
Les tremblements ne cessaient pas et, selon son expérience, il venait de se taper une putain de crève qui risquait bien de finir le travail. Morose, il contemplait le feu rougeoyer dans cette jolie cheminée qu’il avait en face du pif. Soupirant de temps en temps, il rassemblait les parcelles de son esprit sans arriver à fixer son attention sur quoi que ce soit. C’était un moment où il se trouvait suspendu, prompt à évoquer plutôt qu’à vivre. Ses amers souvenirs remontaient à la surface avant de crever comme des bulles. Il avait dans son crâne une lancinante ritournelle qui l’enfonçait irrémédiablement dans la mélancolie.
Lucide à nouveau, du moins, le croyait-il au bout d’un moment, il se demandait bien pourquoi le monde ne voulait pas le lâcher. Il avait donné et espérait bien qu’on lui foute la paix. Au lieu de cela, il crevait la bouche ouverte, gelé jusqu'au trognon, rongé par la maladie. Claquant des dents jusqu’aux tifs, il serrait sa couverture contre son torse avant de se mettre à frotter ses mains contre ses épaules. Il sentait à peine ses doigts.
« Réveillé ? »
Pas bien, non, avait envie de répondre le gars. Et il ne se priva pas de tenter le coup. Tout ça pour produire un gémissement vite étranglé. Celui qui lui avait parlé n’insista pas. Il lui fit boire de l’eau fraîche et sa gorge s’en sentit franchement reconnaissante. Julius prit un moment pour observer son vis-à-vis, principalement parce qu’il n’avait pas bien le choix. Il était massif, le visage encadré de favoris touffus et blancs. Sa gueule disait qu’il en avait distribué des tartes par-ci par-là et qu’il n’était pas un enfant de chœur. Bâti comme un ours, il se déplaçait lourdement et ses vêtements étaient tendus par des muscles et du gras. Un vieux combattant, sans aucun doute.
Julius aurait voulu s’endormir tout de suite ou bien se lever, mais il était coincé dans cet état de mi- veille. Son instinct de survie le maintenait alerte et sa fatigue l’assommait. Tiraillé qu’il était, il tendait ses efforts pour se réchauffer, claquant des dents, tremblant intégralement et sentait peu à peu sa peau redevenir sensible. Avec ce retour à la vie venait une douleur de plus en plus croissante, une brûlure qu’il ressentait surtout dans ses mains et dans ses pieds. Il était comme écorché vif et son cœur s’emballait encore plus. Au bord de l’évanouissement, quelque chose le retenait. De plus en plus paniqué, il commença à respirer rapidement, retenant son souffle lors d’un brusque accès de souffrance et expirant bruyamment tout de suite après.
Comme s’il était désarticulé, son hôte le souleva d’un coup et se mit à le frictionner énergiquement avec une substance à l’odeur alcoolisée. Encore de l’alcool de menthe, semblait-il. Julius sentait comme jamais la chaleur qu’il diffusait en lui. Et puis, après un moment qui lui sembla s’étirer infiniment, il se calma. Il n’était pas entièrement soulagé. Cependant, il y avait du mieux. Alors que le maître des lieux tenta de lui parler, il sombra dans un sommeil agité qui lui valut un repos plus que relatif.
Quand il s’éveilla, il faisait nuit encore, il était couché dans un lit et ses vêtements avaient été changés par d’autres. Il sentait leur contact rugueux contre sa peau. Dans un réflexe acquis depuis sa plus tendre jeunesse, il se remit brusquement sur son séant provoquant ainsi un bon mal de crâne. Il résista à l’envie de se rallonger et retint sa vigilance pour examiner les lieux autour de lui. Il était dans une chambre minuscule qui avait à peine assez de place pour y foutre un lit. Pas de meuble en vue, une porte verrouillée délimitait rapidement son champ de vision. La chambre avait des murs en bois qui, bien qu’accusant l’âge, semblaient bien entretenus et surtout propres.
Propre, n’était pas l’adjectif qui lui seyait. Il devinait à la fragrance de la chambre, la maladie et la crasse. Comme il était le seul à y résider, il ne lui était pas bien difficile de percuter qu’il avait bien besoin d’un bain. Perclus de douleurs, il se releva du lit et se mit à tousser bruyamment. En reprenant son souffle, il avait l’impression d’avoir inhalé une botte d’aiguille et qu’elles se tapaient une nouba. Ce fut le signal qui marqua l’ouverture de la porte et l’entrée du grand costaud. Julius n’avait pas remarqué qu’il était aussi grand, d’ailleurs.
« - Je vois qu’on se sent mieux, bien. T’as comaté pendant des jours. Et crois bien que t’as été bien chiant. Non, pas le temps de papoter, je retourne bosser. Essaye de pas trop te remuer.
- Attendez. Un bain.
- Je t’envoie la petite avec une bassine d’eau et une éponge, mais eh, pas touche, hein ? J’aimerais avoir à te buter après tout ce temps à te pouponner. »
Julius écarta la menace de son esprit qui partait déjà dans le vague. Sa gorge était enrouée au point qu’il reconnut à peine sa voix. Cela dit, pas seulement ça. Combien de temps était-il resté ici ?
Déjà épuisé, il se rallongea et resta les yeux fixés sur le plafond. Une lumière dansante passait à travers la porte et illuminait en raie une nouure dans le bois. Il la regardait médusé de se sentir le corps si lourd et la tête si embrumée. Cependant, il sentait au fond de son bide un appétit féroce monter et monter.
Il était en train de revivre.
Dernière édition par Julius Ledger le Jeu 22 Mai 2014 - 17:33, édité 1 fois
Je monte, démonte, remonte. Les armes, c'est comme des horloges, un système mécanique logique, ça va faire longtemps que j'ai compris ça. C'est rare que le vieux me confie des commandes, mais quand c'est le cas je m’extasie. Plus généralement il s'agit de réparer, de rafistoler ou de récupérer des pièces sur des armes à feu hors-service. C'est machinal, mais des fois des idées percent le quotidien exacerbant de l'artisanat en armurerie. Des fois, l'innovation prend le dessus et on se met à créer des trucs géniaux, des armes magnifiques, pas forcément dévastatrices mais superbes dans leur concept. Ces armes-là, Belphegor ne les vend pas, il les garde précieusement dans sa cabane à outil, au cottage ; un peu comme ses meilleurs sabres qu'il ne commercialise que très rarement et seulement à des personnes en qui il a confiance. J'apprends ses méthodes, donc, je suis ses cours, avide de savoir, désireuse d'avoir son talent. Je me suis vraiment accrochée à lui, même si parfois il lui arrive d'avoir des humeurs maussades ou inexplicables.
Après Tonton Bob, c'était devenu ce qui se rapprochait le plus de la figure paternelle et chacun de ses faits et gestes semblaient pour moi systématiquement une leçon à retenir. Le fait d'ailleurs que l'embryon de mère que j'avais eu auprès de mes parents biologique ne correspondait vraiment à rien de maternel et de tendre avait probablement fait de moi un garçon manqué, ceci se voyant quelques fois dans mes tics de langages ou mes réactions souvent trop brusques, trop garçonnes. Pourtant, je conservais ces redoutables aspects de la jeune fille en fleur, passionnée de l'esthétisme et satisfaite du soin qu'elle accorde à son apparence. Je ne savais donc trop ce que j'étais, mais le vieux Belphe me semblait être un protecteur incroyable et un être charismatique à la fois.
Toujours est-il que malgré toute cette motivation qui me tenait rigueur dans l'art de l'armurerie quotidiennement, cet après-midi là j'avais la tête ailleurs. Mes gestes semblaient faux, faibles et défaillaient souvent sans crier gare. J'avais, plus tôt, été chargée par le vieux forgeron d'apporter un bassine d'eau chaude et du savon à notre visiteur. Je n'en avais rien montré, mais je bouillonais à l'intérieur, véritable pot pourri de joie, de curiosité, de crainte et de suspicion. Et s'il était violent, et s'il voulait me faire du mal ? D'où venait-il ? Qui était-il ? Pourquoi était-il ici ? Comment se sentait-il ? Etant donné l'état du patient, je compris rapidement, avec une très forte déception, que l'inconnu ne semblait pas encore prêt à répondre à mon interrogatoire. Âgé mais charmant, ses yeux étaient creusés par des cernes et des rides qui sillonnaient sa peau, tandis qu'une barbe grisâtre lui mangeait une bonne partie du visage. Je ne pus m'empêcher de le dévisager, d'admirer les cicatrices sur son visage et l'intégralité de son corps musclé. Je demeurais notamment stupéfiée par la profondeur de l'entaille qui lui barrait verticalement la joue gauche et poursuivait sa tranchée dans l'arcade et le front. Peut-être le vit-il d'ailleurs, mais il n'en fit aucune considération. On aurait dit qu'il était mu par une tranquillité effarante, un calme avant la tempête et cela me filait véritablement la chair de poule, mais m'attirait immanquablement. Enfin, quand il souleva la lourde éponge chargée d'eau savonneuse jusqu'à son torse, je compris qu'il était temps pour moi de quitter la pièce.
Depuis lors, j'étais restée perturbée par cet étrange individu qui, loin de me fournir une énième image paternelle, m'intriguait totalement d'une façon inédite et dont les yeux perçants et jaunes tels ceux d'un aigle restaient fixés dans ma mémoire. J'avais paradoxalement envie qu'il s'en aille, mais je voulais aussi le connaître. C'est ainsi que la journée passa, très lentement, avec l'idée d'un scénario pré-construit dans la tête, un moyen de faire connaissance, quelque chose de compliqué et infructueux façon adolescente amourachée et stupide, pour bien tomber dans les stéréotypes.***Ainsi le soir-même je me glisse hors de ma couverture chaude et - pieds nus - me rends jusqu'à l'espèce de buanderie qui sert de loge à l'étranger. Je toque, aucune réponse, j'ouvre tout de même la porte. Il est là, il ne dort pas, mais assis sur son lit, son regard semble transcender la porte et convaincre le vide. Un livre est posé près de lui, enrobé dans les plis des couvertures du petit lit blanc. Visiblement le gusse n'aime pas se couvrir le haut du corps, peut-être n'a-t-il pas cherché à s'habiller de la journée, ça semble plutôt plausible. Faut dire que ma visite a le don d'être imprévisible. Je me sens mal, je vacille légèrement. Le pourpre me monte aux joues, chaudes qu'elles sont, je suffoque :
- Je... euh... J'aurais voulu... Annabella, moi c'est Annabella. Euh. On peut parler ?
Toutes les insultes fusent dans ma tête : bécasse, idiote, crétine et je me frappe psychiquement pour me maudire d'avoir l'air aussi stupide. Alors je reste là, sur le seuil, la porte aux trois-quarts fermée derrière moi, attendant la réponse du balafré. Au cas où il accepterait, dans ma tête des combinaisons entières de questions et de réponses se forment et se déforment dans mon esprit, à la façon d'un Rubik's cube mental.
Je frissonne alors sous ma robe de lin, fragile et démunie ; pourquoi suis-je là ?
J’ai envie de lui dire de se casser dès qu’elle s’est pointée. Des meufs de son genre je m’suis lassé tant j’en ai vu et tant j’en ai tâté. Elle est devant ma gueule, la fleur en pamoison. Mais moi je suis trop seul pour supporter le climat de cette maison. Alors, bien sûr, je pourrais lui dire que je ne lui ferai que du mal. Je l’aurais sans doute fait rire et elle n’avait pas besoin de ma morale. Elle prétend vouloir me causer, un petit brin de jactance. Je vois bien qu’elle veut baiser sur un arrière fond de romance. Je ressens une chaleur habituelle monter dans mon torse. Pour renvoyer cette Annabelle, je sens que ça se corse. J’essaye de l’assoir quelque part. J’ai le souffle court. Merde, j’suis bien dans l’panard. J’ai les doigts trop gourds.
« Moi, c’est Julius Ledger, je m’suis pas encore présenté. » Mec, tu gères, même ça tu l’as raté.
D’un coup d’œil vers mon lit, je m’dis que pour elle c’est trop sale. De l’autre, je vois qu’elle se délie, j’en laisse échapper un râle.
« - Vous êtes certain d’aller bien ? Je suis désolée de déranger.
- Je n’vous renverrais pour rien. Pardon de pas m’être changé. »
Elle se pose dans l’plumard, le rose colorant ses joues. Je m’dis que je suis qu’un connard qui veut juste faire joujou. Je l’attire près de moi, ma poitrine contre son sein. Elle, en plein émoi, se laisse faire un brin.
« - Qu’est-ce que vous me faîtes ? Et si Belphe nous surprend ?
- T’essayes même pas de m’tenir tête. Détends-toi et profite du moment. »
Je l’allonge sous mon corps, la main ferme mais sans brusquer. Elle se laisse aller à son sort, sans plus s’offusquer. Passé une courte gêne, on s’est donné du plaisir. Maintenant que rien ne la freine, je l’ai entendue souvent gémir. Il a fallu que ça s’arrête, ça n’a pas été de bon cœur. Sensation de coton dans ma tête, un petit bout d’bonheur.
A regret, elle se tire, quelque temps avant l’aube. Pendant que je m’étire, elle remet sa robe. Elle me regarde les yeux plein de questions. J’ai le visage détendu, presque un sourire. Je la serre contre moi, plein d’affection. Elle part sans rien ajouter, plus rien à se dire.
Depuis une bonne année, c’est la seule que j’ai appréciée. Les autres n’étaient que des traînés que j’ai tronché sans ressasser.
« Moi, c’est Julius Ledger, je m’suis pas encore présenté. » Mec, tu gères, même ça tu l’as raté.
D’un coup d’œil vers mon lit, je m’dis que pour elle c’est trop sale. De l’autre, je vois qu’elle se délie, j’en laisse échapper un râle.
« - Vous êtes certain d’aller bien ? Je suis désolée de déranger.
- Je n’vous renverrais pour rien. Pardon de pas m’être changé. »
Elle se pose dans l’plumard, le rose colorant ses joues. Je m’dis que je suis qu’un connard qui veut juste faire joujou. Je l’attire près de moi, ma poitrine contre son sein. Elle, en plein émoi, se laisse faire un brin.
« - Qu’est-ce que vous me faîtes ? Et si Belphe nous surprend ?
- T’essayes même pas de m’tenir tête. Détends-toi et profite du moment. »
Je l’allonge sous mon corps, la main ferme mais sans brusquer. Elle se laisse aller à son sort, sans plus s’offusquer. Passé une courte gêne, on s’est donné du plaisir. Maintenant que rien ne la freine, je l’ai entendue souvent gémir. Il a fallu que ça s’arrête, ça n’a pas été de bon cœur. Sensation de coton dans ma tête, un petit bout d’bonheur.
A regret, elle se tire, quelque temps avant l’aube. Pendant que je m’étire, elle remet sa robe. Elle me regarde les yeux plein de questions. J’ai le visage détendu, presque un sourire. Je la serre contre moi, plein d’affection. Elle part sans rien ajouter, plus rien à se dire.
Depuis une bonne année, c’est la seule que j’ai appréciée. Les autres n’étaient que des traînés que j’ai tronché sans ressasser.
- Spoiler:
- Désolé d'avance pour l'aspect « cucul à praline » mais c'est une étape qu'il m'est nécessaire de formuler, pour la vraisemblance et la cohérence. Anna a dix-sept piges et dans son crâne d'adolescente, ça se bouleverse, ça s'échauffe. Elle est alors pas bien maligne et se laisse beaucoup emporter par ses sentiments.
Je ne comprenais pas, pas vraiment, pas totalement, rien. Tout s'était passé très vite. Des bouffées de chaleur, des frissons, une envie insurmontable de me rapprocher du beau ténébreux et là... Je ne pouvais même pas mettre de mot sur ce qui s'était passé. Subit ? Incontrôlable ? Cet homme que je connaissais à peine, il pouvait être un hors-la-loi ou un soldat de la Marine, il... il avait pris ma virginité. Bon dieu. Dire que je pensais réellement en découvrir plus sur lui, dire que la curiosité qui me rongeait les sangs au départ n'était pas celle-ci. J'avais terriblement envie de savoir qui il était, ce qu'il faisait et qu'est-ce qui l'avait amené là, gelé, dans le froid, dans la neige ; et maintenant c'était pire ! J'avais miraculeusement trouvé un sommeil des plus confortables, peu agité, réchauffant et dans ma poitrine, mon cœur bouillait à me changer l'hémoglobine en lave. Mes songes se peuplaient de son visage, de sa peau, de ses muscles. Et bien qu'il ne me sembla pas avoir fait de rêves très tourmentés, je me retrouvai - à mon réveil - dans une position très étrange, la tête en bas du lit. J'avais effectué une rotation complète et mes draps s'étaient littéralement envolés à l'opposée de la chambre.
« Anna, tu rêvasses », mugit le géant.
Le bonhomme, à contrario, ne semble pas s'être levé du bon pied. Terrible, avec une humeur plus exécrable que jamais j'avais pu en être témoin, il était resté muet toute la matinée. Et maintenant que l'heure du midi approche, je ne le sens pas vraiment prêt à quitter son atelier pour partager un repas avec son apprentie - presque sa fille adoptive - et son invité dans sa propre demeure. Une seule explication semble plausible : il a deviné notre petit jeu. Peut-être la discrétion s'était-elle effacée au cours de nos ébats, pendant un court moment ; ou peut-être lors de l'une de ses rondes nocturnes, il avait surpris quelques sons à travers les murs. Dans tous les cas, je ne sais si la rancœur lui vient d'un sentiment amoureux ou paternel ; et je suis bien sûre de ne jamais le savoir, étant-donné le coffre-fort que c'est.
« Je rentre, je vais préparer le repas », que je lui fais, hâtée de rejoindre l.
Alors je me débarrasse de mon tablier, range tranquillement mes outils et tourne le dos au maître d'œuvre pour me précipiter vers la sortie. Et tout en quittant la forge, dans un silence étonnant, durant un cours moment où derrière-moi le marteau reste fiché en l'air sans s'abattre, je devine la lourdeur d'un regard mystérieux dans l'ombre du feu.***A table, l'ambiance se fait pesante. Finalement, le vieil homme s'est décidé à quitter son repère pour venir prendre le repas. Au menu : poulet trop cuit et haricots verts cramés. L'angoisse n'a cessé de germer en moi et désormais je tremble même à table, tenant mes couverts de façon hasardeuse. J'ai envie de lui dire, j'ai envie de tout cracher, mais sa réaction potentielle me fait peur. Il a toujours eu une certaine aura qui fait de lui un gros dur et l'idée d'en venir à le mettre en rogne me rend misérablement malade. De son côté, le voyageur a déjà l'air d'avoir récupéré une bonne partie de ses forces et est visiblement ravi par le repas frugal et partiellement brûlé qui lui est servi, vidant son assiette avec un entrain redoutablement nouveau. Partagée, mon cœur bat la chamade à l'envie de lui adresser la parole tandis que mon cerveau me dit de rester à l'écart. Finalement, je lâche un :
« Alors, c'était bon ? »
Le gaillard hoche la tête, visiblement pas inquiet de la tournure carbonisée de la nourriture qui remplit son plat à ras-bord. De l'autre côté, Belphegor repousse son assiette et se lève de table sans dire un mot. Une minute plus tard, le voilà qui récupère sa veste et s'en retourne à la forge. J'ai brusquement l'impression de m'éloigner de lui sans pouvoir y faire quoi que ce soit, mais cette attraction que je ressens pour l'inconnu est plus forte. Parti, je peux enfin lui adresser la parole.
« Hier soir... c'était... bien. Je... je n'avais jamais... hum... »
Échec cuisant, tant pis. Il semble avoir saisi que c'était ma première fois, de toute manière et me regarde avec des gros yeux. Les joues toutes empourprées, je tente misérablement de relancer le schmilblick.
« Et sinon... tu fais quoi ? »
Il chasse des pirates. Sa réponse se veut concise sans laisser place au détails. Il a terminé son assiette et plus rien ne l'empêche de quitter la table, mais son regard reste anormalement rivé sur moi, sur mes courbes, sur mes formes rebondies de jeunette de dix-sept ans. Il croit que je ne le remarque pas ou il s'en fiche.
« Julius, je veux... Ahem... »
Il le sait. Il n'attend que ça, moi aussi. Brutalement, je me dis que malencontreusement j'ai trouvé cette personne que je recherchais tant, par le simple fruit du hasard, par un blizzard de Noël. Et bien que son expression se veut scandaleuse quand, au pied de l'escalier, je me colle contre lui en lui serrant la main bien fort ; quand ma poitrine serrée autour de son épaule je lui fais ressentir les battements de mon cœur. Jamais je n'avais ressenti ça.
Julius, je te connais à peine et je crois que je t'aime.
Du sang, du sang partout. La flamme légère brûlait toujours dans le foyer, le corps tiède se vidait toujours de l'hémoglobine qui tapissait l'endroit, des perles de sang projetées sur les différents outils, sur les plans de travail, sur les fours et autres ustensiles avaient transformé la forge en un lieu macabre, digne d'un film d'horreur. Allongé, noyé dans le liquide rougeâtre dans lequel il baignait et qui suintait de sa gigantesque blessure à l'abdomen ainsi que du tisonnier planté dans son crâne, Belphegor gisait, inanimé. Tout s'était passé si vite... Julius...
Qu'avais-je fait ?
La nuit précédente, nous l'avions fait, encore une fois. C'était si bon et si doux, un plaisir secret que je n'avais jamais ressenti jusque là. J'étais alors persuadée que tout cela allait durer pour toujours, je m'étais enrobée d'une couche rose bonbon, flottant sur mon petit nuage, persuadée que désormais tout allait bien se passer. Belphe ? Peu importe, il pouvait toujours ronchonner, rien ne me séparerait de Julius et s'il devait partir, je partirais avec lui. Je me sentais en sécurité, stable, mais bientôt mon idyle ne tarda pas à vaciller lorsque l'homme se rhabilla au milieu de la nuit.
- Reste là, j'ai quelque chose à faire. Ça ne sera pas long, je reviendrai rapidement.
Je le crus alors et je l'attendis, seule dans mon lit qui me semblait désormais trop petit pour moi, trop petit pour une personne seule. Couvrant ma poitrine nue du drap léger qui précédemment semblait si chaud mais désormais si froid, je m'étais mise en tête de rester éveillée pour qu'à son retour nous puissions le faire, encore une fois, et nous endormir dans les bras l'un de l'autre. Puis trente minutes passèrent, puis une heure, puis deux et bientôt trois.
- Que fait-il ? Il avait dit que ça ne serait pas long. me murmurais-je à moi-même.
J'entrepris alors de me rhabiller pour descendre voir ce que mon prince charmant faisait. Je compris rapidement, au silence pesant régnant dans la demeure, à l'obscurité complète qui baignait les pièces de la maison, à l'absence de trace de vie, l'absence de Julius, l'absence du vieil homme que j'étais seule. Je ne comprenais pas, où pouvaient-ils être passés tous les deux, à deux heures du matin ? Qu'avait à faire de Julius qui puisse être si urgent et prendre à la fois autant de temps. Non, visiblement tout cela n'était pas nette. Malgré le fait qu'il n'y ait personne dans la baraque, le vent soufflait fort dehors et la neige était si dense que s'y aventurait devenait périlleux. Aveuglée, alarmée par la disparition de mon être cher, je pris néanmoins ma veste d'hiver que je boutonnai jusqu'au col et mes bottes confortablement chaudes avant de m'aventurer dans la tempête.
Les environs de la maison étaient aussi vides que la maison elle-même, seule une lueur provenant de la forge dans le lointain indiquait des traces de vie dans le paysage. Au bout de quelques minutes de marches, je sentis le froid et l'humidité transpercer les couches de vêtements et me pénétrer la chair et les os. Je regrettai de plus en plus le confort de mon petit lit douillet, le confort du torse de mon amant. Qu'était-il parti faire à la forge ? Et mon maître, se trouvait-il là-bas lui aussi ?
Je fus brutalement retirée de mon rêve, sans aucune suspicion au préalable, aucun présentiment si ce n'était la perplexité qui me rongeait, les questions que je me posais et les réponses auxquelles je ne voyais aucune alternative. Gisant sur le flanc, le cadavre continuait à se vider, l'épée dans le foyer continuait de rougir, la fumée continuait à s'élever de la cheminée. Le moment sembla comme figé dans mon esprit, comme un basculement, la fin de quelque chose d'ancien et le début d'une chose nouvelle. Un tournant dans ma vie. Je savais d'ores et déjà que mon maître avait été refroidi, mais je ne me doutais pas par qui. Je me précipitai contre son corps, essayai de le ranimer en le secouant, en lui criant dessus, en espérant que tout cela ne fut qu'une vaste blague. Mais l'homme ne se réveilla pas, il ne se réveilla jamais. Je me redressai, passai ma manche sur mes yeux gonflés, endoloris par les larmes. Et Julius ? Julius où était-il ? Une idée m'effleura l'esprit, mon cœur manqua un battement. Oh mon dieu, l'assassin l'avait-il tué lui aussi ? Allais-je trouver son corps quelque part par loin d'ici, à moitié enterré sous une épaisse couche de neige ? Pourquoi ? Pourquoi lui, pourquoi eux, pourquoi moi ?
C'est alors que je le vis, le morceau de papier, cloué au-dessus de l'atelier avec un avis de recherche. Mon cœur se fendit en mille morceaux, les larmes formèrent des lacs sous mes yeux qui ne tardèrent à inonder mes joues. Et je criais, et je frappais le sol, et je souffrais de cette injustice, de cette vie qui me faisait perdre espoir, qui me faisait perdre confiance et des tumultes qui m'embrouillaient l'esprit.
- Je savais que tu allais te faire avoir, je te l'avais dit, mais tu ne m'écoutes jamais.
- LA FERME, LA FERMELAFERMELAFERMELA FERME LA !! me mis-je à crier, saisie d'une crise de rage qui me poussa à renverser l'établi et jeter le plan de travail fixé au mur où étaient méticuleusement alignés les outils.
Je pris alors l'avis de recherche, la lettre et les déchirai, les réduisis en poussière avant de les serrer contre mon cœur ; chaude et froide, la tristesse me dévorait au point de perdre la raison. Un à un, les copeaux tombèrent au sol, formant un curieux méli-mélo de lettres calligraphiques, d'imprimerie et de morceaux de la photographie du vieil homme, recherché par la Marine depuis sa plus tendre jeunesse, passée dans la piraterie. Ce papier là était vieux, l'autre était blanc, pur, immaculé, si concis que même déchiré et éparpillé sur le sol on en devinait encore le contenu.
J'étais seule désormais.
Qu'avais-je fait ?
***
La nuit précédente, nous l'avions fait, encore une fois. C'était si bon et si doux, un plaisir secret que je n'avais jamais ressenti jusque là. J'étais alors persuadée que tout cela allait durer pour toujours, je m'étais enrobée d'une couche rose bonbon, flottant sur mon petit nuage, persuadée que désormais tout allait bien se passer. Belphe ? Peu importe, il pouvait toujours ronchonner, rien ne me séparerait de Julius et s'il devait partir, je partirais avec lui. Je me sentais en sécurité, stable, mais bientôt mon idyle ne tarda pas à vaciller lorsque l'homme se rhabilla au milieu de la nuit.
- Reste là, j'ai quelque chose à faire. Ça ne sera pas long, je reviendrai rapidement.
Je le crus alors et je l'attendis, seule dans mon lit qui me semblait désormais trop petit pour moi, trop petit pour une personne seule. Couvrant ma poitrine nue du drap léger qui précédemment semblait si chaud mais désormais si froid, je m'étais mise en tête de rester éveillée pour qu'à son retour nous puissions le faire, encore une fois, et nous endormir dans les bras l'un de l'autre. Puis trente minutes passèrent, puis une heure, puis deux et bientôt trois.
- Que fait-il ? Il avait dit que ça ne serait pas long. me murmurais-je à moi-même.
J'entrepris alors de me rhabiller pour descendre voir ce que mon prince charmant faisait. Je compris rapidement, au silence pesant régnant dans la demeure, à l'obscurité complète qui baignait les pièces de la maison, à l'absence de trace de vie, l'absence de Julius, l'absence du vieil homme que j'étais seule. Je ne comprenais pas, où pouvaient-ils être passés tous les deux, à deux heures du matin ? Qu'avait à faire de Julius qui puisse être si urgent et prendre à la fois autant de temps. Non, visiblement tout cela n'était pas nette. Malgré le fait qu'il n'y ait personne dans la baraque, le vent soufflait fort dehors et la neige était si dense que s'y aventurait devenait périlleux. Aveuglée, alarmée par la disparition de mon être cher, je pris néanmoins ma veste d'hiver que je boutonnai jusqu'au col et mes bottes confortablement chaudes avant de m'aventurer dans la tempête.
Les environs de la maison étaient aussi vides que la maison elle-même, seule une lueur provenant de la forge dans le lointain indiquait des traces de vie dans le paysage. Au bout de quelques minutes de marches, je sentis le froid et l'humidité transpercer les couches de vêtements et me pénétrer la chair et les os. Je regrettai de plus en plus le confort de mon petit lit douillet, le confort du torse de mon amant. Qu'était-il parti faire à la forge ? Et mon maître, se trouvait-il là-bas lui aussi ?
Je fus brutalement retirée de mon rêve, sans aucune suspicion au préalable, aucun présentiment si ce n'était la perplexité qui me rongeait, les questions que je me posais et les réponses auxquelles je ne voyais aucune alternative. Gisant sur le flanc, le cadavre continuait à se vider, l'épée dans le foyer continuait de rougir, la fumée continuait à s'élever de la cheminée. Le moment sembla comme figé dans mon esprit, comme un basculement, la fin de quelque chose d'ancien et le début d'une chose nouvelle. Un tournant dans ma vie. Je savais d'ores et déjà que mon maître avait été refroidi, mais je ne me doutais pas par qui. Je me précipitai contre son corps, essayai de le ranimer en le secouant, en lui criant dessus, en espérant que tout cela ne fut qu'une vaste blague. Mais l'homme ne se réveilla pas, il ne se réveilla jamais. Je me redressai, passai ma manche sur mes yeux gonflés, endoloris par les larmes. Et Julius ? Julius où était-il ? Une idée m'effleura l'esprit, mon cœur manqua un battement. Oh mon dieu, l'assassin l'avait-il tué lui aussi ? Allais-je trouver son corps quelque part par loin d'ici, à moitié enterré sous une épaisse couche de neige ? Pourquoi ? Pourquoi lui, pourquoi eux, pourquoi moi ?
C'est alors que je le vis, le morceau de papier, cloué au-dessus de l'atelier avec un avis de recherche. Mon cœur se fendit en mille morceaux, les larmes formèrent des lacs sous mes yeux qui ne tardèrent à inonder mes joues. Et je criais, et je frappais le sol, et je souffrais de cette injustice, de cette vie qui me faisait perdre espoir, qui me faisait perdre confiance et des tumultes qui m'embrouillaient l'esprit.
- Je savais que tu allais te faire avoir, je te l'avais dit, mais tu ne m'écoutes jamais.
- LA FERME, LA FERMELAFERMELAFERMELA FERME LA !! me mis-je à crier, saisie d'une crise de rage qui me poussa à renverser l'établi et jeter le plan de travail fixé au mur où étaient méticuleusement alignés les outils.
Je pris alors l'avis de recherche, la lettre et les déchirai, les réduisis en poussière avant de les serrer contre mon cœur ; chaude et froide, la tristesse me dévorait au point de perdre la raison. Un à un, les copeaux tombèrent au sol, formant un curieux méli-mélo de lettres calligraphiques, d'imprimerie et de morceaux de la photographie du vieil homme, recherché par la Marine depuis sa plus tendre jeunesse, passée dans la piraterie. Ce papier là était vieux, l'autre était blanc, pur, immaculé, si concis que même déchiré et éparpillé sur le sol on en devinait encore le contenu.
Désolé pour tout.
Julius
Julius
J'étais seule désormais.
La pilule fut difficile à avaler pendant les mois qui suivirent. Jamais, jamais plus, jamais plus un homme ne me toucherait, ne profiterait de moi comme l'avait fait Julius, ce pervers, ce lâche, ce traitre, ce meurtrier. J'étais rongée, mais après plusieurs semaines de dépression, je compris que personne ne viendrait m'aider. Je n'étais plus apprentie désormais, mon contrat s'était rompu avec la mort de Belphe et pour me sustenter, j'avais dû reprendre son activité. Je peinais à trouver des clients, à les satisfaire, beaucoup ne revenaient pas car je ne leur promettais pas la qualité de mon maître, beaucoup revenaient car ils n'avaient besoin d'armes que pour tuer. Pas pour se défendre, pour tuer. J'étais amenée à faire ce que je n'avais jamais désiré, à faire ce que Tonton Bob n'avait jamais désiré, à faire ce que Belphe n'avait jamais désiré. Et puis, il y eut ça :
- Vous êtes enceinte de trois mois.
- P-pardon ?
Non, je ne pouvais pas y croire, ne voulais pas y croire. Je devais être malade, je devais avoir autre chose, c'était ça les nausées, les vomissements. Non, pas un enfant, un enfant de qui ? Un enfant de lui. Non, non, ça n'était pas possible.
- Voici ma prescription pour les nausées, on se revoit dans un mois pour faire un bilan.
Non, non je ne voulais pas de cet enfant. Que faire ? Revenir dans un mois, le dire ? Non, je n'avais pas osé, j'étais revenue pourtant, ce mois-là, puis le mois qui suivit, puis j'avais fait l'échographie.
- Félicitations, c'est un garçon !
Pourquoi ? Pourquoi je ne pouvais pas l'abandonner, pourquoi je ne pouvais pas prendre un couteau et me taillader le vendre, tuer cette chose qui évoluait dans moi, qui donnait de plus en plus une allure rebondie à mon ventre. Je ne le voulais pas, c'était SON fils, le fils d'un meurtrier, d'un lâche qui m'avait retiré sauvagement ma virginité avant de s'enfuir, qui m'avait lamentablement trompée. Je ne pouvais plus travailler, j'étais à mon neuvième mois de grossesse, mais je n'avais personne pour prendre soin de moi. Lentement, je m'étais laissée dépérir, sans nourriture, sans chauffage dans cette maison gigantesque, vide et froide.
C'était cette nuit-là, j'avais si mal, j'étais si grosse et je pleurai. Je pleurai toutes les larmes de mon corps, la douleur me rongeait sous tous ses aspects, j'allais donner naissance à ce petit être dont je ne voulais pas, non, pas comme mes parents. Je ne voulais pas être ma mère, je ne voulais pas le faire souffrir. Il ne devait pas exister. Mais j'allais accoucher, je le sentais, je devais être forte. Je m'étais levée, moite de sueur avec une fièvre carabinée. Quelque chose clochait, mes draps étaient mouillés d'un étrange liquide. Ça avait commencé, je ne pouvais pas faire ça là, pas seule. Je m'étais donc habillée comme je pouvais avec des vêtements déchirés dans lesquels je ne rentrais même plus au niveau du ventre, et d'une démarche chaloupée je m'étais rendue jusqu'à l’hôpital le plus proche - un petit centre hospitalier proportionnel aux dimensions de l'île et à sa petite population. Le chemin était long et je faillis tomber plus d'une fois, à bout de forces, les jambes ployant sous le poids qui me tenaillait le bassin. J'arrivai néanmoins sans encombres devant les portes de la clinique, les passai en urgence et perdis connaissance dans le hall d'entrée alors que la femme occupant la réception se précipitait vers moi pour me secourir. J'avais tellement envie de dormir.
Lorsque je repris conscience, j'étais dans une petite pièce d'hôpital, au chaud dans un lit propre et sec. Je sentis directement une différence, comme le sentiment d'être incomplète, d'avoir perdu quelque chose. La grosseur était toujours là, mais différente, comme si je m'étais soulagée d'un poids, comme si... il n'était plus là. J'avais accouché pendant mon sommeil ? Je m'en souvenais à peine, à demi-consciente, peut-être le premier cri, puis plus rien. Où était-il ? Où était mon enfant ? Comme pour répondre à la question qui me taraudait l'esprit, une jeune infirmière pas désagréable à regarder entra dans la chambre.
- Bonjour Annabella, comment allez-vous ? s'exclama-t-elle d'une voix enjouée, transportée par je ne savais quel sentiment de bonheur et de béatitude.
Circonspecte, je la zieutais comme une bête sauvage reniflant sa proie. Bien, je suppose. Comme je le craignais, elle n'était pas venue seule. Elle tenait un tout petit paquet dans les bras, si petit que l'on aurait difficilement cru qu'il s'agissait d'un bébé. Et tout en farfouillant le tas de linges avec son doigt, elle entreprit de s'avancer vers le bord de mon lit, sûrement dans l'espoir de me présenter mon fils.
- Regarde, c'est ta ma-
- NON ! Éloignez-le de moi !! Je ne veux pas le voir ! l'interrompis-je soudainement, lui tournant le dos pour ne pas voir la vérité en face.
L'aide soignante semblait estomaquée, son ton se se fit par la suite lourd de reproches et de sous-entendus alors qu'elle me sermonnait.
- Mais enfin c'est votre fils...
Je jetai un coup d’œil furtif à l'inconnue et malencontreusement rencontrai du regard le contenu du paquet. Un bébé, si petit, si fragile, une chose rose tendre et douce qui dormait délicatement dans ses langes. Je ne pus me résigner à l'ignorer complètement, un instant j'oubliai même ce qu'il était, qui était son père, et tendais les bras pour le porter moi-aussi, pour être sa mère moi-aussi, pour l'aimer moi-aussi. Puis, comme un éclair, la vision du cadavre de Belphe, le sang, les caresses douces et tendres - elles aussi - de mon amant disparu revinrent.
- Non ! Emmenez-le, je ne suis pas sa mère...
- Ce que vous dites est...
- Je ne peux pas m'occuper de lui. Je ne peux pas et je ne veux pas. Je n'ai pas les moyens et je n'arriverai jamais à l'aimer...
A ces mots je m'étais enroulée en position fœtale, un côté du visage enfoncé dans l'oreiller, les draps tirés jusqu'au niveau du menton. Je sentis une légère pression s'exercer au niveau de mes genoux, alors que la jeune femme s'asseyait sur le bord du lit, comme dans une tentative d'approche ultime. Tristement, elle affirma :
- Personne ici ne pourra s'occuper de lui non-plus, nous allons devoir le confier aux services d'adoption, Annabella.
Je m'en fichais, je lui avais bel et bien donné naissance, il était bel et bien le fruit de ma chair mais je ne l'aimais pas, ce n'était pas mon fils et jamais ça ne le serait. Mieux valait une famille adoptive qui aurait les moyens de le loger, de le nourrir, plutôt qu'une mère froide et pauvre. Non, je ne voulais pas être comme ma maternelle, je devais l'abandonner... mais tout bien réfléchi, je pouvais au moins lui laisser une chose. Je sortis de ma chrysalide pour me redresser en tailleur sur le lit, admirer la beauté et l'innocence de mon garçon. Le regard enfoui dans les plis de mes draps, je déclarai :
- Je suis désolée, je ne peux pas...
L'infirmière comprit, malgré son désarroi, elle se remit debout et s'avança vers la sortie.
- ...mais je veux tout de même lui laisser quelque chose. Je veux le porter, je veux l'embrasser, lui donner son nom.
Ma visiteuse pivota les talons pour me faire face, un semblant de sourire sur le visage, puis elle se rapprocha et, avec une précautionneuse lenteur, me tendit l'enfant. Doucement, doucement, voilà. Je le saisis dans le creux de mes bras, futile petite chose, si légère et si douce. Sa respiration pulsait de petits souffles d'air sur ma main gauche, posée sur son petit torse dans lequel à un rythme effréné battait son petit cœur.
- Quand j'étais petite, j'avais des amis, des tas d'amis avec qui je jouais. commençais-je alors, le regard rivé sur le petiot. A l'époque, mes parents ne s'occupaient jamais de moi alors je passais tout mon temps au grand air, à jouer au pirate et au soldat, à jouer à la princesse, à la reine... je m'inventais des mondes. Je crois que la moitié de ces histoires, je les ai oubliées, mais il en est une dont je me suis toujours souvenue... Quand le monde avait besoin d'un héros, quand un prince charmant devait combattre des lions et des dragons à mains nues, quand des princesses avaient besoin d'être sauvées et que l'histoire en noir et blanc avait besoin de recouvrer ses couleurs, j'étais là, moi, dans le rôle d'un garçon. Je marquai une courte pause alors que le petiot s'animait légèrement, s'étirant après son court sommeil en bougeant ses petits bras. Et je me battais contre des moulins à vent, et je sauvais mes comparses en chevauchant des chevaux de bois, en traversant des buissons, en défendant ma vie et la leur de batailles féroces à coups de bâtons. Et je m'appelais le Prince Henri, car ça signifie "roi" et "maison" et que je n'avais ni royaume, ni maison. Mais maintenant, le petit prince, Henri... c'est toi. concluai-je tout en lui baisant le front, des gouttes salées dévalant mes joues roses.
Le doute, il s'immisçait comme l'infection dans une plaie ouverte. Non je ne pouvais pas, je devais me reprendre, c'en était assez, elle devait l'emmener désormais. Incapable de piper un mot de plus donc, je lui tendis subitement le môme et s'arrachant à la contemplation de la scène, elle le récupéra presto. Puis je la vis partir et je le vis partir, mes yeux rivés sur lui pour une toute dernière fois, avant que la porte se ferme et que je ne sois seule, à nouveau.
En larmes.
- Vous êtes enceinte de trois mois.
- P-pardon ?
Non, je ne pouvais pas y croire, ne voulais pas y croire. Je devais être malade, je devais avoir autre chose, c'était ça les nausées, les vomissements. Non, pas un enfant, un enfant de qui ? Un enfant de lui. Non, non, ça n'était pas possible.
- Voici ma prescription pour les nausées, on se revoit dans un mois pour faire un bilan.
Non, non je ne voulais pas de cet enfant. Que faire ? Revenir dans un mois, le dire ? Non, je n'avais pas osé, j'étais revenue pourtant, ce mois-là, puis le mois qui suivit, puis j'avais fait l'échographie.
- Félicitations, c'est un garçon !
Pourquoi ? Pourquoi je ne pouvais pas l'abandonner, pourquoi je ne pouvais pas prendre un couteau et me taillader le vendre, tuer cette chose qui évoluait dans moi, qui donnait de plus en plus une allure rebondie à mon ventre. Je ne le voulais pas, c'était SON fils, le fils d'un meurtrier, d'un lâche qui m'avait retiré sauvagement ma virginité avant de s'enfuir, qui m'avait lamentablement trompée. Je ne pouvais plus travailler, j'étais à mon neuvième mois de grossesse, mais je n'avais personne pour prendre soin de moi. Lentement, je m'étais laissée dépérir, sans nourriture, sans chauffage dans cette maison gigantesque, vide et froide.
C'était cette nuit-là, j'avais si mal, j'étais si grosse et je pleurai. Je pleurai toutes les larmes de mon corps, la douleur me rongeait sous tous ses aspects, j'allais donner naissance à ce petit être dont je ne voulais pas, non, pas comme mes parents. Je ne voulais pas être ma mère, je ne voulais pas le faire souffrir. Il ne devait pas exister. Mais j'allais accoucher, je le sentais, je devais être forte. Je m'étais levée, moite de sueur avec une fièvre carabinée. Quelque chose clochait, mes draps étaient mouillés d'un étrange liquide. Ça avait commencé, je ne pouvais pas faire ça là, pas seule. Je m'étais donc habillée comme je pouvais avec des vêtements déchirés dans lesquels je ne rentrais même plus au niveau du ventre, et d'une démarche chaloupée je m'étais rendue jusqu'à l’hôpital le plus proche - un petit centre hospitalier proportionnel aux dimensions de l'île et à sa petite population. Le chemin était long et je faillis tomber plus d'une fois, à bout de forces, les jambes ployant sous le poids qui me tenaillait le bassin. J'arrivai néanmoins sans encombres devant les portes de la clinique, les passai en urgence et perdis connaissance dans le hall d'entrée alors que la femme occupant la réception se précipitait vers moi pour me secourir. J'avais tellement envie de dormir.
***
Lorsque je repris conscience, j'étais dans une petite pièce d'hôpital, au chaud dans un lit propre et sec. Je sentis directement une différence, comme le sentiment d'être incomplète, d'avoir perdu quelque chose. La grosseur était toujours là, mais différente, comme si je m'étais soulagée d'un poids, comme si... il n'était plus là. J'avais accouché pendant mon sommeil ? Je m'en souvenais à peine, à demi-consciente, peut-être le premier cri, puis plus rien. Où était-il ? Où était mon enfant ? Comme pour répondre à la question qui me taraudait l'esprit, une jeune infirmière pas désagréable à regarder entra dans la chambre.
- Bonjour Annabella, comment allez-vous ? s'exclama-t-elle d'une voix enjouée, transportée par je ne savais quel sentiment de bonheur et de béatitude.
Circonspecte, je la zieutais comme une bête sauvage reniflant sa proie. Bien, je suppose. Comme je le craignais, elle n'était pas venue seule. Elle tenait un tout petit paquet dans les bras, si petit que l'on aurait difficilement cru qu'il s'agissait d'un bébé. Et tout en farfouillant le tas de linges avec son doigt, elle entreprit de s'avancer vers le bord de mon lit, sûrement dans l'espoir de me présenter mon fils.
- Regarde, c'est ta ma-
- NON ! Éloignez-le de moi !! Je ne veux pas le voir ! l'interrompis-je soudainement, lui tournant le dos pour ne pas voir la vérité en face.
L'aide soignante semblait estomaquée, son ton se se fit par la suite lourd de reproches et de sous-entendus alors qu'elle me sermonnait.
- Mais enfin c'est votre fils...
Je jetai un coup d’œil furtif à l'inconnue et malencontreusement rencontrai du regard le contenu du paquet. Un bébé, si petit, si fragile, une chose rose tendre et douce qui dormait délicatement dans ses langes. Je ne pus me résigner à l'ignorer complètement, un instant j'oubliai même ce qu'il était, qui était son père, et tendais les bras pour le porter moi-aussi, pour être sa mère moi-aussi, pour l'aimer moi-aussi. Puis, comme un éclair, la vision du cadavre de Belphe, le sang, les caresses douces et tendres - elles aussi - de mon amant disparu revinrent.
- Non ! Emmenez-le, je ne suis pas sa mère...
- Ce que vous dites est...
- Je ne peux pas m'occuper de lui. Je ne peux pas et je ne veux pas. Je n'ai pas les moyens et je n'arriverai jamais à l'aimer...
A ces mots je m'étais enroulée en position fœtale, un côté du visage enfoncé dans l'oreiller, les draps tirés jusqu'au niveau du menton. Je sentis une légère pression s'exercer au niveau de mes genoux, alors que la jeune femme s'asseyait sur le bord du lit, comme dans une tentative d'approche ultime. Tristement, elle affirma :
- Personne ici ne pourra s'occuper de lui non-plus, nous allons devoir le confier aux services d'adoption, Annabella.
Je m'en fichais, je lui avais bel et bien donné naissance, il était bel et bien le fruit de ma chair mais je ne l'aimais pas, ce n'était pas mon fils et jamais ça ne le serait. Mieux valait une famille adoptive qui aurait les moyens de le loger, de le nourrir, plutôt qu'une mère froide et pauvre. Non, je ne voulais pas être comme ma maternelle, je devais l'abandonner... mais tout bien réfléchi, je pouvais au moins lui laisser une chose. Je sortis de ma chrysalide pour me redresser en tailleur sur le lit, admirer la beauté et l'innocence de mon garçon. Le regard enfoui dans les plis de mes draps, je déclarai :
- Je suis désolée, je ne peux pas...
L'infirmière comprit, malgré son désarroi, elle se remit debout et s'avança vers la sortie.
- ...mais je veux tout de même lui laisser quelque chose. Je veux le porter, je veux l'embrasser, lui donner son nom.
Ma visiteuse pivota les talons pour me faire face, un semblant de sourire sur le visage, puis elle se rapprocha et, avec une précautionneuse lenteur, me tendit l'enfant. Doucement, doucement, voilà. Je le saisis dans le creux de mes bras, futile petite chose, si légère et si douce. Sa respiration pulsait de petits souffles d'air sur ma main gauche, posée sur son petit torse dans lequel à un rythme effréné battait son petit cœur.
- Quand j'étais petite, j'avais des amis, des tas d'amis avec qui je jouais. commençais-je alors, le regard rivé sur le petiot. A l'époque, mes parents ne s'occupaient jamais de moi alors je passais tout mon temps au grand air, à jouer au pirate et au soldat, à jouer à la princesse, à la reine... je m'inventais des mondes. Je crois que la moitié de ces histoires, je les ai oubliées, mais il en est une dont je me suis toujours souvenue... Quand le monde avait besoin d'un héros, quand un prince charmant devait combattre des lions et des dragons à mains nues, quand des princesses avaient besoin d'être sauvées et que l'histoire en noir et blanc avait besoin de recouvrer ses couleurs, j'étais là, moi, dans le rôle d'un garçon. Je marquai une courte pause alors que le petiot s'animait légèrement, s'étirant après son court sommeil en bougeant ses petits bras. Et je me battais contre des moulins à vent, et je sauvais mes comparses en chevauchant des chevaux de bois, en traversant des buissons, en défendant ma vie et la leur de batailles féroces à coups de bâtons. Et je m'appelais le Prince Henri, car ça signifie "roi" et "maison" et que je n'avais ni royaume, ni maison. Mais maintenant, le petit prince, Henri... c'est toi. concluai-je tout en lui baisant le front, des gouttes salées dévalant mes joues roses.
Le doute, il s'immisçait comme l'infection dans une plaie ouverte. Non je ne pouvais pas, je devais me reprendre, c'en était assez, elle devait l'emmener désormais. Incapable de piper un mot de plus donc, je lui tendis subitement le môme et s'arrachant à la contemplation de la scène, elle le récupéra presto. Puis je la vis partir et je le vis partir, mes yeux rivés sur lui pour une toute dernière fois, avant que la porte se ferme et que je ne sois seule, à nouveau.
En larmes.