Il en est des justices intègres comme des meurtres sans assassin, cela n’existe pas. Dans ce monde, où corruption et vices font acte de piété, cette peur étreint chaque être, et pourtant ceux qui osent se lever contre cette autocratie malsaine sont traités tels des parias. C’est une réalité : pour changer les mœurs, il faut commencer par se salir les mains. C’est un sacrifice pour le bien commun, vouer son âme à la damnation éternelle en vue de la rémission de tous les péchés. Sauver les hommes en posant sa propre vie dans la balance. Un geste noble, certes, mais bien peu de personnes peuvent l’appréhender de cette manière. Les Révolutionnaires purs sont d’autant plus rares que l’époque ne s’y prête pas. Le temps des conquêtes et des richesses apporte son voile d’ombre sur l’humanité, et la recherche du One Piece ne fait qu’accélérer le mouvement. Les uns cherchent leur pouvoir dans leur immunité conférée par leur statut, tandis que d’autres font fi des existences pour leur simple profit. Abyssus abyssum invocat.
De ces choses étonnantes, celle qui ressortait du lot n’en était pas moins la chance. Se trouver au bon moment au bon endroit était un don que l’assassin cultivait avec un brio étonnant. C’est ici que commence cette histoire, dans une taverne de bonne réputation, au cœur même de Loguetown. Ce n’était là qu’un jour comme tant d’autres, mais n’est-ce pas ainsi que commencer toutes les légendes ? Notre homme se trouvait assis à une tablée fort enjouée, et récitait ça et là, à qui voulait bien l’entendre, ses quelques mésaventures : les sirènes du bout du monde, ou encore les terribles amazones, ses nombreux combats contre de sanguinaires pirates, en bref, de quoi attirer l’attention du plus grand nombre. Ah, mieux vaut préciser qu’il aimait à se mêler aux autres humains, si l’on peut dire ainsi, de temps à autre. Il s’amusait ainsi parmi eux à visage découvert, et jouait son propre rôle : Rafaelo Di Auditore. Il était réputé pour être un homme de courage et coureur de jupons, ce qui ne déplaisait pas forcément à ces dames, mais, surtout, un homme sans histoire. Un jeune aventurier, en somme, qui n’avait rien de semblable avec ce tueur de sang-froid nommé « Il Assassino », dont certains s’amusaient à parler de temps à autre. Oh, ce n’était qu’une légende urbaine, mais le jeune homme appréciait de voir que certains en parlaient, désireux d’anecdotes sur ce sinistre individu.
« C’est un meurtrier de la Révolution, il ne fait que semer le chaos et la mort, rien de plus. C’est un homme dangereux ! » s’écria un homme, visiblement légèrement saoul.
Il pointait son doigt dans la direction d’une jeune femme qui affirmait l’avoir vu, et semblait chamboulée par cette rencontre fortuite, et riche d’expériences … sensuelles. Bien évidemment, Rafaelo savait qu’il ne s’agissait là que de pures chimères, mais il se prêta facilement au jeu.
« On m’a même dit qu’il était capable de disparaître, et que ce n’était même pas un homme … » surenchérit-il, jouant de cette amusante scène.
« Ce n’est qu’une rumeur, messieurs dames. Je vous serai donc gré de ne pas répandre ainsi quelques fables tirées par les cheveux visant à affoler la population. » les coupa un homme, siégeant à à peine quelques mètres d’eux.
Rafaelo se tourna vers lui, perdant légèrement de sa superbe, mais lui offrant néanmoins un sourire malicieux. Le silence se fit à sa tablée : ils avaient affaire à un Lieutenant-colonel de la Marine.
« Nous ne faisions que plaisanter, monsieur l’agent, pas de mal. » s’excusa-t-il, riant intérieurement de la tournure des événements.
Le type à qui il faisait face était plutôt bien bâti, mais ses tempes grisonnantes montraient qu’il n’avait certainement jamais pu aller plus loin que ce simple grade. De même, il portait un sabre dont la poignée était usée par le temps, et tout dans son apparence sentait le vieux. Un constat bien peu plaisant. Cependant, à la remarque de Rafaelo, plusieurs de ses amis de fortune se mirent à pouffer et se détournèrent rapidement du vieux Marin, voyant par là qu’il ne pouvait réellement pas leur faire grand-chose. Constatant ce revirement, celui-ci crut bon de se manifester de nouveau.
« De toute manière, la Révolution sera bientôt démantelée, vous n’aurez plus rien à craindre de tout cela. » se pavana-t-il, tout en se redressant sur sa chaise.
Le pauvre, sa condition de Marin de bas étage le poussait à rechercher une quelconque admiration, de la part de courtisans à la cervelle de moineau. L’assassin ferma les yeux de dépit en observant sa tablée s’intéresser de plus belle au Lieutenant-colonel. La Marine tombait de plus en plus bas ces temps-ci. Rafaelo l’invita cependant sans tarder à se joindre à eux, veillant à l’installer entre deux jeunes damoiselles.
« Vraiment ?! Enfin une bonne nouvelle ! Mes amis, faites de la place à notre héros ! » exulta-t-il, à mi-chemin entre l’ironie mordante et la persuasion malicieuse.
L’homme ne se fit pas prier, son ego galvanisé par ce compliment, malheureusement tout sauf sincère. Il s’assit donc et prit ses aises comme si les jeunes gens lui devaient quelque chose. Mais une seule idée fourmillait dans l’esprit de Rafaelo : lui faire cracher ce qu’il avait à dire. L’alcool aidant, cela ne serait pas si difficile. En effet, ce Marin semblait avoir rudement besoin de reconnaissance, et jouer avec les sentiments des autres était la spécialité de l’assassin. Celui-ci attendit cependant plusieurs verres avant de commencer à poser ses questions, de manière tout à fait innocente.
« Mais comment est-il possible que la Marine vienne enfin à bout des Révolutionnaires … ils sont partout ! » s’inquiéta-t-il, faussement.
Le Lieutenant-colonel haussa les épaules, se frotta le menton et prit une pose plus décontractée. Il ouvrit son veston et lui répondit d’une voix de don juan.
« Depuis que Lady Nausicaa nous donné de révéler les secret des différents groupes révolutionnaires en échange de l'immunité pour ses propres crimes, rien n’est plus sûr mon p’tit gars ! » fanfaronna-t-il, tirant quelques couinements de ses voisines.
« Lady Nausicaa ? Mais elle faisait partie du gouvernement, c’est incroyable ! Comment cela est-il possible ? » continua l’assassin, adoptant un air alarmé, tout aussi faux.
« Bah, tu sais, elle a tourné sa veste il y a belle lurette, et pis paf ! Elle revient du bon côté. Ouaip mon gars. Et c’est même le lieutenant Emer qui va s’charger de l’acheminer. Mais schhutt ! S’top secret ! » continua-t-il, sans se rendre compte qu’il tombait droit dans le piège tendu par Rafaelo.
Avant même qu’il ne puisse se questionner sur l’identité de ce lieutenant, l’un des jouvenceau étala sa science sans y avoir été invité.
« Le Lieutenant Emer aux dents d’argent ? J’ai déjà entendu parler de lui, il va tout le temps manger au Barati, et même qu’il ne paie jamais sa note ! » fit-il, avant de se rasseoir, constatant qu’il avait jeté un magnifique blanc.
Suite à cette légère digression, la discussion reprit un cours un peu plus normal. Cependant, tout ceci avait donné matière à réflexion à l’assassin. Le restaurant Barati, hein … Il n’était pas si loin de Loguetown, un navire restaurant selon les souvenirs de Rafaelo. Ce qui l’intriguait surtout était cette mention faite à Lady Nausicaa, elle était plutôt connue parmi les membres de la Révolution. Elle avait, il y a quelques années de cela, retourné sa veste et permit aux Révolutionnaires d’obtenir de nombreuses informations sur les faits et geste de nombreuses personnes. Elle avait contribué à de grandes opérations visant à perturber le bon fonctionnement de certaines zones d’East Blue et renforcé grandement l’influence de la Révolution. De ce fait, elle possédait en retour de nombreux contacts dans celle-ci, et était devenue une personne influente. Nul doute que son arrestation n’était pas fortuite, mais si elle se proposait de céder des informations en vue d’un immunité, il était certain que cela allait infliger de gros dommages à l’ensemble des Révolutionnaires, à commencer par lui-même. L’assassin n’apprécierait pas tellement que son nom soit associé à cette traitresse. De toute manière, on pouvait s’y attendre : traitre un jour, traitre toujours. Et la Marine qui croyait tenir la Révolution en joue avec tout ceci, c’était ridicule. Il ne fallait pas exagérer, le mouvement était vaste et puissant : ce ne serait qu’un coup de pieds dans la fourmilière. Cependant, ces révélations n’étaient pas pour aider l’assassin : lui aussi possédait des secrets, et il n’aimerait pas tellement les voir divulgués. Mieux valait intervenir dans cette affaire, et montrer à ces chiens de Marine que la Révolution n’était pas si simple à éradiquer ! Il lui faudrait de ce fait neutraliser cette satané traitresse, et montrer à ces stupides Marines ce qui pouvait arriver lorsqu’on mettait un peuple aux abois !
L’assassin suivit le reste des discussions d’un œil distrait. Plusieurs fois, il se fit l’effort d’une petite moquerie pour distraire son assemblée, mais le boucan généré par l’ivresse du Marine attira bientôt le reste de son régiment. Deux bleus vinrent s’occuper de leur chef ivre mort, et le ramenèrent dans ses quartiers. Ce n’était apparemment pas la première fois que cela arrivait. Il n’était cependant pas utile de leur révéler que leur Lieutenant-colonel venait de se rendre coupable de haute trahison. Rafaelo ricana doucement, et profita de l’incident pour s’éclipser.
« Veuillez m’excusez, mais il se fait tard, et j’ai fort à faire. » leur fit-il.
Ce n’était pas totalement faux, il avait en effet du pain sur la planche, à commencer par une infiltration au sein d’un navire de la Marine. Rafaelo s’exécuta d’un énième salut, puis s’en alla de la taverne au pas de course. Il s’emmitoufla dans sa cape noire et rejoint en moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire sa planque, située non loin du port. Une simple bâtisse laissée apparemment à l’abandon. Ses sous-sol menaient directement aux égouts de la ville, et quiconque aurait eu l’audace de s’y engouffrer n’y aurait trouver que de la poussière et du bois pourrissant. Le jeune homme entra dans la maison par une porte dérobée, puis il descendit au premier sous-sol. Là, il souleva une latte du plancher et tira sur une commande, qui lui ouvrit un pan de mur. Ce passage secret n’abritait là que quelques affaires de rechange, de quoi se sustenter et, bien entendu son armure ainsi que tout son attirail. Il revêtit le tout et embarqua quelques rations. Il était certain qu’il ne pourrait revenir avant plusieurs jours, alors autant laisser la planque propre pour un prochain Révolutionnaire de passage. Il lui fallait à tout prix en apprendre plus sur ce convoi, et déterminer les lieux remarquables de son trajet. Pour cela, il lui faudrait s’infiltrer parmi les membres de la Marine, et réussir à accéder à ces informations là. Loguetown était réputée pour être une place forte de la Marine. De ce fait, il serait possible de trouver en cet endroit de quoi satisfaire sa curiosité. Il ne lui restait plus qu’à envoyer une missive codée à l’attention de ses supérieurs et la partie intéressante commencerait. Il se servit de la lumière d’une bougie pour écrire son parchemin, et de sa chevalière pour cacheter l’enveloppe. Il quitta ensuite les lieux à destination du centre-ville puis, enfin, de la caserne en vigueur.
Les lieux étaient passablement gardés. La menace était certes grande ici, mais ils ne craignaient pas d’infiltration ou autres : ce n’était pas de l’acabit des pirates. Bien, cela lui faciliterait les choses. L’assassin fit rapidement le tour du bâtiment, quasiment invisible dans sa tenue noire, afin d’en distinguer les points faibles. Ils n’étaient pas très bien équipés, et ne prenaient apparemment pas leur rôle au sérieux. Tant mieux. Profitant d’un creux entre deux patrouille, il escalada la paroi de la caserne à l’aide des nombreuses aspérités créées par le temps. Il ne lui fallut pas plus d’une minute pour venir à bout de la paroi, et nulle patrouille ne passa pendant ce temps là. Une fois hissé sur les remparts, la tâche n’en devenait que plus aisée : se servant d’un coin d’ombre, il en profita pour relever les quelques circuits de ronde et étudier sommairement le procédé de relève de la garde. Ils procédaient toujours par paire et ne faisait que tourner sans réellement prêter attention à ce qu’il pouvait se passer autour d’eux. L’assassin n’avait donc qu’à se faufiler entre deux patrouilles puis à gagner sa destination sans éveiller le moindre soupçon. Il bascula donc par-dessus la muraille et se laissa glisser le long du mur. Il se servit de quelques tonneaux disposés là pour cacher sa position tout en atterrissant. Il écouta le silence quelques minutes, puis une fois qu’il fut sûr de ne pas avoir été aperçu, il s’engouffra hors de sa planque de fortune. Il traversa l’allée le séparant du bâtiment principal en quelques enjambées et se faufila derrière une rangée de cyprès, bordant les murs privés de fenêtres du donjon. En ces heures sombres, la porte du donjon était ouverte, certainement pour permettre une circulation plus fluide des patrouilles. Le temps n’était pas à la crise, ainsi les mesures de sécurité étaient à leur minimum, au profit de l’assassin. Cela arrangeait d’autant plus ses affaires qu’il valait mieux ne pas faire de victime lors de sa capture d’informations : cela risquait d’attirer l’attention sur lui et peut être même sur le convoi. Rafaelo s’engouffra donc dans le bâtiment aussi silencieusement qu’un chat. Il ouvrit sans plus de bruit qu’un crissement la première porte s’offrant à lui et s’engouffra dans les méandres obscurs des souterrains de la caserne. Fort heureusement, un plan détaillé du complexe se dressait là et lui indiquait à quel endroit se trouvait l’objet de son attention : le bureau du Capitaine de la Marine en vigueur. Il ne s’attendait pas à ce que le centre d’archives ne contienne l’information qu’il désirât, il était plus logique de la trouver dans les petits papiers des gradés de l’endroit. D’après ce qu’il en avait entendu, le Capitaine de Loguetown était un véritable colosse, maniant avec soin un marteau dévastateur ! La prudence était donc de mise.
Contrairement à ce que l’assassin aurait pu croire, son bureau ne se trouvait pas au sommet de l’édifice, mais non loin de lui, à quelques étages, ceci étant. Il surplombait tout simplement le chemin de ronde et, selon le plan, un escalier de secours y menait directement. Un homme de terrain ? C’était certain : il pouvait ainsi inspecter ses hommes sans réellement bouger, et les rejoindre en deux temps, trois mouvements si le besoin s’en ressentait. Autant, donc, passer par cet escalier prévu pour atteindre directement l’office ! Ah … les Marines étaient décidemment bien mal équipés face à des experts tels que lui. Les espions, ou assassins, étaient rares, ce que l’on pouvait leur concéder. Les pirates étaient en effet bien plus … brutaux que ses méthodes assassines, mais non moins meurtrières. Rafaelo regagna donc l’extérieur et se faufila dans l’ombre, à l’abris des regards, pour arriver dans la cour intérieure. Il repéra là une sorte d’échafaudage plutôt récent et s’attela à son escalade à une rapidité incroyable : à peine se fut-il hissé à son sommet qu’une patrouille de quelques hommes s’engouffra dans la cour. Parfaitement invisible, un parfait assassin. Il s’approcha alors de la serrure de l’office et baissa prudemment la poignée. Un peu trop sur le terrain, hein ? Le Capitaine n’avait visiblement pas pris la peine de verrouiller son bureau, du moins par ce côté. Cette négligence lui serait d’autant plus utile qu’il ne possédait pas de réel matériel de crochetage. Rafaelo se glissa dans le bureau et referma la porte sans bruit. Gonds bien huilés, une charmante attention. Il se redressa donc et parcouru la pièce du regard. Un monceau de paperasse se trouvait là, éclairé par la lumière de la Lune. Tch, voilà une preuve encore plus évidente du caractère de ce capitaine, mais peu lui importait. Il s’avança vers le bureau et glissa une main avide dans tout ce foutoir. Après quelques minutes de recherches infructueuse, il en retira un dossier relié de cuir, avec un post-it « rapport à parafer d’urgence » par-dessus une inscription en lettres de feu : « Affaire Nausicaa. » Bingo ! L’assassin ouvrit le dossier et parcouru l’ensemble des informations. Bien peu de choses utiles. La jeune femme n’avait pas encore parlé, mais il se doutait de cela. Quelques détails concernant ses crimes, ainsi que les termes exacts de sa redition. Ah, voilà ! Evidemment, le détail du trajet parcouru par le navire la transportant n’y était pas, mais une partie de celui-ci y apparaissait. La Marine de Loguetown devait apparemment sécuriser le secteur autour du navire restaurant le Barati, en vue d’une escale à celui-ci. L’appétit du Lieutenant Emer était si important qu’il se devait obligatoirement une escale ? Pauvre inconscient ! L’assassin était toujours amusé de voir avec quelle facilité la Marine aimait se créer elle-même des difficultés. Il parcouru rapidement le reste du dossier, que de la paperasse inutile. Il venait de pêcher là un détail crucial, mais cela augurait de longues heures difficiles. Il n’avait pas le droit à l’erreur s’il désirait mener son action à bien. Le bateau restaurant était sa seule possibilité d’atteindre le convoi, du moins la seule qu’il ne connaisse. De ce fait, il devait absolument faire taire cette ingénue avant que la Marine ne se croit toute permise. Il devait les neutraliser dans leur propre manière, et de ce fait procéder en toute discrétion. Il devait agir de façon à ce que personne ne le suspecte, mais que tous sachent qu’il était l’auteur de ces troubles. Et que vive la Révolution !
S’échapper de la caserne fut encore plus facile que d’y rentrer : une fois la porte principale franchie, les escaliers menant aux remparts offrirent à l’assassin une myriade de chemins pour gagner les toits de la ville. Il s’y engouffra sans hésiter et disparut dans les ténèbres de la même façon qu’il les avait quittées. L’aube pointait à présent le bout de son nez, il se pressa donc vers les ports afin de gagner au plus vite le navire restaurant. S’il se débrouillait bien, il y serait quelques jours avant sa cible, et pourrait de ce fait préparer les lieux comme bon lui semblait ! Il paya une bouchée de pain le voyage au premier capitaine sobre qu’il croisât puis patienta le reste du temps dans son rafiot. Il serait, si tout se passait bien, à destination peu avant la tombée de la nuit. Quoi de mieux pour se préparer qu’un bon repas en perspective ?
De ces choses étonnantes, celle qui ressortait du lot n’en était pas moins la chance. Se trouver au bon moment au bon endroit était un don que l’assassin cultivait avec un brio étonnant. C’est ici que commence cette histoire, dans une taverne de bonne réputation, au cœur même de Loguetown. Ce n’était là qu’un jour comme tant d’autres, mais n’est-ce pas ainsi que commencer toutes les légendes ? Notre homme se trouvait assis à une tablée fort enjouée, et récitait ça et là, à qui voulait bien l’entendre, ses quelques mésaventures : les sirènes du bout du monde, ou encore les terribles amazones, ses nombreux combats contre de sanguinaires pirates, en bref, de quoi attirer l’attention du plus grand nombre. Ah, mieux vaut préciser qu’il aimait à se mêler aux autres humains, si l’on peut dire ainsi, de temps à autre. Il s’amusait ainsi parmi eux à visage découvert, et jouait son propre rôle : Rafaelo Di Auditore. Il était réputé pour être un homme de courage et coureur de jupons, ce qui ne déplaisait pas forcément à ces dames, mais, surtout, un homme sans histoire. Un jeune aventurier, en somme, qui n’avait rien de semblable avec ce tueur de sang-froid nommé « Il Assassino », dont certains s’amusaient à parler de temps à autre. Oh, ce n’était qu’une légende urbaine, mais le jeune homme appréciait de voir que certains en parlaient, désireux d’anecdotes sur ce sinistre individu.
« C’est un meurtrier de la Révolution, il ne fait que semer le chaos et la mort, rien de plus. C’est un homme dangereux ! » s’écria un homme, visiblement légèrement saoul.
Il pointait son doigt dans la direction d’une jeune femme qui affirmait l’avoir vu, et semblait chamboulée par cette rencontre fortuite, et riche d’expériences … sensuelles. Bien évidemment, Rafaelo savait qu’il ne s’agissait là que de pures chimères, mais il se prêta facilement au jeu.
« On m’a même dit qu’il était capable de disparaître, et que ce n’était même pas un homme … » surenchérit-il, jouant de cette amusante scène.
« Ce n’est qu’une rumeur, messieurs dames. Je vous serai donc gré de ne pas répandre ainsi quelques fables tirées par les cheveux visant à affoler la population. » les coupa un homme, siégeant à à peine quelques mètres d’eux.
Rafaelo se tourna vers lui, perdant légèrement de sa superbe, mais lui offrant néanmoins un sourire malicieux. Le silence se fit à sa tablée : ils avaient affaire à un Lieutenant-colonel de la Marine.
« Nous ne faisions que plaisanter, monsieur l’agent, pas de mal. » s’excusa-t-il, riant intérieurement de la tournure des événements.
Le type à qui il faisait face était plutôt bien bâti, mais ses tempes grisonnantes montraient qu’il n’avait certainement jamais pu aller plus loin que ce simple grade. De même, il portait un sabre dont la poignée était usée par le temps, et tout dans son apparence sentait le vieux. Un constat bien peu plaisant. Cependant, à la remarque de Rafaelo, plusieurs de ses amis de fortune se mirent à pouffer et se détournèrent rapidement du vieux Marin, voyant par là qu’il ne pouvait réellement pas leur faire grand-chose. Constatant ce revirement, celui-ci crut bon de se manifester de nouveau.
« De toute manière, la Révolution sera bientôt démantelée, vous n’aurez plus rien à craindre de tout cela. » se pavana-t-il, tout en se redressant sur sa chaise.
Le pauvre, sa condition de Marin de bas étage le poussait à rechercher une quelconque admiration, de la part de courtisans à la cervelle de moineau. L’assassin ferma les yeux de dépit en observant sa tablée s’intéresser de plus belle au Lieutenant-colonel. La Marine tombait de plus en plus bas ces temps-ci. Rafaelo l’invita cependant sans tarder à se joindre à eux, veillant à l’installer entre deux jeunes damoiselles.
« Vraiment ?! Enfin une bonne nouvelle ! Mes amis, faites de la place à notre héros ! » exulta-t-il, à mi-chemin entre l’ironie mordante et la persuasion malicieuse.
L’homme ne se fit pas prier, son ego galvanisé par ce compliment, malheureusement tout sauf sincère. Il s’assit donc et prit ses aises comme si les jeunes gens lui devaient quelque chose. Mais une seule idée fourmillait dans l’esprit de Rafaelo : lui faire cracher ce qu’il avait à dire. L’alcool aidant, cela ne serait pas si difficile. En effet, ce Marin semblait avoir rudement besoin de reconnaissance, et jouer avec les sentiments des autres était la spécialité de l’assassin. Celui-ci attendit cependant plusieurs verres avant de commencer à poser ses questions, de manière tout à fait innocente.
« Mais comment est-il possible que la Marine vienne enfin à bout des Révolutionnaires … ils sont partout ! » s’inquiéta-t-il, faussement.
Le Lieutenant-colonel haussa les épaules, se frotta le menton et prit une pose plus décontractée. Il ouvrit son veston et lui répondit d’une voix de don juan.
« Depuis que Lady Nausicaa nous donné de révéler les secret des différents groupes révolutionnaires en échange de l'immunité pour ses propres crimes, rien n’est plus sûr mon p’tit gars ! » fanfaronna-t-il, tirant quelques couinements de ses voisines.
« Lady Nausicaa ? Mais elle faisait partie du gouvernement, c’est incroyable ! Comment cela est-il possible ? » continua l’assassin, adoptant un air alarmé, tout aussi faux.
« Bah, tu sais, elle a tourné sa veste il y a belle lurette, et pis paf ! Elle revient du bon côté. Ouaip mon gars. Et c’est même le lieutenant Emer qui va s’charger de l’acheminer. Mais schhutt ! S’top secret ! » continua-t-il, sans se rendre compte qu’il tombait droit dans le piège tendu par Rafaelo.
Avant même qu’il ne puisse se questionner sur l’identité de ce lieutenant, l’un des jouvenceau étala sa science sans y avoir été invité.
« Le Lieutenant Emer aux dents d’argent ? J’ai déjà entendu parler de lui, il va tout le temps manger au Barati, et même qu’il ne paie jamais sa note ! » fit-il, avant de se rasseoir, constatant qu’il avait jeté un magnifique blanc.
Suite à cette légère digression, la discussion reprit un cours un peu plus normal. Cependant, tout ceci avait donné matière à réflexion à l’assassin. Le restaurant Barati, hein … Il n’était pas si loin de Loguetown, un navire restaurant selon les souvenirs de Rafaelo. Ce qui l’intriguait surtout était cette mention faite à Lady Nausicaa, elle était plutôt connue parmi les membres de la Révolution. Elle avait, il y a quelques années de cela, retourné sa veste et permit aux Révolutionnaires d’obtenir de nombreuses informations sur les faits et geste de nombreuses personnes. Elle avait contribué à de grandes opérations visant à perturber le bon fonctionnement de certaines zones d’East Blue et renforcé grandement l’influence de la Révolution. De ce fait, elle possédait en retour de nombreux contacts dans celle-ci, et était devenue une personne influente. Nul doute que son arrestation n’était pas fortuite, mais si elle se proposait de céder des informations en vue d’un immunité, il était certain que cela allait infliger de gros dommages à l’ensemble des Révolutionnaires, à commencer par lui-même. L’assassin n’apprécierait pas tellement que son nom soit associé à cette traitresse. De toute manière, on pouvait s’y attendre : traitre un jour, traitre toujours. Et la Marine qui croyait tenir la Révolution en joue avec tout ceci, c’était ridicule. Il ne fallait pas exagérer, le mouvement était vaste et puissant : ce ne serait qu’un coup de pieds dans la fourmilière. Cependant, ces révélations n’étaient pas pour aider l’assassin : lui aussi possédait des secrets, et il n’aimerait pas tellement les voir divulgués. Mieux valait intervenir dans cette affaire, et montrer à ces chiens de Marine que la Révolution n’était pas si simple à éradiquer ! Il lui faudrait de ce fait neutraliser cette satané traitresse, et montrer à ces stupides Marines ce qui pouvait arriver lorsqu’on mettait un peuple aux abois !
L’assassin suivit le reste des discussions d’un œil distrait. Plusieurs fois, il se fit l’effort d’une petite moquerie pour distraire son assemblée, mais le boucan généré par l’ivresse du Marine attira bientôt le reste de son régiment. Deux bleus vinrent s’occuper de leur chef ivre mort, et le ramenèrent dans ses quartiers. Ce n’était apparemment pas la première fois que cela arrivait. Il n’était cependant pas utile de leur révéler que leur Lieutenant-colonel venait de se rendre coupable de haute trahison. Rafaelo ricana doucement, et profita de l’incident pour s’éclipser.
« Veuillez m’excusez, mais il se fait tard, et j’ai fort à faire. » leur fit-il.
Ce n’était pas totalement faux, il avait en effet du pain sur la planche, à commencer par une infiltration au sein d’un navire de la Marine. Rafaelo s’exécuta d’un énième salut, puis s’en alla de la taverne au pas de course. Il s’emmitoufla dans sa cape noire et rejoint en moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire sa planque, située non loin du port. Une simple bâtisse laissée apparemment à l’abandon. Ses sous-sol menaient directement aux égouts de la ville, et quiconque aurait eu l’audace de s’y engouffrer n’y aurait trouver que de la poussière et du bois pourrissant. Le jeune homme entra dans la maison par une porte dérobée, puis il descendit au premier sous-sol. Là, il souleva une latte du plancher et tira sur une commande, qui lui ouvrit un pan de mur. Ce passage secret n’abritait là que quelques affaires de rechange, de quoi se sustenter et, bien entendu son armure ainsi que tout son attirail. Il revêtit le tout et embarqua quelques rations. Il était certain qu’il ne pourrait revenir avant plusieurs jours, alors autant laisser la planque propre pour un prochain Révolutionnaire de passage. Il lui fallait à tout prix en apprendre plus sur ce convoi, et déterminer les lieux remarquables de son trajet. Pour cela, il lui faudrait s’infiltrer parmi les membres de la Marine, et réussir à accéder à ces informations là. Loguetown était réputée pour être une place forte de la Marine. De ce fait, il serait possible de trouver en cet endroit de quoi satisfaire sa curiosité. Il ne lui restait plus qu’à envoyer une missive codée à l’attention de ses supérieurs et la partie intéressante commencerait. Il se servit de la lumière d’une bougie pour écrire son parchemin, et de sa chevalière pour cacheter l’enveloppe. Il quitta ensuite les lieux à destination du centre-ville puis, enfin, de la caserne en vigueur.
Les lieux étaient passablement gardés. La menace était certes grande ici, mais ils ne craignaient pas d’infiltration ou autres : ce n’était pas de l’acabit des pirates. Bien, cela lui faciliterait les choses. L’assassin fit rapidement le tour du bâtiment, quasiment invisible dans sa tenue noire, afin d’en distinguer les points faibles. Ils n’étaient pas très bien équipés, et ne prenaient apparemment pas leur rôle au sérieux. Tant mieux. Profitant d’un creux entre deux patrouille, il escalada la paroi de la caserne à l’aide des nombreuses aspérités créées par le temps. Il ne lui fallut pas plus d’une minute pour venir à bout de la paroi, et nulle patrouille ne passa pendant ce temps là. Une fois hissé sur les remparts, la tâche n’en devenait que plus aisée : se servant d’un coin d’ombre, il en profita pour relever les quelques circuits de ronde et étudier sommairement le procédé de relève de la garde. Ils procédaient toujours par paire et ne faisait que tourner sans réellement prêter attention à ce qu’il pouvait se passer autour d’eux. L’assassin n’avait donc qu’à se faufiler entre deux patrouilles puis à gagner sa destination sans éveiller le moindre soupçon. Il bascula donc par-dessus la muraille et se laissa glisser le long du mur. Il se servit de quelques tonneaux disposés là pour cacher sa position tout en atterrissant. Il écouta le silence quelques minutes, puis une fois qu’il fut sûr de ne pas avoir été aperçu, il s’engouffra hors de sa planque de fortune. Il traversa l’allée le séparant du bâtiment principal en quelques enjambées et se faufila derrière une rangée de cyprès, bordant les murs privés de fenêtres du donjon. En ces heures sombres, la porte du donjon était ouverte, certainement pour permettre une circulation plus fluide des patrouilles. Le temps n’était pas à la crise, ainsi les mesures de sécurité étaient à leur minimum, au profit de l’assassin. Cela arrangeait d’autant plus ses affaires qu’il valait mieux ne pas faire de victime lors de sa capture d’informations : cela risquait d’attirer l’attention sur lui et peut être même sur le convoi. Rafaelo s’engouffra donc dans le bâtiment aussi silencieusement qu’un chat. Il ouvrit sans plus de bruit qu’un crissement la première porte s’offrant à lui et s’engouffra dans les méandres obscurs des souterrains de la caserne. Fort heureusement, un plan détaillé du complexe se dressait là et lui indiquait à quel endroit se trouvait l’objet de son attention : le bureau du Capitaine de la Marine en vigueur. Il ne s’attendait pas à ce que le centre d’archives ne contienne l’information qu’il désirât, il était plus logique de la trouver dans les petits papiers des gradés de l’endroit. D’après ce qu’il en avait entendu, le Capitaine de Loguetown était un véritable colosse, maniant avec soin un marteau dévastateur ! La prudence était donc de mise.
Contrairement à ce que l’assassin aurait pu croire, son bureau ne se trouvait pas au sommet de l’édifice, mais non loin de lui, à quelques étages, ceci étant. Il surplombait tout simplement le chemin de ronde et, selon le plan, un escalier de secours y menait directement. Un homme de terrain ? C’était certain : il pouvait ainsi inspecter ses hommes sans réellement bouger, et les rejoindre en deux temps, trois mouvements si le besoin s’en ressentait. Autant, donc, passer par cet escalier prévu pour atteindre directement l’office ! Ah … les Marines étaient décidemment bien mal équipés face à des experts tels que lui. Les espions, ou assassins, étaient rares, ce que l’on pouvait leur concéder. Les pirates étaient en effet bien plus … brutaux que ses méthodes assassines, mais non moins meurtrières. Rafaelo regagna donc l’extérieur et se faufila dans l’ombre, à l’abris des regards, pour arriver dans la cour intérieure. Il repéra là une sorte d’échafaudage plutôt récent et s’attela à son escalade à une rapidité incroyable : à peine se fut-il hissé à son sommet qu’une patrouille de quelques hommes s’engouffra dans la cour. Parfaitement invisible, un parfait assassin. Il s’approcha alors de la serrure de l’office et baissa prudemment la poignée. Un peu trop sur le terrain, hein ? Le Capitaine n’avait visiblement pas pris la peine de verrouiller son bureau, du moins par ce côté. Cette négligence lui serait d’autant plus utile qu’il ne possédait pas de réel matériel de crochetage. Rafaelo se glissa dans le bureau et referma la porte sans bruit. Gonds bien huilés, une charmante attention. Il se redressa donc et parcouru la pièce du regard. Un monceau de paperasse se trouvait là, éclairé par la lumière de la Lune. Tch, voilà une preuve encore plus évidente du caractère de ce capitaine, mais peu lui importait. Il s’avança vers le bureau et glissa une main avide dans tout ce foutoir. Après quelques minutes de recherches infructueuse, il en retira un dossier relié de cuir, avec un post-it « rapport à parafer d’urgence » par-dessus une inscription en lettres de feu : « Affaire Nausicaa. » Bingo ! L’assassin ouvrit le dossier et parcouru l’ensemble des informations. Bien peu de choses utiles. La jeune femme n’avait pas encore parlé, mais il se doutait de cela. Quelques détails concernant ses crimes, ainsi que les termes exacts de sa redition. Ah, voilà ! Evidemment, le détail du trajet parcouru par le navire la transportant n’y était pas, mais une partie de celui-ci y apparaissait. La Marine de Loguetown devait apparemment sécuriser le secteur autour du navire restaurant le Barati, en vue d’une escale à celui-ci. L’appétit du Lieutenant Emer était si important qu’il se devait obligatoirement une escale ? Pauvre inconscient ! L’assassin était toujours amusé de voir avec quelle facilité la Marine aimait se créer elle-même des difficultés. Il parcouru rapidement le reste du dossier, que de la paperasse inutile. Il venait de pêcher là un détail crucial, mais cela augurait de longues heures difficiles. Il n’avait pas le droit à l’erreur s’il désirait mener son action à bien. Le bateau restaurant était sa seule possibilité d’atteindre le convoi, du moins la seule qu’il ne connaisse. De ce fait, il devait absolument faire taire cette ingénue avant que la Marine ne se croit toute permise. Il devait les neutraliser dans leur propre manière, et de ce fait procéder en toute discrétion. Il devait agir de façon à ce que personne ne le suspecte, mais que tous sachent qu’il était l’auteur de ces troubles. Et que vive la Révolution !
S’échapper de la caserne fut encore plus facile que d’y rentrer : une fois la porte principale franchie, les escaliers menant aux remparts offrirent à l’assassin une myriade de chemins pour gagner les toits de la ville. Il s’y engouffra sans hésiter et disparut dans les ténèbres de la même façon qu’il les avait quittées. L’aube pointait à présent le bout de son nez, il se pressa donc vers les ports afin de gagner au plus vite le navire restaurant. S’il se débrouillait bien, il y serait quelques jours avant sa cible, et pourrait de ce fait préparer les lieux comme bon lui semblait ! Il paya une bouchée de pain le voyage au premier capitaine sobre qu’il croisât puis patienta le reste du temps dans son rafiot. Il serait, si tout se passait bien, à destination peu avant la tombée de la nuit. Quoi de mieux pour se préparer qu’un bon repas en perspective ?