Étrangement, une fine pluie gouttait à l'approche de la grande île de Barren. Sur le pont du "Rossignol" le navire de transport en commun qui desservait hebdomadairement Barren, Loth observait, taciturne, les vastes terres de ce pays qui s'étendaient devant lui, à quelques miles de là. Il était étrange et rare qu'il y pleuve selon les informations que le marchand avait recoupées. Peut être était-ce à cause des froids courants marins qui entouraient sa mer territoriale, pensa le Marchand Hérétique. Il se retourna et se dirigea d'un pas lourd rythmé par les cliquetis de son armure vers sa cabine. Il déclencha les regards curieux et suspicieux des autres passagers qui lézardaient sous la bruine. Il était vrai que Loth ne passait pas inaperçu du haut de ses 2m30 empêtré dans "L'épiderme" son armure écarlate qui jamais, ne manquait de grincer à chaque pas. Il s'en foutait, il se moquait éperdument du regard des autres. Il y était habitué.
Il regagna sa cabine qui tanguait légèrement sous les remous de North Blue. Éparpillés ici et là, la cabine était remplie de cartes, de photos, de fiches et des notes de Loth. La seule partie qui avait été épargnée par le désordre était la petite table basse au chevet du lit. Un coffre en bois y trônait. Il monopolisa l'attention de Loth qui s'en saisit et s'assit sur le lit en plume d'oie. Le coffre était une belle œuvre d'art en bois de rosier vernis à l'ambre jaune. Dans la semi-pénombre de la cabine, son revêtement couleur miel luisait d'un altier halo cramoisi. Si le coffre était déjà une belle œuvre, que dire alors de son contenu? Loth l'ouvrit délicatement et révéla son contenu. Depuis qu'il avait embarqué à bord du Rossignol deux jours plutôt, il la contemplait au moins chaque demi-heure, sans jamais se lasser de sa beauté. "Elle" désignait "La Voûte", une sublime sculpture en ivoire d'éléphant blanc ancrée sur un piédestal en cire rouge.
Spoiler:
La Voûte aurait été sculptée, selon les méticuleuses informations réunies par Loth, durant l'âge d'or de la dynastie Mönkh qui régna sur Barren il y a près de trois cent ans. Elle représente le Sarum Erdenechimeg "Bijoux en Joyaux" Mönkh debout sur une colline recevant le savoir des dieux, le royaume céleste étant représenté sous forme d'une sphère trouées contenant d'autres sphères concentriques. A l'arrière plan, derrière Erdenechimeg se tient la Sarumi Alagh Mönkh épaulant son mari nimbé du salut des dieux. Loth ne pouvait qu'admirer la minutie avec laquelle ce sculpteur inconnu avait réussi à capturer l'essence de ce récit mythologique. Malheureusement, et c'était le lot de toutes ses acquisitions, il allait devoir s'en séparer pour 10 millions d’alléchants berry.
Quatre mois auparavant, Loth avait été contacté par un de ses plus réguliers intermédiaires qui lui fit part de la convoitise qu'un certain Ganbaatar nourrissait pour la Voûte qu'il recherchait par ailleurs depuis des années. Le joli pactole que ce Ganbaatar était prêt à débourser pour acquérir l'objet ne fit qu'attiser l'envie de Loth de le lui trouver. Il avait énergiquement secoué tous ses liens et finalement retrouvé l'objet en question. Pour recevoir sa paye, il devait maintenant rallier l'île de Barren et livrer en main propre la Voûte au dénommé Ganbaatar. Un homme bien mystérieux dont Loth ne connaissait pas l'apparence mais cela ne le turlupinait pas outre mesure, il avait l'habitude de l'underground et de ses secrets.
*****
- Grrrrr, j'ai froid. - C'est pas étonnant, couvrez vous au moins Sergent, je veux dire Madame. - Ce n'est ni madame, ni Sergent, c'est Lady ! Et relookes moi encore une fois et je trancherai définitivement ta perversion ! - Désolé Lady... - Pourquoi ne m'as-tu pas dit qu'il faisait aussi froid et venteux sur cette maudite île, Caporal? - J'ai... j'ai tenté de vous faire un topo de notre mission mais comme d'habitude, vous n'avez rien voulu comprendre, Lady. Entrons dans cette...auberge, je vous détaillerai tout.
"L'auberge" en question n'était, du point de vue du Caporal, qu'une grande tente de la taille d'une maisonnette. Les lourdes toiles en peau de bisons qui la composaient avaient été solidement ancrées au sol par des clous de la taille d'une lance. Un écriteau dans une langue incompréhensible pour eux décorait la devanture. Si de l'extérieur l'endroit semblait spartiate, l'intérieur n'en était pas mieux loti. Autour de la dizaine de petites tables rondes qui décoraient l'intérieur, une miteuse clientèle s'épanouissait en chuchotant devant des verres et bouteilles contenant différentes mixtures colorées. L'arrivée des étrangers déclencha automatiquement des regards frustrés et accusateurs qui toisaient celle qui désirait se faire appeler "Lady", la femme qui accompagnait le Caporal. Si ce dernier, à l'instar de l'intégralité de la clientèle, était emmitouflé, ganté et chaussé dans de la bonne et épaisse fourrure qui l'isolait du froid, la femme sur ses talons avait un style plus... nudiste.
Du haut de son mètre quatre-vingt, elle n'était habillée, en tout et pour tout, que d'un simple kimono noir à revers en poids rouge savamment ceinturée au dessus du nombril ce qui laissait apparaître de manière affriolante son string noir à double ficelle décoré d'une babiole à l'effigie d'un oiseau de proie. Une longue chevelure noire de jais dépassait de sous un chapeau en paille décoré de clochettes lui servait de couvre chef dissimulant ainsi son visage aux clients. Ces derniers, malgré l'envie qui les démangeait d'invectiver et pourquoi pas de molester cette femme pour atteinte à la pudeur, étaient tenus en respect par l'espèce d'aura meurtrière que dégageait l'étrangère. Ils y percevaient une froide résolution à tuer comme semblait l'indiquer les deux revolvers sanglés à ses cuisses et le long Katana qu'elle tenait fermement empoigné dans sa main droite.
Spoiler:
Elle s'attabla juste à l'entrée de l'auberge laissant le soin à son caporal de discutailler avec l'aubergiste. Malgré son épais manteau et sa petite taille (pas plus 1m60) on devinait aisément que le Caporal Jimmy Brians était un homme très musclé. Une profonde balafre défigurait sa joue droite de l'oreille jusqu'au menton. Ses yeux amandes reflétaient l'image d'un homme rompu aux missions difficile. Sa peau d'un noir éloquent ne manqua pas d'attirer les regards dans ce pays où la majorité de la population avait le teint blanc.
- Je suis le Caporal Jimmy Brians et assise là-bas c'est le sergent Lady Ombeline. Nous appartenons à la marine d'élite, dit-il à l'aubergiste en lui montrant sa carte. Deux bouteilles de pur feu pour nous réchauffer. - C't'un honneur pou'mon humble auberge d’accueillir la marine, répondit-il en s'inclinant.
Jimmy Brians retourna à la table occupée par son sergent juste après que leur fut servie leur commande. Il étala sur la table une série de documents portant le sceau de la marine.
- Comme j'avais tenté de vous l'exposer quelques jours plutôt, nous avons reçu l'ordre de nous rendre ici, dans le pays de Barren. - Je sais, ne commences pas à m'agacer, viens en au fait. - Barren, avait continué le caporal comme s'il n'avait pas été interrompu, est caractérisé par ses étendues plates, sauvages, quasi désertiques en permanence mordues par les blizzards. Cet environnement est connu sous le nom des "steppes givrées". A l'instar de cette auberge, la majorité des habitations du pays est constituée de tentes ou d'autres types d'habitat déplaçable car le mode de vie y est nomade. Les Barrenois se regroupent en clan de plusieurs centaines d'individus et vivent de l'élevage et de la pèche. Le pays est dirigé par un Sarum, le chef élu des quinze clan majeurs. - Donc c'est un roi? - On peut voir les choses ainsi même si ses pouvoirs sont très limités par rapport à ce que confère une royauté. Il est aidé dans sa tâche de réunification par la Sarumi, la reine en quelque sorte. Ce qui la différencie d'une reine normale est qu'elle aussi est élue par les chefs de clan. Le Sarum et la Sarumi ne se marient qu'après leur élection respective. - N'importe quoi, ils sont aussi bêtes qu'ils en ont l'air, grommela Ombeline. - Leur système d'élection ne nous regarde en aucune manière, nous avons été dépêché ici pour arrêter un dénommé Ganbaatar. Selon les échos reçus par nos services de renseignement, cet homme se livrerait au commerce d'oeuvre d'art en ivoire d'éléphant blanc. - Et c'est illégal? Je devrais plus souvent prendre état de mes missions avant de m'y jeter corps et âme, moi. - Euh, le commerce d'ivoire est interdit et sévèrement réprimandé par des dizaines d'années de prison, sergent. L'éléphant blanc est une espèce classée en sérieux danger d'extinction à cause de ce commerce qui encourage le braconnage. Ce Ganbaatar aurait d'ailleurs reçu selon nos indics une cargaison de cent kilos d'ivoire la semaine dernière et s'apprêterait à faire acquisition d'une œuvre d'art nommée "La Voûte" réputée volée dans un musée d'art antique de South Blue depuis dix ans. Notre mission en simple en somme, nous devons capturer cet homme et démanteler son réseau de contrebande. - Passionnant... - Nous devrions nous rendre à Oulan, à l'Est. Les nomades du Clan de l'Eau y ont élu domicile et contrôlent le second port l'île. Notre indic prendra contact avec nous là bas et nous guidera vers la cachette de Ganbaatar. - A la bonne heure ! commenta sarcastiquement Lady pas le moins du monde inspirée par cette mission.
Dernière édition par Loth Reich le Mar 20 Jan 2015 - 21:21, édité 3 fois
Posté Ven 18 Avr 2014 - 3:34 par Loth Reich
Oulan n'avait rien à voire avec les villes portuaires autrefois visitées par Loth. Le port n'avait qu'un seul dock qui ressemblait d'avantage à une jetée qui servait à immobiliser les rares bateaux qui devait y accoster. La "ville" qui s'étendait au delà du port n'avait elle aussi rien en commun avec l'expérience de Loth. A première vue, elle ressemblait plus à ces "camps de réfugiés de guerre" constitués de milliers tentes qu'il avait eu l'occasion de voir en photo dans les journaux écrits. La première impression passée, le marchand hérétique devait admettre que l'endroit était tout aussi bien organisé qu'une ville de béton. Les tentes, de différentes formes, étaient soigneusement alignées de telles manières que les grandes rues et venelles étaient délimitées et clairement identifiables. Au fil d'une longue marche, il apparut à Loth que les tentes étaient regroupées par utilités ou domaines d'activités. Certains "quartiers" ne regroupaient de que grandes tentes où se vendaient des produits pharmaceutiques locaux, d'autres ne regroupaient que des habitations et certains uniquement des établissements de plaisirs. Ils étaient bien organisés à la seule différence que les rues étaient en terres battues et givrées par le climat glacial et venteux des steppes.
La vadrouille du marchand hérétique dura une bonne demie heure toujours sous les regards ahuris des autochtones face à cet étranger en armure. La foule et les gens s'écartaient souvent de son chemin d'un geste affolé puis s'arrêtaient pour le regarder la bouche béante de stupéfaction. Dans le quartier des établissements de plaisir, il s'engouffra dans la plus grande des tentes après avoir déchiffré que l'écriteau au dehors indiquait: "Bar-Hotel la Lance Vigoureuse". Il alla directement s'adresser au barman, indifférent aux rumeurs qui s'étaient tues dès son entrée.
- Bonjour. Connaissez-vous un homme du nom de Ganbaatar? demanda-t-il d'emblée. - P't'être qu'oui, pt'être qu'non. C'dépend de qui l'demande, répondit le barman en un murmure, les sourcils levés lourds de sens. - Un fournisseur. J'ai un cadeau pour lui. - Tu peux m'donner c'cadeau, j'lui remettrai main en main, répondit-il en tendant une main sale vers le coffre que Loth tenait sous ses aisselles. - Un accident est vite arrivé et manchot vous deviendrez si vous ne stoppez cette main, menaça tranquillement Loth d'un regard froid. J'ai de quoi vous payer si vous me conduisez à lui. - Dans ce cas, je pourrai t'y conduire, déclara une voix aiguë dans son dos.
Loth se tourna et se retrouva en face d'un homme de taille moyenne drapé dans un gros manteau en peau de dromadaire, et coiffé d'un Ouchanka. Il avait le même teint blanc sale que les autochtones, des moustaches effilées et pointues, de petits yeux vifs et alertes semblables à ceux d'un rat. Un long nez et des dents de lapins complétaient le tableau que Loth s'était fait.
- Mes amis m'appellent Örgödöl, brave m'sieur. Ça veut dire "le rat". - Tu m'étonnes..., pensa Loth avec un brin d'humour. Vous pouvez me conduire chez ce Ganbaatar? - Le Grand Ganbaatar, corrigea-t-il comme si Loth avait été impoli. Il vit au delà du grand fleuve des morts, sur les terres des cranes fendus. Le soleil n'est pas encore au zénith, si nous décampons maintenant, nous pourrons y être avant demain soir si tout va bien, couina-t-il. - Sympa les noms, pensa Loth. Si tout se passe bien? Il y a des dangers sur les routes? - Les clans qui peuplent les rives du grand fleuve des morts sont réputés pour leurs sauvageries, mon brave m'sieur et les terres des cranes fendus sont une zone de non droit où même le Sarum a des difficultés à imposer sa loi. Mais n't'inquiètes pas je connais les chemins les plus surs. J'suis un des meilleurs guides du pays. - Pourquoi pas, un rat, ça fouine, pensa Loth. Sur combien tablons nous pour vos honoraires? - Le rat demande sa part seulement quand la mission a été un succès mon brave m'sieur. Poses moi la même question seulement quand je t'aurais emmené au Grand Ganbaatar.
Sur ce, le rat sortit du bar avec Loth sur ses talons. Ils se dirigèrent vers une étable à chevaux où ils louèrent deux belles bêtes. Ils s'élancèrent ensuite au triple galop vers le septentrion, en direction du grand fleuve des morts.
*****
- Grrrrrr, j'ai de plus en plus froid. - Une personne normale serait déjà en hypothermie Sergent, je veux dire Madame, je veux dire Lady. Mine de rien, c'est plus de cinquante kilomètres que nous avons parcourus dans les steppes givrées pour arriver ici à Oulan. - Merci, Caporal pour ces fades exposés, vas plutôt me chercher un truc chaud à me mettre dans le gosier , grinça-t-elle des dents.
Partis de l'auberge où ils avaient momentanément trouvé refuge, les deux marines d'élites s'étaient enfoncés dans les terres givrées mordues par le vent glacial. Il leur avait fallu près de trois heures pour parcourir la distance séparant cette bourgade de la ville portuaire d’Oulan. Ils s'étaient aussitôt précipités dans un restaurant où l'odeur alléchante des mets chauds les avait irrésistiblement attiré. Pratique aussi parce que ce restaurant, "Le héros", était le lieu de rendez vous avec leur indic. Le Caporal revint quelques minutes plus tard avec deux plats fumants.
- C'est du Horhog, commenta-t-il en désignant leurs plats qui débordaient de viande cuites à points, de navets et d’œufs durs. C'est leur ragoût traditionnel, la viande rouge c'est du mouton cuit sur des pierres chaudes et... bon appétit Lady, ajouta-t-il quand il se rendit compte que le sergent avait entamé son plat d'un appétit vorace sans prêter attention à ses commentaires.
Ils mangèrent dans le silence jusqu'à ce que les rafraîchissements -façon de parler parce que les liquides étaient brûlants- leur fussent servis. La cruche que le serveur posa sur la table dégageait une odeur si particulière que Lady Ombeline ne put s'empêcher de relever la tête de son plat, pour la première fois depuis qu'elle avait commencé à manger. A sa question de savoir ce dont regorgeait la cruche, le serveur lui répondit qu'il s'agissait du breuvage traditionnel de Barren, du lait de Yak. Il posa ensuite une question qui fit tilter les deux marines.
- Pardon?, demanda Lady qui n'était pas sûre d'avoir bien entendu. - Je vous demandais si vous désiriez autre chose. Peut être une sauce au Taimen?
Le mot "Taimen" avait fait tilté les marines. C'était le nom de code par lequel ils avaient décidé de prendre contact avec leur indic. Le nom lui même était celui du plus grand poisson d'eau douce de cette partie de North Blue. Lady Ombeline dévisagea longuement le serveur. Mollasson, chauve et flatteur, ce dernier avait une ridicule petite barbichette blanche qui cachait passablement son long menton fuyant.
- Je vous attendais, et c'est un honneur pour moi de croiser celle qu'on surnomme "L'épée du matin", murmura-t-il en s'adressant à Lady.
Après ce premier contact, les marines durent attendre quelques minutes de plus derrière le restaurant dans un coin à l'abri des oreilles indiscrètes pour que leur indic se libère de sa tâche de serveur. Il était grand temps de rentrer dans le vif de l'action.
- Nous allons devoir marcher sur des œufs durant cette opération. Après quelques dangereuses investigations, il m'est apparu que celui qui se cachait sous le pseudonyme de Ganbaatar était surement un proche du Sarum. - Ah? - Toutes les pistes tendent à le prouver. Les cargaisons clandestines d'ivoires prennent la route du grand fleuve des morts puis disparaissent dans la nature or en logeant le fleuve vers le sud on débouche sur les terres du Clan des arbustes, celui du Sarum. Je sais que c'est mince mais je n'ai rien de plus. Les alentours du grand fleuve des morts sont très insécurisés à cause des clans mineurs qui vivent des razzias et je ne parle même pas des conditions sur l'autre rive qu'on surnomme les "terres des cranes fendus". - Donc tout ce que nous aurons à faire c'est de survivre aux clans qui razzient les bords du fleuve, le longer vers le sud pour tomber sur les terres du Sarum. Et ensuite? On lui dit quoi? , demanda le sergent. - Euh vous lui exposez votre mission, surement qu'il vous aidera. Barren fait partie du gouvernement mondial. - Tu n'es pas un peu naïf pour un indic? Tu veux qu'on débarque à la cour de ce dirigeant et qu'on l'informe qu'un des membres de sa tribu fait de la contrebande mais que nous ignorons son identité? Pour ce que nous en savons, ça peut aussi bien être lui ce fameux Ganbaatar. Ce ne serait pas la première fois qu'un souverain userait de sa position pour s'enrichir, conclut Ombeline. - Qu'allons nous faire alors? - Commençons déjà par nous rendre sur les terres du clan des arbustes. J'improviserai au moment opportun, décida Lady, un sourire carnassier aux lèvres. - Vous avez tout à coup l'air de bonne humeur, Sergent, je veux dire Madame, je veux dire Lady. - Cette mission s'annonce finalement moins facile que ce que je pensais et la perspective de trancher dans le vif me met toujours de bonne humeur !
Posté Dim 20 Avr 2014 - 22:16 par Loth Reich
Les paysages étaient d'une beauté sauvage à couper le souffle. De part et d'autre du sinueux sentier qui les rapprochait du "grand fleuve des morts", s'étendaient des terres plates, quelques fois caillouteuses et légèrement herbeuses. Il n'était pas rare d'apercevoir au milieu des landes un troupeau d'herbivores errants ou broutant paisiblement les quelques rares plantes qui arrivaient à pousser dans ce mollisol. Loth avait un sentiment d'infériorité face à la grandeur de cette nature qui s'étalait au delà de l'horizon visible. Il avait aussi le sentiment que l'hypothermie aurait bientôt raison de lui s'ils ne faisaient pas de pause. Les "steppes givrées" portaient bien leur nom tant le vent qui y soufflait était frigorifiant. L'armure ne changeait pas grand chose à la morsure du froid. Il sentait ses mains quasi-gelées sous ses gants ayant toutes les peines du monde à empoigner la bride du cheval. Il sentait aussi que ses poumons l'élançaient à chaque respiration comme si des milliers d'aiguilles avaient été enfoncées dans ses côtes. Il sentait aussi son souffle gelé qui ne manquait pas d'embrumer davantage sa vue qui s'amenuisait au fil des kilomètres.
- Courage ! Nous y sommes presque, dit le rat comme s'il devinait la fatigue de Loth. Notre climat ne fait pas de cadeau aux étrangers. - On ne peut s'arrêter pour faire du feu?, demanda-t-il en claquant des dents. - Nous ferons du feu une fois à l'abri, sur les berges. Pour vous réchauffer vous pouvez parler, beaucoup parler. - Ah bon?, se demanda Loth qui doutait fort des effets de cette méthode maison, en plus il n'avait jamais été très loquace mais il s'empressa de saisir la perche. Que ferons nous une fois le fleuve traversé? Et d'ailleurs comment le traverserons-nous avec ces chevaux? Il n'est pas profond? - Le grand fleuve des morts est un fleuve gelé, mon brave m'sieur, sourit légèrement le rat. - Je vois. Et ce grand Ganbaatar, comment le trouverons nous au delà du fleuve? - On ne trouve pas le Grand Ganbaatar. Ganbaatar vous trouve. - What? - Ne vous inquiétez pas, vous comprendrez demain quand nous serons dans les terres des cranes fendus. - Mouais, grogna-t-il de plus en plus dubitatif. J'ai remarqué que vous ne bredouilliez pas comme vos autres compatriotes. Vous avez beaucoup été à l'extérieur? - Haha que non ! J'ai servi toute ma vie en tant que guide et j'ai appris sur le tas m'sieur avec des gens comme vous. Bon accélérons la cadence, nous devons être sur les berges avant le soir.
Loth leva les yeux vers le ciel et aperçu le soleil drapé dans son épais manteau de nuages hivernaux. La lumière qu'il dégageait s'amoindrissait à vue d’œil. Une chose était par contre parfaitement visible, c'était l'espèce de foule qui se détachait de l'horizon et se rapprochait à toute vitesse. Une chorale de cris guerriers et sauvage les accompagnait.
- Par tous les dieux..., jura le rat. Ce sont les "Bâtards de l'enfer", le clan le plus sauvage de ce côté du fleuve. Déguerpissons ! hurla-t-il de panique en enfonçant ses éperons dans les côtes du cheval qui coursa à grands trots vers le sud, suivit de Loth ne partageait pas du tout son effroi.
Une partie de lui voulait même en découdre histoire de se dégeler les articulations...
*****
La minuscule unité des marines d'élite avait elle aussi vu le temps défiler en se demandant quand s'arrêterait cette torture glaciale. Elle avait vu arriver le zénith auréolé d'une légère vague de chaleur qui leur avait accordé le répit tant désiré. Elle avait vu arriver le crépuscule en robe de cerfeuil apportant aux steppes des vents plus froids ainsi qu'une légère lumière cramoisie. Maintenant qu'ils posaient pied à terre, plutôt ébahis par l'aspect du grand fleuve des morts qu'ils venaient d'atteindre, la lumière cramoisie se faisaient diffuse et rare. Dame nuit arrivait, nimbée dans son grand suaire noir.
- Et ben, je ne m'attendais pas à ça !, s'exclama le Caporal Brians, hébété. - On dirait qu'il y a eu une terrible bataille ici, ajouta Lady Ombeline. - Des terribles batailles, s'empressa de corriger leur indic.
C'était un poil évident. Emprisonnés dans le fleuve gelé, il y avait des milliers de bout de bois éventrés, cassés. Des flèches, des lances ou épées y étaient aussi gelées. Plus macabres étaient les corps dont on voyait certains bouts. Des têtes humaines arborant des expressions d'horreurs à jamais capturées et figées par le froid, une main coupée par ici, un torse transpercé d'une flèche par là, les cadavres étaient légions.
- Cet endroit fut le théâtre de sanglantes batailles pour la réunification des clans du pays. Nous allons camper ici, ces rochers nous protégerons du froid. Nooon ! Que faites-vous Caporal?! - Je voulais faire du feu avec ces petits bois... - Pour faire de nous des cibles faciles pour les clans pillards? - Mais on se les gèles ! protesta le caporal. Impossible de rester comme ça toute la nuit, nous allons mourir de froid. - J'ai dans ma sacoche de la viande préparée pour nous réchauffer et nous donner des forces. Nous nous tiendrons serrés en cercles pour ne pas disperser la chaleur. - Vous plaisantez? On ne va pas se tenir là dans le noir jusqu'au... Lady vous êtes d'accord avec ça? Lady? Que faites vous?
Le sergent était couché à même le sol gelé, l'expression trahissant une énorme concentration. Plus d'une fois, elle rampa de biais et tâta le sol de ses paumes. Elle sourit finalement au grand désarroi de ses deux subordonnés.
- Qu'y a t-il?, demanda inquiet l'indic. - J'entends des bruits intéressants. Des vibrations qui ne peuvent être que la résultante de dizaines d'hommes qui chargent. J'aime ce bruit, on dirait une armée à l'attaque.
*****
La tentative d'échapper aux "Bâtards de l'enfer" se révéla vaine. Les sauvages cinglèrent le fleuve des morts à une vitesse ahurissante, montés sur des embarcations à voiles qui patinaient sur la banquise. Le vent était au rendez vous, ainsi ils n'avaient aucun mal à avancer. Loth et le rat furent rattrapés en quelques minutes. A mesure que leurs ennemis les rattrapaient Loth eut le temps d'analyser la racaille. C'était un petit groupe d'une trentaine de sauvages bien bâtis, empêtrés dans des fourrures, des colliers et des casques à base d'os d'animaux leur perlant le cou. Leurs armes étaient en majorité de grandes haches.
Les premières embarcations leur barrèrent le chemin et ils furent vite encerclés. La solution du combat s'imposa d'elle même quand la horde s'élança toutes armes dehors. Loth tendit sa main à sa droite et arracha le rat de sa selle. Il ne pesait pratiquement rien si bien que Loth le jucha sur son dos sans peine. Il descendit de son cheval à qui il donna une tape à l'arrière train, ce qui le fit détaler. Il dégaina sans se faire prier "Appolyon", son énorme épée et l'opposa de biais à un coup de hache. Il dévia l'arme et fit reculer ses assaillants en tournoyant sur lui même. Les deux mètres de longueur de l'épée lui conféraient une portée assez considérable et son tranchant, une arme arme mortelle. Les plus lents des sauvages furent tailladés comme du beurre. Deux ou trois s'écroulèrent dans une giclée de sang. Loth décéléra son mouvement rotatif, prit ses appuis, flancha des genoux puis sauta. Il eut un bref aperçu d'ensemble du beau monde qu'il devait combattre. Son élan l'emporta en dehors de leur étau mais à peine avait-il atterri qu'ils se ruèrent sur lui. Le métal contre le métal émit un bruit strident de grincement. Sans discontinu, Loth parait les coups, contre attaquait, évitait, tranchait. Les sauvages avaient à leur avantage le nombre mais leur faisaient défaut la technique, la force et surtout la discipline. Chacun était tellement pressé d'être le premier à abattre Loth que parfois ils se gênaient mutuellement et plus grotesquement se rentraient dedans de temps à autre. Leur stupidité permit à Loth d'en embrocher deux d'un coup sur sa lame. Appolyon en devint écarlate dans la nuit tombante.
Malheureusement pour le marchand hérétique, une fois la première dizaine des leurs tombés sous ses coups, les sauvageons commencèrent à devenir beaucoup plus oppressants, plus stratégique. A croire que Loth avait seulement éliminé les brebis galeuses de leur rang. Ils attaquaient avec une bonne coordination si bien que l'homme en armure en perdit vite la tête à tourner partout pour parer les coups. Leurs haches s'élançaient vers lui et pareille à une langue de serpent, elles mordaient, se rétractaient en un clin d’œil, feintaient bas, harcelaient la jugulaire. Loth connu bientôt ses premières blessures, quand la vague d'attaque l'emporta. Ses cuisses et avants bras furent moyennement lacérés de coups de haches. Les sauvageons avaient appris à l'attaquer sur ses parties non protégées. Le sang qui giclait cette fois ci était le sien mais de cela, il s'en fichait. Telle était sa manière de combattre, dans ses défaites comme dans ses victoires, il n'en avait jamais eu cure de ses dégâts corporels quitte à finir comme d'habitude à l'hôpital. Il ne se souciait pas davantage des hurlements craintifs d'Örgödöl le rat, qui le suppliait de s'enfuir à toutes jambes. Bien que son poids dans son dos ne représentât pas un handicap, sa protection l'était en revanche. Loth devait bouger plus rapidement que d'habitude, prendre en compte sa position face au danger. Tout cela le mettait en position de faiblesse.
Le marchand hérétique tomba au même moment qu'un sauvageon dont il fendit le crane d'un seul coup d'épée pendant qu'un autre lui enfonçait sa lance dans la cuisse gauche. Aucun râle ne s'échappa de lui quand il toucha le sol de son autre genou, plié par la douleur. Il sentit le poids du rat disparaître ce qui signifiait que les sauvages avait fait main basse sur lui. Un d'entre eux d'ailleurs s'empressa de lui retirer Appolyôn des mains mais l'épée étant trop lourde, il ne put que la traîner lourdement au sol. La douleur de sa cuisse trouée l'aveuglait et le sang perdu commença à l'étourdir. Il connaissait très bien ces symptômes, l'évanouissement était proche.
- Toi, étranger, sur nos terres, grogna un des sauvageons pendant que les autres s’esclaffait de la position humiliante de Loth. - Que...que...voulez...vous? bégaya le marchand hérétique malgré la douleur. Il ne perdait jamais l'espoir d'un compromis même dans les situations les plus désespérées. - Rien. Nous vouloir rien. Juste ta tête ! - Elle...est...très...moche. Vous..en...êtes...sûrs? rigola Loth malgré la situation. Il est vrai qu'il était une horreur sous le masque de l’Épiderme. - Toi aller en enfer ! - Pas avant d'avoir vu Ganbaatar...
La réplique de Loth qui se voulait rigolote précéda un étrange sifflement. Une seconde plus tard, une lance perforait le torse de son interlocuteur en l'éclaboussant de sang. Il faisait nuit noire et la lumière de la lune n'aidait nullement à distinguer quoique se soit. Loth ignorait même combien de sauvageons étaient en vie en ce moment. Ce qui lui semblait clair par contre c'est que quelqu'un ou des gens prenaient ses ennemis pour cible. Un tintinnabulement de clochette emplit la steppe. Le sauvage à sa droite tomba dans un hurlement de souffrance, l'abdomen perforé par une épée. Loth eut juste le temps de voir l'ombre qui en était responsable que déjà elle avait disparu. Les sauvages grognaient et juraient dans une langue semblable à un râpage. Il était clair qu'ils étaient désemparés, épouvantés et impuissants. D'autres cris furent échos à la chute des leurs puis des martèlements de pas sur le sol indiquèrent à Loth qu'ils prenaient la tangente en rang désorganisé, vaincus par cet ennemi invisible.
Pas si invisible que ça. Quelqu'un alluma une torche de bois au feu ronronnant qui éclaira la scène. La banquise du fleuve des morts était teintée d'écarlate et partout au tour de lui gisaient les corps des sauvageons qu'il avait lui même abattus et ceux des autres tombés sous les coups des nouveaux arrivants. Celui qui tenait la torche était un petit homme au teint noir. A côté de lui, le katana encore ruisselant de sang, une femme au chapeau de paille souriait d'une émotion contenue. A l'écart du groupe, un troisième homme chauve aidait le rat à se relever.
- Vous tiendrez le coup? lui demanda le caporal Brians. Nous avons fait aussi vite que possible dès que le sergent, j'veux dire la dame, j'veux dire Lady Ombeline a repéré les échos des attaques. N'est ce pas sergent?
Pour toute réponse, le katana de Lady Ombeline fusa à la vitesse de l'éclair et finit sa course sur la gorge de Loth encore agenouillé de douleur. Il sentait le froid du métal contre la combinaison noire qui couvrait son cou. Loth ne cilla point face à ce nouveau retournement. De marbre, il observait silencieux le rictus de la femme au visage dissimulé sous le chapeau de paille.
- Je m'interroge sur le motif de l'attaque de ces sauvages. Qui êtes vous mon cher monsieur? Victime ou oppresseur?