La vie est une maladie foutrement longue. Le seul remède qu'on a trouvé, au jour d'aujourd'hui, c'est la mort. Vous parlez d'un vaccin, vous ... D'abord, on n'existe pas, à ce qu'il paraît. Certains parlent des vies antérieures, des expériences vécues dans une autre vie. On aurait des souvenirs qui ressurgissent de ça, des trucs qui influenceraient nos existences futures. Mais bon, dans l'absolu, avant de naître, on n'existe pas, point barre. Et ça, c'est pas Malégor qui vous contredira. Déjà qu'il a du mal à exister à l'heure actuelle ...
Mais on oublie trop souvent de parler de sa naissance, quand même. On ne vient au monde qu'une fois, merde ! Pourquoi on reste silencieux là-dessus ? Pourquoi on nous raconte pas les anecdotes croustillantes du moment M ?
« Hips ! Ça fait du bien là où ça passe, 'tudieu ! »
D'accord, j'admets. Je reconnais, j'avoue, je confesse ! Parler de sa naissance, c'est pas quelque chose de simple à faire. Et pourtant, vous voyez ce type, là ? Le bonhomme avec sa bouteille de rhum à moitié vide, qui reste planté là comme le légume qu'il est ? Eh bien lui, il peut vous raconter tout ça.
Dernière édition par Malégor Redscar le Jeu 24 Avr 2014 - 2:50, édité 1 fois
Posté Jeu 24 Avr 2014 - 1:50 par Malégor Redscar
Tout avait commencé par une belle journée d'été. Un soleil radieux, des températures clémentes, un ciel azur, sans aucun nuage pour l'entacher. On entendait le piaillement rieur de petits oiseaux dans le lointain. La canopée florissante d'un petit verger exhalait un parfum sucré. Les pommiers essayaient de voler la vedette aux poiriers, qui eux-mêmes venaient de détrôner les citronniers. Une petite rivière courait tranquillement entre les collines, et son eau claire abritait de nombreux poissons. Des truites, des brochets et plein d'autres encore, que les enfants aimaient à pêcher. Ah, les enfants ... De mignonnes petites créatures dont la voix vous égaie le cœur ! Les voir courir partout, rivalisant d'éclats de rires et de cris enthousiastes, bataillant férocement avec des épées faites en branches d'arbre véritables ou jouant avec des poupées de paille et de chiffon ... Eux, ils étaient déjà passés par cette difficile épreuve qu'était la naissance. Mais pas Malégor, pas encore. Lui, il ne faisait pas encore partie de ce petit monde, où tout était petit.
Il se revoyait, patientant dans un endroit sombre, confortable. Comme un petit salon, son verre de vin à la main, une cigarette dans l'autre. Oui, il fumait avant de naître. Pas beaucoup, il essayait d'arrêter. Bref, dans tous les cas, il entendait les bruits de l'extérieur, ce concert de joie et de bonne humeur qu'il ne tarderait pas à connaître. Il se sentait prêt. Aussi douillet que pouvait être son foyer, il savait que le monde, là dehors, lui proposeraient mille et un autres délices. Il en avait déjà un aperçu avec ce verre de vin qu'il sirotait doucement. Du blanc, sirupeux et terriblement sucré. Le genre de vin bien écœurant quand on en boit trop.
« Allez-y, madame, on peut commencer. »
Malégor redressa la tête. L'heure du spectacle avait sonné.
Posté Jeu 24 Avr 2014 - 2:21 par Malégor Redscar
Ça n'avait pas duré très longtemps. Rapide et efficace, ce médecin. Malégor le conseillerait, plus tard. Mais son verre de vin avait disparu, de même que sa cigarette. La blouse blanche les avait récupérés. Cruelle créature, indifférente aux souffrances des autres. « Rends-moi ce qui m'appartient ! » hurlait Malégor. « Sale voleur, je vais te péter la gueule ! ». Et il l'avait fait. Enfin, il avait essayé. Il avait visé le masque de l'homme. Si sa bouche était protégée, c'était sans doute parce qu'il s'agissait de son point faible. Agir vite, mais agir intelligent.
Malheureusement, l'assaut avait échoué. Avortée, sa vengeance. Tuée dans l'œuf. Le docteur avait gagné son verre de vin presque vide et sa clope entièrement grillée. Mais quand même, du vin blanc sirupeux et sucré ...
« C'est un joli petit garçon que vous avez là, madame. - Gontran ... C'est son nom ... avait susurré sa mère, apparemment fière du prénom. - Gontran ? Mais ça va pas bien ? Comment je peux être sérieux devant un barman, avec ce nom ? Quand j'arriverai, il me dira "Eh, Gontran ! Un p'tit verre ?" et ça sonnera pas bien. Change ! »
Elle avait dû obéir, parce qu'ils avaient marqué "Malégor Redscar" sur sa feuille de naissance. Ils ? Sa mère. Une grande femme, belle, le teint mât et les cheveux sombres, les yeux verts étirés en amande, les lèvres roses, le visage sillonné de larmes. Son père. Sa copie conforme, mais avec une moustache bien fournie. Le docteur. Un monstre de blanc et de vert vêtu, avide et avaleur de vin, de cigarette et d'autres choses, sans doute.
Bref, après coup, Malégor s'était retrouvé installé dans un petit lit. Et sur ce petit lit, dans ce petit monde, ce n'était pas une fée qui était venu lui chuchoter son destin au creux de l'oreille. Non, c'était l'haleine chargée de vinasse de son père qui l'avait bercé.
« Mon fils, tu deviendras quelqu'un de grand. - Au moins 1m90, papa. - Haha ! Ce jour marque le début d'une grande destinée ! »
Posté Jeu 24 Avr 2014 - 2:40 par Malégor Redscar
Malégor ouvrit les yeux, les narines frémissant à l'odeur du vieux pinard bien prononcée. Quelqu'un buvait, quelqu'un l'avait réveillé. Il fronça les sourcils et observa les environs. Il était sous un pommier avec, en face de lui, un grand citronnier aux branches chargées, ployant sous le poids de multiples fruits bien mûrs. Dans le lointain, il entendait toujours de petits oiseaux gazouiller avec, en fond, le bruit clair de la rivière qui cavale à son rythme. Le village situé à quelques dizaines de mètres avait déjà rangé les exclamations des petits bouts d'homme qui braillaient encore quelques minutes plus tôt.
Ronchon, le pilote se releva et se frotta le dos. L'écorce de l'arbre fruitier avait ruiné ses lombaires. La pomme accompagnait bien certains alcools et faisait des cocktails du tonnerre, mais le bois, bon sang, le bois ! Pourtant, un sourire parcourait son visage. Avait-il simplement rêvé sa naissance, avec son esprit terrassé depuis longtemps par l'alcool, ou bien expérimentait-il des visions de ses vies passées et futures ? Il n'en savait rien. Il savait simplement que son père ne lui avait pas menti, pas cette fois : un grand destin l'attendait, et tout avait commencé 21 ans plus tôt, en 1604.
Le monde avait tremblé quand Malégor était né. Et maintenant qu'il vivait, il allait s'écrouler pour de bon. Mais d'abord, il devait rendre sa coupe à saké à son ami pirate inconnu. Et ensuite, il ferait s'écrouler le monde.