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South Blue- Année1625 – Au large de Torino

Scène 1 : L'épave


Les derniers feux d’un soleil qui s’éteint baignaient d’une funeste lumière la carcasse éventrée d’un navire. Partout autour, sur l’onde glacée des eaux, l’on pouvait voir des débris flottés à la surface. Alors que je m’approche sur un radeau de fortune emprunté aux habitants de Torino, je ne peux qu’être le témoin des derniers soubresauts de vie qui s’échappent du bois qui grince et gémit. A l’aide de ma pagaie, j’oriente mon radeau dans l’une des nombreuses brèches pour me retrouver à l’intérieur de la carcasse. De plus près, je peux apprécier les différents dégâts de la quille et de la coque, les récifs n’en ont fait qu’une bouchée.

Que le navigateur aurait fait exprès qu’il ne s’en serait pas mieux pris pour empaler cette bête contre les lances de roche de dame nature. Passons, c’est à la marine de faire la lumière sur ce qui a conduit à cet accident, pas à moi. Des flammes naissent et meurent à la surface d’un bois trop mouillé pour servir de combustible. Je ne devrais pas me tenir ici, qui sait quelle matière inflammable s’y cache. De la poudre peut être ? Non, le bateau aurait implosé depuis longtemps si tel était le cas. Alors que contenait ce vaisseau pour qu’une investigation du bureau soit lancée ? Pourquoi la marine n’était pas en charge de ce dossier et pourquoi n’était-elle pas encore sur les lieux ? Tandis que nombres de question s’emparent de mon esprit en cet instant, je poursuis mon avancée après avoir allumé une lanterne, seule source de lumière au cœur de ces ténèbres. Les derniers rayons du soleil sont de plus en plus diffus et je me retrouve dans les entrailles de cette bête faite de fer et de bois en ne sachant toujours pas  quoi penser de cette mission.

Garder mon sang froid, garder la tête froide et se concentrer sur les faits et les indices, voilà les seules choses qui devaient entrer en ligne de compte, tout le reste n’était que superflu pour l’heure. Toutefois, retrouver une cargaison sans en connaître le contenu, voilà bien une situation dont je me passerais volontiers. Cependant la messe était dite et nul ne pouvait se restreindre à un ordre du gouvernement, moi le premier. Alors, à la lueur de ma lanterne, j’éclairais l’intérieur de l’épave. Mes pas me conduisent jusque dans la cabine du capitaine. Là, je peux apprécier la richesse de l’endroit. Sans être comparable à celle d’un haut gradé ou d’un noble, elle possédait un côté à la fois pratique et conviviale que j’appréciais. Des tableaux de chasse habillaient les murs tandis qu’un tapis de bonne qualité recouvrait le plancher du sol qui commençait à se gondoler à mesure qu’il prenait l’eau. Aussi l’on y retrouvait une table en bois noyé dont les arabesques soigneusement dessiné dans les nervures ne pouvaient que souligner le bon goût de celui qui y logeait. Enfin quelques commodes étaient disposés ici et là.

Leurs nombreux rangements et leurs dispositions me firent penser à la présence de double fond. Cela pouvait tromper tout un chacun, mais sans doute pas un agent en fin de formation. Après avoir disposé la lanterne sur la table au centre de la pièce, je pouvais plus nettement distinguer ce qui m’entourait. Un à un, je retirais les différents compartiments avec soins et méfiance. Après tout, avoir recourt à pareil subterfuge indiquait clairement des choses à cacher par un esprit qui tentait de garder ces mêmes choses secrètes. De fait, qui sais quel sort il réservait à ceux qui tenteraient de s’en emparer. Un parchemin replié sur lui-même, voici déjà une première découverte. Alors que je m’en empare avec parcimonie, je me rends compte peut être hâtivement que j’ai été plus paranoïaque que le possesseur de ce qui se révèle être une carte à la lueur de la flamme qui dansait sous le verre.

Des déplacements et des points d’arrêts ainsi que les différentes voix empruntés par les patrouilles de la marine, voilà ce qui était inscrit sur le parchemin. Aussi, l’on pouvait voir des chiffres et toute une comptabilité répandu sur le papier. De quelles natures étaient ces transactions et comment ont-ils pu obtenir les sillages de la marine ? Cela restait un mystère de plus à élucider. Pour l’heure il me fallait me retirer, gageons que me rendre dans le point marqué le plus proche me permettra d’en savoir davantage. Alors que le vaisseau prend l’eau, je le sens doucement chavirer ce qui marque la fin de ma fouille. Là, j’entends un bruit de pas à fond de cale.

Avec hâte, je plie le parchemin puis le glisse sous mon habit. Après quoi mes jambes me conduisent jusque sur mon radeau. Un cliquetis de mousquet, une balle figée à deux centimètres de moi et une traînée de fumée plus tard, je me rendis à présent compte que je n’étais effectivement pas seul dans cette carcasse. Mon assaillant venait de se retirer après avoir mis une chaloupe à l’eau. Voilà qu’il pagaie comme s’il avait le diable aux fesses, ce qui n’est pas vraiment faux… Tandis que je calque mon mouvement sur le sien en tentant de mettre plus d’intensité pour le rattraper, je me tourne et contemple l’épave s’engouffrer dans les abysses des eaux.
Je combats le reflux qui me tire en arrière alors que les eaux avalent le bâtiment. Le visage grimacé par l’effort, je ne panique pas et je garde un rythme constant et dynamique. Mes bras me brûlent, mais je finis par ne plus faire du surplace. Ma cible a pris de la distance, peu importe, je sais qu’elle se rend sur Torino. Alors que le jour se meurt je rame de toutes mes forces. Quelque chose me dit que je ne vais pas aimer ce que je vais découvrir…
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Scène 2 : La traque


Le vil a pris de la distance sur moi, le voilà qui met déjà un pied sur l’île. C’est étrange, il n’a même pas cherché à savoir qui j’étais, il a tiré sans aucune sommation. Soit il n’avait aucune confiance en lui et il a donc préféré une attaque surprise, soit il a jugé que ce qu’il avait à garder pour lui était bien plus important que de connaître mon identité. Pire encore, peut-être qu’il sait déjà qui je suis. Après tout, son équipage avait des plans sur les différents allés et venus de la marine. Quelles autres informations détenaient-ils ? Cela reste à découvrir et c’est bien ce que je m’apprête à faire.

J’ai enfin mis pied à terre. Mon corps est déjà quelque peu endolori par l’effort et il va donc me falloir en tenir compte pour la suite. Des traces de pas sur le sable, mon assaillant m’a laissé une belle piste à suivre, mais pour l’heure saboter mon radeau ainsi que sa barque s’avère la meilleure chose à faire. Qui sais ce qu’il m’a réservé, j’ai déjà eu un exercice où le fuyard avait pour but de nous faire cavaler avant de regagner son point d’origine et de s’en aller tranquillement après, bien entendu, avoir fait en sorte de nuire à notre moyen d’extraction. Voilà qui est fait, ces deux embarcations n’iront plus nulle part et pour ma part, trouver un moyen de quitter cette île entrera en ligne de compte après, après avoir trouvé ce fuyard.

J’entame alors une course effrénée, mes foulées sont régulières et déliées. J’inspire par deux fois successivement puis je souffle et ainsi de suite. Je calque alors ma course sur le rythme de ma respiration. Mes pieds touchent à peine le sol qu’il le quitte déjà. Mes bras, bien calés le long de mon corps, fendent l’air et participent entièrement à mes déplacements. Je le vois, enfin j’aperçois un point qui lui ressemble étrangement. Il n’a pas voulu couper par la forêt, sans doute a t’il entendu parler des aborigènes et autres animaux qui peuplent l’île. Moi je prends le risque. Un arbre couché sur le sol oriente ma course, je saute et d’un bond je passe l’obstacle, le bruissement des feuilles sur mon chemin bourdonne dans mes oreilles en même temps que le tam-tam incessant de mon cœur qui s’emballe. Le terrain est traître, bosselé, mais malgré tout j’accélère, j’enrage, un intense sentiment s’empare de mon être,  je me sens fort et je peux ressentir pleinement la mécanique de mes muscles pareils à des rouages bien huilés qui coopèrent parfaitement dans un même but, dans une même entreprise qui est la capture de celui que je poursuis.

Je continue et m’efforce de poursuivre dans cette même intensité. Il est là, là juste devant moi. Je le vois à présent distinctement au travers des arbres qui jalonnent la lisière de la forêt, plus que quelques foulées et je serais sur lui. Plus fort, plus vite, ma sueur peine à refroidir mon être entier qui bouillonne, je suis un chasseur et il est la proie, j’aime cela, ça ne m’était encore jamais arrivé. Il court et tente de fuir, mais je le rattrape, je visualise clairement les quelques mètres qui nous sépare, quelques pas à peine quand soudain je perds le contrôle, je m’évade et tout autour de moi devient calme, tout stagne dans un profond mutisme, plus aucuns bruits ne me parvient. Je n’ai alors pas le temps de comprendre ce qu’il arrive que mon corps heurte avec force celui qui fuit. Comment me suis-je retrouvé si près tout d’un coup ? A dire vrai j’en ai une petite idée, mais l’incompréhension totale elle, hante le regard du fuyard qui me regarde alors comme si j’étais un monstre de foire. Un coup du plat de la main contre sa nuque et le voici qui rejoins les eaux du sommeil.

Exténué, c’est le juste mot qui me qualifie. Sur le sol, mon corps entier se ploie sous le joug d’une douleur acceptable. Il me faut reprendre mon souffle et mes esprits, mais j’ai le temps avant que ce fuyard n’émerge des bras de Morphée.  Moi, je souris au ciel, je souris bêtement, car je crois que je commence à aimer ce que je fais.

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