La fosse. Partie I
An 1624 – Ile inconnu – West Blue
De tout temps l’homme a toujours aimé répandre le sang et de préférence, celui de son opposant. Manfred était un de ceux-là. Un homme bedonnant et qui approchait de la cinquantaine. Il avait les yeux de ceux qui ont tout vu dans leur vie. Une mine grincheuse et lassée hantait constamment son visage tant et si bien que celui-ci en a été creusé par le temps et l’amertume jusqu’à devenir son faciès habituel. Il n’aimait personne et ne croyait qu’en une seule chose : les intérêts. Nous sommes tous régis par des intérêts et nous nous accomplissons en les défendant ou en œuvrant pour eux. Bien entendu, cela ne peut se faire qu’au détriment de son prochain. Voilà pourquoi ce jeune loup qui n’avait rien, avait à présent tout ou presque. Oui, il connaissait la nature humaine comme personne et son habileté à déceler les intérêts de chacun en avait fait un esprit avisé et pragmatique capable d’envisager plusieurs solutions à un problème jusqu’à en choisir la plus adaptée.
Cette faculté lui a valu les faveurs de plusieurs pirates ambitieux, de malfrats indépendants et plus régulièrement, de la mafia. Il élaborait pour ses clients des stratégies, des plans d’action ainsi que des placements financiers et, sur chacun de ces aspects, il gagnait une commission bien méritée. Cet esprit acéré avait su se constituer avec du temps et de la patience un portefeuille bien garni ainsi qu’un nombre de contacts impressionnants avec lesquels il nouait des liens le temps d’une opération.
En effet, il ne travaillait jamais longtemps avec les mêmes personnes et jamais deux fois sur un même centre d’activité. Etre imprévisible était l’un de ses credo les plus chers. Toutefois, avec les années, sa meilleure arme qu’était ce formidable esprit dont il était doté s’était révélé être son plus grand ennemi. Une dualité avait pris forme dans ses pensées. Un ennemi impalpable et invisible qui résultait de la somme des prévisions les plus néfastes et les plus dangereuses, la sève de ses craintes et de ses doutes. A présent il n’était jamais seul. Sans devenir schizophrène, il avait nourri un monstre qui sommeillait dans son subconscient au point d’en être devenu paranoïaque au dernier degré. S’il se méfiait de ses potentiels ennemis ou adversaires, aujourd’hui, il se méfiait de tout un chacun et surtout de ceux qui travaillaient pour lui. Dans ce monde, on ne pouvait faire confiance à personne, car chaque être devait satisfaire des intérêts qui leur étaient propres, des intérêts égoïstes. Il savait alors que dans l’ombre gigantesque de l’antre qu’il avait bâtie depuis tant d’années grouillaient des vermines qui ne juraient que par sa mort.
Après un pareil constat aussi amer que sa personne, Manfred avait trouvé une solution à cet épineux problème qu’il s’était lui-même posé. Aussi et parce qu’il ne perdait jamais le nord, il s’en était allé voir la grande majorité de ses comparses en leur exposant la situation. Suite à cela, chacun des concernés en étaient venus à douter des sous fifres qui les accompagnaient. Pour beaucoup, ils étaient entourés d’une vieille garde qui connaissait le moindre de leurs déplacements. Dès lors, éliminer le boss et s’autoproclamer roi n’avait plus l’air si nébuleux que cela. Les prévisions de Manfred s’étant toujours révélés payantes, alors, cette fois aussi, ils furent nombreux à le suivre et à soutenir sa solution : la fosse.
Il s’agissait réellement d’une fosse. D’une gigantesque arène à ciel ouvert dans laquelle étaient purgé dans le sang les collaborateurs qui auraient pu se révéler gênant. Certes, ces derniers n’avaient rien encore fait et pour la plupart, ils n’allaient ô grand jamais nuire aux intérêts de leur chef respectif. Cependant c’était une éventualité et à toutes éventualités il fallait y être préparé. La fosse ou la purge, comme certains l’appelaient, se déclinait en plusieurs éditions qui avaient lieu de manière irrégulière et jamais dans un même endroit. Tout ce qui entourait cette activité demeurait dans le plus grand des secrets. Saboter un plan avant même sa conception, il n’y avait que l’esprit singulier de Manfred pour y avoir songé et surtout, pour avoir mis en application une telle pensée.
L’homme était imprévisible et c’est ce qui faisait sa force. Si la fosse était pour lui un moyen de purger son entourage, c’était également devenu une attraction, un passe-temps, un plaisir, l’un des derniers qui le faisait encore jubiler et saliver lui qui, en plus d’avoir tout vu, avait déjà tout goutté ou presque. Et c’est ainsi que ses sbires tombèrent les uns après les autres dans le plus grand silence. Bien sûr, il y avait également de ‘réels’ opposants dans le lot. A ceux-là vinrent s’ajouter des bras droits de familles mafieuses, des pirates avec qui il avait fait affaire ou avec qui il avait seulement échangé un mot.
En somme, il y avait de tout ou tout du moins pas tout à fait. Il manquait des marins et autres fidèles du gouvernement. Toutefois, ce n’était ni une erreur, ni un oubli. Non, Manfred se faisait un point d’honneur à ne jamais se frotter au gouvernement. Il le savait, une fois prit dans cet engrenage, on en sortait jamais indemne. De plus, il n’avait rien à gagner à se mettre la plus grande et puissante organisation du monde à dos. En revanche, si lui s’était fait une religion de ne jamais s’approcher du pilier du monde, le gouvernement lui, n’était pas dupe. Nombres d’opérations et de coups de filet avortèrent à cause de Manfred et de son génie de l’anticipation. Il n’en fallait d’ailleurs pas plus pour que la plus grande autorité ouvre un dossier sur lui.
Néanmoins, à de nombreuses reprises, on avait fait chou blanc. Il était réellement insaisissable. Poursuivi par cet ennemi qui n’était autre que lui-même et qui jamais ne lui laissait de répit, il bougeait sans cesse et les endroits qu’il fréquentait ne présentaient aucuns liens les uns avec les autres. Bien qu’il menait la grande vie, il pouvait se soustraire à son rang social pour dormir dans le bouge le plus infâme pour peu qu’il pensait que c’était la chose la plus prudente à faire.
Dernière édition par Sorrento Olin le Sam 14 Juin 2014 - 13:08, édité 4 fois