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Patient Numéro 6

Un index ridé se pose sur l’interrupteur du Den Den, et le bruit blanc vient assassiner le silence lugubre de la pièce. L’individu redresse ses lunettes pour les ajuster, et passe sa main sur sa nuque. Il est fatigué, tendu et un peu lassé également. L’enregistrement démarre.

« Professeur Wisselhöf, enregistrement 2. Ce dossier vocal est confidentiel et réservé au personnel spécialisé de l’hôpital. »

Il marque une pause, des bruits de papiers froissés, puis un reniflement. L’homme reprend.

« Selon les rapports fournis par les représentants de l’ordre, le patient a été interpelé et capturé aux abords de Shell Town, Il n’a subi aucune forme de procès ou de jugement et a été transféré dans notre établissement directement en vue de la gravité et surtout de la nature des charges. »

Nouveau silence, le professeur s’humecte les lèvres comme s’il s’apprêtait à énoncer ses droits à un suspect. Soupir, puis il reprend la parole.

« Agressions, vols avec violence, meurtres, actes de cannibalisme, tortures physiques et morales, le patient semble n’avoir aucune limite éthique, et cela se vérifie aisément. La résistance dont il a fait preuve lors de son arrestation au cœur de la ville s’est soldée par un véritable carnage. Nombreux blessés, trois morts, dont un… »

Nouvelle pause, plus marquée cette fois-ci. Aucun bruit en revanche, si ce n’est l’éternel grésillement de l’appareil enregistreur. Wisselhöf accuse simplement le choc après avoir lu la dernière partie du rapport établi par la Marine.

« Un représentant de l’ordre émasculé et étêté publiquement, le patient a procédé en utilisant ses dents, agissant comme un animal sauvage, il s’agit là d’un type de malades que je n’ai jamais eu l’occasion d’analyser ou même simplement d’observer, les séances démarreront demain matin.»

Le bruit blanc cesse dans un claquement de pellicule, et reprend immédiatement. L’ambiance sonore a changé, témoignant qu’il s’agit d’une pièce différente. La voix du professeur est passablement couverte par des râles et des hurlements, rendant la compréhension de l’enregistrement complexe.

« Professeur Wisselhöf…  Enregistrement, attention ! Enregistrement 3. Je… Je suis actuellement en présence du sujet, que nous avons isolé dans une pièce pour interrogatoire et analyse comportementale. Il… »
« Ecartez-vous professeur. »
« Pardon. Il… Nom du patient inconnu, il a été placé sous sédatif. Lorsqu’il a été interpelé, les forces de… de l’ordre excusez-moi, il a été trouvé dans un état déplorable. Son visage était couvert de bandages, mais il ne semble souffrir d’aucune blessure. Visage semblable à celui d’un adolescent mais musculature d’homme adulte, chauve, faible constitution, il déploie pourtant une force impressionnante.»

Cinglant bruit de métal froissé, la bête est enragée et la situation devient plus que délicate. On l’entend hurler de rage, prononçant des phrases incompréhensibles.

« Calme-toi mon grand, on te veut aucun mal. Calme-toi. »
« RENDEZ-MOI MON CORPS, RENDEZ-LE MOI ! »
« Tu reposes la table, tranquillement. Tu reposes, tu reposes. »
« SILENCE ! »
« ECARTEZ-VOUS ! »

Assourdissant craquement, la piste s’interrompt après une dernière série de vociférations bestiales et d’éclats de voix incompréhensibles. Elle reprend immédiatement, le calme est passablement revenu mais une certaine nervosité est perceptible dans la voix du professeur. Elle se mêle sans nulle doute à de l’excitation.

« Professeur Wisselhöf, enregistrement 4. Il m’a été impossible de résumer la situation lors du précédent enregistrement, je vais donc procéder à une explication. Le patient, dont le nom n’a pas encore été soulevé, s’est réveillé dans la salle d’isolement où il a été placé. Il était sale, et semblait mal nourri depuis au moins plusieurs années, si ce n’est depuis sa naissance. Nous l’avons lavé et, après avoir compris que les bandages qui ornaient son faciès n’étaient que cosmétiques, nous les avons retirés. »

Un document déplacé, un crayon entre en contact avec une surface métallique dans un tintement significatif. Il s’apprête à prendre des notes pour faciliter son organisation et appuyer ses réflexions orales.

« Lorsque le patient s’est rendu compte que son visage était découvert, il est entré dans un état que j’assimile à un délire schizophrénique.  Il ne s’agit là qu’une hypothèse, mais les troubles violents dont le patient… Numéro 6 oui, c’est le matricule par défaut qu’ils lui ont attribués pour signer les papiers. Numéro 6 donc, où en étais-je ? »

Interruption, le temps de relire les notes. Bonne démarche que de poser ses idées sur le papier, sa nervosité altérant ses capacités mémorielles. Il n’est pas encore remis de la séance précédente. Elle ne date que de quelques heures, quelques minutes peut-être.

« Délire schizophrénique. Cela me semble plus que probable. J’ai déjà eu affaire à des cas de crises similaires, mais Numéro 6 semble très entraîné. Physiquement, j’entends. Il a brisé ses liens à force de tirer dessus, allant même jusqu’à se blesser les poignets. L’intervenant a tenté de le maîtriser, mais le patient était déjà impossible à approcher sans danger. Ma précédente piste s’est achevée de force lorsque Numéro 6 a soulevé la table. Il l’a broyé entre ses dents, démontrant une force inhumaine, avant de projeter les morceaux de bois sur le personnel médical. J’ai été contraint d’évacuer.
Numéro 6 est hautement dangereux, je vais d’ailleurs demander une augmentation significative de la sécurité autour de sa cellule, une stricte limitation vis-à-vis de ses permissions de sorties et surtout des procédures d’enfermement renforcées, nous ne voulons pas risquer un nouveau drame au sein de l’établissement. »


Coupure, bruissements mécaniques divers indiquant l’ajustement des bandes.
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Belle technologie, pas fameuse une fois maltraitée. Les sons reprennent, l’ambiance est différente. On dépose un objet, sans doute le Den Den.

« Professeur Wisselhöf , enregistrement 5. Je me trouve actuellement en présence du patient Numéro 6. Bonjour Numéro 6. »

La seule réponse qu’il obtient est un murmure assimilable à un rire.

« Comment te sens-tu aujourd’hui ? On t’a rendu tes bandages, tu vois ? »

Un grognement, un raclement de gorge, et puis un crachat.

« Tu ne veux pas discuter ? »
« Donnez-moi la nourriture. »
« Tiens, tu parles finalement ? Alors écoute, Numéro 6, donne-moi ton nom et tu auras toute la nourriture que tu veux. »
« Nourrir. »
« Ton nom ? »
« Gibier. »

Un silence s’installe, sans doute pour laisser au professeur le temps d’analyser l’incohérence de cette réponse.

« Je ne veux que ton bien, mais j’ai besoin de ton nom pour ça. Aide-moi et je t’aiderai en retour. »
« Tu veux m’aider ? »
« Bien sûr. Donne-moi juste ton nom. »
« Idiot. Pour m’aider tu n’as pas besoin de nom, il me faut simplement à manger. Idiot, kihi, très idiot oui. »
« Tu n’obtiendras rien si tu ne réponds pas correctement, Numéro 6. »

La table est soulevée du sol, et retombe lourdement. Le détenu a beau avoir les mains liées, rien ne restreint les mouvements de ses jambes, et c’est là une grave erreur de procédure. Les demandes adressées au personnel de sécurité n’ont pas été suffisamment prises en compte. Cette négligence est dangereuse.

« Maintenant, tu vas te calmer. »

Nouveau coup, plus fort cette fois-ci.

« Arrête-ça, donne-moi simplement ton nom et tu auras ce que tu veux. »

Fracas brutal, puis interruption totale de la piste après un cri coupé. Le Den Den est tombé, la table a été complètement renversée et l’appareil a mal vécu la chute. Les sons redémarrent finalement, mais la qualité du microphone a été altérée depuis la dernière fois.

« Professeur Wisselhöf, enregistrement 6, si mes souvenirs sont bons. »

Il baille longuement, évident manque de sommeil occasionné par son traumatisme né lors de la dernière séance.

« Numéro 6 s’est rendu responsable d’une grave agression, aussi les procédures d’enfermement destinées à le contenir ont été revues à la hausse sur ma demande. Dire qu’il a fallu que le pire arrive pour qu’enfin on accepte de me fournir le matériel nécessaire à son traitement.

Un aide-soignant a été sauvagement assassiné lors de la dernière entrevue avec Numéro 6. Après avoir renversé la table, il a bondi de sa chaise et m’a littéralement contourné pour ensuite tenter d’enfoncer la porte à coup d’épaule. Un aide-soignant est intervenu, et le patient lui a sauté la gorge, lui sectionnant la majeure partie du système respiratoire et lui arrachant totalement la jugulaire. Le jeune homme est mort suite à ses blessures, c’est arrivé il y a trois jours et je n’ai rien pu faire pour l’en empêcher.

Lors des prochaines séances, j’exige une muselière. Je me moque que ce soit qualifié d’inhumain. Je ne travaillerai pas sans cette muselière.

Je m’égare, la fatigue. Reprend-toi, William. Numéro 6 n’a pas daigné me donner son nom. Sans cet élément des plus basiques, il nous est impossible de le retrouver dans un registre quelconque. Cet individu est un véritable fantôme, qui semble-t-il n’est jamais apparu nulle part avant de commettre ces meurtres à Shell Town. Une énigme nue, mais je vais m’efforcer de découvrir ce qui se cache sous les bandages. Nous le transférons au sous-sol, il est impossible de le garder dans ce secteur. Trop dangereux. »


Cliquetis de verre et d’acier, il réajuste ses lunettes et se masse les yeux par la même occasion, comme pour effacer de sa rétine les images qui s’y sont imprimées. La scène qu’il a suivi l’a véritablement marqué, comme une peur infantile et viscérale, une frayeur absolue.

« Je vais m’arrêter là pour aujourd’hui. Besoin de sommeil, marre d’éplucher des papiers. »

Le professeur interrompt de lui-même l’enregistrement. Le strict qu’il appliquait lors des précédentes pistes semble s’être éteint, décrivant un épuisement véritable et un trouble que ses collègues auraient dû percevoir et soulever. Cela n’a pas été le cas, mais personne n’oserait parler d’incompétence étant donné la nature des faits.
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« Professeur Wisselhöf, enregistrement 6. Ou 7, je n’en sais rien. »

Il baille, toujours incapable de dormir correctement. Mais il a repris en contenance, depuis la dernière fois, et semble capable de réfléchir et de parler plus posément.

« Il m’a semblé essentiel de faire le point sur les circonstances de l’arrestation de Numéro 6. Il a été poursuivi par un marchand auquel il a subtilisé des fruits, mais a finalement cessé de fuir pour tuer froidement son agresseur. La nourriture semble être la principale, voir même la seule priorité du détenu… du patient ! J’ai dit détenu? Mince… Oui, la nourriture. En effet, Numéro 6 n’accepte de s’exprimer que lorsque ce sujet s’intègre à la conversation.

J’en viens à la suite de ce raisonnement. Après avoir passé en revue mes enregistrements précédents et mes notes, j’ai constaté chez Numéro 6 des expressions particulières et souvent employées. Il m’a qualifié de gibier, aussi se considère-t-il  probablement comme un chasseur. Il pourrait s’agir d’un délire témoignant d’une forme de psychopathie, surtout en vue des circonstances des meurtres dont il s’est rendu responsable, mais je soupçonne quelque chose de bien plus curieux.

Numéro 6 s’est persuadé de ne pas être un homme, c’est mon hypothèse. Il pense et agit comme un fauve, et sa gestuelle en témoigne autant que ses dires. Il ne se considère pas supérieur à l’Homme, mais pense appartenir à un groupe différent, un élément que je ne saurai définir si je ne parviens pas à dialoguer avec lui. Cet isolement social absolu risque de corser la communication lors de nos entrevues avec lui. »


Léger craquement de bois, le professeur se penche en arrière, sans doute est-il en train de regarder par la fenêtre. On croit distinguer le bruissement de la pluie qui tambourine contre les carreaux.

« Au jour d’aujourd’hui, je ne pense pas qu’il soit réellement possible de soigner Numéro 6, ou du moins de le réadapter à un état d’esprit plus… moins inhumain. Seul l’avenir nous le dira, mais je ne me fais pas trop d’illusions. »

Il coupe, mais la bande reprend immédiatement après une saccade. Une partie de la bande est abîmée et n’a pu être lue correctement.

« ARRETE ! »

Hurlements, râles, sifflement bestial et divers bruits de secousses. Le patient est ligoté à un brancard, mais les somnifères qui lui ont été administrés semblent totalement inefficaces. Il est au sous-sol désormais, les procédures ne sont plus les mêmes.

« Numéro 6, je t’ordonne de te calmer. On ne s’entend même plus penser. Professeur Wissel… »
« GIBIER ! MISERABLE GIBIER ! JE VAIS T’ARRACHER LE CŒUR, MANGER TA LANGUE, BRISER TES OS ET PISSER SUR TA DEPOUILLE ! LIBERE-MOI !»

Nouvelle série de secousses, l’enregistreur ne parvient plus à intégrer tous les sons correctement et la piste se change en un chaos auditif total. Le patient finit par s’épuiser, permettant au professeur de reprendre.

« Professeur Wisselhöf, enregistrement 7. Le détenu Numéro 6 a été transféré  au sous-sol. Nous avons appliqué la procédure classique, et nous l’avons affublé d’une muselière pour éviter tout accident. »
« Tu parles de la fois où j’ai mangé ton camarade ? Kihihihi, ouiiii. Tu veux savoir comment c’était, de mon point de vue ? Dis-moi, tu veux savoir ? »
« Numéro 6 ne nous a toujours pas dévoilé son nom, et il est encore impossible de dialoguer avec ce dernier. Les somnifères tardent à faire effet. »
« A ce moment-là, j’ai sssenti sa peau qui se déchirait sous mes dents et… »
« Il est indispensable de procurer un traitement quotidien à Numéro 6 afin de limiter ses accès de rage et le maintenir dans… »
« Ssson cou a craqué, j’ai senti l’os se scinder en deux, je l’ai senti Kihihihihahaha ! Les crocs dans ton corps petit idiot, mes crocs dans ta nuque ! »
« dans… dans un état plus stable, mais les doses procurées aujourd’hui semblent largement insuffisantes pour le contenir. »
« Ssssstable ? Non, pas du tout non. La tête n’était pas sssstable, puisque je lui avais dévoré la gorge. Ca pendait à un misérable fil de chair, c’était à s’écrouler de rire. D’ailleurs il s’est écroulé très vite, comme je vous le disais. »
« Numéro 6 semble tout à fait apte à nous comprendre et à interagir avec le monde qui l’entoure, il s’agit simplement là d’un rejet de la civilisation et de la communication dans son ensemble. »
« Moi oui je comprends, mais toi tu ne comprends toujours pas comment une tête tient sur des épaules. Approche-toi, retire moi cette chose du visage, je vais te montrer, viens. »
« Les seuls rapports que l’on puisse actuellement entretenir avec Numéro 6 ne sont que des provocations gratuites, aussi nous allons tenter une réinsertion par… »
« Approche, je te dis, enlève le masque. Je vais te dire un ssssssecret, je vais t’en dire un beau, le genre de sssecrets qu’on n’oublie jamais. Viens ! »
« SILENCE ! »
« Oooooh, te voilà bien agacé ! Kihihi, toi aussi tu dois t’allonger sur le tissu et enfiler les entraves. Viens t’allonger à côté de moi, viens. On va jouer ensemble, viens je te dis. »

Le patient se met subitement à hurler de plus belle.

« Professeur Wisselhöf, fin de l’enregistrement. »


Dernière édition par Nazgahl Cradle le Ven 6 Juin 2014 - 4:07, édité 2 fois
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La piste recoupe, puis reprend. Elle semble intacte à cet endroit. Des papiers froissés, mais plus de cris et de bruits d’acier meurtri. Le calme est revenu, et cet apaisement se ressent dans la voix de William.

« Professeur Wisselhöf, enregistrement 7. Alors Numéro 6, tu es calmé aujourd’hui ? »
« Nazgahl »
« Je te demande pardon ? »
« Moi, je m’appelle Nazgahl. »

Un silence prolongé s’installe, ne laissant à nos oreilles qu’un bruit blanc constant et froid. Le professeur semble choqué d’avoir reçu cette fameuse réponse sans même poser la question.

« Je… Nazgahl comment ? »
« Nazgahl, c’est moi. »

Petite secousse sur le brancard, le patient ne doit pas être agacé d’une manière ou d’une autre et Wisselhöf le sait. Il doit conserver son sang-froid pour le bien de son travail.

« D’accord, d’accord, très bien Nazgahl. Veux-tu que je t’appelle par ce prénom ? »
« Oui, je veux bien. »
« Parfait. Veux-tu que nous… discutions ? »
« Vous voulez vraiment m’aider ? »

Nouvelle pause, moins marquée mais néanmoins notable.

« Oui Nazgahl, je veux t’aider. »
« Mais j’ai tué votre ami. »
« C’est vrai. »
« Vous ne devez pas me pardonner, c’est très mal… »

La culpabilité est clairement audible dans la voix chevrotante du patient.

« Tu n’étais pas dans un état normal. »

Rassurant, il se veut rassurant et se doit de le montrer.

« Comment ça ? »
« Eh bien, parfois… il arrive que les gens soient tellement en colère qu’ils changent, ils deviennent mauvais. Mais au fond, ce n’est pas vraiment eux. »

Le ton est celui que l’on emploie pour parler à un enfant, pour enseigner des notions complexes en usant de raccourcis, le professeur tente sans doute d’occulter les actes criminels du patient pour ne pas éveiller ses souvenirs. Une démarche très professionnelle, et très difficile à mettre en œuvre. Il minimise du mieux qu’il peut, mais les faits sont ce qu’ils sont. On suppose que Wisselhöf bouillonne, mais il n’en laisse rien paraître. C’est un individu plus qu’exemplaire, dans le domaine professionnel, ou du moins lorsqu’il s’agit de cet aspect-ci du travail, à savoir les rapports entre le corps médical et les patients.

« Et alors je ne suis pas coupable ? »
« Si, mais pas totalement. »
« Et alors je suis coupable ? »
« Non, pas complètement. »
« Pourquoi ? »

L’agitation du patient est nulle désormais, il semble véritablement focalisé sur la conversation malgré les liens de cuir qui le retiennent, et c’est d’ailleurs la première fois qu’un vrai dialogue s’instaure entre eux.

« Tu es un peu différent Numéro… Nazgahl, pardon. Tu es un peu différent, tu ne te contrôles pas aussi bien que la plupart des gens, et parfois tu deviens une autre personne. »
« Je ne suis pas sûr de comprendre… »
« Tu n’y es pas obligé, pas aujourd’hui. Nous en reparlerons. Veux-tu que je te fasse descendre à manger ? »
« Oui, je veux bien. Mais j’ai mal, mal aux poignets, très mal. »

Penser et agir vite, c’est l’un des fondements de son métier. La solution est risquée, mais il faut saisir cette chance inespérée de créer un contact.

« Nous allons t’enlever les liens, si tu promets de ne pas te mettre en colère. Ensuite, tu auras de quoi manger. Je peux te faire confiance ? »

La procédure est dangereuse, mais c'est le seul moyen pour le professeur d'obtenir quoi que ce soit de la part de son patient.

« Je promets. »

Nouvelle interruption, un bruit suraigu s’échappe de l’enregistreur, la piste étant gravement endommagée à cet endroit. Le professeur ne ment pas, il obtient de nouvelles autorisations malgré la réticence de son supérieur qui se sent mené en bateau.
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Cela reprend, après plusieurs saccades.

« Professeur Wisselhöf, enregistrement 12. Les progrès effectués avec Nazgahl sont tout bonnement effarants. Grâce aux notes obtenues, je suis parvenu à établir une nouvelle hypothèse. Il est difficile d’aborder le thème du passé avec le patient, en revanche tout porte à croire qu’il a subi une éducation extrêmement violente, et surtout totalement en marge de la société. Le sujet est délicat, impossible à aborder pour le moment.

Ce n’est pas un problème. Du moins pas pour l’instant. Il ne s’agit là que d’un projet, mais je commence à envisager sérieusement sa réinsertion au sein de la société. Nazgahl n’est qu’un pauvre homme perdu au milieu d’un monde qu’il ne comprend pas. Son instinct bestial l’a forcé à adopter un comportement destructeur vis-à-vis de son entourage, mais il ne s’agit là que d’une mécanique de défense instinctive.
Je projette de lui offrir plus de liberté, de le réinsérer dans la partie supérieure de l’hôpital et de lui autoriser des sorties surveillées dans la cour si nous continuons sur cette voie.

Lentement mais sûrement, j’y parviendrai. Trop de patients ont été abandonnés lors de la prise en charge, jugés inaptes à la guérison. Je ne dois pas lâcher prise, je dois prouver que ce patient peut revenir à un état normal. Les malades sont des hommes, pas des monstres.

Professeur Wisselhöf, fin de l’enregistrement. »


Les témoignages nous ont rapporté que Wisselhöf a développé un intérêt grandissant pour l’affaire d’Oswald Jenkins et du traitement qui lui était réservé. Il en avait fait une affaire personnelle, choisissant Numéro 6 afin d’exorciser l’erreur et de prouver que la violence n’avait jamais soigné et ne soignerait jamais.

« Alors, ça te plaît de sortir ? »

Un cliquetis de chaînes se fait entendre, ainsi que des bruits de pas.

« Ne t’éloigne pas trop. »
« Je peux enlever la laisse ? »
« Je suis désolé Nazgahl, ce n’est pas encore possible. Un jour peut-être, si tu gagnes la confiance des gens qui t’entourent. »
« Je comprends, je comprends. »

La voix du professeur semble être celle d’un homme satisfait. On distingue des piaillements d’oiseaux, des bruissements de vent. Il a obtenu les sorties du patient auprès des dirigeants de l’hôpital, et c’est déjà une belle victoire.

« Je peux avoir à manger ? »
« Pas tout de suite, ce n’est pas encore l’heure de déjeuner. »
« Oui. »
« Bien. »

Incroyable mais vrai, la priorité absolue du patient semble être passée au second plan dans son esprit. Les progrès sont énormes, en effet. On entend des pas, des chaînes qui s’agitent, mais aucun cri et aucun son brusque. L’ambiance est saine, apaisée même. Cette partie de l’enregistrement s’interrompt sans coupure, le professeur la stoppe de lui-même.

« Professeur Wisselhöf, enregistrement 17 ! C’est tout bonnement incroyable ! En plus de ses progrès, Nazgahl démontre des capacités d’analyse hors du commun ainsi que des aptitudes mentales et physiques fascinantes. Cet individu est doué, mais ignore tout de son talent. Jusqu’ici, sa force ne l’a mené qu’à la violence, mais si elle est bien utilisée, il pourrait faire des merveilles, j’en suis convaincu.
Nous organisons plus de sorties, et la surveillance a été revue à la baisse.

J’ai beau conserver les procédures élémentaires de sécurité, j’avoue ne plus me sentir en danger lorsque je suis proche de Nazgahl. Sa façon d’exprimer ses émotions est certes atypique et malhabile, mais je constate une volonté d’ouverture sociale qu’il me semblait impossible d’atteindre quelques mois plus tôt.
C’est d’ailleurs cette curiosité naturelle qu’il développe qui me fait supposer qu’il n’est au final qu’un enfant à la force physique étonnante, perdu et inadapté.  Il n’est pas fou, loin de là, il n’est qu’une page blanche. On ne lui a enseigné que l’art du combat et de la chasse, d’où sa volonté de se considérer comme un prédateur et non un homme. Nazgahl n’a aucun repère, mais je compte lui en offrir.

Je ne vois en ses provocations passées qu'une forme d'imitation tout ce qu'il y a de plus classique, reflet de son éducation mal effectuée. Nous pouvons changer cela, et prouver par la même occasion que ce travail n'est jamais vain.

Professeur Wisselhöf, enregistrement terminé. »
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Nouvelle section dans la bande, il est important de la repositionner correctement dans l’appareil de lecture avant de lire la suite. Après quelques réglages, un claquement mécanique résonne au cœur de l’appareil et les voix reprennent.

« Alors Nazgahl, tu vas bien aujourd’hui ? »
« Oh oui. »
« Tu as bien mangé ? »
« Oui. »
« Très bien. Tu veux sortir aujourd’hui ? »
« Oh oui ! »

Divers bruissements de tissu froissés, le patient vient apparemment de quitter son matelas pour accompagner le professeur, et il semble euphorique.

« Ahah, calme-toi mon petit. Calme-toi. »
« D’accord ! »
« Je voudrais te poser des questions avant de partir. »
« Quelles questions ? »
« Des questions au sujet de ton passé. »
« Comment ça ? »
« Je voudrais savoir ce qui t’est arrivé, comment se déroulait ta vie avant que tu n’entres ici, ce genre de choses, mais tu n’es pas obligé de m’en parler si tu ne veux pas. »
« Je ne veux pas. »
« D’accord, alors on… »
« Je ne veux pas ! »
« Ce n’est pas un problème Nazgahl. On verra ça plus… »

Un objet métallique est violemment projeté à terre.

« JE NE VEUX JAMAIS ! JE NE VEUX JAMAIS ! »

Suite à de divers bruits d’impacts, la piste finit par s’interrompre une fois encore. L’entrevue semble s’être mal terminée, mais l’appareil fonctionne encore et la voix du professeur reprend la suite.

« Bonjour Nazgahl, tu vas mieux aujourd’hui ? »

Pas de réponse, mais le silence de la pièce est telle que l’on perçoit la respiration du patient, lente et lourde. Il semble se trouver dans un état étrange, à en juger par les sons qu’il émet.

« Je suis désolé Nazgahl, je ne voulais pas te fâcher. On oublie ce que je t’ai demandé. Tu veux faire ta promenade aujourd’hui ? »
« Oui. »

Le tissu se froisse, le patient a apparemment quitté son matelas pour se rapprocher du professeur. C’est avec satisfaction que l’intéressé répond. On ressent également une pointe de soulagement.

« Très bien, très bien. Je te mets "ta laisse", à moins que tu ne veuilles le faire toi-même ? »

Qualifier les menottes de laisse a pour but d'user un vocabulaire auquel le patient est familier. La confiance qu’il porte à son patient est probablement trop importante, mais cela fait partie du traitement. Le rassurer, lui offrir un simulacre de responsabilisation pour lui enseigner les bases du respect et du fonctionnement social. Les bruits de chaînes confirment que Numéro 6 s’est exécuté sans demander d’aide.

« On y va ? »
« Je suis désolé. »

Un court silence s’installe, le professeur ne comprend sans doute pas ce qui pousse son patient à s’excuser de la sorte.

« Mais de quoi, Nazgahl ? »
« Hier, je me suis énervé. »
« Mais… Nazgahl voyons, ça arrive à tout le monde de s’énerver, tu ne dois pas t’en faire pour si peu. »

On entend des bruits de pas fugaces, puis plus rien. Rien, en dehors de la respiration du patient et du professeur. Selon les rapports, le patient a subitement pris Wisselhöf dans ses bras à cet instant précis. Un geste affectueux, désintéressé, chaleureux, selon les dires du professeur.

« Je ne veux jamais plus m’énerver. Désolé. »
« Allons allons, ce n’est rien. Allons-y. »
« Oui, pardon. Oui pardon. »

La piste s’interrompt naturellement, mais Wisselhöf oublie de la couper comme il le fait d’habitude, en terminant par son nom.
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Cette affaire lui tient trop à cœur, il s’est attaché à son patient au-delà de son expérience. C’est la dernière piste qui se lance alors :

« Bonjour Nazgahl, tu vas bien aujourd’hui ? »
« Oh oui, très bien. Et vous monsieur ? »
« Tu peux me tutoyer, tu sais. »

Un court silence s’installe, le professeur semble scruter ses notes en vitesse. L’ambiance est calme, le patient semble détendu lui aussi. L’entretien a lieu dans le bureau du professeur, la bonne conduite du patient lui ayant permis de revenir aux étages supérieurs de l’hôpital.

« On a beaucoup avancé depuis ton arrivée, je suis très fier de toi Nazgahl. »
« Pourquoi ? »
« Eh bien, tu as appris à te comporter correctement. Je pense que si on continue comme ça, on pourra aller encore plus loin tous les deux. Et puis, qui sait, tu pourrais peut être sortir d’ici un jour ? »
« C’est vrai ? »
« La procédure sera longue mais oui, c’est vrai. Tu dois encore faire des efforts, mais on y arrivera. Tu veux un thé, Nazgahl ? »
« C’est quoi un thé ? »
« C’est une boisson, c’est très bon. Ne bouge pas, je vais t’en faire goûter. »

Le professeur s’éloigne de son bureau, sans doute pour aller récupérer les tasses et la théière. Il revient, chargé d’un plateau qu’il dépose sur son bureau. Après s’être assis face à Numéro 6, il reprend.

« Je vais t’en servir une tasse, Nazgahl. Je suis vraiment navré qu’on soit encore forcés de te menotter mais tu sais, on a eu des soucis de sécurité par le passé alors on doit faire attention. »
« Attention ? »
« Oui, parfois il arrive des malheurs, vois-tu ? Alors on doit rester sur nos gardes. »
« Vous devriez faire attention à moi alors. »
« Théoriquement, oui. Mais avec toi, je prends moins de précautions qu’avec d’autres patients. »
« Ca va sans dire, professeur. »

Une petite pause. La formation de phrase employée par Numéro 6 est troublante, car vraiment inhabituelle chez lui. L’ambiance devient subitement pesante.

« Par exemple, je ne pense pas que garder les clés des menottes sur son bureau et tourner le dos à un prisonnier soit une bonne idée. Je la trouve même terriblement mauvaise.»

Un cliquetis métallique survient alors. Numéro 6 s’est emparé des clés et s’est libéré de ses entraves, qu’il a ensuite jeté sur le bureau.

« Voyez-vous, professeur, c’est ce qui différencie la proie du chasseur. »
« Nazgahl, qu’est-ce que tu veux dire ? Remet tes menottes, voyons. Allez mon garçon. »
« La proie court, s’agite, elle ssss’emporte lorsqu’elle distingue la silhouette du prédateur et fonce droit dans le mur à chaque fois. »
« Nazgahl, qu’est-ce qui t’arrive ? Je ne comprends pas où tu veux en venir. »
« Le chasseur, quant à lui, est doté de patience. Il attend, dissimulé dans les fourrées, il ne se jette pas bêtement sur sa proie comme un sauvage. Le traqueur est méticuleux, il analyse le comportement de sa victime et l’observe, jussssqu’à pouvoir frapper. »

La voix du professeur est chétive, désespérée. Il a fauté, et le sait pertinemment.

« Nazgahl, non… On était si près du but. Qu’est-ce que tu fais ? Pourquoi ? »
« Près du but ? Quel but ? Mon but est fixé depuis que j’ai franchi les portes de cette prison, gibier. Mon but est simple à intégrer, et facile à obtenir. »
« Et que veux-tu ? »
« Ohohoh, inutile de le demander. Je lis dans vos yeux que vous connaissez la vérité aussi bien que moi. Vous m'avez déjà vu à l'oeuvre, n'est-ce pas ? Kikikihihi. Vous avez fait l'erreur de voir ce que vous vouliez voir, et non ce qui se trouvait sous vos yeux. Vous êtes une proie idéale, monssssieur. Un vrai oisillon tombé du nid, si j'ossse dire. »

Une sorte de sifflement animal sature l’appareil d’enregistrement, et ce qui suit n’est qu’un ouragan de hurlements, de fracas divers et d’objets qui chutent de leurs supports. Le professeur pousse un dernier cri :

« POURQUOOOOOOI ? »
« Parce que... Parce que je le peux. »

S’ensuit un terrifiant craquement d’os, et la piste s’interrompt brusquement. L’appareil d’enregistrement n’a pas spécialement souffert de sa dernière chute, en revanche la piste qu’il contenait est devenue inutilisable. Il s’agit là des derniers mots du professeur Wisselhöf, un individu brillant mais probablement trop utopiste.  

Le patient Numéro 6 s’est échappé fabuleusement vite. Le meurtre s’est produit en une poignée de secondes et aucun garde n’ayant été prévenu par le professeur, les secours mirent un temps fou à intervenir. Selon les rapports, le patient se serait jeté par la fenêtre pour atterrir dans la cour. Suite à quoi, il aurait blessé gravement les deux gardiens situés à l’entrée pour finalement s’enfuir en utilisant le jeu de clés du professeur.

Cette piste est utilisée pour enseigner aux recrues que ce cas de figure peut tout à fait se reproduire. Wisselhöf, quant à lui, a été retrouvé dans un état tel qu’il serait irrespectueux de le décrire ici. Tout ce que nous pouvons assurer, c’est que le traitement qu’il a subi était tout bonnement inhumain.

Aussi inhumain, d'ailleurs, que l'était le Patient Numéro 6.
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