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Et sinon, ça va ?

Ça sent la bière et le calcaire, ici se réunissent ivrognes et cafards. J'parle des chiottes d'un bar miteux, un bar qui donne rendez-vous aux paumés, aux exclus et aux claqués, qui leur propose de noyer leurs tourments dans le pinard et d'mirer, à la fin, leur reflet dans l'fond de verre pour les forcer à tenir un tête à tête avec eux-même. Quand tes choix, tes regrets, tes espérances et tes doutes te font passer le seuil d'ce genre de coin, c'est qu'il est grand temps d'enfin affronter le miroir.

Méditer devant mon reflet au-dessus d'un évier rouillé. J'suis tombé bas.

Le néon là-haut me grésille à l'oreille qu'on est pareils, lui et moi. M'affirme que comme lui, mon coeur clignote, crépite, s'laisse emporter dans une stase stressante et triste. C'est moi. Soumis à un dilemme pérpetuel. J'abandonne, ou j'continue ? Lâcher prise ? Tenir bon ? Quand j'penche pour l'un, l'autre se renfrogne et vient refaire valoir ses droits. Autant d'embûches sur ma route et de pertes d'orientation. Alors j'avance pas, je tourne en rond. J'suis un serpent qui s'mord la queue, même si l'image m'paraît salace.

Drogué au passé. C'est ça. J'ai jamais été très alcool. Mon truc, c'est de m'enivrer de souvenirs. D'écouter tout ces échos, de les poursuivre, encore et encore. Revivre encore et encore les bons comme mauvais moments du film de ma première vingtaine d'années. Une boucle temporelle.

Ça m'amène à penser qu'en perm', j'perds totalement la notion du temps qui passe. Chaque minute est une éternité que j'occupe en tête à tête avec moi-même. J'ai jamais eu personne d'autre que mon frangin pour m'confesser, et alors, maintenant que ça fait... presque un an, qu'il m'a laissé livré à moi-même dans un état d'esprit qui s'évertue à me marteler quelle valeur négligeable j'suis dans l'équation de l'univers, j'me suis jamais senti autant humble, autant Rien ! J'ai fini par accepter. Le départ de Tark. Accepter ma solitude. Me murer désormais dans une misanthropie hypocrite. Garder cette empathie qui m'ronge comme un parasite, qui se nourrit de mes espoirs et d'mes rêves de sainte justice, et la forcer à cohabiter avec la méfiance et la peur de l'autre que la Surface m'a forcé à développer.

J'ai plus de repères. Je m'accroche à tout ce que je peux pour continuer à avancer. J'ai jamais été autant déboussolé. Pourtant, ça fait longtemps que toutes ces larmes que j'ai versé ont séché dans mes mirettes. Qu'le bleu d'mes yeux a arrêté de se brouiller à la moindre remontée d'un souvenir un peu dur, que mes palmes ne se tendent plus dans le vide à la recherche d'une main secourable. L'apathie me guette. Faut que je fasse gaffe.

Cette nuit, rien que moi. Penché sur un lavabo qui sent la gerbe, sa plomberie qui grince, qui souffre, et un miroir. Qui m'raconte sans se lasser l'histoire  de cette gueule de merlan frit. L'histoire de la honte de la race des homme-poissons. Celui qui avait les dents, mais pas les burnes.

En perm', j'erre. J'sais même pas comment j'suis atterrit dans un endroit aussi pourri. Car en perm', je perds la notion du temps, mais aussi celle de l'espace. Il n'existe plus d'autres lieux que les cavités de mon esprit. Tout me passe par-dessus la tête.

C'est pour ça que tout à l'heure, au comptoir, ces sales types qui braillaient et chantaient à tu-tête des chansons sur tout c'qui est bon dans le poisson me renfrognaient pas.
C'est pour ça que l'ivrogne qui m'a pris pour un porte-manteau exotique ne m'a pas contrarié.
C'est pour ça que le barman qui module ses prix selon la tête du client ne m'a pas... Si. Quand même. Quelques envies de destruction. Tout ce mépris m'tape sur le système et quand la pression s'accumule, j'aimerais avoir l'droit d'ouvrir les vannes. J'en ai pas le droit. J'suis un poiscaille, et j'suis marine. J'ai pas le droit à la colère. J'devrais même pas avoir le droit de causer. L'frangin serait fou de savoir ça. Que j'extériorise plus rien. Que j'confine ma douleur, séquestre mes tourments, pour n'pas m'attirer de problèmes. Pour éviter les regards en biais, les jugements hâtifs, pour éviter d'me faire empoisonner par les gens. J'aimerais penser que l'antidote, c'est le silence, et la colère discrète, et le fatalisme. Mais c'est pas aussi facile. J'ressens toujours cette envie d'aider, d'être quelqu'un de bien. Me faut cohabiter avec moi-même, faire des compromis.

De toute façon, finalement, rien de tout cela. J'suis pas une calamité, et ma rancune, j'préfère l'utiliser comme un bois précieux qui alimente mon feu intérieur. Alors j'ai pas résisté, ce soir. M'suis laissé prendre aux jeux pervers des humains, les ai laissé m'casser leur sucre sur le dos. Ils ont à peine réussi à ébrécher ma carapace. Mais cette routine des humiliations et des regards de travers me pincera toujours le coeur.

Les chiottes mixtes d'un bar crasseux accueillent une foule de misérables génialement divers et variés. Ma vue imprenable sur la porte, par l'biais du miroir, me permet d'observer sans être vu. M'permet de mater qui se présente dans le sanctuaire de la pisse imprécise et du vomi mural, et de juger, et de jauger, leurs figures, leurs états, leurs faces, leur réaction face à un homme-requin statique devant le miroir à l'entrée. Tel un vrai cerbère du pipi et du popo.

Mon regard tombe dans le lavabo. J'ai une vigueur, ce soir, l'énergie du va-nu-pied sans attaches, sans vraie raison de lutter, mais qui se sent possédé par une genre de fougue instinctive. Sursaut d'espoirs et d'envies.

C'est bien. J'en suis capable. De me relever. D'aller de l'avant, seul. Tark, tu m'as abandonné, à moins que ce soit l'inverse, j'ai jamais trop su. J't'ai perdu de vue, tu fais même plus partie d'mon horizon. J'suis un pauvre cow-boy des océans solitaire et loin d'son foyer. Loin des êtres aimés.

Alors... Quoi ?!

T'vas où comme ça, gamine ?

J'relève la tête, mire la glace. Ce miroir me raconte une nouvelle histoire. C'est la bande aux chansons grégoriennes qui vient de débouler bruyamment et sauvagement, fissurant même les gonds d'la vieille porte en bois pourri en la percutant d'leurs épaules toutes carrées.
Ils s'en prennent à une fille qui cuvait dans son coin. J'détourne la gueule en leur direction. Quelque chose menace de partir en vrille, ce soir, dans les chiottes du crado "Cobberly's whisky&vomit". Quelque chose comme une vie ? Pas la mienne, pour une fois. Le sort de la jeune femme qui s'débat m'laisse pas de marbre.

Et j'parviendrai pas à rester très longtemps stoïque. Ressentiment, rogne, rage. J'grille peu à peu ces étapes et m'sens vite excédé par l'odeur de noirceur et d'mauvais vin que dégagent ces bestioles humaines. Et la fille ? Cheveux violets ? Trop pintée pour tenir sur ses pattes. Ça l'empêche pas d'avoir la hargne, elle aussi.
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- Tu vas où comme ça gamine ?

Carrément séchée, je tente tant bien que mal de me relever pour affronter les bourrus qui me font face. Et voilà, encore une mission de plus qui tourne mal...

Car oui, si on m'avait envoyée ici, c'était bien pour une mission. Sur Las Camp, comme des centaines d'autres agents, on m'avait envoyée pour dénicher quelques révolutionnaires. Quelques révolutionnaires, j'en avais trouvé, des tonnes même. Étonnamment, ça courait les rues dans le coin, ça bavardait même très fort dans les troquets et je n'avais jamais été sur le point de rendre un rapport aussi complet. Seulement voilà, visiblement l'un d'eux me faisait de l’œil et il m'avait invitée à boire un verre. Comme être influençable, c'est pas mon truc et que refuser aurait été louche, de surcroit, ben j'avais accepté. Le pastis, il était pas bien passé. Non, pas bien dans le sens qu'il m'avait effectivement donnée la grosse joie, mais que celle-ci s'était mal matérialisée. C'était donc ainsi, enivrée et carrément harcelée par le gros moche qui ne perdait pas l'occasion de poser ses mains crasseuses sur moi que je me décidai à lâcher tout haut, au milieu de mes bredouillis ridicules, une bonne blague qui me taraudait le cerveau depuis cinq bonnes minutes et que je trouvais excellemment drôle sur le moment.

- ...et quand j'vois vos gueules *hips* j'me dis-hic que la Révo c'est vraiment qu'un ramassis de-hic.. clodos ! Bwahahaha !

- Oh le boulet...

Heureusement que c'était le bordel dans le reste du bar d'ailleurs, sinon j'aurais pu avoir de plus gros ennuis, mais au vu des regards noirs que me lançaient les trois bonhommes, j'avais déjà touché le gros lot. C'est ainsi que, me rendant compte de mon acte stupide et pas du tout discret, j'avais prétexté une pause pipi en me dégageant de l'étreinte sclérosée du pervers qui me tenait sur ses genoux. Seulement en chemin j'avais un peu mal mesuré mon alcoolémie et comme j'ai tendance à partir assez vite, mon repas décida brutalement qu'il était temps de rendre visite au mur des chiottes. Et c'est de cette manière que je me retrouvais dans cette situation.

Aplatie contre le mur, j'arrive même pas à résister aux assauts de l'un des trois pourris qui me tord les bras dans le dos. Putain ! Non c'est même pas la peine de compter sur mes propres forces, impossible de résister dans un tel état. Alors je cherche de l'aide, mes yeux virevoltent dans tous les coins de la pièce. Ah, quelqu'un ! Euh non, quelque chose. Qu'importe ! D'une voix gutturale je le supplie, tandis que l'un des trois gars commence à arborer une mine beaucoup trop effrayante et sadique.

- S'il-te-plait, aide-moi...

Dès lors un sommeil irrépressible s'empare de moi. Je ne suis pas sûre alors d'avoir vu cette chose humanoïde, penchée au dessus de son lavabo là-bas, bouger ; ni même sûre d'avoir senti la pression sur mes bras tendus dans mon dos se relâcher. Je me rappelle seulement être tombée d'un coup, puis m'être endormie sur le carrelage dégueulasse des toilettes, les cheveux empreints de vomi.

D'ailleurs ça fait jamais du bien de se réveiller avec cette odeur dans les narines. Ça fait jamais du bien non plus d'avoir les cheveux collés par de la nourriture semi-digérée - en l’occurrence des pâtes à la bolognaise - ni même d'avoir l'impression d'être dans un véritable scaphandre. Entre autres, j'étais allongée sur un lit qui avait sûrement du être propre avant ma venue et les rayons de soleil qui filtraient à travers les stores vénitiens venaient m'aveugler les yeux et fortifier ma migraine. Bien que tout d'abord j'eus peur d'avoir finalement été amenée ici par les trois compères révolutionnaires et qu'ils aient profité de mon coma, je fus rapidement soulagée en me rendant compte que j'étais relativement en bonne santé et intacte. D'ailleurs, très rapidement je discerne - outre l'odeur de gerbe - une autre senteur caractéristique des rivages marins et du poisson. Relativement dans le vague, je me remémore point par point ce qu'il s'est passé avant que j'aille rejoindre les bras de Morphée. C'est alors que, de l'ombre, l'individu ou plutôt la chose se dévoile. Intriguée autant qu'effrayée, la première question qui me vient à l'esprit est :

- Qu'est-ce que tu es au juste ?


Dernière édition par Annabella Sweetsong le Jeu 5 Juin 2014 - 19:32, édité 1 fois
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Quand certaines choses partent en vrille devant moi, j'opte rarement pour un autre choix qu'la fuite désespérée ou la lutte aveugle. Les sévices d'la misère. Là. Devant mes yeux. Avant, Tark aurait pris les choses en main. Avant, il m'aurait suffit d'attendre qu'il ait vaincu le Mal pour déployer ma trousse de secours et soigner l'innocence.

Maintenant, j'suis seul. Et j'sais que l'innocence n'existe pas. Et j'sais que le Mal n'est qu'une facette de l'âme de chaque bestiole qui respire et qui pense sur cette foutue planète. Un versant d'une montagne abrupte que l'on grimpe sans sécurités. Car on te livre à la vie sans te dire ce qu'elle te réserve.

J'suis seul. J'affronte le regard de la donzelle. Ses mots réveillent un instinct en moi. Un doux et puissant luminaire qui m'apporte la joie et dont les rayons arrosent toute mon âme. J'pensais pas ressentir ça un jour, et surtout pas dans un taudis pareil. Et surtout pas un jour pareil. La joie et la passion d'avoir, sous le museau, une existence à sauver ! Rien à voir avec les malheureux couchés sur mon billard qu'je découpe au scalpel. Rien à voir avec les familles paniquées cernées de rebuts sanguinaires. Aujourd'hui, esseulé, c'est cette fois-ci l'impro' totale. J'reprends seul l'étendard des frères poiscailles-marines Kamina. La précision du chirurgien, et l'instinct du guerrier. Face au moche hasard de la vie.

Ouais. Ouais. Le destin m'rend une visite impromptue ! Cette bataille ne sera que la mienne, cette victoire qui se profile sera le trophée d'un juste. Moi. Ce soir, au Cobberly's whisky&vomit, un homme-requin qui n'a jamais eu d'autres pouvoirs que de s'accaparer la détresse des autres et de geindre à leur place, va dissiper de ses palmes l'ombre qui plane sur l'avenir d'une dame anonyme. Et c'est une patate ardente plein d'insolence qu'j'envoie dans la nuque d'un moustachu débraillé qui sent la bière et le malheur. Volte-face de ses compagnons, tandis qu'il s'écrase contre l'mur et s'écroule à côté d'sa victime. Sa victime ? Dans les vapes. Ne sait pas c'que j'suis. J'peux pas trop m'en offusquer.

Qu'est-ce que...

Ouais. Vous, vous sentez le malheur. Quiconque ressent ces envies purificatrices, si lâches mais pourtant si naturelles, de frapper et profiter d'ses camarades d'âme dans toute leur faiblesse EST Malheur. Tombe dans le chaos et la folie qu'le monde lui impose. Devient une bête, et se vaccine face à l'infection la plus retorse que l'on attrape si on prête trop l'oreille aux gémissements des autres, c'est la compassion. L'univers n'aime pas la pitié. Alors l'univers dissuade les gens d'essayer d'en cultiver. Bouffe-les, ou ils te boufferont.

Ils veulent me bouffer. L'éclat d'une lame qui m'a frôlé la poitrine, je l'ai senti m'arracher un morceau d'écaille. Et mon orchestre intérieur se laisse rejoindre par deux instruments. La détermination. La rage.

Elle est complètement bourrée, cette foutue bestiole !

Non. Au contraire. L'esprit clair. Tout mes sens convergent vers vous. Car je sais c'que j'ai à faire. J'ai jamais autant su. J'ai jamais aussi peu douté. Jamais été aussi certain qu'les hématomes que je distribuais trouvaient leur source dans un profond puits. De justice. Réparatrice. Un autre de mes puissants pains percute à grand vitesse la gueule de fouine d'ce malheureux là, lui faisant mordre le lavabo dans lequel j'égouttais mes pensées, tout à l'heure. Il s'y fracasse les dents, la fragile plomberie se casse en deux et une flotte verdâtre gicle par litres dans le cou d'celui que j'ai encore du mal à bien voir comme un ennemi. Des révolutionnaires déviants, si j'ai bien saisi la mauvaise vanne perpétrée par la donzelle y a trois minutes. 'voulez pas négocier ?

Tirez vous. S'il vous plaît.

Lui qui tient la lame. Les rayons tièdes du néon tombent sur l'fer. Créent des échos clignotants faibles et tremblants. Le bras qui tient c'reflet argenté appartient au seul acteur du drame des chiottes du tripot pouilleux qui n'a pas encore goûté à la fureur d'un homme-poisson suppliant. Suppliant d'pas avoir à grogner ni à mordre. J'aurais voulu avoir la peau fine et rose. Le nez pointu mais discret. Les petites oreilles recouvertes de cheveux soyeux. Les dents discrètes camouflées sous des lèvres pulpeuses. Si j'avais été humain. Tout aurait été infiniment plus facile. J'n'aurais pas eu à me méfier autant de ce poignard. Il n'aurait pas fixé avec autant d'insistance et d'terreur ma machoire. Voit en moi une bête carnivore équipé par la nature d'un arsenal de mort. Mais j'ai jamais voulu faire de mal à une mouche...

Faites pas ça.

L'éclair gris file, mené par un bras tremblant. Le pauvre est perdu. Cette fois, il a peur. Il a perdu le contrôle. Il pensait que rien ne pouvait lui arriver, ce soir. Mais il se sent à la merci, maintenant, du jugement d'un prédateur. J'suis certain... qu'il sait à peine pourquoi j'ai attaqué. Qu'il a vu qu'la brutalité, pas la volonté. Merde, j'voulais pas que l'action passe pour un bain de sang gratuit. Mon enthousiasme s'échappe. Gicle hors de moi comme l'eau croupie s'enfuit des tuyaux de l'évier qui a accueilli mes méditations. Et j'me rends compte de mon erreur. J'ai échoué. J'ai pas été juste. J'ai été trop sauvage, et trop instinctif. Encore, je n'ai...

GAAaah...!

... Et les forces semblent l'abandonner, car il laisse son arme bloquée dans ma chair. Ma cuisse est prostrée, mais pas autant qu'mon âme. Mon souffle devient saccadé et dissonant, et en moi l'instinct tempère la raison. Faut pas penser. Faut charger. Un violent coup d'épaule. Lui envoie ma palme dans la face. Deux fois. Trois fois. Quatre fois. Puis il tombe, et je m'affaisse. Ma jambe. En aura vu du pays. Brisée, tranchée, malmenée, écorchée. Aujourd'hui, plantée. Que de souvenirs...
Assis contre un mur peint d'un affreux liquide visqueux marron, celui qui vient du bide de la fille, j'crois. J'empoigne le manche du couteau, j'fais glisser lentement le fer hors de ma viande. J'serre les dents, j'chiale de douleur. A peine apaisé quand j'extirpe la disgracieuse lame, j'me contente de remarquer qu'son bois est moisi, et qu'sa lame est tordue et que la pointe est rouillée. Prochainement, infection au menu, sur son lit de pus et saucé d'ce qui se fait de pire en alcool à 90 sorti de l'alvéole gangrenée qu'est Las Camp.
Voilà... c'que j'ai récolté, à m'prendre pour un héros... alors que je n'étais pas prêt. Alors que la passion manquait d'abnégation. Alors que la fougue manquait de lucidité.

Ma bon' dame, j'suis plus qu'un animal blessé. Z'êtes évanouie, ma bon' dame. Cuite ? Stress ? Ou quelque chose de plus sombre et d'moins compréhensible ?
En m'traînant vers son corps, les vapeurs de vinasse fraîche me grimpent aux sinus. C'est cuite.

Je n'ai pas eu le temps de lui dire ce que j'étais. Avait-t-elle besoin d'le savoir ? J'suis pas un chevalier. Encore moins un ange. Ni un héros, ou pas encore, en tout cas. Juste un modeste jeune homme-poisson prit de violents vertiges à force de pirouetter au-dessus du gouffre de son passé. Ça vend pas du rêve. J'suis rien qu'un monstre, comme tant d'autres. Tellement modeste, mais tellement heureux si j'arrivais à tirer quelque chose de ce bain de sang nocturne... Comme un signe de vie, d'abord. Puis comme un mot réconfortant ou affectueux. Comme un merci. Comme un sourire. Comme, soyons fous, une amie. Soyons fous.
J'me traîne vers elle et lui attrape fermement le bras, puis remonte jusqu'au poignet que j'serre fort. Comme pour la tirer du lac de formol et d'éthanol dans lequel son cerveau doit faire naufrage. Elle a un pouls puissant. C'est donc qu'elle vit, et même mieux, c'est donc que ça s'active bien, là-dedans.

Mon regard croise ses yeux torves. Elle est semi-réveillée. Ce sera pas compliqué d'la tirer de son trou noir.
Puis mon regard ricoche et s'cogne contre ma patte qu'a viré au rouge. J'sais pas c'qui a pu être déchiré, là-dedans. Ça pique. Pas d'artère ouverte. Ou ça saignerait encore. Le muscle, j'suppose. J'verrai ça quand j'serai sûr qu'elle sera tirée d'affaire.

Elle rouvre les mirettes et j'vois à sa face qu'elle apprécie pas vraiment scruter les détails de ma sale gueule en gros plan. J'me recule un peu, mais j'entends les cliquetis d'un fusil derrière moi. La voix rauque du patron du bar raisonne.

Dégagez. Tous. Dégagez.
Laissez moi au moins m'occuper de...
T'es sourd, poiscaille ? J'vous donne une minute pour décamper, vous deux, et ces trois guignols.

J'vois déjà les deux gars se traîner lamentablement vers la sortie des chiottes, embarquant au passage leur confrère à la dague dont l'visage ruisselle maintenant de sauce tomate. L'brouillard semble lent à se dissiper dans l'esprit de l'humaine. Ses yeux vitreux laissent pas transparaître la moindre compréhension d'la situation. Alors, j'prends l'initiative.

Hmmf. Tu peux marcher ?

La question devrait être valable pour moi, et ma fissure dans la guibole... L'adrénaline me sert de morphine.
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Je courrais, trottinais, m'arrêtais, m'effaçais dans l'obscurité d'une ruelle et courrais à nouveau, supportant difficilement la charge sur mon dos. Fichtre, comment avaient-ils fait pour nous retrouver ! Je sentais bien que j'étais pas en excellente forme en plus, j'avais pas totalement récupéré de l'état lamentable dans lequel je m'étais mise la veille, et ce n'était pas cette nuit dans cette chambre d'hotel qui avait eu raison de la fatigue que je creusais désormais.

- Ils sont là !

Roh merde. Et c'est reparti, au galop, je fonce sans vraiment regarder où je vais. La poiscaille est plutôt lourde malgré tout. Son physique de résidu de foetus est trompeur, il doit bien cacher ses muscles quelque part car on les sent bien au poids. Les cris se rapprochent, des aboiements aussi : ils ont choppé leurs chiens. Tu m'étonnes qu'ils nous suivent à la trace, avec l'odeur du poisson pas frais que je me trimballe. Sans compter que j'donne fort à parier que le gusse est plus en train de roupiller que de comater, tandis qu'une gigantesque bosse commence à poindre de façon démesurée sur son front poisseux. Rah, ça m'apprendra à boire. Note à moi-même : ne plus jamais boire d'alcool. Plus jamais. Ca y est, ils seront bientôt là. J'abandonne, je lâche tout, rien à fiche. Je suis pas taillée pour le marathon de toute manière. De toute façon, ils m'auront pas vivante.

- Glurgh-b ! Lâchè-je tandis qu'une main sortie de nulle part m'aggripe au col.

Ils sont là, ils m'ont eu, j'ai même pas eu le courage de me donner la mort, même pas eu le courage de sauver la vie du pauvre miséreux sur mon dos. J'ai le temps de voir une porte s'ouvrir en grand et m'accueillir, tirée comme un sac de patates, avant de se refermer derrière moi.

- Chuuuuut.

J'obéis. Les cris s'écartent tandis que les aboiements cessent. Quelque chose vient renifler à la porte et gratte avec ses pattes. J'ai grande peine à identifier l'inconnu dans la pénombre, seulement j'entends les bruits de pas de celui-ci traverser la pièce, ouvrir un placard, en ressortir quelque chose de faisandé et le jeter par la fenêtre.

- Voilà, avec ça ils devraient être occupés pendant un petit moment. Et bien, vous avez eu chaud, Sweetsong.

Le hoquet me saisit quand l'homme se décide finalement à allumer une lampe de chevet.

- Leonardo ? Quelle surprise ! M'exclamè-je.

En effet, si je m'étais attendue à le trouver là. C'était peut-être l'une des rares personnes en dehors du CP8 pour qui j'avais de l'estime. Un grand gars, très fin, binoclard et pas musclé du tout, il avait plus le profil d'un rat de bibliothèque qu'autre chose, pourtant c'était lui aussi un agent secret. C'était un agent du CP2.

- Alors, tu me présentes ton copain poisson ?

J'arrive à identifier finalement un endroit où déposer le gusse assommé : un fauteuil entouré de piles de bouquins, relativement difficile d'accès mais je me débrouille. Je pose l'homme-poisson en travers et justement réponds à la question de mon vieil ami.

- Je te présente Monsieur Poisson, un soldat de la Marine, il m'a sauvé la vie hier.

- Tiens donc, rien que ça ? Et qu'est-ce que tu avais encore fichu ? Me lance-t-il avec un faux air sermonneur.

Je lui raconte alors mes péripéties au bar, la façon dont je m'étais retrouvée dans cette chambre d’hôtel, sauvée par mon prince pas-si-charmant et que les révolutionnaires fâchés n'avaient pas mis longtemps à nous retrouver, que le pauvre gars s'était pris une brique sur la tronche et que j'avais dû le porter jusqu'ici. Certes il manque des détails et c'est vraiment très concis, mais l'histoire est compliquée en soit. Pourtant, le littéraire me dévisage comme assoiffé par mes paroles et on reconnait bien là le fada d'histoires et de contes fantaisistes. D'ailleurs il conclut en disant :

- Vous êtes les bienvenus ici, en tout cas, restez vous réfugier autant de temps que vous le voulez. Ils devraient poursuivre leur chasse encore deux ou trois heures avant d'en avoir marre, ces gars-là.

J'acquiesce et lui demande, sans indiscrétion, s'il n'aurait pas une couchette sur laquelle je pourrais me reposer. Il m'invite à prendre sa chambre d'amis pour me rétablir le temps d'une nuit, parlant à côté de ça de ses derniers romans préférés, des dernières pages qu'il avait feuilletées, comme ça, car il aimait bien. Crevée, je suis déjà parée à dormir même si le bonhomme semble ne pas l'entendre de cette oreille tant il a tellement de choses à me dire, seulement tandis que mes paupières se ferment toutes seules, il voit finalement que plus aucun de ses mots ne se reflète dans mon esprit. Assise sur le lit, parfaitement stoïque, je me suis endormie.


Dernière édition par Annabella Sweetsong le Jeu 5 Juin 2014 - 19:53, édité 2 fois
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Un homme-poisson qui se met à aider les humains devient un paria. Ça fait combien d'temps, qu'j'en suis un, tiens ? Techniquement, bien cinq ou six ans ? Quand j'y pense. On m'a jamais remercié pour mes services aux peaux-roses. On m'a jamais pris en considération. On s'est jamais intéressé à là-dessous, à l'âme. J'ai pas d'âme, hein ? J'suis un animal. C'est systématiquement c'que m'disaient les humains, quand j'étais gosse. Les porteurs de Foi. Décident de qui a le droit de souffrir, et de qui n'est qu'une coquille vide sans substance. Z'ont planté en moi ce drôle de doute. Le jeune homme-poisson influençable s'posait des questions existentielles. En venaient parfois à croire qu'il n'était rien d'autre qu'un pantin destiné à s'fondre dans l'ombre de son grand frère à jamais.

Grrrnn...

J'm'affaisse contre des briques rouges. La donzelle commence à peser lourd sur ma patte ouverte. J'la porte sur le dos, en bon chevalier qui se souvient qu'il n'sera jamais que le dada des autres.
Toujours dans sa torpeur, la femme semble avoir frisé l'coma éthylique. Aucune chance que j'trouve un toubib convenable par ici et à cette heure. Alors... m'voilà nourrice. Ou ange-gardien. Qu'est-ce que j'en sais ? Pas l'temps d'me juger. J'Inspire, j'expire. Profondément. J'suis crevé, j'sens le gaz embrumer mon esprit trop survolté pour tenir bien longtemps à une heure pareille. Et j'ai mal. Mal à la guibole, ouais, mal au coeur, aussi. J'aimerais refaire le point quelque part. J'aspire à un peu d"repos. Et l'idée d'un lit douillet, d'un bandage délicatement serrée autour d'ma cuisse et d'un feu crépitant dans un docile foyer s'présente à moi, comme un pied-de-nez. Et ça m'fait repartir. Et j'combats la douleur, la fatigue, le poids d'la dame. Et j'm'engage dans les ruelles crasseuses et passablement malfamées, sous la bénédiction des faibles réverbères.

Boule à la gorge. J'veux pas faire d'autres mauvaises rencontres. J'serais pas prêt à la défendre. Ni à m'occuper de moi non plus, forcément. J'sais bien c'que j'suis, hein ? Le minet. La tapette. L'intello. Prenez n'importe lequel d'mes congénères, il me calera la palme à angle droit au bras de fer. Ma force, c'est mon capital naturel. Rien d'plus. J'l'ai si peu cultivé... Peu intéressé. Un peu trop lâche. Parfois la peur de l'effort, ou celle de me faire mal. J'blâme personne. J'pourrais, j'pense. Les humains me haïssent pour c'que j'suis, les autres poiscailles me haïssent pour ce que j'suis pas. J'blâme personne. Ma situation est la somme de mes choix. Implorer la compassion d'mes deux yeux globuleux de requin battu ne suffit plus, aujourd'hui.

J'suis lent. J'suis trop lent. M'faut un autre plan que le lit douillet. Cette odeur... Cette chose collante et visqueuse, sur mon dos. C'est du vomi, j'suppose. J'ai pas regardé. C'est ça, hein ? Merde. J'vais la tâcher. Vu l'endroit où elle est venue me pêcher, ça m'étonnerait qu'elle soit coquette. Mais c'est pas ça qui me prend les tripes. C'est même pas cette affreuse odeur qui me secoue les entrailles dans tous les sens. C'est toute cette gêne. Cette crasse. Cette débauche et ses relents nauséabonds. M'poursuivent sans cesse, m'oblige parfois à contaminer tout ce que j'touche de ma souillure. On récolte c'que l'on sème, pas vrai ? L'hygiène, l'entretien du corps, c'que les humains posent comme étant des p'tits plaisirs, ça m'a toujours révulsé. J'ai un blème avec ce corps. J'aurais voulu en avoir un autre... plus orthodoxe. Et un pour l'frangin, aussi. Et là, et là... Ouais. Une vie plus facile, plus simpliste. Une vie d'humain.

Aurait été une vie ennuyeuse et sans expérience, j'suppose.

V-Vaut mieux vivre heureux dans l'erreur, dans l'noir, à ton avis, ou c'est mieux de... connaître la lumière, mais être constamment triste ? A ton av...

J'perds la boule ? Elle m'entendra pas. Elle me répondra pas. Elle me comprendrait p'tete même pas, si elle était sobre. Faut que j'enfonce dans l'crâne qu'ma cavalière est KO. Qu'j'suis donc seul à endosser toutes les responsabilités si un truc tourne mal.
Ah... Génial. Ça suffit. J'ai repéré un coin sûr où finir la nuit. Dans c'creux, là. Une maisonnette de bois rouge détrempé et un bien chaleureux campement de termites. On sera très bien, ici. On s'occupera de nous. M'dame, on s'reposera. Et en seulement trois pas, quatre pas, cinq pas. Nous y voici. J'pénètre dans la demeure. Ça paraissait moins grand depuis l'extérieur. Héhé, c'est l'propre des plus nobles de tous les édifices. Trop humble, ils camouflent leur grandeur, leur âme, et leur espace sous une apparence modeste mais élégante.

J'vous pose sur un matelas qui traîne là, m'dame. J'espère que les p'tites bêtes n'sont pas du genre à vous effrayer, car il semble que nous venons d'nous inviter en leur domaine. Remercions les pour leur hospitalité...
... Voilà voilà. Posée sur la couchette trouée et miteuse, votre face esquisse deux-trois nerveux plissements de nez et de lèvres. J'guette votre retour parmi nous. Et ma trogne m'fait mal. Et ma jambe appelle à l'aide. J'crois qu'il est temps de penser à moi. J'sens mes yeux globuleux, larmoyants. Injectés d'un rouge à faire frémir l'plus tourmenté des insomniaques. Ça fait combien d'temps... que j'ai passé une nuit réparatrice ?

Une nuit pas bombardée d'cauchemars effrayants. Une nuit libérée d'mes angoisses rituelles avant d'me laisser dévorer par Morphée. Nuit douce, légère. Sans malheur autre que le deuil de la journée passée. Pas de matelas pour moi ? Juste un tas de vieilles sapes. J'en prends des roulés en boules, qui vont m'servir d'oreiller. J'fais tomber le reste par terre pour m'constituer un lit douillet. Un peu trop ras d'la terre pour être certain qu'des insectes viendront pas m'ronger les fringues, mais... j'sais me contenter de peu. Malgré ma naissance bourgeoise. Monter à la surface, c'est comme avoir fait mes voeux. D'pauvreté. Et d'abstinence, haha. Hum.

Aah... En cinq ou six ans, j'ai fais tellement plus que durant mes dix-huit premières années. Celles où j'étais... "à peu près" satisfait d'ce que j'avais. L'enfant en moi. J'le sens encore. Une timide respiration qui persiste en moi. P'tete bien c'qui m'permet de conserver tout mes trésors d'empathie, d'compréhension. Et aussi ces parasites de pessimisme, d'pitié exacerbée. Avoir eu pitié d'un macho qui s'en prenait à une donzelle m'a coûté une affreuse lézarde dans la cuisse, cette nuit. Est-ce que la compassion finira par m'buter ?
.....

.....
J'vais d'abord aller checker c'que sont ces étranges rumeurs là-dehors avant d'me pieuter. J'capte des aboiements et des pieds qui frappent le pavé d'la ruelle. J'veux être certain que rien ne nous sabotera la nuit.

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- Dis, ton Monsieur Poisson hier soir, il s'est réveillé. Ça a pas duré longtemps, mais en revenant dans le salon je l'ai surpris avec les yeux à moitié ouverts. C'est bon signe !

Ouais, mais ça aurait été mieux s'il avait pu lever son postérieur de requin et marcher, désormais. Bientôt une heure que je marchais, ou peut-être même plusieurs. En tout cas, beaucoup trop à mon goût. C'était pas vraiment une ville, mais plutôt un labyrinthe ; et si panneaux d'indication il y avait alors ils devaient être bien cachés car je n'en avais pas vu un seul. Beuh. Je redressais le gaillard sur mon dos ; j'avais fini par m'habituer à son odeur bien qu'elle soit forte et répugnante. Contrairement à lui, j'avais profité de notre petit passage par chez Léonardo pour prendre une douche, mais je voyais bien à quel point ça avait été vain : si c'était pas la plaie suintant le sang à sa cuisse qui dégoulinait sur mon bras droit, c'était la sueur coulant le long de mon dos, sur mon front et dans mon entrecuisse qui me donnait l'allure d'une noyée et l'odeur d'une sportive de marathon. Le poids était insoutenable et mystérieux : où allait-il chercher ses muscles ? De son côté, la température faisait son effet, le temps était obscur, nuageux mais incroyablement lourd. Pfiou ! Allez du nerf.

Je prends la rue sur ma gauche et débarque dans le coin que Leonardo m'avait indiqué. Un parc, pas un petit jardin de verdure, plutôt un terrain vague, mais un parc tout de même. J'entre. Bah ouais, on peut carrément reconnaître les mares au canards, tu vois, à la différence près qu'il n'y a que de la boue dedans ! Et peut-être des vers, ou des cadavres, ou les deux. Rah j'en ai marre de courir partout, vivement que le gusse soit pris en charge par les services hospitaliers du coin, que je m'en retourne faire mon rapport et quitter cette île maudite. Mon chemisier est déjà collant, tâché et humidifié par la sueur qui suinte dans mon dos, dans des endroits plus intimes et qui dégouline de mon cuir chevelu. En fait, j'suis carrément trempée de la tête aux pieds, comme si j'étais tombée dans une gigantesque flaque. C'est bon, j'ai brûlé mes calories pour plusieurs siècles là. Et mes jambes qui me font mal, surtout quand je m'arrête. Je me penche, les paumes sur les rotules ; non c'est moi qui suis sur les rotules en fait, pas mes paumes. Le banc me fait de l'oeil, mais c'est douteux. Y'en a qu'un. Pas grave, je m'assois quand même.

Puis voilà qu'un gars - enrobé dans son imperméable et son chapeau melon, comme une saucisse dans son pain hot-dog - s'approche et s'installe près de moi. Hum. Bizarre. Le vide, le silence, aucun geste, aucun mouvement. Moi je le zieute, évidemment, mais lui il reste là, immobile, concentré. Je reste à l'affût, bien qu'évidemment perturbée par le gonze. Vue comme ça, avec mon paraplégique mi-humain sur le dos, je dois pas avoir l'air très effrayante. J'essaye de me remémorer les paroles exactes de Leonardo, mais même exactes elles restent totalement floues.

- C'est le point de réunion des hamburgers.

Ah, inutile, j'ai trop faim. Oui, je crève la dalle. Et oui je sais, j'en ai pas parlé jusque là, mais c'est le cas, mon estomac est un trou béant. Alors je vois de la bouffe partout, jusqu'à dans mes souvenirs. C'est pas la première fois, essayons de se concentrer... Hamburgers... Hamburgers, sandwichs... Sandwichs, pain... pain, boulangerie... boulangerie, donuts... Donuts, police... Ah c'est ça, voilà, c'est un inspecteur. Ah, et bien dis donc, quelle rétrospective.

- C'est le point de réunion des donu... inspecteurs.

Ouep, il m'a redirigée vers ici pour cette raison, sans aucun doute, même si avec mon cerveau franchement paralysé sur le moment, j'ai pas réussi à conserver les objectifs de mes déplacements sinueux dans ce ramassis de taudis qu'est Las Camp plus de huit minutes. Mon paquet gigote. C'est pas possible, comment peut-il déjà revenir à la surface ? Je m'en sépare et l'allonge sur le reste du banc, cassé en deux. Entre temps l'autre a tourné le regard vers moi ; je fais de même en plantant mes prunelles dans ses obscurs verres de lunettes de soleil.

- Euh... Moi c'est Anna... Je suis aussi une inspectrice, comme vous. Je m'approche alors de lui et lui chuchote : le CP8.

Tout d'un coup une plante se met à bouger, puis un poteau et enfin ce que je prenais pour une flaque de boue. Qu'est-ce que... Des agents déguisés en environnement ? Le gars, sur le banc, ne pète toujours pas un mot, tandis que l'homme-plante s’enracine près de moi. Sa voix se veut aigüe et nasillarde.

- Heureux de te rencontrer Anna. Moi c'est Rudolf. Nous sommes aussi du CP8, mais on nous connait tous les quatre sous le nom de Team DEKO !

Tout en prononçant le blase de son équipe, le gars se contorsionne bizarrement, s'emboitant comme une pièce de puzzle avec l'homme-flaque et l'homme-poteau, tandis que le hot-dog se fiche au milieu. Ça ressemble à rien, je résiste à la forte envie de me poiler. Pourtant on m'avait prévenue : le CP8 et ses entrées classes. Mais pour rien au monde je voulais être réduite à ça. A son tour, le hot-dog m'interroge, d'une voix grave et dissonante :

- Et lui c'est qui ?

- Ben tiens, demandez-lui, je crois qu'il vient de se réveiller. Réponds-je tout en collant une baffe à mon bienfaiteur.


Dernière édition par Annabella Sweetsong le Jeu 5 Juin 2014 - 20:28, édité 1 fois
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De sales clébards rôdent dans l'coin. Et ils ont certainement des maîtres. Des aboiements rauques, saccadés, déments raisonnent à travers ce coupe-gorge qu'est Las Camp. J'mettrais ma palme à couper qu'ils proviennent de bêtes malades. Et j'ajouterai jusqu'à mon bras dans l'pari qu'les humains auxquels ils servent de serfs sont tout autant désaxés. Alors, j'prends ma bravoure temporaire à deux palmes, et j'lui demande un dernier sacrifice avant d'me dégonfler, puis d'redevenir la loque que j'étais encore hier. J'retourne chercher la donzelle. Me revoilà monture de la malheureuse. Et déjà, j'm'engage dans les ruelles à pas de velours, les sens méfiants, l'instinct qui s'étale sur toute la zone à la manière des timides lueurs des réverbères, qui peinent à dissiper ce pétrole qui envahit la ville.

Mal à l'aise. J'me sens comme une bête sortie d'une mauvaise légende urbaine, qui se glisserait en ombre fallacieuse à travers l'opaque dédale d'une cité aussi brumeuse que pouilleuse, à la recherche de dieu sait quoi. Hmm. Un tel animal sauvage devrait n'être rien de plus qu'une faucheuse en quête de viande chaude et d'sang frais... Alors, décidemment, quel genre d'anomalie j'suis pour nous chercher à moi et à mon inconsciente copine d'un soir une couveuse, rien qu'une couveuse pour finir la nuit sans idées lugubres et sans avoir à s'ronger les griffes ?

Et m'rend compte que ma patte arrière saigne, de nouveau, un peu. Traçant dans mon sillage un pointiller d'explosions rouges, bien visibles sur les pavés. 'chier. M'sens forcé de ralentir. Pour scruter chaque forme dans la pénombre, l'moindre mouvement, disséquer le moindre son. Avec la douleur et la fatigue se développe la paranoïa. J'dois pas traîner. J'dois nous dégoter un abri. Vite.

Comme à la sortie d'un long tunnel, j'aperçois un halo éclatant au bout d'la ruelle. Et j'cours. Et j'cours. Comme un dératé. Non... Plutôt comme un dingue. Car chaque galop me froisse encore un peu plus la guibole, et aggrave, j'en suis sûr, un peu plus ma saignée. Merde. Auberge. Auberge... Sanctuaire. Ranger l'instinct de survie et la parano dans la table de nuit le temps de quelques heures de sommeil. J'ai la sensation d'être suivi. Au loin, ces aboiements rauques me parviennent de nouveau aux esgourdes. Et alors, j'ai toujours plus peur, et j'redouble encore de vitesse. Parvenu sur l'pallier de l'auberge, des rires gras, des sons d'chopes qu'on entrechoque. Ça déconne, ça trinque et ça se bourre la gueule, là-dedans. Malgré l'heure tardive, l'ambiance festive d'ce genre de lieu se tarît jamais.
Mais quand, d'un coup d'épaule brusque et maladroit dans la porte d'entrée, j'pénètre en boitant dans cette taverne bien éclairée à l'ambiance assourdissante, la tension grimpe en flèche, le courant d'air qui s'engouffre dans la pièce balaye tout les sons et j'me retrouve comme face à un peloton d'exécutions, fusillé d'une dizaine de regards...

J'voudrais... une chambre.

L'patron et la patronne derrière le comptoir me lynchent de leurs gros yeux noirs. La grosse dame m'attaque d'une voix nasillarde.

T'as fais quoi à cette fille, poiscaille ?
Rien. Elle est pintée et crevée. Lui faut un lit. A moi aussi.
T'nous prends pour qui, heeiiiiin ?

Des murmures se lèvent dans l'assistance nocturne. J'me tourne pas vers eux, j'reste centré sur le couple d'aubergiste. L'homme, un vieux commerçant rachitique, m'toise de sa gueule de rat, pendant qu'sa grognasse de donzelle s'mord les lèvres et scrute son mari en semblant chercher son approbation. J'sens mon coeur se fissurer et j'me maudis intérieurement d'avoir été si manchot dans mon entrée. En même temps, j'pense pas que pour le coup, c'était possible d'faire une entrée furtive avec mon fumet marin combiné aux relents de whisky d'ma cavalière.

Tant qu'il paye, j'm'en fous.
Heeeeeeiiiiiin ?! T'vas pas laisser cette sale bête blessée s'installer chez nous avec sa victime, dis ?
J'm'en fous, j'ai dis. Viens par là, toi.

J'm'avance à travers les tables, m'forçant à ignorer les mirettes accusatrices qui m'ricochent sur tout le cuir. Au comptoir, l'vieux récupère des clés et me les tend. A son niveau, j'les choppe d'un bras timide.

Chambre 8, 400 berrys. Faut qu'elle soit libérée demain, 8h.
D'accord, d'accord. Merci. V'là... l'argent.

Glissant ma palme difficilement dans ma poche, restabilisant au passage la p'tite dame qui commence à m'peser lourd sur le dos, j'en sors une poignée de pièces puis les déploie sur l'comptoir d'un air nonchalant. Mais c'est certain qu'il y a plus qu'le compte là-dedans. Gardez la monnaie. Ironie finale, j'me surprends à donner un pourboire à un vieux rat vicelard et sa grognasse d'éléphante... J'monte à l'étage, percevant derrière moi les débuts d'une scène de ménage entre l'couple de taverniers. Et en bruits de fond, les rires gutturaux des ivrognes qui sont repartis d'plus belle, après l'étrange coupure que j'leur ai imposé. J'me sens soulagé, malgré tout. Plus qu'une questions de mètres et de minutes avant qu'on n'soit "au chaud" et "en sécurité" dans un humide et miteux hôtel de la banlieue de Las Camp.

J'vois un huit se dessiner dans l'obscurité du couloir. J'soupire un grand coup en enfonçant ma clé dans la serrure, et j'pousse la porte de ma guibole valide pour découvrir le luxueux taudis qui nous abritera jusqu'à l'aube d'un jour que j'espère meilleur. Deux lits, une unique fenêtre-guillotine et son vieux store, et, summum du bling-bling, une baignoire grossière en fonte et un seau rempli de sciures. Cet endroit est complet, parfait. J'regrette tout de même le départ demain au saut du lit... on aura pas l'temps de profiter des options.

J'place délicatement la jeune femme sur l'une des couchettes. Puis j'circule un instant dans la chambre. J'vérifie qu'la porte est bien verrouillée, j'mate l'activité d'la ruelle depuis derrière le store. Calme plat. Les louches sons se sont tus. Silence, solitude, sérénité. J'm'écroule sur l'autre lit. Et l'point de la journée se fait tout seul. Victoire. Ouais. Victoire. Mais à quel prix. J'ai la cuisse retournée de l'intérieur. D'ailleurs, quelques points rouges se sont disséminés sur l'matelas. Manquerait plus qu'les deux cochons à la tête de cette auberge m'en tienne rigueur et m'fassent raquer encore plus. Quatre cent berrys... pour une nuit en palace.

Cher ou pas ? Les notions de thunes m'sont toujours passées par-dessus le museau.
... Me contenter d'peu, ouais. C'est ça. J'suis bien placé pour savoir à quel point l'argent rend apathique. A quel point l'pouvoir ronge les êtres et sabote leur existence.
... Jamais été sûr qu'mes darons nous aimaient vraiment, Tark et moi, à cause de ça. La tête dans leurs affaires sordides et dans leurs fiscalités, ils oubliaient qu'ils avaient des fils rêveurs. Et les avoir enfermés dans une cage dorée, pensant les combler et n'pas avoir besoin d'alimenter leurs passions et leurs espoirs... C'était bien la pire des choses à faire en tant que parents. Ils ont fait de mauvais choix. On fait tous de mauvais choix. Des choix... Choix...

Ch... Mes pensées deviennent vagues et absurdes. Elles n'sont maintenant plus qu'une multitude d'éclairs qui font régner dans mon pauvre esprit nébuleux un orage chaotique et semblant sans fin.
J'déteste cette perte de contrôle de moi-même. Ma cervelle se pare d'un arôme de formol et n'obéit plus ni à ma raison, ni à mon instinct. C'quelque chose de mystérieux qui prend les commandes.
Mes paupières s'affaissent, comme pour mieux m'permettre de contempler ce spectacle cauchemardesque... mes tempêtes intérieures.

J'trouve la sérénité, l'apaisement. Un souffle profond et régulier. Au milieu du tumulte et d'la tourmente.
L'ouragan qui m'agite l'esprit. N'devient plus qu'un décor. Et j'me sens partir. Et j'me sens décoller... vers un ciel plus paisible...
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Rah, vraiment aucun répit. A peine la poiscaille avait commencé à ouvrir la bouche et relâcher son haleine terrible que le hot-dog m'avait déjà prise à part pour me demander s'il était possible de lui rendre un petit service. J'avais l'impressionnante envie de lui gueuler de me laisser souffler, merde, mais comme je suis légèrement naïve, j'ai bien entendu dit oui, même si ça n'avait rien d'une partie de plaisir. Cela supposait qu'il fallait que je m'aventure à nouveau dans les bas-quartiers de la ville pour risquer ma peau à retrouver un gusse que je savais même pas s'il était encore en vie ou non. Et puis c'était pas comme si je pouvais refuser, puisque "redevable" était le maître mot de ces guignols. A croire qu'en plus de ça, ils ne faisaient que se planquer dans leurs uniformes d'arbuste et de flaque de boue. Seul Knüt, l'homme en imperméable, faisait montre d'un minimum de sérieux.

A en croire leurs paroles, ce petit parc dans lequel nous nous étions rencontrés constituait l'une des jonctions entre cette partie de la ville totalement anarchique et celle où la Commandante Bathory arrivait plus ou moins à faire régner l'ordre. Les délits étant nombreux, plus ou moins graves et fluctuant au gré des jours, il arrivait que quelques forçats soient mis au fer, mais plus souvent lorsque ceux-ci s'aventuraient trop près de la Marine. Ainsi donc, ils se dissimulaient là en attendant leurs proies, bien tapis dans le parc à l'affut d'un homme louche tentant de le traverser. Quel est donc le rapport avec ma mission, vous me direz ? Et bien, récemment l'une de leurs proies avait réussi à leur échapper et menaçait de faire passer le mot à un bon paquet d'ennemis qui leur tomberait inévitablement dessus. Et moi, bah j'étais chargé de retrouver ce gars et le ramener. D'ailleurs, là où on se fend bien la poire, c'est dans la description du gars : un mètre vingt, trente kilos à vue de nez, des tâches de rousseur, des habits crasseux, un balluchon et un béret.

- Ah ouais, vous me demandez de rechercher un gamin.

- Pas étonnant.

- Exactement ! Apparemment il s'appellerait Olivier Twix, c'est tout ce que nous savons !

Beuh, la merde. Comme si j'avais que ça à fiche de courir après des gamins. Pour quoi j'avais été envoyée là déjà ? Ah oui, courir après des révolutionnaires. Bah, au vu des récents événements, peut-être que passer mes nerfs sur des rejetons mal élevés me ferait du bien.

***
J'avais donc accepté à contrecœur et m'étais retournée vers la zone la plus crasseuse et délabrée de cette ville déjà crasseuse et délabrée. D'ailleurs, si je devais tomber sur tous les gamins vagabonds possédant un béret dans le coin, j'en avais pas fini. Relativement mornes, ces-derniers s'entassaient dans les coins des rues, à regarder défiler les gens devant eux - pour le peu qu'il y avait - et fixer avec une intensité rarement égalée les briques rougeâtres des murs décolorés. Me penchant donc tous les cinq-six mètres pour vérifier la pigmentation des joues des marmots, je trouvais finalement en cette quête quelque chose de chiant au possible. Il me semblait carrément impossible que dans ce grand ramassis de taudis qu'est Las Camp je puisse trouver un gosse clochard parmi des milliers.


Pourtant la chance semble me sourire alors que, m'approchant d'un énième gosse, ce-dernier prend la fuite. Moi, je me pose pas de question alors je fonce et vu qu'il court vite et connaît bien le coin, je m'avoue même en difficulté. Mais je continue quand même sur ma tracée, prends sur moi toute la force de l'adulte qui me constitue et ignore la gêne occasionnée par ma poitrine - chose qui se révèle d'ailleurs une gène chez la plupart des filles remplies de charmes au moment de courir. C'est finalement au prix d'un effort surhumain que je tombe sur le gosse et l'écrase de tout mon poids. Celui-ci geint, se tortille mais mon emprise se fait de fer tandis que je lui choppe son bras droit pour menacer d'effectuer une clé.

- Maintenant on va se relever bien gentiment et on va me suivre.

- Pitié ! Pitié m'dame ! J'jure que j'ai rien dit, m'dame ! Si'ou'plait !

Je le matte d'un peu plus près. Le chiard doit pas avoir plus de quatorze ans, sa frimousse semble empreinte d'une malignité sans égal et un léger duvet roux commence à se faire fureur au dessus de sa lèvre supérieure. Un duvet roux, une image qui m'arrache une pensée et me tord le cœur ; comme les cheveux de mon fils à sa naissance. Je resserre ma poigne involontairement sur le bras du mioche qui fond à moitié en larmes. Ah ! Je peux pas être aussi désemparée avec ça. Surtout qu'il a dit qu'il avait rien dit. Mais ça fait rien, je le ramène quand même. C'est pas à moi d'écouter ses supplications, au final, j’exécute juste les ordres, même si je suis pas sûre de qui est le supérieur de qui dans l'histoire.

- Tu devrais le laisser partir.

Ha ! Je l'avais presque oublié lui. Pour une fois qu'il me demande d'effectuer une bonne action. C'est vrai qu'un gamin, ça peut pas faire trop de tort, mais les risques sont trop grands.

- Non ! Réponds-je soudainement, stoppant net le hoquet de terreur naissant du petit Olivier.

- Laisse.

Bachibouzouk ne s'était jamais fait aussi sérieux dans l'une de ses interventions. Tiraillée par la douleur sourde qui me prend aux tempes, je lâche le gosse conformément aux ordres de l'entité dans mon crâne. Le mioche n'attend pas son reste et prend la fuite. Mais sitôt est-il déjà parti qu'il se heurte à un mur. Ou plutôt à un homme. Ou plutôt à un savant mélange d'homme et de requin. Il me zieute, hébété.

Et il le laisse filer.


Dernière édition par Annabella Sweetsong le Jeu 5 Juin 2014 - 20:44, édité 4 fois
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... Calme plat après la tempête... Malgré une nuit foutrement agitée, j'm'épate tout seul à attendre l'heure fatidique devant les stores entrouverts de la vitre, qui laissent passer les premières rayures dorées de l'aurore. Entre ces timides zébrures, entre la condensation qu'a répandu ses perles incolores sur la fenêtre, entre ces sons lointains venant d'en bas et du couloir qui me rappellent que l'avenir appartient à ceux qui s'lèvent tôt... J'dirais qu'on doit être dans les alentours de 7h. J'ai l'esprit embrumé, et c'est p'tete mieux comme ça. J'suis pas bien sûr de ce qui m'a réveillé... Sont-ce ces cauchemars affreux qu'on l'air d'avoir souillé si profondément mon p'tit esprit que j'en retrouve aucune trace en effleurant la surface, ou sont-ce les ronflements rauques et profonds d'mon ivrogne qu'ont fait vibrer mes fragiles oreilles dès l'saut du lit ?

Pas de p'tit déjeuner pour les héros, j'suppose. M'étonnerait qu'il y ait le moindre service proposé ici. Faut pas en demander trop au maître de maison et à sa mégère domestique. Repenser à notre arrivée ici hier m'colle un léger cafard matinal. J'y ai pensé beaucoup, la veille, à cette aversion d'moi-même à cause de ma propre race. C'aurait pu super mal tourner... de surgir comme ça de la nuit noire à l'intérieur d'un établissement à la populace, j'en doute pas, autant bourrée qu'raciste. C'est pas passé loin... C'est pas passé loin. Ce coup-ci, j'ai eu de la chance. Pas de chasse au requin. J'ai été téméraire et inconscient, j'l'ai joué presque comme si j'me doutais pas qu'le monde pouvait me vouloir de mal. Mais j'ai un sursis. On est jamais sûr d'voir l'aube lorsqu'on s'couche en étant un monstre. Une menace. Sous ma carapace d'écaille et derrière mes défenses naturelles acérées, y a rien d'autre que les plus inoffensives et douces aspirations à collecter les remerciements, les pardons et des idéaux naissants. Et ça me suinte par les pores. Et les vrais prédateurs du monde le sentent, ils sentent ma faiblesse et ma mollesse de coeur, tandis qu'les sensibles, mes frères d'âme, sont trop tétanisés devant la gueule du monstre pour prendre le temps d'en mirer le singulier paysage intérieur.

Les cent pas dans la chambre. Penser en déambulant, l'matin, ça m'désengourdit à la fois les pattes et la cervelle. J'boite plus, mais ça pique fort. M'étonnerait guère qu'ça se soit déjà infecté, après quelques heures passées dans c'gourbi insalubre où doivent se croiser et se succéder les bacilles les plus misérables mais exotiques qui soient.
Les gémissements plaintifs de la dame imbibée jusqu'à la chair de décapant brise le néant dans lequel notre chambre était plongé. J'ai pas fais attention, j'ai du étaler mon blues partout par terre. Faut qu'je le range. J'me concentre sur l'état de la donzelle. J'esquisse un sourire aussi farouche que forcé.

Qu'est-ce que tu es au juste ?

Le rev'là, ce doute. M'souviens qu'avant son malaise, hier, elle avait aussi cherché à le savoir. L'idée fixe l'a p'tete travaillé aussi durant son coma, qui sait. Drôle de bestiole, hein ? J'pose mes fesses sur mon matelas, puis fait face à l'amie. Ma voix, cette mauvaise machine qui déraille, sent bon le matin et le malaise. Enrouée, timide, cassée et faiblarde, elle s'empare des mots-clés d'la journée d'hier et les agence comme elle peut, instinctivement.

Bonne question. Euh... M'appelle Craig. J'suis marine, en permission. Tu t'es faite agressée, hier soir, dans ce bar où t'as l'air d'avoir pris une cuite. J'ai pu... te tirer de là. Et t'amener ici, à l'abri.

Ses mirettes exorbitées m'apparaissent comme deux globes coulants d'une savante et saugrenue bouillie d'peur et de curiosité du fond de laquelle émerge maintenant quelques morceaux d'reconnaissance. Les miroirs de l'âme vous trahisse, mamzelle. Communiquer par le regard, chez moi, est plus instinctif que baver des mots. C'est une connexion qui s'fait d'elle-même, m'permet de balancer mon mutisme par-dessus l'épaule et d'prendre la température de l'eau. Ou d'percevoir la météo intérieure d'mes interlocuteurs, d'un autre point d'vue. Il fait bon, chez vous ? Z'avez l'air confuse, madame, et du coup, plutôt froide. Mais j'doute pas qu'les rouages se dérouilleront d'eux-mêmes avec le temps. Vous vous demandez sûrement, dans un effort désespéré à synchroniser les p'tits insectes qui grouillent partout dans votre esprit, s'noyant dans le mauvais pinard que vous vous êtes infligée, si vous êtes pas encore la face plongée dans votre propre repas devenu méconnaissable, en train de faire un rêve perché où existent des animaux bipèdes capables de tirer un simili de sourire. Faudra vous y faire. Ressentir et souffrir est pas votre privilège. Je suis là.

Vos mirettes vitreuses m'descendent sur la guibole. Et sans relever la tête, c'est un regard inquisiteur qu'vous me renvoyez maintenant. J'vous épargne votre salive, et bave un peu de la mienne. Pour une fois que j'suis satisfait d'ce que j'ai à conter.

T'en fais pas pour ça. Un coup de couteau. J'trouverai du désinfectant sur la route.
Ah, ouais. Parce qu'il faut qu'on y aille. Faut qu'on libère la chambre pour 8h...

J'tente de vous faire passer un message en m'levant, et m'dirigeant presque triomphalement en direction  d'la porte de la chambre. Dans le noir, cette nuit, elle me paraissait vachement moins crasseuse et grignotée par l'ethnie des termites, l'une des plus importantes de la ville.
J'ai bien l'impression qu'on est deux vagabonds, qu'ont rien d'autre que leurs vieilles sapes et leurs organes génitaux pour s'creuser un trou dans c'trou à rat. Alors... On décampe quand on veut, pas vrai ? Ici, les gens n'ont rien. Ou plutôt, les gens font semblant de ne rien avoir. C'qu'ils ont, ils le protègent mieux qu'ils n'garderaient leurs propres mômes. Ici, le n'importe quoi devient un luxe et alimente l'envie, c'péché qui rend plus qu'aucun autre cannibale. Ici, tu te fais tuer pour un paquet de riz, ou pour une nuit torride avec un dandy des ordures qui multiplie les conquêtes d'fillettes débauchées dès leur première nuit. Des conquêtes, du pouvoir, envahir les autres existences, leur grappiller du territoire, assiéger leurs sentiments. Oublier que même s'ils se sont imposés empereur des miséreux, leur propre vie leur reste imprenable.

EEEEUUURKK

On ferait mieux de vite décamper avant qu'les aubergistes ne viennent constater le maigre menu de la veille de ma cavalière, répandu sous forme de galette tentaculaire à côté du seau à caca. Mal visé, dommage.

Tu t'bouges ?

Elle se bouge. J'ouvre la porte, j'lui tiens. Elle tient debout, mais semble marcher sur des oeufs. J'lui proposerai bien de retrouver le statut de canasson qu'j'ai assumé toute la soirée hier, mais consciente, elle risque de prendre ça moins bien qu'avachie et groggy. Alors je la laisse se traîner à mes côtés, avant de refermer derrière elle et d'sceller le départ du nid douillet de quelques tours de clé. M'souviendrai de cette auberge, c'est certain. Un coin pouilleux mais chaleureux. Pour les rats.

On descend. Nous v'là réceptionnés par d'autres regards intrusifs. Gênés, ou accusateurs. Voire carrément enflammé, pour c'qui est de celui de la patronne, passant l'balai devant le comptoir et nous adressant comme une extension à son mépris une mine renfrognée aux traits tirés et mettant en valeur ses canines cariées. J'sais pas à quoi ils pensent, en nous mirant fixement débouler et nous esquiver d'cette assemblée accablante. J'sais pas c'qu'ils murmurent dans leurs barbes poussiéreuses, sûrement ce genre de ragots assassins qui se susurrent d'oreilles à oreilles. Pas envie d'en savoir plus.

Alors j'presse ma compagne, qui s'fait pas prier. Elle semble aussi gênée qu'moi par toutes ces mirettes mal dégrossies braquées sur nous, sans doute pour d'autres raisons. J'sais rien d'elle. Elle pourrait être n'importe quoi. Je l'ai secouru hier parce qu'elle était seule, en détresse, implorante, et qu'son destin s'apprêtait à prendre une tournure decidemment trop injuste pour qu'j'essaye pas de le remettre sur les bons rails. P'tete bien que j'me méfie pas assez, p'tete bien que j'pense plus assez à ma sécurité... P'tete bien que j'ai gagné du courage, ou p'tete bien qu'j'ai perdu en instinct de conservation. J'sais pas où j'vais. J'sais pas c'que j'suis. J'sais pas vraiment c'qui bat en moi. J'avance à tâtons dans la vie, et tout l'recul que j'arrive à prendre sur moi-même souligne à quel point j'suis qu'un cas désespéré qui s'cherche des raisons d'être et qui donnerait n'importe quoi pour que quelqu'un lui confirme qu'il est bien spécial... qu'il est bien "juste".

Nous voici sur le pallier de l'auberge. Et j'sais pas où va la donzelle non plus. Après la virée nocturne qu'elle m'a payé, j'espère au moins pouvoir connaître son nom avant qu'nos routes, déjà, se séparent. Alors, m'tourne vers elle, puis...

Eh, qu'est-ce que tu comptes faire mainte...
ATTENTION !
Hein ?

M'retourne. Pas le temps. Une douleur brutale et foudroyante, crâne explosé, mes yeux s'éteignent, ma conscience s'évapore dans un dernier prisme de sentiments incompréhensibles.
Ouais. La vie, ici, c'rien de plus qu'une flamme vacillante au milieu de l'obscurité d'un univers sillonné d'bourrasques. Lorsque d'un seul coup elle s'éteint, c'que tu es, tout ce que tu as été, et tout ce que tu ne seras pas, s'retrouve balayé par le néant.

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Franchement c'est quoi son problème à ce mec ? Je le préférais inconscient, il me fichait moins des bâtons dans les roues. Certes, il m'avait sauvé la mise, mais sur le coup c'était une belle ânerie que d'avoir laissé filer ce gosse. Me revoilà donc à courir dans tous les sens, dans ce fichu dédale de taudis pour retrouver le gamin et le ramener juste à temps. Seulement petit à petit je m'enfonce dans la basse-ville, l'atmosphère se fait nettement plus lourde et inquiétante et les rues étrangement désertes. Impossible de savoir vers où il est parti, cependant je ne sais pas si je pourrai retrouver facilement mon chemin, alors je continue droit devant. Assez rapide, le sentiment d'être menacée que quelque chose de gros me tombe dessus se fait violence et me pousse à prendre les armes. Évidemment, mon intuition ne me fait pas défaut, il y a bien quelque chose qui se trame : c'est un premier gars bien costaud qui apparaît subitement, sorti d'une ruelle sur ma droite. Il est rapidement suivi par cinq ou six autres gusses - aux plastiques toutes différentes - bloquant toutes chances de fuite en m'encerclant dangereusement. Des révolutionnaires, probablement, ils tentent de protéger le mioche. D'ailleurs il est là, lui aussi, juste derrière ; il se cache comme une poule mouillée et vocifère contre ma présence.

- C'est qu'une chienne du gouvernement ! Il accompagne ses mots, comme répudiés de sa bouche, par l’expulsion d'un mollard bien visqueux sur le sol. Elle est là pour la Matronne, j'suis sûr !

L'un des gusses me darde un regard indéfinissable tout en sortant :

- La tuez pas les gars, gardez-la vivante pour Kakihara, bwéhéhéhé...

Quel sale petit merdeux. Non, pas des révolutionnaires, pire : des membres de la Triade du Lotus Pourpre. C'est une armada qu'il a réussi à me coller à dos et cette demi-douzaine d'hommes de main prêts à me refaire le portrait. Quelque chose me dit que pour que ce mioche soit capable de donner des ordres, il ne doit pas s'agir d'un gamin tout à fait aléatoire. Ces foutus CP8 m'avaient mise sur sa piste en sachant ce qui m'attendait, ils m'avaient aguichée en prétextant une proie facile... quelle bande de poltrons.

Bref. J'attends que l'un d'eux fasse le premier mouvement : c'est comme ça que je saurai où me placer. Si je reste au milieu, c'est la mort assurée. Fort heureusement, un petit nerveux bien agité au crâne lisse comme un œuf semble véritablement décidé à en découdre et fait le premier pas, brandissant un poignard très aiguisé. Contrairement à ce qu'il imagine, c'est alors moi qui décolle dans sa direction tout en brandissant l'un de mes flingues dans la main droite. Il s'énerve, me fonce dedans, je l'évite latéralement et lui colle le canon de Gromit bien dans le dos du crâne.

BAM !

La détonation sonne le début des réjouissances. Les gaziers, prudents, qui s'étaient simplement contentés d'avancer jusque là, sortent leurs griffes - leurs armes contondantes ou tranchantes, toutes de corps à corps - et me foncent dessus têtes baissées. J'arrête d'avancer, fais volte-face et profite de leur attaque frontale pour observer la masse et réfléchir très prestement à un déplacement pratique, sûr et dévastateur. Un premier arrivé, tente d'initier par une rixe que j'évite grâce à un bond en arrière puis une seconde que je pare avec Gromit, Wallace, de l'autre côté, directement sorti de ma ceinture dorsale, vient rejoindre la tempe de la victime et lui fait jaillir la cervelle. Le corps tombe, inanimé, je continue à avancer et réceptionne un second gars : il est plus vif, mais ça ne l'empêche pas de se manger mon genou dans sa tronche en mawashi et de voler plus loin, inconscient. Plus que trois, les moins vaillants mais les plus coriaces. Plutôt que de se lancer bêtement au combat, ils semblent plus sur leurs gardes.

Je lâche un sourire, un petit rire satisfait tout en les invitant à poursuivre. Ils sont pas cons, ils y vont tous les trois en même temps : le plus grand a une massue qu'il semble manier comme si elle était faite de papier, le plus petit se la joue dague et le dernier semble n'avoir que ses poings. Trop sûre de moi, j'esquive le coup de masse de justesse : le gaillard est plus rapide que ce que j'imaginais, réactif et souple pour son envergure. Il continue à lever et abattre son fléau, secouant le sol et manquant à chaque fois de m'aplatir la tronche. J'enchaîne les pas de danse de gauche à droite, d'avant en arrière et finis brutalement par me retrouver collée contre son torse. Petite mais astucieuse, je lève mes armes vers son menton et sans plus attendre lui décoche deux cartouches dans la mâchoire inférieur. Je n'ai pas le temps de me dégager du corps sombrant que quelque chose m'empoigne le bras gauche et le vrille carrément, occasionnant une douleur palpable et la perte de l'une de mes armes. C'est le lutteur, j'aurais du regarder autour de moi. Je tente de lui asséner un coup sur le crâne avec la crosse de Wallace mais échoue : de son autre main libre il réceptionne mon bras et m'immobilise avec une clé. Le petit gars avec sa dague se rapproche dangereusement, savourant déjà ma mort avec une joie infinie.

- Assez joué, salope ! Tu vas crever, maintenant !

La pression se relâche sur mes bras, je profite du moment pour lever ma jambe et l'encastrer dans le plexus solaire de mon adversaire d'en face. Le nabot ne rigole plus, tente de me prendre à revers et menace de me transpercer l'échine avec son cure-dent. Je me projette au sol, juste au bon moment, mais perds ma seconde arme dans la manœuvre. Je regarde autour de moi, note la présence de mon sac et roule jusqu'à lui.

- C'est fini !

Je détache la boucle qui ferme le contenant et en sors le simple et unique contenu. Dans un rictus, je pivote à nouveau pour me retrouver en face à face avec mon adversaire, ce-dernier placé au dessus de moi. J'arme le canon à main et le darde sur l'ennemi.

- Exact.

Le coup part dans un nuage de fumée, le gars n'a même pas le temps de hurler que l'obus lui explose violemment au visage.

BOUM !!

A une si petite distance, les dégâts sont incommensurables, cependant je préfère passer les détails et m'en retourner vers l'Olivier, toujours là, transi à l'autre bout de la cour. Je m'en vais pour le rejoindre quand je sens la lame d'un couteau glisser sous ma gorge.

J'avais oublié le mec inconscient.


Dernière édition par Annabella Sweetsong le Jeu 5 Juin 2014 - 19:10, édité 1 fois
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... C'est ça, être mort ?
Pas possible. J'pense encore. Les sons du vrai monde m'parviennent comme des ondes lointaines. Une purée de son que j'me sens pas capable d'avaler. Je pense ? Encore ? Donc je suis, hein ?
C'est comme si j'flottais. Comme si j'avais plus de corps. Pourtant, j'ai un vertige, une nausée, une sensation... d'aller trop vite. Je pense que quelqu'un... me transporte... Secousses légères. Lointaines. Tous mes sens sont lointains. J'sais même plus si j'ai un corps.

Comme des diapos, défilent devant moi d'étranges souvenirs qui s'parent d'un halo éblouissant. Des bribes de mémoire que j'croyais perdues. Des succès, des échecs. Tellement variés, mais tous liés par l'âme : ce sont tout ces instants où j'ai essayé d'me battre contre c'que j'étais. Ces secondes qui passent minutes voire parfois heures, où j'ai tenté de dépasser le poiscaille couard, renfermé et perdu quelque part entre les larmes et le sang, qui s'efforçait de se frayer tant bien qu'mal un chemin vers un avenir plus paisible. Plus reposant. Plus vertueux. Ces instants où j'ai essayé d'me dépasser moi-même, sans forcément y arriver. Pester contre ce monde qui me met des bâtons dans les roues m'suffira pas, faudra bien qu'j'vérifie un jour si mes roues sont pas carrées. A force d'me remettre en cause, j'en viens à percevoir à l'horizon, à travers la brume d'mon futur maintenant incertain sans l'frangin, ces montagnes de progrès qu'il me reste à faire.
Ça m'servirait à rien, d'essayer d'être meilleur que les autres, hein ? Ça sera jamais possible, tant que j'aurai pas appris à d'avoir être meilleur que moi-même.
J'veux plus être un martyr. J'veux pas rester cet étron solitaire qui cherchait à s'accrocher aux fesses des plus fortes volontés, mais qu'a réussi qu'à chuter au fond d'la cuvette pour s'laisser aspirer par la chasse d'eau d'la vie. Alors, ces cris lointains et dissonants que j'perçois, surgissant de là-bas, de l'obscurité qui voile le monde réel, j'me dirige vers eux, j'pars à leur rencontre. Je m'accroche.

.....

La bouche pâteuse. La gencive traumatisée. Ça s'est réorganisé, là-dedans, on célèbre un nouvel agencement à l'intérieur de la mâchoire de la bête, un chaotique et douloureux. J'ai du perdre des dents, et elles ont repoussé comme elles pouvaient pendant mon... coma. N'importe comment. J'ai une canine qui s'est enfoncée dans une autre. Quatre molaires qu'ont repoussé à l'envers. J'ai du sang dans la bouche, probablement aussi dans l'crâne. Ma patte trouée est maintenant bien l'cadet d'mes soucis.
C'est l'brouillard. Une silhouette aux cheveux violets s'avance à travers la brume. Ma cervelle qui s'incendie, comme si elle venait seulement d'se rebrancher. Un feu de joie me consume l'esprit. Rassuré d'être encore en vie, mais effrayé par la suite. Constater. Les dégâts. Il faut.

.... Monsieur Poisson, .... Marine, ...sauvé la vie....

Tiens donc, ... ? .... tu avais encore fichu ?

Vous êtes les bienvenus ...... réfugier autant de temps que ..... Ils ... leur chasse .... deux ou trois heures avant d'en avoir marre.....

Comme si j'étais... dans l'océan... Ouais. Comme si j'étais retourné dans les abysses et ses sons étouffés par plusieurs millions de mètres cube de flotte salée... A côté d'la tête aux cheveux violets se dresse une... créature mi-homme... mi-hot-dog... les hybrides courent l'monde, hein ? Des homme-poissons, des zoans, des hot-dogs humains... D-Décidemment... Il remue les lèvres mais rien n'passe les douves infinies de formol qu'encerclent mon esprit... J'ouvre la gueule, ma langue tombe à l'extérieur, pendante entre deux canines mal restaurées. Peut pas causer. J'sens un filet d'sang ruisseler entre ma muraille de grosses dents pointues et mal foutues. Mais aucun son n'se laisse entraîner dans le courant de cette rivière sanguinolente. Et m'voilà muet. Et m'voilà dans des vapes. Un coltar mystique où la réalité d'vient absurde et monstrueuse. Paresse. Paresse de comprendre. De déchiffrer. M'laisse aller... de nouveau... Sommeil...

...

Le retour de ces flashs qui me saturent les rétines. Alors qu'ils sont pas réels. J'vois les fantômes d'émotions qui sont mortes. Mes neurones crépitent. J'les entends court-circuiter. C'est affreux. La sensation d'avoir le cerveau bourré de faux contacts. Comme des étincelles qui m'grésillent dans la tête, provoquent des illusions déplaisantes qui s'cassent aussi secs.

J'suis otage de mon propre passé. Et c'est comme si j'subissais un syndrome de Stochkolm envers lui. J'peux pas m'empêcher d'regarder toujours en arrière en parcourant l'sentier obscur de ma vie, comme pour vérifier si les spectres d'antan me poursuivent toujours. J'suis bondé d'regrets, de doutes, qui resurgissent trop régulièrement et trop bruyamment pour que j'puisse les ignorer. Mon passé est une drogue qui m'provoque d'abord de l'apaisement, qui m'donne l'illusion d'savoir où j'vais. Jusqu'au contre-coup brutal qui m'balance la vérité à la figure : j'ai jamais été complètement heureux, j'le serai jamais.

Mon enfance s'est déroulée sous un dôme d'expérimentation dont mon frangin aurait été l'initiateur. Sous la coupole sous-marine, paradis abyssal des pestiférés à écailles, il m'a transmis des valeurs, m'apprenant à rêver, dirigeant ma morale, m'faisant aspirer un horizon ensoleillé. Il m'a tout appris et bourré les yeux d'étoiles. Foutrement pathétique et dérangeant. Il est mon grand frère, mon père, ma mère, et mon meilleur ami, dans un seul corps. Ça fait une tonne de responsabilités contradictoires à assumer, ça. Tark a pas eu la vie facile, lui non plus, avec son handicapé mental d'frère. Et j'me suis permis de le laisser partir chez les révo's seul... alors qu'il est tout ce que j'ai. Alors qu'il est ma famille.

La réalité a dynamité tout ce que j'avais construit durant mon enfance. Mes rêves, mes espoirs, mes envies, tout. Racisme, missions ingrates et sales, abus, sang, batailles, violence, y a rien dans la marine qui fera d'moi un héros, ni même un pauvre bon bougre au milieu des ordures. Les charognes m'ont grignoté ma substances et je m'sentais comme une coquille creuse qui demandait qu'à être rempli de quelque chose de neuf. C'est aujourd'hui, que pour la troisième fois, je me sens renaître. Et cette nouvelle éclosion sera la bonne, j'espère...

Je continue. J'lâche... pas. Pas tout de suite. Ça ruinerait tout c'que les quelques farfelus qui ont placé de la confiance en moi ont pu entreprendre pour m'sauver d'une existence minable dans l'ombre de l'univers. Début de l'héroïsme ? Décider de continuer à vivre pour cette poignée d'impétents qu'ont eu un beau jour foi en moi ? Eh, les gars. J'ai sauvé... une fille... aujourd'hui... Pas mal hein ?... N'est-ce pas une jolie provocation envers ce fatalisme fulgurant dont j'suis un pantin ? La nique au destin. Sectionner les fils, la triste comédie prend une tournure effrayante, car la marionnette se rebelle. Juuuusticieeeer.... Nager à contre-courant.

J'entends encore du bruit. Parasite. Cloisonné dans mon esprit, j'glisse une mirette timide à travers la serrure de la porte blindée qui ferme mon âme un peu gluante. A l'intérieur de mon monde, il fait frais, noir, un monde opaque et triste où j'me sentirai à jamais infiniment seul. Ça fait trop longtemps qu'j'ai barricadé l'entrée aux tréfonds de mon essence. Qui ça intéresserait, et qui comprendrait, de toute façon ?

J'suis une merde, une pauvre merde, qui kiffe se morfondre, qui s'empiffre de sa propre merde. Hein que t'aimes ça ? Requin édenté. Renfermé. Pacifique. Aberration. Hein que t'adores faire porter au monde la responsabilité d'ta faiblesse ?

Mais dans la réalité, j'saurai un jour trouver la lumière qui m'convient. J'en suis désormais persuadé...
J'embrasse la vie !

...
...
...

***

Sans que j'puisse les en empêcher, mes mirettes s'ouvrent sur un soleil éblouissant. Me brûlent et m'forcent à gigoter la tête dans tous les sens dans un malheureux réflexe pour pas décupler la migraine. Mais le mal est fait, et l'intérieur d'mon crâne se retrouve pris dans une centrifugeuse qui m'porte mon fragile esprit à ébullition. A peine... repris conscience que le zénith m'a déjà assommé de nouveau. Puis au tour d'mes autres sens d'être saturés de réalité. Peu à peu, un à un, ils s'allument et les lances de lumière perçant l'feuillage au-dessus de moi s'retrouvent rapidement rejointes par un arsenal de sensations. Le bois du banc sur lequel j'ai été posé m'rentre dans les paumes et m'filent l'impression d'me faire harceler par une centaine d'échardes. Les plantes, excitées par l'été, me balancent des bombes odorantes aussi puissantes que nocives pour mes fragiles naseaux à peine remis d'leur brique.

Et une baffe, qui m'fout encore un peu plus le feu aux joues, compresse mes gencives et qui m'résonne dans ma mâchoire ensanglantée comme une déclaration de guerre. J'pane pas d'où ça venait. Mais ça fait mal, merde !

Et mes pauv' tympans...

Aaaah ! Tu t'es vraiment réveillé, dis ? C'est la bonne, cette fois ?

S'mêlent aux chants des oiseaux l'affreuse mélodie dissonante des voix criardes de mes hôtes. Une symphonie qu'ajoute une touche d'échos déplaisants dans l'immense caverne vide qui m'sert d'esprit. Toutes mes idées et mes pensées ont été évacuées. Où ? M'sentais plus actif KO qu'éveillé, bizarrement... J'bafouille. Rien de compréhensible. Juste un chaos de sons qui montre que j'suis conscient et qui cherche à s'faire passer pour la question la plus banale et légitime de l'univers.

...z'êfes ki ?

Grimaces qui leur barre la face, langues pendues. J'crois que mon halène a ravagé leurs dispositions. M'regardent avec un soupçon de dédain, maintenant, mais y a pas ces terribles traits de mépris propres aux regards des racistes, projectiles qui viennent s'ficher dans mon coeur, que j'ai du mal à retirer sans chialer. Eux sont pas blessants. Mouais. 'sont pas racistes. Juste mon odeur d'amphibien surgi d'un marais qui les incommode. Ils restent muets et leurs regards convergent tous vers mes deux humbles yeux globuleux. L'un d'eux approche ses grosses narines d'ma trogne, m'offrant une vue imprenable sur ses cavités nasales. Et m'renifle, comme s'il hésitait à m'faire sien. J'suis pas ton territoire, p'tain de déluré. Eloignes ton museau du mien.

J'veux même pas savoir où vous avez traînés, tous les deux.

Il s'écarte et m'permet de souffler un peu. Encerclé, paralysé, pensif, j'peux pas faire grand chose de plus que d'comater et griffer l'bois pourri du banc, le dos bloqué à angle droit.

Pendant ce temps, à l'intérieur de ma caboche... Foutus anévrismes de pensées qui poussent dans ma cervelle encore noyée sous l'flot d'événements qui lui a échappé. Comme des dizaines de bourgeons qui éclosent sur leur cerisier sous les premières éclaircies du printemps, en fait. Vision foutrement décalée pour m'faire ressentir ces questions qui m'chutent peu à peu dans ma mélasse encéphalique. J'suis où ? Ils m'ont fait quoi ? Ils sont qui ? Qu'est devenu la dame ? Une nouvelle fois, les doutes s'précipitent au portillon d'ma langue engourdie, et n'réussissent qu'à la tasser un peu plus au fond d'mon palais, sous une couche d'bave aromatisée à l'hémoglobine.

P'tain, il bave. C'est normal ?
Un truc d'homme-poisson j'imagine.
M'ffait quoi ?

Ils m'répondent pas. Ils m'comprennent pas. Dans c'décor touffu et lumineux, j'cherche du violet, des filaments violets, ceux d'la donzelle. L'temps d'arrêter d'me laisser malmener par mes propres sens, elle a disparu. Mais ma gencive gonflée s'en souvient. La gifle devait v'nir d'elle. Cruelle. C'est la seule trace qu'elle pense que j'mérite d'elle, après tout c'que lui ai donné ? Elle m'a abandonné à ces types ?
Elle s'est barrée, j'ai plus d'repères. A la merci d'ces inconnus, un vent d'panique absurde me souffle l'esprit. Sursaut, mes nerfs subissent un violent orage et j'suis pris de soubresauts sur l'banc. La tempête après l'calme. J'revis, pour de bon ! J'sens mes muscles s'tendre de nouveau, et j'les sollicite un max. Et j'm'agite. Comme un aliéné.

Eh ! Calmos !
Il nous fait quoi ?
On devrait p'tete lui dire où An... où elle est allée...


***


... qu'est-ce qu'elle voulait à c'gosse ? J'emboîte ses pas, avec l'minimum de dextérité possible. M'sens toujours dans le gaz mais mes idées, toujours très actives, pendantes au plafond, m'narguant, ont sévèrement besoin d'être remises à leur place. Je suis perdu. Les yeux assassins qu'elle m'a adressé en m'frôlant, s'lançant à la poursuite de l'enfant, m'ont poignardé l'coeur. Cette peur d'avoir déçu, d'avoir fait quelque chose d'mal m'envahit, guide mes pas éclopés. Qui était ce môme ?

Mon espoir s'émiette entre mes palmes, impossible d'localiser quelqu'un dans c'dédale de bois et d'ordures. Mais j'me relâche pas, j'erre. Pas d'abandon. J'tente un sprint, quitte à me tirailler davantage la guibole. Sous les oppressants regards des passants, un homme-monstre cherche des réponses. En espérant qu'elles pourront l'rassurer. Y a ces échos de lutte qui s'engouffrent dans mes esgourdes. Deux, trois ruelles plus loin, grand max. C'est très près, c'est bruyant, ça cartonne. Au rythme des coups d'feu, ma vitesse s'amplifie, en même temps qu'ma douleur. Y a des détonations, des boums, des bangs, et même des klings. Y a un fleuve de badauds fuyants le champ de bataille. J'nage à contre-courant. J'prie pour pas plonger dans une histoire qui n'me concerne pas. C'est une crainte assez crétine. Car quand j'y pense, j'étais moi-même en train d'écrire une histoire qui m'concernait pas...

Au même moment qu'un carnage s'achève, j'déboule dans l'dos d'la donzelle. C'est elle qui les a tous tué ? Pourq...
L'un des corps reprend vie, un poignard à la main.

Princesse, votre prince charmant difforme est de retour. L'couteau sous la gorge, votre souffle s'interrompt dans l'même temps qu'votre coeur. Et j'me laisse porter par le vent balayant la ruelle, et j'bondis sur un nouveau ressort du destin, mais j'me laisse trahir par ma propre jambe. M'tordant un muscle, remuant c'couteau invisible fiché dans la patte, j'm'affaisse et ma palme s'écrase sur un pavé, un pavé prétentieux, aguicheur, posé là envers et contre tout et m'invitant à embrasser son évidente ironie. Ma paume s'ressert sur la brique, mon bras s'tend et j'le projette en direction d'mon nouvel ennemi. Gémissement étouffé, puis un tintement métallique résonnant depuis l'sol m'signale que j'ai visé juste. Le monstre s'est écroulé, sur l'arrière d'son crâne naissant d'épais filets rouges qui m'irritent mes naseaux d'fils de lâche marin. J'voudrai jamais fusionner avec c'prédateur qui pourrait dormir en moi. Il s'est jamais retourné dans son lit, il a jamais ronflé, mais j'suis certain qu'il est là, quelque part. A sentir le sang et à en rêver, à le kiffer. J'ai peur d'être un requin. Mais j'secoure toujours des gens, alors j'dois être encore loin d'en devenir un.

Traînassant ma jambe comme un trop lourd poids, apaisé, triomphant, j'orne ma figure disgracieuse d'un sourire franc, exposant sans aucun doute ma dentition mal reformée et mes canines s'enchevêtrant dans un chaos d'ivoire.

La donzelle se relève. Et la retrouver, toujours vivante, m'donne du baume au coeur. Mais ses yeux interloqués et accusateurs assombrissent aussitôt mon horizon. Sa respiration haletante m'fait vibrer par à-coups mes fragiles tympans et j'crains d'percevoir quelque chose en elle que j'pane pas. L'adrénaline cause à ma place et déclenche l'alarme pour m'éviter d'me laisser absorber par les étranges sentiments des autres.

Euh...

Et sinon, ça va ?




Dernière édition par Craig Kamina le Jeu 5 Juin 2014 - 20:59, édité 4 fois
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- Euh... Et sinon, ça va ?

Sérieusement ? En un sens je peux pas trop lui en vouloir, une fois de plus le monstre m'avait sauvé comme il avait pu, même si c'était pas vraiment très reluisant ; et puis il me ressemble un peu, mais j'ose pas le montrer. Je me retourne, un peu hasardeuse, sortie de cette espèce de transe d'adrénaline qui m'avait fait effectuer ce carnage, je zieute : le gusse git, le crâne bien ouvert par le pavé, bien défoncé, quelle force ! Cependant ce n'est qu'un petit détail dans cet enchevêtrement de cadavres au sein de la petite place dans laquelle s'était déroulé le combat féroce. Un demi-sourire éclaire mon visage. Aucun doute, j'ai désormais l'étoffe d'un agent secret, mais il nous faudrait camoufler les corps avant de poursuivre.

- Hum... Tu pourrais les bouffer... euh, les cadavres ?

Il me taille des yeux ronds comme des soucoupes. Non, bien sûr que non, il est trop humain pour ça, mais ça serait cool : ça m'arrangerait. De l'autre côté de cette minuscule clairière circulaire, petit espace dégagé parmi les grandes bâtisses délabrées qui l'entourent, le mome demeure coi, immobile comme une statue. Je m'approche, c'est limite s'il fond pas en pleurs. Il baisse le regard, c'est bien, il sait quelle est sa place. Ce n'est plus cet enfant arrogant comme il l'était il y a une dizaine de minutes de cela, mais cette pauvre terrible chose vulnérable qui ne demande que la pitié des bonnes gens pour survivre.

- Tu vas me tuer ? Chiale-t-il.

- Non. Je tourne la tête vers le requin. Tu penses que tu pourrais nettoyer un peu ce bazar pendant que je règle quelques trucs avec celui-là ?

Je n'attends pas sa réponse, mais l'entends déjà s'activer derrière. Qu'il les foute dans une allée, un peu à l'écart, ça nous empêchera d'avoir l'air trop suspects : on est jamais trop prudents. Je sors une clope que j'allume, car je me dis que Bachibouzouk est pas loin et qu'il suffirait de peu pour que je fasse une connerie. A peine le zippo est rangé que ma main vole vers la joue du rejeton et claque sèchement contre son épiderme. J'ai même envie de lui en ficher une seconde, mais je me dis que ça serait pas correct : la première a déjà du répandre son égo à terre et le ramener à sa condition de sale gamin. Alors à la place de lui meurtrir l'autre joue, je lui prends le bras pour l'empêcher de s'évader : il se laisse faire, apeuré. Je balance un nouveau regard vers mon comparse du moment, affairé à trainer les cadavres et les entasser au fond d'une impasse obscure.

- Tu veux toujours le laisser partir ? Peut-être que la prochaine fois, il pourrait directement aller voir Sinhg Yin Fu et lui faire dépêcher des assassins spécialement pour nous.

Ouep je me suis un tantinet renseignée avant de partir. Désormais je le fais systématiquement, ça va quand même faire quatre ans que je suis au Cipher Pol, je commence à connaître les rouages du métier. Bref, j'attends pas la réponse du gars qui se veut un peu trop lente, de toute manière c'est purement rhétorique. Du coup, j'attends qu'il ait finit pour que l'on se remette en marche, direction le parc central et la Team Deko. D'un côté, j'hésite car ça me fait vraiment les pieds de rendre service à ces gusses-là et que le gamin, ça me ferait du bien de l'interroger pour en retirer quelques informations juteuses ; de l'autre, je me dis qu'une fois que c'est fait, je peux enfin me barrer de cette île maudite. Mais le mioche reprend conscience, freine des quatre fers pour ne pas me suivre.

- Non, s'il vous plait, pas eux ! Ils font des choses horribles ! Pleurniche-t-il.

Ça ne suffira pas, gamin. Après ce que tu m'as fait, espère même pas t'en tirer à si bon compte. Je continue, même s'il me faut le tirer comme un sac à patate, étalé sur le sol et mangeant toute la poussière et la crasse des pavés sur le chemin. Pourtant, il persévère :

- Si'ou-plait, je vous dirai tout. M'dame ! Si'ou-plait, pas eux.

D'un geste brusque je lui tire sur le membre par lequel je le traine et le suspends, noire de rage, face à mon visage fulminant.

- Alors quoi ?! Qu'est-ce que tu as de si important qui peut valoir la peine de ne pas obéir aux ordres de mes supérieurs ?

Intérieurement, je souris tandis que, machiavélique, je vois mon plan fonctionner. Ce gosse a tout d'un indicateur et s'il lui en faut si peu pour le faire parler, c'est tout bon. Plus loin derrière, la poiscaille observe, muet, la drôle de situation. Quasiment larmoyant, le petit dur déballe sa lippe inférieure.

- J'vous dirai ça ! J'vous dirai ça où vous voulez, mais pas ici ! Pitié !

Je m'empêche d'afficher une mine satisfaite. Bien, génial même. Je fais durer le suspens et reprends ma course. Le chiard la ferme, et se met à me suivre gentiment, suspicieux mais plus docile, car je lui ai tout de même pas dit oui.

***
Je savais pas comment j'avais pu revenir jusqu'ici, je l'avais fait, point barre. C'était, toujours accompagnée de l'indic' et de ma poiscaille, que je toquais à la porte du bon ami qui nous avait déjà hébergé auparavant. Ce-dernier ouvre, redresse ses lunettes et regarde mes compagnons tour à tour.

- C'est pour quoi cette fois-ci ?

- T'occupes, on aurait juste besoin d'un endroit où dormir.

Leonardo garde les yeux fixés sur le petit Twix, qui baisse une fois de plus le regard, puis nous invite finalement à rentrer. C'est spacieux, plus que la dernière fois. Peut-être notamment grâce au fait qu'il fait jour et que les volets sont ouverts. De l'entrée je peux même voir la couche sur laquelle je m'étais endormie deux jours plus tôt : une grande chambre d'amis sur ma gauche, au rez-de-chaussée. Dans le salon, sur la droite, un petit escalier mène à une mezzanine bardée de piles de bouquins : probablement là où dort notre hôte. Un autre escalier, plus grand, dans le hall d'entrée, surplombe le seuil de la cuisine et de la salle à manger, celui-là mène à d'autres pièces à l'étage supérieur, dont les portes fermées toisent la rambarde en bois du balcon intérieur. Après avoir demandé la permission, je pousse quelques livres gisant sur le canapé et m'installe avec le nain sur ma gauche ; Leonardo reste debout, invitant la poiscaille à prendre place sur le fauteuil qui l'avait déjà accueilli auparavant. Bien. J'affiche une expression très sombre, dardant le regard sur le mioche pour lui poser une dernière fois la question.

- Alors ?

Sous le regard expectatif des deux autres compères, le gosse, figé, les mains entre les cuisses, les yeux rivés sur la table-basse en verre, se décide enfin à répondre.

- J'sais où c'est qu'ils se trouvent, les entrepôts de la Matronne. J'vous l'dirai si vous m'amenez pas aux m'sieurs du parc, si'ou-plait...
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