Ça sent la bière et le calcaire, ici se réunissent ivrognes et cafards. J'parle des chiottes d'un bar miteux, un bar qui donne rendez-vous aux paumés, aux exclus et aux claqués, qui leur propose de noyer leurs tourments dans le pinard et d'mirer, à la fin, leur reflet dans l'fond de verre pour les forcer à tenir un tête à tête avec eux-même. Quand tes choix, tes regrets, tes espérances et tes doutes te font passer le seuil d'ce genre de coin, c'est qu'il est grand temps d'enfin affronter le miroir.
Méditer devant mon reflet au-dessus d'un évier rouillé. J'suis tombé bas.
Le néon là-haut me grésille à l'oreille qu'on est pareils, lui et moi. M'affirme que comme lui, mon coeur clignote, crépite, s'laisse emporter dans une stase stressante et triste. C'est moi. Soumis à un dilemme pérpetuel. J'abandonne, ou j'continue ? Lâcher prise ? Tenir bon ? Quand j'penche pour l'un, l'autre se renfrogne et vient refaire valoir ses droits. Autant d'embûches sur ma route et de pertes d'orientation. Alors j'avance pas, je tourne en rond. J'suis un serpent qui s'mord la queue, même si l'image m'paraît salace.
Drogué au passé. C'est ça. J'ai jamais été très alcool. Mon truc, c'est de m'enivrer de souvenirs. D'écouter tout ces échos, de les poursuivre, encore et encore. Revivre encore et encore les bons comme mauvais moments du film de ma première vingtaine d'années. Une boucle temporelle.
Ça m'amène à penser qu'en perm', j'perds totalement la notion du temps qui passe. Chaque minute est une éternité que j'occupe en tête à tête avec moi-même. J'ai jamais eu personne d'autre que mon frangin pour m'confesser, et alors, maintenant que ça fait... presque un an, qu'il m'a laissé livré à moi-même dans un état d'esprit qui s'évertue à me marteler quelle valeur négligeable j'suis dans l'équation de l'univers, j'me suis jamais senti autant humble, autant Rien ! J'ai fini par accepter. Le départ de Tark. Accepter ma solitude. Me murer désormais dans une misanthropie hypocrite. Garder cette empathie qui m'ronge comme un parasite, qui se nourrit de mes espoirs et d'mes rêves de sainte justice, et la forcer à cohabiter avec la méfiance et la peur de l'autre que la Surface m'a forcé à développer.
J'ai plus de repères. Je m'accroche à tout ce que je peux pour continuer à avancer. J'ai jamais été autant déboussolé. Pourtant, ça fait longtemps que toutes ces larmes que j'ai versé ont séché dans mes mirettes. Qu'le bleu d'mes yeux a arrêté de se brouiller à la moindre remontée d'un souvenir un peu dur, que mes palmes ne se tendent plus dans le vide à la recherche d'une main secourable. L'apathie me guette. Faut que je fasse gaffe.
Cette nuit, rien que moi. Penché sur un lavabo qui sent la gerbe, sa plomberie qui grince, qui souffre, et un miroir. Qui m'raconte sans se lasser l'histoire de cette gueule de merlan frit. L'histoire de la honte de la race des homme-poissons. Celui qui avait les dents, mais pas les burnes.
En perm', j'erre. J'sais même pas comment j'suis atterrit dans un endroit aussi pourri. Car en perm', je perds la notion du temps, mais aussi celle de l'espace. Il n'existe plus d'autres lieux que les cavités de mon esprit. Tout me passe par-dessus la tête.
C'est pour ça que tout à l'heure, au comptoir, ces sales types qui braillaient et chantaient à tu-tête des chansons sur tout c'qui est bon dans le poisson me renfrognaient pas.
C'est pour ça que l'ivrogne qui m'a pris pour un porte-manteau exotique ne m'a pas contrarié.
C'est pour ça que le barman qui module ses prix selon la tête du client ne m'a pas... Si. Quand même. Quelques envies de destruction. Tout ce mépris m'tape sur le système et quand la pression s'accumule, j'aimerais avoir l'droit d'ouvrir les vannes. J'en ai pas le droit. J'suis un poiscaille, et j'suis marine. J'ai pas le droit à la colère. J'devrais même pas avoir le droit de causer. L'frangin serait fou de savoir ça. Que j'extériorise plus rien. Que j'confine ma douleur, séquestre mes tourments, pour n'pas m'attirer de problèmes. Pour éviter les regards en biais, les jugements hâtifs, pour éviter d'me faire empoisonner par les gens. J'aimerais penser que l'antidote, c'est le silence, et la colère discrète, et le fatalisme. Mais c'est pas aussi facile. J'ressens toujours cette envie d'aider, d'être quelqu'un de bien. Me faut cohabiter avec moi-même, faire des compromis.
De toute façon, finalement, rien de tout cela. J'suis pas une calamité, et ma rancune, j'préfère l'utiliser comme un bois précieux qui alimente mon feu intérieur. Alors j'ai pas résisté, ce soir. M'suis laissé prendre aux jeux pervers des humains, les ai laissé m'casser leur sucre sur le dos. Ils ont à peine réussi à ébrécher ma carapace. Mais cette routine des humiliations et des regards de travers me pincera toujours le coeur.
Les chiottes mixtes d'un bar crasseux accueillent une foule de misérables génialement divers et variés. Ma vue imprenable sur la porte, par l'biais du miroir, me permet d'observer sans être vu. M'permet de mater qui se présente dans le sanctuaire de la pisse imprécise et du vomi mural, et de juger, et de jauger, leurs figures, leurs états, leurs faces, leur réaction face à un homme-requin statique devant le miroir à l'entrée. Tel un vrai cerbère du pipi et du popo.
Mon regard tombe dans le lavabo. J'ai une vigueur, ce soir, l'énergie du va-nu-pied sans attaches, sans vraie raison de lutter, mais qui se sent possédé par une genre de fougue instinctive. Sursaut d'espoirs et d'envies.
C'est bien. J'en suis capable. De me relever. D'aller de l'avant, seul. Tark, tu m'as abandonné, à moins que ce soit l'inverse, j'ai jamais trop su. J't'ai perdu de vue, tu fais même plus partie d'mon horizon. J'suis un pauvre cow-boy des océans solitaire et loin d'son foyer. Loin des êtres aimés.
Alors... Quoi ?!
T'vas où comme ça, gamine ?
J'relève la tête, mire la glace. Ce miroir me raconte une nouvelle histoire. C'est la bande aux chansons grégoriennes qui vient de débouler bruyamment et sauvagement, fissurant même les gonds d'la vieille porte en bois pourri en la percutant d'leurs épaules toutes carrées.
Ils s'en prennent à une fille qui cuvait dans son coin. J'détourne la gueule en leur direction. Quelque chose menace de partir en vrille, ce soir, dans les chiottes du crado "Cobberly's whisky&vomit". Quelque chose comme une vie ? Pas la mienne, pour une fois. Le sort de la jeune femme qui s'débat m'laisse pas de marbre.
Et j'parviendrai pas à rester très longtemps stoïque. Ressentiment, rogne, rage. J'grille peu à peu ces étapes et m'sens vite excédé par l'odeur de noirceur et d'mauvais vin que dégagent ces bestioles humaines. Et la fille ? Cheveux violets ? Trop pintée pour tenir sur ses pattes. Ça l'empêche pas d'avoir la hargne, elle aussi.
Méditer devant mon reflet au-dessus d'un évier rouillé. J'suis tombé bas.
Le néon là-haut me grésille à l'oreille qu'on est pareils, lui et moi. M'affirme que comme lui, mon coeur clignote, crépite, s'laisse emporter dans une stase stressante et triste. C'est moi. Soumis à un dilemme pérpetuel. J'abandonne, ou j'continue ? Lâcher prise ? Tenir bon ? Quand j'penche pour l'un, l'autre se renfrogne et vient refaire valoir ses droits. Autant d'embûches sur ma route et de pertes d'orientation. Alors j'avance pas, je tourne en rond. J'suis un serpent qui s'mord la queue, même si l'image m'paraît salace.
Drogué au passé. C'est ça. J'ai jamais été très alcool. Mon truc, c'est de m'enivrer de souvenirs. D'écouter tout ces échos, de les poursuivre, encore et encore. Revivre encore et encore les bons comme mauvais moments du film de ma première vingtaine d'années. Une boucle temporelle.
Ça m'amène à penser qu'en perm', j'perds totalement la notion du temps qui passe. Chaque minute est une éternité que j'occupe en tête à tête avec moi-même. J'ai jamais eu personne d'autre que mon frangin pour m'confesser, et alors, maintenant que ça fait... presque un an, qu'il m'a laissé livré à moi-même dans un état d'esprit qui s'évertue à me marteler quelle valeur négligeable j'suis dans l'équation de l'univers, j'me suis jamais senti autant humble, autant Rien ! J'ai fini par accepter. Le départ de Tark. Accepter ma solitude. Me murer désormais dans une misanthropie hypocrite. Garder cette empathie qui m'ronge comme un parasite, qui se nourrit de mes espoirs et d'mes rêves de sainte justice, et la forcer à cohabiter avec la méfiance et la peur de l'autre que la Surface m'a forcé à développer.
J'ai plus de repères. Je m'accroche à tout ce que je peux pour continuer à avancer. J'ai jamais été autant déboussolé. Pourtant, ça fait longtemps que toutes ces larmes que j'ai versé ont séché dans mes mirettes. Qu'le bleu d'mes yeux a arrêté de se brouiller à la moindre remontée d'un souvenir un peu dur, que mes palmes ne se tendent plus dans le vide à la recherche d'une main secourable. L'apathie me guette. Faut que je fasse gaffe.
Cette nuit, rien que moi. Penché sur un lavabo qui sent la gerbe, sa plomberie qui grince, qui souffre, et un miroir. Qui m'raconte sans se lasser l'histoire de cette gueule de merlan frit. L'histoire de la honte de la race des homme-poissons. Celui qui avait les dents, mais pas les burnes.
En perm', j'erre. J'sais même pas comment j'suis atterrit dans un endroit aussi pourri. Car en perm', je perds la notion du temps, mais aussi celle de l'espace. Il n'existe plus d'autres lieux que les cavités de mon esprit. Tout me passe par-dessus la tête.
C'est pour ça que tout à l'heure, au comptoir, ces sales types qui braillaient et chantaient à tu-tête des chansons sur tout c'qui est bon dans le poisson me renfrognaient pas.
C'est pour ça que l'ivrogne qui m'a pris pour un porte-manteau exotique ne m'a pas contrarié.
C'est pour ça que le barman qui module ses prix selon la tête du client ne m'a pas... Si. Quand même. Quelques envies de destruction. Tout ce mépris m'tape sur le système et quand la pression s'accumule, j'aimerais avoir l'droit d'ouvrir les vannes. J'en ai pas le droit. J'suis un poiscaille, et j'suis marine. J'ai pas le droit à la colère. J'devrais même pas avoir le droit de causer. L'frangin serait fou de savoir ça. Que j'extériorise plus rien. Que j'confine ma douleur, séquestre mes tourments, pour n'pas m'attirer de problèmes. Pour éviter les regards en biais, les jugements hâtifs, pour éviter d'me faire empoisonner par les gens. J'aimerais penser que l'antidote, c'est le silence, et la colère discrète, et le fatalisme. Mais c'est pas aussi facile. J'ressens toujours cette envie d'aider, d'être quelqu'un de bien. Me faut cohabiter avec moi-même, faire des compromis.
De toute façon, finalement, rien de tout cela. J'suis pas une calamité, et ma rancune, j'préfère l'utiliser comme un bois précieux qui alimente mon feu intérieur. Alors j'ai pas résisté, ce soir. M'suis laissé prendre aux jeux pervers des humains, les ai laissé m'casser leur sucre sur le dos. Ils ont à peine réussi à ébrécher ma carapace. Mais cette routine des humiliations et des regards de travers me pincera toujours le coeur.
Les chiottes mixtes d'un bar crasseux accueillent une foule de misérables génialement divers et variés. Ma vue imprenable sur la porte, par l'biais du miroir, me permet d'observer sans être vu. M'permet de mater qui se présente dans le sanctuaire de la pisse imprécise et du vomi mural, et de juger, et de jauger, leurs figures, leurs états, leurs faces, leur réaction face à un homme-requin statique devant le miroir à l'entrée. Tel un vrai cerbère du pipi et du popo.
Mon regard tombe dans le lavabo. J'ai une vigueur, ce soir, l'énergie du va-nu-pied sans attaches, sans vraie raison de lutter, mais qui se sent possédé par une genre de fougue instinctive. Sursaut d'espoirs et d'envies.
C'est bien. J'en suis capable. De me relever. D'aller de l'avant, seul. Tark, tu m'as abandonné, à moins que ce soit l'inverse, j'ai jamais trop su. J't'ai perdu de vue, tu fais même plus partie d'mon horizon. J'suis un pauvre cow-boy des océans solitaire et loin d'son foyer. Loin des êtres aimés.
Alors... Quoi ?!
T'vas où comme ça, gamine ?
J'relève la tête, mire la glace. Ce miroir me raconte une nouvelle histoire. C'est la bande aux chansons grégoriennes qui vient de débouler bruyamment et sauvagement, fissurant même les gonds d'la vieille porte en bois pourri en la percutant d'leurs épaules toutes carrées.
Ils s'en prennent à une fille qui cuvait dans son coin. J'détourne la gueule en leur direction. Quelque chose menace de partir en vrille, ce soir, dans les chiottes du crado "Cobberly's whisky&vomit". Quelque chose comme une vie ? Pas la mienne, pour une fois. Le sort de la jeune femme qui s'débat m'laisse pas de marbre.
Et j'parviendrai pas à rester très longtemps stoïque. Ressentiment, rogne, rage. J'grille peu à peu ces étapes et m'sens vite excédé par l'odeur de noirceur et d'mauvais vin que dégagent ces bestioles humaines. Et la fille ? Cheveux violets ? Trop pintée pour tenir sur ses pattes. Ça l'empêche pas d'avoir la hargne, elle aussi.