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L'enfer est vide, tous les démons sont ici

Le crépuscule pointe dans un ciel tourmenté, une bise fraiche s’engouffre dans les artères bondés de la grande cité Etat, de la grande et de l’éloquente Saint-Urea aux milles et uns visages, de la sulfureuse et auguste contrée de la dame de fer. Pourtant, le tumulte de la grande duchesse du sud ne s’éteint pour autant, bien au contraire, il ne cesse de croître, d’enfler encore et encore,  inextinguible, insatiable, avide comme la volonté sans bornes de la gardienne du royaume. Les artères s’illuminent de chandelles, de torches et autres flambeaux aux formes exotiques et variées, la ferveur ne désemplit pas, Saint-Urea la noctambule s’éveille sous les lumières jaillissantes, irradiant ses bâtisses si particulières et tous les monuments érigés à sa gloire. Immense forteresse, la perle de la Blue resplendit comme chaque nuit que Dieu fait et l’effervescence qui s’épand dans ses ruelles mercantiles est un témoin supplémentaire de toute l’agitation et de l’emballement qui y règne. Pourtant, le royaume n’est pas qu’un bastion fortifié, il rayonne par ses arts, sa culture et toutes les sciences qui sont pratiqués en son sein. Une destination bien alléchante sur le papier pour un truand opportuniste qui n’a pas froid aux yeux.

J’ai guère pour habitude d’errer de ce coin ci du globe, c’est foutrement différent de la populace qui m’est si chère et si familière à Luvneel. C’est pas mon patelin, je m’y sens pas vraiment comme un poisson dans l’eau et bien que je batte le pavé depuis quelques jours, j’y ai pas encore pris mes marques au point de magouiller tendrement avec le gratin local, c’est que les loubards d’ici sont pas faits du même bois que nous autres et que le business est aux antipodes des notre. Tant mieux, remarque, ça évite qu’ils marchent sur mes plates-bandes tout en permettant de prendre la température ici-bas. Je suis pas pour autant sorti de mes pénates pour tailler une bavette avec les abrutis du coin, je suis loin de ces trivialités à la mord moi le nœud.

Si j’ai foulé l’herbe grasse et humide du pâturage, c’est pas pour y traire les mamelles des bestiaux, un vieux chasseur de prime de North m’a vendu la mèche au propos d’une histoire cocasse pour se faire un paquet de maille. ‘Fin vendre la mèche, je m’entends, l’olibrius m’en devait une, alors bon prince, j’ai été quémandé des billes sauf qu’il a rien voulu cracher comme je m’y escomptais. Toujours à te promettre monts et merveilles quand ils sont dans un bourbier sans nom et dés que tu les en extirpes, ils oublient presque instantanément qu’ils te sont redevables, qu’ils te sont tributaires et qu’il faudrait pas qu’ils aient l’audace de l’oublier. Mais ils te prennent pour un con, ils te pissent à la raie dès que leurs prunelles de salopards fielleux aperçoivent ton épine dorsale, ils te balancent leur venin et au final, lorsque tu viens recueillir ce qu’il te revient de droit, ils chient dans la colle et tu te vois contraint de leur mettre la douloureuse parce qu’ils insultent ton autorité et te manquent de respect.

Celui-ci, sur son lit de mort, avait fini par craché le morceau après moult supplices endurés, la tronche contusionnée, les arcades sanguinolentes, le faciès boursouflé comme un escarre innommable, il avait chialé comme une gonz’ et m’avait juré sur sa tête et celles de ses chiards que c’était un bon tuyau… t’façon pour ce qu’elle vaut sa tête désormais. « Puisque je te dis, que Colette, la fameuse, la renommée, va se pâmer de son plus beau collier pour la représentation de la flotte enchantée. De sacrées belles pierreries Jones si t’arrives à foutre la main dessus, t’en tireras pour sûr un beau paquet d’oseille. », qu’il m’avait dit en ayant l’illusion d’avoir affranchi sa couenne à une mort certaine, un trépas sale, sordide même.

Alors, j’ai roulé des mécaniques, j’ai joué du den den mushi et de mon petit réseau pour m’assurer de la confidence, histoire que le tribut dû revienne à néant et que je puisse prendre sa foutue révélation pour argent comptant dans mon escarcelle. Me vl’a une paire de jours plus tard devant le somptueux édifice dédié au sixième art, tout le gotha mondain se presse aux portes du majestueux sanctuaire. Tout le gratin a fait le déplacement pour se délecter du spectacle, du jeu d’acteurs de la troupe de la grande Colette, il fait bon d’être aperçu ce soir, pour son propre égo et celui des autres. Belle occurrence qui sert de faire-valoir au rapprochement des bourgeois avec ceux de la haute, un divertissement pour certains, un moyen de parvenir à leurs fins pour d’autres. Ca piaille abondamment, ça se rapproche copieusement, ça s’esclaffe mais avec retenue et savoir-vivre, ça échange des banalités à foison parce qu’au fond, ils se mélangent pas, ils peuvent pas se piffrer, se voir en pâture. Ca ergote davantage par convention que par volonté, les apparences, c’est tout ce qui importe.

Pourtant, la soirée comportait cependant une petite touche inédite,  Le costume était de rigueur pour les hôtes de marques conviés à la représentation. Pas de robes de gala pour ces dames et de fourrure de vison sur les épaules, pas non plus de smoking classieux pour ces fiers et galants messieurs, quelque chose de bien plus singulier, de bien plus atypique.  Le thème adopté était celui des grandes parures du carnaval masqué de Saint-Urea, de concert avec la pièce devant être interprété ce soir même sur les planches. Une trentaine d’âmes avait été convié ce soir, une séance en petit comité pour le nec le plus ultra de la cité, laquelle s’ensuit d’une petite soirée privée dans les soubassements de l’édifice. J’avais du cracher au bassinet pour me dégoter le précieux habit et faire peau neuve.





Sage attention que celle du masque, ca me permet de planquer ma carnation et ma face de charbon, histoire de passer comme une lettre au service postal gouvernemental. Pour obtenir le faire-part pour me faire autoriser l’accès, l’affaire eut été différente, j’ai dû la jouer fine. Une veine que le royaume accueille en son sein maintes guildes de chasseurs de prime, me procurer la liste des convives ne fut en rien chose aisé. Le temps que je m’occupe du sort du notable lambda, que je mette la main sur l’invitation et le tour de passe-passe était joué.

Rendus devant la foule et les journalistes rassemblés pour l’occasion, les vingt neufs premiers convives passent le sas, assénant le dédain le plus profond à tous ces grattes papiers et scribouillards qui vont s’empresser de réinterpréter à leur sauce, grossir le trait et faire des esclandres dans la presse. Le mépris est sans doute l’artifice le plus efficace pour traiter ce genre de cloportes grouillants, flairant les gestes déplacés pour crier au scandale. A mon tour, en tant que dernier hôte, je montre pâte blanche au guichetier et pénètre dans l’atrium central du bâtiment. Des escaliers majestueux aux marches de marbres, des rampes d’ébènes lustrés aux arabesques, des moulures du plafond aux lustres de cristal qui irradient d’une lumière diaphane le vénérable monument, tout ici s’accorde à merveille et magnifie l’ambiance feutré qui sied à un établissement de son rang. Une coupole en verre surmonte l’édifice en y apportant une clarté singulière, presque mystique, tout en conférant un cachet indéniable à une architecture d’ores et déjà extraordinaire.

Je me dirige soigneusement vers la loge qui m’est réservé, de la même manière que mes comparses qui prennent soigneusement leurs emplacements attitrés dans tout le luxe et le faste inhérent à leurs conditions. Le costume est foutrement confortable et ample, pas étonnant que ces bourges se sentent plus péter dans leurs beaux ensembles ostentatoires, c’est qu’on prend rapidement goût à péter dans le velours et la soie. Je finis par m’introduire dans la loge numéro 9 et m’engouffre copieusement dans le fauteuil en velours rouge.

Une petite dizaine de minutes s’écoulent, des serviteurs apprêtés exaucent les moindre souhaits fantasque des invités, ils aiment se faire cirer leurs pompes et avoir ce petit personnel à leur disposition, un petit personnel qui s’efforce de rester sous la carpette. Le silence se fait bientôt, un silence solennel, marquant le début de la pièce à venir. Les spots lumineux sont bientôt orientés sur le devant de la scène tandis que les ténèbres émergent dans l’assistance. Bientôt, l’épais rideau de velours pourpre se lève.

    Dans les coulisses, le brouhaha de la salle a fait accélérer la cadence. Le metteur en scène donne ses derniers conseils tandis que tous les comédiens s’imprègnent une dernière fois du rôle qu’ils doivent jouer. D’abord, faire de son corps une coquille vide, juste prête à recevoir la personnalité, le passé, l’attitude, et toutes les autres facettes de leur personnage. Puis, peu à peu, rajouter détail après détail le moindre élément qui leur permettra de devenir, pour la durée de la pièce, untel ou un autre. C’est un gros investissement, et toujours on en ressort changé, modifié, parfois meilleur, rarement pire, mais inévitablement différent.

    Aussi, lorsque l’assistance fait silence, le tout est lancé. Le cœur de chacun bat à vive allure, le rideau se lève, les projecteurs s’allument, la pièce commence. Avec toute l’agitation que confère le stress, et qui souvent, retombe au fur et à mesure que l’intrigue se développe. Ce sont des minutes intenses, pas forcément les meilleures, mais sans doute les plus énergiques. Derrière leurs masques et leurs costumes, les spectateurs regardent, attentifs. Leurs yeux, à peine visibles, pétillent. Les comédiens enchaînent les répliques, les regards, les silences. Le tout embarque en quelques secondes. Il y a des rires ! Exactement tout ce qu’il faut pour mettre l’artiste en confiance, il se décontracte, détend un peu ses épaules et ça y est, le spectacle est lancé. Le public est conquis.

    De temps à autres, un spectateur soulève son masque, s’éponge le front. Il fait chaud et les tenues de rigueur n’aident pas à ventiler. Ah, oui, sans doute vous demandez vous pourquoi le public est costumé ? Et bien vous n’avez qu’à lire le texte précédent, bandes de feignants… Bref, vous l’aurez bien compris, bien que subjugués par le jeu des acteurs et la qualité de la mise en scène, les aristocrates boudinés suent à grosses gouttes dans leurs costumes tous neufs. Pas franchement la meilleure idée qu’ils aient eu. Bon, c’est vrai que le principe était sympa, leurs costumes vraiment chouettes, mais ils auraient pu s’en vêtir après, au moment d’aller cogner leurs verres de champagne, comme de francs et bons camarades.

    Dans le flot des comédiens qui s’agitent sur scène, déballant leur texte avec le plus de générosité possible, Elie tente de se faire une place. Elle n’a pas un gros rôle, mais si elle veut percer, c’est bien le genre de représentation où il faut briller. Elle avait déjà assisté à des pièces où la petite bonne qui apporte le thé, et qui ne sort que trois répliques par acte, récoltait plus de félicitations que l’acteur principal. En acceptant ce rôle, elle comptait bien se faire repérer par quelque critique bien connu, qui, par une belle pige, pourrait accroître sa notoriété.

    Plus qu’un acte, les comédiens sont ravis, les spectateurs sont en train de bouillir. Bientôt ce sera le salut. On va applaudir, trois ou quatre fois de suite, puis on quittera la salle. Tous iront de leur petit commentaire, jugeant la qualité de la pièce, le talent des acteurs. Critiquant l’absence de climatisation, l’étouffante chaleur et, bien sûr, maudissant la personne ayant proposé de se ramener en costumes carnavalesques. Celle-ci aussi ira de son petit juron, pour rester dans le moule et faire comme si de rien n’était. Puis, viendra le moment où tous ces  gens, réunis ce soir-là, se déplaceront jusqu’à la salle de réception, située dans l'enceinte même du théâtre, afin que tous pussent bavasser dans leurs déguisements pimpants, bariolés, et particulièrement incommodes. Enfin, le confort physique y est, mais la chaleur que l’on ressent au bout de quelques minutes, quelle horreur !

    Elie se cambre vers l’avant, soulagée. La pièce s’est bien passée, les comédiens ont assuré. Cette fois-ci, elle peut être fière de sa prestation. Avec un peu de chances… Non, elle n’y croit pas, les rôles titres ont vraiment bien joué, ce seront eux qui feront la Une des journaux. Elle sera peut être citée, parmi les autres noms, dans un commentaire, mais on glorifiera avant tout tel ou tel autre, au détriment des petits personnages.

    Bon, c’est fini, plus qu’à supporter une soirée d’où elle pourra sûrement s’éclipser rapidement. Tout le monde est costumé, personne ne la connait ni ne la reconnaitra. Bien. Il suffisait de rester une petite demi-heure puis de prendre la poudre d’escampette au moment où tout le monde se ruerait sur les petits fours et verres de vin à gogo. Si elle avait eu un moyen de se faire connaître, elle serait restée sans hésiter, mais là, avec tous ces costumes, elle ne pourrait reconnaître aucun critique. Elle-même ne serait qu’une jeune femme parmi tant d’autres ayant revêtu masque et froufrous pour passer inaperçue. Quitte à ne pas être remarquée, elle faisait tout aussi bien de n’être pas là du tout.

    « Tiens Elie, c’est le costume qui t’es fourni pour la soirée, dit une jeune fille en arrivant dans la loge de la demoiselle.
    -Merci bien, tu viens aussi ?
    -Oh, j’aimerais, mais il faut être majeur et je n’ai que seize ans.
    -Dommage, ça m’aurait fait quelqu’un avec qui discuter, sourit-elle. »

    Il ne lui faut que quelques minutes pour enfiler la tenue. Encore une poignée de plus pour se sentir tout à fait prête, et enfin, elle se décide à partir.  D’autres comédiens sont encore là, elle se joint à eux, leur fait un signe de tête. Encore quelques instants, les derniers arrivent et l’on part. Tout le monde est costumé, chacun regarde ceux des autres, ni mieux, ni pire, sûrement pas les plus beaux de la soirée. Elie est tout de même plutôt satisfaite du sien.


    Bon, la salle est déjà pleine à craquer. Les spectateurs s’y sont rendus directement, alors que les comédiens ont du se changer. Il y règne une atmosphère lourde. Ces gens ne sont pas là parce qu’ils sont amis, ils viennent parce que c’est bien vu, parce que leur condition l’oblige. Personne ne se coltinerait ce genre de réception par plaisir, sauf, bien entendu, ceux qui l’organisent, mais là encore, ce n’est que pur orgueil, montrer l’étendue diabolique de leurs richesses, de leur influence. Si la fête se passe à merveille, ils seront encore mieux vus, on les saluera quand on les croisera en ville, on les invitera lors de réunions en cercle plus restreint, ils pourront se targuer d’appartenir aux hautes sphères de la ville. Des puants, voilà ce qu’ils étaient. Aucun honneur, aucune véritable bonne pensée, juste leur sale apparence, toujours beaucoup trop parfaite.
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    La pièce bat son plein, la magie opère auprès d’une assistance conquise, captivé, presque ému aux larmes par le jeu de scène et les tirades des actrices. Les costumes contribuaient immensément à toute cette aura prodigieuse, cette atmosphère si envoûtante et si chère pour tous ces grands notables et fonctionnaires de la vénérable cité. Çà leur faisait frétiller leur cœur pourri par l’oisiveté et les innombrables pêchés, çà leur faisait émoustiller la souillure d’âme qu’ils se trimbalent, çà leur purge leur moi profond et çà leur rappelle qu’en dépit de leur blé et de ce qu’il représente, ils ne sont rien ni personne et surtout pas meilleurs que ceux qui se produisent sur les planches.

    Ce que je pense de la représentation ? J’en ai strictement rien à cirer héhé. Me vl’a déjà fringué comme une caricature de la divine comédie à suer comme un bestiau, alors porter une oreille attentive à la pièce n’est pas vraiment dans mes foutus prérogatives. Je m’attendais pas à ce que soit trépidant, à me taper de la bonne tranche de rire en plein théâtre mais la flotte enchantée est d’un soporifique, d’un ennui profond, d’une lassitude presque tragique, heureusement que Colette, l’actrice principale, avait sauvé les meubles en s’étant pâmé du fameux collier aux pierreries d’émeraude. Mazette, le bijou valait le coup d’œil, une pièce de joaillerie magnifique surmonté sur une poitrine opulente, tout aussi généreuse que l’éclat qui irradiaient des joyaux. Un travail d’orfèvre qui éclipsait, à mon humble avis, la piètre prestation des acteurs. Bien entendu, lorsque le rideau viendrait à s’abaisser, tous finiraient par applaudir de concert l’éminente performance, à n’en pas douter, mais tous n’avaient pourtant d’yeux que pour le chef d’œuvre que Colette arborait fièrement autour de la nuque.

    Le rideau tombe. La clameur feutré résonne, emprunté, maniéré, on applaudit de manière précieuse, mièvrement même.  Pas d’entracte, c’pas ma veine, j’aurais pu agir incognito pour subtiliser la belle plante, falloir que je me rabatte sur le petit after donné dans les soubassements du grand théâtre. Je crache pas sur l’opportunité de déguster du champ’ et des petits fours, ca fait toujours du bien là où ca transite héhé, qu’importe comment ca finit.

    La soirée est donnée en grande pompe. Des serveurs qui font davantage office de laquais traversent de part en part le hall, présentant de temps à autre le  plateau d’argent garni de petits fours aux hôtes qui s’empressent de les dévorer goulûment mais bien entendu toujours dans une infinie minutie. Ca piaille, ca s’empiffre, rien d’endiablé non, on parle à demi-mot, personne n’hausse le ton, personne n’ose en fait. Donner de la décibel reviendrait à passer pour un plouc, un va-nu-pieds qui n’aurait pas sa place dans cette basse-cour de coqs endimanchés fringués sur leur trente et un, on n’est pas dans le café du commerce ici même si les banalités échangées ne valent guère davantage. Je me fonds parmi tout ce ramassis de snobinards et grandiloquents, je les écoute jacter, les écoute jaser, médire, casser du sucre sur autrui sans lever le sourcil et bien entendu j’y vais de mon petit commentaire à chaque fois pour aller dans leur sens et rajouter une couche, histoire qu’ils se figurent qu’on est dans la même veine. Toujours des problèmes de petits personnels, des tracasseries à la con qui leur fout des aigreurs, du petit chagrin qui donne du baume au cœur et rend leur existence encore plus superficielle qu’elle n’y paraît. Toute cette petite promiscuité commence à me taper sur les nerfs cruellement, ca se distille tellement des mots mielleux dans l’oreille que si ça continue, ils vont bientôt y fourrer leur langue avec la bénédiction générale de tous les hôtes.  

    Les acteurs finissent par faire leur apparition auprès des convives et font l’objet de toutes les attentions de la petite assemblée. Les majestueux lustres en cristal qui trônent au plafond me mettent la puce à l’oreille pour comment opérer. Un accident est si vite arrivé, le coup du sort, souvent malencontreux, pernicieux même, est implacable et si par le plus grand des hasards, un événement inopportun, même fâcheux, devait advenir en ce lieu et place, alors personne ici ne pourrait être tenu responsable de la roue du destin.

    Alors, lorsque la lumière fut coupé de manière fugace et que le lustre de cristal vint bientôt s’abattre dans un fracas assourdissant sur la malheureuse Colette Guenièvre de son doux nom, ce fut avec un profond désarroi que nous assistâmes tous au dramatique incident. Le temps de rétablir le courant et l’assemblée, terrifiée, épouvantée, découvre d’un œil hagard le corps inanimé de la galante jeune femme sous près de cinq cents kilos de fer et de cristal. Un cri de terreur éclate, un cri strident perce l’atmosphère et vint se faire l’écho des âmes médusés, misérables et stupéfaites de l’effroyable scène dont ils sont témoins. Le flegme naturel tout comme leur foutu nonchalance s’en sont allés, et c’est pas plus mal.  Par ailleurs, le collier avait disparu de son buste, elle en avait été visiblement dépourvue durant l’interruption lumineuse. Les pierres subtilisées, une tension s’immisça d’emblée parmi les vingt-neuf, on y lisait de la méfiance tout comme de la défiance, chacun dévisageant ses partenaires d’infortunes comme pour trouver le coupable se dissimulant derrière l’odieux larcin. Un scandale tonitruant pour le grand théâtre de la capitale, je voyais déjà les titres incisifs qui figureraient demain dans l’édition de la gazette.

    Les actrices de la troupe se jettent alors au chevet de Colette. Voyant celle-ci peu à peu perdre connaissance, elles lui tinrent soigneusement le poignet, comme elles l’auraient fait pour un malade. Tu parles, en vérité, toutes ces donzelles étaient bien contentes. Leurs heures étaient venu, à elles, de briller sur le devant de la scène, de lui ravir la place et de se tailler un emplacement au soleil. Ca leur mettait du beurre dans les épinards mais en bonnes comédiennes qu’elles furent, elles jouaient aux effarouchées, histoire que peut être Colette Guénièvre puisse dans un dernier souffle donner le patronyme de celle qui devrait prendre à terme sa place.

    Je sens subitement pousser l’art oratoire dans mon poitrail, je le sens poindre et monter, monter, tel un feu inextinguible au plus profond de mes entrailles. Un besoin impérieux, irrépressible, irréfrénable, l’occasion est trop belle pour que je ne puisse la saisir. L’accoutrement, l’opportunité s’y prête à merveille, alors, je m’avance à tombeau ouvert en direction de la grande Colette Guenièvre et déclare :

    « Y a-t-il un médecin dans la salle ?! Poussez-vous, poussez-vous bon sang ! elle a besoin d’air pur ! «

    Bwahaha, je me devais de la sortir celle-ci, depuis le temps qu’elle me taraudait le palais. Fallait que je mette la main à la pâte, fallait que moi aussi, je donne dans le simulacre de Pathos qu’offrait les mines estomaqués des vingt-neuf. Bien entendu, il n’y avait guère de toubib parmi eux, certains ne purent s’empêcher de donner dans la chialerie, le sanglot qui sied si bien à ce genre de situation où la vie cède le pas au trépas, à l’inconnu, au grand facteur X qui nous dirige tous. La scène était presque émouvante, Colette peinait à respirer à intervalle régulier, la vie lui glissait entre les doigts, comme le temps, inexorable, file entre les notre, sans qu’elle puisse faire quoi que ce soit. Elle fit signe de se pencher à l’une de ses consœurs accroupie auprès d’elle et lui murmura quelques paroles avant d’expirer une ultime fois, avant de rendre son dernier soupir, avant de passer l’arme à gauche dans une atmosphère faussement éploré.

    Colette n’était pas morte en tragédienne émérite mais sa fin, elle, était profondément dramatique. La jeune fille se releva alors du désormais cadavre de Colette et s’exclama :

    « Colette n’est pas morte par hasard. C’est un homicide, elle en était persuadée. Quelqu’un a réussi a intenter à sa vie ! «

    Cette affirmation eu l’effet d’un coup de tonnerre tandis que la nouvelle s’ébruitait progressivement du théâtre en direction des ruelles et autres venelles pavées de la capitale. Un calme pesant où tension et suspicions succédèrent à l’atrocité de la scène. Une sorte de fausse accalmie où les vingt neufs ainsi que actrices se scrutent méticuleusement, ambiance Cluedo dans le majestueux théâtre. Qui a donc tué Mademoiselle Guenièvre ??!!
      Dans ce métier, pas de pitié. Désolée. Elie l’était vraiment. Mais bon, profiter de la moindre occasion, c’était bien ce qu’elle devait faire pour réussir. Et quoi de mieux que la mort dramatique d’une collègue pour se mettre sur le devant de la scène. Pas de quartier, les autres avaient hésité, elle non. Et si elle n’était absolument pas certaine du caractère meurtrier de la chute du lustre, elle trouvait que la disparition du collier pouvait tout à fait justifier son intervention. Aussi, pour aller au bout de son accusation, elle décida de se trouver un coupable. Pas trop de mal, en réfléchissant un peu, il fallait s’attaquer à ce qui ressemblait le moins à l’aristocratie du coin, ce serait plus crédible. Pauvre gars qui allait tout prendre pour qu’Elie puisse avoir son moment de gloire.

      Elie farfouillait dans les recoins de sa tête pour que son histoire de meurtre colle parfaitement, elle avait déjà choisi sa cible. L’homme, là, qui avait ouvert la bouche pour appeler un médecin. Un parvenu sans doute, pas un aristocrate. Eux auraient attendu le temps qu’il fallait pour qu’un autre parle avant. Histoire de se dédouaner de l’affaire et toutes ces conneries. Lui avait malheureusement été trop spontané. C’était un beau geste de vouloir aider immédiatement. Mais il y repenserait à deux fois la prochaine fois, surtout s’il avait affaire au milieu du théâtre.

      « Je ne saurais m’avancer plus que ça, continua Elie, mais il me semble qu’en plus, l’assassin n’a pas pu sortir de la salle. Le laps de temps a été beaucoup trop court.
      -Qu’est-ce qui vous fait dire ça ? Demanda l’un des invités, sous couvert de l’anonymat que lui procurait son costume.
      -Vous avez vu quelqu’un se précipiter hâtivement vers la sortie ? Moi, non.
      -Non, je ne parlais pas de ça, mais vous accusez quelqu’un de meurtre dans cette salle, or nous sommes tous…
      -Dans l’obligation de rester dans cette salle jusqu’à ce que le mystère soit résolu, intervint une voix rude et cassante. Et je veux qu’il le soit au plus vite. Mademoiselle, si vous avez encore quelque chose à dire, faites nous en part, nous prenons les choses en main. »

      Elie regardait fixement le masque de la femme qui venait de parler. Tentant en vain de découvrir qui s’y cachait. Elle n’avait pas étudié la liste des personnalités présentes de la fête et en connaissait en réalité assez peu sur Saint-Uréa. Qui cela pouvait bien être ? Une marine infiltrée, une dirigeante ? Une simple opportuniste comme elle ? Elie décida de continuer à déballer ses faux soupçons. Pour être bien sûre d’être tout à fait remarquée par tout le monde, elle ôta son masque.

      « Ce n’est qu’une hypothèse, peut-être infondée, mais je pense que le meurtrier de mademoiselle Guenièvre ne s’est pas éloigné d’ici. Il se pourrait d’ailleurs qu’il ait tenté de venir en aide à la victime, pour expliquer sa présence près d’elle et pour éloigner les soupçons.
      -Mmh, intéressant… Palourde ? Vous notez. Occupez-vous du corps, je veux que ce soit réglé au plus vite. Les capacités de déduction de mademoiselle… ?
      -Elie… Elie Jorgensen, compléta l’intéressée.
      -Bien, les capacités de déduction de mademoiselle Elie sont plus que remarquables. Vous pouvez la considérer à votre entière disposition jusqu’à la fin de cette enquête. Qui sera résolue, je n’en doute pas, dans les plus brefs délais, me suis-je bien fait comprendre ?
      -Oui, bien entendu, tout est ma faute. J’aurais dû savoir qu’on allait attenter à sa vie. Je suis impardonnable, se lamenta une voix d’homme sous le couvert d’un masque des plus saugrenus. Voulez-vous que je vous escorte ? Un laquais peut-être ?
      -Ne soyez pas lourd, je peux très bien rentrer seule, votre enquête d’abord, répondit la femme en allumant une grande pipe qu’elle venait de sortir d’un des plis de son manteau. »

      Palourde Smith ôta son masque, laissant apparaître un visage sérieux. Il regarda la dame de pierre partir, suivie de quelques gardes qui avaient accourus aussitôt la nouvelle du meurtre ébruitée. Puis, se retournant vers l’assemblée, il demanda à chacun de rester ici, en attendant qu’il relève les noms et prénoms, et possibles mobiles des personnes présentes. Il était somme toute, très professionnel. Elie, à ses côtés, se demandait à quoi elle pourrait bien servir. Elle se contentait de sourire et d’écouter attentivement tout ce qui se disait.

      La véritable liste des suspects de Palourde était plutôt courte. Elle englobait à peu de personnes près, les caractéristiques qu’avait données Elie. L’homme qui était intervenu y apparaissait, bien sûr. En tête. S’il était vraiment coupable, alors ce serait un beau coup de la part de la comédienne. Elle était toutefois perturbée qu’en plus de cet homme, et de deux ou trois proches de la victime, elle, et tout le personnel de la troupe aient leurs noms inscrits dans la case « possibles meurtriers ». Il était logique qu’on la soupçonne, elle avait mille et une raisons de tuer l’actrice, mais elle n’aurait jamais pensé qu’après…

      « Que puis-je faire pour vous aider monsieur Palourde ? Demanda-t-elle, comme pour briser cette tension qui la gagnait.
      -Et bien, continuez d’écouter les interrogatoires, pour le moment, seul votre instinct peut nous être utile. Les personnes que je jugerais potentiellement coupables, seront, par la suite, assignés à résidence, le reste de l’assistance sera prié de rester à disposition. »

      Elie était déçue du déroulement de l’enquête. Elle aurait commencé par fouiller chacune des personnes présentes. Si l’on retrouvait le collier sur l’un d’entre eux, il s’agirait probablement de lui. Mais elle n’osait pas intervenir, elle préférait laisser le chef de la sécurité faire comme bon lui semblait. Il finirait bien par trouver quelque chose. Et tant qu’elle-même n’était pas accusée de quoi que ce soit, ça ne la concernait en rien. Elle pris un air détendu, jetant tout de même de brefs regards un peu partout. Quelques masques étaient tombés, laissant apparaître des visages dégoulinants de sueur, mais qui, parmi tout ce monde tentaient de paraître les plus élégants possibles.

      Ce n’était peut-être que des soupçons fondés sur l’appui de sa fausse théorie, mais elle trouvait étrange que le principal suspect de l’affaire, « son » principal suspect, ne fasse pas partie de ceux qui avaient découvert leurs visages. La vue d’un quelconque nobliau, bourgeois ou autre, connu par quelques personnes l’aurait peut-être aidé à effacer les soupçons sur sa personne. Elie était d’ailleurs persuadée qu’il la regardait fixement. Elle se trompait sûrement. Comment le hasard aurait pu décider de la faire accuser la bonne personne, s’il y en avait une d’ailleurs. Le lustre était vieux, tout était possible. Elle conserva un œil sur lui, écoutant toujours avec attention les questions de Palourde qu’à force de les entendre, elle commençait par connaître par cœur.
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      Voyez-vous ca, le cadavre à peine tiède, que l’actrice chante déjà la sérénade en s’improvisant détective tel l’illustre détective Erkul Poireau. Le monde du cinéma était véritablement cruel, l’autre n’avait pas l’air apeuré pour un sou du trépas prématuré de sa partenaire, c’en était tout bonnement ahurissant. Qu’on ne me parle pas d’aplomb, de confiance en soi et d’assurance, l’actrice était loin d’être une vieille rombière sur le départ ayant un palmarès glorieux dans son sillage, ce sang-froid était bien plus diabolique, bien plus machiavélique qu’une simple actrice pouvait posséder. La vl’a à se lancer dans un « j’accuse «  général, à nous regarder de biais comme si elle était une enquêtrice assermenté toute droit sorti des gouvernementaux, elle se prend rapidement au jeu et éveille suspicion sur suspicion en faisant mine de n’incriminer personne tout en orientant perfidement ses insinuations vers celui qu’elle estimait coupable.

      Lorsqu’elle fit tomber le masque, je compris aussitôt à qui j’aurais à faire. Une bouille d’ange, espiègle, mais remplie de cette malice roublarde, de cette mesquinerie néfaste pleine de facétie, de la gamine un peu trop ronflante et un peu présomptueuse. Une femme dangereuse, clairement, de celles qu’ils nous faut éviter, nous les hommes, avant de nous retrouver broyé par ce qu’on prenait pour de l’innocence qui, en réalité, se rapporte davantage à de la fourberie pure et simple. Ouais, une vraie mante religieuse en devenir la gonzesse’, qu’attend le moment propice pour te décapiter au moment où tu lui as refilé ce qu’elle escompte.

      Pas ma veine, la dame de fer qui figurait parmi les hôtes, toujours à se fourrer là où on l’attend le moins la vieille. La gamine a le verbe haut et sirupeux et qui plus est, elle bénéficie du support de la vieille ronchonne et de son acolyte à la moustache gominé et au collier de barbe précautionneusement brossé. Stanhope prend la poudre d’escampette, confie le bébé à son petit protégé en accordant sa bénédiction à la petite femelle rusée. Nous vl’a cloitrés entre quatre murs, Smith qui procède de manière machinale et pose des questions dont il inscrit méthodiquement les réponses sur calepin tandis que l’actrice, la dénommé et désormais blacklisté Elie Jorgensen, donne dans le langage mielleux et se pose en chandelle du détective. L’autre énergumène est loin d’être un fin limier, il se fait rouler copieusement dans la farine par l’actrice, il lui mangerait presque le pain dans la paume, m’étonnerait guère qu’il se soit entiché de la sulfureuse plante et de ses mèches châtains.

      J’aimais guère cette façon sinueuse qu’elle avait de me jeter la pierre, ses petits regards obliques qu’elles s’évertuaient à me tenir l’espace de quelques secondes pour bien me signifier qu’elle me tient à l’œil. Elle interprète ma petite sortie théâtrale comme un hypothétique manifeste de ma crédibilité, faut la comprendre je lui fais de l’ombre sur le devant de la scène, la gamine a gros appétit et a rien de trouvé de mieux pour me discréditer et faire valoir ses vues. Remballe donc ta simili hostilité, il en faudra plus pour me faire mordre la poussière. Regardez-là donc, elle suppure l’ostentatoire avec sa chaînasse en or et sa petite robe bleuâtre là, toujours à lorgner sur les autres en instillant son venin hostile et corrosif.

      Palourde Smith et sa petite greffière vinrent finalement à votre serviteur qui n’eut d’autre choix que de se livrer à l’exercice. L’autre trépigne d’impatience, ses yeux se plissent, sa moue se cambre quelque peu et prend un air presque flagrant de satisfaction intérieure.

      « Nom et prénom, je vous prie. «

      « Alberto Baryton, je suis venu ici sur invitation exclusive comme tous les hôtes ici-bas. «

      « Connaissiez-vous Mademoiselle Guénièvre ?  «

      « De réputation, seulement. Qui ici ne connaît pas la grandeur de cette fille à l’avenir prometteur ?  »

      « Vous n’êtes pas sans savoir que Madame Guénièvre avait reçu des menaces, dernièrement… «

      « Si, totalement, je l’ignorais purement et simplement. Je ne connaissais guère les états d’âme de Madame Guenièvre. Encore que si je l’avais su, je lui aurais porté volontiers assistance. «

      « Je dois vous avouer que votre petite intervention m’a laissé quelque peu perplexe. Madame Jorgensen a soulevé l’idée que, pour reprendre ses mots, « que le meurtrier de mademoiselle Guenièvre ne s’est pas éloigné d’ici. Il se pourrait d’ailleurs qu’il ait tenté de venir en aide à la victime, pour expliquer sa présence près d’elle et pour éloigner les soupçons ».  «

      « Pure foutaise, elle n’était pas encore morte. Etes-vous en train d’insinuer que je n’aurais pas dû me porter au secours de dame Guénièvre ? Dois-je comprendre que toute forme de secourisme dans un cas similaire est considéré comme hautement condamnable ? Sachez Madame Jorgensen que je n’aime guère ce genre de petits pics lorsqu’on est soi-même loin d’être une blanche colombe immaculée. Je n’avais aucun mobil pour commettre pareil chose à la différence de Madame Jorgensen qui avait semble t’il tout à gagner dans cette affaire. Il doit être bien difficile de rester dans le sillage d’une grande actrice sans jamais pouvoir surpasser cette dernière au point de ne trouver aucune autre alternative que de maquiller son meurtre ? Monsieur Smith, permettez-moi de vous laisser méditer cette simple maxime «  Garde tes amis près de toi et tes ennemis encore plus près. »
        « Aucun mobile ? Et le collier que mademoiselle Guenièvre portait juste avant de se faire assassiner ? Répliqua Elie, accusatrice.
        -Le collier ? Vous êtes sûre qu’elle portait un collier ? Demanda le chef de la sécurité que la déclaration laissait bouche bée.
        -Elle portait effectivement un collier durant la représentation, répondit celui que la comédienne accusait.
        -Elle l’avait toujours après, et c’est vous qui l’avez volée ! S’exclama la jeune femme.
        -C’est vous qui le dites, si ça se trouve, c’est vous qui avez volé le bijou, ou le bijou n’a tout simplement pas été volé, êtes-vous sûre de l’avoir vu à son cou pendant le début de la réception ? Questionna-t-il, mettant clairement en doute les propos de la demoiselle. »

        Palourde regarde désormais ses deux suspects, car avec tous les arguments balancés par l’un et par l’autre, il ne sait plus où donner de la tête. Heureusement, ses hommes s’occupent des dépositions des autres personnes présentes. Il va bientôt savoir si la jeune fille n’est pas la seule à avoir remarqué le collier. Il veut être sûr que Colette ne l’a pas déposé avant d’arriver à la petite réception. Si elle l’a fait, cela innocentera a priori le notable. Et enfoncera la comédienne. Il n’aime pas ça. Non pas qu’il ait tout à fait envie que ce soit l’homme au masque qui trinque, ce fameux Alberto Baryton, mais il préférerait que ce soit lui le meurtrier, ça lui éviterais de passer les menottes à la charmante demoiselle. Dans le cas où c’était l’un des deux qui avait balancé un lustre sur le coin de la tronche de bobonne.

        Bobonne qui d’ailleurs est restée morte sans bouger. Entourée désormais de quelques hommes du chef de la police qui inspectent le corps. Longtemps. Trop longtemps d’ailleurs, pour ce genre d’affaire songe Elie. Elle aurait eu vite fait de débarrasser les lieux du cadavre. Mais bref, passons, elle avait déjà assez joué à l’enquêtrice comme ça, mieux valait ne pas s’enfoncer plus profond. Surtout que l’autre, en face, arrivait à faire douter ce balourd de Palourde. Bon, il fallait que ce soit lui. Il fallait que son instinct ne l’ait pas trompée. Elle n’avait tout d’abord pas réfléchi à ce qui pouvait advenir en désignant un coupable. Mais à présent qu’elle était elle-même sur le banc des accusés.

        « Nous allons procéder à une fouille, pour vérifier que le collier n’est pas là, leur dit finalement Palourde Smith.
        -Une fouille ? S’indigna Elie. Et qui donc va y procéder, tous vos petits chiens sont des hommes… Hors de question qu’ils mettent leurs sales paluches sur mon corps.
        -Ah ? On refuse de montrer ce qu’on a sous ses vêtements ? Ricana Baryton. Ou alors est-ce de la vraie pudeur ? Ne vous inquiétez pas, ils ont aussi des petites chiennes à Saint-Uréa, spécialement pour les cas comme vous. »

        L’enquêteur acquiesça. Bien entendu qu’ils avaient de quoi palper la demoiselle sans risquer un procès pour attouchement. Avec une femme au pouvoir, il fallait bien ça. Et la mixité était plutôt bien respectée dans leurs rangs, ce qui n’était malheureusement pas le cas partout. Il donna des ordres pour qu’on aille chercher un agent qui puisse s’occuper de la fouille de la miss. En attendant, il s’occuperait lui-même de vérifier les possessions de Baryton.

        « Vous souhaitez que la fouille se fasse en privé monsieur Baryton ?
        -Non, pas besoin, de toute façon, ce n’est pas moi, et vous n’aurez pas besoin de triturer en profondeur je l’espère. »

        Le notable ôta de lui-même son costume pour faciliter la fouille au corps. D’abord le chapeau, puis le long manteau rouge qu’il tend à l’agent de sécurité chargé de lui tâter les poches. Enfin, il enlève son masque, découvrant un visage terrifiant. Quelques hurlements de frayeur se font entendre. Elie retient un haut le cœur, priant pour ne pas tourner de l’œil devant l’absence de peau de l’homme. Lui est tout sourire. Il regarde fixement son adversaire du moment, espérant de celle-ci une réaction plus visible. Mais non, elle se contente de regarder sans voir. D’oublier la présence de tout ce qu’il y a autour d’elle. Du monstre à la peau à vif qui lui fait face.

        « Vous êtes content ? Vous pouvez procéder, je vous assure que vous ne trouverez pas ce foutu collier.
        -Vraiment ? Déglutit Palourde. Je n’en doute pas. Eh bien, agent Garrett, procédez, procédez… »

        Le petit soldat n’était visiblement pas rassuré à l’idée de s’occuper de la monstruosité qui venait de se dévoiler à l’ensemble des personnes présentes. En face, Elie reprenait peu à peu ses esprits. Elle en était désormais sûre, c’était lui le coupable. Comment un homme comme ça pouvait-il être innocent ? Il devait avoir le collier sur lui, ou l’avoir déposé quelque part. Une fouille de la pièce serait faite et s’ils trouvaient le bijou, ce serait évidemment lui, le premier pointé du doigt. Alors, Elie aurait eu raison de s’en prendre à lui et récolterait tout le mérite. Elle voyait déjà ce qui allait lui arriver. Bien sûr, elle n’allait pas tout de suite décrocher le rôle de sa vie, mais ça viendrait, elle venait de lancer sa carrière.

        « Le collier n’est pas sur lui chef ! Rapporta l’agent Garrett qui avait pris sur lui pour terminer sa fouiller.
        -Mmh…
        -Que vous avais-je dis ?
        -Il a toujours pu le cacher dans la pièce avant, intervint une nouvelle fois Elie.
        -Toute personne ayant pris le collier a pu le cacher dans la pièce avant, répliqua-t-il.
        -Ah, voilà notre agent chargée de votre fouille mademoiselle Jorgensen, fit Palourde en voyant arriver la jeune femme.
        -Je préférerais que ça se fasse en privé.
        -C’est votre droit. »

        Les deux femmes se retirèrent donc dans une pièce voisine. L’homme sans peau les regarda partir avec un sourire moqueur. Le reste attendait patiemment. Tous espéraient, à l’instar de Palourde Smith, qu’elle n’était pas coupable.
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        Mon beau profil avait ravi toute l’assistance, cette plastique de rêve à la symétrie parfaite, aux traits fins et élancés, aux pommettes délimités et aux chicots d’un blanc éclatant leur avait sensiblement tapé au coin de l’œil. Ils avaient du mal à se remettre de leurs émotions, remarque d’une certaine manière, je comprends leurs airs décontenancés, c’est pas tous les quatre matins qu’il vous arrive de croiser Crad Pitt au coin de l’avenue ou de la rue dont vous battez le pavé, c’est quelque chose qu’ils gard’ront en eux toute une vie ouais, gravé profond et indélébile dans le globe droit.  

        Vas-y que je te palpe copieusement, que je laisserais presque traîner ma main si les prunelles des vingt neufs autres nous zieutaient pas avec tant d’attention, tant de cette curiosité avide, de cette affamé boulimie qui leur taraude l’encéphale. Ouais, mauvaise pioche mon gars, je l’ai pas le somptueux bijou. Va falloir que tu fasses peser tes soupçons sur un ou qui sait une autre pauvre hère, qu’ouvre peut être un poil trop le gosier et qui semble bien présomptueuse. Antipathie manifeste ? Tu te mets dans de sacrés draps fifille, tu ne mâches pas tes mots et t’as la langue bien pendue pour une petite chierie qui débute, je vais mettre ca sur le trac du comédien débutant. Pas besoin de s’égosiller tu sais, gueuler comme un roquet pour se faire entendre finit par produire le résultat inverse de celui escompté. Le collier que portait Colette Guenièvre ? Hey, faudrait pas pousser Alberto dans les orties tu veux, je me trimballe pas avec une chaîne or massif autour de la nuque moi, faudrait pas inverser les rôles ma pt’ite dame.

        Le père Smith finit par la faire escorter pour un bon tripatouillage des chaumières. L’actrice s’indigne, ouais, elle peut, ca ne fera que renforcer les suspicions des vingt-neuf et de Smith à son égard. Elle a fait valoir l’exception féminine, comme si ce genre de petit obstacle mesquin allait entraver la marche de l’enquête. Smith a d’autres atouts dans la manche si bien que l’actrice, désappointée et quelque peu frustrée,  est bientôt emmenée dans le vestiaire du théâtre. De longues et profondes minutes s’écoulent, interminables, inexorables et bientôt, à la grande stupeur de tous les convives, Madame Jorgensen refait son apparition, bracelets aux pognes, les paluches de l’agent lui tenant fermement l’avant-bras pour que la belle ne nous fausse pas compagnie. La jeune actrice, visiblement effarouchée par la tournure des évènements, s’indigne, se scandalise, s’insurge. Pas besoin de sortir de la cuisse de Végapunk pour comprendre que la fouille effectuée sur elle a porté ses fruits.  

        « Mais c’est une machination ! Ce n’est pas ce que vous croyez ! Ce n’est pas moi qui .. »

        Un brouhaha discret émerge dans la salle, vint neuf paires d’yeux la scrutent d’un regard accusateur, inquisiteur même, l’antipathie a succédé à la bienveillance qu’elle avait fait naître jusqu’alors. On la dévisage cruellement, on ne lui offre désormais plus que de l’aversion et un profond dégoût. De la gloire à l’infamie, des feux de la rampe à l’opprobre, la descente aux enfers s’amorçait douloureuse pour la plaignante. Une remontée d’ascenseur logique et évidente pour une femme présomptueuse au ton un peu trop impétueux pour votre fidèle serviteur.

        « Tel est pris qui croyait prendre Hmmmh. Vous avez beaucoup d’audace à nier les faits et ce bien que les preuves vous accablent. Comment avez-vous pu assassiner Mademoiselle Guénièvre ? L’argent toujours l’agent, vous suppurez l’argent Mademoiselle, est-ce donc là tout l’amour que vous portez pour la comédie ? Je comprends désormais pourquoi vous vous êtes avachie sur elle au moment fatidique…afin qu’elle emporte son secret dans la tombe ! «

        « C’est vous qui avez placé de collier dans mes affaires ! J’en suis certaine, j’en suis intimement convaincue. Mr Smith, je vous jure que… »

        « Quoiqu’on dise Mme Jorgensen, nous ne sommes jugés que par nos actes et ceux-ci résonnent dans l’éternité. Vous comporter ainsi devant le fait accompli est un témoin profond d’un manque de respect envers Mademoiselle Guenièvre et laisse présager de la nature tumultueuse des relations que vous sembliez entretenir. Qui ne dit mot consent, qui en dit trop affirme. Et à l’instar des hôtes de cette assemblée de fortune que voici, je ne peux résolument vous permettre de commettre un tel affront. »

        Je sens Smith infléchir en mon sens. Ma petite tirade arrive à point nommé pour lui remettre les pendules à l’heure et le faire émerger de sa petite gangue. Il est ostensiblement pressé par tous les autres de mettre aux fers la jeune meurtrière et c’est avec tout le professionnalisme qui lui sied si bien que l’homme s’exécute.

        « Mademoiselle Jorgensen, vous êtes en état d’arrestation, vous avez le droit de garder le silence et tout ce que vous pourrez dire sera retenu contre vous lors de l’audience plénière du grand tribunal de Saint-Urea présidé par la dame de fer. Qu’avez-vous à dire pour votre défense ? »

        « C’est Alberto baryton qui a maquillé cet horrible malentendu ! Laissez-moi une chance de … »

        « A quoi bon ?! Assassiner froidement une autre comédienne qui voudrait vous ravir la place ?! Soyons sérieux, Madame Jorgensen, votre carrière est fini, il est temps de l’accepter au cas où vous ne l’auriez pas encore compris… »

        « Vous.. je «

        « SILENCE »

        Une voix gutturale émerge de l’embrasure de la double porte en chêne doré par laquelle nous avions gagné la pièce de réception. J’le zieute du coin de l’œil et le reconnais. Gustave Dagembert, le proprio des lieux, le gars qui brasse les liasses et l’instigateur de cette petite sauterie privée.


        L'enfer est vide, tous les démons sont ici 73aa1c10


        « Puis-je savoir ce qui se passe dans mon théâtre ?! C’est quand même un monde que je n’ai point été prévenu par vous, Monsieur Smith ! «
          Elie repassait dans sa tête tout ce qui s'était passé depuis que la mort de Colette. Elle ne parvenait pas à se souvenir d'où et quand on avait pu lui glisser le collier. C'était forcément lui, il avait pris peur, la voyant l'accabler de tous les torts et avait fait en sorte que ce soit elle qui subisse à sa place. Quel homme horrible. Quelle pourriture. Et vomissait toute sa personne, l'intérieur autant que l'extérieur. Une véritable ordure. Elle l'avait peut-être bien mérité. Enfin, elle ferait tout ce qui était en son pouvoir pour rétablir la vérité. À commencer par embobiner le gros directeur. En lui faisant d'adorables yeux innocents.

          À la vérité, elle trouvait l'attirail de cet homme purement ridicule, et se demandait si faire confiance à un zouave pareil serait une bonne idée. Bah, qui ne tente rien n'a rien. Elle secoua les menottes pour attirer l'attention de Dagembert. C'était lui qui lui avait à chaque fois reversé son salaire. Un homme bas de plafond, mais profondément amoureux du théâtre. Il pourrait très bien être utile.

          « Hum !
          -Oui ? Mademoiselle ? Ah, Elie, c'est bien ça ? Je vous dois toujours votre paye, vous me ferez penser à ça dès demain... Mais, pourquoi vous avoir mis des menottes aux poignets ? Vous continuez à jouer votre rôle, c'est ça ? Vous êtes formidable, j'allais justement vous reproposer un nouveau rôle pour la prochaine saison. Je ne vous l'avait pas encore confirmé, mais je vous en avais déjà parlé, non ? Le rôle principal... Dans la prochaine pièce...
          -Évidemment que vous m'en aviez parlé, monsieur Dagembert, mentit Elie. Vous m'aviez même parlé d'un salaire au delà de tout ce qu'on m'avait proposé jusqu'ici, et qui me permettrait une situation plus que confortable.
          -Oui oui, je me souviens bien... Maintenant, si vous le voulez bien, je vais vous laisser continuer votre petit numéro et demander à M. Smith s'il veut bien m'expliquer ce que signifie tout ce boucan ! S'exclama-t-il en changeant progressivement de ton pour finir complètement rouge de colère. »

          Palourde Smith avança d'un pas dans toutes les directions de l'espace ce qui eut pour conséquence de n'avoir absolument pas modifié sa position. En plus de l'avoir rendu particulièrement ridicule en l'espace de quelques secondes. Il prononça une suite de mots les uns à la suite des autres qui pouvaient passer pour une façon assez pitoyable de se répandre en excuses. Et dans son cas, il s'excusait presque de vivre. L'excuse, chez cet homme, était une philosophie de vie, un art, cultivé jusqu'à son paroxysme. Avant qu'il n'ait eut le temps de s'accuser d'être à l'origine de la mort de la comédienne, le directeur l'interrompit, reprenant tout à coup un ton calme et paternel.

          « Palourde, mon bon, on se connaît vous et moi, vous savez bien que vous pouvez tout me dire.
          -Oui, pardon, excusez moi, je n'aurais pas dû m'emporter et tout vous dire dès le départ, j'ai encore fauté, je suis méprisable, s'il vous plaît, mettez moi les menottes à la place de cette pauvre jeune femme, bien plus innocente que moi ! Elle n'a fait que tuer et voler tandis que je n'ai pas pu empêcher la mort de cette comédienne de talent !
          -La mort ? Une comédienne est morte ? »

          Tout en tentant de cacher du mieux son visage derrière sa main droite, l'enquêteur pointa le lustre de son index. Le directeur écarta les quelques personnes sur son chemin et vit avec horreur son actrice principale mise en charpie par un magnifique lustre tout aussi abîmé et qui avait coûté une fortune au théâtre.

          « Quel malheur, et dire que je ne lui avait pas encore reversé sa paye. Superbe paye... Qui a fait ça ?
          -...
          -Vous ne savez pas encore Palourde ?
          -Nous venons d'arrêter le meurtrier, directeur...
          -Elie ?? Pas possible... Pourquoi aurait-elle fait ça ?
          -Pour l'argent et...
          -L'argent ? Mais je venais de lui proposer un formidable poste avec une formidable paye !
          -Et aussi sans doute pour obtenir le rôle titre...
          -Mais je venais de lui proposer le rôle titre !
          -Donc elle l'a tuée sans véritable mobile ! C'est encore pire...
          -M. Smith... Intervint l'intéressée. Il se pourrait aussi qu'on ait tenté de me faire porter le chapeau, vous ne croyez pas ? Et qui d'autre que Monsieur...
          -Vous recommencez... Soupira Baryton. Pourquoi vous obstinez vous à déchaîner toute votre hargne contre moi ? Parce que ma figure ne vous revient pas ? J'ai le sentiment que vous consacrez toute votre bile à mon anéantissement, pourquoi ? On se connaît ? Vous ai-je fait quelque chose de mal par le passé ? »

          La question resta sans réponse, les deux adversaires continuaient de se fixer tandis que Palourde gémissait et que Dagembert protestait. Elie savait bien que continuer à attaquer de front cet homme, contre qui personne n'avait rien, ne ferait que l'enfoncer. Elle ferma la bouche. Puis la rouvrit. Elle ne pouvait s'empêcher de le faire. Cette fois-ci, cependant, son discours était différent.

          « Très bien, il est vrai que je n'ai rien contre vous, mis à part le fait que je suis intimement persuadée de votre culpabilité. Et c'est d'ailleurs pour cela que mes soupçons ont été renforcés. Parce que étonnamment, quelqu'un veut me faire porter le chapeau. Je vous ai accusé vous, ai tenté de vous enfoncer. C'était vous, ç'aurait pu être quelqu'un d'autre, vous étiez juste la seule personne à parler, et vous avez attiré mon attention. C'est moche, je sais. Mais maintenant que c'est moi qui suis injustement accusée, je vois que j'ai visé juste...
          -Intéressant... Votre analyse je veux dire. Vous continuez à proclamer votre innocence ? Je continue d'affirmer la mienne. Vous n'avez pas pensé que la personne qui avait tué mademoiselle Guenièvre pourrait m'avoir choisi comme bouc émissaire ? Demanda Baryton.
          -Vous ? Mon bouc émissaire ? Laissez moi rire...
          -Laissez-moi m'expliquer. Le meurtrier, voyant que nous nous accusons mutuellement, décide de faire plonger l'un de nous deux... J'ai le parfait profil... Terrifiant, si vous voyez ce que je veux dire. Et vous, un mobile. Il fait en sorte de vous enfoncer encore plus en cachant le collier sur vous, comme vous m'accusez de l'avoir fait. Avec cela, il s'accorde une première protection. Je suis la deuxième. Si vous êtes innocentée malgré tout, on m'accusera directement. »

          Tous se regardent un moment. Son explication tient la route. Comment savoir s'il bluffe ? Elie doute. Pour la première fois depuis le début, elle doute. Palourde et le directeur ont arrêté leur jérémiades inutiles pour réfléchir eux aussi. L'affaire est complexe.
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          La petite bougresse avait fait des pieds et des mains pour s’en sortir à bon compte, elle pouvait louer Mère Nature de l’avoir doté d’une gueule pas dégueulasse et de suffisamment de matière grise pour délayer le propos avec cohérence et bienséance, choses sans lesquelles la belle plante rongerait déjà son frein dans l’humidité d’une cellule glacé. Ouais t’pouvais bien remercier ta taille de guêpe, ton petit 38 taille serré que tous les mâles reluquent du coin de l’œil en se disant qu’ils sont trop malins pour se faire gauler par une midinette dans ton genre. Mais moi, j’ai lu dans ton jeu ma fille, les petites opportunistes dans ton genre, j’en bouffe à la dizaine tous les quat’ matins et quand j’ai senti que tu renversais la vapeur et que ca puait le sapin pour mon matricule, j’ai réorienté avec toute ce putain de tact et d’usage le débat sur nos autres compères. Ouais c’est ca, ils s’offensent copieusement, ca leur hérisse leur foutue peau de pêche que de se retrouver enfermé à huit clos mais c’est pas pour autant qu’ils jactent, qu’ils lâchent ce qui fourmille dans leurs petits esprits bileux.

          Vl’a que j’ai levé un lièvre, que j’ai ferré le gros marlin, m’étonnerait pas que dans le lot, il y en ait qui en sachent gros sur l’affaire sans jouer la balance. Ouais, Jorgensen, je parie sur mes deux couilles que t’as eu un complice dans l’assistance, que t’as vendu du rêve à une pauvre tâche et que maintenant, devant la niaiserie maladive et la connerie congénitale des deux empaffés de service, je me retrouve à devoir fouiner, fourrer mon nez dans les affaires qui m’regardent pas et donner dans le registre du polar en m’improvisant Ouatsonne de ma situation. Faute de quoi tu vas te tirer de là avec un bécot sur l’omoplate et deux numéros de den den pour que tes soirées un peu trop solitaires deviennent un peu trop solidaires si tu me captes bien héhé. Alors je balance un pavé dans la mare, parce que moi les ambiances cluedo j’adore ca, surtout quand le situation se corse et que le bizbi s’installe entre les protagonistes, ca participe à l’ambiance délétère qui règne.

          _ Dites-moi, le lustre n’est pas tombé par l’opération du Saint-Esprit. J’imagine qu’il est soutenu à son socle par une sorte de poulie renforcé ou un mécanisme de filin, n’est-ce pas ?

          _ Bien sûr évidement. Quel question idiote, Monsieur Baryton. Ou voulez-vous en venir poursuivit Madame Jorgensen, la jeune actrice effrontée

          _Regardez donc le câble, relié au lustre. Voyez, il a été sectionné de part en part et de manière très nette. Au regard de la robustesse du dit câble, une lourde paire de pince fut nécessaire pour mener pareille entreprise.  

          Laissant planer un silence lourd de suspicion, le regard se porte sur le banc des accusés ou plutôt le banc des acteurs médusés, lorsque le crâne toise chacune des mines d’outre-tombe que chacun revêt.

          _ Jeter l’opprobre sur Alberto Baryton est un acte de malveillance, cela va de soi. Mais qui donc si ce n’est vous Morialo, ou devrais-je dire Monsieur James B. Morialo, quincailler de profession et acteur à vos heures perdus, aurait pu vous rendre responsable d’un tel crime ?

          _ Comment osez-vous Monsieur ? Je ne vous permets pas de … connaissez-vous seulement mes appuis ? Ce sont des élucubrations et je

          _ Je vous ai scruté toute le pièce durant et si je ne m’abuse, vous entretenez une relation amoureuse la dame de compagnie de feu Jacqueline dumont sur les planches, alias Colette Guenièvre, incarné par madame Elie Jorgensen. On pourrait résolument penser que vous avez pt’et un peu trop pris votre rôle au sérieux et par un excès de zèle, de folie ou même d’amour ayez commis cet assassinat dans le nom de Madame Jorgensen.

          _Mais, quels insanités ! C’est de la calomnie, de la diffamation, je m’en vais vous…

          _ Si nous venions à retrouver une pince coupante auprès de votre loge ou non loin d’elle, je suis certain que vous tiendriez Monsieur un autre discours.

          Palourde Smith semble captivé mais demeure plein d’indécision. C’est que le gus vient de se faire moucher copieusement par le père Dagembert, ca flatte pas l’égo ce genre de remontée de bretelles, ca vous les claque même de manière cinglante en plein bourre-pif avant que ayez pu crier gare. Alors il attend de la preuve formelle, que j’arrête de lui faire humer le fumet de la bouffe et lui fourre son merlan frit dans l’auge pour qu’il l’a défouraille comme le furieux qu’il est sinon il bougera pas ni le doigt ni l’œil.
             
          _ Mais vous avez bien trop d’aplomb, bien trop d’assurance pour avoir laissé pareille preuve vous incriminant dans vos quartiers. Trop malin, trop ingénieux pour fauter à deux doigts de vivre l’idylle avec Mme. Jorgensen…pourtant je demeure certain que si on passait au peigne fin votre loge, on trouverait peut être des affaires ou mêmes des lettres écrites de votre main, témoignant d’une relation avec la belle plante que voilà.

          Bwahaha, impec’, je débite assertion sur assertion, c’du petit lait qu’ils bectent sans moufter, comme s’ils tiraient sur la tétine du bib’ goulûment en attendant le point de chute, le putain d’élément tellement véridique qu’il serait difficile de le contester.

          _ Hé bien, c’est que je.

          _ Oui, tout le monde s’en est rendu compte. Vous l’aimez mais il ne s’agit pas d’un sentiment partagé, aucune réciprocité pour la pauvre hère de votre condition. Le monde du théâtre faisant, et votre physique, si je puis permettre, loin d’être très enviable, fait que la dame a refusé vos avances.

          Jackpot, triple 7 sur la machine à sous, Jorgensen est foutrement embarrassée à son tour, la donzelle sait pas où se mettre et je compte bien que voili révèle le pot aux roses et fasse peser des foutus interrogations sur leur relation dans l’édition du lendemain.  

          _ Loin de moi l’idée, de vous orienter insinueusement Mr.Smith, mais la thèse du crime frauduleux semble à mon sens erronée. Le vol du collier a sciemment été mis en scène pour nous orienter vers le postulat que les pierres de Colette Guenièvre étaient le mobile de l’homicide. Je penche davantage pour le crime passionnel Hmmmh, je pense que madame Jorgensen vous doit quelques explications.

          Devant l’enceinte du théâtre, une foule s’amoncelle telle un piquet de grève, attiré par la tragique nouvelle. Une clameur populaire monte dans les rangs des civils et tous réclament la seule et même chose : un coupable. Un coupable, sur qui déverser tout leur fiel, un coupable sur qui s’abattra la justice populaire, celle du peuple, celle des hommes méritants qui vouaient une admiration sans bornes pour l’actrice réputée.

          _Eh bien ? Vous entendez ? Il est temps de vider votre sac !

            « Qu’est-ce que vous insinuez, là ? Demanda Elie vers qui tous les regards étaient de nouveau tournés.
            -Oh, mais vous êtes intelligente, railla Baryton, vous devriez comprendre… Et obtempérer, toute la salle vous regarde.
            -J’avais remarqué, merci… Et bien, il est vrai que monsieur, ici présent, m’a fait des avances, auxquelles je n’ai pas donné suite. Mais je me demande bien une fois de plus ce que ça prouve. Vous avez l’air de beaucoup vous intéresser à l’intimité d’autrui monsieur, peut-être est-ce un complexe dû à votre bobine, disons… repoussante ?
            -Il n’empêche que monsieur Morialo a quelque chose à se reprocher…
            -Je… Non, vous êtes une sacrée pourriture, s’indigna l’intéressé. Vous affichez mes sentiments non partagés avec mademoiselle Jorgensen devant tout le monde, et vous voulez que je me sente bien ? Vous êtes un peu malade vous, non ? »

            Palourde se sentait franchement inutile au milieu des trois personnes qui n’arrêtaient pas de se renvoyer la balle. Le débat était stérile, et ils n’aboutiraient à rien. Il avait bien envie d’interrompre leurs petites mesquineries, mais… Comment dire. La suite pouvait toujours s’avérer intéressante, le moindre faux pas du coupable, et hop, il s’en saisirait, le mettrai aux fers, puis rapidement une condamnation et une exécution en bonne et due forme. C’était du travail comme il l’aimait, rapide, propre et… Mais c’est qu’ils continuent à discuter ! Si jamais il manquait un élément déclencheur dans la conversation en restant plongé dans ses pensées…

            « Chef ?
            -Oui oui, vous pouvez embarquer le corps, faites attention à ne pas le traîner, on pourrait nous faire payer les dégâts que ferait le sang sur ce magnifique parquet, ce serait ma faute, et… Oh non, je n’ose pas y penser, malheur ! Qu’ai-je encore fait ?
            -Mon bon Palourde, ne vous mettez pas dans tous ces états, intervint le gros directeur. Vous n’avez encore rien fait…
            -Mais votre sol…
            -Il est tout à fait propre.
            -Oui oui.
            -Euh, chef ?
            -Je vous ai dit que c’était bon…
            -C’est juste qu’on vient de nous contacter, des hommes à nous ont découvert un cadavre et souhaiteraient que vous veniez vous rendre compte…
            -OH MON DIEU !! Mais qu’ai-je encore fait ? Je suis misérable, directeur, tuez-moi...
            -C’est vous qui l’avez tué mon bon Palourde ?
            -Non, mais j’aurai pu, et c’est encore plus grave !
            -Chef, vous comptez y aller ?
            -Bien sûr que je compte y aller, ne pas le faire serait un manquement supplémentaire à mes fonctions, et ce serait une honte terrible et je ne m’en remettrais pas…
            -On fait quoi de ceux-là ? Continua le soldat en désignant Elie, Baryton et Morialo qui continuaient leur duel verbal.
            -Embarquez-les, je les veux avec moi. Et faites évacuer les lieux, ça commence à puer le voyeurisme !
            -MESDAMES, MESSIEURS ! Retentit la voix du directeur. UN PEU DE SILENCE ! »

            Si les aristocrates coincés étaient silencieux depuis un bout de temps, écoutant les accusations que les trois suspects se jetaient au visage. L’intervention du gros bonhomme eut tout de même le mérite de faire taire les trois lascars. Il s’éclaircit la voix, puis annonça à tous que la soirée était terminée, écourtée par ce malheureux incident, et que tous feraient mieux d’aller se coucher, de ne plus y penser, que l’affaire serait résolue sous peu par les très hautes compétences de monsieur Smith –mon bon Palourde- et que la salle serait de nouveau disponible à la location sous sept jours –pour la modique somme de 500 000 Berrys l’heure, dégradations non comprises.

            « Bon, et vous, dès que l’agent Garrett vous aura passé les menottes, vous me suivez, j’ai une autre affaire sur les bras, mais je compte bien en profiter pour continuer de vous interroger, leur ordonna Palourde, redevenu d’un coup beaucoup plus sérieux.
            -Les menottes ? S’exclama Elie. Mais, nous allons passer devant tous…
            -Vous êtes l’une des principales suspectes mademoiselle Jorgensen, c’est la procédure, s’excusa-t-il. »

            À côté, les deux hommes à qui l’ont passait les fers ne bronchèrent pas, mais la comédienne remarqua le sourire en coin que lui adressait Baryton. Un sourire carnassier qu’elle ne cesserait pas de détester. Ce genre de gars lui donnait encore moins envie de s’amouracher de qui que ce soit. Elle le détestait, détestait ses manières, détestait sa voix, détestait sa figure, détestait ses idées, détestait toute sa personne pour la seule et unique raison qu’il s’évertuait à se sauver la mise en lui mettant tout sur le dos. Comment quelqu’un pouvait apprécier un pareil bonhomme ? Même avec une bobine normale il lui aurait été désagréable. Elle finit par accepter les fers.

            Le petit groupe dirigé par Palourde s’éclipsa par une petite porte, laissant les invités dépités traverser la cohue autour du théâtre. Toutefois, ils ne furent pas tranquilles bien longtemps. Repérés par un groupe d’indignés, ils reçurent mille et un noms d’oiseaux et faillirent être coincés par un attroupement de mécontents. Heureusement, Palourde et ses hommes tenaient la ville avec une sacrée poigne et le pire fut évité. Le programme de la nuit risquait d’être long pour le chef de la sécurité. Deux cadavres en une nuit, quelle barbe.

            « Bon Garrett, vous avez des informations sur notre cadavre ? Plus j’en saurais maintenant, moins on perdra de temps là-bas.
            -Ben, pas vraiment chef, on sait juste qu’il est salement mort le pauv’ type, et pas bien identifiable à ce qu’on m’a dit.
            -Vous nous emmenez voir un nouveau cadavre ? Demanda Elie dont le teint aurait sûrement parût très blanc si l’obscurité n’avait pas empêché qu’on vit son visage.
            -Oui, pour les besoins de mon enquête. Je veux pouvoir vous poser n’importe quelle question, à n’importe quel moment.
            -Mais c’est du grand n’importe quoi… Fit elle consternée.
            -Et puis, deux morts en si peu de temps, ça ne vous embêtera pas plus que ça, n’est-ce pas ? Demanda Palourde.
            -Si je vomis, c’est une réponse suffisante ?
            -Ça pourrait avoir un lien, commenta Garrett.
            -Vous vous imaginez des choses soldat, les deux meurtres n’ont sans doute rien en commun. »
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            L’étau se resserre sur l’actrice et meurtrière présumée, plus elle s’agite, plus je me délecte de l’instant, ca rend la scène encore plus ragoûtante qu’elle ne l’est déjà. Les deux tourtereaux se débattent comme deux belles brêles dans une machination qui les dépasse, mais plus le temps passe, plus je sens la petite maligne gagner du terrain et faire preuve de toujours plus de lucidité. Smith est loin d’être un fin psychologue, il a autant du limier d’expérience que j’ai de bienveillance dans la carcasse, ce que je crois pouvoir sans me tromper évoquer le terme de zéro absolu. Sauf qu’il y a une couille dans le pâté, et pas une petite baloche ramollie d’eunuque, nan quelque chose d’autrement plus massif et dérangeant. Nous vl’a au clair que la carcasse encore tiède d’un lascar vient d’être dévoilé, à croire que les relents émanant du zig étaient tellement balèzes que ça a rameuté un petit finaud qui a dévoilé le pot aux roses.

            Une belle épine dans le pied. Palourde, la science infuse, nous conduit, bracelets aux pognes, sur le lieu de l’homicide. Au dehors, la ferveur populaire amène son lot de contestations, la mort de Guenièvre a cristallisé les tensions latentes, les injures fusent comme des tomahawks lancés au coin des gueules esseulés pour certains mais glissent sur moi comme du beurre sur une crêpière chaude.
            Les émanations putrescentes donnent plus de cachet à l’homicide, ça remonte droit dans les sinus comme un bon bol d’air pur des alpages. Ça se fourre des mouchoirs devant les trombines et ça prend un air apeuré, ça joue l’effarouchée de la jaquette, ça chialerait presque regardez-moi ça. Le zig est raide depuis un paquet d’heures que nous dit le légiste sur place. Le gars s’est tellement fait lacéré la tronche qu’on pourrait y piocher la barbaque pour un barbecue. Le légiste, aussi austère qu’une porte de prison, se lance dans son interprétation du déroulement du meurtre :

            « Il a été retrouvé dans la benne en slip. A l’observation de sa rigidité cadavérique, je table sur une mort survenue il y a trois heures de cà. Nous avons fouillé le corps mais n’avons guère trouvé de papiers ou d’effets personnels appartenant à la victime.  «

            « La cause de la mort ? »

            « Le coup classique de la commotion cérébrale. Il a rien vu venir. Une frappe contendante en pleine tête à son insu avec outil type barre à mine ou clé à molette. Il n’avait aucune chance de s’en sortir. »

            « Ah mais c’est horrible ! « s'exclame l'actrice toute remuée

            « Vous allez nous seriner combien de temps avec ça ? Vous outrager de la sorte pour nous rouler dans la farine, ca aussi, c’est un classique ! «

            Palourde Smith est soudain frappé d’une illumination divine, comme si il était véritablement capable d’employer ses méninges à autre chose que de reluquer la chair fraiche ou de s’apitoyer sur ses gaffes.

            « Croyez-vous donc qu’une femme du gabarit de celle-ci aurait pu se rendre capable d’un tel meurtre ? «

            « Aucune chance. On a envoyé des photographies auprès du conseil de la dame de pierre pour identification. »

            Un regard de biais adressé à Jorgensen suffit de conforter mes craintes. Ce salopard innocente d’emblée la petite. Me risquer à remuer le couteau dans la plaie serait malvenu. C’est pas l’envie qui me manque de coller une biture à Jorgensen et lui effacer son petit sourire mesquin du coin de son faciès d’albâtre.
            Les vapeurs lucides sont retombées aussi vite qu’elles se sont manifestés. Palourde, le sourire béat, comme une godiche, est heureux que sa petite pouliche soit hors de cause. Pour l’impartialité de l’enquêteur chevronné, on repassera. Smith ne bite rien à ce qu’il passe, il fait ce genre de petites mimiques mesquines pour se donner une consistance et qui laisseraient à penser qu’il réfléchit, sauf que la pâte prend plus, ni avec moi, ni avec Jorgensen. Une vraie biroute ce type, c’est franchement à croire que Stanhope emploie des buses finies à la pisse dans ses rangs.

            « Voyez, j’y suis pour rien dans l’affaire ! «

            « Rien ne dit que Morialo n’est pas coupable… »

            « Vous avez vraiment une dent contre nous, hein ? «

            « Je m’en tiens aux faits et… »

            « Attendez, il y là quelque chose «

            Nos regards éberlués se penchent vers le légiste, tirant précautionneusement le slibard de la victime. Mais qu’est ce qu’il branle ? Un nécrophile ? Nom de dieu ! C’est obscène, c’est odieux, c’est profondément dégueulasse. Même moi, je me serais guère aventuré à pareille infamie. Jorgensen se cache ses yeux molasses dans le coin de ses paluches tandis que je ne peux m’empêcher de fixer cet abruti à la la curiosité malsaine.

            « C’est que j’ai vu des initiales cousues dans l’élastique et je .. »

            L’œil du scientifique, amoral de curiosité, l’incite à poursuivre son investigation. Quoi, des initiales ? Bordel, triple buse. Une sueur froide me perle le long de la tempe. Ce genre de perle qui vous fourgue la chair de poule et vous fait avaler trois foutu fois d’affilée votre salive. Je suis sur la brèche, sur la berge même et lorsque je mate l’autre cabotine qui susurre des mots doux à Palourde, je vois la mouscaille effleurer de la sale affaire. Je gamberge intérieurement.

            « A.B »

            Un silence lourd, anormalement long émerge sur la scène d’homicide. Tous restent pantois mais tous comprennent, ça jaillit dans le globe droit de tout à chacun de ces enflures et lorsque les regards fureteurs de Morelo et de Jorgensen se penchent sur le coin de ma trogne blême, je grince des dents et ravale l’aigreur qui me brûle la glotte, je me sens m’enliser, m’embourber dans la mélasse gluante et fétide. Je peux faire une croix sur une dernière escapade dans la cité fortifiée. Comment aurais-je pu une seule seconde me douter que cet empaffé ait été à ce point vaniteux qu’il fasse broder ses putains d’initiales sur ses calbars ? Vais-je vraiment perdre toute ma crédibilité pour un calbar ? Je me monte au coin du crâne un scénar à toute berzingue mais la voix de Smith tranche vif dans le silence latent, brisant mon élan introspectif.

            « Eh bien oui ? A.B et ensuite ? Qu’est-ce que ca signifie ? Vous en faites des affaires pour pas grand-chose. Vous n’êtes pas un enquêteur assermenté, ça se voit.  »

              « A.B. Fit Elie en faisant semblant d’être songeuse. Tiens c’est drôle, ce sont les mêmes initiales que les vôtres ! »

              Elle finit de se retourner vers le soi-disant Baryton. Et c’est ce moment que choisit Palourde pour comprendre le lien et partir dans une série d’excuses proférées à toute personne voulant bien les entendre et les accepter. Toujours était-il qu’il avait désormais un bon suspect sous la main, et quand il voudrait bien arrêter de gémir contre son incompétence, il pourrait l’interroger plus sérieusement. Elie était d’ailleurs ravie d’éloigner une fois de plus les soupçons sur sa personne. D’autant plus ravie que son intuition avait été la bonne depuis le début. Si on pouvait dire intuition, c’était surtout un grand coup de bol. Pile le genre d’inspiration divine que le narrateur s’excuse de placer et promet de ne plus réutiliser, bien trop facile…

              Elle narguait désormais son rival d’un regard confiant. C’était sûr qu’il avait tué le bonhomme dans les ordures. Et même si ce n’était pas le cas, dans ce genre d’affaires, s’appeler Alberto Baryton, être un notable de la région de Saint-Uréa et avoir une gueule pareille, ça ne passait pas, et oui, délit de faciès… Elle attendait avec impatience que l’agent Smith commence à poser les questions qui font mal, les sujets qui touchent aux parties sensibles, comme les initiales sur le slip de la victime.

              « Monsieur Smith, vous n’y êtes pour rien, vous n’avez même pas encore entamé cette enquête, lui dit-elle pour faire accélérer les choses.
              -Oui, oui, c’est vrai, excusez-moi ! Je n’ai rien fait, veuillez pardonnez mon incompétence ! Commençons donc cette enquête…
              -Je vous laisse faire…
              -Et bien, commençons par une drôle de coïncidence, monsieur Baryton… Que font vos initiales sur les sous-vêtements de cet homme mort ?
              -Eh bien, répondit l’intéressé, je suppose que si je vous dis que je fais broder les sous-vêtements de mes serviteurs vous ne me croirez pas ?
              -Vous faites broder les sous-vêtements de vos serviteurs ?! S’exclama l’agent Garett. Mais à quoi cela vous sert-il ?
              -Vous me décevez agent Garett.
              -Excusez-moi chef, je ne reposerai plus ce genre de questions, un véritable investigateur se doit de connaître la réponse par soi-même...
              -Donc je ne peux faire qu’une simple supposition, reprit le faux Baryton. Cet homme a les mêmes initiales que moi.
              -Mmmh… Songea Palourde.
              -Euh… Vous ne voyez pas qu’il essaie de vous embobiner ? Intervint Morialo.
              -C’est vous qui essayez de les embobiner, répondit du tac au tac le présumé meurtrier.
              -Bon, après mûre réflexion… Je pense que vous avez tué cet homme et pris son identité, déclara soudain l’inspecteur.
              -Et il vous a fallu tout ce temps pour arriver à cette conclusion ? Glissa Elie, de plus en plus abasourdie par ce qui se disait.
              -Et oui ma chère Elie, après autant d’années de service, normal qu’on soit habitués à repérer si vite les coïncidences douteuses. »

              Et Elie de se demander tout compte fait, si elle était réellement tirée d’affaire. Parce que Palourde Smith était sans doute un soldat chevronné, qui pouvait tuer n’importe quel criminel de petite envergure rapidement, il n’en demeurait pas moins extrêmement hermétique à toute réflexion trop compliquée. Hors, si on avait bien de grosses raisons de penser que l’Alberto Baryton encore vivant n’était pas l’original, il n’avait encore aucun mobile identifiable pour tuer le précédent propriétaire de ces noms et prénoms et Colette Guenièvre.

              « Bon, je crois que ma couverture est grillée, n’est-ce pas ?
              -Oui monsieur Baryton, ou devrais-je dire ..?
              -Vous devriez dire quoi chef ?
              -Sa véritable identité agent Garett, je comptais sur la persuasion pour qu’il la décline de lui-même…
              -C’est raté, non ?
              -Oui agent Garett…
              -Vous le découvrirez bien assez tôt, maintenant que je suis pris au piège. Toutefois, je m’en voudrais d’être le seul de l’équipe à tomber…
              -De l’équipe ?
              -Ah, oui… Je voulais vous présenter mes compagnons dans cette sinistre affaire, monsieur James Morialo, très crédible en amant éploré, n’est-ce pas ? Et mademoiselle Elie Jorgensen, plus connue dans notre petit groupe sous le pseudonyme de Dorothea Barth, ça fait frissonner, non ? »

              Une pourriture, c’était définitivement une pourriture jusqu’au bout des ongles. Surtout qu’elle n’avait aucun moyen de le contredire. Sauf s’il sortait un détail malencontreux. Il suffirait d’y avoir quelque chose qui clochait pour qu’elle discrédite ses paroles. À ses côtés, Morialo s’était décomposé. Lui non plus ne savait plus comment faire pour échapper à ces accusations. Et en même temps, songea Elie, si elle niait en bloc, il n’y avait pas non plus de preuves de leur culpabilité.

              « Ce qui fait frissonner, c’est le nombre d’absurdités que vous êtes capable de produire en l’espace de seulement quelques minutes, le nombre de conneries que vous osez nous vomir à la figure, si j’ose m’exprimer ainsi, l’invectiva la comédienne.
              -Tant de mépris dans une telle phrase, mais tu persistes à ne pas voir la vérité en face ma chère Dorothéa ? Cesses ce jeu et assumes !
              -Chef, je ne comprends plus rien !
              -Parce que vous compreniez quelque chose avant, agent Garett ?
              -Non, mais là, encore moins…
              -Bon, finies ces histoires d’accusations où on se renvoie la balle sans cesse ! S’exclama Palourde. Vous allez me suivre en salle d’interrogatoire tous les trois et j’aviserais là-bas.
              -Vous aviserez ? Mais vous ne voyez pas qu’il…
              -Suffit ! Mademoiselle Jorgensen ou je ne sais pas comment il faut vous appeler, j’en ai soupé de vos jérémiades, vous expliquerez votre situation calmement et tout à l’heure. En attendant, taisez-vous tous ! »

              Le chef de la sécurité, Palourde Smith, venait probablement de sortir le premier ordre vraiment intelligent depuis le début de cette affaire. C’est probablement plus pour cette raison que pour le réel contenu de l’ordre que tout le monde se tût. Et que tout le monde s’empressa de suivre le bonhomme. Plus tard, il s’excuserait probablement mille fois de cette ignoble attitude qu’il avait alors, mais pour le moment, il était un brin énervé. Et probablement mécontent du temps qu’il perdait avec tous ces pauvres branques.
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              La tension était palpable dans la salle d’interrogatoire. Attachés tous trois sur une chaise, les suspects attendaient qu’on vint les assommer de questions déjà maintes fois retournées dans leurs têtes. Ils s’accusaient mutuellement des crimes commis, allant même jusqu’à plaider coupable afin d’enfoncer les deux autres.

              Palourde Smith entra dans la salle, jeta son manteau de cuir sur la chaise qui lui était attribuée. Derrière ses lunettes noires, il regardait d’un air sévère successivement la demoiselle, le jeune comédien et le soi-disant Baryton. Il devait démêler les mystères de cette affaire au plus vite. Il avait discuté un peu avec la Stanhope, peu importait désormais pour elle qui serait accusé, il fallait que le suspense cesse et qu’on trouve le coupable. Palourde voulait tout de même éviter l’erreur judiciaire.

              « Bon, commençons par vous, monsieur Baryton… Vous pourriez peut-être nous éclairer sur votre véritable identité, puisqu’on a retrouvé le corps du véritable Baryton.
              -Vous avez retrouvé le corps d’un gusse qui se plait à broder ses initiales sur ses dessous. Je suis vraiment dégoûté d’être tombé sur un pauvre type pareil.
              -Ce n’était pas la question…
              -J’avais bien pigé.
              -C’est bien simple, si vous ne parlez pas, je m’occupe moi-même de votre cas, et croyez que le sourire que je vais vous faire avant de vous jeter aux rats ne vous amusera pas.
              -Soit. Si je vous dis qui je suis, il y a une chance que je ne crève pas, bouffé par quelque charognard ?
              -Si nous éclaircissons cette affaire, vous aurez la grande chance de goûter aux joies de nos prisons assez en vie pour comprendre ce que c’est de commettre un crime sur les terres de Saint-Uréa.
              -Ah ? Je suis donc le criminel annoncé.
              -Vos deux compagnons auront fort à faire pour se disculper, mais vos mensonges me donnent déjà une bonne raison de ne jamais vous laisser quitter l’île. C’est moi qui fais la loi ici, la seule personne qui peut contester mes décisions et me donner des ordres m’a laissé le champ libre pour cette affaire.
              -Sharp Jones…
              -Bien. Monsieur Jones, votre version des faits.
              -Ahah, je vais vous raconter l’affaire en détails. Tout commence il y a quelques jours. De passage à Saint Uréa, j’entends parler de cette réunion des nobles… »

              Sharp Jones se dévoile peu à peu, explique en détail son plan, pourquoi il a tué le véritable Alberto Baryton, pourquoi il a assassiné Colette Guenièvre et en quoi les deux personnes ici présentes l’ont aidé dans son sinistre dessein. À chaque fois que les intéressés veulent intervenir, le chef de la sécurité les interrompt sèchement, il souhaite écouter jusqu’au bout l’histoire du bonhomme. Comment il a décroché le lustre, comment il a éteint la lumière.

              Lorsqu’enfin, terminant de dévoiler tout ce qu’il a fait, Sharp se pose sur le dossier de sa chaise, Palourde réfléchit. Son histoire se tient, seulement, il n’y a que sa parole qui accuse les deux autres. Et la présence du collier sur la demoiselle au moment de la fouille.

              « Bon, à votre tour, mademoiselle…
              -Je tiens à dire que tout ce qui a été dit sur moi dans ce discours est absolument faux. J’ai été accusée uniquement parce que dans une folie bien trop intelligente, j’ai fait part de mes intuitions qui se sont révélées justes. Maintenant que je me retrouve dans cette situation, je vois bien que j’ai mal fait. J’aurais certes sans doute laissé s’échapper un criminel tel que monsieur Jones, mais au moins, je serai moi-même libre. Je n’ai rien de plus à dire, que pourrais-je ajouter ?
              -Très bien, Morialo ?
              -Mon discours est le même que celui de ma collègue, Sharp Jones essaie de nous piéger. »

              Palourde Smith se doutait que les deux « complices » de Jones n’auraient que peu d’arguments pour répondre aux accusations. S’ils étaient vraiment impliqués dans l’affaire c’est qu’ils étaient assez intelligents pour que le criminel ait eu l’idée de faire appel à eux, et inventer une version des faits ne les impliquant pas aurait immédiatement augmenté les doutes sur eux. S’ils n’étaient pas coupables, ils n’avaient de toute manière aucun moyen de se défendre proprement. Il ne pouvait pas les garder en prison ici, il devait les faire sortir en douce de l’île, leur priant de ne pas revenir, au moins avant que les choses ne se tassent. Voilà, c’est ce qu’il allait faire.

              « Bon, j’en ai assez entendu, poser plus de questions me semble inutile, un de mes hommes viendra vous chercher un par un et vous connaîtrez mon verdict. Adieu. »

              Et le chef de la sécurité s’en fut, mettant un terme à cette affaire. Il n’avait plus le choix, il n’avait pas le temps d’étudier la vérité.

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