Le crépuscule pointe dans un ciel tourmenté, une bise fraiche s’engouffre dans les artères bondés de la grande cité Etat, de la grande et de l’éloquente Saint-Urea aux milles et uns visages, de la sulfureuse et auguste contrée de la dame de fer. Pourtant, le tumulte de la grande duchesse du sud ne s’éteint pour autant, bien au contraire, il ne cesse de croître, d’enfler encore et encore, inextinguible, insatiable, avide comme la volonté sans bornes de la gardienne du royaume. Les artères s’illuminent de chandelles, de torches et autres flambeaux aux formes exotiques et variées, la ferveur ne désemplit pas, Saint-Urea la noctambule s’éveille sous les lumières jaillissantes, irradiant ses bâtisses si particulières et tous les monuments érigés à sa gloire. Immense forteresse, la perle de la Blue resplendit comme chaque nuit que Dieu fait et l’effervescence qui s’épand dans ses ruelles mercantiles est un témoin supplémentaire de toute l’agitation et de l’emballement qui y règne. Pourtant, le royaume n’est pas qu’un bastion fortifié, il rayonne par ses arts, sa culture et toutes les sciences qui sont pratiqués en son sein. Une destination bien alléchante sur le papier pour un truand opportuniste qui n’a pas froid aux yeux.
J’ai guère pour habitude d’errer de ce coin ci du globe, c’est foutrement différent de la populace qui m’est si chère et si familière à Luvneel. C’est pas mon patelin, je m’y sens pas vraiment comme un poisson dans l’eau et bien que je batte le pavé depuis quelques jours, j’y ai pas encore pris mes marques au point de magouiller tendrement avec le gratin local, c’est que les loubards d’ici sont pas faits du même bois que nous autres et que le business est aux antipodes des notre. Tant mieux, remarque, ça évite qu’ils marchent sur mes plates-bandes tout en permettant de prendre la température ici-bas. Je suis pas pour autant sorti de mes pénates pour tailler une bavette avec les abrutis du coin, je suis loin de ces trivialités à la mord moi le nœud.
Si j’ai foulé l’herbe grasse et humide du pâturage, c’est pas pour y traire les mamelles des bestiaux, un vieux chasseur de prime de North m’a vendu la mèche au propos d’une histoire cocasse pour se faire un paquet de maille. ‘Fin vendre la mèche, je m’entends, l’olibrius m’en devait une, alors bon prince, j’ai été quémandé des billes sauf qu’il a rien voulu cracher comme je m’y escomptais. Toujours à te promettre monts et merveilles quand ils sont dans un bourbier sans nom et dés que tu les en extirpes, ils oublient presque instantanément qu’ils te sont redevables, qu’ils te sont tributaires et qu’il faudrait pas qu’ils aient l’audace de l’oublier. Mais ils te prennent pour un con, ils te pissent à la raie dès que leurs prunelles de salopards fielleux aperçoivent ton épine dorsale, ils te balancent leur venin et au final, lorsque tu viens recueillir ce qu’il te revient de droit, ils chient dans la colle et tu te vois contraint de leur mettre la douloureuse parce qu’ils insultent ton autorité et te manquent de respect.
Celui-ci, sur son lit de mort, avait fini par craché le morceau après moult supplices endurés, la tronche contusionnée, les arcades sanguinolentes, le faciès boursouflé comme un escarre innommable, il avait chialé comme une gonz’ et m’avait juré sur sa tête et celles de ses chiards que c’était un bon tuyau… t’façon pour ce qu’elle vaut sa tête désormais. « Puisque je te dis, que Colette, la fameuse, la renommée, va se pâmer de son plus beau collier pour la représentation de la flotte enchantée. De sacrées belles pierreries Jones si t’arrives à foutre la main dessus, t’en tireras pour sûr un beau paquet d’oseille. », qu’il m’avait dit en ayant l’illusion d’avoir affranchi sa couenne à une mort certaine, un trépas sale, sordide même.
Alors, j’ai roulé des mécaniques, j’ai joué du den den mushi et de mon petit réseau pour m’assurer de la confidence, histoire que le tribut dû revienne à néant et que je puisse prendre sa foutue révélation pour argent comptant dans mon escarcelle. Me vl’a une paire de jours plus tard devant le somptueux édifice dédié au sixième art, tout le gotha mondain se presse aux portes du majestueux sanctuaire. Tout le gratin a fait le déplacement pour se délecter du spectacle, du jeu d’acteurs de la troupe de la grande Colette, il fait bon d’être aperçu ce soir, pour son propre égo et celui des autres. Belle occurrence qui sert de faire-valoir au rapprochement des bourgeois avec ceux de la haute, un divertissement pour certains, un moyen de parvenir à leurs fins pour d’autres. Ca piaille abondamment, ça se rapproche copieusement, ça s’esclaffe mais avec retenue et savoir-vivre, ça échange des banalités à foison parce qu’au fond, ils se mélangent pas, ils peuvent pas se piffrer, se voir en pâture. Ca ergote davantage par convention que par volonté, les apparences, c’est tout ce qui importe.
Pourtant, la soirée comportait cependant une petite touche inédite, Le costume était de rigueur pour les hôtes de marques conviés à la représentation. Pas de robes de gala pour ces dames et de fourrure de vison sur les épaules, pas non plus de smoking classieux pour ces fiers et galants messieurs, quelque chose de bien plus singulier, de bien plus atypique. Le thème adopté était celui des grandes parures du carnaval masqué de Saint-Urea, de concert avec la pièce devant être interprété ce soir même sur les planches. Une trentaine d’âmes avait été convié ce soir, une séance en petit comité pour le nec le plus ultra de la cité, laquelle s’ensuit d’une petite soirée privée dans les soubassements de l’édifice. J’avais du cracher au bassinet pour me dégoter le précieux habit et faire peau neuve.
Sage attention que celle du masque, ca me permet de planquer ma carnation et ma face de charbon, histoire de passer comme une lettre au service postal gouvernemental. Pour obtenir le faire-part pour me faire autoriser l’accès, l’affaire eut été différente, j’ai dû la jouer fine. Une veine que le royaume accueille en son sein maintes guildes de chasseurs de prime, me procurer la liste des convives ne fut en rien chose aisé. Le temps que je m’occupe du sort du notable lambda, que je mette la main sur l’invitation et le tour de passe-passe était joué.
Rendus devant la foule et les journalistes rassemblés pour l’occasion, les vingt neufs premiers convives passent le sas, assénant le dédain le plus profond à tous ces grattes papiers et scribouillards qui vont s’empresser de réinterpréter à leur sauce, grossir le trait et faire des esclandres dans la presse. Le mépris est sans doute l’artifice le plus efficace pour traiter ce genre de cloportes grouillants, flairant les gestes déplacés pour crier au scandale. A mon tour, en tant que dernier hôte, je montre pâte blanche au guichetier et pénètre dans l’atrium central du bâtiment. Des escaliers majestueux aux marches de marbres, des rampes d’ébènes lustrés aux arabesques, des moulures du plafond aux lustres de cristal qui irradient d’une lumière diaphane le vénérable monument, tout ici s’accorde à merveille et magnifie l’ambiance feutré qui sied à un établissement de son rang. Une coupole en verre surmonte l’édifice en y apportant une clarté singulière, presque mystique, tout en conférant un cachet indéniable à une architecture d’ores et déjà extraordinaire.
Je me dirige soigneusement vers la loge qui m’est réservé, de la même manière que mes comparses qui prennent soigneusement leurs emplacements attitrés dans tout le luxe et le faste inhérent à leurs conditions. Le costume est foutrement confortable et ample, pas étonnant que ces bourges se sentent plus péter dans leurs beaux ensembles ostentatoires, c’est qu’on prend rapidement goût à péter dans le velours et la soie. Je finis par m’introduire dans la loge numéro 9 et m’engouffre copieusement dans le fauteuil en velours rouge.
Une petite dizaine de minutes s’écoulent, des serviteurs apprêtés exaucent les moindre souhaits fantasque des invités, ils aiment se faire cirer leurs pompes et avoir ce petit personnel à leur disposition, un petit personnel qui s’efforce de rester sous la carpette. Le silence se fait bientôt, un silence solennel, marquant le début de la pièce à venir. Les spots lumineux sont bientôt orientés sur le devant de la scène tandis que les ténèbres émergent dans l’assistance. Bientôt, l’épais rideau de velours pourpre se lève.