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[Là-Bas] La ville fluvio-portuaire

Combien de fois depuis mon pied à terre miteux je me suis imaginé prendre le large ? Combien de fois est-ce que, avant de fermer le yeux pour rejoindre des rêves agités et des cauchemars savoureux, ai-je pensé au départ, à ce jour chaste béni par un ersatz de révérend concupiscent probablement trop heureux de me voir partir de sous son porche au moins aussi fui que je l'étais ? Combien d'heures ai-je pu passer à m'aventurer vers d'autres horizons, ces dunes faites d'écume qui n’étouffent pas lorsque le vent souffle et dont les crêtes bien plus bleues mènent vers de vrais terres habitées et non vers ces oasis de rocs et d'épineux ? Y'a pas d'épineux en mer. Ou alors pas beaucoup. Et bien moins sec. Y'a au moins ça de différent avec le désert d'Hinu. Les dunes d'eau, elles bougent, genre beaucoup plus vite que les vagues de sable millénaires. Une vague est éphémère, vit une seconde, deux tout au plus, puis meurt sur le pont avec ce qu'il faut d'écume de pluie et de poissons échoués, emportant un marin ou deux vers Davy Jones au passage. Une dune, elle met peut-être cinq ans à avancer. Mais les charpentes des maisons -comme les mâts des navires- finissent toujours ensevelies. Combien de fois, aux portes de ces bars qui m'ont foutu dehors parce qu'il était trop tard, moi trop plein ou mes phalanges trop rouges, combien de fois, le cul dans la terre, le nez contre ma porte carbonisée, les pierres dans les tibias, combien de fois, noyés dans les yeux du Cormoran en espérant que ce soit dans un océan de solitude, avais-je échafaudé cette fuite ?

Ouep. C'était une belle connerie.

Je crois bien que l'euphorie est passée. Je cours de droite à gauche en me cognant tour à tour crâne contre mât, pieds contre chevilles de bois, orteils contre poulies et cordes nouées, carpes et métacarpes dans le gouvernail et regard contre ta crinière blonde. Je me fais rincer par des vagues pas bien grande mais juste assez sournoises pour passer par-dessus le pseudo bastingage et me fais secouer par tes regards en coin que je soupçonne amusés. T'en mène pas large non plus, pelotonnée dans un coin, un Cormoran comme couverture et les cheveux plus mouillés qu'une cascade, mais j'ai dans l'idée que tu t'en fous de tout ça. Au moins autant que les gouttes sur mes lunettes. Bordel. Bordel ! J'y vois rien sans et même avec je peux pas discerner un putain de goéland d'une voile mal ferlée. Et putain comment je fais pour qu'elle s'arrêter de faseyer, moi, hein ? T'en sais rien, c'est ça ? Ou plutôt tu veux pas dire ? 'Chier. Dans le doute, je tire sur une corde. Le mât grince... Dans le doute, je vais la lâcher, hein. Tu pourrais t'abriter dans ce qui servira de cabine, mais je crois que le plaisir est trop grand pour toi de me voir galérer comme un bambin devant un casse-tête. J'ai les cage à miel récurées comme jamais par un vent qui me siffle des comptines contées par le zéphyr lui-même et mes doigts glissants, abimés, ripent sur les cordes gorgées d'eau. Fait pourtant pas un temps de chiotte. Juste de la pluie. Qui tombe à verse des nuages gris qui semblent nous suivre. À l'horizon, le ciel est bleu, évidemment, mais pas au dessus de nous... ça aurait été trop facile.

Alors je me demande. Combien de fois, entre deux chutes et trois poissons volants dans la figure, j'ai regretté d'être parti ?



*****



Tu diras à l'échappée que c'est pas ma faute si la corde s'est nouée autour du mât à cause du vent.

-Braaaaak !
- Tu feras remarquer à ce grand con qu'il peut pas grand chose à quoi que ce soit.
-Braaaaak !
Dis bien à la petiote qu'au moins le grand con aura essayé quelque chose.
-Braaaaak !
- Dis à cet ivrogne qu'elle a pas demandé à être invitée à bord.
-Braaaaak !
Si tu pouvais rappeler à la maniaco-dépressive qu'elle est libre de partir quand elle le veut, tu serais un ange de Cormoran.
-Braaaaak !
- Ta gueule. Souligne à cet incapable que c'est pas en disant des conneries qu'il va décoincer sa corde.
-Braaaaak !
Précise-lui bien que c'est pas en étant vulgaire qu'elle va attraper du poisson.
-Braaaaak !
- Tu lui diras qu'avec toutes les morues qu'il a dû se taper, il devrait pas avoir besoin de mon aide.


Non. Sérieusement. Y'a des baffes qui se perdent.
T'as de la chance que j'ai déjà épuisé mon stock sur toi pour mes douze prochaines existences misérables, sinon j'aurais pas hésité à y dépenser mon crédit. Même pas pour tes beaux yeux vairons.

Le nuage de pluie est parti. On peut encore le voir à l'horizon emmerder un navire un peu plus gros que le notre -pardon le mien- et donc avec plus de personnes à tremper comme une soupe. Je suis trempé comme une soupe. À tel point que j'ai l'intime conviction que si je sautais à la mer, là, maintenant, tout de suite, j'en ressortirai moins mouillé qu'à cet instant. Malheureusement, mes convictions, je les ai laissées au placard il y a un bon moment maintenant. Et je dois avouer que je n'en connais plus guère que les deux premiers mots de la définition. Toi en revanche -oui tu dois la connaître en entière- mais surtout tu sembles bien moins ruisselante que je ne le suis. La supériorité de la femme sur l'homme pour paraître plus présentable quelle que soit la situation ou juste ce con de Cormoran qui a succombé à tes yeux pour te prêter ses plumes ? … Je vote pour la réponse une. Dans le doute. Et du coup, comble de malheur, même si la pluie s'est arrêtée et avec elle le vent insistant, j'ai une corde emmêlée autour d'un mât fissuré et une voile plus très bien tendue. C'est moins pratique pour avancer. Alors on dérive. En direction de cette île là-bas. Au loin. Que t'as aperçue avant moi parce que je me passais les cils au sèche-cheveux qui n'existe pourtant pas dans ce monde-ci. Et en attendant de l'atteindre -parce qu'on sait évidemment pas combien de temps il va nous falloir ni même à quelle distance on est d'elle- le Cormoran a sorti trois cannes à pêches rudimentaires que je le soupçonne d'avoir fabriquées lui-même dans l'espoir qu'on fasse dans le patrimoine. Manque plus que des petits enfants qu'existent pas et on sera beau, tous les trois, alignés le Cormoran entre toi et moi, à se balancer des gentillesses à l'oreille de l'autre par le biais d'un oiseau au bec jaune. Qu'est-ce que j'ai fait au bon dieu ?

-Tu m'as tuée.

J'ai horreur quand elle a raison.


*****




J'ai raté mon créneau. J'ai écorché la peinture de la coque sur les bittes en bois du ponton d'amarrage vers lequel on nous avait guidé par gestes goguenards et voix criardes. Et si je me suis demandé pourquoi goguenards les gestes, j'ai compris en voyant les épaves qui y étaient amarrées. Un bateau de pêcheur plus vieux que le vieillard aux rides si nombreuses qu'elles semblaient pendre de part et d'autre de ses joues et qui jouait au scrabble sur son pont ; Un filet éventré à des dizaines d'endroits, à moitié immergé et qui semblait là depuis aussi longtemps que le ponton lui-même ; des toilettes publiques... Je suis pas sûr que ma chaloupe ait tant de gueule que ça finalement.
Avec un regard mauvais, je jette une amarre sur le ponton. Toi, tu sautes d'un bond de cabri comme si t'avais pas passé trois jours le cul sur du bois trempé et tu étires tes bras, ta nuque et tes cheveux. Une seconde, je crois même que tu vas prendre l'amarre pour la fixer au ponton, mais non, tu commences à remonter le ponton vers ce qui sert de terre au petit village où on accoste. Je connais pas le nom du bled, je connais pas le nom de l'île, mais je suis assez certain que le temps que je galère à tout accrocher là où il faut sans rien casser de plus, t'auras eu le temps de demander. Peut-être que t'auras même eu le temps de te trouver une petite mousse -entendons-nous bien, je parle d'une bière et pas d'une jeune fille qui récurerait le pont d'un navire miteux et pas trop superstitieux. Hé. Si tu savais à quel pour j'ai envie de whisky moi aussi...

De mon point de vue de minaret, je peux observer un peu mieux cette île. Il y fait chaud. Une chaleur moite, humide. Oui oui, Observer. Parce que les gars d'ici ont les auréoles sous les bras et des shorty camouflage bien dégueulasses. En fait, à en croire les cris des animaux qu'on entend venant des terres genre singe hurleur, oiseaux moqueurs et poissons héraut, et si j'en crois ce que les arbres haut, plus verts qu'une prairie dans un putain de champ de vache de Kage Berg et avec autant de lianes, de lierre et de champignons que dans tout West réuni, je crois bien qu'on a débarqué sur une île tropicale. Et c'est pas mon petit doigt qui me le dit, non.
Je sors de ma poche une poignée de graines miraculeusement en bon état et les offre au Cormoran du plat de la main, sans vraiment le regarder. Je me suis accroupi sans y faire attention non plus.
Le village entier semble monté sur pilotis. À presque deux mètres au-dessus du niveau de l'eau locale. J'suis pas bien sûr d'en saisir l'entière utilité, mais ça donne au tout un côté pittoresque qu'est pas pour me déplaire. Hé. Vous pensiez vraiment que j'allais me plaindre d'enfin découvrir une autre île que Hinu, dont les rues ne seraient pas souillées par les odeurs de pisse de mort et de foutre qui pour la plupart doivent sortir de mon outre ? Vous pensiez vraiment que j'allais cracher sur du bois flotté, à moitié pourri, bouffé par les gosses et les moules sauvages en regrettant une ville qui à part une femme et deux gosses n'a jamais rien pu m'apporter de plus beau qu'un coucher de soleil qui me toise depuis ses quinze mile nœuds de distance ? Non. J'suis bien ici. Ça dépayse. Ça fait du bien. Je prends une grande respiration bien chaude et moite. Une nouvelle sensation pour moi, le moite. Enfin le moite qu'est pas issu du corps nu d'une femme j'entends. Ça colle à la peau, ça alourdit les vêtements et me fais me sentir englué dans de la mélasse, comme recouvert de miel, mais j'aime ça. Toi t'as pas l'air dérangée par tout ça. Toi t'as l'air de connaître un peu le monde et de l'avoir un peu exploré. Faudra que tu m'apprennes. Si un jour tu veux bien m'apprendre quelque chose.
Et ce jour là ce sera probablement ton nom en fait.

En y regardant de plus près comme je me redresse sous une exclamation de joie du Cormoran, la ville sur pilotis me semble à l'embouchure d'une rivière. D'un fleuve plutôt. Qui se jette dans l'West comme une armée de mort à travers les mondes selon Pullman. Et la mer accueille à bras ouvert ce courant contraire. Probablement pour ça les pilotis. Pas souffrir trop des différences de courant certains jours de tempête. Et je met un peu de baume sur mon égo en me disant que c'est peut-être aussi pour ça que j'ai pas bien réussi à manœuvrer ma coque de noix jusqu'au ponton sans problèmes. Et en parlant de problèmes, y'a un type qui débarque soudain du ponton, manquant de se casser la gueule sur une fiente de pigeon bien placée. Le gag de la peau de banane version portuaire. Quoique vu la taille de la fiente j'ai un peu un doute sur la mouette. Et j'ai soudain pas trop envie de rester dans le coin pour vérifier à quel genre d'oiseau carnivore un tel truc peu appartenir.

-Bienvenue !
Hé.
-Je suis ravi de t'accueillir à Là-bas !
Laba ?
-...C'est ici.
Tu veux dire ici c'est là-bas ?
-Non c'est le nom.
Pardon ?
-Le village d'ici est Là-Bas.
Tu te fous de ma gueule ?
-Pourquoi est-ce que ça tourne toujours comme ça... ? J'ai vraiment un métier à la con...
Plait-il ?
-Bref, bienvenue-dans-ce-village-portuaire-sans-monnaie-ni-pirates-les-frais-de-parking-pour-votre-coque-de-noix-sont-de-l'ordre-d'une-Valeur-qui-vous-est-demandée-par-moi-tout-de-suite-et-payable-maintenant-et-puis-après-vous-pourrez-vous-balader-dans-la-ville-et-même-remonter-le-fleuve-si-ça-vous-fait-envie-malgré-les-crocodiles-et-les-oiseaux-carnivores-pour-ce-que-j'en-ai-à-faire-alors-vous-payez-ou-vous-me-regardez-avec-des-yeux-de-merlan-pendant-une-heure-de-plus-parce-que-j'ai-vraiment-du-boulot-je-dois-avoir-une-grille-de-mots-fléchés-ou-deux-qui-m'attend-dans-le-bureau-ou-personne-ne-vient-jamais-me-voir-à-part-pour-dire-qu'il-part-ou-que-je-suis-un-salaud-nonpayé-avec-leurs-nonimpôts-mais-tu-t'en-fous-payable-en-trois-fois-sans-frais-si-ça-te-chante-d'ailleurs.
Et ça vous arrive de respirer ?
-Alors ?
Vous prenez pas les berries ?
-Non, ça dissuade les pirates de venir nous voler.
Hé. L'argent c'est du troc, vous savez ?
-L'argent est prohibé à là-bas.
Ça m'a l'air complètement con comme manière de faire.
-Vous payez ou vous repartez ?
C'est quoi une Valeur ?
-C'est une unité utilisée pour donner une valeur aux services.
J'ai vraiment que des berries moi.
-Donnez-moi un voile ou n'importe quoi-et-dépéchez-vous-j'ai-pas-toute-la-journée.

Et c'est alors que mon regard s'est posé sur le Cormoran.
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Il pleut. Evidemment qu’il pleut. Qu’est-ce que Louise pouvait attendre de plus ? Un temps clément ? Une croisière paisible et confortable ? Elle est ballotée par les flots du destin depuis trop longtemps pour espérer encore la moindre miséricorde. Seule consolation : le ridicule du grand con qui lutte contre les éléments et qui tente vainement de manœuvrer l’embarcation. Il s’y prend comme un manche. Il arpente le pont, tente d’être utile, de diriger son misérable bateau… Il ne parvient qu'à être trempé jusqu’aux os.

Bienvenue en mer.

Oh, et tu ne devrais pas toucher à cette corde.

***

Terre en vue. Enfin ! Quoique… Il y a l’air d’avoir pas mal de flotte sur cette terre. L’île semble aussi imbibée que l’autre ivrogne. Remarque que Louise ne manque évidemment pas d’exprimer à voix haute. Ils n’en sont plus à une réplique acerbe près. Toutefois, si l’improbable duo semble paré à accoster sur une île composée de fleuves, au-dessus d’eux, le ciel a cessé de pleurer. Est-ce bon signe ou le hasard prépare l’un de ses nouveaux pied de nez ? Louise préfère ne pas s’interroger et se contente d’observer son ‘compagnon’ manipuler le bateau pour atteindre le port. Après trois jours en mer, il ne s’en sort toujours pas. Quelqu’un aurait probablement dû lui dire que lire un bouquin ne suffisait pas pour apprendre à naviguer. Mais finalement, le bateau finit par être amarré et Louise s’empresse de sauter à terre.

Autour d’elle, pas un grain de sable ni de paysage ocre. Le soleil, quoique présent, agresse moins que la moiteur ambiante et la blonde ne peut s’empêcher d’esquisser un sourire à ce nouvel environnement. Dieu qu’elle a pu haïr Hinu Town ! L’atmosphère est complètement différente sur cette île et Louise n’a aucun souvenir de l’avoir déjà visitée. De nouvelles aventures en perspective et, surtout, la possibilité de récolter de nouvelles informations sur les actions révolutionnaires. Peut-être aussi celle de se débarrasser d’une ombre dérangeante et d’un regard trop pesant. Détournant son attention des maisons montées sur pilotis, la blonde cherche son pseudo-navigateur des yeux et le trouve au sol, nourrissant cet imbécile de cormoran en observant les lieux d’un air curieux, peut-être perdu. La jeune femme n’a pas le temps de s’éloigner plus qu’elle est abordée par un homme au sourire commercial.

« Bienvenue à Là-Bas ! »
« T’es gentil, ton speech tu vas le faire à l’ahuri derrière. »

Avec le temps, Louise a appris à reconnaître ces énergumènes qui accueillent les nouveaux venus dans les ports. Leur amabilité n’est qu’une façade et ils ne cherchent qu’à encaisser la location d’une place pour un bateau. Que le propriétaire de l’embarcation s’en charge, elle n’a pas l’intention de débourser un berry pour lui. Elle est une invitée après tout, non ? Cependant, l’homme parle trop fort et, alors qu’elle entreprenait de s’éloigner, la blonde ne peut s’empêcher de tendre l’oreille au petit discours récité à toute vitesse.

Des échanges ? Sérieusement ? C’est quoi ce mode de fonctionnement complètement foireux ? Pour la blonde qui n’a pas l’intention de dépenser un berry, c’est une aubaine. Toutefois, elle a laissé son sac dans le bateau et son habituelle tenue affriolante ne laisse guère de place pour stocker un objet à échanger. Avec un soupir, Louise fait demi-tour, tentant de ne pas penser que si elle a laissé ses affaires à bord, c’est pour se donner une excuse pour revenir. Prestement, la blonde gagne la cabine, saisit son sac, une chemise qui traine et retourne auprès du type de l’accueil, lui fourrant la chemise entre les mains.

« Prenez ça. »
« Merci, m’dame. Bon-séjour-à-Là-Bas. »
« Dites… »

Trop tard. Avant que Louise puisse formuler une phrase, l’homme s’en retourne à ses mots croisés. La blonde grommelle vaguement sur l’hospitalité hypocrite des îles touristiques et se met elle aussi en route. Quelques pas derrière, le cormoran la suit, ses grands yeux humides laissant deviner le même sentiment de dépaysement que le regard de son maître. D’ailleurs, lui aussi il suit la chasseuse de prime. Le contraire aurait été étonnant. Comme au cours des trois jours précédents, Louise ne s’occupe pas de ses intentions et garde le silence, du moins jusqu’à la prochaine engueulade.

Le village alentours est curieusement construit. Toutes les bâtisses sont rehaussées, montées sur pilotis, même les plus éloignées des eaux. Sur les pilotis, le bois a pris une couleur sombre, témoignant d’une immersion régulière. Sur certains, on devine même quelques coquillages, comme sur la coque d’un bateau. L’île semble en proie à des crues régulières et impressionnantes. Pour une fois, Louise s’estime heureuse d’avoir débarqué au bon moment.

Là-Bas n’est pas grand et le port semble composer la majeure partie du village. C’est tout juste si Louise parvient à dénombrer deux commerces. Il y a probablement une ville plus loin pour se ravitailler. A moins que ce stupide système d’échanges fonctionne entre voisins… En tout cas, les lieux semblent relativement paisibles malgré l’hypothétique présence de grands carnivores. Le seul crocodile que Louise aperçoit est un sac à main et, en guise de terrible oiseau carnivore, un petit oiseau picore paisiblement sur le sol. Les habitants eux-mêmes se déplacent sans méfiance, se saluant avec convivialité, donnant au village des allures de club de vacances.

C’est chiant.

Finalement, après quelques minutes de marche, Louise repère l’enseigne qu’elle cherchait et se dirige vers le bar – savamment appelé Le Bar – du village. Il n’y a pas de base marine dans le coin, c’est donc le meilleur endroit pour se tenir au courant de l’activité criminelle. La porte est grande ouverte et quelques tables sont posées sur la terrasse surélevée, accueillant quelques autochtones profitant du soleil. Louise les ignore et entre, immédiatement accueillie par une désagréable odeur de transpiration. Le climat tropical a décidément de sérieux inconvénients. Toutefois, la blonde a connu pire et se contente de légèrement plisser le nez avant de s’accommoder de l’odeur. Du pas assuré de celle qui connait bien ce genre d’établissement, elle s’avance jusqu’au bar où elle s’accoude, commandant deux bouteilles de rhum.

« C’est toi qui paye. Enfin qui échange. Bref, tu règles. »

Elle tend la deuxième bouteille au grand con qui l’a suivie et prend une longue gorgée de la sienne, savourant le plaisir d’une boisson départie du goût de sel.
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Que je vous explique bien. Là bas, c'est un putain de bled paumé en pleine jungle. Paumé comme un manchot dans une colonie de pingouins. Genre sans signal wifi ni réseau internet. Pour dire, même les boussoles s'offrent des tours de manège. Et je suis à peu près sûr que les deux cadrans solaires que j'ai croisé en suivant cette grognasse qu'à payé avec MA chemise indiquaient des heures différentes. Non parce que y'a paumé et paumé, on est d'accord. Moi j'suis un mec paumé. Toi, là, blondasse au cul rebondi, t'es une grande fille qui sait ce qu'elle fait, où elle va, mais tu restes paumée -navré d'être ton miroir poulette. Un duo de cons absolument pas adaptés à leur environnement. Suffit de nous voir, poisseux des cils jusqu'aux orteils, suant du front et des cuisses, portant loin nos regards sur cette végétation qui s'étend comme un putain de feu de forêt à des lieues de ce que les autochtones appellent village. Nous nous demandons, toi et moi -et je suis presque certain que tu te poses effectivement cette question- s'il est réellement possible d'avoir foutu ici un semblant de village. Nous, nous sommes paumés, c'est un fait. Et même moi je peux le lire dans le regard de ce gamin au short plein de fleurs qui nous regarde passer, toi, le Cormoran et moi. Pourtant cette île... Bah je suis pratiquement sûr qu'elle sort d'un esprit torturé, voire même de deux, qu'ont pas cherché plus loin qu'une idée à la con. Je me suis renseigné, en passant, en demandant à des vieux sur des hamacs, et j'ai juste appris qu'il y avait une fois par mois une crue qui emportait tout ce qui se trouvait au niveau de l'eau. Maisons comprises. D'où la raison de ces architectures sur échasses. Et quand j'ai demandé pourquoi vivre ici on m'a répondu que le poisson se jetait dans les filets une fois par mois et qu'ainsi ils n'avaient pas besoin de pêcher pour le mois suivant.

Donc, en guise de ville paumée, Là-bas n'est qu'un refuge de fainéants. C'est dire. Lorsque toi tu penses que le port est la majeure partie de la ville, je constate que chaque maison, aussi fragile et grinçante soit-elle, est munie de son propre embarcadère, de son propre toboggan et de son propre lavoir. C'est à se demander par quel hasard des personnes si individualistes se sont rassemblées dans cet endroit le plus perdu possible. À peine me posé-je la question que la réponse s'esquisse. On arrive à ce qui sert de centre à ce village paisible, un espèce d'assemblage bigarré de planches et de tôles, aussi rassurant que si on marchait sur de la soie. Un semblant de construction précaire tissé de toutes parts pour se concentrer en un point unique. Le nœud du bois. Le Bar. Quoi de mieux que la boisson pour attirer les cœurs et les hommes ? Un boulanger et un poissonnier ont réussi à fleurir au milieu de cette place montée sur pilotis. Y'a même un menuisier pas bien loin. Et dire que tout ça fonctionne au troc... Hé Bordel. Déjà que j'ai pas beaucoup de chemises... Arf. À la réflexion, je vais me griller une clope avant d'être obligé de les refourguer pour acheter des cure-dents. Je compte rapidement le nombre qu'il m'en reste. Une bonne dizaine. J'en mets trois de côté. Pour toi. Et j'entre dans ce bar à ta suite.

Le chambranle a craqué. Moi je passe vouté, mains sur le crâne. Obligé, j'ai pété la poutre en passant la porte. La faute à mes lunettes qui me floutent tout ce qui a tendance à être plus haut que moi, ce qui reste de l'exploit. Et le premier qui dit que le chambranle était justement plus bas que moi, je lui explique pourquoi c'est le bois qu'à craqué et pas ma tête en refaisant l'expérience. Suffit juste de remplacer une poutre trop basse par un nez plus sain pour très longtemps. Je crache, je tempête, j'insulte. On me regarde. Je suis pas bien sûr de l'effet qu'on voulait donner, mais comme toujours, il est au rendez-vous. T'as déjà pris tes deux bouteilles, le Cormoran a trouvé un couple d'amoureux qui veut bien partager leurs olives avec lui et moi j'ai une larme de sang sur le front. Y'a pas à dire, c'est une bonne journée.

Me regarde pas comme ça ducon. J'la retaperai ta porte.

Déjà que je doit te payer ta binouze. J'y ai même pas encore goutté bordel. Je sais même pas si je vais me plumer pour de l'eau de source aromatisée à l'anis... tiens, ça me file une idée à la con ça. Ce bar est moche, sans goût, pas même recherché. Mettons un peu de couleur dans tout ce sobre -et je ne parle bien là que des murs. Je t'abandonne à ton comptoir pour m'approcher du Cormoran auquel j'arrache une plume. Il ne dit rien, se détourne de son couple affriolé, et me regarde avec ce regard vide, comme si je venais de cracher dans sa soupe. Je ne dis pas un mot et lui chatouille le bec avec sa propre plume. En quelques secondes, il prend une très profonde inspiration et éternue, ébranlant tous les murs simples de l'établissement classé au patrimoine mondial. Je n'ai plus qu'à me baisser pour ramasser toutes ces plumes qu'ont pas supporté son éternuement à ébouriffer la voisine d'à côté. Je me relève lentement et reviens vers le comptoir sur lequel je dépose avec un peu trop de violence le mode de paiement demandé. Une bonne trentaine de plumes bleues miroitantes.

Mets de la couleur dans cet endroit garçon.

Je prends la gnôle et me laisse tomber à l'une des sept tables de ce bar tout en longueur. Et en allumant la cigarette que j'ai au coin des lèvres depuis cinq minutes déjà, je me rends compte que ma bouteille de rhum est déjà sifflée à moitié. Va vraiment falloir que j'apprenne à savourer ma boisson. Ton regard, il ère un peu, glisse sur ces tables comme si tu cherchais à les cirer des yeux ou que tu calculais un truc que j'suis pas fichu de voir. Ta bouteille à la main, tu restes immobile. Tu es immobile depuis quelques instants déjà, le temps pour moi de presque finir mon rhum. Seuls tes yeux passent d'une table à l’autre, d'un visage au suivant. Tu les jauges et réfléchis. Ça fait bizarre de te voir ainsi, truffe au vent et queue dressée, le poil hérissé et la patte fixe, hésitant entre bondir ou patienter quelques secondes encore de bien ferrer ta proie. Ou comment passer d'une métaphore sur la chasse à une sur la pèche. Bordel, j'dois être plus bipolaire qu'un ours. Je vide ma bouteille que finalement j'aurais pas mis trente seconde à boire -'devraient mettre en place une vente d'alcool en fonction de la taille du consommateur, sérieusement- puis me lève pour me diriger vers toi. Tu me remarques pas dans l'instant, mais je manque de peu d'écoper d'une baffe de ta part lorsque j'arrache pratiquement le foulard que tu portes autour de ton cou.

Je vais refaire le plein de riz. Oh et ta gueule. Le foulard pour la chemise.

Je fourrage une des clopes qui te sont réservées entre tes lèvres. Pour appuyer ma phrase et taire toute rébellion de ta part. Si je me débrouille bien, tu la retrouveras, ton écharpe. Même si j'y crois pas trop. Je sors mon paquet d'allumettes de la poche de ma chemise, là où traînent encore mes dès porte-malheur que je ne quitte jamais et en craque une que j'approche de ton visage rougi par la flamme et la colère que je vois monter à tes joues. Drôle. On dirait un verre doseur que l'on remplit. Je masque à grand peine un sourire devant le regard noir que tu me lances, capable de me faire cramer sur place. Ou du moins capable de faire partir en cendre n'importe quel autre homme que moi. Ma femme m'a habitué à ce regard brûlant. Plutôt de braises en fait. Mais je m'égare. Là, tout ce que tes yeux vairons, ainsi braqués sur moi, et ton poing tremblant réussissent à me tirer sont un pseudo rire et une taffe sur ma cigarette braisillante.

Hé. Garde ce regard pour les troufions qui t'observent, là. Si, ceux en plein milieu. Table 5. Je sais pas ce que tu cherches, mais si tu trouves pas, je t'autorises à te défouler sur eux. La bonne.

Et je tourne les talons, salue le mec derrière son comptoir d'un geste militaire bien ironique et me courbe en deux pour passer sous l'arche miniature de la porte. D'un coup, j'ai chaud humide, me faisant prendre conscience à quel point l'atmosphère du bar était reposante. Et j'ai même pas envie de me dire cette fameuse maxime : rien ne vaut son chez soi, ou un truc qui y ressemble comme deux vaches, en pensant que chez moi, c'est le bar. Je chique de dégout dans le fleuve imperturbable et fais un tour sur moi pour détailler les alentours une nouvelle fois et tenter de repérer, bien à la chance, où je pourrais trouver du riz. Avec toute cette flotte partout, doit bien y avoir des rizières à un jet de Cormoran du bar, non ?

Pardon madame, mais où est-ce que je pourrais trouver du riz dans le coin ?
-Oulà. Une info est une info. Combien tu m'offres pour ça ?

*****


Par contre, il faut bien avouer que niveau paumé, le Cormoran en tient une bonne couche. Ou plutôt quatre ou cinq. Genre oignons ou Ogre quoi. Il est bleu, sait pas nager, sait pas voler, certes a su construire ses propres cannes à pèches, mais n'est bon qu'à réclamer des câlins, manger des graines qu'il n'aime pas, à enfoncer des portes avec son crâne quand il a des tiques et à éternuer quand on lui met ses propres plumes sous le bec. C'est un putain de numéro à lui tout seul. Sérieusement. Allergique à ses propres plumes. J'avais jamais entendu ça. C'comme si, moi, je pouvais pas me voir dans la glace sans choper de l'urticaire. … Bon, mauvais exemple. N'empêche que lui, bestiau aux grands yeux larmoyants, lorsqu'il croise mon regard, je peux être sûr d'une chose, il ne comprend pas ce que je lui veux. Et tant mieux, parce que, aujourd'hui, j'en veux à son ramage, maître corbeau.
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Dans le courant d’un air chaud, Louise voit disparaitre le voile de son foulard. L’œil sombre, elle suit la haute silhouette de l’autre imbécile tandis qu’il s’éloigne du Bar. Crétin des îles.

« L’amour vache, hein ? Vous faites un joli couple. »

Sous la surprise, Louise manque d’avaler sa clope.

« Pardon ? »

L’œil noir, elle dévisage le barman comme s’il avait proféré la pire connerie du monde. Ce qui, d’ailleurs, n’est pas loin d’être le cas.

« Cet homme, vous… ‘voyez ce que je veux dire. »
« Non. Non, je vois pas. »

Avant que le serveur ne dégoise une autre ânerie, la blonde s’éloigne du bar et rejoins une table près du milieu. Elle a l’autorisation de se défouler, ce serait dommage de s’en priver. Et inutile de la regarder comme ça, si elle le fait, c’est de son propre chef et pas parce qu’un crétin à lunettes le lui a suggéré. D’ailleurs, elle est à la table six.

« Je peux m’assoir ? »
« Vas-y petite, vas-y. »

Louise tire une chaise et s’installe tranquillement à la table. L’homme qui lui a permis de s’assoir est un vieux avec un chapeau de paille abîmé. Sur ses genoux, un gros chat tigré ronronne, son regard impavide posé sur la nouvelle venue. A côté du vieux, un rouquin, pas de première jeunesse non plus, mélange un paquet de cartes avec adresse, ses mains fripées n’ayant rien perdu de leur habileté.

« Dépêche-toi donc. A ce rythme on en a jusqu’à la prochaine crue. »

Cette fois-ci, c’est une vieille femme ridée et bien trop maquillée qui prend la parole. Entre ses lèvres, elle a coincé une pipe encrassée dont l’odeur nauséabonde embaume la tablée. L’espace d’une seconde, Louise se demande si le petit groupe a un jour quitté leurs chaises. Elle ne s’interroge toutefois pas longtemps et, lorsqu’une poignée de carte atterrit devant elle, elle les attrape sans se poser des questions.

« Alors ma jolie, qu’est-ce que tu viens faire ici ? »
« Là-Bas vous voulez dire ? »
« Très drôle, blondie. On me l’avait jamais faite, tiens. »
« Boucle-la, la vieille, et joue-donc. »
« Eh, patron, remets-nous donc une tournée contre ces espadrilles. »

Le patron remet une tournée, les cartes tombent et, avec elles, quelques jurons. Sur les genoux du vieux, le chat s’étire, miaule et bondit jusqu’au giron de Louise pour piquer un nouveau somme.

« C’est tranquille comme coin ici ? »
« Là-Bas tu veux dire ? »
« Bien renvoyé. »
« Merci. »

Le rouquin se met à siffler un air connu, puis son verre, et pose ses cartes. Mauvaise donne. Il passe son tour. Louise pioche. Elle s’en sort bien.

« Les pirates sont souvent déçus dans le coin. »
« Rien à voler ? »
« Si. Y’en a un qu’est parti avec mes espadrilles une fois. »
« Tu les avais perdues aux cartes. »
« Ah. »

Au comptoir, le patron discute avec un hom…une femm…un okama. Perché sur ses talons, minaudant en se tortillant, il raconte les difficultés qu’il a eu pour venir ici. Lui aussi s’est fait prendre par les courants traitres. D’une oreille distraite, Louise les écoute parler, assiste à la réaction étonnée de l’okama face à l’étrange système d’échange du coin. Il n’a rien pour payer, propose de pousser la chansonnette. Le patron hésite, demande un aperçu. L’okama se met à chanter. Une voix rauque et douce à la fois, un peu triste aussi. Le barman ne l’interrompt pas, tout le monde écoute, jusqu’à la dernière note. C’est une belle valeur.

« Y’a bien eu un criminel sur l’île. Il se planquait dans la forêt. »
« Mon gamin dit qu’il y est toujours. »
« Qui ça ? »
« Mon fils. A peu près ton âge, plus mignon ceci dit. »
« Je parle du criminel. Il est primé ? »
« Ah, une chasseuse de prime. J’me disais bien que tu faisais mauvais genre. »
« L’affiche au mur. »
« Merci. »

Louise laisse tomber les cartes et se relève. Surpris, le chat s’agrippe à ses cuisses, mais la chair dénudée n’adhère pas et il tombe. Sur ses pattes, bien sûr. La blonde, elle, pousse un juron. Elle avait oublié ce con de chat. Les lacérations ne sont pas profondes et toutes ne saignent pas. C’est désagréable mais la sensation et les marques disparaitront bien vite.

Sur le mur, Louise trouve l’affiche en question. Il n’y en a qu’une, défraichie. Un homme d’une trentaine d’année occupe la majeure partie du Wanted et sa prime ne vaut pas bien cher. Cependant, c’est toujours mieux que rien et, au moins, Louise ne sera pas venue dans ce trou perdu pour rien. Ne reste qu’à trouver l’autre crétin pour l’entrainer à la chasse.

Alors que les vieux hèlent l’okama pour remplacer la blonde à leur table, Louise quitte le Bar, l’affiche à la main. Plutôt que de redescendre immédiatement, elle fait le tour de la terrasse dans l’espoir d’apercevoir une haute silhouette. Le village est petit et la jeune femme ne tarde pas à repérer le grand con. Rapidement, avant qu’il ne se décide à disparaitre, elle descend l’escalier et se précipite dans sa direction. Bien heureusement, il n’aura pas eu l’idée de décamper et Louise le trouve là, avec un cormoran plumé et un sac de riz. Il a l’air bien con, pour changer. Toutefois, Louise s’abstient de commenter son allure et lui colle l’affiche sous le nez.

« Ce type se planque dans l’île. Il ne vaut pas énormément, mais si tu continues à naviguer comme tu le fais, on aura besoin de ce fric pour les réparations. »

Et puis cogner la bonne personne, ça te changera.
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Y'a pas de sot métier. Parait-il. Il n'y a que de sottes gens. Dit-on.
-Braaaaak !
Hé.

Je sais pas quel est le fils d'ingénieur qu'à dit ça à son père au moment de lui annoncer qu'il voulait se lancer dans une carrière solo de trompettiste ou de gigolo, mais pour une fois que ce con de Cormoran et moi sommes d'accord, je vais partir du principe que ce gars en question avait raison. Des métiers à la con, j'en ai connu. Ce mec, fin comme une allumette qu'aurait épuisé son souffre, qu'avait depuis longtemps perdu son souffle, et qui montait chaque soir, aux lampes suspendues dans les grandes rues de Hinu, pour les allumer et donner l'illusion d'un hameau d'espoir dans le cœur de ces hommes avachis dans leur misère. Enfin dans mon cœur à moi. Et tous les matins, avec la même échelle à douze barreaux et cinquante trois ans, il remontait éteindre les lampes à huile. J'ai bien évidemment en tête le fossoyeur -ou le gardien du cimetière, j'ai jamais bien su- qui doit supporter, impassible, le menton en galoche à force de dormir sur sa pioche, les cris, les pleurs, les râles des familles qu'on perdu un proche ou un héritage. Et qui bien sûr à dû me supporter moi pendant quoi, cinq ans, avec mes humeurs de dogue et mes odeurs de traine-misère et mes coups de sang, de gueule et mon cœur déchiré. Faut dire qu'il n'y avait que devant leurs tombes, le nez dans l'humus humide de leurs souvenirs, que je cherchais à suturer mon cœur purulent. J'ai bien évidemment envie de citer ces marins loin de chez eux douze mois par an, ces femmes au foyer, loin de leurs maris douze mois par an, et ces femmes de plaisir qui douze mois par an se tapent -pour une pièce en or- les maris marins. Des dames du plaisir, si loin du leur. J'aurais peut-être dû me faire mac. Je les aurais protégées... Des métiers à la con mais indispensables à tout un chacun.

Quoique femme au foyer...

Des connards, là par contre, j'en ai connu. Ces tempiesta, pour ne citer qu'eux. Puis ce con en haut de son phare qui s'amuse à le faire clignoter dans mes mirettes les nuits de cuite à m'en bruler les rétines, à m'en décoller les paupières closes. Y'avait bien ce contremaître qu'avait osé demander du bois d'orme pour un mât alors qu'il fallait du sapin et qui malgré ma remarque avait insisté. Le navire avait chaviré au bout de la première tempête. Un connard fini. Ou ce barman qu'avait mit du scotch dans mon verre alors que je lui avais demandé une putain de vodka pure. Bien sûr, y'a encore et surtout cet enfoiré que je méprise et que je croise souvent dans le miroir. Et pour finir, y'a le mec de la rizière de Là-Bas.

J'ai rien contre les rizières, pas plus que contre les maisons closes et les autodafés hérétiques. Mais bordel quel besoin ce type avait-il d'aller habiter au milieu du site ? Obligé de me trimballer le Cormoran sur l'épaule, à marcher dans l'eau qui m'arrive aux genoux et à partir à la pèche de mes chaussures tous les douze pas. Sans parler des crapauds, des PUTAIN DE BORDEL DE DE MOUSTIQUES DE MES COUILLES et des libellules que ce Con de Cormoran cherche à tout pris à becter parce que ça scintille comme une étoile et que ça vole comme une mouche à merde. Erratique. Bordel et pourquoi j'emploie des mots aussi complexes dans de telles situations, hein ? C'comme si je disais que sa putain de baraque toute en rondins et en humus puant était pittoresque. Putain de double consonne.
Je vire de mon chemin les quenouilles-qu'en-sont-sûrement-pas, vide mes chaussure de la flotte qu'elles ont stocké comme des chameaux sur Hinu et balance le piaf bleu de mes épaules sur le palier de l'homme encore inconnu mais qui doit pas se sentir très rassuré, caché dans sa baraque dégoûtante, alors que je frape à sa porte comme j'ai pu frapper à ta gueule. Et je suis à peu près certain que je dois avoir la même bouille d'em- BORDEL LA PROCHAINE FOIS QUE TU ESSAIES DE CHOPPER UNE LIBELLULE AU VOL, CON DE CORMORAN, JE TE BALANCE A LA FLOTTE SANS BOUEE NI TUBA !

Et évidemment, c'est cet instant qu'a choisi monsieur je m'isole pour ouvrir la porte. Il m'a vu, grand, hurlant sur une pauvre bête aux yeux ronds d'incompréhension et une savate à la main, levée haut à chatouiller son semblant de porche. Et évidemment, il l'a refermée, sa porte. J'suis pas sûr de si j'ai vraiment hurlé ou si c'était juste à l'intérieur. Mais vu l'écharde que je me trimballe dans le gros orteil, j'ai dû enfoncer sa porte sans plus de cérémonies.

T'es le mec qui vend du riz ? Oh. Gaffe à ta réponse.
-...
Hum ?
-O-oui.
Bon. Mets-m'en douze kilos.
-Dou-douze ki... ?
Ta gueule. Oui.
-...
Me dis pas que je dois aller les chercher dans ta rizière mec.
-O-oh no-non, ils sont en ré-réserve m-m-mais... douze kilos ?
Je voyage beaucoup.
-Vous avez de quoi °gulp° de quoi échanger ? Vous... Vous n'avez p-pas l'air tr-trés...
T'en fais pas mon grand, j'ai une écharpe parfumée et des plumes de Cormoran pour décorer ta ruine.
-V-v-v-v-vous plé-plé-plaisantez ?
Am i look like to be joking ?
-C'est -co-comment dire- loin de suffire... monsieur...

Les gens deviennent plus raisonnables quand on les secoue un peu. Monsieur le vendeur de riz devait être un pommier dans une vie antérieure, parce qu'il supporte assez bien ma poigne autour de son col. Ses pieds pendent au dessus du sol, mais contrairement à toi qui restais fière, lui, il se pisse limite dessus. J'peux sentir l'odeur. Ou alors c'est le Cormoran. Bordel, laisse ces grains de riz le Cormoran. Ils sont pas cuits ! Je tourne de nouveau mon attention sur monsieur le pommier et lui explique très calmement à grand renforts de postillons et d'éclairs noirs dans mes yeux jaunes, que je me suis pas farci la route jusqu'à son trou pour des prunes -ou des pommes. Et que je suis un tout petit peu sur les nerfs. Mais pour être tout à fait honnête, je crois que l'haleine que m'a refilé la bouteille de gnôle tout à l'heure doit pas le rassurer. Hé. C'comme si toi t'avais pris qu'un seul verre ducon.

-Mais je dois bien vivre monsieur...

Tiens, t'as fini de bafouiller. Trop effrayé pour prendre ton temps, hein. Je tire une tronche de six pieds de longs et le balance sans ménagement dans la chaise qui trône dans son antre que je ne décris pas parce que j'en ai rien à foutre des cadavres qu'il planque dans la commode et entre les sacs de grains. Sur la table, je laisse tomber une pluie de berries et de pièces que j'avais accumulé et qui vont finir par vite s'épuiser. Aux grands maux... mots...bordel.

-On accepte pas les berries ici mons...
C'est une monnaie d'échange comme n'importe laquelle. Prends des vacances, dégage de cette île d'aborigènes et va t'acheter un tronc d'arbre creux sur une île voisine où tu pourras refaire à l'identique ce terrier que t'appelle maison.

Non négociable. Mais ça, il l'a compris à mon timbre de voix. Et au fait que j'ai tourné les talons et arraché le Cormoran à son sac de riz. Dans un grand sac en toile de jute, dix kilos de riz. J'avise le tas laissé devant l'homme blanc comme un linge et me dis qu'il n'y a assez que pour dix kilos. Je prends le sac sur l'épaule, le Cormoran sous le bras, et sors, non sans laisser, par acquis de conscience, le foulard que tu as su délicatement parfumer et qui m'aura somme toute pas servi du tout. Tu me diras, toi non plus tu m'as pas servi du tout pour l'instant. Je ferme la porte derrière moi et fous le pied dans l'eau froide. Super. Ça venait juste de commencer à sécher. Surtout ne pas faire tomber le sac dans les roseaux, ce serait tout sauf CONNARD DE CORMORAN ! TIENS, VA BOUFFER DES POISSON, ESPECE D'ENCLUME EMPLUMEE !

*****


J'ai une dégaine de mes grands jours. Habillé en Bernard Kouchner, les lunettes de Brejnev sur le nez et les cheveux en bataille comme deux footballeurs, c'est ce moment que tu choisis pour débarquer. Et non, le cormoran n'est pas plumé, il a juste appris à nager -je saurai pour les grains de riz- et a trouvé utile de vouloir attraper un brochet sans se rendre compte que le brochet, lui, a voulu le gober. Je suis juste pratiquement certain que ce con n'aura même pas retenu la leçon... Et donc. Toi, tu arrives, tu me balances une gentillesse à la gueule sans te rendre compte que ma gueule, c'est celle des grands jours, comme quoi je navigue mal (mon poing va trouver son cap vers ta tronche, lui, si tu continues) et que je saurai pas réparer notre navire. Mon navire. Bordel. Le sac en toile tombe à mes pieds et je me penche au-dessus de toi comme le nuage noir au-dessus d'un village de haute montagne. Mon doigt de la taille de ta main vient heurter ton plexus dans ce geste tout maîtrisé qui représente mon actuelle colère. Tu encaisses bien, mais je vais tout de même te dire le fond de ma pensée. Enfin presque. J'dois pas être en forme. Ça doit pourtant se voir sur ma tronche, à travers mes lunettes pailletées de perles d'eau.

La prochaine fois, tu prends la barre. Arrivé-je juste à articuler. Puis d'enchaîner.

Et puis ce mec, c'pas parce qu'on le capture qu'on pourra toucher la prime, ma grande. Tes rêves de gamine justicière, tu peux les carrer ailleurs que sous mes yeux. J'ai déjà essayé, on m'a claqué la porte au nez en se payant ma trogne. Faut une carte de chasseur de prime, ma jolie.

Je me redresse, pas moins agacé qu'il y a trente secondes. Le Cormoran vient se frotter à toi, mais tu le calcules pas. Non, tu me fixes du regard. Genre gamine bornée et insistante. Deux secondes de plus, et je perds cet air colérique que j'ai gravé sur mes rides naissantes. Un rictus tord mes lèvres. Hé.

Hé. Héhé. Toi ? T'es une chasseuse ? Héhéhé.

Tu n'en démords pas, tes yeux vairons vexés me calcinent du regard. Tu rêves ouvertement de me découper en morceaux et de faire un jeu d'échecs avec mes boyaux. Mais je suis pris d'un fou rire. Comprendre par là que je peux pas enlever ce sourire goguenard de mon visage qui trahit très simplement ce que je pense. T'as pas la carrure. T'as pas la pommette. Puis t'en as marre, ton poing s'abat une nouvelle fois sur ce que tu peux atteindre. Tu te détournes de ma carcasse écroulée, entre rire et larmes. Celle-ci, je te l'accorde, elle était méritée. Ouais, t'as une bonne droite, va falloir que je m'y fasse. Je reste là une petite minute à reprendre mon souffle et mon calme, bien moins énervé que deux minutes plus tôt. Tu t'es barrée avec le Cormoran sur la talons, mais tu restes dans mon champ de vision. Je remets les lunettes sur mon nez qui coule et te hèle, comme quoi je vais poser le sac sur le navire et y mettre un panneau propriété privée.

Et bien sûr qu'on va aller le chercher ton gonze. Ce sera peut-être drôle.
Et comme ça, je cognerai sur la bonne personne. Pour changer.

Et bordel pourquoi je rentre dans ton jeu ?

*****


Tu m'as bien expliqué ce que le trio de vieux habitués t'as raconté. Alors on va remonter le fleuve. En pirogue. Ou en truc du genre. Un truc du genre une rame pour trois et des trous percés dans la coque pour récupérer la caution. Pourquoi on doit remonter le fleuve, hein ? Je sais que t'es experte en chasse, mais merde. C'pas parce que c'est le seul point d'eau de l'île qu'on va y trouver le mec en question. Mais même ses traces vieilles de deux semaines, ma grande. Enfin, mettons, c'est un détail. Mais bordel pourquoi est-ce qu'on doit prendre ces barques à trois sous que je te découperais en trente seconde dans un tronc en pin chez ce mec trop jeune pour être honnête ? On est -toujours dans le village- le plus en amont possible. C'est là qu'est ce gamin qui nous offre ces pirogues comme il dit. Bien qu'offrir ne soit qu'une tournure de phrase. J'ai beau refuser tout net, t'as pas envie de marcher dans les nids de moustiques et dans cette eau dégueulasse où les poissons et brochets mangent, baisent et chient. Alors faut bien que je cède un peu, de temps en temps. Laissons-le parler. Peut-être qu'il est pas si mauvais. Que ce n'est que la première impression qui fausse tout mon jugement à son sujet. Toi tu restes implacable, envers moi, sympathique, envers lui. C'est ça, mets-toi le dans la poche, peut-être qu'au retour t'auras un lit chauffé qui t'attendra. Je préfère dormir avec le Cormoran qu'avec sa tête de réfugié politique qu'à oublié les protéines dans son steak.

-La location est de Deux Valeurs.
Quoi ?

Ma claque de ces conneries d'échange équivalent. Le Cormoran aussi. Il tire la même tronche que moi sachant qu'il va peut-être y laisser de nouvelles plumes. Il se jette à l'eau, directement, après avoir bouffé une rasade de grains de riz que j'ai dans un sachet à ma poche spécialement pour lui et qui, étrangement, lui permettent de nager. Je suis à deux doigts de l'imiter.

Allez vous faire foutre avec vos imbécilités de troc. Pour parler poliment. J'veux pas faire mon touriste chieur, mais vous êtes des sauvages. Pas question que je paie ne serait-ce qu'une chemise pour ton affaire, Nguyen. Même si tu me le demandais avec tes yeux vairons larmoyants, la blonde. Permettez, je me casse.

Je coupe les deux doigts et saute à la flotte à la suite du Cormoran. Il fait bien assez chaud pour un bain de quatorze heures de toute façon. Je prends de l'avance sans t'attendre. J'suis à nouveau sur les nerfs. Le Cormoran barbote joyeusement, comme s'il découvrait sa propre vie. J'ai l'impression de lire l'histoire du vilain petit canard remastérisée pour mon histoire. Et ça me fout presque le cafard. Ici l'eau m'arrive au torse. Obligé de nager. Très vite, tu nous rejoins en canot que t'as probablement payé en nature au vu de tes attributs et de ton visage ; d'ange pour les profanes.

"Au fait, il m'a parlé des Crocodiles..."
...

Bordel.

*****

Des connards, j'en ai connu, Ouep. Des connards qui faisaient un bon métier et des connards qui faisaient un métier de merde. Mais connard pour connard, y'a pas pire que ceux qui ont pas de boulot et qui vivent sans vivre et qui font semblant de perdre goût à la vie alors qu'ils n'y ont jamais vraiment trempé les lèvres. Ces connards qui soudain se réveillent d'un cauchemar trop sombre pour eux-même tout simplement parce que de ce cauchemar qu'on appelle vie, ils ne peuvent pas s'en réveiller. Juste s'éveiller. Ils s'éveillent et veulent changer. Ces connards qui se mettent à suivre les traces d'autres, espérant que ça va les sauver, se jetant à corps perdu dans une quête qu'ils pensent qu'elle va les sauver. Des connards comme moi. Qui au bout d'une semaine, regrettent déjà.
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L’air est moite, la terre est humide et cette île ne sert vraiment à rien. Pestant intérieurement, Louise tente d’avancer à travers les épaisses fourrées qui bordent l’un des fleuves du coin. Elle a laissé passer le grand con devant elle, afin qu’il dégage le chemin, mais ses enjambées sont trop longues pour permettre à la blonde de profiter de ses pas. Lui non plus ne sert à rien, tiens. Elle aurait mieux fait de le laisser se faire bouffer par un crocodile. Ah ça, il a eu l’air nettement moins malin en sortant de l’eau. Ceci dit, au point où il en était…

« Remonter le fleuve en pirogue, mon cul ! »

Pour la énième fois, Louise râle. Silencieusement, à haute voix, à demi-ton… Tout y passe. Sauf l’autre abruti, évidemment. Ce serait trop demander. Elle n’aurait pas dû écouter les conseils des habitants du village. Remonter le fleuve principal… Facile ! Il suffit de braver les courants, de manquer de se noyer tous les deux mètres à cause d’une embarcation mal équilibrée et d’esquiver les croco’ qui veulent becqueter du cormoran. Au bout de cinq minutes, Louise a abandonné. Elle a gueulé un peu, menacé son acolyte jusqu’à ce qu’ils accostent et a choisi les chemins de terre. Bien que ‘chemin’ soit un grand mot.

« Tu m’étonnes que personne soit allé le chercher, l’autre, dans sa forêt. »

Ah ça, faut bien que Louise ait besoin de fric pour qu’elle s’engage dans cette poursuite ridicule. Ça et le fait qu’elle a mal digéré les moqueries de l’imbécile devant. Elle ne l’a sans doute pas frappé assez fort pour qu’il comprenne qu’elle est une chasseuse de prime confirmée. Et efficace. Pas comme certains.

***

Une heure. Une heure qu’ils pataugent dans la boue, qu’ils se font attaquer par des moustiques énormes aux couleurs improbables. Sérieusement, un moustique rose, c’est normal ? Pourtant, les trois protagonistes avancent, tant bien que mal, se laissant aller à quelque plainte ou engueulade.

Si ça te plait pas, tu te casses. J’ai pas demandé à venir. Moi non plus. Va te faire foutre. Honneur aux dames.

Tout ça pour quoi ? Pour ne découvrir aucune piste sinon un pauvre panneau défraichi indiquant deux directions : « Le Fleuve » et « L’Autre Fleuve ». A un moment donné, Louise en vient à se demander si elle doit pas se marrer.

***

Ils ont fini par tomber sur une petite cabane dissimulée derrière un rocher mousseux. Discrètement, ils se sont approchés, pensant toucher au but. Finalement, ils n’ont trouvé qu’une ruine. Les lieux ont été abandonnés depuis longtemps et il ne reste rien sinon une table et une plante grimpante qui a décidé de s’épanouir seule. D’énervement, Louise l’a arrachée et l’a jetée à la flotte. Connerie d’île, vraiment !

Cependant, la blonde ne peut qu’être rassurée de voir qu’il existe des traces de civilisation dans le coin. Son fugitif a peut-être habité cette bicoque, peut-être est-il toujours dans les parages. Sans demander son avis à l’idiot de service, elle est repartie, remontant le courant toujours plus en amont. Là, la rivière s’élargit, en retrouve une autre pour former une large coulée d’eau sur laquelle un bateau peut naviguer. Le courant est fort et des vagues plus ou moins puissantes viennent mourir sur le rivage. La jeune femme s’arrête un instant pour scruter le paysage, à la recherche d’un indice. Se préparant à apercevoir une autre cabane ou un vieux panneau inutile, elle ne peut réprimer un hoquet de surprise en apercevant une embarcation étrange sur les flots. Plissant les yeux, elle cherche à mieux en distinguer les contours, mais la forme est tellement étrange qu’elle peine à en accepter la réalité. Cette île est complètement tordue, mais de là à…

« Hey, salut les jeunes ! Venez donc boire un coup à la maison ! »

Une maison. C’est bien une maison qui flotte sur le fleuve. Interloquée, Louise répond machinalement d’un signe au salut du propriétaire de l’étrange embarcation. Sans trouver les mots pour réagir, elle contemple fixement ce type entre deux âges sortir un mat du toit, tendre une voile bariolée et rapiécée et diriger la maison au moyen d’un gouvernail pour amarrer quelques instants plus tard près du trio. Une fois l’embarcation solidement attachée, il saute prestement par-dessus une petite rambarde, se bouffe le nez à cause d’un terrier de bestiole et se relève, tout sourire, pour serrer chaleureusement mains et ailes des étrangers.

Son nez est toujours couvert de vase mais ça ne semble pas le gêner alors qu’il passe négligemment la main dans sa tignasse blonde pour en retirer quelques saletés. La surprise agrandit une seconde ses yeux bruns rieurs lorsqu’il trouve une petite clé emmêlée dans une mèche.

« Ça alors, je la cherchais partout ! Planquez jamais la clé de votre garde-manger, c’est un coup à crever la dalle ! »

Ignorant la surprise de ses interlocuteurs, il fourre le petit objet dans la poche de son ample bermuda, époussette une chemise assortie à la voile de la maison et serre à nouveau l’aile du cormoran.

« Moi aussi j’ai eu des plumes. »

Sur cette déclaration dépourvue de sens, l’homme se redresse et tapote amicalement le bras de Louise.

« Bon alors, on se le boit ce pot ? »
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Je le dis tout net ; et sans prendre de gants comme le fait sa mère avec le petit chaperon rouge en lui disant qu'il y a un loup dehors qui veut la manger (alors qu'on est d'accord si elle lui avait dit ma fille tu vas te faire violer elle serait pas sortie l'ingénue). Je l'exprime sans faire de détours qui durent des plombes comme le ferait un toubib qui veut pas soigner sa patiente qu'à un cancer du bras droit ou ce barman qui veut foutre à la porte ce clochard qu'à cuvé toute la nuit sous son comptoir parce qu'il est l'heure pour lui d'aller retrouver la morve de son fils et le sein de sa femme. J'veux pas faire de chichis, ou y aller par quatre chemin comme les parents du petit Poucet quand ils cherchent à l'égarer dans la forêt. Je le dis simplement, calmement, proprement.

Il faut y aller pour me surprendre.

Yep, j'te le dis en te regardant dans les yeux. Toi surtout, parce que tu me croirais pas si je te le disais vu le fou-rire que je me suis tapé quand tu m'as parlé de ta carte de chasseuse de prime. Toi qui a réussi à me faire sortir de mes gonds (comme des dizaines d'autres avant certes) mais la première en tant que femme. Sexe faible.

Si si.
Faut y aller pour me surprendre.

Je sais bien qu'il y a eu cette fois dans le port où deux types me sont tombés dessus. Répression de l'ivresse publique qu'ils ont baragouinés je crois. M'avaient eu par derrière. Sans jeu de mots. J'étais pas sur le qui-vive à ce moment. Je me soulageais juste derrière une cargaison de poisson frelatés. Ou du moins qui le devinrent après mon passage. Y'a aussi eu ce jour dans le port où le Cormoran m'avait rapporté un jarret de je ne sais quel animal à plumes ou a poil du boucher de l'angle et que j'ai vu se rameuter toute la boutique qui le poursuivait. Et j'ai été surpris que le Cormoran vienne se planquer derrière mes jambes. Me suis pris quatre gus en habit de charcutiers et couteaux aux tronches d'espadons, qui menaçaient mon œil torve de leurs moustaches horripilantes. Puis y'a aussi ce jour dans le port où j'ai pris une caisse sur le bout du pied. Ça, vrai que j'ai été vachement surpris. Mais moins que le porteur essoufflé qu'avait pas fait exprès mais qui s'est reçu la caisse sur la tempe. Trois mois en rééducation qu'ils m'ont fait comprendre les flics. Grand bien lui en face à sa fasse d'empoté. Ah ouais, faut avouer qu'il y a eu cette fois où ma femme m'a dit qu'elle était enceinte. La plus grosse surprise de ma vie. Ma plus grosse peur aussi. Puis ma plus grande joie. Et il y a eu la seconde fois où ma femme m'a dit être enceinte. Ma deuxième plus grande joie parce que je savais qu'on manquerait de chou, mais sans la peur cette fois-ci. On était sur le port à chaque fois (mais à la seconde ma femme avait mis un casque, va savoir pourquoi). Puis quand j'ai trouvé le Cormoran presque mort dans un filet de pêche en mauvais état ou la fois où ma fille s'est tirée. Quoique c'était moins de surprise que d'incompréhension et une colère sourde pour ce connard de révolutionnaire de mes couilles atrophiées !

Mais si, je l'assure et l'assume, je suis difficile à surprendre.

Mais ce type là. Ce mec. Sur sa maison flottante. Avec des écoutilles à la place des caves à miel, une espèce de méduse en guise de choucroute et des doigts que j'aurais juré voir palmés. Ce type. Là. Qu'est campé devant nous comme un bouleau en plein ruisseau. Bah lui, je dois reconnaître qu'il me surprend.

Et moi, quand je suis surpris, grand bien lui en fasse, j'suis pas méchant, mais je frappe.

Sbaaaf fait mon poing contre l'arrête de son nez rieur. Plouf fait son dos lorsqu'il perce la quiétude d'une eau stagnante, écartant roseaux comme Moïse la mer rouge et s'enfonçant dans la vase comme un ver de vase. Mouais, mauvaise comparaison.
Y'a un instant de silence tout relatif où seul le clapotis d'un filet de bulles ose se faire entendre. Un silence pesant où même le vent s'est arrêté de souffler pour observer interdit cette image figée où mon bras tendu au-dessus du vide est mitraillé par ton regard assassin. Un temps tellement long que la toute première chose qui bouge, c'est le Cormoran qui se jette tout heureux dans l'eau pour aller jouer avec ce type qui barbote. Un Cormoran devenu enclume par la science inexacte du grain de riz qui fait plus effet. Il coule et va rejoindre l'espèce de timbré au fond de ce qui pourrait être appelé lac.

Un second filet de bulles rejoint le premier.

Quoi !? Je suis sûr que tu rêvais que de ça toi aussi.

Et puis maintenant j'ai de la vase sur le poing, bordel.

Sous ton regard accusateur et sous l'impression d'avoir fait une gaffe de plus, je plonge mon bras long comme ta jambe dans l'eau et en ressors un Cormoran au regard fou d'incompréhension. Je le balance sur la terre ferme à côté de tes pieds où il reste, abasourdi, les yeux et les ailes écarquillés. Ma main disparaît une seconde fois dans l'eau et j'en ressors par le col un type ronflant qui crache comme un angelot un léger filet d'eau d'entre ses lèvres. Il a plus l'air aussi exubérant que l'instant d'avant mais faut l'excuser, il doit rêver à sa maman et aux doux câlins de sa grand mère. Hé. Ça fait peur comme image en fait. Le seul souci, c'est qu'il continue de sourire comme si la pute du coin lui faisait cadeau d'une gâterie maison. Et leurs gâteries sont loin des bonbons des mamies gâteaux à l'angle de la rue. J'ai un frisson rien qu'à l'imaginer et le pauvre bonhomme manque de repartir imiter les poissons à l'heure de la sieste. Je te lance un regard puis hausse les épaules.

Tu nous invite chez toi ? Comme c'est aimable.

Je le hisse sur une épaule et lance la jambe pour m'engager vers ce qui lui sert de péniche. Un truc tout de guingois qui ne flotte que par un mélange assez bien dosé de miracle et de précision. Les fondations de la maison ne sont en fait que de rondins de séquoia, l'un des bois les moins dense, attachés par des cordes visiblement de mauvaise facture à des tonneaux et des fûts de vins ou de bières. Une hérésie sans nom. Et si c'était tout. Parce que toute la base semble bâtie sur les plans basiques d'un chalet. Tout de bois avec un isolant à base de chaux et de goudron. Mais l'un des murs de la maison n'est qu'une gigantesque plaque de tôle ondulée qu'il n'a même pas jugé bon de raboter aux angles et qui du coup fait vingt bons centimètres de trop par rapport au toit, obligé de faire un angle bizarre. Un toit en chaume, visiblement en roseaux vu l'affluence dans le coin. Assez lourd et pourtant très bon isolateur. Je n'arrive juste pas à m'expliquer le velux en verre creusé à l'intérieur et qui met du coup à rude épreuve l'efficacité d'une telle toiture ; sans parler du mât qui sort de la cheminée et me semble carrément hors propos. Et puis pour finir, je n'arrive pas à m'expliquer la porte en pont levis. Surtout un pont levis en pierre dont les sangles sont en cuir. Non, ce mec me surprend vraiment.

Tiens, pour le plaisir je lui remet une mandale.

Et puis on entre chez lui. Moi, puis toi.

On entre donc. Y'a une table : une grande. Ronde et une chaise. Et pour tout le reste... Oh merde j'ai pas envie. Tu t'en débrouilleras la blondasse, du mec que je balance sur la chaise. Tout comme tu t'en débrouilleras des portraits de travers, des plantes grimpantes dans la maison, de la cave qui donne directement sur le lac et de la canne à pèche (oui oui à pèche) qui y est lassée (oui oui lassée) ; de la cheminée transformée en étendoir, de l'étendoir transformé en cage à oiseaux, de la cage à oiseau transformée en grille pain, du grille pain transformé en fer à repasser, du fer à repasser transformé en presse livre, du presse livre transformé en oreiller, de l'oreiller transformé en manique, de la manique transformée en gant de toilette, des gants de toilette transformés en chaussons, des chaussons transformés en appareil à raclette, de l'appareil à raclette transformé en étagère, de l'étagère transformée en lavoir, du lavoir transformé en abreuvoir à crocodiles... tiens, je te laisse même t'occuper des deux crocodiles domestiques qui dorment dans le lit du proprio. Enfin, sur le meuble de cuisine qui lui sert d'ordinaire de lit. Moi, je vais trouver de quoi boire. Et manger. Paraît qu'il y a un garde manger pas loin.

Bordel. Mais pourquoi je suis venu ici moi...

Je te jure ma grande que la prochaine fois qu'on a besoin de thunes, soit on vend le Cormoran, soit on les vole. Je veux plus jamais mettre les pieds dans une baraque du genre même si t'es une chasseuse qu'a besoin de nouvelles pompes à la mode parce qu'elle a plus un radis sur elle. Et ce malgré la liasse de billets que je t'ai filé avant de mettre les voiles d'Hinu. Alors pour frapper là où ça fait mal, pour se faire siffler dans la rue et se siffler des bouteilles de rhum, y'a du monde, mais faut avouer que t'as également le chic pour aller flairer le plus gros blaireau du coin. Bravo ma cocotte, je te dis bravo. Pas à haute voix parce que tu vas encore m'envoyer lécher le parquet d'un coup de poing encore une fois bien placé, mais je te dis bravo des deux mains. Regarde bien mes sourcils froncés ma grande. J'suis pas jouasse, j'ai foutu mes pieds et mes mains dans la fange de ce fleuve pourri qu'il paraît qu'il peut entrer en crue dès la semaine prochaine ou dès demain ou dès dans trois heures, j'ai cogné un type qu'a oublier de préciser dans son invitation qu'il fallait avoir douze points de QI pour apprécier son intérieur art et déco et pour tout te dire j'ai balancé un sac de riz à l'arrière de notre (de mon bordel) navire pour te suivre jusqu'au bout de l'île courir après une prime ridicule que je gagnais en deux semaines en bossant en tant que charpentier sur Hinu. À ce compte, ouais, je suis pas jouasse, parce que je me dis que j'aurais aussi bien pu rester là bas à me triturer les méninges et à jouer de nouveau du marteau pour reprendre du service là où on a vraiment besoin de moi. Et bordel pourquoi cette porte s'ouvre pas, hein ?

-Braak ?
Ah ouais, merci.

La clé du garde manger. Il a pas plongé pour rien finalement ce Con de Cormoran. Bon, d'accord, du coup la clé est pleine de bave et de vase et me glisse d'entre les doigts comme une savonnette d'entre les mains d'un prisonnier d'Impel Down, mais au moins le placard s'ouvre, pour ne pas dire se dégonde ou se béante, sur un sanglier percé par douze flèches moins une et mort depuis au moins deux semaines. Je referme le placard à double tour d'un geste devenu mécanique et reviens vers la table. Tu le lis pas forcément sur mon visage, mais sous mon calme apparent, y'a un indien ostracisé avec un tomahawk de sa fabrication qui abat une forêt entière juste derrière mes yeux jaunes. Si je le pouvais, je ferais cramer cette baraque infernale.

Tu le réveilles, on lui demande pour ton type et on se barre ; Vite. Moi je vote pour un thé.

Je me surprends tiens. Vouloir du thé, dans ce décor apocalyptique, alors que je ne vis que par et pour l'alcool. J'aurais vraiment cru que je passerais ma vie avec plus d'alcool dans le sang que d'oxygène, histoire de vieillir moins vite parce que ouais un chiantos -scientos pardon- m'a raconté que si on vieillissait c'était à cause de l'oxygène qui nous tue à petit feu. J'aurais cru que je finirais ma vie dans un caniveau, la tête dans le cul et la bouche pâteuse d'avoir fêté mon éternité bafouée. J'aurais cru finir ramassé par le service des égouts au matin d'un dimanche, sur la place du marché et les aurais entendu discuter, au travers du masque froid de la mort, et ils auraient dit encore un et bon débarras. Mais si j'ai envie de thé... c'est peut-être pas la fin qui m'attend finalement. Comme quoi, je peux encore me surprendre.

Alors, réflexe, je me donne un coup de poing dans la mâchoire.
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Allons bon, voilà que l’autre crétin se met à devenir autonome dans le cassage de gueule. A croire qu’il veut priver Louise de ses petits plaisirs.

« Va donc nager avec un parpaing, ce sera plus utile que de te foutre une torgnole tout seul comme un con. »

Et puisqu’on parle de gnôle, y’en a qui doit payer un coup à boire… Avec irritation, Louise se détourne de son compagnon d’infortune pour s’agenouiller auprès de l’étrange habitant du fleuve. Malgré la couleur violacée que prend peu à peu sa joue, il a un air paisible, un sourire stupide sur ses lèvres, comme si le coup l’avait envoyé au paradis. Avec un soupir, la blonde lui recolle deux tartes – sur les joues, pour équilibrer – et secoue un peu le bonhomme. Presque aussi brusquement qu’il s’est évanoui, le type se réveille et se redresse, toujours souriant, sautant sur ses deux pieds comme s’il ne s’était rien passé.

« Tiens, vous êtes toujours là ? »

Avant que Louise ou l’autre idiot puisse répondre, un bâillement sonore se fait entendre du côté du lit. L’un des crocodiles ouvre un œil paresseusement, se laisse glisser à terre avant de se trainer nonchalamment jusqu’à la porte d’entrée, visiblement désireux d’aller piquer une tête à son tour. Impavide, son regard morne suit un cormoran paniqué qui se précipite dans les jambes de son maître, effrayé à l’idée de finir dans le même état que la bestiole du garde-manger. Toujours imperturbable, le reptile continue son chemin, s’arrêtant seulement sur le perron pour arracher une branche d’arbre tombante. Sa prise dans la gueule, il finit par regagner l’eau, mâchonnant quelques feuilles placidement. Sur le lit, le second crocodile émet un ronflement sonore mais ne se réveille pas. Le cormoran, effrayé, reste désespérément accroché à la moindre parcelle de son propriétaire qu’il peut atteindre.

Devant la scène, l’homme de la rivière éclate d’un rire joyeux et communicatif qui tire presque un sourire à Louise. Toujours gloussant, il fait le tour de sa demeure, soulève une planche, tire un livre, remue un fond de grains, pour finalement tirer des verres et des bouteilles qu’il pose sur ce qui peut s’apparenter à une table. Emplissant les quatre verres, il fait signe à ses hôtes de s’installer et, tandis qu’ils s’exécutent, reprend la parole.

« Alors, quelle crue vous amène ? Ah non, ne me dites rien ! Vous êtes… Ah ! Mais je suis Moi ! J’ai oublié de me présenter. Où ai-je la tête ? Sûrement avec cette brave Odile. »
« Hein ? » Ne peut s’empêcher de répondre Louise éloquemment.
« Je suis Moi. En fait, on est Moi de père en fils dans la famille. Mon père était Moi, mon grand-père aussi. Même si Aussi c’était surtout ma tante… En clair, appelez-moi Moi ! »
« Quoi ? Quoi ? »
« Moi. »
« Putain… »

Sentant venir une migraine carabinée, Louise s’empare de son verre, espérant y trouver quelque boisson suffisamment forte pour l’assommer un peu. A bien y réfléchir, si elle avait dû choisir un moment pour se faire encastrer la tête dans un bar, ça aurait été maintenant.

« Bon… Moi, on cherche – rah sérieux, ça veut rien dire – un homme qui se planque dans les montagnes depuis quelques années. »

Son interlocuteur se gratte la tête, songeur. Louise pourrait ajouter que l’homme est un criminel, que sa tête est mise à prix. Elle pourrait sortir son affiche de prime et demander des renseignements plus précis grâce à la photo du hors-la-loi. Cependant, alors qu’elle dévisage le curieux individu qui lui fait fasse, elle ne sait quelle attitude adopter. Il est étrange et contradictoire, si vivace et absurde qu’elle ne parvient pas à comprendre la logique de sa pensée. Comment manipuler un être qui ne semble pas répondre au sens commun ? Incapable de trouver une réponse, elle se contente d’attendre une réaction quelconque, quelque chose qui pourrait l’aiguiller et lui permettre d’orienter les propos de ce cinglé vers les informations souhaitées.

Et, alors qu’elle réfléchit, elle réalise quelque chose.

« J’y crois pas, ce con s’est endormi ! »
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Le calme et la sérénité, ça se travaille. Faut avoir des dizaines d'années d'entraînement derrière soi, à braver les pluies torrentielles quand on a un boulot à finir ou supporter le patron qui fait des conneries pour finalement en rejeter sur le dos des honnêtes charpentiers qui font un travail honorable. C'est pouvoir supporter son regard dans la glace quand tout ce que l'on voudrait en faire, c'est des confettis. C'est savoir se taire quand un couple s'engueule ou ne pas se retourner quand un voleur trace sa route avec son butin de pommes et de fraises. D'aucuns diront qu'être calme, c'est avant tout être détaché, imperturbable. Je répondrais volontiers qu'être calme, c'est n'en avoir rien à foutre de ce monde de merde qui m'entoure. C'est de ne regarder que le barman quand il te demande ce qu'il veut, que la serveuse quand elle te l'apporte ou la catin qui fait les deux. C'est ne pas avoir d'estime pour soi et ne plus se sentir insulté par tous ces regards que l'on pose sur soi, c'est travailler cette indifférence et ce regard morne pour qu'aussi vite qu'on t'ait vu, on t'oublie. Yukikurai en force. Mais lui n'a pas le calme olympien dont certains aimeraient être pourvus. Au moins pour ne pas éclater en colères, en sanglots ou en désespoir devant des scènes dignes de grands dialogues d'Audiard comme celle à laquelle je suis confronté en ce moment. La scène entre toi, la femme de maison qu'essaie de faire quelque chose de bien de son mari ivre mort sur la table à roupiller comme un bienheureux, ce fameux bienheureux qu'à rien d'autre à foutre que de nous ignorer après nous avoir porté attention, et ce Con de Cormoran qui a planté ses pattes palmées si haut sur ma nuque qu'il doit s'enrouler autour de mon crâne baissé pour ne pas se manger le lampadaire fait en bol de cuisine.

Le calme, ça se travaille. Ça se voit. Mes poings le savent : J'ai jamais su le garder très longtemps.

Qu'il aille se faire foutre.

La porte, je la claque sans ménagement. Avec un peu de chances, ça le réveillera. Avec un peu de chances ça me réveillera. Avec un peu de chance, ça la cassera. Et faut bien reconnaître que cette dernière option me ferait du bien. Sur le perron, en guise de lampe à huile, y'a une bouteille en verre suspendue à une poutre. Une bouteille remplie de lait et de sucre. Et de farine. Un putain de piège à moustique. Hé. Trop intelligent pour être de lui. Ça doit être sa mère qu'a fait ça. Ou sa grand mère pour rester dans les images gores. Hé. Tant que c'est pas le lait de sa grand mère, je reste assez soft dans mes pensées.

Je donne deux coups de talons sur le bois à la limite de la pourriture et laisse s'échouer sur le plancher un Cormoran ahuri qui s'empresse de jeter des regards affolés de tous côtés, comme il sait si bien le faire. Je sors de la poche de ma veste mon paquet de clopes (qui sont déjà plus de toute première fraicheur à cause du séjour dans l'eau) et un mouchoir. Plus très propre non plus. Je me grille une tige qui grésille à cause de l'humidité, qui flambe mal, qui fait plus de fumée que de feu. Je me résigne et la balance à la flotte. Pour le croco qui barbote comme un con avec des canetons et une feuille de salade dans la gueule. Je veux même plus me poser de questions. J'arrache mes lunettes de mon oreille, presque littéralement à cause de la vase qui les enlise, et les nettoie avec le mouchoir qui ressemble plus à un torchon. Tout ce que je réussis à faire, c'est étaler la merde un peu plus. Les verres sont mêmes plus sales que tout à l'heure. Pendant une seconde, je me dis que je vais les mouiller dans le lac pour facilité la chose mais je me ravise bien vite. Je range le tout à leurs places respectives et jure à l'intention du ciel si bas.

Bordel !
-'Pourriez pas vous taire ? 'Z'allez lui faire peur. 'Bougez d'là donc !

La seconde de flottement entre cette phrase et ma réaction n'est pas feinte. J'veux dire, y'a pas un chat dans les parages. Tout juste un croco, deux cannes et un Cormoran qui regarde les nœuds du bois comme s'il regardait son reflet dans le miroir. J'ai le droit de pas comprendre de suite de quoi il en retourne quoi, merde. Du coup, j'me retourne. Voilà. Sur la terre ferme, un poil après la berge qui longe ce foutu lac sans écume ni nénuphars, je ne peux voir que des arbres, des fleurs, des oiseaux, des papillons, des araignées de la taille d'un moineau et des arbres barbe à papa. J'vois rien qu'aurait pu parler. Je me demande d'abord si ce mec est pas contagieux. Je me demande ensuite si j'aurais pas mieux fait de laver ces fichus verres dans l'eau stagnante de cette fichue flaque.

-'Pouvez pas m'écouter ouais ? 'R'venez vers moi, elle va s'enfuir sinon. 'Allez !

Toujours soumis à ce putain de suspens narratif, je fais volte-face en espérant cette fois apercevoir l'homme à qui appartient cette voix.

L'homme en question est petit, à peine plus d'un mètre. Il est caché au milieu d'une touffe de roseaux et de mauvaises herbes. Il me fait des signes de main, grands mais silencieux, comme s'il voulait rester discret. Faut dire que malgré sa barbe plus longue qu'il n'est grand et aussi blanche que celle de Marx, heureusement qu'il reste caché derrière un chevalet plus haut que lui. D'ailleurs, sans le chevalet, il n'aurait rien de discret. À part ses yeux peut-être, que depuis ma position je suis incapable de discerner sous ses brousailleux sourcils blancs.

Il est à l'image de la forêt qui l'entoure. Vierge.
Enfin non, pas vierge vierge... je pensais juste qu'il avait des poils longs, emmêlés et pas entretenus.
Ce qui au final impliquerait une éventuelle virginité, je le conçois.

Note à moi même pour quand j'aurai l'âge de ne plus rien manger de consistant : penser à se raser les sourcils.

-'Z'allez vous bouger oui ? 'Sautez à terre et rejoignez moi. 'Vite, crénom d'une bite en bois !

Devant le ton impérieux, j'empoigne le Cormoran à grandes paluches et le charge sur mon épaule. D'une enjambée, je passe le garde-fou qui entoure les rondins qui servent de flotteurs et me retrouve sur la berge. J'avale la distance qui me sépare du vieux nain blanc et y laisse choir le Cormoran qui s'empresse d'aller courser les écureuils. J'suis à peu près certain qu'il n'y a pas d'écureuil dans cette forêt. Je me place dans le dos du type armé d'un pinceau comme moi d'un couteau. Il a le regard rivé sur la cheminée de la baraque du branque au bois dormant. Il a de sales rides au coin des yeux et le crâne chauve. Mais c'est uniquement quand je regarde sa toile que je comprends que toute l'île est simplement stupide.

Mais t'es complètement gâteux, vieux. Il est vierge ton tableau.

Et aucune comparaison avec un pseudo vieux peintre dégarni.

-'Chais bien.
Et t'as aucune couleur sur ta palette.
-'Chais bien.
T'es une tanche en fait.
-'Chais bien. QUI QUE TU TRAITES DE TANCHE ?
T'es long à la détente en plus.
-'J'attendais que le modèle sorte, simplement.
Le modèle ?
-'Lle sort que pour nourrir ses poussins.
De quoi tu parles ?
-'D'loiseau de paradis qui niche su'l toit de votre ami.

Mécaniquement, j'observe à mon tour le mât de cheminée. Et là, en effet, un nid. Et de ce nid, un oiseau aux proportions réduites mais aux couleurs bigarrées observait les environs avec un air farouche. Et bordel, cette vision me calme. T'as pas eu cet effet là sur moi malgré tes coups de poings à répétition et tes regards assassins. Tu pourras pas égaler ce que je vois là. Cherche pas. Parce que derrière l'Oiseau de Paradis comme dit le monsieur Marx, trois becs oranges surgissent tour à tour du couvert des brindilles et des roseaux. Trois bouches à nourrir, trois bouches à protéger, trois bouches auxquelles porter attention. Et la mère, elle leur porte une attention tellement... maternelle. C'est vraiment con. Ça me fait mal. Bordel, vraiment, ça me fait mal. D'un geste lent, je retire mes lunettes et les range dans la poche de ma chemise dégueulasse. J'veux pas voir cette scène. J'veux pas la voir nette. J'préfère l'imaginer. Mais c'est pire. Parce que la mère, elle va sortir, abandonner ses oisillons pendant quelques minutes, pour les nourrir. Le cycle de la vie, le cycle parental. Celui que j'ai foiré avec plus d'application que tout ce que j'ai pu faire de bien dans ma misérable existence. J'imagine. J'aurais pas dû virer mes lunettes. J'imagine. Le nid tomber à cause d'un coup de vent ou d'une vague. Les oisillons bouffés par un serpent ou un faucon. J'imagine, la mère dévorée par cette araignée si grosse que j'ai vu tout à l'heure ou prise dans le piège d'un chasseur du coin. J'imagine. Et bordel ça fait mal.

La mère s'envole. J'essaie de pas imaginer qu'elle reviendra pas.

Je jette un regard au vioque qu'a pas bougé d'un poil. Et quand je me demande s'il est pas mort, il pousse un soupir et commence à ranger sa toile blanche et son chevalet. Je remets mes lunettes sur mon nez.

T'as rien peint du tout.
-'Me disais que parfois, il vaut mieux observer la beauté pure plutôt que d'en tirer profit...

Cette phrase sonne conne à mes oreilles, mais il le dit avec une telle conviction, une telle sérénité dans le regard et si doucement, que je me dis que le narrateur doit prendre son pied à écrire des dialogues comme ceux-ci. Alors je me la ferme. Sur ce sujet tout du moins.

Tu sais que t'as une prime sur ta tête.
-'Parait ouais.
C'est tout ce que ça te fait ?
-'Jusqu'à maint'nant, ouais. 'J'dois te suivre c'est ça ?
Je vais te porter, ce sera mieux.
-'Qu... ?

J'ai le visage des grands jours. J'suis pas jouasse, tu l'savais déjà, mais lui pas forcément. Il doit le comprendre à mon visage fermé et à mes sourcils froncés. Il a cru à une blague pendant une seconde. Puis je l'ai chargé sur mon épaule sans aucune difficultés. Il a le temps d'attraper son chevalet d'un ample mouvement de bras ; moi de chopper le Cormoran par les plumes de sa queue. J'écrase à grandes enjambées la terre, les feuilles et tout ce qui essaie de me barrer le route (je crois que c'était le dernier jour de cette grenouille). Il me faut que cinq secondes pour retrouver le plancher en mauvais état et une de plus pour repousser la porte d'un coup de talon. Et lorsque je vois le fou, penché sur la table vers toi, à baver des absurdités, je me dis que j'aurais préféré rester dehors à observer des toiles vides.

-...si je te dis que pour ma 1000è crue, je veux être une femme ? Bien sûr à ma majorité, je me fais opérer, je mets des robe, et je me fais appeler Rosetta, ou Linda et je deviens mannequin. Mannequin vedette d'une grande mauson de haute couture. Et je voyage. Enies Lobby, Logue Town, Marie Joa...
-'L'est toujours comme ça ?
*Soupir*
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Le front posé contre la table, Louise envisage de se tirer une balle. Ses bras reposent misérablement sur ses cuisses, terriblement proches du petit holster dissimulé sous sa jupe. Presque aussi tentante, l’envie de se servir de l’arme pour matraquer l’autre cinglé lui donne des fourmis dans les doigts.

« Et alors, pour ma six-cent vingt-septième crue, j’ai dormi… »

La seule action que Louise se sent la force d’exécuter est un soupir bruyant alors qu’elle relève légèrement la tête pour se la frapper contre la table. Le bois humide ne parvient même pas à lui enfoncer une écharde dans le front. C’est à peine si elle sent la douleur alors que son front s’enfonce dans le bois devenu trop malléable. Sérieusement, depuis quand fait-on du bois mou ? Elle ne parvient pas à répondre à la question tandis que son hôte continue à lui expliquer inlassablement comment il a vécu ses différentes crues.

« Et donc, après, à la douzième… »
« Douze ? Vous étiez pas à six cent vingt-sept ? »

Presque malgré elle, la blonde a relevé la tête, intriguée. Bien que la logique des anecdotes soit vaine, la chasseuse de prime ne peut s’empêcher de chercher le sens à tout cela.

« Si, si. »

Il tapote la tête de la blonde.

« Et alors, pour la treizième, je – Moi, dernier du nom, je veux dire, pas le cousin – suis parti avec Odile pour… »

Ah oui, Odile. Détail de poids. Littéralement.

Si Louise se trouve coincée à écouter les histoires rocambolesques, ce n’est pas pour son bon plaisir. Ce n’est pas non plus parce qu’elle n’a pas eu envie de suivre un certain crétin et son connard de maître.  

Elle a bu un peu de l’étrange liqueur que lui a servi l’homme à la cabane. Le goût étrange l’a moins dégoûtée que ce qu’elle aurait cru et elle a continué tranquillement son verre en espérant que l’autre allait finir par débiter une information intéressante. Puis, une fois la dernière gorgée de liquide avalée, elle s’est rendue compte que c’était peine perdue. Elle a envisagé de se lever, de rejoindre le grand con dehors et de laisser en plan cette stupide baraque et son propriétaire fou. Odile en a décidé autrement.

Odile le crocodile.

Odile s’est réveillée. Odile a pensé que le lit n’était pas assez confortable. Odile s’est déplacée paresseusement, de sa démarche lourde et gauche, et a trouvé place sur le dos de Louise. Odile s’est rendormie.

Lors de sa première tentative pour bouger, Louise a entendu gronder sourdement l’animal. Ses trop nombreuses dents se sont dévoilées, comme une menace pour quiconque perturberait ses songes. La blonde s’est figée et s’est résolue à attendre la fin du verbiage de son hôte.

Et puis, plus tard, lorsque la blonde a songé que se faire bouffer par un crocodile n’était pas une option si dégueulasse que ça, la porte s’est ouverte derrière elle et une voix inconnue s’est fait entendre.

La jeune femme a tourné la tête du mieux qu’elle a pu pour apercevoir un vieux dépenaillé sur l’épaule d’un grand allumé tenant un idiot emplumé. L’absurdité de cette nouvelle scène tire un soupir à Louise, faisant écho à celui du grand con debout devant la porte.

« ‘Jour. »
« Salut. »

Un air ravi se peint sur le visage du propriétaire de la cabane.

« Oh, de nouveaux venus ! Faites comme chez vous. On s’est déjà vu, non ? Plus on est de fous, plus ou rit ! »
« Ouais, c’est ça. Qu’est-ce qu’on se marre… »

Ignorant sa remarque, le maître de maison sort divers objets qu’il pose sur la table pour accueillir les nouveaux venus. Lasse, Louise ne cherche pas à comprendre la présence d’un bilboquet et d’une trompette au milieu des bouteilles, des gâteaux défraichis et des tasses à thé. Elle lance plutôt un regard vers son compagnon d’infortune.

« Sinon, sans vouloir te commander, ça te dirait pas de poser ton vieux et de me débarrasser de ce truc ? Ça commence à devenir pesant. »
« ‘Sans vouloir t’offenser, j’dirais bien comme la demoiselle. »
« Braaaaak ! »
« Quelqu’un aurait vu mon coucou ? »

Putain de journée.
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Quand t'as plus rien à dire, Pandore en conviendra, tu l'ouvres pas. Alors, bon garçon que je suis, face à ton sac à dos en peau de croco et l'enchaînement de stupidités version Benny Hill avec des dialogues qui auraient fait pâlir Audiard, je dépose sur les planches craquantes un vieux peintre dégarni assez rassuré et un Cormoran au pelage bleu qui l'est beaucoup moins. En même temps, ce dernier ne lâche pas du regard les longues dents du Crocodile qui, gueule ouverte, s'étire sur ton dos comme un malheureux. C'drôle ça. Ce con est pas capable de reconnaître un Brochet comme prédateur mais se fait rattraper par son instinct de proie devant un truc pas plus agressif qu'un lézard au soleil.

J'aurais pu remarquer et faire remarquer que tu me demandes de l'aide, puis en rire. J'aurais pu te répondre avec l'acidité de ma bile après une semaine à cuver du mauvais vin. J'aurais pu juste le relever et répartir comme j'en ai l'habitude. Mais en fait, je crois que j'ai pas envie. Et en poussant le vice, je crois que j'ai envie d'une seule chose, et cette envie, tu la partage. Il faut qu'on se casse. Il faut qu'on se casse, hein ? Ou alors c'est leurs tronches que je démonte. Alors ce que je fais, c'est qu'en effet je fais ce que tu dis, à poser mes paquets qui se font prendre en charge par un bonhomme hirsute avec du poivre à la main, et à m'approcher de toi et de son sac à dos en peau de crocodile véritable. Je l'ai déjà dit ça je crois. On va me taper dessus avec mes répétitions. Comme j'hésite à taper sur cette brave Odile -comme il l'avait si bien dit- la crocodile femelle. Sans déconner, c'est vraiment un nom à la con ça. L'autre à tous les coups, il doit s'appeler Croque, ou Croc. Odile me fixe, me détaille, me dévisage. Je garde encore le silence. Comme un gamin que son père violerait.

Je prends mon temps pour observer un peu ce truc qui te colle au dos, et comment t'en défaire sans perdre une main comme ces cons qui pensent qu'il n'y a que ce moyen pour être classe. Et finalement, j'opte pour la solution de facilité. Je te contourne et viens tirer un tabouret qui trainait dans l'évier pour venir m'installer à ta gauche. Odile se rendort tandis que tu me dévisages, incrédule. Eh quoi ? Tu m'as pas aidé pour le mât alors qu'on était dans le même bateau. Là, on flotte encore, mais on est dans la même maison, l'expression s'applique pas, j'ai donc le droit de lever le verre doseur que tu buvais jusqu'alors, et de finir d'un trait ce que tu buvais avant que le détail de poids n'en décidât autrement.

-Il est bon mon grog maison, hein ? C'est de la liqueur de litchi portée à ébullition avec du cacao maigre que je mélange avec le lait d'Odile. Un régal.

Âmes sensibles s'abstenir, je viens de tout recracher avec une bonne dose de salive. Je crache, j'éructe, et je balance le verre doseur à travers la pièce dans un juron que je ne retranscrirai pas ici.

Toute cette merde m'agace. Tout chez ce mec m'horripile. Plus que toi, blondie, et tu tiens pourtant une sacrée couche. Mais lui, il a pas oublié la sous-couche et il est repassé une troisième fois. Avec une peinture différente. Ce mec, c'est le type que tu croises au coin de la rue, chantant à tue-tête et te racontant des gloires d’antan qu'on est pratiquement sûrs qu'elles n'ont jamais existé, alors que tu bois tranquillement un café avant l'heure de l'apéro. C'est le bonhomme qui en magasin n'achète qu'une seule pile parce qu'il a le droit ; qui ne lâche pas son caddie de peur qu'on lui vole les dix berries qu'il a mis dedans pour faire ses courses. Toi t'es juste irascible. Comme moi en fin de compte.

-Reprends donc un peu de mon grog !
-'Pas mauvais. 'Eh donc, après que le seigneur m'ait ordonné de peindre sa nièce, Une putain de Topaze au milieu d'un mont d'or, et au lieu de la mettre dans le hall, il l'a remisé dans son grenier. 'Jamais su pourquoi. 'Lui plaisait certainement pas.
-C'est passionnant ! Des fois je mets des moufles à mes chapeaux.
-'Puis du coup, parce que vindieu j'me suis enamouré de la p'tiote, je me suis introduit dans sa demeure, ai volé le tableau que j'avais peint et j'ai filé ventre à terre. 'Ai pris une prime sur ma tronche qui me poursuit jusqu'ici et en plus j'ai perdu le tableau en mer...
-Ça me rappelle mon grand oncle Elle. Il était pas peintre, non. Ni même seigneur. C'était pas une femme non plus, Elle. En fait aucun rapport, mais ça me rappelle mon grand oncle.
Tu penses qu'il y a des chances pour qu'ils nous oublient et qu'on puisse se tirer en douce ?

S'il avait pu parler, le Cormoran se serait très probablement joint à la conversation. Il le fait, d'ailleurs, à sa manière et à grand coups de trompe aux sons de ses Braaaaak assourdissants et surprenants. Il ne lâche pas du regard les deux ahuris et écoute de l'oreille qu'il n'a pas leur dialogue de sourds. Et ça a le don de m'agacer plus encore. J'en ai rien à faire depuis longtemps des états d'âmes que peut avoir cette tronche d’ornithorynque bleu, mais le voir s'émerveiller ainsi pour deux erreurs de la nature, ça me fait remonter le coccyx jusque dans l'atlas et le larynx jusqu'au palais. Et je peux vous l'assurer, c'est pas agréable. Je sais pas ce qui me retient de balancer la table à travers la pièce, de prendre une hache et de saborder cette maison flottante. En toute objectivité, c'est toi, ta tête, ton poids et celui d'Odile. En toute objectivité. Alors je laisse mes yeux dans le vide et nettoie mes lunettes d'un air distrait. Je finis même par m'allonger sur la table, tête dans les bras pour fermer les yeux, épuisé par le verbiage inintelligible des deux contremaîtres de la bêtise humaine.

Puis soudain, un murmure. Lointain au début, mais qui enfle. Même Odile finit par lever la tête et par la trappe dans le plancher pour pêcher le brochet avec un appât-pèche, revint le second crocodile. S'il n'y avait eu que ça, je ne l'aurais probablement pas remarqué, mais le murmure se transforme en rumeur. Et quand le plancher commence à vibrer sous les pieds de la table, je me dis que c'est peut-être le bruit de l'eau qui boue que j'entends depuis quelque temps. Mais bon. Je garde mon calme. De toute façon, quoi que je dis ou quoi que je fasse, j'aurais droit de bouffer une réplique à coucher dehors de la part de l'indigène qu'à dû oublier de désherber la jungle qui a fini par lui rentrer dans le cerveau par les esgourdes. Je lève à peine mes yeux vitreux vers Moi -puisque c'est son nom- qui s'est redressé, un sourire jusqu'aux piercings et probablement autant de dents que son amie le reptile.

-Enfin ! Ma huit-cent-septante-et-deuxième crue !
C'est une blague ?!
-Je savais que j'aurais besoin de mon coucou...
-'Faut que je voie ça ! 'J'vais sul'péron pour la peindre !
T'AS PAS PRIS TA PEINTURE ESPECE DE TANCHE !

Tout à coup face à toi, Moi te domine de toute sa hauteur -pas très impressionnante. Tu n'as qu'une seconde pour le détailler et t'inquiéter du sourire de psychopathe -ou de profonde candeur- qu'il t'offre qu'il te lance à la cantonade... :

-Tire mon doigt !

...la pire des pires d'entre toutes ses phrases...
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En dehors de la cabane, le grondement sourd de la crue se fait entendre. Menaçant au-delà des pitreries des occupants des lieux, Louise le sent enfler. Avec lui s'élève aussi l'avertissement des crocodiles, les deux reptiles laissant s'échapper une plainte inquiétante de leur terrible gueule. Doucement, Odile descend du dos de Louise et rejoint son compagnon au sol. Dehors, le tumulte de la crue monte et grogne, gonfle et croit, crie et… et…

« Tire mon doigt ! »

La réplique est immédiate. Louise se lève avec brusquerie, empoigne les cheveux de Moi et lui fracasse violemment la tête sur la table.


« ‘… »
« … ! »
« Quoi ? »

Franchement agacée, la blonde lance un regard noir à la petite assemblée silencieuse avant de se diriger vers la porte pour observer l’arrivée de la crue. C’est pas avec ces conneries qu’ils allaient s’en sortir indemne.

« ‘Eh beh. ‘L’a son petit caractère… »

Ignorant la remarque, la blonde ouvre la porte et passe la tête au-dehors.

« Bordel de merde. »

Sans autre forme de procès, elle claque la porte et s’appuie dessus, son visage ayant perdu quelques couleurs au passage. Inspirant un grand coup, elle se force à reprendre une contenance alors que la cabane tremble de plus en plus.

« Si vous devez avoir une idée géniale, c’est le moment. Sinon, je vous conseille de vous accrocher à quelque chose, ça va bouger un peu. »

Et, comme pour ponctuer sa phrase, la vague arriva.

La crue frappe la maisonnette comme une centaine de chevaux au galop, engloutissant l’habitation sous le fracas assourdissant de la rivière déchaînée. Malgré l’avertissement et la tentative de s’agripper à une poutre branlante, Louise se sent balayée par la force du courant. Elle voit passer Moi devant elle et, alors qu’elle part à son tour, elle bénit l’inconscience de l’imbécile lorsqu’il amortit sa chute contre le mur. A quelques pas, elle voit le vieux rouler de droite à gauche en travers de la pièce, puis revenir de gauche à droite, avant qu’il finisse par s’arrêter, coincée entre la cheminée et la cage à oiseaux en marmonnant quelques paroles inintelligibles. De l’autre côté de la pièce, à côté d’elle, Louise entend également des Braaaak paniqués et étouffés alors qu’un derrière déplumé dépasse vaguement sous le corps du grand con avachi ayant perdu ses lunettes dans la secousse. Seuls indemnes : les crocodiles qui grignotent paisiblement un poisson qui a eu le malheur de s'échouer par la fenêtre. Et, alors que cette première vague s’éloigne, la chasseuse de prime discerne un dernier son dans la cabane, plus faible que les autres, mais autrement plus irritant…

Coucou ! Coucou !

« Sans déconner, je vais vraiment finir par buter quelqu’un. »

En grommelant, la blonde se redresse, massant l’épaule endolorie qui a pris le plus gros de l’impact. Elle se dirige vers le vieux, marchant au passage sur les lunettes de l’autre ahuri – oui, elle les a vues –, pour  aider l’ancêtre à se relever et s’assurer qu’il est encore vivant. Si cet homme est bien le criminel qu’elle recherche, alors elle aimerait autant qu’il arrive en un seul morceau chez les Marines. Rassurée, elle s’aperçoit que le vieux bonhomme se porte comme un charme, quand bien même il se trouve enseveli sous une pile d’objets incongrus. Toutefois, lorsqu’elle entreprend de déblayer tout ça pour permettre au hors la loi de se relever, celui-ci l’arrête d’un geste.

« ‘Si ça te gêne pas, j’vais rester là encore un peu, histoire de me reposer pour la deuxième vague. »

« … »

« … ! »

« Comment ça la deuxième vague ? »

Coucou ! Coucou !
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Y'a pas de saisons pour les emmerdes. C'est bien ce que je leur reproche. Elles débarquent quand elles le veulent, en short et chemise à fleur, avec la ponctualité d'un Suisse et la violence d'un cheval au galop. Tu peux être dans ta baignoire, sur un bateau, chez toi en famille, dans une colonie de vacances, au lit avec une prostituée de bonne facture ou bas prix, noyé dans un alcool pas toujours très bon, aux chiottes ou au marché. Elles peuvent prendre n'importe quelle forme aussi. Femme ou mari bafoué, lait qui déborde, étincelle qui fout le feu aux poudres, des rats, des lapis, des cochons d'inde, une descente de marins, un garde bourré aux pulsions sexuelles ou un psychopathes aux pulsions protectrices. Entre autre. Et c'est bien ça que je leur reproche, aux emmerdes. Elles ressemblent à tout et se pointent n'importe quand. Comment Diable voulez-vous qu'on puisse les prévoir ? Je veux dire on était tranquillement en train de boire de la pisse de crocodile au milieu d'un bric-à-brac de broc en tout genre et surtout en rien du tout, les yeux plus fatigués par ce qu'on nous donnait à voir que par la nuit détrempée qu'on a passé dans un navire au mât plié, cerné par les plus imbéciles de l'île, et comme par magie, on se prend des vagues de deux mètres sur le coin de la gueule sans jamais les avoir demandées au père fouettard là-haut. D'ailleurs, en général, on commande pas des emmerdes. Jamais. Ou alors on y aspire si fort qu'elles débarquent avec leurs godasses taille cinquante-trois et écrasent nos nez surpris. Ou crament nos maisons et nos femmes.

-T'aurais dû être à ma place.
Tu m'apprends rien la décédée.

Je me relève difficilement d'entre les pieds de la table qui m'ont plaqué au mur de tôle. Au temps pour la boisson, la voilà toute renversée maintenant. J'en sourirais presque de soulagement. Et puis tu marches sur mes lunettes. Tu les vises, même. Et je sens depuis ma position à l'autre bout de la pièce le sadisme que tu mets dans ce pas là. Et je vois rouge.

Je me lève d'un bond, le regard déjà noir devenu plus noir encore, et m'élance vers toi et le vieux chieur. Sans voir le Cormoran qui se lissait les plumes à en éternuer parce que ce con n'a pas encore compris qu'il était allergique à ses propres plumes tout comme moi à sa connerie génétique. Sur le sol, les maniques et gants de toilettes finissent de glisser ; les casseroles gisent sans les fleurs qu'elles accueillent d'habitudes, lesquelles ayant fui par la fenêtre dès que le coucou avait commencé à chanter ; et les crocodiles viennent lécher Moi. Mais tout ça je m'en fous. En ligne de mire, j'ai ta crinière dorée, en ligne de conduite, un poing moins douloureux que les jours précédents mais bien serré. Ou qui rêve de te serrer. Je lui exauce son vœu.

Tu me vois venir une demi seconde trop tard, et lorsque tu te retournes vers moi, ma main jaillit. Je te prends à la gorge avec hargne et te plaques contre le mur de bois. Mon visage s'approche du tien, presque front contre front. Seulement je fais presque un mètre de plus que toi et pour la seconde fois de ton existence avec moi, tes pieds ne touchent plus par terre. Tu te rends compte que la bouteille que j'ai descendue le matin même en ville n'a visiblement pas fini de retomber.

Il va falloir qu'on mette deux trois choses au clair ma grande...
-'T'fais bien de la tenir. 'L'est moins drôle la s'conde.
Je la tiens pas vieux débris, je la mena...

Seconde vague.
Moins drôle.
Hé.

Sauf pour le Cormoran.

En un instant, le plancher s'est retrouvé mur et le mur à notre gauche plancher. La maison de rondins a subitement pris un angle de quarante-cinq degrés, et nous on a pris un mur dans la tronche, bras dessus bras dessous. D'un côté, je préfère ça à tes coups de pieds qui n'allaient de toute façon pas tarder J'en prends même un pour la forme dans la rotule. Et mens pas, je sais que c'était toi. Tout vole dans notre direction avec la vélocité d'un boomerang acéré et la férocité d'une laie protégeant ses petits. Oh non. J'aurais pas dû penser à ça. Je parlais pas de toi, connard de sanglier ! Parce que ouais, même percé de onze flèches, il détruit le panneau du garde manger et nous tombe dessus. Toi, ton réflexe est de protéger monsieur avec la prime tandis que le mien est de te protéger. Tu l’agrippes, je t'agrippes, et je vous décale d'un seul mouvement du chemin de la carcasse aux vers qui s'en va creuser un énorme trou dans le mur contre lequel nos dos cherchent la salvation. Le boucan est devenu infernal, on n'entend plus que le bruit des vagues et celui du Cormoran qui s'éclate dans ce décor brinquebalant et brinquebalé de gauche à droite et dans lequel il s'épanouit, ce rejeton du chaos. Ah, et ce bruit là aussi :

Coucou coucou

Ta gueule bordel !
-Quand il s'arrêtera, viendra la deuxième vague.
VOUS ÊTES CON OU QUOI, ELLE EST DÉJÀ LÀ LA DEUXIÈME VAGUE !
-C'était juste le reflux ! Je vais sortir les voiles !
Y'a pas un bouton stop sur ce mec... ?

Cou...

-'J'espère que l'oiseau de paradis a pu s'enfuir avec ses p'tits.
Une pensée agréable une pensée agréable une pensée agréable...
-Et on s'accroche ! Youhou !

La seconde vague. La vraie.
Moins drôle.

Sauf pour le Cormoran.

Le souci avec cette maison et le fait qu'elle ait été retournée comme une crêpe, c'est qu'il m'est impossible de savoir dans quelle direction descendait le fleuve, ni d'où viendrait les vagues. Avec cette nouvelle, ce fut encore pire. Parce que le mur contre lequel nos dos étaient collés se renversa et fut brutalement le plafond. Et cet instant, bref, ou nos corps furent catapultés dans l'autre direction restera pour moi la seconde de ma vie où j'eus le moins de contrôle de mon corps. Je me souviens d'avoir vu passer un Cormoran bleu, heureux, battant des ailes dans le vide avec la certitude de réussir -enfin et pour la première fois de sa vie- à voler. Je ne le rattrape pas, j'ai pas le temps, et j'ai pas envie de briser ses rêves une demi-seconde avant la chute. La mienne, la leur, la tienne. De nouveau, nos dos heurtent une paroi qui n'est toujours pas le sol. Un truc froid, dur et bizarrement moins solide. La fameuse paroi d'acier dans toute sa splendeur et sa fragilité. Quatre corps d'un coup et deux crocodiles assis dans une bouée en forme de canard. La tôle devient ondulée. J'ai pas vraiment confiance et le grondement des eaux juste à quelques centimètres de nos oreilles n'est pas là pour aider. Au-dessus de nos têtes, par le trou qu'a fait le sanglier en passant par la paroi avec la vitesse d'un missile Sol-Air, on peut voir défiler à toute vitesse le ciel, les arbres et les oiseaux qui nous regardent passer avec indifférence.

On va passer par en haut. Ou finir en grains de cafés en bas.
-Vous inquiétez pas, il vont tendre le filet pour les poissons.
Et c'est censé nous rassurer ?
-'J'attraperai bien un poisson. 'Qu'j'ai envie d'peindre une nature morte.
Le mort ça va être toi si tu la ferme pas !

Sans attendre de réponse et tandis que tu canalises le Cormoran qui essaie d'aller brosser les dents aux crocodiles, je prends la table déjà bien entamée et la soulève avec moult difficultés. Le sol n'est pas droit et légèrement instable, j'ai du mal à me tenir debout. Ce n'est portant ni les remous véhéments ou la bouteille d'alcool que j'ai toujours pas diluée qui m'empêchent de planter violemment la table dans le mur, les quatre pieds trouant la maison déjà brinquebalante de Moi. Sans attendre de récriminations outrées, je lance une main, un pied et y grimpe, archaïque. Je me retourne pour te tendre la main et tu la saisis parce que tu comprends bien que notre survie -au moins mentale- tient en ce trou que nous devons atteindre.

N'y prends pas goût.

Et d'un mouvement d'épaule ample et calculé, tu t'envoles jusqu'au trou en forme de laie et t'y accroches tant bien que mal. Le Cormoran t'échappe et disparaît de ma vue par l'ouverture récente. Tu te hisses et te retourne vers moi en me hurlant de te faire passer la peintre dégarni.

-'J'voudrais bien y échapper, si ça ne vous...
Ta gueule.

Je le saisis au col et le jette sans ménagement vers toi. Tu le rattrapes et le hisses également sur le mur devenu toit de la maison. À l'intérieur, l'eau commence à s'infiltrer par le toit en chaume et de partout des meubles fondent ou cassent sous la fureur d'eaux tumultueuses. Moi compris. Enfin Moi lui. Bordel vous me comprenez.
Je récidive, je le choppe par le cou, je le balance... Mais lui tu le rattrapes pas. Parce que vraiment t'es qu'une chieuse. Il dégringole contre le lampadaire fait en chaussettes et retombe à plat ventre sur les deux crocodiles qui s'arrosaient avec des mines réjouies. Autant qu'un crocodile puisse paraître réjoui en tout cas. J'hésite à le repêcher, mais en fait, comme toi, je m'en fous. Il a vécu plus de sept cent crues qu'il disait. Et probablement pas dans de vraies bonnes conditions vu le gabarit de ce mec. Il doit y être habitué. Alors je finis mon ascension comme je le peux et finis par sortir de la maison agitée de soubresauts qu'un lit lui envierait. Ou que je lui envierais. Et là je peux admirer la vague qui remonte à grande vitesse jusqu'au village. Une vague qui, au final, perd rapidement en vélocité. Autour de nous sautent et émergent de très nombreuses espèces de poissons et même quelques chats de rivière. Droit devant, un gigantesque filet est tendu par les villageois heureux d'avoir du poisson jusqu'à la prochaine crue.

Je mettrais ma main à couper que ce con de Moi n'a pas de ceintures de sécurité.

Et pourtant, niveau emmerdes, le filet, on savait qu'il viendrait...


Dernière édition par Diele Timberwhite le Lun 15 Déc 2014 - 19:50, édité 1 fois
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Frétille. Frétille.

Splach. Sploch.

Splach. Sploch.

Frétille. Frétille.

Splach. Splo… BOARG !

« Putain ! »

Dans un crachat au glamour inégalé, un petit poisson doré rejoint le cours de la rivière alors que Louise éructe quelques insultes bien trempée.

« ‘L’était joli. ‘T’aurais pu le garder, t’aurais pu le peindre. »
« Ta gueule. »

Avec un grognement douloureux, la blonde tente de dégager son bras du filet dans lequel elle est prise, ne parvenant qu’à s’y coincer un peu plus. Agacée, elle tente donc de tirer sur sa jambe, mais cela ne fait qu’exercer plus de pression sur la corde qui s’est enroulée autour de son autre poignet. En désespoir de cause, elle agite tous ses membres furieusement ; une flopée de poisson lui tombe sur le coin du nez, pour aller rebondir sur le crâne de l’autre grand con qu’est tout aussi emberlificotée qu’elle.

« Mais bordel, que quelqu’un nous sorte de là ! »

Et par nous, elle parle bien sûr d’elle-même et de la prime qui observe les flots de poissons multicolores avec un air contemplatif.

Comment le petit groupe en est-il arrivé là ? C’est simple.

« Vous savez quoi ? Des ceintures de sécurité, ce serait pas une si mauvaise idée ! »

Elle allait le fumer, ce con.

« Huit-cents septante-et-deuxième crue ! Je ferais bien une lessive pour fêter ça. »
« Brak ! »
« Quelqu’un peut m’expliquer comment cette bestiole est encore vivante ? »

Et elle parle pas du cormoran. Mais ça, avec ses yeux vairons fichés dans un regard ambré, y’a pas besoin de le dire pour le comprendre.

« Alors, du miel, du miel… »

Pour la forme, Louise teste encore la résistance du filet. Encore une fois, elle ressert l’étreinte des cordes autour d’elle. Quelle merde. Et ce con de Moi qui est planté fièrement sur sa bicoque qui clapote tranquillement sur les flots calmés, retenue elle aussi par le filet. Ce type est un putain de mystère. Il a pas une égratignure, ni même une petite bosse sur le caillou. Et pourtant, dieu sait qu’il s’est pris quelques tartes depuis le début de cette histoire absurde, et même des tartes modèle Séli.

Y’a sans doute une troisième vague qui se prépare, mais ça n’a pas l’air d’affoler qui que ce soit. Pour l’instant, la rivière est calme, quoiqu’encombrée d’objets divers. Louise reconnait quelques pièces de l’attirail de Moi, mais elle aperçoit aussi une chaise du Bar, un oreiller, une commode, une bouteille qui a l’air de renfermer un message et une paire d’espadrilles, le tout au milieu de divers éclats de bois et autres débris dus à la crue. Ah, et bien sûr, y’a elle, l’autre tâche, le peintre et le cormoran qui sont piégés dans c’te connerie de filet sans que ça n'émeuve personne. Et eux, bien sûr, ils ont des bosses et des égratignures, parce qu’ils ne bénéficient clairement pas de la chance insolente de Moi.

« Oh, j’voudrais pas vous déranger, mais ça vous ferait chier de venir nous chercher ? »

Sur la rive, deux ou trois pêcheurs lèvent la tête en direction de la voix féminine. Ils contemplent un instant la scène, comme s’ils la découvraient, alors que ça devait bien faire dix bonnes plombes que la petite troupe faisait trempette dans le filet.

« Eh, oh, ça va bien deux minutes les gueules d’ahuris, vous nous avez vus arriver, faites pas semblant de pas nous voir et venez nous chercher, putain ! »
« ‘S’il vous plait. »

Les pêcheurs se regardent, échangent quelques mots puis se détournent en sifflotant. La blonde en reste bouche-bée. Ils sont sérieux, là ?

« On vous voit, je vous signale ! »

Et voilà qu’ils tournent le dos, sifflant plus fort.

« Eh, je la connais cette chanson ! Attendez, c’est quoi les paroles, déjà ? Sur un rondin, la pleine luneuh ~ »
« Mais file-nous un coup de main au lieu de brailler, toi ! »
« Pas Toi. Moi. »
« Hein ? »
« Non, Moi. Toi c’est pas moi. »
« Bon. Je renonce. Vous savez quoi ? Laissez-moi crever ici, j’en ai marre. »

Et pour la forme, elle colle un coup à l’autre crétin qui se trouve pile à hauteur de pied. Dingues les coïncidences.
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Envolées les bonnes intentions.
On pourra dire qu'elles ne sont de bases pas bien lestes, mes intentions, mais faut bien reconnaître qu'à eux tous, ils ont les poumons et le souffle assez irritant pour qu'elles se soient échappées à tire-d'ailes. Les intentions, toujours. Pas le Cormoran, hein. Non, ce Con, il est aussi immobile qu'une pierre tombale et presque aussi silencieux. Il a poussé un cri tout à l'heure, comme pour confirmer qu'il était en vie, mais maintenant, pas un son. J'serais prêt à parier qu'il pionce ce enfoiré. Bordel. Et j'ai une furieuse envie de tout envoyer en l'air. Une espèce de pulsion qui me pousserait comme un furoncle au milieu du front. Le Rhinocéros qu'on va m’appeler bientôt. Parce qu'avec un cas comme ce Moi à l'absurdité légendaire, y'a moyen qu'on ressuscite Ionesco avec ces conneries. Pour son plus grand malheur. Non, j'ai réellement l'envie de tout envoyer en l'air, et même pas moi compris. J'veux dire, là, maintenant, tout de suite, j'ai autre chose en tête que de m'envoyer en l'air. Et puis aucune possibilités aux alentours. Même si maintenant que j'y pense...

Teh

On se recentre. Je sais bien que j'ai l'air calme, comme ça, mais vous êtes tous pendus à un filet de pêche, et moi j'ai la tête à l'envers. Ouais, c'mon pied qu'est pris dans ces mailles. J'sais même pas comment ça a pu se passer. Et je peux te jurer que de mon angle de vue, t'as l'air en super forme, blondasse. Et que t'as un beau cul.

heT

On se recentre j'ai dit. Ça faisait une paie, que j'avais pas eu envie de tout foutre en l'air. Et la dernière fois, ça devait être moi le sujet de cette phrase. Me foutre en l'air. Ouais. Des idées mornes et un peu sombres qui m'ont quittées y'a pas un mois, qui couvent sous l'épiderme et que je sens ramper dans mon estomac les nuits froides où j'ai l'esprit plus assez muselé. Que j'étouffe avec l'oreiller du but abstrait et idéaliste que je me suis fixé. Et aussi parce que t'es pas trop loin la nuit, maintenant, et que je ferais trop de bruit et que tu serais capable de venir me casser les couilles parce que je me débat avec mes hontes, mes pêchers et mes remords. Mais ouais, je m'égare, j'ai envoie de tout foutre en l'air. Surtout le grand dadais à la voix mielleuse qui balbutie des âneries  à nos visages trempés de l'eau de la crue.

-Je suis tombé dans une marmite quand j'étais petit. Mais je vous l'ai déjà dit je crois.
On s'en branle. T'aurais un couteau ?
-Oh ça tombe bien, j'ai toujours sur moi un batteur à œuf !
Est-ce qu'au moins tu nous écoute ?
-Bien sûr que je vous égoutte. Je peux même vous essorer si vous ovulez.
Dis-moi que c'était une faute de frappe...
-Pardon ?
Non, laisse tomber. Et range ce putain d’ustensile de cuisine.
-'Veux bien une omelette moi à la limite. 'Vec des champignons.
Vos gueules, putain, vos gueules...

Je te jette un regard courroucé. À cause d'eux, mais à cause de toi aussi. Parce que visiblement, t'aime bien foutre tes pieds là où tu veux, mais surtout sur ma tronche. Et puis je remarque que t'as pas plus de chance avec les natifs. Trop fainéants pour nous aider ou trop égocentriques pour en avoir quelque chose à faire ? Va savoir, mais je vais aller leur dire ma façon de penser, à ces péquenots.

Malgré tes soudaines protestations, je décroche ma ceinture. Pas de chance que mon pantalon tombe, j'ai la tête en bas. Fais pas les gros yeux, si j'avais voulu baisser mon pantalon devant toi, j't'aurais pas suivie jusque là. Enfin, peut-être que si justement. Et hausse pas les sourcils comme ça, c'pas aujourd'hui que tu vas voir le loup non plus. Et puis ta gueule, je vois rien. Un peu plus haut, y'a une branche. Un peu trop haute probablement. Pour toi. Moi – et pas lui – j'ai la chance de pas être né femme, j'ai pas les problèmes des ovaires et du cancer du sein – même si je dois avouer que la prostate me joue des tours – et j'ai donc pas l'obsession de la taille trente-quatre. Mon tour de taille est légèrement plus large, et ma ceinture aussi. Je fais l'impasse sur les sept tentatives échouées au fur et à mesure desquelles ton visage se raidit sous le scepticisme qui t'accable. Puis à la huitième, par un miracle que je ne nommerai pas de peur de le faire disparaître, ma ceinture se bloque autour de la branche visée. Je laisse échapper un petit rire satisfait. Ce qui, tête à l'envers, ressemble à un gargouillis peu ragoutant. Grâce à mes bras de charpentier, je tire pour me hisser, comme je le peux. Et j'essaie de ne pas penser à l'éventualité que ce soit la branche qui casse. Heureusement pour ma gueule, elle casse pas. J'aurais eu du mal à supporter ton rire en plus de tout le reste. Surtout que Moi – lui cette fois – descend une échelle de corde et de fil de fer depuis la cheminée de sa maison miraculeusement à l'endroit et commence à faire du surf sur ses deux crocodiles. Il beugle un truc que j'écoute pas et j'atteins la branche comme je le peux, les jambes toujours coincées dans un filet que je ne m'explique pas être si résistant.

Si on oublie le fait que ma carcasse fut une horreur à décrocher du filet, que le trou que j'y fis arracha une exclamation d'horreur à Karl Marx – que t'as pas lâché et qui reste dans ta main malgré tout ça – comme quoi j'ai détruit une perfection rigoureusement régulière à base de maille identiques, que, finalement, la branche cassa après tous ces efforts, je suis enfin et de nouveau libre. Tu sais, ce truc que tu m'implores de partager avec toi, parce que t'as toujours des étoiles de mers dans les cheveux, un crabe suspendu à ta chaussure et dans ta paluche, un barbu chauve qui regarde en touriste la cime des arbres et que tu veux pas lâcher de peur que ce con ne sache pas nager et se noie dans les vingt centimètres d'eau qu'il reste au fleuve après le reflux qui l'accable – encore. D'ailleurs, c'est peut-être ça que disait Moi en se barrant. Et c'était peut-être pour ça que les paysans ne nous aident pas. De peur de la troisième vague. Ouais, ce serait problématique, en vérité, la troisième vague. Qu'est-ce que tu en penses ? Ouais, te faire descendre d'abord. Ça me va. J'y vois flou, j'ai une bosse qui grossit à l'arrière du crâne parce que sous l'arbre, je suis tombé sur une racine noueuse plus solide que moi, et j'ai la rage aux dents. Aucune raison d'être doux et précautionneux avec toi.

Je repêche à la va-vite un truc tombé de la baraque de Moi, une espèce de serpe décorée de fleurs et de mots en latin, puis je me retourne vers toi et commence l'ascension vers le nœud que tu as fait entre ton poignet, ta hanche, une pelote de laine, des algues bleues et le filet. Je commence à tailler le tout sans aucun souci du détail et à mon esprit surgit la question existentielle suivante. Bon dieu mais pourquoi est-ce que je t'aide encore ? Je suis déjà pas de bonne humeur, et puisque je trouve pas la réponse à cette question, je taille le dernier bout de laine d'un grand mouvement de bras et te laisse t'écraser comme une pierre dans le fleuve devenu ruisseau. Je crie sans le penser une jolie phrase ironique dans laquelle je crois percevoir un désolé qui m'a échappé. Excuse-moi hein, je le pensais pas. Le désolé, tout du moins.

Puis, le grondement sourd me parvient. Un espèce de mélange entre le roulement des tambours avant la chevauchée de la première ligne sur un champ de bataille et un chœur grave rassemblé dans une église, juste sous l'Orgue, maître de cérémonie. C'est amusant comme cette crue a un bruit différent entre si on est dans une maison et si on en est spectateur, comme les paysans qui nous avaient ignoré mais qui viennent de ressortir transats et pop corn pour mieux profiter de la suite. De la troisième vague. Trois vagues. Bordel c'est beaucoup trop pour une crue. C'est un putain de Tsunami fluvial avec option comique de répétition ce bins. Putain d'écrivains qui veulent pas se renouveler pour trouver d'autres conneries pour un prochain épisode. Et après on s'étonne de Moïse lorsqu'il sépare la mer en deux, mais même un putain de fleuve tropical peut le faire ! Putain. Je vois pas encore la vague, mais elle me fait peur rien qu'à l'écouter.

Sans vouloir te presser, tu ferais bien de sortir de l'eau, maintenant !

Parce que j'ai pas encore compris comment est-ce que les locaux attrapaient les poissons avec un simple filet vertical, mais j'ai pas vraiment envie de le savoir. Même si j'ai, je crois, un esturgeon qui frétille dans mon pantalon.

-'Vrai qu'avec la troisième, 'y vont r'monter le filet. 'Qu'y aura pas de quatrièm' vague.
Bordel mais c'est trop demander d'avoir toutes les infos d'un coup ?
-'Fallait apprendre à poser les bon' questions, gamin.
Je te jure qu'une fois descendu, je te descend.

Ça aura eu le mérite de répondre à ma question.

Je saute depuis le filet directement sur la berge et imprimes ma taille cinquante-six dans la terre ramollie par deux vagues successives d'une crue excessive pendant que tu hisses tant bien que mal le vieux peintre qui te résiste parce qu'il a vu un ragondin vous filer entre les jambes. Je ne vous porte pas plus attention que ça et élance la jambe pour m'éloigner un peu, plus sec que je ne l'aurais voulu. Faut dire que j'ai pas envie d'entendre ce Van Gogh de pacotille débiter des âneries – quoique j'aurais bien aimé t'entendre lui claquer sa figure pleine de rides – et que je redoute mine de rien la troisième vague. Derrière nous, la maison de Moi, décrochée du filet par les crocs des crocodiles domestiques, remonte le courant tractée par ces deux reptiles et par deux paires de rames. Et j'ai même pas envie de me retourner pour savoir qui actionne la seconde paire. Moi, j'ai dans le collimateur trois pêcheurs et deux cultivateurs, prenant ensemble le thé – qu'ils marient vraiment avec le pop corn ces cons – en attendant que le poisson morde et que le maïs se castre. Ils me voient arriver, restent impassible, me voient grandir au fur et à mesure que je me rapproche, pâlissent de plus en plus, se rendent compte que j'ai visiblement un compte à régler avec eux, se regardent circonspects, et finissent par se balancer les uns sur les autres pour s'enfuir le plus vite possible. Ils s'embourbent, se frappent pour partir les premiers, salauds d'égoïstes, se tirent les vêtements, pour finalement en laisser deux dans la merde. Deux pauvres gars aux longs pantalons de pêcheurs, aux yeux marrons, à la barbe de trois jours, aux sourcils broussailleux et aux visages fins. Et pourtant tellement différents.

Pour nous avoir tourné le dos.

Chaque joue vient embrasser celle de son collègue et ils tournent de l’œil avant même d'avoir touché le sol humide. Et en parlant d'humidité, je ne cite même pas mes vêtements qui me collent à la peau, de mes chaussures pleines d'eau et de mes clopes détrempées. Et tout ça, sérieusement, tout ça pour un bonze qui a le cœur d'une gamine de huit ans et qui va nous rapporter à peine quelques milliers de berrys ? Putain, j'ai les nerfs. En boule. Comme mes poings que je serre et fourre dans mes poches mouillées. Je tourne les talons et fais semblant d'ignorer la clameur grondante de la troisième vague. Et j'ai même plus la curiosité de savoir comment ils ramassent le poisson. Vrai. Je l'ai jamais eue.

On suit la rivière et on rentre.

Que je te balance sans un regard ni pour toi, ni pour personne d'autre. Ni pour personne d'autre ?

Où est encore passé ce Con de Cormoran ?



Dernière édition par Diele Timberwhite le Dim 4 Jan 2015 - 1:44, édité 1 fois
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La pluie. Evidemment. Comme si le comique de répétition n’avait pas assez insisté Là-Bas, voilà que les nuages se mettent à jouer les trublions.

« ‘y pleut. »

Sans déconner.

Les bras croisés, appuyée contre le bastingage, Louise se contente de lancer un regard noir au vieux peintre. Il se balade tranquillement sur le pont du petit bateau, insensible aux torrents d’eau qui tombent du ciel. Il a probablement l’habitude. La blonde, elle, n’est pas accoutumée à l’humidité tropicale et elle commence à en avoir ras les canettes de cette flotte. Enervée –pour changer –, elle pousse du pied le cormoran qui patauge gaiment dans une flaque d’eau. L’oiseau se rétame de tout son long, patine et patauge en poussant des cris aigus, persuadé de se noyer. Le grand con a retrouvé son cher piaf déplumé et couvert d’une substance étrange peu avant de quitter Là-Bas. Va savoir ce que cette conne de bestiole a encore inventé pendant son absence…

Et quand on parle d’abruti, y’a aussi l’autre ahuri sur le pont, bien sûr. Comme aux prémices de cette absurde aventure, il tire sur les cordages, manœuvre la voile, tient le gouvernail ou toute autre tâche utile dont Louise lui laisse la responsabilité. Il galère et ça remonte le moral de la blonde, tout comme son allure dépenaillée qu’il a depuis qu’ils se sont échappés de cette putain de crue. Non pas que Louise soit plus reluisante.

Ils n’ont pas recroisé Moi, grand bien leur en fasse. D’ailleurs, ils n’ont pas recroisé grand monde, les habitants de l’île s’étant soigneusement mis à l’abri durant la crue. Cependant, les deux protagonistes ont tenté de se diriger vers ce qui semblait être une prison. Ils pensaient trouver de quoi déposer le vieux et récupérer une prime. Après tout, y’avait marqué « Prison » sur la porte.

Belle erreur. (« Je parle pas que de la prison. »)

Ils sont entrés dans la bicoque pour trouver un type calé confortablement au milieu d’un amoncellement de tapis. Y’avait un vieux tableau avec marqué des valeurs, mais pas de prisonnier ni d’homme de loi. En les entendant arriver, l’homme avait relevé son chapeau, jeté un œil au trio avant de déclarer.

« Si ‘ous ‘oulez acheter un tapis, c’t’ici. Si c’la prison qu’ous cherchez, faut qu’ous alliez chez le marchand de tapis. »

Il désigna d’un geste lent et las la fenêtre à travers laquelle on distinguait une autre baraque sur laquelle était inscrit le mot « Tapis ». Résignés à ne plus se poser de question, Louise et les deux autres sont allés à côté. Là, évidemment, ils sont tombés sur une porte ouverte sur une vaste salle occupée uniquement par une jeune femme qui faisait des châteaux de cartes entourée de divers croquis.

« La prison ? Elle a toujours été vide. Je l’ai échangée contre le marchand de tapis pour avoir plus d’espace. »
« ‘vous peignez ? »
« Non, je dessine. »
« On s’en fout. Pour la prime, on fait comment ? »
« Faut aller sur l’île d’à côté. Au pire, je peux vous échanger votre gus contre des marrons. »
« ‘non, ça c’est eux qui les donnent. Merci quand même, m’dame. Bonne journée, m’dame. »

Et c’est ainsi que le groupe se retrouve à présent à flot, à flotte, pour atteindre la prochaine île où ils pourront récupérer leurs gains durement gagnés. Enfin, ils… Où Louise récupérera une prime qu’elle ne partagera pas tandis que Diele s’énervera sans doute pour donner naissance à un énième conflit.

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