D'ordinaire on n'ouvre les Grandes Portes de la Foi qu'une fois par vie d'homme ou presque. A chaque fois que l'on couronne le nouveau Gardien Suprême du Savoir et que celui ci est censé arpenter à pied l'Interminable Route Semée d'Embuches depuis les Tréfonds Obscurs jusqu'au Trône Suprême de l'Illumination. Une cérémonie complexe ou le nouvel élu crapahute dans tous le Boru Bodur pendant quasiment deux jours.
J'ai toujours pensé que ce genre d'épreuves était des vieux restes de tests assez logiques qu'on aurait complétement oublié au fil du temps. Quelque part j'aime bien m'imagine les premiers vieux bonzes en train de se demander quel serait le meilleur moyen de trouver un meneur. Je les imagine en cercle dans un vieux temple à faire des listes...
-Faudrait pas qu'on se farcisse un grabataire aussi. Le dernier à pas tenu deux ans, faut qu'on trouve un moyen d'avoir des types plus jeunes !
-Si on met une limite d'age ça va gueuler chez les dignitaires, tu sais qu'on peux pas faire ça, ça passera jamais.
-Hé j'ai une idée, et si on le faisait marcher toute la journée hein ? On met pas de limite mais avant qu'un vieux arrive à se farcir une journée de marathon on est tranquille.
-Pas bête, mais comment on justifie ça ?
-Ben... On a qu'a dire que sa marche symbolisera le Chemin que tout homme doit parcourir. Après tout il est censé avoir atteint l'illumination alors c'est normal qu'il le fasse symboliquement plus vite.
-Ah ouais bien vu, je note ça, Marche de l'Illumination. Très bon ça...
Héhé, dommage que les manuels d'histoire religieuse ne gardent pas trace de ce genre de réunions. Je suppose que niveau marketing ça passe moins bien que le mysticisme pour les masses.
Enfin, les portes s'ouvrent. Comme pour chaque aspect de la vie ici il y a une communauté de moines qui gère religieusement chacun des mouvements de la grande porte. Les Frères Portiers du Grand Seuil. Des types qui adorent les portes en tant que symboles du passage d'une étape à une autre, depuis la naissance jusqu'au dernier seuil, et qui du coup ont récupéré la fonction de portier de toutes les portes du Boru Bodur. Pas plus illuminés ou bizarres que beaucoup d'autres ici finalement. Et si je me souviens bien de l'époque ou j'ai passé six mois ici déguisé en moine pour essayer d'infiltrer la cabale, les faire bouger n'a pas du être une mince affaire. Parce qu'ouvrir une porte en soi ça parait facile. Mais ouvrir un symbole, ça par contre c'est très compliqué. Et long, très long. Alors faire ouvrir les portes de la Foi moins de trois heures après avoir convoqué l'ensemble des gens du Boru Bodur dans la Grande Coupole. C'est un sacré exploit pour Hubert.
La grande salle se remplit peu à peu. Au dernier recensement il y avait prés de trois milles moines ici. Avec les aléas du départ on peut rajouter à ce chiffre quasiment un millier de personnes coincés dans le lieu saint. Un paquet de monde dans une salle gigantesque qui parait pourtant vachement exiguë maintenant qu'elle est comble. Comme prévu par Hubert les derniers arrivés s'installeront dehors devant les portes.
En type malin je suis arrivé il y a une bonne heure. Alpha aussi, la bas juste en face. Une heure qu'on se regarde en coin depuis les colonnes qu'on à respectivement choisis pour s'abriter pendant qu'entre nous des nuées de moines se chamaillent au niveau du protocole, des places, des chaises, des places à donner aux civils. Aux éclats de voix que je perçois la plupart sont tellement mécontents de l'absence de préparation qu'ils en ont presque oubliés le motif de cette réunion de crise. Oublié que le Boru Bodur à lâché ses amarres et se dirige en volant on ne sais ou.
C'est curieux, je n'aurais pas pensé qu'Alpha respecterait l'interdiction d'Hubert. Encore un coup de mon prisme déformant d'ex CP. Il faut croire que ce qu'on dit est vrai et qu'Alpha vient bien de la marine. La vraie marine, celle qui croit encore dans les vieilles valeurs d'Honneur et de Loyauté. Cela dit ça me va très bien. Aucun de mes projets ne nécessite de me colleter à nouveau avec lui. Et même si j'apprécierais assez de la balancer par dessus bord avant qu'on atteigne une destination quel quelle soit, ce n'est pas vraiment nécessaire tant qu'on est pas fixé.
Dans la salle les moines de la Force Tranquille et ceux de la Juste Violence calment dans l’œuf les jérémiades de leurs confrères les plus sanguins et des civils les moins au fait de la sainteté du lieu et du respect qu'il convient de lui manifester. Autour de moi une dizaine de types avec les bâtons représentant leur charge de garant de l'ordre s'assurent que personne ne vient m’embêter. Gardes ou gardiens ? Je suppose que eux aussi n'ont pas encore décidés vu qu'en face Alpha à les mêmes et qu'il ne s'en offense pas plus que moi.
De toute façon j'ai la tête ailleurs. Loin d'ici. On dirait que c'est ma malédiction personnelle de voir sans cesse les plans que j’établis bouleversés par des imprévus sur lesquelles je ne peux agir. Je n'ai pas revu Tomoe ni Hubert, et les motifs de ma venue me paraissent soudain complétement vains a coté du vide soudain laissée par la disparition de Louve. Rachel, Mona Lisa, Nazca. Des noms qui tournent en boucle dans ma téte a coté des noms de lieux prononcés par le den den de la marine. Jaya, Citadel, Second Piece, Dead End. Des iles dont je ne connais qu'une. Des iles éloignées qui peuvent toutes porter une Louve blessée que je suis incapable d'aider. Sans moyen de repérage et sans navigateur je suis même incapable de savoir ou est le bloc flottant et ou il va. Tu parles d'un sauveteur.
J'ai bien failli sauter tout à l'heure. Mais le Boru Bodur était déjà trop haut. Impossible de repérer un bateau en dessous de nous. Impossible de sauter sans faire autre chose qu'aller se noyer en mer.
Je devrais le marquer sur ma carte de visite. Red, essaye encore.
Dernière édition par Red le Lun 23 Mar 2015 - 8:54, édité 2 fois