-Seigneur Hanbanama !
La voix traverse la porte en bois, arrivant à nos oreilles et nous sortant du silence méditatif où nous avions plongé. Nous voilà donc relevant le nez de nos tasses de thé respectives, alertés par le ton paniqué qu’on peut ressentir si facilement et qui contraste tant avec la tranquillité de la petite chaumière du vieux maître. Ne serons-nous donc jamais tranquilles, cela n’arrêtera-il donc jamais ? Alors quoi, Skylla est de retour pour faire des siennes ? Un court moment le regard fatigué d’Hanbanama ne parvient pas à m’échapper, avant qu’il ne se ressaisisse et affiche à nouveau le visage fort de celui qui ne faillira jamais, de celui qui ne s’en donne pas le droit.
-Qui y a-t-il soldat ?-C’est la brèche monseigneur ! Votre tourbillon ne parvient plus à l’endiguer et le barrage menace de céder.
Pute borgne, j’l’avais presque oublié cette conn’rie tiens. A vouloir semer une belle diversion et d’une même pierre noyer tous ces maudits humains profiteurs, voilà que j’ai ouvert une voie royale pour toute la flotte des océans. Un bel accès tout juste maintenu clos par la virtuosité du karaté aquatique d’Hanbanama, solution certes précaire mais néanmoins seule possible dans l’urgence. Après, vue sa gueule j’dirais qu’le vieux pensait pas sa solution si éphémère que ça… peut être pensait il avoir gagné plus de temps ? En tous cas la nouvelle ne l’ravit pas et pour cause, si la solution dégénère c’est toute la ville qui risque d’être emportée par les flots à cause d’une pression trop violente ! Inonder la ville pour éviter un retour trop invasif des parasites de la surface ok, mais s’il ne fait rien pour au moins contrôler ce flux il n’restera pas bézef à sauver de la corruption humaine. Alors ni une ni deux le vieux guerrier se relève dans une grimace de souffrance, avant de m’regarder d’un air sévère et de reprendre son masque d’impassibilité.
-Tu restes là Toji.J’lève les mains d’un air innocent, bien décidé à m’montrer serviable mais pas pour autant servile. J’suis pas là pour refoutre mon bronx, alors j’boug’rai pas si c’est c’que tu veux vraiment. Hanba me regarde long’ment, comme pour voir s’il peut s’absenter et donc me faire confiance, puis l’urgence de la situation prend l’pas et l’triton décide visiblement de s’en remettre à son instinct et donc à mes belles résolutions. Putain y a pas deux jours ça lui aurait coûté la vie et tous vos malheurs, mais là j’pourrais qu’lui donner raison, l’est fin psychologue c’vieux briscard.
-Promis j’boug’rai pas.-Soldats, veillez à ce que monsieur Arashibourei reste consigné dans mes quartiers.-A vos ordres Généralissime !
Monsieur Arashibourei ?
Hum ça f’sait un bail que personne n’m’avait app’lé comme ça… Trop d’grade parfois, trop peur souvent, trop de haine surtout ; en tous cas c’est pas l’genre de politesse qu’on prend avec moi d’puis qu’j’suis à même d’ouvrir un boite crânienne avec les dents et qu’je n’m’en prive pas. Pas déplaisant dans un certain sens
huhuhu.
Me v’là donc qui m’rassoit profondément dans mon fauteuil alors que Hanbanama s’en va précipitamment, une plus grande partie de ses hommes sur les talons. Même pas ils ont fermé la porte à clé bien que j’puisse deviner la présence de sentinelles sur le perron, puisque de toutes façons rien ne pourrait me pousser à rester si c’n’est mon bon vouloir. Hanbanama est réaliste et n’souhaite sur’ment pas que j’pète sa porte et encore moins d’autres de ces hommes. Juste quelques loustics pour l’symbole et puis c’est tout. Bah, si c’est c’qu’il faut…
Alors un moment j’reste dans l’silence le plus complet, à poireauter tout profondément perdu dans mes pensées que j’suis. Puis, le temps passant, le
clock-clock d’une grosse horloge me tire peu à peu d’mes méditations pour m’enraciner un peu plus dans la réalité. Du coup mon regard commence à errer sur les murs de la pièce, étalages de souvenirs et d’bibelots à même de faire passer cette figure d’autorité suprême pour l’plus vieux des gâteux : colliers d’nouilles, cendrier en pate à sel, napperons brodés avec amour par une énième figure reconnaissante, petits chatons en porcelaine… tout y est et même plus encore. Là où ça m’fait bizarre c’est qu’au lieu d’avoir envie d’sortir le lance flamme pour purifier toute c’merdier rose et blanc, v’là que l’envie m’en manque. Pour une fois j’arrive à lire dans ces horreurs une part des symboles et des sentiments qu’on y a mis et qui du coup leur donne une certaine valeur. Alors bon j’trouve ça toujours aussi moche et j’en voudrais pas pour m’torcher le lundi mais voilà, j’ai d’jà pas cette envie d’me mettre deux doigts dans la gorge pour m’faire vomir c’qui est d’jà pas mal.
Mon regard passe donc de bibelot en bibelot… de souvenir en souvenir… Et là peu à peu j’prends conscience que l’homme a un sacré vécu. Pas un vécu martial même s’il n’doit pas en être en reste, mais plutôt vécu social et affectif comme on dit. Et moi, où ils sont mes souv’nris d’vécu affectif ? Tout c’que j’avais v’nait d’mes Sea Wolves et tout ça a fini au fond d’Grand line avec la destruction du Fenrir et l’procès qui s’est enchainé derrière. J’ai plus rien si c’n’est une trogne couturée d’cicatrices et l’intérieur d’une tête qui n’vaut guère mieux niveau séquelles. *
soupire*…
Je continue d’un air mélancolique mon tour d’horizon, faisant pour le moment abstraction des sons d’panique et du brouhaha des flots qui commencent à m’parvenir de l’extérieur…
Puis, perdue dans l’ombre et à moitié cachée par une paire de rideaux épais et l’coin d’un canapé en vieux cuir, une paire d’yeux qui m’mire depuis leur cachette. De grands yeux que j’reconnais aussi sec par c’putain d’frisson qui m’courre dans les g’noux et l’long d’la nuque. C’putain d’frisson contre lequel j’peux et je n’veux rien faire pour tout dire… Celui d’la princesse
Bishu. Deux grandes surfaces d’une pu’rté parfaite où s’reflètent non pas l’image du monstre que je suis, mais celui de c’que j’étais et qu’j’aurais pu être. Une belle image qui m’laisse une fois d’plus sans voix, comme un rond d’flan.
Alors, se sachant découverte v’là la môme qui sort doucement de son abri pour venir vers moi, glissant sur le sol sans un bruit, comme un songe ; et moi j’bouge pas. Trop peur de m’réveiller, de la blesser, de faire une bourde et qu’en sais-je encore. Ce regard me pétrifie littéral’ment, j’deviens tout dur en dehors et tout mou en dedans, un vrai putain d’moelleux saveur choco d’mes trois couilles. J’voudrais enrager d’cet état mais ça viens pas, j’reste juste là comme un con.
J’la vois donc avec crainte lever sa petite main si délicate, pire que si la pitchoune tenait entre ses doigts un flingue, pour finalement simplement se remettre une de ses jolies mèches derrière l’oreille. Son visage s’éclaire alors d’un sourire radieux tandis que l’miens perle d’épaisses gouttes de sueur et que j’me carre au plus profond des coussins, mal à l’aise comme pas permis là où elle s’épanouit de plus en plus. Un vrai soleil sur lequel j’ai peur de m’bruler, pire que j’aurais peur d’éclipser d’ma crasse ne s’rait-ce qu’une foutue s’conde. Le son cristallin de sa voix m’f’ra plus d’effet que les douches à l’acide de Tetsuda, décrassage de l’âme à la sableuse de l’innocence dans ma face !
-Hihihi, j’ai tout entendu.Que quoi ?! Et l’temps que mon cerveau réagisse et qu’mon corps décrispe suffisamment des miches en réaction, paf la v’là qui s’avance tout d’un coup sur moi et profite de ma surprise pour me faire un putain d’ptit bisous sur la joue, tout en tendresse et en guimauve. Putainputain putain qu’est c‘que j’dois faire ?! Ça m’était jamais arrivé ça, j’dois réagir comment par toutes les bittes d’amarrage en manque des océans ? Aidez-moi ! Je cherche une solution d’fuite encore un peu plus profond dans c’fauteuil où j’ai d’jà les ongles bien enfoncés dans les coussins d’accoudoir, incapable de les y décrocher même pour tous les berries du monde. Mon visage se fige dans un rictus de gène et de crainte mélangées…
-Hihihi.Et avant qu’ma lutte intérieur n’ai trouvé l’temps d‘me donner des réponses et encore moins une réaction potable, la p’tiote file en quelques coups d’queue bondissants vers la porte, tout sourire et rayonnante de fraicheur. Hop, sans même avoir la présence d’esprit de battre d’un cil, j’la vois ainsi sortir comme si de rien n’était d’la pièce à la plus grande surprise des plantons qui se trouvent devant.
-Princesse Bishu ?! Mais d’où vous venez ? Qu’est ce que vous faisiez là dedans ?!
-Hihihi.
Son rire s’éloigne tranquillement malgré les cris des gardes en mal de réponse et figés à leur poste, une fois de plus victime eux aussi de l’insouciance de l’héritière du royaume. Eux doivent avoir l’habitude cela dit, moi pas. Alors pendant de longues secondes je reste immobile, véritable statue qui ose tout juste tourner les yeux comme de peur d’voir une autre surprise lui débouler sur le râble.
Euh, il s’est passé quoi là ?
Putain j’sais pas. Sans déc’ j’en ai pas la moindre idée.
Flippant hein.
Un peu ouais !..
Mais en même temps pas si…
Ouais, pas si….