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Triadhlon



Precedently, in The Walking Squale

« Humpff ! »

L'endroit était exigu, mon nez impitoyablement trop près de la carcasse du requin. Fichtre, même après trois douches, le fumet se voulait insistant et revenait irrémédiablement, une vilaine odeur de poisson pas frais. Dès que j'en avais l'occasion, je m'écartais pour prendre un peu d'air. Franchement, je me demandais encore en quoi ça avait pu être une bonne idée de passer par la ventilation. Certes, c'était le moyen le plus sûr d'infiltrer l'entrepôt mais quand même. Quand nous étions arrivés près du complexe, nous avions pu remarquer une rotation permanente des gardes autour des bâtiments : une sorte de patrouille discrète mais bien visible lorsque l'on reste sur place un peu trop longtemps. En soi, les grandes baraques en taule n'avaient rien de suspect : c'étaient des endroits de stockage de marchandise en gros, rien de plus. A proximité du port, bien incorporé dans le district, les réserves de la Triade payaient pas de mine mais restaient néanmoins bien inaperçues dans cet enchevêtrement de taudis collés les uns aux autres. Si ce n'étaient alors par les conduits d'aération, il n'y avait aucun moyen de tromper la vigilance des gardes, même avec un carton.

Ainsi donc nous avions opté pour la seconde solution et à partir d'un bâtiment annexe, nous étions glissés dans ces minuscules ridicules tuyaux rectangulaires de plaques de fer rouillées. C'était à chaque jointure des différents blocs que l'on risquait de chopper une infection avec en prime le tétanos et sur toute la longueur du machin, on avait bien eu le temps de déchirer nos vêtements en s'accrochant de tous les côtés aux échardes de ferraille résultant de l'oxydation ou de la qualité du métal. Bref, nous y étions arrivés, la poiscaille et moi ; on voyait enfin le bout du tunnel. Finalement Leonardo nous avait bien aidé en acceptant de veiller sur le mioche car il nous aurait été impossible de l'amener avec nous : d'abord dans un premier temps car le gamin n'était pas digne de confiance et ensuite car on l'aurait eu dans les pattes et que déjà se trimballer l'homme-poisson c'était pas super discret. Ainsi donc nous nous étions bien reposés quelques jours, avions préparé une "stratégie" dont la première étape visait à faire disparaître le plus possible l'odeur du mammifère marin. Et après plusieurs douches, donc, c'était finalement un parfum pour femme qui avait réussi à faire l'affaire. Enfin, jusqu'à maintenant tout du moins car l'odeur corporelle reprenait le dessus, fruit de l'effort physique.

Craig, il s'appelait Craig, c'était un soldat de la Marine. On avait eu le temps de faire connaissance, finalement je l'appréciais pas mal, malgré son innocence extravagante et le fait qu'il s'évertuait encore à penser que le Twix était juste qu'un gamin fragile. Comme d'habitude, j'avais sorti mon identité fictive, Elizabeth Butterfly, mais Elizabeth c'était déjà assez. Enfin bon, je savais pas trop pourquoi il m'avait suivie dans ce plan farfelu, de toute manière j'étais même pas vraiment sûr qu'il pourrait se battre. Contrairement à ce que son apparence laissait penser, le gars n'avait pas l'air bien dangereux, sauf pour lui-même. Mais une paire de bras, ça se refuse pas, même si pour l'espionnage il vaut mieux être toute seule. Le plan c'était moins de se faire repérer que de prendre note des marchandises que recevait et envoyait la Triade. J'étais de surcroit persuadée qu'on aurait ici l'élite de la criminalité de l'île et que ce ne seraient pas des gros bras faisant de la gonflette qui nous accueilleraient si on se faisait chopper.

BLOM

« Pas si fort !! »

Le gusse venait carrément de défoncer la grille bloquant la sortie d'un coup de botte. Peut-être n'avait-il pas ménagé sa force ou peut-être justement était-ce sa puissance brute, dans tous les cas on avait bien de la chance qu'aucun garde n'aie entendu le boucan. Il saute à terre, je le suis, la lampe allumée, éclairant l'obscurité de l'endroit. Ça ressemble à un bric-à-brac, une petite cabane d'artisan. Se serait-on trompés d'endroit ? Pourtant on avait pas cessé de continuer tout droit. J'éteins, me rends jusqu'à la porte, l'ouvre. Non, c'est bon, on est bel et bien dans l'enceinte de l'entrepôt, il s'agit juste de l'un de ces cabanons qui l'entourent. Craig me fait signe qu'une seconde voie d'aération, juste en face de celle par-laquelle on a débouché, mène directement au bâtiment central.

« Non c'est bon, on va continuer à pied. J'en ai marre de ramper. »

Je prends la tête, sors une bottine, puis une autre et continue le chemin en catimini. Je me rends rapidement compte que ça sert à rien, voyant Craig marcher comme un gros balourd à mes côtés, aussi précautionneux qu'un éléphant dans un magasin de porcelaine. Je zieute la grosse baraque en acier, toute en ruine, impressionnante. Ça semblait pas aussi grand, de l'extérieur, mais il s'agit véritablement de quelque chose de vaste. Un coup à se paumer tiens.

On continue à longer le mur sur quelques dizaines de mètres jusqu'à ce qu'une porte s'affiche. Je tourne la poignée, bingo ! J'ouvre, me précipite à l'intérieur suivie de mon comparse et referme derrière moi sans perdre de temps. Je souffle, on y est. Quel bol. Et alors que je me retourne pour manifester ma joie à la poiscaille, je me stoppe net en entendant la voix bourrue d'un garde à quelques mètres. J'ai à peine le temps de me glisser dans une toute petite alvéole que j'entends ce-dernier se gausser.

« Eh Frank ! Devine ce que j'ai trouvé ! Un poisson... oui mais un avec des jambes ! »

Je jette un regard effrayé à l'endroit où aurait du se trouver l'homme-requin. Mes yeux se figent, mon rythme cardiaque s'accélère et la rage fait bouillonner mes veines. Il a disparu.

« Héhé, il s'est fait chopper, le con. »


Dernière édition par Annabella Sweetsong le Mer 11 Juin 2014 - 3:05, édité 2 fois
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L'savon entretient une étrange alchimie avec ma peau poisseuse. Il me dénude, il éjecte cette pellicule odorante et rassurante que j'ressens comme une deuxième peau. Et ouais. Propre, j'me sens à poil. Et c'est pas les efforts d'mon ex-protégée qui m'affirme qu'y a des restes d'mon doux fumet dans les airs qui suffisent à dissiper mes troubles lorsque mes naseaux sensibles n'reconnaissent plus ma propre aura. Après une nuit autant agitée, Elizabeth et moi avions misé sur une journée plus furtive. Mais j'ressens toujours une gêne en Sa présence. La dame. Sa façon d'traiter le môme, sa façon d'me traiter moi. Sa façon d'enfoncer son nez dans mon dos lorsqu'on s'glisse dans les conduits d'aération. J'sais pas si elle en fait exprès.

Et quand elle m'annonce qu'elle en a ras-le-bol de ramper, j'me sens libéré d'un poids. Pendant un moment, j'ai cru qu'elle prenait goût à mes relents restants. Nous v'là à circuler dans l'entrepôt, plutôt désert, plutôt peinard. J'fais pas vraiment d'efforts pour m'faire ninja, m'sens pas assez menacé. M'sent un peu insouciant, par rapport à elle, et ça m'emmerde. J'saisis pas les enjeux d'sa quête, et alors j'ai l'esprit ailleurs, probablement quelque part dans l'une des veines d'ma cuisse qui fuyait.

J'ai recouvert ma guibole d'un bandage en laine qui empeste l'antiseptique de procuration. Ça travaille toujours dans mon muscle. J'sens bien encore ces tiraillements qui m'électrifient toute la patte droite chaque fois que j'pose le pied à terre. Car même après m'être rempli ce creux de chair ouverte d'une bouteille de pinard à 90 faute de désinfectant moins trivial à me mettre sous la palme, j'sais que j'aurai encore eu longtemps l'occasion d'contempler c'trou béant dans ma cuisse avant qu'mon métabolisme n'intervienne pour clore cette fichue journée porte ouverte aux bacilles. J'repasse dans mon esprit les images jaunies des ordures dans lesquelles j'suis allé me rouler hier soir, où j'suis allé traîné ma viande saignante de poiscaille, puis j'me dis...

Tant pis. Au moins, maintenant, j'peux laisser tomber les yeux sur le sol sans qu'ils ne s'accrochent au passage à mon falzar déchiqueté et empourpré. Joli bandage blanc constellé d'points cramoisis. J'me sens diminué, handicapé, vulnérable, mais surtout, très con. Ma cavalière d'un soir est devenue une collègue d'infortune, et j'me plais à la soutenir dans sa quête mystérieuse. Un pauvre bougre bienveillant bien qu'inutile. Car j'ai tombé tout mes atours de marin, ne gardant que ma modeste plaque ornée d'une photo de ma modeste sale gueule. Vilain museau de requin qu'aide pas à attirer l'affection et la coopération des gens, pas le profil d'un espion. Ajoutons à ça, forcément, que j'suis un clampin clopinant. J'vais lui servir à quoi ?

Boulet ? Boulet. J'la suis comme un bon vieux clébard. Un molosse, même, disons-le carrément. Mais c'genre de rôle me colle trop à la peau pour qu'j'puisse m'en sentir indigné. Résigné à l'idée d'rester à jamais fidèle chien d'garde de volontés plus fortes que la mienne, j'emboîte les pas d'Elizabeth en mirant fixement ses longs tifs indigos, pour pas risquer d'la perdre de vue au détour d'un couloir d'ce repère immense. On erre dans un nouveau dédale moisi et putréfiant, aussi vaste et sombre qu'il semble propice aux rendez-vous d'la faune locale. Un aphte de plus dans la bouche cariée du crime. Las Camp n'a rien a sauver, mais cette ambiance crasseuse et vicieuse m'donnerait envie d'agir pour elle dans l'avenir. Au moins tirer les misérables désireux de s'extirper d'cette jungle impitoyable.

Elizabeth m'ouvre une porte, la referme derrière moi, en vitesse, en silence. Mouvements vifs, fluides, contrôlés, y a aucun doute, elle sait c'qu'elle fait. Genre de voleuse ? Ou de chasseuse ? Pas le temps d'faire plus de quelques pas avant d'me laisser secouer les nerfs par une voix gutturale sortie d'un couloir à proximité... J'esquisse un bond paniqué et m'précipite sur la poignée d'l'entrée, mais... Merde ! Pas l'temps d'maudire mes stupides réflexes. 'sont là. Et elle, euh... elle est plus là.

Eh Frank ! Devine ce que j'ai trouvé ! Un poisson... oui mais un avec des jambes !

Un frisson m'glace le sang, et je m'retrouve vite comme congelé sur place. De mes deux yeux globuleux de drôle de bête prise sur le fait, j'mire à la fois le sale type qui s'avance dans la pièce, et ma maladresse qui vient d'avorter c'pauvre embryon de furtivité que j'me pensais capable de pondre. Le briscard est vite rejoint par "Frank". Et ils approchent tous les deux leurs grosses paluches poilues des manches d'leurs sabres. Mes dents grincent dans l'même temps que j'balbutie une batterie d'jurons fugaces.

Tu nous accompagnes, ou on t'éventres avant ?

Clairement moins disposé à déconner qu'son comparse, Frank m'bombarde d'ses yeux enflammés toujours plus menaçant. Et son feu s'empare d'moi, et mon stress descend dans mes poings, et en lui fonçant dessus, j'amorce une beigne qui lui finit dans l'nez, produisant un immonde craquement, suivi d'ce fameux impact d'un homme qui embrasse un mur à grande vitesse après s'être reçu dans la trogne un poing d'un homme-requin. Encore un son terrible qui trouve en plus d'bon goût de résonner dans toute la zone. Dans l'même élan, mon coude vole en direction du bide d'mon autre ennemi. Poumons massés, j'lui fais ensuite les dents, d'une autre palme qui lui file dans la figure. Sa nuque percute de plein fouet les briques moisies qui nous encerclent. Alors, les deux sont KO. J'gage que ça durera pas longtemps. J'me rive de nouveau solidement sur ma patte valide, en jetant frénétiquement mon regard autour de moi à la recherche d'la planque de la donzelle. Elle sort d'son creux. Son regard noir précède son venin verbal.

Pas l'temps pour ça... Faut qu'on décampe, hein ?

Cette fois, c'est moi, l'requin boiteux, qui mène le duo. On passe par l'ouverture qu'avait laissé passer les deux malchanceux qu'ont mangé leurs dents, et débouche sur un long couloir bétonné, grisâtre, parcouru par un tube de vent sacrément plus téméraire que nous, et percé par des filets de soleil qui m'laissent à penser qu'ces murs sont de sacrées passoires. L'idée d'en exploser un pour nous creuser notre propre sanctuaire m'traverse l'esprit, mais j'opte vite de concert avec Elizabeth pour retourner visiter les aérations alors qu'on fonce vers l'une d'entre elles. Les dames d'abord, j'la laisse se glisser dans la cavité métallique en scrutant l'fond du couloir. J'entends des pas, des rumeurs. Lointains. Si les chemins de garde sont assez espacés, on pourra certainement progresser en isolant les crapules pour leur régler leur compte en sil...

J'me laisse faucher par son bras qui m'empoigne et me tire dans la bouche d'aération. Elle maudit mes deux de tension, et elle a bien raison. J'suis nébuleux, j'sens des spectres, et les sordides méditations d'la veille menacent de revenir me hanter à n'importe quel instant critique. J'me targue quand même de la présence d'esprit de frapper d'un coup d'talon la paroi métallique, la faisant vibrer et refermant derrière nous la trappe du passage dans un grincement à nous vriller la cervelle.

Frotter mon bandage contre la rouille du conduit m'force la piqûre de rappel. J'suis bien mal au point, p'tain. J'serre les crocs et les poings, en maîtrisant mon regard pour pas qu'il aille se ficher dans l'arrière-train d'Elizabeth qui rampe en s'permettant des soupirs. Et j'me recentre. M'sens en veine, en c'moment, et j'aimerais pas perdre ma fortune bêtement. Y a comme un air frais qui m'glisse le long d'mon museau aérodynamique, emportant à l'arrière les pauvres restes d'mon fumet. Air frais du dehors. J'entends un autre timide cliquetis, j'devine qu'elle pousse délicatement une grille d'sortie. Elle saute dehors, j'fais d'même. J'remarque qu'elle semble sérieusement agacée par les explorations d'tuyaux, autant qu'par la tournure redondante qu'prennent les évènements. A déambuler au hasard dans c'labyrinthe, pas besoin d'plus de sagacité qu'celle d'un requin dans les vapes pour deviner qu'on tournera vite en rond.

Triadhlon  PC_03-2
Mes mirettes sautent par cette grande fenêtre brisée, et j'me sens déçu. L'vent qui visitait l'conduit avec nous m'avait laissé miroiter une sortie à ces foutus enchevêtrements d'couloirs étouffants. Mais rien de plus qu'un escalier en ruine plongé dans l'obscurité. Et le retour du violent décrépit, du nauséabond qui m'viole les sinus, en compagnie d'son copain le sang. Ouais... Ça sent le sang... C'parfum d'hémoglobine me trompe jamais. J'suis taillé pour m'en délecter. Pourtant, chaque fois qu'lui prend l'envie d'me piquer les naseaux, j'suis pris de nausées.

J'tourne en rond, crispé, pendant qu'Elizabeth gamberge. Encore une fois, j'dois ressembler à un vilain roquet qui s'emmerde, mais mes états d'âme ont putain d'rien à voir. M'pose des questions sur l'architecture de l'endroit. M'pose des questions sur ces relents de sang que j'parviens pas à localiser. Alors, j'fouille, j'balance mes yeux cernés partout, j'hume chacune de ces affreuses particules d'sang dans l'espoir que l'une d'elles puisse me guider à leur source. Derrière un mur ? J'entends qu'on s'active... Par la fenêtre ? Cour déserte tapissée d'véhicules stationnés... Et d'un faux mouvement, en essayant d'jeter un coup d'oeil par-dessus la rambarde de l'escalier en vieille ferraille, ma cuisse s'prend à revivre, encore et encore, son traumatisme tranchant. Douleur fulgurante, j'couine.

Hhhmmf... C'est rien... Y a une espèce d'odeur de sang dans l'coin, ça vient pas de moi...
On fait quoi alors ?


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Une cage d'escalier, un vieux truc d'entrepôt décoré aux murs en béton armés, simples et aux marches en ferraille qui grincent sous vos pas. Je ne m'étais pas attendue à ce que ça soit en meilleur état que le reste du bâtiment, mais j'espérais tout de même à ce que les marchandises stockées par la Triade ne le soient pas dans des containers rouillés ou des cagettes en bois rongées par les termites. Bah après tout, je devinais bien que les armes, la drogue et tout ce qui s'en suivait avait une valeur de base assez importante pour que le conditionnement n'influe que très peu dans le prix d'achat, surtout dans l'illégalité. L'un des rares grands concurrents des fabriques d'armes légales de West Blue était bien entendu la Triade du Lotus Pourpre, en tout cas au marché noir. C'était même le leader incontesté, mais en dehors de l'underground personne n'aimait évoquer ce compétiteur si particulier.

On subodorait que les nombreuses caisses chargées discrètement dans les réserves de l'organisation comportaient de l'armement volé ou récupéré sur des cadavres qui n'en avaient plus besoin : qu'ils soient soldats du gouvernement, pirates, chasseurs de primes, révolutionnaires ou civils. En fait, l'origine, la Triade n'en avait cure, tant que les armes marchaient c'était déjà ça. Et bien entendu, on parle aussi de la qualité Triade, pas de ces engins détraqués vendus trois Berries pièce sur le marché de Luvneelpraad. Ainsi donc j'étais à la recherche de tout cet attirail là dans lequel j'espérais vagabonder en prélevant un copieux nombre d'éléments divers vendus illégalement par le groupuscule hors-la-loi. Par les différentes trouvailles qu'avait fait la Commandante Sissi, déjà un bon nombre d'éléments avaient été suspectés, répertoriés et interdits à l'achat ; cependant chaque jour on en trouvait de nouvelles gammes à foison, évidemment. J'imaginais bien que les marchandises n'étaient stockées au port que durant un très court laps de temps, cependant la rotation journalière devait déjà permettre de se faire une idée.

C'est les narines plissées que je retrouve mon compère-pas-dégourdi qui nous avait fait sonner l'alerte quelques instants plus tôt. Merci bien d'avoir bousillé notre couverture et raccourci notablement notre potentiel temps libre pour enquêter. N'empêche, je me demande ce qu'il fiche à humer l'air, regarder par la fenêtre et renifler les murs. Son odorat de requin lui aurait-il indiqué quelque chose ?

« Hhhmmf... C'est rien... Y a une espèce d'odeur de sang dans l'coin, ça vient pas de moi... On fait quoi alors ? »

Je le regarde, les sourcils levés, agréablement surprise. Du sang ? C'est clair que l'endroit ne doit pas en manquer, étant donné que c'est un repère de bandits. En revanche, si le requin le sent c'est qu'il doit être encore tout frais. Je fais rapidement le lien : le petit Olivier m'avait bel et bien mise au courant, il arrivait que certaines personnes trop encombrantes soient emmenées ici pour subir les terribles châtiments du prénommé Kakihara. J'imagine alors qu'une pièce pour les suppliciés devrait exister et que celle-ci n'est probablement plus très loin pour que la poiscaille en devine le contenu.

« Euh... bon, descendons avant qu'ils ne se rendent compte qu'on est là. »

Pour éviter un nouveau désastre, je prends la tête de l'expédition et dévale la première les marches abruptes en fer forgé de ce que j'ose à peine appeler "escalier". Je descends un, deux, trois étages, prévenant mon compagnon des plaques manquantes pour ne pas passer à travers et accessoirement crever. Le dernier palier est atteint, y'a même plus de fenêtre, j'en déduis que l'on doit être dans les sous-sols. Craig recommence à pointer son museau et m'informe que l'odeur se fait plus forte. Devant nous dans le mur se fiche une lourde porte en métal ; je prends l'initiative de la pousser mais fais finalement appel à la force surhumaine de la poiscaille pour terminer la tache.

GROOIIN.

Le machin hurle à la mort tandis qu'on essaye de se dégager un passage pour entrer dans la pièce. Hum, rien de spécial. Le luminaire au plafond est un peu déconnant, mais c'est pas comme si du sang décorait les murs, loin de là. Je continue jusqu'à la deuxième porte - de toute façon y'a pas trente-six sorties - et réitère l'effort. Cette fois-ci le battant ne bronche pas et s'ouvre plutôt aisément.


Je demeure hébétée devant la première pile de cartons qui nous fait face. Ce fut facile, trop facile. La voilà, la zone de rotation de marchandises, la zone d'entreposage, la gigantesque réserve. Grande, trop grande, j'imagine qu'elle a été volontairement placée dans le sous-sol plutôt qu'à l'étage au-dessus. Pourtant, y accéder comme ça, sans rencontrer beaucoup de résistance, surtout après avoir décalqué deux gardes et avoir fait acte de présence... C'est louche. Je m'intéresse au premier îlot qui me toise de ses deux mètres de gerbage : bien conditionnés, bien rangés, il n'y a véritablement aucun doute quant à l'application mise dans la conservation des produits. C'est comme dans une épicerie que l'on retrouve les marchandises par lots de famille. Prendre les caractéristiques de chaque carton prendrait infiniment de temps, en revanche trouver un registre serait infiniment plus pratique et ça en ficherait un coup à la mère Sinhg Yin Fu. Pourtant ce serait le risque de faire chou blanc car c'est sûrement pas le genre de chose qui se laisse dans un entrepôt. Alors je commence à faire le tour en notant sur mon calepin les références des gondoles et leur contenu global. Par ci des vaisselles luxurieuses, par çà des uniformes de soldat de la Marine, plus loin des armes dans leur diversité la plus complète - bien évidemment - et encore plus loin, des matières premières comme du bois, des conserves de poisson ou encore des diamants et de l'or. Finalement je ne prends même plus la peine de baisser la tête et continue mon chemin sans regarder devant.

Je me prends brusquement les pieds dans quelque chose de dérapant et mou, manque de m'exploser la figure contre le sol et effectue une demi-dizaine de pas gauches jusqu'à récupérer mon équilibre. Je baisse les yeux sur l'obstacle qui a manqué de me faire manger du béton, mon regard se glace, mon sang se fige. Je mire à droite, puis à gauche, puis derrière moi. Aucun bruit, aucun son, personne. Je m'agenouille, soulève le visage du cadavre meurtri et reconnaîs avec effroi les traits de l'un des membres de la Team DEKO, celui qui m'avait adressé la parole le premier : Rudolf. D'un coup, j'ai une pensée pour la poiscaille qui me suivait il y a encore quelques minutes, qui était juste derrière moi et qui avait mystérieusement disparu tandis que j'étais plongée dans mon comptage. J'ai la soudaine vision de l'avoir vu pour la dernière fois, le museau en l'air, s'orientant dans une direction différente. Bon sang ! Je laisse tomber ma rêvasserie, reviens en arrière au pas de course et essaye de retrouver l'odeur si singulière de l'homme-requin. Par là ! Mon cerveau tourne à cent à l'heure : pourquoi Rudolf s'est-il rendu ici ? Où sont les autres ? Est-ce pour cela qu'il y a aussi peu de gardes ? Que s'est-il passé et surtout, surtout où est mon camarade ? Je bifurque à droite, puis à gauche entre deux gros containers et finis par arriver en face d'une porte. Une porte noire, une porte rouillée, une porte avec une trace de main rougeâtre collée dessus. Et même sans ouvrir cette porte je devine trois choses : c'est là que Craig est allé, c'est là que les trois autres gars du CP8 ont été emmenés...

...et c'est probablement là que se trouve la salle de torture.


Dernière édition par Annabella Sweetsong le Mer 11 Juin 2014 - 3:06, édité 1 fois
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Mes sinus s'arrachent des tréfonds d'mon museau pour partir flairer ces violentes émanations d'hémoglobine. Et ça m'pique. Et ça m'perturbe. Et j'ai l'impression que, ouais, c'est comme si quelque chose me griffait non stop les naseaux. J'parviens pas à m'focaliser sur ma comparse, qui progresse toujours devant moi. J'parviens d'moins en moins à la calculer alors que l'atmosphère s'fait toujours plus sanguine et oppressante. Y a aucun doute que c'est pas un troufion quelque part qui s'est coupé avec du papier, non. C'est si fort. Si insistant. Si nauséabond. Si tourmenté. C'est du frais, c'est des litres.

Mes mirettes vitreuses s'envolent au plafond que j'mate sans vraiment l'observer, tandis qu'mon pif relevé se drogue d'ces échos glauques de douleur et d'horreur, comme s'il s'en délectait, comme s'il m'plantait dans l'esprit des millions d'germes d'excitation instinctive qui parvenaient pas à prendre racine, sans qu'il puisse capter pourquoi. Bien mauvais botaniste, ce foutu flair arrive pas à faire pousser la soif de sang chez son prédateur végétarien. Dommage, enflure.
Lapidé par mon odorat, mes autres sens m'paraissent négligeables. Et pourtant, z'en démordent pas non plus, ils me caillassent. Silence lourd, chaleur étouffante, et cette vue imprenable sur un toit délabré, rouillé, moisi, percé en d'multiples plaies par d'immenses lames de lumière. J'lâche pas prise et continue à me laisser guider par mon pif. La source d'ces effluves est toujours plus proche. J'ressens une coupable mais irrésistible envie de savoir. Quitte à transformer ma nausée en migraine, et ma migraine en traumatisme. Et ce malaise qui m'envahit, j'le sens bien devenir un dégueulis. Assorti d'une plâtrée copieuse de jurons, censés faire office de conjuration. Mais l'horreur me marque toujours trop profondément l'âme pour que j'l'évacue en quelques malédictions. J'm'attends à tout, mais ça m'empêche pas d'me laisser ronger par le trac.

Merde. Dans quoi j'me suis lancé. Imprudent, impulsif, trop gentil, j'sais pas dire non ! C'est trop tard que j'réalise qu'accompagner Elizabeth n'était pas qu'une simple occasion d'tenter de sceller une amitié sirupeuse pleine de bons sentiments. J'espère maintenant qu'elle et moi sommes pas en train d'creuser nos tombes. J'tiens plus. Faut que j'me déleste d'cet horrible boulet. J'baisse la tête, tout en lui bafouillant :

C'est horrible... J'en peux plus, euh...
...
Elizabeth ?


Elizabeth ? Volatilisée ? Frénétiquement, quasiment pris de spasmes, j'balance par à-coups ma gueule dans tous les sens pendant qu'mon esprit surchauffe dans la fournaise de l'imprévu. Et j'suis seul, et j'suis perdu. Et j'me rends compte que tant que j'y étais, j'avais remonté l'sentier du sang sans m'soucier d'ma pauvre collègue. Quel abruti. Empoté. Egoïste. M'frotte les yeux, l'front, m'essuie ma sueur dans ma tignasse. Sinistre jeu... Je chauffe. Le fumet m'a jamais autant piqué, j'crois. Ça prend la forme d'longues aiguilles qu'on m'aurait directement enfoncés dans mes naseaux jusqu'à les planter dans mes sinus. A force de mirer partout, mon regard finit par s'agripper à la clenche d'une grosse porte d'acier noire cernée d'rouge vif. C'est Là. Et j'pense plus davantage. Envie de savoir. Mon bras n'm'obéit pas, l'est déjà sur la poignée. L'a déjà tournée, et mon épaule s'occupe déjà de défoncer la barrière métallique. Et je charge dans la chambre, y pénètre débarrassé d'toute forme de prudence et de raison. Quel con j'fais...

Torture. Salle des tortures.
Le sol gluant, suintant, dans lequel mes guiboles s'enfoncent et gémissent, puis ces murs repeints d'un rouge brun calleux, corrosif, puis cette puanteur amère, qu'organise une ignoble orgie dans mes sinus et dans mon crâne, ça m'lève en moi une batterie d'sentiments terribles. J'ai l'pouls qui s'emballe. J'le sens. Mon palpitant. Il s'débat dans sa cage, on dirait qu'il veut s'libérer. J'le comprends. J'le comprends. J'suis en train d'me laisser molester par mon propre corps. M'bouche les naseaux comme j'peux, pour commencer, j'm'affaisse contre une paroi mi-liquide craquelée, tombe les paupières pour m'épargner la vue d'ce rouge qu'accompagne les ténèbres, je m'focalise sur mon souffle haletant puis...

P-iti... Aaar... rggh...

Et mes tympans vibrent d'horreur. Ces gémissements qui font faire à mon sang, séquestré dans mes artères, un fulgurant tour pressurisé à m'faire sauter pour de bon la cervelle. Des silhouettes, au fond d'la salle ni éclairée ni aérée, m'appâtent et m'font miroiter des réponses. Et quand les tronches des suppliciés commencent à s'dessiner dans l'ombre, j'percute un mur de nouvelles questions. C'est eux, les mecs du parc. Les copains d'Anna. 'sont là, 'sont lacérés, 'sont carbonisés des orteils et des doigts, z'ont les yeux révulsés et les pifs éclatés.

Aid-Aide nous... !

Six yeux vides convergent vers moi, ils sont lessivés et d'loin, j'aurais pu jurer qu'ces sacs à viande suspendus au plafond par un gros cordage de limaille rouillée fixée à un crochet d'abattoir étaient déjà depuis longtemps refroidis. Comme mon esprit est en stase, pris en embuscade par une horde d'émotions que j'm'étais pas du tout préparé à gérer, c'est mon estomac qui cause. Ma maigre pitance de la veille, verte de jalousie devant les performances de mon sang, explose à son tour les records de vitesse et d'pression. Et j'peux pas arrêter l'bombardement blafard qui arrose le sol rubicond. Une grosse galette. Fétidités du vomi, du sang, du poisson mort, sous l'même étendard.

J'respire bruyamment, quelques gargouillements m'échappent. Tout en m'laissant d'nouveau atteindre par un soupir suppliant d'un des pauvres gars torturés. Sa voix cassée s'élève, j'tourne une trogne consternée et effrayée vers lui. Mais j'ose pas croiser de nouveau ses mirettes d'outre-tombe.

Il va revenir... Il va revenir...
Q-Qui ?

Y a la porte du fond qui couine, qui crie. Et un filet d'lumière qui vitalise le goudron rougeaud répandu partout. Tétanisé, mes mirettes s'braquent sur l'ouverture et en démordent plus.
Et s'glisse par l'ouverture l'ombre d'Elizabeth. J'la devine prise de haut-de-coeur, lorsque sa silhouette se tord et qu'sa main s'plaque sur sa bouche. Mais j'me sens pas de la ménager, certainement pas de lui laisser le temps d'apprivoiser l'atmosphère atrocement lugubre. Trop hâte de filer et d'me nettoyer la cervelle souillée de ces images, avant qu'elles n'prennent leur marque dans mon esprit et s'y gravent à jamais.

Viens m'aider !

M'fais pas d'illusion, et l'mouron me prend. Impossible de sauver ces gars, les copains de la copine. J'appréhende sa réaction. Elle semblait attachée à ces trublions excentriques, quoi qu'ils aient pu être, quoi qu'ils aient pu faire pour s'retrouver pendus ici. M'rends compte, en les examinant de plus près, qu'ça va être impossible de les décrocher sans provoquer un barouf monstrueux et, pire encore, sans risquer de les condamner pour de bon. Quand la donzelle s'approche, j'me prive pas au passage d'essayer d'sonder dans ses mirettes si elle tient l'coup devant le tableau macabre.


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Durant un instant de faiblesse, j'avais manqué de rendre mon dernier repas. Secouée de haut-le-cœurs, j'affrontais la scène du mieux que je pouvais, bien que cela surpassait de loin le gore et le sadisme habituel des criminels. Non, là il s'agissait volontairement d'exposer les organes des coeurs humains, de les dépecer, de les vider comme des cochons et de les suspendre comme des jambons au plafond. Et parmi ces neufs là, trois étaient encore en vie. Je reconnaissais l'air miséreux des trois autres gars de la Team DEKO, sous leur couverture de douleur et de pitié. Pourquoi ? Pourquoi leur avoir fait ça ? C'était même pas pour soutirer des renseignements, c'était de la violence pure et simple, l'individu qui s'était occupé de mes camarades n'avait pas manqué d'y mettre toutes ses pulsions de cruauté. Et sur chacun d'entre eux, une mutilation différente, pour diversifier. Ongles arrachés, doigts tranchés, écorchés, yeux retirés à la petite cuiller... Une fois de plus mon gosier menaçait de se faire large et d'envoyer mes derniers aliments rejoindre le sol sanguinolent, comme le requin l'avait fait précédemment. Cette pièce - cette vaste boucherie - était tellement couverte de sang qu'elle semblait vivre et agoniser elle-même. Je devinais là quelque chose de rituel : ce n'étaient sûrement pas les premiers corps et à voir l'état de décomposition des six autres, cela allait faire un bon moment qu'il n'y avait pas eu de sang frais.

N'empêche, je refuse de suivre les indications de la poiscaille et tente de les détacher. Ces hommes ont donné leur vie pour la justice, ils ne peuvent pas finir de cette façon, c'est trop cruel. Alors je lui fais signe de me porter sur ses épaules pour couper les liens. Il refuse. Je réitère ma demande, mais l'homme-poisson se veut catégorique ; il ne me portera pas, il n'a qu'une envie : fuir. Devant tant de lâcheté, la colère monte, les lamentables cris de lagonie derrière m'empoignent d'une tristesse absolue. Je lui commande à nouveau :

« Tu vas m'aider à les libérer...

- Non », répond-t-il, le visage fermé.

Une première baffe vole. Mais la réponse reste la même, alors je lui en fiche une seconde, puis une troisième, puis une quatrième, puis finis par lui taper avec des poings abrutis et stupides sur le torse. Ça ne lui fait rien, mais il comprend ma douleur, alors il ne riposte pas. Au lieu de ça, il prend mon bras et me traine lamentablement hors de là, hors de cette fichue pièce, tandis que mon regard fixe inlassablement les trois victimes.

« Stop... STOP J'AI DIT ! hurlé-je tout en me débarrassant de l'étreinte de l'homme-poisson. Attends-moi dehors, s'il-te-plait... »

Il refuse. Très bien, tant pis. Je m'avance vers le premier, reconnais tristement l'homme hot-dog. Celui-ci devine pour quoi je suis là.

« Tue... moi... »

Les larmes me viennent devant ce tableau si horrible, si pathétique. On dirait une séquence de film, on dirait que rien de tout ça n'est réel. Jamais je n'avais pensé qu'un jour j'aurais à faire une telle chose. Mais je ne peux pas partir et les laisser à leur triste sort. Prenant un gros couteau de cuisine sur l'établi à côté, déjà bien souillé par le sang, je soulève légèrement le corps de l'agent en lui tenant la tête au creux de mon bras droit et délicatement, comme le baiser d'une mère, lui offre la mort en plongeant le couteau dans son cœur. C'est un regard de grâce, un regard de délivrance qui m'est rendu, ça me réchauffe le cœur. Alors je recommence, une deuxième fois, puis une troisième. Et c'est l'organe lourd, mais l'esprit déjà ailleurs, qu'en compagnie de Craig je quitte ce satané endroit.

Fichue la mission, fichue ! Ils nous attendent, ils ne doivent pas être loin. Mais on se fera pas attraper, hein ? On ne finira pas comme eux. Je referme la porte derrière moi, hantée par ce qui s'y trouve derrière, hantée par les supplications, mais sûre qu'ici aucun fantôme de ces trois-là ne restera. Je les ai vu, ils ont rejoint le ciel.

« Reprends-toi ! » crie une voix au fond de moi, une voix qui se veut de plus en plus rare.

Je m'exécute, voyant Craig totalement paumé. Par où aller, par où s'enfuir ? Toujours aucune trace de la Triade, juste leur foutu bâtiment vide. Et cette question, toujours là, toujours irrésolue : comment ? Que s'est-il passé ? Comment en sommes-nous arrivés là ? Je me ronge les ongles, ronge les sangs, puis bifurque subitement sur ma droite. J'oublie de noter les références des îlots, j'oublie ce pourquoi je suis venue. Qu'importent des marchandises quand nos vies sont en danger. La mienne importe peu, c'est mon travail, mais Craig a un statut spécial. Craig est sous ma responsabilité. Craig ne doit pas mourir. Alors, assez régulièrement, je me surprends à braquer mon regard sur lui, vérifier que tout va bien, tout en continuant à avancer. Quelques minutes plus tard, il me fait signe de regarder à ma gauche. Une porte, une lettre et un chiffre y sont peints : A-1. Pas le temps de se poser des questions, j'ouvre et débouche sur une énième cage d'escalier. En meilleur état cette fois-ci, je devine qu'il s'agit de l'une des entrées principales et que nous étions passés par une sortie de secours. Je grimpe avec hâte les marches, précédée par mon compagnon, hâtive d'être en sécurité, hâtive d'aller voir Leonardo et de tout lui raconter avant de quitter cette île maudite. J'ai peur.

Les escaliers ne débouchent qu'à l'étage d'au-dessus, le rez-de-chaussée. Sur la porte figure un "A0", il s'agit sûrement d'une signalétique pour les étages, mais que veut dire ce A ? Je tourne la poignée, tire vers moi et me faufile dans l'entrebaillement. En me rejoignant, Craig bute dans mon dos figé, je ne fais pas de cas. Les bras ballants, je reste là, hébétée. La pièce est vaste et mal éclairée ; originairement il devait s'agir de bureaux, mais ceux-ci n'étant plus utilisés, ils ont été poussés vers l'extérieur et collés aux murs. Et au centre de la pièce, inconscient, ligoté à une chaise, se trouve le petit Olivier Twix, le nez et le menton couverts de sang. Et à peine avons-nous fait trois pas pour aller à sa rencontre que des recoins sombres jaillissent une vingtaine de sbires. Alors, une voix qui me semble beaucoup trop familière résonne dans l'ombre.

« Pile à l'heure ! »

Je ne comprends pas, je ne suis pas sûre de pouvoir le faire. L'homme avance, se place derrière la chaise du gamin sous mon regard furieux. Si, je comprends très bien. Un traitre, un de plus, un faiblard qui n'a pas pu résister à l'appel du pouvoir et de l'argent. Leonardo, quelle déception. Et dire que je lui avais laissé le gamin, que je le pensais digne de confiance, qu'il nous avait sauvé la vie.

« Avant tout je dois te remercier, Annabella. Grâce à toi, nous avons enfin pu nous débarrasser de ces quatre crétins de Team DEKO. Merci encore. »

Mon cœur se sert tandis qu'un goût amer m'emplit la bouche et me donne la nausée. Je reste figée, condamnée. Grâce à moi ? Oui, il avait tout prévu. Il savait qu'en m'envoyant vers le CP8, ils me confieraient la mission de capturer le gosse. Il savait aussi que l'Olivier laisserait filer des informations juteuses et que j'allais me réfugier chez lui, que j'allais le laisser le gamin et qu'il aurait champs libre pour le livrer au CP8, pour que ceux-ci viennent jusqu'ici. Il savait tout, un vrai manipulateur, ce n'était pas pour rien qu'il avait été pris au CP2. C'était un monstre d'intelligence. Et maintenant, il ne lui avait plus resté qu'à m'attendre là, pour en finir avec moi... avec nous. L'homme-requin est pas loin, je place ma main sur son épaule. J'ai besoin de quelqu'un sur qui je peux compter, je menace de m'effondrer. J'ai besoin d'un ami.

« Tout ça... tout ça c'est à cause de moi... »

Le piège s'est refermé et je reste stupide. Pour une fois que je pensais avoir les choses en main, tout n'avait été qu'illusion. Les larmes menacent de surgir, de trahir ma faiblesse, mon idiotie, mon incompétence. L'autre déballe tout, mais je ne l'écoute plus, abattue, faiblarde. Je perds l'espoir et la confiance en moi-même. Ça y est, il a fini de parler, il a fini de cracher son venin. Mais il est miséricordieux, il ne laissera pas mon corps entre les mains de Kakihara. Non, pas le mien, mais celui de l'homme-poisson oui. Ça lui fera tellement plaisir, ça changera tellement son train-train habituel de faire souffrir des êtres humains. Les sbires nous encerclent, mais ce n'est pas moi qu'ils visent. Ils veulent la poiscaille. Moi, c'est le sabre de Leonardo qui me menace et très vite je me retrouve seule, figée, séparée de mon compagnon. Je n'ai pas envie de combattre, je n'ai pas envie de faire un seul pas. Le traitre lève son arme, s'apprête à me l'abattre à la base du cou et me faire voltiger la tête, mais je m'en fiche. Aujourd'hui, j'ai tué des innocents.

« Bon sang, combien de fois je dois te le dire ! »

Aujourd'hui j'ai été faible.

« Bouge... »

Aujourd'hui, j'ai échoué.

« ...toi... »

Aujourd'hui, j'ai encore perdu une once de ce qui faisait de moi une être humain.

« ...le... »

Aujourd'hui, je vais tous les anéantir.

« ...cul ! »

J'esquive au dernier moment, mais trop tard : la lame s'enfonce légèrement dans mon épaule, transperce ma veste et m'entaille la chair sur plusieurs centimètres. Un, zero. Pourtant, j'en ai rien à faire. La rage me dévore, la cruauté me submerge. Tous pareils, tous pirates, tous coupables ! Les dents serrées, la posture fléchie, prête à bondir sur ma proie, je retrouve ma vigueur dans la haine, dans l'accomplissement de la violence. Mes deux armes volent dans mon dos, je les rattrape et les braque sur l'ennemi. J'attends pas pour tirer et son esquive se fait tardive. Un, un. L'un des projectiles lui traverse l'avant bras de part en part, mue par mon désir de vengeance, mue par la force de la justice. Mue par l'envie de tous les liquider. L'air est putride, malsain à cause de ces tas de chair putréfiés de l'intérieur qui le corrompent. Ils ne m'auront pas, ils n'auront pas Craig. Je fonce sur Leonardo, abats le manche de mon arme sur le coin de son visage et démolis sa tempe gauche pour l'envoyer à terre. Son sabre gît à plusieurs mètres de lui, il rampe pour le récupérer et se relève. Je lâche une seconde salve, salvatrice. Ses esquives se font trop lentes, trop faibles. Il veut se rapprocher, très bien, qu'il le fasse.

« Je vais... »

J'anticipe les mouvements de sa lame, m'écarte à gauche, puis à droite, puis me fends pour coller le canon de Wallace contre sa cuisse et celui de Gromit contre sa poitrine.

« ...purifier cet endroit ! »

BAM


Dernière édition par Annabella Sweetsong le Mer 11 Juin 2014 - 3:16, édité 2 fois
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En moi, ma mièvrerie et mes bons sentiments s'consument dans un feu de joie libérateur, et j'me plais à coller des pains dans leurs faces, dans leurs bides, dans leurs gorges. M'sens basique, instinctif, féroce, et cerné d'ces ordures, j'cherche à trancher ces fils au-dessus d'moi qui voudraient m'destiner à rester à jamais un pantin. Hier, j'ai finalement pu voir la lumière au bout d'un long tunnel dont l'ombre rampait au même rythme que j'pouvais progresser. Hier, j'ai eu la sensation d'être enfin moi-même. Et plus qu'jamais, j'ai envie d'vivre. Et plus qu'jamais, j'ai la sensation qu'la justice se situe dans ces putains d'pêches que j'distribue.

Ils sont maintenant sept. Ou huit. Ou neuf. Plein. P'tet vingt. S'plaisent à faire grimper la pression, à m'défier du regard. Se sentent en chasse. La vie m'a d'jà prouvé de nombreuses fois qu'les humains s'comportaient souvent beaucoup plus bestialement qu'moi. Qu'en meute, c'étaient des carnivores. Et cette sensation d'être une âme un peu trop frivole sous l'joug d'la cruauté de l'univers, j'l'utilise tantôt comme excuse pour ma faiblesse, tantôt comme carburant qui canalise ma force. J'grince puissamment des crocs, m'sentirais même prêt à grogner pour leur donner sensation qu'ils sont face à un animal qui ne se laissera pas tomber sans avoir commis un dernier carnage, une dernière fois répandu l'sang des p'tits gens civilisés dont il fait son ambroisie. Mais l'intimidation n'prend pas. Ces fils de catins ne sont pas dupes. Formatés à saquer du dominé, ces salauds savent déjà c'qui s'cachent sous la carcasse de l'affreux prédateur. Et ça marche pas, ça marche pas. Cerné, blessé, ils m'forcent à détourner les yeux, à les faire virevolter dans l'vide. J'peux pas regarder ces monstres en face. Ils sont si nombreux, si affreux, si sadiques. Ils s'apprêtent à m'découper. Et à prendre leur putain d'pied !

Encerclez moi ça, surveillez sa mâchoire ! Léonardo le veut vivant...

Mon outil d'mort intégré, ces crocs capables de déchiqueter les chairs et d'concasser les os. Si les émanations d'hémoglobine m'répugnent, ça n'a rien à voir avec cet horrible spleen, c'gouffre de navrement dans lequel j'chute lorsque répartis sur mes papilles, salopant tout l'intérieur d'ma bouche, dégoulinant le long d'mon sensible oesophage, j'croque la viande, l'essore et en fait gicler cette foutue essence rouge qui s'presse au fond d'ma gorge pour titiller l'prédateur endormi depuis toujours en moi, celui qui s'agite, qui ronfle fort, qui s'retourne sous sa couette, sans jamais ouvrir un oeil.

Mais ici il est question de survie. Mes mirettes se frayent un chemin jusqu'à Elizabeth, aux prises avec leur patron. Et la moindre distraction morcelle mes troubles, et quand j'ressens de nouveau le sifflement des lames filer tout autour d'ma face hébétée, mon seul réflexe devient la fuite. Pas mourir. Pas comme ça. L'étau s'resserre, mes poings suffiront pas. En cogner un en convaincra un autre d'me fendre le dos. D'm'arracher l'aileron pour s'en faire un potage. Z'en sont capables. J'le perçois à leurs. Rictus.

Ma guibole m'empêche d'me mouvoir correctement, alors j'me balance à gauche à droite par saccades, par bonds maladroits, entrecoupés d'terribles essoufflements. J'ai pas le sensation d'pouvoir le faire, mais j'veux le faire. J'm'imbibe de panique. Les vannes de la peur se sont ouvertes et mon courage s'évacue, et j'me maudis. Et en reculant, et en tournant sur moi-même, j'perçois encore leurs rictus. Et j'ai peur, j'ai peur d'ces ordures. Pas mourir. Pas de leurs mains. Pas comme ça. Ils auraient eu l'temps de m'achever, déjà. Mais ils préfèrent jouer avec moi, m'dévorer du regard. J'suis éclopé, apeuré, acculé. Alors qu'le désespoir m'noue les boyaux, ils pourraient en profiter pour m'sauter dessus, et ils ne risqueraient rien. M'laisserais étriper. Ils s'délecteraient d'mes appels à l'aide. Incapable, impuissant, impulsif. M'suis jeté dans un piège et même une fois qu'il s'est refermé sur moi, j'en saisis toujours pas l'mécanisme. J'essayais toujours d'retrouver Tark. Frangin. Auprès d'moi. Pour m'protéger. M'rassurer. Empêcher les vilains monsieurs d'réduire ton p'tit frère en sushis. Ma solution d'facilité. Mais. J'suis seul, tellement trop seul. Minable, fragile. Ils sapent cette confiance en moi qu'j'ai cru avoir développé hier soir. Mais j'parviens pas à m'reprendre. J'crois qu'ils m'font peur, et j'ai honte. Et j'crains la suite.

Et des détonations, et ça fait bang, bang, encore bang. Et ils s'retournent, leurs airs s'mettent à jour et leurs gueules adoptent des expressions d'colère noire. Pas dirigée contre moi... Leur boss a du être refroidi. Ma glace paralysante fond sous l'sursaut bouillant d'espoir qu'ça m'laisse miroiter. Maintenant ou jamais !

Re-Recentrez vOUUUUUUH !

J'suis c'féroce animal qui bondit sur sa proie, porté par l'vent de l'envie de survie, et qui commet l'irréparable. Mes crocs s'enfoncent dans son avant-bras, son sabre embrasse le sol dans une mélodie métallique, des jets rouges fusent et m'colorent la gueule. Cri suraigu qui m'vrille les tympans, m'esquisse un réflexe de recul dans lequel j'lui arrache un bout de muscle tout en l'repoussant. L'malheureux s'fracasse à terre et tâte sa patte déchiquetée en hurlant. J'crache aussitôt ces infâmes tissus qui traumatisent tout mon palais. Ça s'éclate sur l'bitume dans un bouillon organique, comme une île de chair flottante dans un océan d' bave et d'sang. J'crois qu'mes yeux bleus doivent être révulsés d'terreur. J'crois bien aussi que j'claque des dents, et qu'ça arrange pas la soupe immonde qui s'malaxe dans ma gueule. J'crois bien que derrière moi, un couperet tombe et va m...

BAM

Un nouveau filament pourpre m'claque dans le dos. J'tourne la nuque, la mâchoire grande ouverte, laissant ruisseler c'terrible breuvage d'bête sanguinaire. J'aperçois vaguement, d'mes deux grands yeux écarquillés et humides, un autre de ces salauds s'effondrer l'épée au poing. Y a des scintillements, des reflets, ma tête tourne et me voilà pris de vertige. Y a des échos monstrueux s'engouffrant dans mes esgourdes. Et j'sens un bras m'passer sous l'aisselle et m'tirer en arrière. J'comprends aussitôt que c'est toi. M'regarde pas comme ça. J'suis qu'une lavette, moi. Pas capable d'assumer ma propre nature. M'regarde pas comme ça ! J'y étais forcé ! J'pouvais pas m'contenter de le plaquer, j'devais le neutrali...

Debout !

Nan. Ça a pas l'air de t'affecter. T'as même troué la tempe du mec que j'ai envoyé gésir l'biceps broyé. Ça d'vait être ce dernier coup de feu, celui là-même qui m'a casé un bourdonnement blanc au creux de l'oreille. Quelle gueule effrayante. Tu es enragée.

Mais remue-toi, mollusque !

Elle arrose de feu tous azimuts, l'son m'retend les muscles des jambes, et j'bondis. De nouveau debout. D'nouveau l'esprit paré. Ce sang qui m'coule dans la gorge me brouille aussi les idées, et dans ma cervelle embrumée s'amassent des putains de nuages noirs. Sachant pertinemment qu'y a pas l'temps pour ça, j'mire cette voie libre. A force de canarder, la donzelle nous a frayé une issue d'secours. On n'fait pas le poids, à deux, contre une vingtaine de barbares emplis jusqu'à la moelle de haine... envers celle qui a transformé leur chef en passoire, envers celui qui vient de dévorer le bras d'un d'leur camarade. Et mon regard m'précède dans la fuite, choppant avant moi l'gamin. Et j'fais un détour qui m'fait perdre du temps. J'attrape l'gosse par le col, et durant ces quelques secondes de trop, j'sens quelque chose m'écharper l'épaule. J'sens ma guibole bandée suffoquer d'nouveau sous le poids du morpion enchaîné, et surtout, j'sens la mort me frôler. Mais non. J'vis toujours, après c'moment régi par d'bons sentiments qui se sont emparés, l'espace d'un instant, d'mon instinct de conservation. J'suis déjà aux côtés d'Elizabeth, aux portes d'cette cage piégée qu'a bien failli tuer dans l'oeuf cette renaissance qui devait m'épurer l'âme.

Couvert par son feu nourri en direction de l'immonde gang. J'adresse un dernier léger regard fourré au dédain, durant une seconde de vide meublée de hurlements haineux, en direction des restes de Léonardo. Mais rien d'plus, pas de pensées pour cet enfoiré, car on est déjà d'nouveau dans l'entrepôt, et on court pour nos vies. Ma cuisse cloutée, l'gosse évanoui sur mon épaule ouverte. Mais j'serre les dents. Ces crocs qui laissent encore s'échapper goutte à goutte l'hémoglobine infecte d'une d'ces ordures qui pourrit mon monde parfait et m'enfonce dans l'pessimisme léthargique. J'veux oeuvrer. J'veux transformer c'Monde. Le rendre meilleur. Protéger les bestioles qu'ont, envers et contre tout, réussis à s'accrocher à leur innocence sous la tornade de cruauté qu'le Monde leur imposait. Mais putain, si j'suis pas capable d'me garder moi-même de mes stupides émotions, comment j'peux escompter protéger les autres ?

Rapidement, j'vois plus qu'une seule solution pour s'en sortir. Une vitre. Donnant sur une cour. D'un signe de museau, j'la désigne à Elizabeth.
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Les sbires étaient nombreux et en rogne et il en arrivait de toutes parts. Comme mon camarade me le signalait, le temps était propice à la fuite et pas au combat, beaucoup trop déséquilibré. Alors tandis qu'il se trimballait le Twix sur le dos, je couvrais sa démarche en maintenant l'ennemi à une bonne distance. Ces-derniers avaient l'air d'affluer, toujours plus nombreux. Combien en avais-je descendu ? Quatre, cinq ? Six, avec celui-là. Je faisais plus vraiment gaffe, l'image du corps sans vie de Leonardo restait gravée dans ma mémoire à chaque coup de feu que je tirais. Avant tout ça, ça avait été un ami, un collègue. Désormais ce n'était plus que le cadavre d'un traitre, un de plus. Je m'évertuais à l'oublier, à rechigner que j'étais responsable de sa mort comme de celle des quatre autres agents du CP8, mais il n'en était rien. Ça revenait inlassablement me hanter.

En suivant le chemin pris par la poiscaille, je déboule dans l'entrepôt du rez-de-chaussée, une vaste pièce vide de toute marchandise, mais pleine d'hommes de la Triade. Certains sont affairés à transporter les lourdes caisses jusqu'à l'élévateur pour les descendre dans le sous-sol, d'autres, par dizaines, veillent à la sécurité du bâtiment, tenant dans leurs mains des fusils. Alors, tout en essuyant les tirs d'un côté et en couvrant la poiscaille de l'autre, je continue à être sur les talons de ce-dernier en espérant qu'il trouvera rapidement une issue à ce cauchemar. C'est à peine si je regarde devant-moi, pourtant le mur se rapproche dangereusement. Craig continue, néanmoins et finit par provoquer un grand fracas en traversant la vitre de l'une des grandes fenêtres de l'entrepôt. M'écorchant la main sur les bouts de verre encore fixés au cadre, je me déleste de l'autre côté à mon tour tout en étant bien contente de ne pas m'être faite trouer comme une passoire. Je suis déjà dehors quand j'entends l'un des subalterne beugler :

« Ils s'enfuient ! Rattrapez-les !! »

Craig trace, malgré sa guibole qui le taraude et le poids du gamin. Je le rattrape rapidement, remarquant maladroitement la blessure qui me taillade l'épaule, celle que Leonardo m'a faite lors de notre affrontement. C'est pas bien beau, le sang dégouline, mais j'en mourrai pas. Pas une seconde je ne me pose la question de vers où on va, je m'en remets au talent apparent de l'homme-poisson pour la fuite. Rapidement, nos poursuivants nous rejoignent en sortant de tous les côtés du bâtiment central. Je vise, tire et en abats un de plus à ma droite tout en gardant mon allure. Je recommence l'opération avec deux autres gars devant nous avant d'accélérer le pas pour ne pas me faire faucher par une balle provenant de derrière. Mon compagnon bifurque à gauche, juste en dessous d'une grande grue soulevant un bon gros paquet de marchandises. Une illumination me vient. Bingo.

« Continue, j'te rattrape... Continue j't'ai dit !! »

Je m'écarte d'une bonne vingtaine de mètre et me poste derrière un bidon en acier. L’œil droit braqué sur les cordages de l'engin, j'attends le moment propice pour lâcher mes projectiles. Dans ma tête je compte : un, deux, trois. Deux douzaines de gars apparaissent au détour du bâtiment, inconscients de l'épée de Damoclès au-dessus de leur tête. Je tire trois balles, deux font mouches et délacent les cordes soupesant la charge. Et tandis qu'au ralenti l'ombre s'étend, toujours plus noire, autour du paquet d'adversaires, subitement un symbole se fait de plus en plus voyant sur l'une des caisses. Un symbole pour le plus caractéristique, un symbole de danger, un symbole informant de la présence de matériaux explosifs et fortement combustibles. Merde ! J'ai à peine le temps de me jeter à terre que...

BROOOM !!

Je sens une chaleur intense passer à quelques centimètres de mon crâne, le souffle se poursuit sur quelques mètres encore, éclairant puissamment la voie. Je me relève, intacte et contemple mon œuvre avec l'espoir d'avoir réussi mon coup. Un véritable champignon de fumée et de flammes s'élève dans le ciel nocturne, juste au-dessus ; le feu rugit tel un astre en projetant ses flammes tous azimuts. La zone est entièrement dévastée, on peut même entendre les supplications de quelques pauvres hères encore en vie, mais des deux dizaines de malfrats qui nous suivaient, aucun ne se tient encore debout ou ne représente une réelle menace désormais. Je repars sur les traces de la poiscaille que je finis par rattraper irrémédiablement, ce-dernier étant totalement sous le choc à cause de la précédente explosion et admiratif du grand brasier qui s'élève dans la nuit.

« Çà devrait nous faire gagner du temps, tu sais où on va ? »

Il hoche la tête et pointe du doigt une petite cabane. La petite cabane par laquelle on était passés, en vérité. J'avais eu raison de compter sur son don pour l'escapade. Cependant je lui fais signe de reprendre de l'allure, inquiétée par les cris et beuglements qui parviennent de derrière. Le chemin n'est plus éclairé à partir d'ici, pourtant je devine notre sortie très proche en reconnaissant des petits repères remarqués à l'aller. C'est pas la première, ni la deuxième mais la troisième baraque. Je prends de l'avance, ouvre la porte et laisse mon camarade se glisser à l'intérieur. En passant, je colle deux bonnes grosses baffes au gamin. Ce-dernier se réveille - comme escompté - et ses petits yeux stupides semblent chercher de la cohérence dans sa mémoire trouée.

« Continuez à avancer vous deux, je vous rejoins ! »

Sans se poser de question, Craig choppe le gamin par l'épaule et lui explique qu'il va devoir passer devant dans le conduit. Le petit Twix se fait pas prier et escalade les épaules du requin pour se glisser dans la bouche d'aération. Je jette un coup d’œil furtif dehors : la tumulte se fait de plus en plus proche. Craig me tend la main, espérant que je vais le suivre. Je fais non de la tête. Il recommence son geste, mais je reste inflexible.

« Il faut que quelqu'un fasse diversion. »

Il a pas l'air de comprendre, pourtant il n'y a pas trente-six solutions.

« Cherche pas, c'est mon boulot. Je dois ramener la justice ici-bas. Alors fonce, on se retrouvera dehors. C'est promis. »

Son regard est soupçonneux, mais il finit par abdiquer à contrecœur. Nonchalamment, il suit la trace du bambin et se faufile lui-aussi dans le tuyau. Parfait. Je me retourne vers l’entrepôt et remarque des silhouettes évoluant dans les ténèbres, certaines éclairées par des lampes, d'autres non. Un refrain stupide me revient dans la tête et je pense aux nombreuses fois où j'ai failli mourir en mission. Si celle-ci est donc la dernière, alors autant finir en héroïne ; seule contre tous.

« My time to shine. Héhé. »

Concentrée, je vise une première tête et appuie sur la détente. Un flash illumine mon visage et la balle part se fondre dans la chair d'un adversaire ; celui-ci riposte par un cri d'agonie. Les deux bras levés, combattant la douleur qui me taraude l'épaule droite, j'enchaine les coups de feu en tachant d'abattre le maximum d'ennemis. En voyant des trous se former dans la ligne, j'évalue leur nombre : une bonne vingtaine, pas plus. Alors, tout en reculant, tout en me mouvant à gauche et à droite, je les diminue à dix-neuf, dix-huit, dix-sept... Arrivée à douze, impossible de reculer plus, qui plus est les balles commencent à faire le chemin retour. Je prends donc mon courage à deux mains et fonce vers l'attroupement pour terminer l'affrontement en face à face. Je sens quelque chose me déchirer l'extérieur de la cuisse mais n'y prête pas attention. Gardant précieusement mes pistolets tus, j'avance dans l'ombre jusqu'à être dans le feu des projecteurs. Puis je me fends, mes bras se croisent, tirent à gauche et à droite simultanément, mes jambes effectuent des mouvements complexes, des rotations pour esquiver les coups, les balles et mes flingues continuent leur route, menaçant, pleurant leurs larmes d'acier et dévastant les sbires autour de moi.

Douze, dix, huit, six, les ennemis tombent par paires, rejoignent le sol pour ne plus se relever. Une balafre me sillonne le coin du visage, un coupure au niveau du bassin laisse filer un peu trop de sang et des tas d'ecchymoses rendent mes mouvements douloureux et fragiles ; malgré tout je ne m'arrête pas, sous l'emprise de l'adrénaline, je continue telle une guillotine, sans scrupules. Je balance mon pied dans le visage d'un gars et colle un coup de crosse dans le nez d'un autre en même temps, puis décoche une balle dans la tête de chacun. Mon corps est souple, rapide et précis, comme une arme. Et chaque seconde, dans ce genre de combats, je me maudis de ne pas connaître le rokushiki. Très rapidement, il n'en reste plus que trois ; la joie me submerge à l'idée d'en ressortir vivante. Les cadavres s'amoncellent et les corps blessés ou inconscient gisent à terre par dizaines. Couverte d'éclaboussures de sang, je m'apprête donc à en finir avec les trois derniers qui se tiennent devant moi et tentent de voiler leur peur. Je jubile, déjà victorieuse. Mon doigt se presse d'avance sur la détente pour passer le nombre à deux quand une voix autoritaire résonne dans l'obscurité.

« Assez ! »


Dernière édition par Annabella Sweetsong le Mer 11 Juin 2014 - 3:18, édité 1 fois
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Comme tant d'autres, j'l'ai laissé derrière moi. Comme tant d'autres amitiés d'un jour, elle s'en va au casse-pipe tandis qu'j'peux que fuir. Elizabeth ? Annabella ? Justice ? Peu importe. J'laisse glisser un "Non..." pathétique en commençant à progresser dans la bouche d'aération. J'suis impuissant.

L'gamin rampe lentement devant moi, j'entends venir de lui quelques gémissements de douleur, assortis d'pleurs timides. De temps en temps, il se retourne. Comme pour vérifier que j'suis pas sur l'point d'lui bouffer le pied. Mais mes yeux n'sont plus écarquillés et impreignés d'regrets, maintenant. Ils sont juste mi-ouvert, blasés, vitreux, et louchant sur mon museau gris, blanc et rouge. Marécage dans ma bouche, de bave et d'sang. C'est gluant, c'est répugnant, c'est une sensation affreuse qui brouille mon attention. J'mâche, j'malaxe, j'gargouille et crache pour essayer d'évacuer le bouillon et ces morceaux d'chair incrustés entre mes crocs. Le goût ne veut pas s'en aller. Le goût se fait au contraire toujours plus fort à mesure que j'm'acharne à l'dissiper.

Plongé dans mon coaltar, l'esprit baignant au fond d'mon palais sanguinolent, j'perds tout de même pas d'vue les actions du gosse. Et quand j'l'aperçois commencer à remuer les lèvres, j'lève ma mine abattue vers lui et croise son regard, d'mes yeux qui s'efforcent à paraître doux.

P-Pourquoi vous m'avez sauvé ?
Continue à avancer...
Désolé ! Désolé ! Me mangez pas !
Mais non, je... Je... Je vois un peu de lumière. On y est presque.

Mon bandage s'défait, au fur à et à mesure que j'le frictionne contre les parois d'la canalisation. Ma guibole sera bientôt exposée au fer rouillée dans toute sa faiblesse. Quand à mon épaule, chacune d'mes impulsions pour me lancer vers l'avant m'produit un électrochoc dans l'coin de la nuque. Mon corps me tiraille et mon âme s'échauffe. Le gosse avance lentement, très lentement, c'en est agaçant, mais j'me sens pas à le presser. L'est déjà assez paniqué. Terrorisé. Et apeuré par la présence d'un requin qu'a l'museau ensanglanté collé à ses basques. Pourtant, il faudrait, il faudrait s'grouiller, se hâter, car il reste quelqu'un à sauver. La garce qui l'a giflé ! Il doit la détester. J'pense pas qu'il en a quelque chose à foutre, d'elle. Mais pour moi, elle compte trop pour que j'chasse le sort funeste qui lui pend au nez d'mon esprit.

J'entends l'môme frapper frénétiquement contre la grille d'sortie. Et pris dans son élan, il chute maladroitement à travers dans un cri surpris mignon comme tout. Après les horreurs qui se sont gravées à même la paroi intérieure de mes mirettes tout le long de la journée, c'est certain qu'il en faut bien peu pour m'paraître trognon maintenant. J'le suis dans son mouvement, m'propulse comme je peux dehors en prenant appui sur mes guiboles soeurs jumelles handicapées. Sortant à quatre pattes à une vitesse incontrôlée, j'me plante le nez dans un tas d'immondices. L'temps d'le relever brusquement, d'me secouer la trogne en crachant partout... C'est trop tard, c'tout mon visage qu'est orné de détritus collant et dégoulinant d'jus d'ordure. Et dire que j'm'étais lavé pour l'occasion... J'commence à extraire à la palme un à un les résidus des chiottes de Las Camp, tandis qu'un éclat d'rire enfantin m'résonne dans l'dos. Ça m'suffit à dédramatiser ma situation...

Hahahaha ! Euh... Désolé. Vous faites moins peur comme ça...

Y a un sourire innocent qui s'esquisse sur ma gueule souillée. Un embryon de bonne humeur. Mais très vite, les prérogatives reprennent l'dessus. Elizabeth ! Ou Annabella ! Sous l'regard maintenant interloqué du môme, j'fouille les deux coins de la ruelle du regard. Puis j'me lance dans une course boiteuse et erratique dans une direction prise au pif. M'faut des renforts. J'suis complètement conscient qu'un homme-requin couvert de sang et de déchets s'fera tirer dessus à vue s'il fonce dans cet état sur un régiment d'marines, alors en prévision, j'extirpe ma plaque de la mouette d'ma poche intérieure et la carre dans l'creux d'ma palme. J'entends l'gosse s'essouffler derrière moi. Lui adresse un oeil furtif qui constate les dégâts qui lui ont ravagé la face. Ça devrait être une urgence de s'occuper d'son cas, mais les priorités vont-et-viennent et pour l'instant, j'pense surtout à Annabella. On croule un peu trop sous les alertes rouges, en c'moment...

J'débouche sur une avenue noyée de lumière. Mes mirettes, habituées à l'obscurité de l'entrepôt malfamé et décrépit, s'prennent à fondre et commandent à mon bras d'les protéger de l'agression. Une fois un peu d'ombre revenue, j'aperçois un attroupement d'marine devant une boutique, livrant un échange musclé avec un marchand hystérique. Une partie d'ces troupes tournés vers la fumée qui s'élève depuis les entrepôts. Ils sont d'jà au courant. Alors j'fonce. Trop de confiance. Et je crie.

EH !

J'ai leur attention, et rapidement, aussi leurs fusils braqués sur moi. En mirant l'monstre qui s'approche, l'type qu'ils avaient interpellés ouvre grand les yeux et part s'barricader dans son magasin. Haut-les-mains.

TIREZ PAS ! LIEUTENANT CRAIG KAMINA, J'SUIS DE LA MARINE !

J'balance à bout d'bras mon badge dans tous les sens. Celui qui semble être le leader d'leur détachement s'avance vers moi. Putain. Putain d'préliminaires. Mais grouillez vous, merde !

Que...
Derrière cet immeuble, devant une petite cabane ! Une femme se fait agresser par un gang de la triade !
Comment ?
Dépêchez vous ! L'explosion ! Vous avez bien entendu ?
Lieutenant, ce sang ? Ces ordures ?
C'est une longue histoire... Faut qu'vous y allez tout de suite, s'il vous plaît...

Mes yeux d'requin battu n'les prennent pas au coeur. L'commandant signale à son lieutenant d'embarquer l'reste de ses troupes et d'se précipiter en direction du complexe d'entrepôts. J'prie intérieurement pour qu'ils trouvent à temps, tandis que le gradé n'cesse pas d'me sermonner.

Vous avez agi seul ? Qui est ce gamin ?
Il a besoin d'soins. J'suis toubib, je dois...
Marine, toubib ? Ça commence à faire beaucoup, pour un homme-poisson...
M'faites perdre mon temps !
JE prends la charge de cet enfant. Vous, rompez.

Il tend sa paluche au gosse, qui s'y agrippe fermement. J'sens bien qu'il hésite, le môme, et ses yeux font des allers-retours entre l'commandant et moi. M'adresse des regards que j'sens désolé, et un hochement d'tête que j'devine reconnaissant, tandis qu'il s'éloigne avec cette statue d'marbre hautaine qu'semble être cet officier. J'l'ai échappé belle, j'ai encore agi sans réfléchir. Mon apparence m'permet pas le luxe d'aborder des collègues sans devoir avant montrer patte blanche. Et en m'laissant m'écrouler contre un mur de brique rouge, qui m'rappellent fortement celles de la veille, j'médis une dernière fois c'que j'suis, une bonne dernière fois d'plus. L'requin pouilleux, creux, sirupeux que j'suis s'laisse ensuite aller à des songes plus réconfortants. Mes troubles se focalisent sur la donzelle, désormais. J'me suis sauvé, j'ai sauvé l'môme, et j'ai p'tet envoyé ces types sauver Elizabeth. Annabella. Peu importe comment elle s'nomme. Qui est-elle ? Quelles missions ? Quelle justice ? L'impression qu'notre relation n'est qu'dans un sens. Elle en sait peu de moi, mais suffisamment pour savoir qu'j'suis, malgré ma maladresse et mes affreux réflexes, quelqu'un d'confiance. Moi, j'connais rien d'elle. Elle m'aurait même menti sur son nom. Moi, j'ai été trompé et contrôlé comme une marionnette toute la journée.

C'un peu toute l'histoire d'ma vie. Vivement m'libérer d'ces chaînes invisibles qui me lient dans une grosse dépendance affective à tout ceux qui, d'aventure, se sentent à m'prêter une main secourable. J'sais toujours pas bien où j'en suis, où j'me situe. Ces émotions contradictoires et oppressantes, sont-elles des forces ? Des faiblesses ? Elles sont rares, elles sont précieuses, elles sont ma substance. Je prends trop vite pitié, j'm'attache trop facilement. Fragile, instable. Toujours impressionnable. Les choses n'ont pas cessé d's'arranger depuis que j'suis monté à la surface avec l'frangin pour découvrir de quel bois était fait l'vrai monde. Mais au fond, l'univers modèle ton esprit, mais ton âme reste la même. J'ai une âme de verre dans un corps de fer. C'est sûrement c'qui m'tuera. Et pas une fichue embuscade... Non, j'me laisserai jamais crever bêtement dans un piège tendu par une horde de ces pervers sadiques qui gangrènent un monde qui pourrait être tellement meilleur avec un peu plus de bonne volonté...

J'vaux plus que ça. Si j'dois mourir un jour, j'veux que ça soit en héros. Autant qu'j'aurais voulu qu'ma vie soit utile aux autres, faut qu'ma mort le... soit... aussi...

Gnnnn...

Mon corps s'auto-flagelle. S'crispe, s'foudroie. M'ramène à la dure réalité. Brisées par les traumatismes qu'mon corps a subi, mon esprit sort de ses méditations. Mon épaule, ma patte. J'pousse sur ma jambe valide pour m'relever, et m'lance dans la rue, au hasard. Froissant sous mes pas les amoncellements d'terre et de déchets. Je sais ce que j'ai à faire.

Trouver d'quoi m'soigner. Trouver d'quoi continuer.

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Ni une ni deux mes genoux rejoignent le sol. Privé d'équilibre, mon corps s'écroule de tout son long, animé par la volonté propre à un cadavre, celle de rester immobile. Mon bandeau voilant jusque là mon orbite vide gît à quelques mètres. Ma vision est floue, bien que j'essaye tant bien que mal de rester consciente. Il avance, sa silhouette se penche au-dessus de moi. Le coup de grâce, probablement. Mais alors qu'il est bien parti pour l'administrer, son torse se redresse subitement et ses jambes s'éloignent. Il part, il fuit, il me laisse là, vulgaire tas de viande immobile. Pourquoi ? Ah, je les entends. Je peux toujours les entendre. Les aboiement des mouettes, les hurlements des petits soldats en régiments entiers. Ils viennent vers moi. Je devine leur petit air ahuri face au carnage, je les devine intrigués par ma poitrine qui se soulève et s'abaisse, signe que je suis encore en vie. Je peux comprendre ce qu'ils disent, à défaut de les voir dans cette mélasse floue. Tourner la tête demande des efforts inhumains, mais la curiosité de savoir ce qui se passe avant de sombrer dans l'inconscience me dévore. Bientôt, trois paires de jambes s'amassent autour de mon corps inerte.

« ...bien y avoir des dizaines de corps...

- C'est elle... fait tout ça ? »

Oui c'est moi, vous voyez un autre suspect autour de vous ? Et j'aurais bien été en état de vous donner mon grade et mon nom pour que vous me fichiez la paix si Kakihara n'était pas arrivé. N'empêche, j'arrive au prix de multiples efforts à ouvrir ma bouche et à m'égosiller pour lever tout soupçon.

« Cipher... Pol... »

Les petites poules de basse-cour pinaillent, elles se répètent entre elles le terme. Aucune ne sait ce que ça signifie, fichtre. Du coup, c'est pas surprenant de voir un officier débarquer, à la suite, avec ses gros souliers et demander ce que c'est que ce raffut. J'imagine ses grands yeux vitreux lorsqu'on lui passe le mot, sa réaction ne se fait pas prier.

« Qu'on l'amène rapidement à l'hôpital ! Elle est des nôtres ! Et faites boucler le secteur nom de dieu. Depuis le temps qu'on le cherche, cet entrepôt ! » qu'il gueule.

Très vite, je sens mon corps s'élever au dessus du sol et être délicatement lâché sur un brancard. C'est doux, ça fait du bien, je suis finalement en sûreté. Je l'ai fait. Et tandis que mon œil droit se ferme, je ressasse les derniers événements qui m'avaient plongée dans un tel état.

***
« Cela suffit ! »

D'une voix grave et donneuse d'ordre, l'homme venait de jeter un froid en plein milieu du combat. A l'instar de mes adversaires, mon corps se figea et mon regard bifurqua vers le nouveau venu. Son accoutrement évoquait celui d'un criminel en cavale : partiellement tâché de sang, le code vestimentaire du maquereau était respecté à la lettre. Voyant le gaillard faire preuve d'une telle aura, avec son visage cousu de cicatrices et ses yeux de fou-à-lier, il était impossible de se tromper une seconde sur son identité.

« Kakihara... »

Un long sourire se dessina sur la bouche élargie du criminel, signe que j'avais touché juste. Jetant sa main droit en direction de l’entrepôt, il donna l'ordre aux trois compères d'aller aider leurs comparses à déménager le maximum de marchandises possible. En effet, avec un tel feu, la Marine n'allait sûrement pas tarder à débouler et ça, c'était déjà un gros coup dur pour la Triade. Une bonne partie de leur réserves resterait sur place et passerait dans les mains de la Marine, c'était sûr. J'étais satisfaite, j'avais mine de rien rempli ma mission.

« Je reconnais que tu as du cran, petite », finit-il par m'asséner.

Je me tenais droite comme un piquet, compressée par l'atmosphère étouffante de cette nuit d'été et de la présence en face de moi de l'un des plus dangereux exécuteurs de la Triade. Cet homme était réputé comme un fervent masochiste, sadique à l'esprit torturé et le fait même que Leonardo lui avait servi le quatuor du CP8 sur un plat d'argent avec en prime la promesse de lui capturer l'homme-poisson prouvait à quel point sa réputation le précédait avec précision. Les joues taillées au niveau de la bouche donc, le simple fait que la fumée de sa cigarette sortait par ses balafres était simplement stupéfiant et terrifiant à la fois. Je ne devais pas me laisser abattre pour autant, il était le dernier élément à se mettre sur mon chemin.

« Je vais en finir avec toi comme je l'ai fait avec tes sbires, au nom du Gouvernement Mondial et de la justice ! » balançai-je tout en pointant mes armes sur lui.

Il ricana. Son rire avait quelque chose de malsain, comme l'ensemble de sa personne, mais les bruits sortant de son gosier n'avaient rien d'humain : c'était le fruit du démon, le diable incarné. Hâtive d'en finir, je me jetai brusquement dans la gueule du loup en fonçant droit sur l'ennemi. Rapidement, la peur me submergea en voyant mes projectiles rater invariablement leur cible. Malgré tout je ne perdis pas espoir et me rapprochai assez pour entamer un combat au corps à corps. Le rire rauque du gaillard se faisait tonitruant, tandis qu'il esquivait sans aucune peine mes attaques en se contorsionnant comme une feuille de papier. Puis soudain, mon corps me rappela que j'avais des plaies ouvertes, que celles-ci m'avaient affaiblie et qu'elles étaient susceptibles de bloquer mes mouvements. Et ça, il ne fallut pas longtemps à Kakihara pour le remarquer.

Je hurlais tandis que l'éclair d'acier s'enfonçait dans la chair de mon épaule gauche et s'en retirait presque aussitôt. Qu'était-ce ? Un poignard ? Non, une baguette. Une simple baguette, une arme longue et tranchante en argent. Mais efficace, car mon bras tombait, lourd et inutile, lâchant Gromit ; mes muscles étaient paralysés, bloqués. Devant moi, l'homme apporta sa tige en acier à sa bouche et lécha goulument le sang dessus, comme s'il s'en rassasiait. J'essayai de lui administrer un coup de crosse dans le cou, à l'aide de mon dernier membre valide, mais échouai : sa main gauche se crispa sur mon avant-bras et avant que j'eusse pu dire « ouf », c'était son avant-bras droit à lui qui venait percuter le mien. J'entendis dès lors mon os se briser, mon épaule se disloquer et la douleur me submergea comme si un millier d'aiguilles venaient de se planter dans mon cœur. Je tentai tout de même de me débattre une dernière fois, mon genou droit vola et percuta le ventre de l'adversaire, mais il ne broncha pas ; au contraire, il savoura le coup porté et se passa la langue sur ses lèvres pour montrer sa satisfaction. Et alors, choppant ma cuisse pour m'empêcher de bouger, il m'envoya brutalement son poing dans le visage et me fit voir trente-six chandelles. Sonnée, je sentais à peine le sang s'écouler de mon nez, je remarquais à peine mon cache-œil voler derrière moi, je notais à peine le petit coup de paume dans mon plexus qui me fit tomber à la renverse. Et je restais à la disposition du monstre pour m'administrer le coup fatal.

***
Le réveil se fit quasiment aussi douloureux que le combat que me rappelaient mes songes. Je progressais dans une espèce de brouillard de douleurs, de plaies en cicatrisation et de plâtres au bras. J'avais pas besoin d'une glace pour imaginer dans quel sale état je me trouvais, mais j'étais encore en vie. A mon chevet, un petit gars de la Marine veillait, assoupi ; il devait probablement attendre mon réveil pour recueillir les détails de mon rapport. Mais il n'en serait rien. Est-ce que je pouvais me redresser ? Oui, mais ça faisait tout de même sacrément mal. Je passai mes jambes par dessus la rambarde du lit d'hôpital et posai mes deux pieds sur le carrelage gelé. Le contact avec le froid me revigora, mais en me mettant debout je sentis la douleur dans mon bassin et dans mes cuisses. Sur une table, non-loin, un repas frugal m'attendait. Je le dévorai sans faire de cas, totalement affamée. Combien de temps étais-je restée inconsciente ? Est-ce que Craig et le petit Olivier s'en étaient sortis indemnes ? J'imaginai, oui.

Une fois debout et stable, je n'ai qu'une envie : me défaire de cette fichu robe d'hospitalisé qui vous laisse les fesses à l'air et prendre une douche. Je remarque finalement avec satisfaction que mon épaule a été remise en place et que je peux bouger mes deux bras, bien que l'un d'entre eux est fiché dans une enveloppe blanche et dure. Des bandages me couvrent un peu partout et il n'y a absolument rien pour cacher mon œil meurtri. Qui plus est, il va me falloir récupérer mes armes si celles-ci n'ont pas été placée avec mes affaires. Totalement nue, j'ouvre les portes d'un placard et souris en dévoilant tout ce qui m'appartient, pistolets y compris. J'oublie pas qu'il me faudra aller faire un tour dans l'ancienne demeure de Leonardo pour récupérer Grominet, laissé à l'entrée dans son sac de sport.

Prendre une douche quand le simple contact de l'eau chaude sur une plaie à peine cicatrisée ça fait mal et qu'on a un bras totalement inutile, c'est plutôt difficile. Pourtant, j'arrive à me débrouiller plutôt bien et en ressors au bout d'une bonne demi-heure, facile. Je change mes pansements, remets mes habits qui ont été lavés et raccommodés du mieux que je peux et réveille le matelot encore endormi dans son siège.

« Eh ! EH !! » lui crié-je tout en lui tirant l'épaule.

Le gamin sursaute, arraché à sa quiétude. Il comprend pas tout, mais ses yeux s'agrandissent en voyant mon regard s'appesantir sur lui.

« Ma...mademoi...

- Passons les politesses. Euh... Tu sais depuis combien de temps je suis là ? »

Il hoche la tête. Il me dit que ça fait une semaine que je suis dans cet état. Il me dit qu'il a veillé nuit et jour. Il m'informe aussi qu'un Lieutenant est passé me voir régulièrement et qu'il a beaucoup discuté avec lui. Rien de bien anormal en soi. Je lui demande pour l’entrepôt, il me répond que tout est bon, qu'une bonne partie des marchandises ont été confisquées, que c'est une véritable victoire pour la Marine et que je suis une héroïne, avec le Lieutenant. Mon regard se veut suspicieux et mes sourcils froncés. Qui est ce Lieutenant ?

« M'enfin mademoiselle, le Lieutenant Kamina, avec qui vous étiez ! Il nous a tout raconté, d'ailleurs on m'a chargé de vous donner ceci, en raison de vos efforts. »

Le gamin me tend une valise. Je l'ouvre, regarde, referme. Je rouvre à nouveau et referme une seconde fois. J'essaye de rester inexpressive face à la masse d'argent que contient la cassette, ah...

« DEUX MILLIONS DE BERRIES ?! »

C'est raté. Le gamin recule subitement, effrayé. Je n'ai même plus l'impression de souffrir d'où que ce soit. Il est rare que je reçoive une récompense après une mission, notamment car en général celles-ci se déroulent dans l'ombre et que c'est le crédo du Cipher Pol. Cependant je pouvais m'attendre à ce que mon nom ait fait le tour de la ville et que nos actes à l'entrepôt aient déjà été relayés dans les ragots des commères des bas-quartiers. Transportée, légère, j'ouvre la porte de la chambre et me faufile dans le couloir. En passant, je bouscule sans faire exprès une infirmière qui remarque mes bandages et mon plâtre.

« Mais... Mais vous êtes... Mademoiselle, vous ne devriez pas sortir. »

Je reprends ma course, mais elle me poursuit et menace de me rattraper.

« Mademoiselle, revenez ! MADEMOISELLE ! »

Non, tu peux toujours courir, j'ai déjà perdu une semaine ici, je ne resterai pas plus longtemps. Je déteste les hôpitaux ! Tout en serrant ma valise contre moi et en trottinant à ma vitesse maximum, je pousse les lits à roulettes derrière-moi pour bloquer la voie à la chasseuse enragée. La porte n'est plus très loin, plus que quelques pas...

BLOM

Dans la précipitation je bute contre quelqu'un et c'est une odeur bien particulière qui me titille les naseaux. Craig !

« MADEMOISEEELLE !! NOOON !! »

Je jette un regard d'effroi derrière-moi. Pas le temps de rester papoter ici, je lui choppe le bras et nous précipite dehors. Il fait beau et chaud. On traverse la rue, se faufile dans une ruelle et s'arrête enfin, à l'abri de ces nurses affligeantes. Mon regard le parcourt de haut en bas dans sa tenue militaire, surprise, quand je viens m’enquérir de son état de santé sans même lui laisser le temps de placer une syllabe.

« Et sinon ça va ? Moi ça va. Euh, il faut que j'aille chez Leonardo. Enfin, là où il habitait. J'ai des trucs là-bas. Toi aussi non ? On a qu'à y aller ensemble ? Faut que je me dépêche car j'ai un bateau à prendre, hein ! Allez, on y va ! »

Et c'est au pas de course que, à peine remise de toutes mes blessures, je fonce vers la basse-ville à nouveau.

***
A l'issue de la mission, nos routes s'étaient séparées suite à de chaleureux adieux. J'avais pu remarquer qu'une pointe de soupçon habitait le regarde de l'homme-poisson au moment du départ, mais cela ne l'empêcha pas de me souhaiter bonne route et d'espérer qu'un jour on se retrouve à nouveau. Alors, emmitouflée dans mes bandages, le bras droit douloureux de soutenir le poids de Grominet récupéré à la hâte dans le lotissement du traitre et le corps endolori, j'avais attendu que le ferry faisant voiles vers Marie-Joie vienne faire étape dans cette ville sinistre et corrompue. Lorsque le navire arriva et embarqua son lot de passager plus qu'il n'en recracha, je fus la dernière à rejoindre le pont, aidée par un matelot ayant remarqué mon aspect piteux et désireux de porter mon sac de sport. Et alors que je m'éloignais lentement de la rive, le regard posé sur l'homme-poisson, je souriais malgré moi et jespérais que mon petit cadeau allait lui plaire.

Car près de lui, sur l'embarcadère des quais, une petite valise noire était resté là, par terre, volontairement oubliée ; une petite valise noire pleine de billets.
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