Putain. Fais chier. Il pleut.
Après c'te croisière surprise, on avait tous besoin d'un petit peu de repos. Ces fous, ces sauvages tribaux, toute cette violence, tous ces cadavres... Truc de taré. Personne n'a aimé ce voyage. Personne n'aurait pu aimer ce voyage. Et moi, moi... Je m'attendais pas à ressentir ça.
On était tous lessivés, et tous nos vêtements puaient le sang et la saleté. Jamais vu autant de rouge sur du gris. Jamais vu autant de têtes sur des lances. Jamais vu une ambiance pareille, moi. C'en était presque beau. Et c'est pour ça qu'on est venu ici. Il nous fallait du repos de tout ça. Marre que tout le monde veuille notre peau, marre de se dire qu'en une journée, on a failli y passer trois fois. Marre de se dire que la prochaine, c'est pas sûr qu'on fasse les bons choix. C'est même pas sûr qu'il y ait un bon choix. C'est même pas sûr qu'on puisse le reconnaître. Marre de pas être sûr, marre de réfléchir, marre de penser de cette manière, tout simplement. Alors on est venu là.
Putain. Fais chier. Il pleut.
Ouais. Quand on est arrivé, on était plus épuisés qu'autre chose. Nos sourires factices qu'on instaurait, pour pas perdre la face. Ce faux sentiment d'assurance, parce qu'on est encore vivant. Cette reconnaissance sans cible, ce sentiment d'être vivant, de s'en être sorti. Cette joie qu'on aurait voulu ressentir. Conneries. Je sais pas pour eux, mais moi, tout me paraissait faux. Tout n'était que vaste mensonge. peut-être que j'ai pas les bonnes lunettes pour voir le monde ? Peut-être que j'me rend pas compte de tout ? J'en sais rien. Mais j'en ai rien à faire. Moi, ça m'a juste paru mensonger sur le coup, hypocrite, factice. Et je pense pas pouvoir être quelqu'un d'autre que moi, au final.
Je n'en veux pas, aux Despe, faut pas croire. Loin de là. Et d'ailleurs, je râle, mais j'aurais sûrement ressenti tout ça en temps normal. Pour de vrai, cette fois-ci. Mais non, non, non. C'est pas le cas. Donc moi, j'ai besoin de ma dose de réalité. J'ai pas envie de rester là, dans c'te foutue ville trois fois trop calme, pour un repos que j'aurais jamais, avec une famille qui cherche autre chose que ce que moi je veux trouver, pour le coup. J'ai pas besoin de ça. J'ai pas envie de panser mes blessures, d'être reconnaissant, ou d'apprendre de celles-ci. J'ai pas besoin de ça. Je veux ma dose de réalité. Je veux me rappeler que cet univers veut ma peau. Je veux me rappeler que chaque seconde est une bouffée sur la cigarette que je suis, je veux me rappeler que chaque pas sera peut-être mon dernier si je fais pas gaffe. Ce monde me veut mort. Si je l'oublie, je suis foutu.
Je tire sur ma clope. Une grosse bouffée. La voilà. La seule dose de réalité que j'ai sur Kage Berg. Une clope sous la pluie. Et je les sens, ces gouttelettes acérées qui martèlent mon corps. Je les sens, ces quasi-grêlons qui veulent me déchirer. Peut-être que j'ai pas les bonnes lunettes pour voir la vie. Peut-être bien. Mais j'ai pas l'impression que je serai heureux un jour. J'ai pas l'impression que je pourrais respirer une seconde, non. J'ai pas l'impression que d'avoir ce luxe-là. Aucun d'entre nous d'ailleurs. C'est ce que je pense. peut-être que c'est que sur le coup, peut-être que j'me trompe. En tout cas, je veux pas me mentir à moi-même. Sur un monde où tout est discutable, je veux au moins pouvoir être sûr d'une chose. Avoir un point fixe. Un 0.0.0. Et vu que tout est discutable, alors que ce point soit moi. Je serai ma vérité.
Tiens. Une fille. Elle marche dans ma direction. Ou je marche dans la sienne, au choix. Au sein de cette plaine abandonnée, trois fois trop calme pour ce que c'est. Qu'est-ce qu'elle fout là ? Ah, et puis merde qu'est-ce que j'en ai à foutre, au fond. Je suis pas en état de parler, de faire comme si de rien était. Ça m'a jamais intéressé d'être factice. Mais bon. Faut dire qu'elle passe pas inaperçue.
Des sacrées formes, c'te nana. Des habits qui rendaient honneurs à celles-ci aussi, sans passer dans le vulgaire. Un pull, tout ce qui a de plus simple. Une cigarette. Une posture un peu timide. Je vois pas ce qui était intéressant. Ah, un œil en moins aussi. Bon, ça au moins ça sortait de l'ordinaire. C'était peut-être ça. Ou peut-être pas. Peut-être que je me fais des idées. Je vois pas ce qui m'intrigue chez c'te fille. J'me suis peut-être trompé. Je passe à côté d'elle, sans dire un mot.
Et soudain, une autre sensation. Un sentiment de fragilité désespérée, un sentiment... étrange. Un truc s'émanait de cette fille, un truc... Un truc. Je pourrais pas dire plus. Un truc qui cloche, un truc qui change, un truc particulier. Ça me laisse pas de marbre. Je pense que ça doit être ça. Comme les fumeurs reconnaissent leurs semblables, j'ai peut-être trouvé de la folie dans ce p'tit bout de femme. Et je sens comme une connexion, comme une ressemblance malsaine. Comme un lien qui se forme entre cette inconnue et moi. Comme... Comme...
Et je continue de marcher. Je me fais sûrement des idées. Et puis de toute manière, quelle importance ? On se serait oublié à la fin de cette conversation. Les fous, les fous, ils sont jamais très stables. On se serait tout simplement oublié. Mais... Remarque, vu qu'on se serait oublié, qu'est-ce qui changerait si on se parlait ? Si on se confiait, entre tarés ? Et puis, pour aller dans l'absurde, même si on se caressait en se chuchotant qu'on allait se mutiler sauvagement, qu'est-ce qui changerait ? On se serait oublié de toute façon. Je peux pas être le seul à ressentir ce truc. Alors pourquoi pas ?
Je m'arrête alors, et je me retourne. Je l'interpelle, avec mon large sourire plein de dents, qui n'est propre qu'à moi.
"Et si ma seule envie à ce moment, c'était de déchirer ta nuque avec mes dents ?"
Dernière édition par Axel "Chainsaw" Giriko le Mer 2 Juil 2014 - 23:31, édité 4 fois