Alexandre Kosma
19 Octobre 1634.
« Nous assistons aujourd’hui aux funérailles du très regretté Alexandre Kosma, colonel d’élite de la marine, ayant accédé à ce poste récemment, après s’être illustré lors de nombreux affrontements. Le colonel Kosma était pour beaucoup un ami, un père, un camarade, un bon officier, propre à la tâche, sans la moindre bavure sur son dossier. Il restera dans la mémoire de tous ceux qui l’ont connu. Si toutes ses entreprises n’ont bien entendu pas obtenu le succès escompté, il restera un homme de talent sur qui l’on pouvait compter en cas de problèmes. À tout égard, cet homme était bon, juste, et le voir partir à seulement cinquante-six ans, d’une bête rupture d’anévrisme nous laisse tous absolument sans voix. Respectons donc une minute de silence en sa mémoire… »
Tout le monde dans le cimetière était tourné vers le cercueil, tous baissaient les yeux et la tête, tous étaient prostrés, repliés sur eux-mêmes. On voyait des larmes couler le long des joues, on entendait quelques brefs sanglots. Certains regardaient leurs pieds, mais d’autres, sans doute obnubilés par le corps du défunt, le fixaient. Quand il serait recouvert d’un linge blanc, ce serait fini, on apposerait le couvercle, puis on le descendrait à jamais dans la tombe. C’étaient sans aucun doute les derniers instants pour poser un regard sur cet homme.
En attendant, il était là, presque identique à l’ordinaire, reposant du long de son mètre quatre-vingt au fond du cercueil de bois ouvré. On pouvait aisément deviner sous sa chemise et son long manteau gris une musculature très développée, du muscle à l’état brut plus que travaillé, un physique imposant, sans doute trop par endroits. Le bonhomme n’était pas aussi colossal d’habitude, et si le chagrin n’avait pas été là pour aveugler la foule tout autour, on l’aurait sûrement remarqué.
Mais les gens étaient plus concentrés sur son visage désormais totalement éteint. Ses cheveux blonds en bataille, comme toujours mal coiffés, encadraient un visage d’ordinaire souriant et avenant. Son sourire souvent moqueur ou plutôt taquin, accompagné de ses yeux bleus pétillants donnait envie de sourire avec lui. Là, il était comme dans tout moment grave, de marbre, sans émotion, il avait un air assez sérieux, comme s’il se souciait de cette atmosphère lourde qui régnait autour de lui.
Pourtant il avait toujours paru insouciant le lascar ; du début à la fin de sa vie il s’était promené avec un vague sourire aux lèvres, même quand les pires choses lui tombaient dessus. Ça en avait énervé plus d’un, ce sourire. Ce sourire et cette façon de débarquer toujours à l’improviste dans n’importe quelle situation comme si c’était une fête d’anniversaire. Le pire c’est quand il faisait ça aux fêtes d’anniversaire.
L’homme chargé de l’éloge s’éclaircit la voix, leva les yeux sur toutes ces personnes en deuil et reprit.
« Alexandre était un homme d’une grande droiture, qui aidait son prochain quel qu’il soit. Nous nous en souviendrons comme un homme protecteur et aimable, un homme qui pensait qu’il ne pouvait être heureux tant que les gens autour de lui ne l’étaient pas. Un homme pour qui sauver des vies était important, indispensable même. Un homme sur qui chacun pouvait compter, qui ne s’arrêtait pas tant qu’il n’avait pas donné son maximum ou qu’il n’avait pas réussi ce qu’il comptait faire. Un homme persévérant et combattif qui n'utilisait la force qu’en ultime recours.
C’était aussi une personne aimée de tous ; cette gouaille, cette arrogance, ces taquineries de temps à autre, tout ça faisait que chacun le portait dans son cœur, aimait passer un moment avec lui.
Ses collègues de la Marine ne démentiront pas mes propos : il était très efficace en combat, mais préférait la diplomatie, quand il pouvait arranger les choses sans frapper, il se débrouillait pour calmer les ardeurs de ses pairs et celles de ses adversaires. C’était un pacifiste, préférant toujours la manière douce.
Et c’est pour toutes ces raisons qu’il était aimé et qu’il nous manque aujourd’hui. Qu’il repose en paix. »
Bien entendu, c’était un portrait très positif qu’il dressait. Car Alexandre Kosma n’était pas si parfait. La plupart de ses qualités faisaient office de défauts à force de répétition, on ne supportait plus être toujours surveillé par lui, comme si l’on n’était incapable de se débrouiller tout seul. Et puis cette tendance à ne jamais se plaindre pouvait parfois irriter, à se demander si quelque chose pouvait le perturber ou lui faire du mal, personnellement. Mais le point le plus exaspérant chez cet homme c’est qu’il était têtu, et que rien ne pouvait l’arrêter dès qu’il avait l’intention de faire quelque chose, excepté un bon coup de pied dans les parties ou autre chose du même acabit.
« Je…
-Oui madame Kosma ?
-Je suis très touchée de l’hommage que vous lui faites monsieur. Je voudrais tout de même apporter quelques compléments pour tous ceux qui sont là et qui restent figés d’incompréhension.
-C’est-à-dire ?
-Quand j’ai accouché d’Alexandre, nous vivions sur Cocoyashi mon mari et moi et tout se passait à merveille. Malheureusement, nous ne tardâmes pas à découvrir que notre enfant était atteint d’une maladie hypertrophiante, qui développait l’intégralité de ses muscles. Nous croyons au départ que ce ne serait pas un problème, mais l’avis de plusieurs médecins nous indiqua le contraire : si nous laissions se développer ses muscles sans enrayer la maladie, il risquait de mourir prématurément.
Je sais que j’aurais très certainement dû le dire à certains d’entre vous, mais après l’avoir couvé toutes ces années, lui faisant subir traitement sur traitement, le chouchoutant, y faisant attention comme à la prunelle de mes yeux, il devint très rapidement très secret sur ses propres problèmes et mima cette attitude protectrice qui l’a caractérisé toutes ces années.
Quand il quitta le domicile familial, des années après, il était toujours sous traitement hormonal, il s’astreignait à des cures plutôt longues et de longs moments de repos pour faire fondre la masse musculaire qu’il avait inévitablement engrangée. J’ai été contre son entrée dans la Marine, je trouvais ça trop dangereux ; j’ai eu tort sans doute puisqu’il a réussi à merveille.
J’espère que ces quelques explications en auront éclairé plus d’un sur la vie et le comportement de mon fils, je doute qu’aucun d’entre vous n’ait jamais rien su de cette maladie. »
La foule de regards était désormais tournée vers elle. Chacun y allait de son air abasourdi. Personne n’aurait pu se douter qu’Alexandre avait été malade toutes ces années. Rien ne l’avait laissé paraître. Si ce n’est la lenteur du bonhomme à grimper les tout premiers échelons. Tout le monde pensait que c’était un choix de rester si longtemps parmi la masse. Le choix avait été un peu forcé. Il avait failli, à plusieurs reprises être promu, mais avait à chaque fois décliné, prétextant n’être pas qualifié pour le poste ou une autre bêtise du genre.
« Excusez-moi… Intervint une voix.
-Vous êtes ?
-Jäak Hadži, Marine d’élite. Ancien compagnon d’armes de Kosma. Je voudrais ajouter quelques mots.
-Allez-y.
-Je ne sais exactement comment a commencé sa carrière. Ni quand et comment il a rencontré mon père. Quoi qu’il en soit, il y a presque vingt-cinq ans, mon père me poussant à rentrer dans l’élite m’envoya à lui. Ils se faisaient confiance, mutuellement. Mon père devait savoir, pour sa maladie. C’est lui qui m’a redonné goût au travail. On était efficaces ensembles. Et ensemble on l’est restés jusqu’à une opération qu'a pas bien tourné. Il a essayé de limiter les dégâts… Ça m’a détruit. Lui est revenu plus tard, toujours souriant, toujours en quête de faire sourire le monde. C’était un gars bien. Je le regretterai. »
L’homme s’effaça, laissant planer l’ombre de son témoignage sur le reste du cimetière. Lui aussi se demandait comment il n’avait pas pu découvrir les problèmes de Kosma. Et il le savait. Il les avait si bien cachés durant toutes ces années… Satané lui.
Toute sa carrière il avait fait en sorte que personne ne sache rien de son état. Sa maladie avait provoqué plusieurs petits incidents tout du long, si bien qu’il passait la plupart de ses congés sur un lit d’hôpital, à se reposer pour pouvoir repartir en mission sans inquiéter ses supérieurs. Il avait réussi tant bien que mal à cacher son mal de tous. Tout ce temps.
Y compris de sa sœur cadette, avec qui il s’entendait comme cul et chemise mais qui, elle, avait choisi une voie différente, celle de la piraterie. Il s’était efforcé tout du long à la convaincre de rentrer sur le droit chemin, mais rien à faire, elle avait continué ses forfaits, en essayant de se débarrasser sans arrêt de son protecteur de frère. Et là, elle revenait pour le voir une toute dernière fois, un peu en retrait, cachée par une capuche.
Sa femme était là aussi, triste et éplorée. Enfin, sa femme… Il ne l’avait jamais épousée, beaucoup trop de chances qu’elle découvre ses problèmes, et c’était hors de question qu’elle sache quoi que ce soit sur lui, alors il avait été fidèle… Souvent. Et maintenant, il était mort sans l’avoir demandée en mariage, et sans lui avoir jamais parlé de ses problèmes, ni qu’elle en eût jamais rien su.
Le seul moment où elle aurait pu savoir que quelque chose n’allait pas datait d’une dizaine d’années, peut-être moins à la réflexion. Il avait subi un accident plus violent que les autres et avait dû être hospitalisé d’urgence, racontant ensuite malgré les questions inquiètes de sa compagne et de ses proches qu’il était tombé sur un bonhomme plus fort que lui qui lui avait frappé dessus un peu trop violemment. C’était à partir de cet accident qu’il avait décidé d’accepter de monter en grade, d’abord parce que la médecine avait fait de fulgurants progrès sur ce qui le concernait, mais aussi pour éloigner tout soupçon quant à un éventuel problème.
La cérémonie touchait à sa fin, deux fossoyeurs vinrent visser le couvercle du cercueil après que le corps ait été recouvert d’un linge. On déposa le caisson de bois au fond du trou creusé pour l’occasion et, un à un, chacun vint jeter une pelletée de terre pour célébrer le départ d’Alexandre Kosma. Comme l’avait dit l’orateur, paix à son âme.
Test Rp :
Une clope au bec. Un briquet. Pas de tabac, eucalyptus ou un truc du genre, il n’en sait trop rien, ça fait partie de son traitement. C’est pour ralentir les battements du cœur qu’ils lui ont dit. C’était soit ça, soit des cachets à la con. Des conneries. Il en a déjà assez comme ça des bonbecs, pas vraiment la peine de s’en rajouter. Et puis de toute manière, fumer ça calme les nerfs, ça lui permet de réfléchir. Et réfléchir, l’aime ça le gonze, ou plutôt l’a pas vraiment le choix. C’est ça ou cogner, et cogner ça fait du bien ni à lui ni aux autres, alors tant qu’à faire, faut réfléchir.
« Soldat ?
-Mmh ?
-Vous pourriez venir voir deux minutes ? »
Des dix soldats d’élite qui avaient été appelés pour l’affaire, Kosma était pour le moment le seul à être convoqué auprès des supérieurs. Etrange. Ils étaient là plus pour la forme et pour appuyer les négociations musclées que pour un face à face avec un gradé. Autant écouter, ça ne fera pas de mal. Kosma termina sa cigarette en chemin, se gratta machinalement les cheveux, puis son embryon de barbe et entra à la suite du lieutenant.
« Kosma, c’est bien ça ?
-Tout juste. J’peux savoir pourquoi je suis là ?
-Les pirates que nous pourchassions ont accosté sur une petite île dans le coin, nous les avons localisés…
-En quoi ça me concerne particulièrement ?
-Vous êtes plutôt axé discussion que castagne, je me trompe ?
-Ahah, non commandant, vous avez raison. Mais je dois dire que ça ne m’éclaire pas beaucoup plus, vous voulez leur tailler une bavette maintenant ? J’croyais que c’était pas vraiment votre genre de câliner du pirate.
-C’est-à-dire que nous n’avons plus vraiment le choix.
-Quelque chose a merdé ?
-Ils ont pris une école d’assaut, et il y a une classe de gamins qu’est séquestrée.
-Ah ouais, quelque chose a merdé…
-Ils nous laissent une heure pour tout régler, les faire sortir de là, avec un navire neuf et un médecin, chose qu’on aimerait éviter de faire, c’est dans vos cordes ?
-Peut-être, ils feraient quoi au bout d’une heure si jamais on n’obéissait pas ?
-Un massacre… Les gamins d’abord, puis eux par la suite.
-Les cons…
-J’vous le fait pas dire. Vous dirigez les négociations ?
-J’ai pas bien le choix. Vous me donnez des gars pour m’épauler ?
-Bien sûr, vous avez carte blanche dans la limite de nos moyens.
-D’accord, et ne vous inquiétez pas, j’vais les sauver ces gamins, fit Kosma avec un large sourire. »
Bon, il ne fallait pas traîner. Une heure, les cons, c’était court, trop court. Il fallait y aller franco, au risque de faire une ou deux erreurs pour sa propre survie. Alexandre commença par demander un mégascargophone, chose toujours utile quand il fallait discuter de loin. Car oui, il doutait qu’on le laisse approcher ne serait-ce qu’un minimum de l’école. Puis, il demanda à deux de ses collègues de venir avec lui, il choisit ceux qui avaient l’air d’avoir le plus de cervelle, ça ne serait pas de trop.
***
Un peu plus tard, Alexandre Kosma, entouré des deux armoires à glace approchait tranquillement de l’école. Il lui restait un peu moins de trois quarts d’heure pour arriver à un accord avec les truands. Ce n’était pas suffisant, loin de là. Il ferait avec. Il avait un escargophone dans la poche, le commandant se devait de connaître l’avancement des opérations et il devait pouvoir lui fournir ce qu’il demandait le plus rapidement possible.
Les pirates ne tardèrent pas à repérer le petit groupe et quand ceux-ci arrivèrent à une centaine de mètres, ils demandèrent de s’arrêter ; d’un coup de feu dans leur direction. Plutôt efficace il faut le dire. Un léger sourire se forma sur le visage de Kosma, imperceptible de là où ils étaient, mais ils ne tarderaient pas à sentir l’assurance du bonhomme. Celui-ci porta le mégascargophone à ses lèvres.
« Bien le bonjour messieurs ! Retentit la voix du Marine. Mes deux camarades et moi sommes ici pour que tout se termine pour le mieux, pour tout le monde. Nous souhaitons éviter les accidents.
-C’est ça, répondit une voix, sortant elle, des hauts parleurs de l’école. C’est marrant, mais j’ai du mal à croire qu’on nous envoie des bourrins de l’élite pour autre chose que nous dérouiller un brin.
-Ahah, qu’est-ce que je peux faire pour vous prouver que je ne souhaite que parlementer ?
-Tuer tes deux potes balèzes, pour commencer.
-Okay, on ne s’est pas bien compris ! Vous n’avez pas le choix, soit vous discutez avec moi, soit mes deux potes balèzes s’en chargent. Et j’ai bien l’impression que vous feriez mieux de choisir la première option. En tout cas, si vous voulez passer le restant de vos jours autre part que sur un lit d’Hôpital ou dans une prison. J’pense que j’suis un gars plutôt sympa, donc à vous de voir.
-…
-Alors ?
-Vous allez céder à nos exigences ?
-Ça y est, la discussion a commencé ?
-J’crois ouais…
-Bah, fallait le dire, on s’est pas présentés. Moi c’est Alexandre Kosma, cherches pas, tu dois pas connaître, lui c’est Kurt, dis bonjour Kurt, et lui c’est Bart, pareil Bart.
-Bonjour, grommelèrent les deux costauds.
-Voilà, à vous ! Vous êtes combien là-dedans ?
-Euh, un, deux, trois, quatr…
-Chef, vous lui donnez nos effectifs là, non ? C’est pas un peu une connerie ?
-Mais non, il a dit bonjour, il est réglo.
-C’est bien ce que je me disais, c’est une connerie…
-Nous on est quinze ! J’suis le nouveau capitaine de ce qu’il reste de notre équipage, je suis Barbidur !
-Euh… Tu t’appelais pas Gontrand ?
-Sisi, mais chuut, j’suis capitaine pirate, j’me colle un nom qui jette !
-Un nom qui jette, question de point de vue, et t’es imberbe en plus, pas de quoi te coller un barbetruc.
-Bon, et mon second qui fait que m’embêter depuis tout à l’heure, c’est Barbecue ! Ouais, lui aussi voulait un surnom avec Barbe…
-MAIS JAMAIS DE LA VIE, MOI MES PARENTS M’ONT DONNE UN NOM QUE JE N’AI PAS HONTE DE PORTER !
-Ah ouais ? Et c’est quoi ?
-Ben Kelvin.
-Ah ouais, t’as raison, c’est classe. On votera plus tard pour savoir ce qui est le mieux entre Kelvin et Barbecue, je persiste à trouver Barb…
-Bon, les guignols, on a fini de discuter sans nous, on va être jaloux à force, ahah !
-Ouaip, donc appelez nous Barbidur et Kelvin, on se débrouillera ensuite pour régler nos conflits internes !
-Bon, Barbidur ! Vous êtes certains que vous souhaitez flinguer votre vie et celle des enfants avec ?
-Bah, non ! On ne le fera pas si vous nous donnez ce qu’on a demandé !
-Et vous avez demandé quoi déjà ?
-Moi j’voulais une bouteille de rhum, mais Kelvin et les autres préféraient un bateau…
-Ouais, on est tous tombés d’accord sur un bateau et un médecin, le médecin, c’est pour Annie qui a d’affreux maux de ventre depuis qu’elle a goûté la purée de la cantine, et aussi pour deux ou trois autres qui ont un peu souffert de l’attaque de vos supérieurs.
-Du genre ?
-Bah, Barbidur a une entaille longue comme le bras qui commence à verdir au niveau du tibia, mais il dit que ça va plutôt bien, et on a un homme qui a une écharde dans le pied, ça enfle et c’est pas agréable selon lui.
-Eh, pourquoi c’est toi qui parle ? C’est moi le capitaine !
-Bon, je vais voir ce que je peux faire pour vous. »
Le Marine coupa le haut-parleur et interrogea du regard ses deux comparses. Bart avait, à peu de choses près, suivi ce qui s’était dit, bien qu’il n’ait pas tout à fait pigé qui était qui dans l’affaire. Kurt avait perdu le fil au moment où ça avait commencé à se battre sur les noms. Bref, rien d’anormal. Alexandre refit donc un bref topo sur la situation. Les deux gonzes n’avaient pas l’habitude de réfléchir, ils étaient payés pour frapper, pas pour se frictionner les neurones.
« J’pense qu’ils peuvent aller se brosser pour qu’on leur accorde tout ça…
-Ouais, pareil.
-Ce sont des pirates, ils tuent des innocents, ils menacent des gamins, et ils veulent qu’on les laisse partir ? J’suis pas d’accord.
-Ouais, pareil !
-Je serais plutôt d’avis de trouver un compromis, suggéra Kosma.
-Ouais, pareil.
-Bon, on appelle le commandant et on avise ?
-Ouais, pareil.
-Ca veut pas un peu rien dire ce que tu viens de jacter Kurt ?
-Chais pas Bart, il a l’air content, il sourit. »
Décidemment, il n’était pas entouré de lumières. Entre les pirates et ses camarades… Heureusement que le commandant en avait un peu plus sous la casquette, ça lui ferait au moins un interlocuteur sensé. Il sortit le petit escargophone de sa poche et la sonnerie retentit à l’autre bout.
« Ah, Kosma, vous avancez ?
-Pour le moment, ils restent ancrés sur leurs positions, mais je pense qu’il y a moyen de les avoir.
-Comment ça ?
-En leur fournissant ce qu’ils veulent.
-C’est un moyen de les arrêter ça ?
-C’est un moyen de les arrêter sans qu’il y ait de blessés, que ce soit dans notre camp, ou dans le leur.
-Et comment ? »
Alexandre sourit. D’un sourire tout à fait fier de l’idée qui lui avait traversé l’esprit. Il aurait besoin d’un navire et d’un médecin. C’était une idée trouvée rapidement, ce n’était pas sûr que ça fonctionne, mais il n’avait pas le temps de trouver mieux. Déjà plus de trente minutes s’étaient écoulées depuis que les pirates avaient adressé leur ultimatum. Kosma reprit l’escargophone pour répondre à la voix du commandant qui semblait répéter inlassablement sa question, entrecoupée de petits appels pour savoir s’il y avait toujours quelqu’un à l’autre bout.
« Oui oui commandant, je suis toujours là, je réfléchissais.
-Et bien réfléchissez plus vite, et dites-moi comment vous comptez vous y prendre ?
-Tenez-vous bien commandant, par la ruse.
-Merci, je ne m’en serais pas douté…
-Ah, et je vais vous renvoyer Kurt et Bart, j’ai cru qu’ils pouvaient m’être utiles, mais en fait non… Ils serviront plus en cas de problèmes.
-En cas de problèmes ? Vous voulez dire que vous n’êtes pas sûr de ce que vous faites ?
-Absolument pas, mais j’ai pas le temps pour ce genre de détails. »
Clak. Alexandre avait raccroché. Discuter plus longtemps aurait inévitablement fait rebondir le commandant sur la question de ce qui allait se passer, et c’était pas trop le genre du gars de dévoiler ses plans. Surtout qu’on lui avait donné carte blanche. Bon, il fallait recontacter les pirates, mais avant ça, renvoyer les armoires à glace auprès du reste de la petite troupe d’élite. Les deux ne se firent pas prier, ils ne voyaient pas bien ce qu’ils faisaient là de toute façon, puisqu’on leur avait dit que ce ne serait pas pour cogner.
« À vous mes cocos, pensa tout haut Alexandre avant de rallumer son mégascargophone. Hého, vous êtes toujours là !!!?
-Bah, ouaip, vous êtes d’accord pour céder ?
-Plus ou moins, je n’ai obtenu qu’un accord partiel.
-Je m’en doutais, c’est fourbe un marine d’élite…
-Je suis chargé de venir vérifier que tout le monde va bien à l’intérieur, avant de vous accorder quoi que ce soit.
-Vous viendrez seul ?
-Bien entendu.
-Alors marché conclu, venez !
-Idiot, t’aurais dû lui dire de mettre les mains sur la tête et d’arriver jusqu’à nous en marche arrière et en levant les genoux !
-Les mains sur la tête, ça suffit, non ?
-Ouais, mais c’est moins marrant…
-Bon, monsieur le Marine qui avance dans notre direction ! Mettez les mains sur la tête ! »
Kosma s’exécuta, toujours avec ce même sourire. Il avait affaire à deux profonds crétins, subordonnés probablement d’une clique tout aussi peu maligne ; il se doutait bien que si quelqu’un avait été un peu plus intelligent dans le groupe, ç’aurait été lui à sa tête. Il faudrait tout de même compter sur le fait qu’ils ne seraient pas suffisamment cons pour oser s’en prendre à lui. Il passa donc les portes de l’école les mains sur le dessus du crâne, attendant patiemment que quelqu’un se dévoile. Ce qui ne tarda pas à arriver. Un homme mal rasé au physique trapu s’approcha du Marine.
« Moi c’est Kelvin, les autres attendent dans la salle de classe, j’vais vous fouiller et quand on sera sûrs que vous n’avez rien sur vous, j’vous amènerai là-bas.
-Ça me va. Mais bon, je ne suis pas assez con pour avoir emporté autre chose que mon escargophone et le méga que j’avais pour vous parler tout à l’heure.
-On vérifie quand même, question de sécurité, il y a des enfants là-dedans, on ne voudrait pas que vous les blessiez malencontreusement.
-J’pensais que c’était nous qui nous préoccupions de leur sort jusqu’ici. »
Une fois la fouille au corps terminée, Kelvin mena Kosma jusque dans la salle de classe où tous les gamins, protégés par deux maîtresses pas très à l’aise, étaient recroquevillés dans un coin. Certains avaient des yeux grands ouverts, d’autres pleuraient en silence. On avait dû les obliger à se taire, sinon, il y en aurait bien eu un ou deux pour crier. Une fois que le Marine se fut chargé de vérifier que tout le monde allait bien, jetant un rapide coup d’œil à la marmaille et demandant aux deux adultes, il se retourna vers Kelvin qui lui présenta Barbidur. Il n’aurait de toute manière pas été bien difficile de deviner que c’était lui. Il était adossé à l’un des murs, un escargophone à la main, probablement celui relié aux haut-parleurs de l’école, et sa jambe, mise à nu dégoulinait. Un liquide verdâtre, peu ragoûtant.
« Bon, je vais aller droit au but, mes supérieurs et moi-même sommes prêts à vous fournir un navire. Sous certaines conditions tout de même.
-Lesquelles ?
-J’y vient. Nous sommes aussi à même de vous soigner. D’abord, il faudra relâcher un par un tous les enfants.
-Et quelle est l’assurance qu’on ne nous attaquera pas ?
-Jusqu’à ce que tous soient sortis, vous n’avez rien à craindre de toute façon. Puis une des deux jolies jeunes femmes qui se trouvent ici-même restera avec moi entre vos mains. Cela devrait garantir votre sécurité, vous ne croyez pas ?
-Continuez…
-Vous devrez tout de même fournir deux otages à mes supérieurs, qui ne vous seront rendus que lors d’un échange, afin que vous respectiez votre part aussi.
-Continuez…
-Nous vous enverrons un médecin qui se chargera de vos blessés, et lorsque chacun sera retourné de son côté, nous vous laisserons repartir.
-Continuez…
-J’ai fini…
-En fait je trouvais ça super classe de dire « continuez » avec un regard mystérieux et en chuchotant…
-Bon, vous êtes d’accord avec tous les termes du contrat ?
-Il faut que mon second et moi délibérions.
-Moi j’suis d’accord, on est partis ?
-On a délibéré là ?
-Ouaip, on est rapides à prendre des décisions, hein Gontrand ?
-Barbidur… »
Alexandre rappela son supérieur, lui demandant si le navire qu’il avait demandé et le médecin étaient prêts. Apparemment, on avait suivi ses directives à contrecœur, mais on les avait suivies quand même. Il informa le commandant d’envoyer des gens pour réceptionner les enfants. En évitant Kurt, Bart et tous les balourds qui pourraient les effrayer plus qu’autre chose, précisa-t-il. Puis, enfin, il dévoila une partie du plan. Celle qu’il venait d’exposer aux pirates. Il aurait bien le temps de toucher quelques mots supplémentaires au commandant plus tard. Une fois que ce dernier ait trouvé ce plan totalement ridicule, Alexandre raccrocha et ordonna aux pirates de commencer à évacuer les enfants.
***
Tous les gamins étaient désormais sains et saufs. Ne restaient plus dans la salle de classe que les quinze pirates, Kosma et sa charmante compagne avec qui il n’avait pas arrêté de discuter. D’abord pour la rassurer, parce que bon, leurs compagnons forbans n’étaient pas la compagnie la plus appréciable qui soit, mais aussi parce que franchement, elle valait le coup d’œil. Elle était très cultivée, et bien plus intelligente que tous les autres gus réunis dans la pièce. Un pur moment de plaisir.
« Ça va Hélène, vous tenez le coup ?
-Heureusement que vous êtes là.
-Ahah, vous êtes otage à cause de moi et vous me remerciez ?
-C’est parce que je suis certaine que vous allez nous sortir d’ici.
-J’aimerais avoir autant d’assurance que vous, plaisanta-t-il.
-Bon, monsieur le Marine et madame l’institutrice ! On ne va pas tarder à y aller, vous restez ensemble et vous ne faites pas de gestes suspects. On vous tient à l’œil.
-Les deux otages que vous deviez envoyer sont arrivés ?
-Oui, pas de soucis. On a le champ libre jusqu’au navire, ensuite nous procéderons aux échanges.
-C’est bien.
-Quelle autorité… »
Alexandra se leva, aida la jeune femme à faire de même puis, la prenant au niveau de la taille, avança avec elle, encadré par plusieurs pirates. Il recommença à discuter comme si de rien n’était, tout en sortant de l’enceinte de l’école. Pour le moment, il était le seul au courant de la suite des événements, en tout cas si ça se passait comme il le désirait. Ils parcoururent la distance qui les séparait du navire, observés de loin par les Marines d’élite. Si Alexandre ratait son coup, il allait probablement avoir un blâme, pour n’avoir pas prévenu ses supérieurs de ce qu’il comptait faire. Tant pis, il fallait prendre ce risque. Et puis c’était trop tard.
« Barbidur ?
-Oui ?
-Vous feriez mieux d’aller vous faire soigner directement, le médecin est sur le bateau, laissez le commandement à Kelvin, vous le reprendrez quand vous irez mieux.
-Nan, mais ça va !
-Vous boitez et votre blessure saigne de nouveau, mais ça va ?
-Bon, d’accord, Kelvin, tu dirigeras les opérations, que tous ceux qui ont besoin de soins me suivent, les autres, restez pour veiller que tout se passe bien.
-Dernière chose, je vous conseille de lui demander une injection d’Anectine, ou quelque chose du genre, ça soulagera vos douleurs. »
Si Barbidur était assez stupide pour demander ça au médecin, le tour serait presque joué, il ne lui resterait plus qu’à s’occuper des quelques pirates encore valides. Il venait de lui suggérer une injection de paralysant musculaire, chose que lui-même utilisait assez souvent pour endiguer la maladie. Sur des muscles normaux, ça empêcherait tout bonnement le bonhomme de bouger. Kosma se concentra, il n’avait plus le droit à l’erreur désormais, il devait mettre hors de danger cette chère Hélène et arrêter cette bande de lascars en évitant de les blesser. Avec les deux otages détenus par le commandant et les six hommes à l’infirmerie, il ne lui en restait plus que sept. C’était déjà énorme. Il glissa un mot dans l’oreille de la jeune femme puis s’écarta d’elle.
Kelvin s’était armé d’une longue vue, il observait les marines se rapprocher, accompagnés de ses deux compagnons, lorsqu’ils seraient à une portée raisonnable de tir, il stopperait leur avancée. Pour le moment, il scrutait. Il aimait bien scruter. D’habitude, c’était Gontrand qui s’en chargeait, et avant lui, le Cap’. Mais le Cap’ était mort en leur laissant le temps d’échapper aux Marines d’élite, et Gontrand avait été blessé, plus tard. S’il avait été désigné Capitaine, c’est parce que c’était lui le plus fort. Le seul qui aurait pu tenir tête plus d’une minute à un de ces satanés commandants. Ils s’étaient mis à deux, et malgré tout ça, grâce au sacrifice du Cap’, l’équipage s’en était sorti. Plein de bleus et de bosses, certes, mais vivant.
« Monsieur le Marine, on va pouvoir procéder au premier échange de prisonniers, les femmes d’abord !
-Ok, Hélène, tu marches pendant une centaine de mètres, puis tu t’arrêteras là. Ils devraient renvoyer le pirate à ce moment-là.
-D’accord, et merci.
-Ahah, je n’ai rien fait. »
Kosma regarda la jeune femme s’éloigner, les autres aussi étaient attentifs aux pas de la demoiselle. La transaction se fit sans encombre, il aurait sans doute dû agir avant, il aurait eût un pirate de moins à neutraliser, mais la présence de la jeune femme l’avait fait attendre. Il ne voulait en aucun cas qu’il lui arrive quelque chose.
D’un mouvement fluide et vif, Alexandre s’approcha des deux pirates les plus proches de lui, appuya sèchement de ses pouces dans le creux des épaules, derrière la clavicule. Puis, avant que quiconque ne puisse réagir, fonça sur un autre. Lui assena un coup du tranchant de la main, pile à la base du cou. Les cinq autres avaient sortis des armes, sabres pour la plupart, mais Kelvin s’était emparé d’une planche de bois. Esquivant les trois premiers coups, Kosma s’empara d’une lame quand celle-ci s’apprêtait à lui découper la peau, il para un coup avec le fer qu’il tenait dans la main puis assena un direct à l’estomac au plus proche assaillant. Plus il se battait, et plus ses muscles gonflaient. Il enchainait les coups. Visant les endroits qui font mal plus qu’ils ne blessent. Il en attrapa un par les parties, et l’envoya renverser un autre. Il évitait le plus possible le tranchant des sabres et encaissait tant bien que mal ceux portés par la planche.
PAN !
Kosma profita du coup de feu pour assommer les deux derniers pirates munis d’un sabre. Kelvin se reprit rapidement et envoya un coup circulaire en direction du Marine. La planche percuta son épaule, puis une main s’en saisit et il l’envoya d’un coup sec dans l’estomac du forban. Enfin… Alexandre vérifia que les huit Marines étaient bien hors d’état de nuire, puis sortit son escargophone.
« Commandant ?
-Oui ?
-Les pirates sont neutralisés, vous pouvez venir les cher…
PAN !
-AGENT KOSMA ! QUE SE PASSE-T-IL ? »
Il l’avait oublié celui-là, pourtant il se souvenait du coup de feu. C’était Barbidur qui titubait, un pistolet à la main. Quel ne fut pas son étonnement de voir, esquissé sur le visage du Marine, un sourire satisfait.
« J’sais pas ce que ton médecin m’a injecté enflure, en tout cas, ça m’a donné une bonne grosse migraine.
-Ahah, c’est un paralysant abruti…
-Les trucs comme ça, ça fonctionne que sur les faibles, moi j’suis fort.
-Le médecin, tu l’as tué ?
-Bien entendu, une balle entre les deux yeux. Ça aurait été la même histoire pour toi si j’avais pas eu cette satanée buée devant les yeux.
-Dommage, même si t’es sacrément con, t’étais un chic type.
-Pourquoi dommage ?
-Parce que buter un médecin et mettre une balle dans le bras d’un Marine, je crains qu’ils te laissent pas longtemps en vie. Si ça avait été moi, t’aurais peut-être eu ta chance… »
Les deux hommes s’écroulèrent, l’anesthésiant avait fini par engourdir l’intégralité du corps du pirate et le Marine blessé n’avait pas tenu plus longtemps. Dans quelques minutes, on viendrait les chercher, on extrairait la balle de l’épaule de Kosma, on enverrait les pirates croupir en prison.
Alexandre souriait. Comme toujours.
- Spoiler:
Valà, un concept de fiche un peu spécial, j’espère que ça vous plaira, j’espère que les projets concernant ce personnage ne sont pas trop gargantuesques. Petites précisions bien sûr, ce double-compte a été approuvé par Lilou et Craig les autres étaient contre, Craig a sorti ses canines, Lilou a fait un ^^ terrifiant et finalement, j’ai quand même eu le droit. Pour le groupe, vous l’aurez pigé je pense, Alexandre est Marine d’élite, c’est un humain de sexe masculin, j’crois avoir tout mis.
Dernière édition par Alexandre Kosma le Jeu 24 Juil 2014 - 23:57, édité 5 fois