Ils sont où ? Ils sont où ?
Non ! Rester calme. Ils doivent pas être partis loin. J'aurais pas du. J'aurais pas du rester tout derrière, derrière la troupe. Perdu de vue les autres matelots, j'étais trop à la traîne. Et maintenant, seul rivé dans la boue sèche, isolé et enlisé dans c'marais fréquenté par des loubards, des assassins et des malades. Déambulant aussi vite que j'peux à travers cet affreux dédale de bois pourri et d'crasse, harcelé par des spectres sanguinolents. Ouais, du sang ! Ça sent l'sang, partout. La sève de c'coin maudit ! Et le fruit des rapines et du crimes, j'le goûte à chaque coin d'rue ! La moindre particule de sang déclenche un incendie dévoreur de chair au plus profond d'mes sinus.
Ils sont où ? J'suis sur l'point d'me pisser dessus. Au fumet d'poisson crado, et à la fange odorante et son violent arrière goût d'sang, j'm'apprête à ajouter mon urine de poiscaille paumé et pétrifié qu'a perdu son banc. Ils sont où ? Les collègues ? Vous êtes où ?
... en circulant, ma peur s'pare d'une teinte de honte. Ils me matent tous comme s'ils voulaient me bouffer. Les humains... Même pas deux mois ! Ça fait à peine deux mois qu'on a fugué, Tark et moi... Pourtant, on dirait qu'ils me connaissent déjà tous... qu'ils me détestent déjà tous, sans que j'saisisse bien pourquoi...
Enfonçant ma casquette sur mon crâne comme un casque sur lequel ricocherait les mauvais regards, j'regrette de pas pouvoir m'fondre dans l'ombre d'mon frangin, qui m'extirperait d'cette honte dans laquelle j'm'enfonce, tandis qu'une trouille muette de c'qui pourrait m'poignarder dans l'aileron germe en moi comme une mauvaise herbe. Honte de c'que j'suis ? J'ai l'habitude. J'suis mauvais, ridicule, suiveur, j'existe que grâce à ta persévérance, Tark. Tu t'es attaché à ton petit frère docile, malingre et fragile, anomalie d'sa race de guerriers fiers et prédateurs, t'essayes d'en faire quelqu'un d'bien. Mais j'ai à chaque pas un peu plus peur de t'décevoir. J'presse toujours plus le rythme, en même temps qu'les battements d'mon coeur dopé par la peur s'font plus fous et plus sourds.
Car j'ai pas encore digéré cette nouvelle gêne, cette extension du dégoût de moi-même que j'ressens quand j'viens à m'comparer aux autres. Cette nouvelle panique qui m'vole les tripes. Ouais, avoir une tête de requin. Au milieu d'tout ces humains, qui s'ressemblent tous. Peaux roses ou brunes, cheveux courts ou ébouriffés, mais tous, tous, les mêmes regards perçants et méprisants qui m'percutent pendant que j'déambule dans la rue ! Essayant d'me faire tout p'tit. Autant qu'possible. Mais j'ai la sensation d'être un rat dans la cale d'un navire. Humble, pathétique, minuscule, mais on remarque que moi, alors que j'cherche simplement un refuge. Et entre deux bousculades, des dents pourries s'affichent parfois, les bouches rieuses se déploient et en sortent des boulets verbaux. Ravageant l'peu de dignité qu'Tark m'avait incité à construire, ces fondations d'la justice que j'pensais qu'on cherchait...
Mais l'impression d'être haï par des gens que j'connais même pas m'lacère l'âme. Ma contenance fuit d'toute part, et j'sens que j'pourrai bientôt plus retenir mes larmes. Alors, je décide... de rentrer. A la base. Premier demi-tour sur l'chemin traître de la vie... J'gage que ça sera pas l'dernier. Demi-tour en plein milieu d'la rue, les idées noires nourrissant mon angoisse et parasitant mes convictions. Retourner à la base. M'réfugier auprès d'mon frère, grand prêtre d'mon sanctuaire de volupté et de douceur. M'confier à lui, lâcher prise alors qu'j'ai même pas commencé à grimper l'affreuse montagne abrupte qui nous attend. J'en peux plus, Tark, j'sais que tu pigeras ! J'suis pas monté à la surface pour avoir à subir ça aussi vite, aussi cru, aussi brut. T'avais pas dis qu'on deviendrait des justiciers ? Alors pourquoi ? On est des pestiférés... Alors qu'on a rien fait ? Pourquoi ?
J'rejoins enfin l'artère principale. J'serre fort des crocs. J'y suis presque, c'est tout au bout. On voit les drapeaux des mouettes d'ici.
Mon bras fissuré par l'stress percute encore quelqu'un d'autre. Une dame, qu'a encore fait exprès d'me bousculer, j'suis sûr ! J'relève ma casquette dans un réflexe pour observer qui elle est. Elle est jeune. Si jeune. Et elle me déteste déjà ? Mais j'ai fais quoi ? Mon seul délit, c'aurait été d'être né avec des branchies ? Ou c'est ma mâchoire qui les effarouche tous ? J'l'ai pas choisie, elle non plus ! Mon regard qui les offusque ? Les mirettes bleutées globuleuses d'un squale monté sur pattes ? Présenté comme ça, j'suis effectivement un monstre, au milieu d'tout ces drôles de cochons bipèdes roses sans griffes, sans crocs, mais dotés d'une sacrée hargne et haine de l'inconnu, contrairement à moi...
J'me suis arrêté, figé en plein milieu de l'avenue comme si l'temps lui-même désirait m'contempler et m'railler.
Tâter furtivement la poche de mon blanc blouson m'fait prendre conscience que j'ai perdu mon porte-feuille. Avec tout c'qui fallait dedans pour m'identifier à l'entrée d'la base. J'vais encore être la risée du régiment. Ils vont m'faire poireauter, ou m'demander d'raquer pour rigoler, ces crapules. Puis Tark va débarquer, les harponner d'ses mots les plus méchants, voire les cogner rageusement, puis s'prendre un blâme, à cause de moi, à cause de mes conneries. J'aperçois bien la situation d'ici. Elle s'profile comme un mur que j'peux pas éviter.
Et j'aperçois également la fille de tout à l'heure, là-bas. Dans ses paluches s'mue mon porte-feuille. Le soleil se reflète dans mon petit porte-clé kitsh pirates du soleil, luisant d'un bleu rassurant. Alors j'le reconnaîtrais d'loin, d'très loin, ce précieux souvenir. Et j'comprends aussitôt. Elle me l'a volé. Flagrant délit... J'dois agir...
Ça y est. J'craque. Réunissant le pseudo-courage du défenseur d'la justice que j'devrais être, j'm'avance vers elle, mes pas lourds claquant dans les flaques répandues par les giboulées d'l'automne, faisant comme raisonner l'sol lui-même sous l'écho d'ma détermination. Et parvenu au niveau d'la donzelle, j'lui adresse une injonction claire et implacable :
D-Dites... Vous m'le rendez ? S'il vous plaît ?
Elle est musclée, pour son âge...
Non ! Rester calme. Ils doivent pas être partis loin. J'aurais pas du. J'aurais pas du rester tout derrière, derrière la troupe. Perdu de vue les autres matelots, j'étais trop à la traîne. Et maintenant, seul rivé dans la boue sèche, isolé et enlisé dans c'marais fréquenté par des loubards, des assassins et des malades. Déambulant aussi vite que j'peux à travers cet affreux dédale de bois pourri et d'crasse, harcelé par des spectres sanguinolents. Ouais, du sang ! Ça sent l'sang, partout. La sève de c'coin maudit ! Et le fruit des rapines et du crimes, j'le goûte à chaque coin d'rue ! La moindre particule de sang déclenche un incendie dévoreur de chair au plus profond d'mes sinus.
Ils sont où ? J'suis sur l'point d'me pisser dessus. Au fumet d'poisson crado, et à la fange odorante et son violent arrière goût d'sang, j'm'apprête à ajouter mon urine de poiscaille paumé et pétrifié qu'a perdu son banc. Ils sont où ? Les collègues ? Vous êtes où ?
... en circulant, ma peur s'pare d'une teinte de honte. Ils me matent tous comme s'ils voulaient me bouffer. Les humains... Même pas deux mois ! Ça fait à peine deux mois qu'on a fugué, Tark et moi... Pourtant, on dirait qu'ils me connaissent déjà tous... qu'ils me détestent déjà tous, sans que j'saisisse bien pourquoi...
Enfonçant ma casquette sur mon crâne comme un casque sur lequel ricocherait les mauvais regards, j'regrette de pas pouvoir m'fondre dans l'ombre d'mon frangin, qui m'extirperait d'cette honte dans laquelle j'm'enfonce, tandis qu'une trouille muette de c'qui pourrait m'poignarder dans l'aileron germe en moi comme une mauvaise herbe. Honte de c'que j'suis ? J'ai l'habitude. J'suis mauvais, ridicule, suiveur, j'existe que grâce à ta persévérance, Tark. Tu t'es attaché à ton petit frère docile, malingre et fragile, anomalie d'sa race de guerriers fiers et prédateurs, t'essayes d'en faire quelqu'un d'bien. Mais j'ai à chaque pas un peu plus peur de t'décevoir. J'presse toujours plus le rythme, en même temps qu'les battements d'mon coeur dopé par la peur s'font plus fous et plus sourds.
Car j'ai pas encore digéré cette nouvelle gêne, cette extension du dégoût de moi-même que j'ressens quand j'viens à m'comparer aux autres. Cette nouvelle panique qui m'vole les tripes. Ouais, avoir une tête de requin. Au milieu d'tout ces humains, qui s'ressemblent tous. Peaux roses ou brunes, cheveux courts ou ébouriffés, mais tous, tous, les mêmes regards perçants et méprisants qui m'percutent pendant que j'déambule dans la rue ! Essayant d'me faire tout p'tit. Autant qu'possible. Mais j'ai la sensation d'être un rat dans la cale d'un navire. Humble, pathétique, minuscule, mais on remarque que moi, alors que j'cherche simplement un refuge. Et entre deux bousculades, des dents pourries s'affichent parfois, les bouches rieuses se déploient et en sortent des boulets verbaux. Ravageant l'peu de dignité qu'Tark m'avait incité à construire, ces fondations d'la justice que j'pensais qu'on cherchait...
Mais l'impression d'être haï par des gens que j'connais même pas m'lacère l'âme. Ma contenance fuit d'toute part, et j'sens que j'pourrai bientôt plus retenir mes larmes. Alors, je décide... de rentrer. A la base. Premier demi-tour sur l'chemin traître de la vie... J'gage que ça sera pas l'dernier. Demi-tour en plein milieu d'la rue, les idées noires nourrissant mon angoisse et parasitant mes convictions. Retourner à la base. M'réfugier auprès d'mon frère, grand prêtre d'mon sanctuaire de volupté et de douceur. M'confier à lui, lâcher prise alors qu'j'ai même pas commencé à grimper l'affreuse montagne abrupte qui nous attend. J'en peux plus, Tark, j'sais que tu pigeras ! J'suis pas monté à la surface pour avoir à subir ça aussi vite, aussi cru, aussi brut. T'avais pas dis qu'on deviendrait des justiciers ? Alors pourquoi ? On est des pestiférés... Alors qu'on a rien fait ? Pourquoi ?
J'rejoins enfin l'artère principale. J'serre fort des crocs. J'y suis presque, c'est tout au bout. On voit les drapeaux des mouettes d'ici.
Mon bras fissuré par l'stress percute encore quelqu'un d'autre. Une dame, qu'a encore fait exprès d'me bousculer, j'suis sûr ! J'relève ma casquette dans un réflexe pour observer qui elle est. Elle est jeune. Si jeune. Et elle me déteste déjà ? Mais j'ai fais quoi ? Mon seul délit, c'aurait été d'être né avec des branchies ? Ou c'est ma mâchoire qui les effarouche tous ? J'l'ai pas choisie, elle non plus ! Mon regard qui les offusque ? Les mirettes bleutées globuleuses d'un squale monté sur pattes ? Présenté comme ça, j'suis effectivement un monstre, au milieu d'tout ces drôles de cochons bipèdes roses sans griffes, sans crocs, mais dotés d'une sacrée hargne et haine de l'inconnu, contrairement à moi...
J'me suis arrêté, figé en plein milieu de l'avenue comme si l'temps lui-même désirait m'contempler et m'railler.
Tâter furtivement la poche de mon blanc blouson m'fait prendre conscience que j'ai perdu mon porte-feuille. Avec tout c'qui fallait dedans pour m'identifier à l'entrée d'la base. J'vais encore être la risée du régiment. Ils vont m'faire poireauter, ou m'demander d'raquer pour rigoler, ces crapules. Puis Tark va débarquer, les harponner d'ses mots les plus méchants, voire les cogner rageusement, puis s'prendre un blâme, à cause de moi, à cause de mes conneries. J'aperçois bien la situation d'ici. Elle s'profile comme un mur que j'peux pas éviter.
Et j'aperçois également la fille de tout à l'heure, là-bas. Dans ses paluches s'mue mon porte-feuille. Le soleil se reflète dans mon petit porte-clé kitsh pirates du soleil, luisant d'un bleu rassurant. Alors j'le reconnaîtrais d'loin, d'très loin, ce précieux souvenir. Et j'comprends aussitôt. Elle me l'a volé. Flagrant délit... J'dois agir...
Ça y est. J'craque. Réunissant le pseudo-courage du défenseur d'la justice que j'devrais être, j'm'avance vers elle, mes pas lourds claquant dans les flaques répandues par les giboulées d'l'automne, faisant comme raisonner l'sol lui-même sous l'écho d'ma détermination. Et parvenu au niveau d'la donzelle, j'lui adresse une injonction claire et implacable :
D-Dites... Vous m'le rendez ? S'il vous plaît ?
Elle est musclée, pour son âge...