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Demain c'est loin

Tu sais c’qu’on dit ? Qu’une balle dit toujours la vérité.

La nuit avait teint le ciel d’un noir infini. Seul la parure d’étoile et la blafarde lumière du pâle clair de lune éclairait le monde du dessous. Et dans ce monde, sur un ilot perdu dans l’immensité de North Blue, quelques vermines de la pire espèce se démenaient à cœur joie dans une des bicoques qui tenait, miraculeusement, encore debout. La crasse et le temps avaient dévoré le bois d’antan. Tout n’était que grouillement d’insectes et odeurs infectes. Oui l’air empestait dans ce lieu de perdition qui n’était autre que leur cache la plus secrète, là où ils se plaisaient à torturer jusqu’à la folie ou la mort.

L’endroit était étrangement composé que d’une seule pièce et chaque coin de celle-ci présentait un lieu de vie ou ce qu’il en restait. Le coin cuisine, qui n’avait de cuisine que le nom, côtoyait le salon où  mythes et cafards avaient fait du sofa leur quartier général. Les chiottes étaient pires que les bouges des tavernes Pinkys pourtant réputés pour leur exécrable bière et leurs toilettes dégoutantes. Les vitres étaient barricadés de l’intérieur et bariolés de motifs tribaux de toutes sortes ce qui faisait rire l’infortuné attaché à quelques planches de bois qui lui servaient de chaise.

Face à lui, deux ombres. Les vermines en question : les frères Kulling. Des frères jumeaux d’après eux, ça fallait le dire vite, ils n’avaient rien en commun et n’étaient même pas né le même jour. C’était aussi évident qu’il n’avait pas non plus le même père, mais n’allez surtout pas leur dire ça, ils étaient du genre violent et mauvais. A l’image même des lieux qu’ils occupaient. Sales étaient leurs combines, et noires étaient leurs âmes. Au-delà de toute rédemption, ils prenaient un malin plaisir à torturer et à tuer sans même voler leurs victimes. Ils agissaient gratuitement pour assouvir ce qui leurs dévoraient les entrailles. Cette nuit là, le silence régnait en maître dans la pièce avant que le rire de leur futur victime ne vienne le perturber, s’en suivit alors une réponse des plus attendus ; un crochet du droit.

Tiens bouffe ça !

Et l’infortuné tomba sous l’effet du coup. Son bourreau eu tôt fait de le remettre d’aplomb tandis que lui ne semblait montrer aucune once de peur ni de renoncement. Non, il était juste là à patienter, à attendre la mort. Le visage tuméfié par nombres de coups passés, la droite était venue parachever le beau tableau en lui fendant la lèvre.

Héhé ! De mon point de vue t’es encore plus viril comme ça, me remercie pas voyons, c’est tout naturel…

Billy Kulling. Assurément le plus cruel des deux. Chétif, le corps ingrat et le visage dévoré par la maladie, à sa naissance, Billy ne devait pas survivre plus de quelques jours d’après les médecins, mais l’amour inconditionnel de sa mère défia la logique et la science. C’est ainsi qu’il perdura les première années. Puis, l’amour laissa place à la haine lorsqu’il eut l’âge de raison. L’âge de comprendre la différence, le gouffre entre lui dont la nature s’est moquée et le reste des enfants de son âge. L’encre de la colère née des moqueries incessantes des autres avait teint son cœur. S’il fut rongé par la maladie, il le fut plus encore par la peine et le mépris d’autrui.

Et dans cette différence, dans cet isolement, dans sa solitude et en ruminant sans cesse les paroles amers lancés à son encontre toute sa vie durant, son esprit a fini par épuiser le dernier filon de raison qu’il lui restait pour ne laisser place qu’à la folie. Une folie abyssale et démesurée qui a su grandir dans l’antre des pêchés de celui qu’elle avait fait sien. Une folie palpable qui se distingue jusque dans son regard. Une folie qu’il a lui-même cultivé jusqu’à ce qu’elle le domine totalement pour finalement le pousser aux pires abominations. Et cela commença très tôt, par l’école où il se rendait chaque matin à reculons, en trépignant des pieds. En arpentant ce sinueux sentier où il ne cessait d’appréhender les futurs moqueries, les nouvelles railleries de ses camarades de classe, de ces idiots qui ne savaient pas ce que c’était que de vivre dans la honte sans rien pouvoir y changer. Vivre avec un visage qui est le sien et que pourtant l’on rejette,  c’est schizophrénique.  

Alors il mit le feu à l’endroit. Prétextant sortir pour aller au petit coin, il barricada tout ce joli petit monde qui le poursuivait constamment dans ses turpitudes. Des torches, des torches brûlantes, des torches vivantes et humaines, des vies qui criaient au secours et à l’aide sans que personne ne vienne jamais les secourir. C’était exactement ce que lui vivait constamment et c’était cette même douleur qu’il devait inculquer au monde qui l’entourait. Car après tout, si nuls ne voulaient de sa compagnie, si personnes ne souhaitaient échanger quoi que ce soit avec lui, alors au moins, tous connaîtraient l’étendue de sa peine et la partageraient.


Dernière édition par Sorrento Olin le Ven 25 Juil 2014 - 20:02, édité 1 fois
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Et l’orage s’était mis à pilonner la terre. A la maudire, à la punir comme si le ciel lui-même blâmait toutes les créatures du monde du dessous. Les éclairs zébraient le ciel et l’on entendait tonner la foudre qui menaçait, qui rugissait comme une créature venue d’un autre âge. Au dehors, sur le rocher isolé et inhabité, on pouvait compter sur ses doigts les quelques bicoques qui composait ce village de fortune délaissé par le temps et le regard de dieu. Un relai d’époque qui devait héberger quelques familles en charge de maintenir le phare qui, n’était plus que le fantôme de ce qu’il fût ; comme tout le reste d’ailleurs. Un vent froid et lugubre soufflait et sillonnait entre les quelques habitations jusqu’à faire gémir le bois et décoller les quelques pentures qui le hantaient encore.

A l’intérieur, les décharges de lumières filtraient par les carreaux encrassés. Les ombres des deux abominables dansaient sur le sol et les murs comme si elles prenaient vie en reflétant de manière difforme leur moi profond, la sève même de leurs êtres égratignés par la dure réalité de la vie. Quelques coups se mirent à pleuvoir en même temps que l’orage. Une incessante mise à mal, une intolérable mise à mort dont la victime était-elle même aux premières loges de son funeste destin à venir. Les poings qui s’écrasaient contre sa chaire la poussaient toujours plus loin dans le caniveau qu’elle s’était imagé.

La douleur était omniprésente elle aussi. Une douleur vive et lancinante qui foudroyait la plus petite parcelle de son être. Et pourtant cet homme ne criait pas, ou plutôt, il se refusait à le faire alors que tout ou presque lui suggérait le contraire. Laisser échapper son mal pouvait peut être le soulager, mais il était la personnification même de ce qu’il représentait. Un édifice qui même heurté ne devait pas flancher, sous aucuns prétextes et à aucunes conditions. Crier maintenant, évacuer sa peine, cela aurait été comme s’avouer vaincu, comme renoncer à tout ce qu’il fut. Alors, pareil au navire prit au cœur d’une tempête, il se contentait de se faire malmener par un fou aux poings ensanglantés.

Et puis, il l’a distinguait. Faiblement d’abord et ensuite bien plus intensivement. La douleur qu’il ressentait était sans comparaison avec celle de son bourreau. Elle transpirait dans son regard et de son être entier comme autant de crasses et de sueurs qui tentaient de s’extirper des moindres pores de sa peau. Un mal profond qui ne trouvait qu’un frêle repos en inculquant aux autres ce même mal. Alors, avec condescendance et pitié, il observait ce fou mettre son âme à vif en compatissant. Son œil bleu encore valide venait de lui lancer un regard hautain et mordant, un regard insultant et dégradant qui rendirent Billy plus fou de rage qu’il ne l’était déjà.

J’vais te tuer sale chien ! Me regarde pas comme ça !

Reprenant son souffle, il cherchait désespérément le fer du regard, son arme, son salut. Finalement, il posa les yeux dessus, lui qui attendait sur le coin de l’évier dégueulasse. La démarche approximative, le corps lâche et frêle du fourbe se leva pour aller chercher la mort personnifiée dans ces quelques grammes d’acier trempé. Il jubilait du crime à venir en inondant la pièce du son de sa voix infâme, du déchirement lugubre de son rire qui noyait dans le bruit le grondement même de la foudre. Ses doigts endoloris par sa profession caressaient cet objet inanimé, l’une des rares choses qui trouvaient de l’attention à ses yeux. Lentement, il prit en main le pistolet puis se retourna en braquant l’agent plus mort que vif prostré sur la chaise dans un état alarmant. Les rictus d’envie et de plaisir sur son visage côtoyaient les tâches noirâtres provoqués par la maladie ainsi que la nébuleuse fourberie de son regard vitreux. Il se tenait là tel un corbeau annonciateur de malheur. Le feu du ciel retentit une fois de plus tandis que sa lumière venait immortaliser le tableau dans la rétine de l’infortuné.

Tu sais c’qu’on dit ? Qu’une balle dit toujours la vérité.
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Il avait grimpé avec habileté jusqu’au plus haut du phare et ce, malgré le vent froid et nébuleux qui glaçait son être entier. A de nombreuses reprises, la chaleur de son corps s’était dérobé pour ne devenir d’une flammèche menaçant de s’éteindre face au gigantesque souffle du monde. Les ténèbres se riaient de lui. Le toit du phare lui semblait si loin lorsque son regard se perdait dans l’immensité du ciel. Les étoiles obnubilaient ses pensées, elles semblaient se jouer de sa personne en l’hypnotisant assez longtemps pour qu’il lâche prise. Cependant, à chaque fois il revenait à lui avant que le pire ne lui arrive. Lentement, mais surement il gravissait l’édifice qui dominait tout le rocher. La peur lui lacérait le cœur ; c’était sa toute première mission. Si au départ il pensait pouvoir briller et revenir avec les honneurs, cette nuit-là trancha nette dans son esprit cette douce pensée.

Il apprit à ses dépens que l’entrainement et la dure réalité du terrain n’avait strictement rien à voir. Escalader une haute muraille, il pouvait le faire en un temps record. Mais gravir en condition réelle un phare délabré au milieu de nulle part et en ayant en tête que de sa réussite dépendait tout le succès de la mission, ça il s’y était moins préparé. Ses membres ne réagissaient pas de la même façon, car son stress empêchait l’oxygène de circuler pleinement dans ses muscles.  La fatigue était décuplée dans ces conditions tant et si bien qu’il n’arrivait plus à réfléchir clairement. Et puis la peur, une peur primale et constante, une peur qui prenait la forme d’un monstre marin dans son esprit. Celui d’une gigantesque méduse dont les tentacules étaient enroulés autour de son cou, de ses bras et ses jambes et qui n’avait qu’un seul objectif : le rompre contre terre.

Oui, la peur de l’échec l’envahissait et le vent à ses oreilles lui soufflaient des paroles macabres. Des mots de désespoir d’abord puis des paroles plus douces ensuite. Les mauvais génies façonnés par la peur dans son esprit se changèrent en conseillères compatissantes et délicates. Elles ne lui demandaient qu’une seule chose : de lâcher prise. De se laisser tomber en arrière et enfin, enfin son calvaire prendrait fin. Et puis une douleur le lança à l’épaule, mais loin de le gêner, elle revitalisa à elle seule le tout jeune agent qui venait de reprendre son ascension malgré le feu du ciel qui menaçait à chaque décharge le bâtiment qui partait en grava à vue d’œil.

Arrivé finalement sur le toit, il roula de côté pour ne pas glisser. Couché sur le sol, face au ciel, il souriait bêtement comme pour défier l’infini qui s’étendait partout autour de lui, que ce soit le firmament au-dessus de sa tête où l’immense océan aux pieds de l’édifice. Machinalement, sa main se porta jusqu’à son épaule douloureuse. Il se rappela ce qui était à l’origine de ce mal. Du regard hautain de cet agent qui n’était pas content qu’on lui coltine une aide pour cette mission. Il revoyait ses deux perles d’eau le toiser, le juger alors qu’il ne connaissait rien de lui. Bien décidé à ne pas en rester là, il attaqua sans réfléchir ce personnage qui se croyait supérieur en tout point. Néanmoins, il comprit rapidement qu’il lui était au moins supérieur en combat rapproché…

La peur s’était alors changé en autre chose. Il ne l’aimait pas. Il ne voulait rien lui céder, rien lui devoir. Au contraire, plus que tout il voulait lui donner tort à son sujet. Il ne serait pas un poids, mais une aide cruciale. C’est cette idée, ce besoin de lui prouver qu’il valait mieux que l’image qu’il avait de lui qui chassa momentanément la peur pour la transformer en une énergie. Une énergie dont il s’était servi pour gagner cet endroit salvateur depuis lequel il surplombait le rocher dans son entièreté.

Toujours en sueur, mais l’esprit plus alerte et conscient, il se mit au travail. Comme un ébéniste qui façonnerait le bois pour lui donner une apparence définitive, lui agissait de même en disposant soigneusement les pièces de métal et de bois qu’il trimbalait dans son paquetage. Avec minutie et discipline il assembla le tout, pièce par pièce pour finalement compléter son chef d’œuvre, un fusil de précision d’une portée phénoménale. Ses mains renouaient le contact avec sa fidèle alliée à laquelle il chuchotait des mots doux comme si elle était en vie. Des arabesques en fer précieux marquaient çà et là le bois vénérable dont il était fait. A n’en pas douter, cette arme était plus vieille que lui, plus fiable aussi. Son œil aiguisé balayait le rocher à la recherche du moindre signe de vie et se faisant, il avait, sans s’en rendre compte, reprit tout son empire sur sa personne.

Fait les sortir du bois, je ferais le reste.
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La détonation résonna dans toute la pièce. Le canon de l’arme baillait encore de la fumée après avoir craché la mort matérialisée par une balle d’un gros calibre. Billy n’avait jamais été bon pour viser et pour y remédier il s’était fait conseiller par un vendeur à la sauvette. Ce dernier lui conseilla donc de prendre un flingue qui tirait de gros projectiles, il aurait alors plus de chance de faire mouche. Le raisonnement était simple, le résultat un peu moins, car Billy venait de tuer le dit conseiller en s’y reprenant à maintes et maintes fois avant la dernière balle du barillet. Toutefois à cette distance, le torturé n’aurait pas pu y réchapper, il n’aurait pas dû sans l’intervention de Kun, le second des frères Kulling.

Bordel frangin, tu fous quoi ?! Laisse-moi l’achever !

Kun la menace, Kun la montagne, Kun la colère. Autant de qualificatif qui témoignait de sa dangerosité. Alors qu’il était resté jusque-là passif vis-à-vis de la situation, il n’a pas hésité une seconde à dévier l’arme de Billy au dernier moment et la balle était allée se figer dans le mur à quelques centimètres de la tête du prisonnier. Jusqu’ici, il n’avait pas parlé ni même pris part à la torture. Il s’était contenté de rester assis sans mot dire. Cependant l’acte irréfléchi de son frère l’avait poussé à intervenir. Ses yeux presque blanc et livide contrastaient largement avec les ténèbres qui hantaient la pièce. Insoutenable. Croiser son seul regard était insoutenable même pour Billy. Il n’aimait pas cela, avoir peur de son propre frère, mais c’était définitivement le cas. Lorsqu’il garde les yeux fermé, Billy sait qu’il a carte blanche, qu’il peut faire tout ce qu’il veut s’en s’attirer les foudres de son frangin.

Mais quand il ouvre les yeux, quand il se lève et l’observe, Billy n’a qu’une seule option, tourner la tête et se taire. Billy haïssait Kun plus que tout au monde. Si lui était né malingre, il en allait différemment de Kun. Comme une arme frappée par un marteau pour en chasser toute l’impureté et ne garder que l’essentiel, Kun avait hérité d’une force et d’un corps impressionnant. La nature l’avait gâté et cela ne s’arrêtait pas là. Il était également calme comme le lac et sage comme la montagne. Réfléchis et adroit, c’était lui le cerveau de leurs opérations. A la base il voulait seulement vivre librement, découvrir le monde et ses richesses. Mais voilà, les travers de son frère eurent tôt fait de le ramener à la réalité.

Billy n’avait jamais été un gamin tranquille, il avait toujours nuis à tout ce qui l’entourait et sa malveillance lui avait un jour valut d’être passé à tabac par un pirate. Ô il aurait pu fuir pour ne pas se faire tabasser, il aurait pu faire comme d’habitude, faire une crasse et s’arracher vite fait. Mais cette fois-ci il avait un autre projet, il ne désirait pas que le pirate s’en sorte et il savait comment s’y prendre. Bien loin d’échafauder un plan machiavélique dont il avait le secret, il s’était contenté de raconter ses déboires à Kun. Bien qu’encore jeune, bien qu’il ne fût pas de nature belliqueuse, la montagne ne supportait pas une seule chose : que l’on s’en prenne à Billy et Billy ne le savait que trop bien…

Le lac calme et tranquille, la montagne sage et solitaire s’était transformé en un volcan déchainé en apprenant ce que le pirate venait de faire. La colère et la rage prenaient facilement le dessus sur lui lorsque l’on faisait du mal à son frère. Il devenait une toute autre personne. C’était comme si l’âme d’une bête s’emparait de son corps parfait pour en disposer comme elle l’entendait. Intraitable, Inarrêtable, il était la parfaite représentation de la colère, la rage dans toute sa fureur. La destruction incarnée et il ne retrouvait le repos que lorsque l’objet de son courroux avait été détruit et cette nuit-là ce fût le cas. Il avait décimé l’équipage du pirate et l’avait tué également. Dans sa fureur, il avait causé de nombreux dommages collatéraux et c’est ce qui avait scellé son destin et celui de son frère : ils étaient à présent recherché et n’avait d’autres choix que de fuir.

Si Billy était un personnage cruel et malfaisant, dès comme lui hantaient malheureusement les eaux à la pelle. Par contre, il en était autrement de Kun et c’est pour cela qu’un agent du gouvernement avait été dépêché pour leur cas. Il fallait étouffer la menace dans l’œuf, le défaire avant que son plein potentiel ne s’éveil, c’était la raison de sa venue ici. En se levant l’homme gigantesque s’en était allé vers la fenêtre. Les barricades bariolées de signes tribaux se mélangeaient avec ceux de sa peau. Sous ses pieds, sous son poids, les planches en bois miteux ne cessaient de gémir en menaçant de se rompre à chaque instant. Sa longue chevelure noire de jais ébouriffé cascadait dans son dos taillé dans l’effort du quotidien. Le moindre de ses gestes étaient épiés par Sorrento qui voyait en lui la réelle menace qu’on lui avait décrite. Soudainement, ce dernier prit la parole alors que ses yeux se refermèrent.

Idiot ! Tu ne vois pas qu’il a cherché à te provoquer simplement pour que tu l’achèves ? Il est à bout, il n’en peut presque plus. Il a surement peur qu’on lui soutire des informations et toi tu entres bêtement dans son jeu.

A cet instant précis, Billy maudit Sorrento du regard et avait encore plus envie de lui faire la peau. Surtout lorsque l’agent s’était mis à sourire comme pour acquiescer aux dires de la montagne. Et son œil bleu, son œil irradiait la suffisance encore et toujours. Il était à leur merci, il était mort ou presque et il continuait encore à fanfaronner. Billy était fou, mais également surpris, car l’homme qui lui faisait face semblait être aussi fou que lui…
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Comment était-il arrivé là ? Lui-même ne s’en souvenait pas clairement. Il avait des bribes de souvenirs, des flashs, des fragments d’instants mélangés à de nombreux sentiments comme le courage et la peur. Il se souvenait simplement qu’il devait localiser à tout prix les frères Kulling. Que la piste qu’il suivait jusque-là devait donner des résultats sans quoi, les retrouver à nouveau prendrait un certain temps pour ne pas dire un temps certain. Et puis les choses lui revenaient, de manière diffus au début puis progressivement, bien plus clairement.

Il se souvenait du corps d’une malheureuse mis en pièce dans une rage inextinguible puis découpé par la folie personnifiée. Il se souvenait des larmes de cet enfant qui avait assisté à la scène, impuissant. Il se souvenait de ses cris incessants, d’un petit garçon appelant sa mère qui jamais plus ne lui répondra. Et puis il se souvenait de ses yeux, les mêmes que les siens. Des yeux qui ont vu le mal et ses ravages. Des yeux qui ne refléteront jamais plus l’innocence de ses jeunes années. Oui, plus qu’avoir vu cet enfant désespéré, c’est lui-même qu’il avait vu à travers cette âme en peine. Une âme de plus qui partirait en quête d’un semblant de réconfort dans les affres de la vengeance, cela il n’en doutait pas.

S’il mettait le meilleur de lui-même dans tout ce qu’il entreprenait, cette fois, il y mettrait aussi le pire. Il était devenu inconcevable que de tels monstres continuent à se déchainer en toute impunité sur les eaux. Et à force de recherches, à force de les traquer il trouva finalement une piste. Une piste qui le conduisit tout droit au rocher du phare abandonné. Un ilot dans l’immensité de North Blue, un rocher solitaire et dépourvu de toutes choses attrayantes. A peine était-il arrivé sur l’ile qu’il sut instinctivement que c’était là que les démons se terraient. Comme un ressentiment au fond de lui, comme une petite voix qui lui chuchotait au cœur. Son être entier tressailli d’avoir enfin trouvé ceux qu’il cherchait désespérément depuis un mois déjà.

Une fois qu’il mit pied à terre, tout s’accéléra soudainement et d’ailleurs, il fit tout pour cela. Loin de s’infiltrer comme une ombre, comme tout bon élément du Cipher Pol, il avait, au contraire, attiré l’attention du menu fretin qui constituait la garde rapprochée des deux frères bandits. Au milieu des corps plongeants qui l’assaillaient de toute part, il exécutait un style de combat qu’on lui avait enseigné, un art assassin. C’était là la signature du Cipher Pol même si d’autres pâles copies s’étaient vues développer ce noble art ancestral. Insaisissable, le dogme de cette pratique résonnait en lui : Laisse aller tes attachements terrestres, entre dans le vide, n’emporte rien, Apprends à te connaitre, arpente les six chemins, devient le vent, devient la mort, devient un assassin.

Ses doigts pareils à des lames perçaient les vils, son corps virevoltant comme une feuille morte dans le vent trompait l’ennemi. Ses déplacements narguaient leur vision. Ses bonds dans le ciel le rendaient intouchable. Ses jambes lacéraient l’air pour pourfendre l’opposant qui, pour toute révolte, martelait inutilement son corps aussi dur que la roche sur laquelle il marchait. Redoutable, il l’était. Mais le monde est grand, plus grand encore que ce qu’il pensait quand sur lui s’était abattu cette terrible vérité. Une force de la nature s’était montrée, une fureur, une rage qu’il n’arrivait pas à repousser malgré toute sa détermination et malgré tout son talent. Ses doigts rencontrèrent un corps qu’ils ne pouvaient percer. Eux qui étaient comme des lames s’étaient comme brisés en essayant. Sa rapidité n’était plus ce qu’elle était face à un monstre rompu au combat. Ses pas n’étaient plus aussi fluide, la fatigue le dévorant un peu plus à chaque fois que les poings de son ennemi le frôlaient. Puis, après un court, mais intense effort, il dû se rendre à l’évidence qu’il était en face d’un adversaire qu’il ne pouvait pas battre.

C’était comme tenter d’arrêter une tempête à main nu. Devant ce constat, il se prépara alors à l’échec quant sur lui pieds et poings s’écrasèrent avec force et fracas. De toutes parts il pouvait entendre son corps se tordre en même temps que son esprit. Au sol, il venait d’être le spectateur de son propre échec. L’amer goût âpre de son sang mélangé avec celle de la défaite renforçait plus fortement encore ce triste bilan. Vaincu, trainé comme un déchet, séquestré puis torturé. Cette vision du passé le ramena brusquement au présent. Lorsqu’il sursauta de sa chaise, pieds et poings liés, en sueur et essoufflé,  une voix puissante et grave l’accueilli alors.

Il n’était pas encore l’heure du dernier voyage pour toi, mais c’est pour demain et on a tout notre temps. Après tout pour toi… Demain c’est loin.
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La bicoque vibrait sous l’effet du vent qui s’intensifiait. Le temps était désormais à l’orage. A travers les carreaux sales, Billy était le témoin privilégié de la force de cette nébuleuse qui approchait. Les prémices de celle-ci étaient déjà clairement visibles alors que le bois usés des maisons abandonnées côtoyait les tuiles déracinées des toits. Le tout accompagné par l’averse, une pluie diluvienne qui avait rendu la terre meuble, mole et boueuse. Ce temps violent et incontrôlable avait saisi la rétine du bandit si fortement que sur son visage, l’on pouvait aisément y lire l’effroi et la frayeur. Il détestait ce temps, il détestait perdre le contrôle sur les choses qui ne tournaient pas comme il le désirait. Et la nature avait cette propriété d’être instable, inconstante, informelle et inaliénable à l’image de son frère Kun.

Oui Billy entretenait une étrange relation fraternelle avec ce dernier. Il ne pouvait rien tenter contre lui qui le surpassait en tout point et quelque part au fond de son cœur il l’aimait très certainement. Cependant, il ne pouvait réprimer ce petit rictus au coin des commissures qui désapprouvait totalement tout ce qu’il symbolisait. Lui qui avait eu à la naissance force de vigueur l’avait privé de ces mêmes aptitudes pour ne laisser que la maladie et l’aigreur. Son esprit en ébullition n’avait cessé de le torturer sur ce qu’il était et toute cette noirceur, il l’avait reportée sur Kun. Garder ses amis prêt de soi et ses ennemis encore plus près, c’est ce qu’il faisait depuis tout ce temps et cela finirait par payer un jour.

En attendant, il avait détourné son regard du dehors pour le planter sur le corps désœuvré de l’agent. Ses vêtements n’étaient que lambeaux qui laissaient entrevoir son corps frappé du sceau de la torture. Des fractures à de multiples endroits, des brulures ajoutées à des hématomes hantaient sa peau. Il avait été relevé de sa chaise quelques instants auparavant pour finalement être suspendu par les poignets. Ses pointes de pieds peinaient à toucher le sol et régulièrement, la main gauche immense de Kun poussait ce sac de viande qui revenait vers lui pour être ensuite cueillit d’une bonne droite au buffet. La pénombre et le sang se partageaient à part égale son faciès. Son œil encore valide était encore à moitié ouvert et ne cessait de juger les deux compères qui en retour, répondirent d’un commun accord par un sourire des plus aiguisés. Cette fois il était temps, il était prêt, cuit à point. La seule mauvaise note de la soirée est qu’il n’avait toujours rien dit de sa condition et des aspects de sa mission. Il était resté aussi muet qu’une tombe malgré les vices et les sévices.

Frérot, il est temps d’en terminer avec ce déchet, t’crois pas ?

Piqué à vif par cet être aussi singulier que dérangé, s’il était d’abord indigné il finit ensuite par ricaner. Son corps se balançait au gré de la corde qui liait ses poignets meurtris à une poutre du plafond. Comme une poupée de chiffon, comme un épouvantable épouvantail dans un champ de blé mit là pour éloigner les rapaces, il faisait peur à voir. Il n’avait jamais autant souffert et toutefois, loin de songer à s’économiser, il cherchait à parler, crachant à terre le surplus de sang qu’il avait en bouche.

Un… Un déchet ? Vous mentez et tuez à longueur de temps au point que cela devienne aussi naturel pour vous que de respirer. Vous ne respectez rien et n’agissez que dans l’intérêt de vos petites personnes. Vous n’êtes animé par aucun sentiment noble, tout chez vous est méprisable autant dans vos actions que dans leurs déroulements. Vous pillez les faibles et fuyez ensuite plus vite que le vent pour finalement vous cloisonnez dans des endroits aussi sordides que vous, des endroits comme celui-ci. Vous croyez avoir choisi ce lieu, mais ce n’était pas un choix, plutôt comme une révélation qui s’est imposé à vous. Un rocher au milieu de nulle part, là où il n’y a rien à faire et rien à voir. Cet ilot vous ressemble tant. Désœuvré, dépouillé et laissé à l’abandon, comme vous. Vous n’êtes que des bêtes et n’avez pour vous-même que mépris, car vous ne vous domptez pas. La folie vous a fait sienne, la colère aussi au point que vous ne vous épanouissez que dans la solitude. Vous ne créez rien, vous ne faites que détruire afin d’expulser ce qui vous ronge de l’intérieur. Puis vous recommencez ensuite, car vous êtes au final, des êtres faibles. Des faibles qui dans la vie ont choisi des raccourcis, des faibles qui emmènent au loin le bien d’autrui, car vous bien trop lâche pour pouvoir posséder des choses à la sueur de votre front. Oui, c’est la faiblesse qui vous dicte votre conduite en marge du monde et par conséquent, le déchet, c’est vous ! Des déchets que le monde rejette, des déchets dès la naissance qui n’ont vécu qu’une vie vide de sens. Je… Je vous plains en réalité, car de cette existence vous n’avez vu que les mauvais côtés. Et sans jamais vous interrogez sur l’infamie de vos vies, c’est sur cette voie que vous avez sans cesse progressé sans vous retournez pour contempler l’horreur que vous semiez. La haine et la peine vous enchaîne et c’est ce que vous reportez sur les autres, mais dans cette vie rien n’est parfait ni toujours juste ; c’est votre destin qui est à blâmer vous qui êtes à craindre, mais surtout à plaindre.

Les mots du condamné résonnèrent dans leurs têtes et dans leurs cœurs. Pour un temps au moins ils avaient couvert le bruit de la tempête jusqu’à l’éclatement du ciel. La tornade serait bientôt là.
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