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- Bref récapitulatif. Ceci est une partie de la dernière quête des Ghost Dogs qui vise à libérer leur capitaine, Gharr, prisonnier d'une mystérieuse bande armée. Le samouraï a été conduit sur l'île de l'absurde pour qu'il y rencontre le commanditaire de son enlèvement. Quant à son équipage éparpillé sur Grand Line, il s'organise pour venir lui porter secours. Ce sujet est celui de la captivité de Gharr, au milieu d'une partie de ses ravisseurs.
Royaume de l'Absurde. C'est ici que le Commodore a été conduit par ses ravisseurs. Pendant plus d'un mois, par précaution, ils ont emprunté de multiples courants, suivi des caps déroutants dans le but de semer leurs éventuels poursuivants. En authentiques professionnels, ils se sont assurés que leur mission n'avait pas été compromise. Pourtant, tout n'a pas été aussi aisé que prévu : lorsque Mirabella les a prévenus que la situation sur Banaro avait échappé à leur contrôle, que l'équipage avait outrepassé les règles fixées, ils auraient pu voir fondre sur eux Le Passeur. Mais ils ont su couvrir leurs traces avec soin. Il fallait rester discret et lucide. Ils l'ont été. Rejoindre le chef de meute directement aurait pu tous les mettre en péril. Le Haut-Commandement de la marine fouillait tous les navires qui venaient trouver mouillage sur l'une des îles sous le contrôle du Gouvernement Mondial. Alors, ils ont attendu. Ils ont sillonné l'océan parfois trop calme, parfois furieux, en rongeant leur frein et les arêtes des quelques trop rares poissons pêchés. Rationner les vivres tout en évitant les conflits internes, voilà de quoi leur quotidien était fait pendant leur quarantaine. Sans jamais se préoccuper du prisonnier, livré à lui-même tout ce temps. Jamais on ne lui a plus adressé la parole, une fois passé le jour de son embarquement; jamais on ne l'a libéré de ses fers. C'était pourtant bien inutile de les lui laisser, il était trop faible et trop esseulé pour entreprendre de renverser l'ennemi. Mais celui qui dirigeait la mission à bord est un homme sans bonté. Kihal. Dérangé, belliqueux et sanguinaire. Il a fait endurer la faim et la fatigue au Commodore pendant sa captivité, et y a pris un certain plaisir.
Mais ce soir, enfin, ce traitement de souffrance monocorde est brisé. Le bâtiment accoste. La vigie a crié un " Terre " fatigué et soulagé, une heure plus tôt; le son a fui ses joues creuses pour venir parcourir l'équipage entier, le faire frissonner d'un plaisir de délivrance. On a fêté la nouvelle avec une joie révélatrice de l'épreuve traversée. Les manœuvres d'appareillage ont été soigneusement effectuées, pour venir se lover dans la crique sans heurter les pics menaçants, de part et d'autre de la trouée. Hadoc, que l'on a sommé de rester immobile à sa place, a vu une falaise escarpée découper l'horizon et les grappes de lumière d'une ville jouxtée au vide colorer la pénombre.
L'ancre est jetée, le bâtiment s'immobilise, cossard ou fourbu peut-être, au flanc de l'embarcadère. Ils sont au port. Nul comité d'accueil, ou de contremaître pointilleux. S'il y a des fonctionnaires ici, ils ne sont pas scrupuleux. S'il y a des marines, ils ne sont pas consciencieux. L'endroit a été aménagé au mieux, mais reste difficile d'accès, tant par voie maritime, que depuis l'intérieur des terres. L'île est cintrée d'une falaise en couronne aux dents acérées. Si une partie de la population, pour vivre de la pêche ou du travail aux docks, a choisi de s'installer proche de la berge, la majorité des habitants se concentre dans le noyau. Toujours sévèrement gardé, l'Officier a escaladé le chemin abrupt, dangereux même en certains points étroits, pour rejoindre un campement établi sur le plateau balayé par un vent marin chaud et salé. Ils sont ici à encore une dizaine de kilomètres de la ville aux mille et un feux. Visiblement, ils n'iront pas plus loin ce soir.
Le groupe de voyageurs a été accueilli par ses hôtes; parmi eux, le leader a une silhouette que le Commodore ne saurait oublier. Il s'agit de l'homme qui l'a vaincu lors de leur duel sur le Passeur. Jabkar. Il ne semble pas s'intéresser au samouraï, dont les traits tirés témoignent de l'épuisement. Au lieu de ça, le taciturne bretteur part s'entretenir avec Kihal; une discussion animée les tient éloigné du reste du groupe pour un temps.
Le camp monté, chacun prend le temps de se restaurer. Les organismes ont souffert, puiser une simple gorgée d'eau claire, laisser cette sensation désaltérante envahir l'œsophage, tant de gestes simples mais précieux que l'on redécouvre, auxquels on accorde une nouvelle valeur. On présente une louche à l'Officier. Il s'agit de la seule femme de l'équipage, celle-là qui déjà, avait apaisé la colère de Kihal quand celui-ci entreprenait de se défouler sur Hadoc, lors de leur première rencontre.
- Buvez. Cela vous fera du bien.
Sa voix est claire, son regard doux. Il y a quelque chose chez elle d'apaisant; c'est comme toucher du doigt la paix au milieu du carnage. Le samouraï va pour accepter le récipient quand une main intervient. Non pas pour lui ôter l'accès à l'eau, mais pour le libérer des chaines qui entravent ses mouvements. C'est Jabkar. Sa voix gutturale s'élève sur le bivouac entier, mais son regard sombre reste fixé sur Hadoc.
- Ce soir, reposez-vous. Restaurez-vous, profitez d'un sommeil réparateur. Demain, une nouvelle épreuve vous attend.
Puis, sans plus parler, il prend une gorgée à sa gourde, va s'asseoir en tailleur devant le feu de camp, et ferme les yeux, sans plus de cérémonie, avec, toujours, une main sur la poigne de son katana, et l'autre sur le fourreau.
Bien vite, d'autres l'imitent et vont trouver Morphée. Les corps sont harassés. Autour du Commodore, le camp s'endort peu à peu.