Ce matin là, il faisait froid, le ciel était sombre. Et étrangement les gens étaient identiques au climat. L’atmosphère était dérangeante et étouffante dans le QG d’acier de la Mer de l’Est. Je venais de passer sous officier : caporal. J’étais heureux comme personne, et c’est dans cet état d’esprit que je rejoignais le bureau d’un des hommes les plus influents du QG. Alrik Azhar, une figure de proue de la justice, des galons plein la poitrine gauche, un sourire quand il faut, une ride au front quand il faut aussi. Mais toujours cette impressionnante droiture qu’on s’efforçait d’imiter chez les nouveaux caporaux.
Le motif de cette convocation m’importait peu, j’adulais cet homme. Je toquais à la porte, timidement. Ça ne me ressemblait pas. Le stress.
Présentez-vous.
Caporal Jäak Hadži, Commandant !
Hadži ? Très bien, entrez.
J’entrais. Puis je plongeais au paradis. Je remarquais d’abord sa puissante et féroce mâchoire. J’avais l’impression qu’il avait vécu plus d’une guerre. Je voyais dans ses yeux des champs de bataille, des vies sauvées, des victoires. Et tout ça se confirmait par les différents insignes & médailles sur sa poitrine. Il lâcha la bière qu’il sirotait pour se lever d’une manière militaire me faire un salut, puis ensuite me tendre la main. Je le saluais et la lui empoignais.
Commandant…
Evitons ça, appelle-moi Alrik. Comment va ton père ?
Ma foi, il se portait bien la dernière fois que je l’ai vu. Si on exclu le fait qu’il s’est cassé la jambe et qu’il est en béquille.
Toujours aussi sportif, monsieur Hadži. Sinon, félicitations pour ta rapide promotion. Ça ne m’étonne pas, le nom joue, c’est vrai, mais tes qualités de soldat ont pas mal plu. On ne pouvait pas te garder en garnison.
Merci. Je n’ai fait qu’obéir aux ordres, serrer des menottes…
Un véritable Hadži ! Il en faut bien comme vous. La Monde change et la Justice se perd dans le dédale qu’il crée… Seulement quelques hommes arrivent à trouver le chemin. Chez vous, c’est inné.
Et bien, disons qu’on a l’habitude de marcher en de lieux saints.
Hahaha ! C’est exactement ça. Plus sérieusement, Jäak. Je sais ce que ça représente d’avoir un membre de votre famille à son service, aussi, c’est pourquoi j’ai déjà prévenu vos supérieurs : je vous prends sous mon aile.
Woah… Hé bien… Je ne saurais vous dire à quel point je vous suis reconnaissant. C’est un grand honneur pour moi…
Hep ! Pas de ça entre nous Jäak, c’est de bon cœur que je le fais. Tenez, prenez une bière. A votre promotion !
Alrik était tout ce qu’il y avait de plus aimable. La première fois que j’ai dû tuer quelqu’un, c’est chez lui que je suis venu vider mon fardeau. Les fois où j’attrapais deux ou trois bandits, c’est chez lui que je venais arroser ça. Il m’a appris à appuyer, tuer pour protéger, que ce qui comptait : c’était la vie de l’innocent quand l’autre n’en avait plus rien à faire de son état d’humain. Il m’a appris tant de choses… Je lui en serai toujours redevable.
C’était aussi un ami proche de la famille, proche de mon père, on aurait dit qu’ils avaient grandi ensemble. A Orange, on l’invitait dîner. Ils nous racontaient des histoires extraordinaires, comment ils arrivaient à eux seul à arrêter de terribles équipages pirates des blues. Comment ils survivaient au déluge, d’énormes vagues qui cachaient des requins et d’autres animaux aquatiques dangereux. A chaque fois, je me plongeais dans leur récit, je m’imaginais naviguer avec eux. Pour l’aventure et la protection des autres. C’était à ça, de toute manière, que chaque membre de ma famille était destiné. Être un serviteur de la Justice & du peuple pour qu’un jour on puisse marcher en de lieux saints. J’étais loin de me douter que le concept de la paix n’était qu’une utopie. Que notre Monde baignait dans la guerre depuis le commencement et qu’on ne pouvait changer les choses qu’à petite échelle. Loin.
Mon père avait pris sa retraite, quittant la marine avec les honneurs. A cette époque, on attendait déjà beaucoup de moi. En effet, j’étais fils unique, mes parents avaient toujours su qu’ils auraient un fils. C’était là le destin des Hadži. Je devais être un remplacement, même mieux, aller plus loin que mon père, me casser le dos à arracher à la main les mauvaises herbes. Alrik est l’homme qui m’y a aidé, et grâce à lui, j’ai été propulsé au rang de Sergent.
Qu’on se le dise, j’ai été au centre de toutes sortes de médisances à cause de cette rapide promotion. C’est à peine si on écoutait mes ordres. Et c’est normal, les soldats sur qui j’avais plein pouvoir étaient pour la plupart plus vieux que moi. Ça a duré des semaines, des mois, mais j’ai réussi à m’imposer.