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Faire le deuil de sa liberté


Le Choc

Un œil s’ouvre. Quelques formes indistinctes, des lumières, des ombres… Mais c’est flou. L’ouverture de l’autre œil permet de gagner en netteté mais le décor est toujours aussi obscur. Henry ignore absolument tout de ce qui se passe. Il est sonné, sa tête lui tourne et il a violemment mal au crâne. Il cligne des yeux, mais rien n’y fait. Il ne voit absolument rien, rien de reconnaissable en tout cas. Il veut se frotter les yeux, mais ses mains ne répondent pas. Malgré tous ses efforts, pas moyen de faire le moindre mouvement. Un bruit métallique lui apprend qu'il est enchaîné.

Ses esprits reviennent d’un coup. Le port ! Les deux hommes en costume noir tout droit sortis d’un mauvais polar ! La dizaine de larbins qui les suivait. La bagarre, les coups ! Le goût du sang… D’un coup de langue, il sent encore l’entaille douloureuse dans sa joue. Il ne rêve donc pas. Ses souvenirs se précisent, ils deviennent plus clairs et des détails lui reviennent à l’esprit. Ces mecs lui sont tombés dessus après son dernier deal et l’ont battu à mort. Il a tenté de discuter pendant quelques secondes, trouver un arrangement, négocier. Mais ils ne lui avait pas laissé la moindre chance et l’avaient massacré sans la moindre hésitation. Il aurait dû frapper le premier. Il le savait pourtant.

Le meilleur moyen d’atteindre le cœur d’un homme, c’est par l’estomac. En remontant d’un coup sec.

Il a fini par s’évanouir et maintenant, il est là, privé de toute liberté de mouvement dans le noir total. Il est… prisonnier ? Prisonnier. Un esclave. Se savoir à la place de ceux qu’il a toujours capturé et revendu pour s’assurer un petit confort l’a fait disjoncté. Son cerveau travaille à si vive allure que plus une pensée n’y passe. Son regard est vide, il ne comprend pas. Il ne bouge pas. Il ne cille pas. Il reste là, comme captivé par ce qu’il ne voit pas. Tous ses sens sont aussi déconnectés que son esprit.

Un petit caillou s’est inséré dans les rouages de sa cervelle et tout le mécanisme s’est grippé. Les roues forcent, la pression est à son comble mais rien ne bouge. A peine quelques vibrations qui se traduisent par des tics nerveux. La paupière, le coin supérieure droit de la lèvre. Parfois un sourcil. Mais rien de plus. Soudain, la pression est trop forte et le caillou se brise. Les engrenages reprennent leur course et les pensées lui reviennent d’un seul coup. Impossible de faire le tri.

C’est dommage. Il n’a même pas eu le temps de dépenser l’argent qu’il s’est fait en vendant l’athlète et le cyborg. Il aurait pu enfin se prendre son propre bateau. Plus besoin d’en voler aux pêcheurs. Il aurait même pu aller dans ce petit resto du traiteur homme-poisson à côté du Ni-Bar. Le homard est à tomber. Servi par un véritable homme-homard. Amusant ! Original ! On en fait plus des restos comme ça !

Mais qu’est ce qu’il raconte ? Il déteste le homard.

Il cligne des yeux et se tortille. La réalité reprend sa place. Il est prisonnier. C’est faux ça aussi, hein ? Il délire encore, voilà, c’est ça. Il ne peut pas être prisonnier, pas lui ! Il est esclavagiste, bordel ! On n’emprisonne pas un esclavagiste ! C’est contraire à toute logique ! C’est comme si les amiraux étaient de dangereux criminels corrompus ! Oh bordel…

Il est prisonnier.


Dernière édition par Henry Morgan le Dim 31 Aoû 2014 - 0:51, édité 2 fois
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La Colère

-BANDE DE CONNARDS !! MAGNEZ VOUS D’RAPPLIQUER POUR M’DETACHER OU J’VOUS PROMETS QUE J’VAIS VENIR VOUS OUVRIR LA PANSE UN PAR UN ! JE DECONNE PAS, BORDEL ! UN PAR UN, J’VOUS DIS ! J’VOUS BUTERAI TOUS !!

Henry se débat comme un beau diable, il y va de toute sa masse, de toute sa force mais les fers auxquels il est accroché ne le laisse pas bouger d’un misérable centimètre. Le métal chante, le mur tremble mais il ne parvient à rien d’autre que se blesser.

-DE-TA-CHEZ-MOIIIIII !!!!

C’est inacceptable ! Mais pour qui se prennent-ils pour le traiter ainsi ?! Ils le prennent pour un esclave ! Mais c’est un dominant, pas un dominé ! Il y a une hiérarchie naturelle, les gros poissons mangent les petits et tout ce charabia métaphorique à la con ! Les ânes avec les ânesses ! Les étalons avec les juments ! Et les poules seront bien gardées ! L’énervement lui brouille l’esprit et lui fait dire n’importe quoi ! Les veines de son cou sont gonflées et il ne prend presque plus la peine de respirer au milieu de son flot d’insultes.

-JE SUIS PAS A MA PLACE ! VOUS POUVEZ PAS ME RETENIR COMME CA ! JE SUIS CELUI QUI SE TIENT DE L’AUTRE COTE DE LA GRILLE ! VOUS POUVEZ PAS DEBARQUER COMME CA, ME TOMBER DESSUS DANS UN COMBAT DELOYAL ET REDUIRE TOUTE MA VIE A NEANT !

Il est bien placé pour savoir le sort qui lui est réservé. Tout ce qu’il a construit au cours de son existence, tout ce pourquoi il a vécu, pourquoi il s’est battu n’a plus la moindre importance. Il sait que s’il reste ici, il finira ses jours dans un salon à la con avec un collier électrique autour du cou à lécher des culs !!! Et ça, c’est absolument hors de question ! Il ne léchera jamais le cul d’un noble ou d’un bourgeois ! Il a des rêves, des désirs, une vengeance à assouvir, des mondes à voir, de l’argent à gagner puis à dépenser. Ca ne peut pas s’arrêter maintenant ! Pas si vite ! Pas comme ça !

Il commence à paniquer ! C’est totalement impossible ! Non ! Il ne peut pas rester là ! Ses tentatives de libération se transforment en spasmes frénétiques ! Ses poignets saignent ! Il ne se rend même plus compte qu’il a mal !


-HHHHHAAAAA !!!! NNNNNNOOOONNNN !!!! FILS DE PUTE !!! JE VOUS JURE QUE SI VOUS VOUS APPROCHEZ JE VOUS EGORGE AVEC MES DENTS !!! VOUS M’AUREZ PAS !!! PLUTOT CREVER QUE D’ETRE UNE SALOPERIE D’ESCLAVE !!

Sa tête frappe contre le mur, de plus en plus fort à mesure qu’il se débat. Un coup résonne plus fort que les autres. Les yeux se ferment et il s’immobilise.


Dernière édition par Henry Morgan le Jeu 21 Aoû 2014 - 18:21, édité 1 fois
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Le marchandage

Henry Morgan est fatigué et se sent faible. Cela fait maintenant des jours qu’il est là et la faim le tiraille si fort qu’il ne la ressent plus. Il réfléchit à l’ironie de sa situation. Un esclave ancien esclavagiste… C’est ça le destin ? Le retour de manivelle ? La vie lui a renvoyer ses tords à la gueule. Les plus vils pourraient même dire qu’il l’a bien mérité. Que c’était le sort parfait pour qu’il se rende compte des horreurs qu’il a déjà faites. Il aurait du être un homme meilleur pour avoir un meilleur karma. Ou au moins essayer. Jamais il n’a fait le moindre effort pour qui que ce soit d’autre que lui-même. Il a même vendu sa petite amie alors qu’ils n’étaient encore que des enfants, bon sang ! Il a toujours été un monstre…

Heu… Dieu ? C’est moi. Henry. Henry Morgan. On s’est encore jamais parlé, mais bon, il paraît qu’tu sais plus ou moins tout donc… ba j’imagine que tu m’connais. Je… j’imagine que t’es pas l’boss d’mon fan-club, si t’existes. J’ai pas franchement suivi les commandements que t’as envoyé. J’ai tué. J’ai volé. J’ai… convoité. J’ai… Je m’souviens plus des autres. Désolé. J’veux bien les apprendre si vous m’sortez d’là. Ca doit être dans vos cordes. Vous avez bien créé l’monde, vous pouvez bien déverrouiller une serrure. Qu’est c’que je raconte, bien sûr, vous êtes tout puissant après tout. Enfin bref, si vous me filez un coup d’main, j’vous jure que je vais changer. Plus d’esclavage, plus de meurtres. Plus d’vol, j’deviendrai un gars honnête et droit. Juré. Heu… Amen ?
Et il attend. Il attend, un petit sourire nerveux se dessinant au coin de sa lèvre. Encore quelques secondes et la porte s’ouvrira, ses fers se détacheront et il pourra partir. Il a demandé gentiment après tout, Dieu n’a pas franchement de raison de lui refuser une telle broutille. Et puis, il est censé être bon alors il ne le laissera pas moisir ici. Ce serait pute, franchement… Le temps passe et rien n’arrive. Bon. Deux solutions : soit Dieu n’existe pas, soit c’est un sacré connard. En tout cas, il va devoir se démerder tout seul.

-Hey ?! Y a quelqu’un ? Allo ? Allez, soyez cool quoi, je veux discuter un peu. J’vais pas pouvoir m’enfuir en vous parlant, alors franchement ça vous coûte quoi ? Nan mais sérieusement il y a quelqu’un ou pas ? Vous savez, j’ai laissé un sacré trésor là-bas dehors. Si vous m’laissez partir, j’vous montrerai où il est. J’vous l’dis, j’vaut largement moins qu’ça. Un homme de trente-huit pige comme moi, avec un bras en moins et disons… ahem… TOUSSE ! illettré TOUSSE ! Vous en tirerez quoi ? Quatre cent mille berries ? A tout casser. Là bas, il y a plusieurs millions qui n’attendent que vous !

Aucune réaction… Il tend l’oreille mais n’entend même pas le moindre mouvement, le frottement d’un vêtement, le bruit du pas sur le sol de pierre ou un raclement de chaise. Rien. Il parle dans le vent. Il n’est déjà plus considéré que comme un objet, une marchandise. Une caisse de melon ! Voilà ce qu’il est à présent. Ses espoirs s’envolent petit à petit. Ce sont bien les seuls à pouvoir quitter cette pièce. Il ferme les yeux et rebaisse la tête.

Dieu ? C’est encore moi. Je voulais juste te dire… Si je m’en sors, et visiblement ce sera pas grâce à toi, je te jure d’être encore pire qu’avant ! Une raclure comme on n’en voit plus. Je t’assure que tu pourras pas m’envoyer en enfer parce que le diable aura peur de moi ! C’est la dernière fois que j’te parle. Alors… Va te faire foutre.


Dernière édition par Henry Morgan le Mar 26 Aoû 2014 - 1:09, édité 1 fois
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La Dépression

Ploc ♪

L’homme est assis, adossé contre le mur de pierre humide. La tête baissée, il a cessé de bouger, lasse du cliquetis de ses fers. Ses avant-bras saignent de ses désirs de liberté envolés. La salle est sombre, seuls quelques rais de lumière filtrent à travers les planches mal clouées de la porte. Il y fait froid la puanteur de moisi se bat avec l’odeur de ses excréments. Avec le temps, ses yeux se sont habitués. L’obscurité a rétréci ses pupilles pour lui donner le regard d’un chat. Il peut ainsi observer le caractère misérable de sa situation.

Enchaîné à ce mur glacé par deux anneaux de métal plus froids encore, les joues creusées par la famine et les yeux pochés des maltraitance qu’il a subit. Gisant dans ses déjections. Il n’est plus rien d’humain. Un pagne en tissu constitue la seule once de fierté qu’il lui reste ; la seule chose qui le sépare encore de l’animal. Il ne peut plus compter sur sa liberté, son hygiène ou sa santé mentale pour relever le niveau. Rien que ce bout de peau tannée cachant sa nudité. Pas ses fesses, par contre.

Fallait pas espérer la vie de château, hein !

Après être passé par un vaste panel d’émotions, il est à présent submergé par l’ennui. Que pourrait-il faire ? Il a déjà compté les 634 brins de paille qui jonchent le sol de sa cellule. Arès être tombé trois fois de suite sur le même nombre, il a conclu avoir bien compté. Idem pour les barreaux de bambous de sa cage et pour les pierres du sol et des trois murs autour de lui. Il ne peut pas énumérer celles du mur dans son dos. Ses cervicales s’y opposent farouchement. Il a abandonné l’idée de compter celles du plafond. Non. Cela fait cinq fois qu’il trouve un résultat différent allant de deux cent soixante-deux à deux cent soixante-seize. Il a sûrement pris deux fois la même ligne. Ha non, les lignes font douze pierres de long. Probablement une colonne, alors. Ha… Non plus non… Elles font 11 pierres chacune. Peu importe. Les multiplications lui ont toujours été inaccessibles.

Toujours est-il qu’il s’ennuie. Enrouler ses doigts de pieds les uns sur les autres l’a bien occupé pendant un moment mais il n’est de bonnes choses qui ne se finisse. Il lui faut quelques choses pour occuper son esprit vidé. Une pensée. N’importe laquelle. Quelque chose à faire. N’importe quoi.

Il tente de dormir, relève la tête pour la poser contre la paroi dure et ferme les yeux. Le temps passe et il les rouvre. A-t-il dormi ? Difficile à dire. Rien n’a bougé, rien n’a changé. Une place pour chaque chose et chaque chose à sa place. Le brin plié en équilibre sur le tout petit et celui en forme de pied. La flaque dans le coin. La mousse qui pendouille de la troisième pierre en partant de la droite. Il arrive à la faire légèrement bouger en soufflant très fort dessus mais elle revient toujours à sa position initiale.

Depuis combien de temps est-il ici ? Fait-il jour ou nuit ? Il a autant de chance de répondre à cette question que de deviner si la pièce tombera sur pile ou sur face. S’il avait une pièce. Non, impossible d’avoir la moindre indication sur la course du temps. Ha si ! La flaque ! Elle grossit. Une goutte tombe toutes les trente à quarante minutes. Enfin… à l’œil nu, c’est pas évident d’estimer de combien de gouttes la flaque à grossit depuis la dernière fois qu’il l’a regardé. Au moins, ça faisait une animation. Une animation extrêmement éphémère. Trop. Le temps de tourner la tête et il n’y a plus rien à regarder. C’est pire que le silence.


Ploc ♪
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L’acceptation ? Ca jamais.

Avec le temps, Henry a fini par retrouver sa lucidité. Bon, il est enfermé. Il est trop affaibli pour pouvoir bouger. Il serait prêt à tuer sa mère pour un sandwich. Sans trop hésiter à vrai dire, il ne la connaît même pas celle là. Mais au moins, il sait qu’ils ne le laisseront pas crever. Ca sert à quoi un esclave mort, hein ? A rien, on est d’accord. Ils vont donc forcément venir le voir au bout d’un moment, le nourrir, le transférer… le vendre. Quelque chose. Il ne va pas finir comme ça…

Il ferme les yeux pour économiser ses forces. Oui… Ils vont forcément finir par venir, par s’approcher, pas le détacher. Et là ! Là, il frappera ! Il crèvera peut-être mais il ne crèvera pas seul ! Il partira dans le combat, couvert d’un sang qui ne lui appartiendra pas. Et debout ! Il sait pourquoi ils le laissent moisir comme ça. Il connaît toutes les combines. Un esclave est un être privé de sa liberté, certes, mais surtout un être servile sans la moindre volonté propre. Et cette attente sert à le briser psychologiquement. Mais ils n’y arriveront jamais. Épuisé, il finit par s’endormir.


Klong ! Bolong !

-C’est bon. Il s’est évanoui. On peut y aller.

Deux hommes pénètrent dans la cellule avec la discrétion d’un félin. Les clefs serrées dans sa main, celui qui semble être le plus gradé s’assure de ne pas les faire cliqueter. Il insère la clef dans le fer et le bras inerte d’Henry tombe mollement sur le sol. Les deux hommes se font un signe approbateur de la tête et il insère la clef dans le second fer. Un deuxième son mate accompagne la chute du moignon métallique. L’homme resté en retrait sort un mouchoir de papier et l’imbibe d’un liquide avant de s’approcher doucement. Deux précautions valent mieux qu’une. Henry entrouvre discrètement un œil et le voit arriver mais ne réagit pas.

La main du geôlier lui saisit le menton et le fait relever la tête. Tout se passe en une seconde. Les dents d’Henry se referment sur la main et serrent, serrent, serrent encore jusqu’à se rejoindre. Le sang se déverse à gros bouillon sus sa langue et il recrache les deux doigts avant de se relever d’un seul coup. Avec l’effet de surprise, il déstabilise ses deux tortionnaires et se dégage. De sa seule main valide, il attrape l’homme blessé par les cheveux et le frappe contre le mur qui, quelques secondes avant le retenait. Il frappe, frappe et frappe encore. Toute sa haine accumulée se déverse dans son bras et se libère à chaque choc. Le sang, les cris du coupable passé victime qui se transforment rapidement en gargouillis inaudibles. Tout se mélange.

Il voit rouge. Il ne se contrôle même plus. Plus rien n’existe à part la masse difforme qu’il continue de serrer et d’écraser. Une soudaine sensation l’envahit. Son corps se met à trembler, il ne peut plus bouger et finit par s’effondrer sur le sol, inconscient. Le gardien range son bâton électrique et donne un bon coup de pied dans le visage pour s’assurer qu’il ne se relève pas encore. Il le rattache au mur et s’approche de son désormais ex-partenaire.


-Bon sang Bill… Il t’a pas loupé… Foster ne va pas apprécier… Ohhhhh non.

Il laisse le corps au sol et sort en refermant soigneusement la porte derrière lui.

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Depuis quelques temps, la cellule n’est plus silencieuse. Un ricanement nerveux résonne, rebondit sur les murs et s’amplifie avant de s’amenuiser. Mais il finit toujours par ressortir lorsque le regard d’Henry tombe sur le cadavre sans visage qui gît à ses pieds. L’odeur qui s’en échappe commence tout juste à être insupportable, il estime donc que cela fait seulement quelques heures que l’altercation a eu lieu. Il ne peut pas s’empêcher d’y repenser. Quel pied il a pris ! Il n’est plus sûr de s’en sortir vivant mais au moins, il ne regrette rien. Il a montré à ces salauds qu’on ne peut pas le prendre à la légère. C’est une force de la nature, un mâle Alpha, un dominant qui ne courbe jamais l’échine, qui ne plie pas face aux autres, qui ne pose jamais genou au sol.

Il relève la tête en entendant le bruit de la serrure. Cette fois, il n’y a plus de discrétion, plus de chuchotements ou de précautions pour éviter de réveiller le prisonnier. La porte s’ouvre à la volée et frappe violemment contre le mur. Le son claque. Les oreilles d’Henry sifflent pendant qu’il souffre de la soudaine luminosité qui met à mal ses pupilles dilatées. Les sourcils froncés, il distingue la silhouette d’un homme. Il est grand et sa coupe est impressionnante. Ses cheveux rouges contrastent fortement avec le costume noir impeccable qu’il porte. Il se tient bien droit avec une attitude arrogante.


-Alors, alors, alors ? Il paraît que tu fais du grabuge ?

L’inconnu s’avance vers le prisonnier lentement avant de s’accroupir pour placer son visage au même niveau. Henry commence enfin à le discerner. Son regard plonge dans les yeux d’un bleu électrique du nouveau venu. Henry a beau persister, il finit par détourner le regard sous l’intensité de ces yeux. L’homme est assez beau, ses cheveux rouges se rejoignent sous forme d’une barbe fournie. Il a l’attitude de l’homme qui a réussi et qui le sait bien.

-C’est toi qui a tué Bill ? Raconte à papa Foster ce qui s’est passé.
-Va te faire foutre !

Le coup part sans prévenir. La tête du futur esclave part sur la droite et rien ne semble s’être passé, mis à part la douleur lancinante sur sa molaire qui s’est décrochée. Pas la moindre émotion n’est passée sur le visage du roux. Il n’a pas cillé. Pas sûr qu’il ait cligné des yeux. Henry tremble de rage et relève la tête pour le défier.

-Hummm… Tu es un vilain esclave toi, hein ? Un gros dur ! Un de ceux qu’il faut mâter. Pas vrai ?

Prisonnier, Barracuda ne parvient qu’à lui cracher au visage ce qui lui vaut à nouveau deux coups en pleine figure. Foster se redresse et lui écrase la semelle contre le visage. Il lui dit calmement que son calvaire ne fait que commencer. Les temps à venir vont être les plus difficiles de son existence. Il se retourne d’un geste théâtrale et cinq hommes en noir entrent dans la salle avec des cordes. Le temps d’un battement de cil, Henry est complètement ligoté, ne pouvant même plus mettre un pied devant l’autre.

Il tombe face la première dans la poussière après s’être fait pousser dans le dos. Des mains l’empoignent et le soulèvent avec difficulté. C’est qu’il pèse son poids, le bestiau. Il a beau se débattre et se tortiller comme un taureau, il est emmené contre son gré vers son destin.

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La Renaissance

Pendu comme un jambon dans une chambre froide, le terrifiant homme de main de Las Camp a perdu de sa splendeur. Il tourne sur lui-même comme un cerf-volant accroché dans une branche, ballotté par le vent. Son sang séché lui donne l’aspect d’un cadavre. Mais non, il est encore là. Il continue à réagir à chaque coup de bâton et à chaque choc électrique. La vingtaine d’hommes autour de lui s’en donne à cœur joie. Il est rare qu’ils puissent se défouler sur un homme de sa carrure, aussi résistant. Grand nombre de ses prédécesseurs avaient déjà succombé à sa place. Foster, le chef, se tient dans l’ombre et observe la scène. Il est rare qu’il reste éloigné des festivités, n’aimant rien de plus que réprimander les esclaves récalcitrants. Mais pas cette fois. Il réfléchit.

Un connard s’approche et enfonce sa matraque électrique dans les côtes de la piñata de chaire, lui arrachant un cri faible et quelques soubresauts. Le boss s’approche et fait s’écarter tous ses sous-fifres d’un geste gracieux de la main. Il lève la tête pour regarder le pantin à la limite de l’inconscience. Il se félicite de l’avoir laissé manger avant de commencer, il n’aurait sûrement pas tenu sinon. La main du roux gifle la joue noire pour le faire revenir dans ce monde. Henry sort de ses rêves et cligne des yeux. Il n’a plus la force de faire le malin. Tout ce qu’il veut, c’est que tout ça s’arrête. A n’importe quel prix.


-Tuez-moi…
-Non.

Foster le jauge. Au milieu de cette grande pièce noire et vide, éclairée seulement d’une lumière en son centre, cette montagne de muscle fait forte impression à côté des carrures banales de ses tortionnaires. Et le nom d’Henry Morgan ne lui est pas inconnu. C'est le mec qui travaille en collaboration avec la mafia de Las Camp, le Lotus Pourpre. Cet homme lui a déjà volé de nombreux marchés et son trafic bien ancré l’a empêché, lui et son clan, de s’implanter sur West Blue. Heny a fait une grave erreur. En venant sur North Blue, il s’est jeté dans la gueule du loup. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, le chef Foster avait envoyé ses troupes pour le ramener.

En premier lieu, il comptait le vendre comme esclave pour en faire un exemple et faire savoir aux esclavagistes amateurs que la place était déjà prise. Mais il ne s’était pas attendu à une telle force de la nature. Avec un bras en moins et huit jours d’affamement, il était parvenu à neutraliser deux gardiens et en tuer un. Ne serait-ce pas un gâchis que de le tuer ainsi ? Foster plonge la main à sa ceinture et en retire un couteau de combat. Les yeux du prisonnier s’écarquillent de peur. La lame le frôle, il se crispe et chute au sol.


-Je te laisse une chance. J’aime avoir les plus forts dans mon camp. Si tu gagnes, tu pourras me rejoindre. Si tu perds et bien tu es mort. Et si tu refuses… mieux vaut que tu perdes.

Foster jette le couteau aux pieds de l’homme ayant retrouvé sa liberté de bouger et s’éloigne. Il claque des doigts en passant devant un de ses combattants qui acquiesce et s’avance en serrant sa matraque électrique. Les doigts d’Henry se referment sur le manche et il lève les yeux vers son adversaire, une étincelle de folie dans les yeux. Il en a pris plein la gueule, mais il lui reste largement assez de force dans le bras pour éventrer ce pauvre inconscient.

-On y va?


Dernière édition par Henry Morgan le Mar 26 Aoû 2014 - 1:23, édité 1 fois
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L’adversaire d’Henry fait bien pâle figure face à pareille montagne de muscle. Pour équilibrer les choses, ce dernier n’a eu qu’un unique repas en une semaine et se faisait torturer depuis presque six heures. Sans compter qu’il n’a qu’une seule main. Oui, il y a de quoi faire flamber les paris, le combat est équitable. D’ailleurs, les spectateurs ne se gênent pas pour sortir les billets et, très rapidement, le black se retrouve avec une côte de cinq contre un, ce qui a pour effet de profondément vexer le challenger qui comptait sur le soutien de ses partenaires. Un cri siffle dans l’air et les deux hommes se jettent l’un sur l’autre. Le premier se bat avec la volonté de vivre, de se libérer et de reprendre en main son destin. Le second est animé par l’envie de faire ses preuves, d’être reconnu et respecté pour ce qu’il est. Il sait que c’est là sa chance de ne plus être simplement « Jeff le boutonneux », « Jeff le puceau » ou encore « Jeff pine d’huître » comme le surnommait sa dernière petite amie. En terrassant ce géant black, il sait qu’il pourra mettre derrière lui ce regrettable incident avec la chèvre, le chandelier et la cheminée. Beaucoup de volonté des deux côtés donc.

Les coups pleuvent des deux côtés, la force affrontant l’agilité, une véritable illustration de la fable de Chopper contre Oz. Henry ne parvient pas à porter le moindre coup, son adversaire est un expert en arts martiaux et il bondit comme un chamois, se contorsionnant aux limites de la décence. Juste assez pour éviter de mourir, pas assez pour avoir des pauses de fiottes. Il assure. La lame finit par heurter la matraque électrique. Le métal conducteur envoie une décharge à Henry qui lâche son arme. Une goutte de sueur se met à rouler lentement le long de sa tempe. Le clan hurle ! Ile veulent du sang ! Pas si vite, pas déjà ! Les paris ne sont même encore clos. Barracuda sait qu’il est une attraction, une distraction, comme un gladiateur dans l’arène, saignant pour le plaisir de ses bourreaux. Et il aime ça, étrangement. Il va leur montrer. Ca va être un grand spectacle !

Hurlant, l’écume aux lèvres, il se met à charger droit devant lui, les bras écartés. Le cercle est restreint il y a peu d’échappatoires. La technique du Titan Bowling Master a déjà fait ses preuves, mais cette fois il a privilégié l’attaque à la défense. En ouvrant ses bras, il s’assure d’atteindre sa cible, mais laisse une ouverture énorme dans sa garde. Et ça ne rate pas. Jeff, paniqué, brandit sa matraque devant lui et envoie une grosse décharge dans l’estomac du mastodonte. Mais Henry, paniqué du tout, bien au contraire, s’y attendait. Il encaisse le coup qui le fait trébucher. Avec son poids et sa vitesse, il percute violemment Jeff et l’écrase de toute sa masse. Plus d’un quintal de chaire, de muscles, d’os et d’une petite partie de cervelle s’écrase sur le corps fragile de l’artiste martial. Plusieurs côtes se brisent sous la force de l’impact. Henry rebondit lourdement et finit par se faire rattraper par le cercle de spectateurs.


-Retournes-y ! A mort ! A mort !

Mais il a la tête qui tourne. C’est prouvé scientifiquement, se faire électrocuter plus de vingt-sept fois dans la même journée peut poser quelques problèmes de santé. Il louche un peu et titube en regardant son adversaire se relever avec difficultés. Ils se regardent un moment et remontent au contact sous les acclamations de la foule. Cela fait bien longtemps qu’ils n’ont pas vu un tel affrontement. Les esclaves survivent rarement à la séance de torture. Les deux combattants sont affaiblis, la hargne a disparu. C’est un duel pour la survie à présent, rien de plus. Jeff fait un fantastique mouvement qui envoie trois coups de pieds consécutifs dans l’estomac de la brute qui parvient à lui attraper la jambe et à la soulever pour l’écraser contre le sol derrière lui. Sa tête frappe violemment le sol. Tout le monde se tait. Le silence s’installe et devient vite pesant.

Une main s’agite et les yeux clignent tandis que le public s’embrase de plus belle. Le meilleur moment arrive ! L’exécution !

Barracuda sourit et lève les bras en tournant lentement autour de sa victime. Si les hommes avaient su son nom, ils seraient en train de le scander, au lieu de hurler simplement « Ahou ! Ahou ! Ahou ! ». Jeff se tortille de douleur contre la pierre. Sa jambe est brisée et ses poumons s’emplissent petit à petit de sang. Il a du mal à respirer. Il a d’ores et déjà perdu et tout le monde le sait. Et personne ne le pleure. Ce n’est pas le genre de communauté fraternel où le départ d’un membre marque une période de deuil. Il restera à jamais « Jeff le puceau » et personne n’oubliera jamais la chèvre, le chandelier et la cheminée. Henry regarde Foster, son nouveau chef qui se contente de hocher la tête en esquissant un sourire. Il vient de remplacer une lavette par une force de la nature.

Le vainqueur s’agenouille et retourne Jeff sur le ventre, l’attrape par les cheveux et le frappe contre le sol pour l’étourdir complètement. Il place le couteau sous le nez de l’inconscient et pose la tête en équilibre sur le fil de la lame. De nouveau sur ses pieds, il se détend les muscles du cou et du dos en roulant des mécaniques. Bordel, il adore ça ! Le clan tout entier est en effervescence en comprenant petit à petit ce qui va arriver. Sans prévenir, Henry se retourne et frappe de toutes ses forces la tête de sa semelle. C’est fini.

C’est sous les hourras et les bravos qu’il est accueilli alors qu’il quitte la scène pour tomber de fatigue dans les bras de sa nouvelle famille. Sa vision se trouble. Il perçoit le visage de Foster, tout près du sien.


-Bienvenu chez toi.

Le poing du chef s’écrase sur le front du nouvel arrivant comme une forme de bizutage pour finir de l’envoyer aux pays des rêves. Il a fièrement combattu, il le mérite, son repos. Ceux qui le supportent l’emmènent vers ses nouveaux appartements. D’un claquement de doigt, le chef du clan met fin au show et tout le monde s’éparpille en essayant de grappiller les quelques sous des rares fous ayant misé sur Jeff. Quelle idée de miser sur celui restera à jamais, l’homme à la chèvre, au chandelier et à la cheminée…
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