Revenons, si vous le permettez, de multiples heures auparavant. Episode flou, s’il en est, l’escarmouche de chez Frappefer est loin d’être superflue dans cet amas de trahisons à l’encontre de la Marine. Replaçons le contexte quelques instants, si vous le voulez bien.
Shintaro vient de planter son sabre court dans la table, de manière à déstabiliser le forgeron. Même Morneplume est surpris par cette initiative, mais il fait avec. Lorsque leur hôte sert une nouvelle bière à Edwin, un bruit se fait entendre au-dessus de leur tête. Regard vers Kuroda, il a entendu. Hochements de tête, il s’éclipse.
Et pour le moment, vous ne savez rien. Admettez-le : il vous manque le point de vue d’un acteur majeur de cet épisode. Et ce que vous croyez savoir pour le moment est faux.
Un bruit, donc. Et ce bruit n’a pas lieu d’être dans ce silence. Le Sergent Kuroda s’engouffre dans l’escalier, montant les marches une à une dans le plus grand silence. Aucun ordre n’a été passé. Si quelqu’un est en haut, il n’a aucune certitude que ses mouvements ont été entendus en bas.
Plus que quelques marches avant d’arriver sur le palier. Le Sergent Morneplume continue son interrogatoire. L’éventuel intrus de l’étage s’en rassure certainement. Dernière marche, palier. Un tout petit carré de parquet, avec une porte à gauche et une en face. Shintaro se remémore la forme du bâtiment : il se trouve actuellement très proche d’un coin de la structure. Par déduction, la porte en face doit donner sur une pièce de petite taille, un genre de débarras, ou autre. Et celle de gauche permet d’accéder à une salle située tout à fait au-dessus de l’interrogatoire du rez-de-chaussée.
Oreille collée à la porte du supposé débarras. Rien. Main sur la poignée, lente ouverture, bouclier paré. Un débarras, ridiculement petit. Léger coup d’œil, rien. Balais, serpillères, ustensiles divers et variés, étagères vides dans l’ensemble. Rien d’inhabituel, et pas la place d’y cacher qui que ce soit.
Shintaro entame le même processus pour la seconde porte. Ici, son ouïe lui révèle la présence de nombreuses personnes. Il se met en garde, place sa main sur la poignée, et ouvre le battant à la volée.
Son regard se pose immédiatement sur le centre de la pièce, sur une table illuminée par des bougies posées à même le bois. Huit hommes y sont accoudés, cartes en main, et semblent avoir interrompu leur partie pour jeter un œil au nouvel arrivant. Cinq autres sont assis à côté de l’âtre flamboyant, trois se servent à boire à une sorte de mini bar, et quatre sont affalés, somnolents, sur des canapés. Tous sont calmes, et s’intéressent à Shintaro sans surprise, comme s’il était commun de voir quelqu’un entrer comme cela.
Bug littéral de l’assemblée. Le sergent garde son air ahuri, ne comprenant rien à la situation. Personne ne bouge. Le temps s’écoule avec une lenteur impressionnante. Finalement, il referme lentement la porte. Sans lâcher la poignée, il se perd dans ses pensées. Quel est ce bordel ? Pourquoi cette ambiance de bar au-dessus de la demeure du forgeron ? La situation est particulièrement louche. Peu à peu, certains éléments lui apparaissent.
Au bar, aucune bouteille et des verres vides. A la table de poker, aucun jeton ou monnaie susceptible de jouer le rôle d’une mise. Tous n’avaient pas le même nombre de cartes, certains n’avaient qu’une fesse posée sur leur chaise. Autour de l’âtre, les hommes semblaient mal installés. Et sur les canapés, Shintaro se remémora les paupières closes qui clignaient, comme lorsqu’on ferme les yeux sans dormir.
En bas, un bruit de table renversée. Quelques échanges, et une phrase ressort, plus importante que les autres.
Hébergement illégal de soldats révolutionnaires.
Des armes. Beaucoup d’armes étaient présentes dans cette pièce, amplifiant encore le côté inapproprié de la scène. Cela ne lui avait pas sauté aux yeux, mais c’était maintenant une évidence.
Un pas en arrière, bouclier armé au bras gauche, il enfonce la porte violemment, l’envoyant démolir la table de jeu. Les hommes de la pièce ne sont désormais plus à leur emplacement initial, ils ont les armes en main, prêts à se battre. Ces hommes sont des révolutionnaires.
Le cerveau est un outil extrêmement puissant, capable de décomposer les actions lorsqu’on l’exerce à la tâche. La relativité du temps, notion propre à la perception humaine, permet de réagir rapidement lors d’une action rapide. C’est cet artefact temporel qui fait qu’un combat de quelques instants peut paraître incroyablement long.
Et ce combat-là se déroula incroyablement lentement.
Un cri. « Appelle Danton ! ». Un homme se précipite sur un escargophone. Les révolutionnaires se lancent à l’assaut. Parades, coups, Shintaro n’épargne pas ses adversaires. Vingt hommes, c’est bien trop pour jouer au bon samaritain, surtout quand leur niveau est totalement inconnu. Mais après quelques passes, il se rend compte qu’ils ne feront pas le poids.
Danton ? Il réagit à peine au premier cri. L’analyse des mots est plus lente que les réflexes de combat. Cet homme parlait-il de Fidel Danton, celui qui a aidé à la destruction du Teiko ?
Pulupulupulu.
Shintaro continue son affrontement, non sans prêter une oreille à la communication qui s’établi.
Mmh ?
Fidel, on a un prob…
NE DONNE PAS MON NOM IDIOT !
*Clac*
L’interlocuteur a raccroché. Cette voix, ce nom. Fidel Danton, commandant des Hérauts de l’Aurore, est impliqué jusqu’aux veines dans la révolution, c’est une évidence. Edwin Morneplume ne le sait certainement pas encore. C’est cela qu’il cherche tant.
Fidel Danton. Celui qui n’a pas aidé le Teiko, celui qui a entraîné leur chute. La mort de nombreux Gardes Impériaux. L’emprisonnement de Nayami. Nayami…
Nayami…
Pars. Deviens plus fort. Et reviens nous libérer.
Nayami a besoin d’Alrahyr, plus que jamais. Il ne l’a toujours pas libérée. Il doit retourner à la caserne au plus vite, il doit s’émanciper de Morneplume. Il doit s’extraire de cette mission d’une manière ou d’une autre. Il est au beau milieu d’un combat, une opportunité se présente : sérieusement blessé, il sera envoyé en convalescence à la caserne et pourra se débrouiller pour agir. Mais sérieusement blessé, il ne pourra pas agir correctement.
Il se colle à l’une de ses victimes, engorgeant son armure de sang. Puis il se projette hors de la pièce, sur le palier. Il aperçoit l’un des révolutionnaires sortir un fusil, le braquer sur lui, et tirer. D’un rapide mouvement du bouclier, Shintaro se protège de l’impact.
BANG !
Il dévale les marches, indemne. Arrivé en bas de l’escalier, il voit la mauvaise situation de son coéquipier, qui profite des événements pour prendre le dessus sur le forgeron. Rapidement, Edwin se dresse à ses côtés.
Combien ?
Beaucoup…
Le jeune homme simule la blessure. Il le fait très bien, car il a déjà souvent été blessé de manière bien plus grave que ce qu’il fait croire cette fois-ci.
La suite, vous la connaissez.
---
Une fois l’escarmouche terminée, le sergent est sommé de rentrer à Lavallière pour s’y faire soigner, accompagné de son navigateur pour l’aider. Tous croient à sa blessure, personne n’est dans la confidence. Il donne rapidement ses ordres à Mura Yasuaka, son premier caporal, pour qu’il prenne le contrôle de l’unité.
La route pour Lavallière est longue.