Le Boucher d'Inu Town
"Quel genre de malade à bien pu faire ça ?"
Par une belle nuit étoilée de pleine lune à Inu Town
Un petit groupe de marins me bouscula, manquant de me faire tomber. S’excusant sommairement, la troupe se dispersa à un embranchement. M’époussetant le bras, je repris ma route, perplexe. Il était rare de voir autant de marins à cette heure dans les rues. Un pirate de passage devait probablement causer quelques dégâts dans une Taverne, ou bien une bagarre avait subitement dégénérée au point de nécessiter l’intervention de la Marine. Ce genre d’évènement n’arrivait pas souvent, mais s’était à mon sens la seule explication possible. Baillant grossièrement tout en poursuivant ma route, je croisai à nouveau des marins courant au détour d’une rue. Levant un sourcil, je m’arrêtai, suivant des yeux la troupe. Quelque-chose clochait. Me grattant le crâne, j’hésitai à poursuivre ma route ou à une fois de plus me mêler de ce qui ne me regardait pas. Cédant à ma curiosité, je me mis en marche. Repérant le fameux poteau en bois sur lequel j’avais déjà élu domicile de nombreuses fois, j’entrepris son ascension. Quelques efforts plus tard, je me retrouvai au sommet, accroupis, scrutant les environs. L’air frais du soir me caressait le visage et la lueur de la lune éclairait jusqu’aux ruelles les plus sombres en contrebas. C’était une très belle nuit. Une main au-dessus de mes yeux pour me protéger d’un éventuel rayon de soleil inexistant, je tentais de repérer la raison de cet empressement chez les marins…
Les minutes s’écoulèrent. Toujours perché sur mon poteau, je scrutais l’horizon, cherchant à déceler le moindre défaut à cette paisible nuit étoilée. Soudain, un miaulement se fit entendre. Baissant la tête, je constatai qu’un chat blanc essayait de grimper au poteau. Observant attentivement son pelage, un souvenir me revint alors à l’esprit.
- Oh non, pas encore toi !
Le matou se hissa bien vite jusqu’à moi et une terrible bataille s’engagea. Fier combattant, je tentai de faire tomber le chat à coups de pieds, encore et encore… avant que ce dernier ne plante ses griffes dans ma jambe.
- Aïe !!!
Profitant de son avantage, le chat monta sur mon torse et commença à me griffer le visage. Déséquilibré, je basculai dans le vide en beuglant perturbant ainsi le calme planait sur la ville. Atterrissant lourdement sur le toit d’une maison, je brisai quelques tuiles. Gémissant, je levai la tête vers le sommet du poteau où le matou se pavanait fièrement.
- Sale bête….
Un craquement se fit entendre, puis un second.
- Oh, oh…
Au troisième, je traversai le toit pour atterrir dans ce qui semblait être une cuisine. Assis à une table, trois paires d’yeux me dévisagèrent, abasourdis. Leur lançant le même regard, je me relevai, m’aidant d’un bras, avant de m’incliner respectueusement.
- Pardonnez-moi de vous avoir dérangé pendant votre repas.
Une tuile tomba juste derrière moi, concluant ma tirade. Sortant rapidement de la maison en esquivant les casseroles qui volèrent dans ma direction, je trouvai refuge dans une ruelle toute proche. M’épongeant le front, je poursuivis ma route dans cette ruelle, mais soudain, un hurlement déchira la nuit. Bougeant la tête de tout côté pour localiser son origine, je m’élançai en courant dans la ruelle.
Le spectacle que je découvris alors me glaça le sang. Lentement, je portai une main à ma bouche. A mes pieds, gisait un corps masculin inerte recouvert de sang. Son dos avait été découpé à de nombreux endroits, d’où s’échappait encore le fluide vital. L’un de ses bras avait subi le même sort, gisant à quelques mètres du corps, le poing fermé, un anneau à retenant une écharpe de couleur pourpre. La nausée s’empara soudainement de moi et je me projetai brusquement contre un mur proche, régurgitant douloureusement le contenu de mon estomac. Cette souffrance passagère me fit monter les larmes aux yeux, qui continuèrent à s’écouler lorsque mon regard se releva lentement pour découvrir un nouveau corps, féminin cette fois. Ce dernier était allongé sur le côté, la gorge tranchée, les mains jointes, semblant supplier. Des larmes étaient encore présentes sur ses joues et ses yeux d’un bleu profond qui fixaient le mur avec une froideur terrifiante. Regardant attentivement les deux corps, je remarquais de nombreux détails : les anneaux identiques que les deux cadavres portaient à l’annulaire, l’écharpe pourpre qui était celui d’une femme, la position des corps…
Les jambes vacillantes, je m'écroulais contre le mur, m’essuyant la bouche d’un revers de bras tremblant. Dans mon esprit, j’avais reconstitué la scène. Poursuivit le jeune couple avait tenté d’échapper à leur meurtrier. Se faisant transpercer une première fois, le mari s’était agrippé à l’écharpe de sa compagne, avant de se faire trancher le bras. A la merci du tueur, il était tombé à genou, face à sa femme suppliante. Sans pitié, le boucher avait poursuivi son œuvre, faisant fi des suppliques de la jeune femme, avant de finalement lui trancher la gorge…
Couvrant mes yeux avec ma main, je reniflais. Mon cœur se serrait dans ma poitrine et je pouvais ressentir le moindre de ses battements. La nausée était toujours présente et me faisait craindre à chaque seconde de vomir à nouveau. Me redressant, je crachais une dernière fois pour me nettoyer la bouche de ce goût acide, avant de déclarer d’une voix basse :
- Quel genre de malade a bien pu faire ça ?
Entendant au loin les pas cadencés typique d'une troupe de marine, je me relevai instantanément, allant à leur rencontre.
- Hey ! Par ici !