La salle est lugubre, une cabane en bois dégueulasse pour seul repaire. J’suis là, à l’intérieur. La lumière ne passe plus réellement à travers les vieilles fenêtres remplacées par des barricades en contrefaçon, seulement quelques particules de soleil illuminent légèrement le sol. Devant moi, un atelier de bricoleur entoilé depuis d’innombrables années. Les araignées y trouvent un nid douillet, un endroit pour capturer les cibles les plus imprudentes. Elles ont raison, c’est comme ça que ça marche. Néanmoins, j’mets fort à parier qu’il n’y existe pas une once de vie là dedans. Il n’y a que de vieux tournevis rouillés, du bois mort attaqué par plusieurs colonies de termites et des bouteilles d’alcool vieilles d’un demi-siècle. Du bon vieux « Grandal », un alcool qui déchire les neurones et qui transmet des vertus d’équilibriste poissard. J’m’en ouvrirai bien une petite, juste pour y lécher une lichette. C’est vrai quoi, ça n’fait pas de mal de boire de temps en temps. Ça change du liquide pourpre, en quelques sortes.
J’m’approche de la vieille porte qui grince et qui claque en fonction des courants d’air, le vent est joueur aujourd’hui. J’entrebâille vaguement cette dernière tout en attrapant une bouteille déjà entamée d’alcool de feu. J’pose mon épaule sur le côté de la porte, les yeux rivés sur l’horizon. Il fait beau, il fait chaud mais aussi humide, un climat tropical. Une goutte de sueur dégouline le long de mon front, elle tombe rapidement sur le palier en bois qui ne tarde pas à la faire disparaître en fumée. J’attrape le bouchon que j’enlève doucement avec le bout de mon pouce, un petit bruit laisse passer l’air renfermé. Boire pour oublier, pour oublier la mélancolie qui nous rattrape. La nostalgie n’est bonne qu’à faire des ravages, quant aux vestiges du présent, ils ne sont là que pour rappeler le bon temps. Lequel des deux est le plus affreux, c’est la question. J’approche le goulot de ma dentition de prédateur et en verse une gorgée de liquide brun tout en laissant tomber le bouchon qui ricoche jusqu’à un vieux rocking-chair. Une brise d’air chaude vient agiter mes quelques mèches, l’alcool suit son parcours le long de l’œsophage. Le feu est à l’intérieur de moi, il vient sanctifier toutes les impuretés accumulées jusqu’à présent. La vue est magnifique, de la verdure à outrance et une jungle abondamment riche en bananiers. Il est temps de reprendre le boulot de tous les jours, malheureusement.
J’jette violemment la bouteille à mes pieds, l’alcool se renverse partout et les éclats de verre jonchent le sol. Quelques morceaux se plantent dans mes pieds, rien à battre. J’me retourne vers les ténèbres du cabanon, j’avance avec un charisme inexplicable. La plante de mes pieds s’enivre de liquide brun accompagné de quelques bouts de verre ; le bruit en donne la chair de poule. Je referme la porte derrière moi, je la claque sauvagement. L’habitat manque de s’effondrer, des lianes ayant trouvé refuge ici se remuent dans tout les sens. Il est peut-être temps de parler de ce que je n’ai pas encore décris, par manque d’entrain. C’est un jour de déprime, ça se ressent, putain. Ce qui se passe au beau milieu de ce ramassis de pénombre, c’est qu’un vieillard mal au point se retrouve attaché à une chaise qui dégage si peu de vie qu’elle en inspire la mort. Ses liens sont si serrés qu’ils servent d’usine à sang humain, non pas pour me déplaire. C’est la première étape pour me donner l’appétit, c’est comme ça que ma folie sanguinaire s’empare de mes cases pour réfléchir. La faucheuse n’est pas prête à agir, pas maintenant en tout cas.- Je… je n’ai plus de… forces.
Evidemment, ça fait quelques heures que tu te vides de ton sang vieil homme. J’pourrai desserrer, peut-être bien. Hélas, c’n’est pas comme ça que je le vois. Je vois ça comme une gazelle mordue au cou par son lion. Déjà que j’n’avais pas assez de motivation pour attraper un homme d’une vingtaine d’année, c’est un peu la gazelle squelettique là. L’vieux remue ses doigts, comme pour sentir encore le sang parcourir le long de ses phalanges. C’est à ça que ressemble l’agonie, utiliser ses dernières forces pour se convaincre d’être toujours en vie. On va faire ça vite et bien, j’en ai ma claque de cette foutue journée. J’traine du pied jusqu’à l’atelier de bricoleur pour me saisir d’une hache de forestier, que je prends le temps d’aiguiser évidemment. Chaque frottement contre la meule fait vaciller le regard du vieillard, il risque de tourner de l’œil avant l’heure. Ma langue ne peut s’empêcher de préparer le repas, elle nettoie chaque recoin buccal.
Le temps est une mesure diaboliquement machiavélique. L’attente des secondes est la pire des sensations, être dans une situation délicate se résume à vivre une épopée de quelques heures en quelques minutes. D’humeur cafardeuse aujourd’hui, j’vais plutôt abréger que de laisser perpétrer certaines souffrances. C’est l’heure du plat, je m’approche du vieux. Il me regarde d’un air complètement désabusé, je n’te prendrai pas par ce sentiment. La pitié est une maladie nauséabonde, un mot pour excuser les humains d’éprouver de la compassion.
Je serre ma hache, mes doigts prennent racine sur le manche en bois. J’arme mon bras en regardant le vieillard comme une vieille charogne déjà prête à être dépecée, il est temps.- T… ta… – bafouille-t-il la bouche pleine de sang en montrant ma deuxième main qui se balade dans le vide avec son index.
Un léger moment d’arrêt, je fixe son doigt magnifiquement bien tendu. Je n’comprends pas le langage des faibles, il va falloir être plus coopératif vieillard. Je désarme progressivement mon excès de sauvagerie avec un effort surdimensionné. Ta main gauche est sauve, pour le moment.
Dernière édition par Danzel le Lun 22 Sep 2014 - 2:22, édité 2 fois