Rinwald Alric
Pseudonyme : Age: 27 ans Sexe : Homme, Race : Humain Métier : Agent Groupe : Cipher Pol 5 But : La justice Fruit du démon ou Aptitude que vous désirez posséder après votre validation : Rokushiki Équipement : Des mousquets, des poignards, un stiletto, un paquet de cigarettes. Codes du règlement : Parrain : Santa Klaus Ce compte est-il un DC ? : Oui Si oui, quel @ l'a autorisé ? : Beth ! |
>> Physique
Alric est un être humain d'exactement un mètre quatre-vingt sept pour quatre-ving un kilos. Ses cheveux noirs touffus et mi-longs lui retombent en partie sur le front et dans le cou, mais sont tout de même assez coiffés pour ne rien cacher de son visage. Ses pommettes hautes sont surplombées par ses yeux gris foncés, son nez est droit. Sa bouche aux lèvres minces tient la plupart du temps une cigarette qui fume. Ses joues creusées légèrement arborent généralement une barbe de quelques jours, rarement plus que le collier, avec également quelques poils sur son menton rond. Son sourire moqueur met en avant une dentition parfaite aux canines un peu plus longues et visibles que la normale.
Alric est toujours vêtu d'au moins une chemise dotée d'une cravate, avec parfois tout un complet et un pardessus assorti pour les jours de pluie ou de froid. La cravate rarement serrée s'accorde bien avec le style détendu de l'agent. Conformément à celui-ci, il porte également des chaussures de ville en permanence. En plus, il peut toujours facilement mettre de l'ordre dans sa tenue, des fois que cela s'avère nécessaire. Le fait d'être vêtu la plupart du temps en costume accentue sa carrure d'homme actif physiquement.
Son cou est un peu plus long que la moyenne et sa chemise déboutonnée. Son torse est totalement caché par ses vêtements, et son corps finement musclé reste souple. Ses mains tout à fait ordinaires sont peu souvent, si ce n'est jamais, gantées.
L'homme marche toujours à grandes enjambées, le dos droit, mettant à profit ses longues jambes, sauf en cas d'infiltration, où le personnage qu'il incarne varie au cas par cas. En arborant une démarche lui donnant l'air sûr de lui, il s'auto-conforte dans cette opinion. Quant à sa voix, elle est plutôt grave pour quelqu'un de son gabarit.
Alric est toujours vêtu d'au moins une chemise dotée d'une cravate, avec parfois tout un complet et un pardessus assorti pour les jours de pluie ou de froid. La cravate rarement serrée s'accorde bien avec le style détendu de l'agent. Conformément à celui-ci, il porte également des chaussures de ville en permanence. En plus, il peut toujours facilement mettre de l'ordre dans sa tenue, des fois que cela s'avère nécessaire. Le fait d'être vêtu la plupart du temps en costume accentue sa carrure d'homme actif physiquement.
Son cou est un peu plus long que la moyenne et sa chemise déboutonnée. Son torse est totalement caché par ses vêtements, et son corps finement musclé reste souple. Ses mains tout à fait ordinaires sont peu souvent, si ce n'est jamais, gantées.
L'homme marche toujours à grandes enjambées, le dos droit, mettant à profit ses longues jambes, sauf en cas d'infiltration, où le personnage qu'il incarne varie au cas par cas. En arborant une démarche lui donnant l'air sûr de lui, il s'auto-conforte dans cette opinion. Quant à sa voix, elle est plutôt grave pour quelqu'un de son gabarit.
>> Psychologie
Alric est cynique, blasé, grinçant, acide, et n'aime pas les gens. Ensuite, pour les individus, c'est au cas par cas. Cela fait bien longtemps qu'il n'a plus foi ni en l'humanité, ni en l'humain. Il continue toutefois de s'y intéresser avec un grand souci du détail. La raison pour laquelle il persévère dans l'étude de ses congénères est qu'il possède au fond de lui une pointe d'optimisme étouffée soigneusement par le réalisme et l'expérience. Loin de tout manichéisme, l'agent considère que le Gouvernement Mondial est le moindre de deux maux, et que, l'enfer étant pavé de bonnes intentions, autant s'en tenir à un régime qui, s'il a ses défauts, a au moins le mérite de laisser en paix les petites gens. Globalement.
Son caractère tourne au colérique, à l'irritable, à l'agressif, pour peu qu'il ait décidé d'arrêter de fumer, pour sa santé et son porte-monnaie, ce qui le prend par intermittences. Généralement, il rechute rapidement, retrouvant sa personnalité plus calme mais tout aussi peu sympathique.
Alric ne se connaît pas d'amis, juste des gens qu'il connaît mieux, et avec lesquels il est grosso modo tout aussi désagréable, mais la méchanceté avec intention de blesser en moins.
Tout cela est dominé par son sens de la justice nécessaire. Ainsi, l'homme considère important son travail au sein du gouvernement, est content de l'accomplir, mais ne pense pas être lié au sens strict par les lois édictées à propos des gens normaux. Il estime raisonnable de s'affranchir des ordres et de l'autorité pour le bien du monde, quitte à assumer le blâme s'il se fait pincer. Par exemple, tuer un hors-la-loi possédant un Fruit du Démon est logique puisque, statistiquement, ils ne font pas amende honorable, et cela donne la possibilité à terme au gouvernement de récupérer le pouvoir. En ce qui concerne les Hommes-Poissons, puisqu'ils font partie, bon gré mal gré, du Gouvernement Mondial, ils n'ont qu'à se plier aux mêmes règles que tout le monde. Ni plus, ni moins.
Cela dit, il tente de faire preuve de lucidité, et se sait arrogant, prétentieux, et a conscience que sa notion personnelle de la justice n'est pas celle de tout le monde. Ce qui ne l'empêche pas de l'appliquer.
Son caractère tourne au colérique, à l'irritable, à l'agressif, pour peu qu'il ait décidé d'arrêter de fumer, pour sa santé et son porte-monnaie, ce qui le prend par intermittences. Généralement, il rechute rapidement, retrouvant sa personnalité plus calme mais tout aussi peu sympathique.
Alric ne se connaît pas d'amis, juste des gens qu'il connaît mieux, et avec lesquels il est grosso modo tout aussi désagréable, mais la méchanceté avec intention de blesser en moins.
Tout cela est dominé par son sens de la justice nécessaire. Ainsi, l'homme considère important son travail au sein du gouvernement, est content de l'accomplir, mais ne pense pas être lié au sens strict par les lois édictées à propos des gens normaux. Il estime raisonnable de s'affranchir des ordres et de l'autorité pour le bien du monde, quitte à assumer le blâme s'il se fait pincer. Par exemple, tuer un hors-la-loi possédant un Fruit du Démon est logique puisque, statistiquement, ils ne font pas amende honorable, et cela donne la possibilité à terme au gouvernement de récupérer le pouvoir. En ce qui concerne les Hommes-Poissons, puisqu'ils font partie, bon gré mal gré, du Gouvernement Mondial, ils n'ont qu'à se plier aux mêmes règles que tout le monde. Ni plus, ni moins.
Cela dit, il tente de faire preuve de lucidité, et se sait arrogant, prétentieux, et a conscience que sa notion personnelle de la justice n'est pas celle de tout le monde. Ce qui ne l'empêche pas de l'appliquer.
>> Biographie
Alric est né en 1598 à Mariejoa d'un père travaillant au sein du gouvernement mondial et d'une mère au foyer, Lena. Ses parents s'étaient rencontrés à peine un an auparavant, et ce fut le coup de foudre. Ils se marièrent dans la foulée et conçurent dans la semaine. Alvin, son père, ayant un rôle de fonctionnaire relativement important, l'enfant vécut les premières années de sa vie dans l'aisance, pour ne pas dire l'opulence. Ils avaient même deux bonnes à domicile, pour s'occuper de la grande maison principale. La famille parfaite, en somme.
Cependant, quand il eut six ans, suite à des tensions politiques et des affrontements de factions au sein de l'administration, Alvin fut évincé et se retrouva tout d'un coup à la rue, sans passer par la case rétrogradation. Malgré sa mise en congés brutale et forcée, le père Rinwald continua à soutenir le gouvernement et à chanter ses louanges aveuglément, vivotant de petits boulots de plus en plus petits et d'alcool. Dès son licenciement, la mère d'Alric, voyant la fin du train de vie familial et jouissant toujours d'une certaine beauté, demanda un divorce expresse et quitta le foyer sans s'encombrer de son fils, un bagage envahissant pour son remariage avec l'administrateur qui venait de prendre la place de son ex-mari, et qui appartenait à une faction dont l'influence croissante lui assurait du pouvoir et des promotions rapides.
Le petit Alric passa donc abruptement de la bourgeoisie au prolétariat et, malgré une certaine incompréhension au début devant le nombre d'éléments à assimiler, entre le départ de sa mère et l'alcoolisme de son père, il s'adapta à sa nouvelle vie sans un mot, n'en pensant pas moins. La grande maison principale fut vendue pour permettre à Alvin et Alric de survivre, tout comme les deux maisons secondaires. Les bonnes avaient été licenciées tout de suite après le père et rapidement il ne resta qu'Alric pour s'occuper vaguement du rangement, du nettoyage, et pour bricoler quelque chose à manger.
Au départ, Alvin garda la tête au-dessus de l'eau, se rendant utile dans une myriade de jobs, mais peu à peu la motivation à travailler s'effaça pour laisser la place à un goût prononcé pour la bibine pas chère. Quant à Lena, Alric n'eut plus de nouvelles d'elle dès lors qu'elle eût quitté la maison. Livré à lui-même dans un foyer monoparental qui oublia peu à peu l'amour filial, l'enfant grandit comme un enfant plutôt solitaire, répondant aux contacts extérieurs mais ne le cherchant pas, sans réel ami.
Quelque peu formaté par l'amour de son père pour le gouvernement, et s'en rendant compte, il décida lui aussi de s'engager dans cette branche. Considérant qu'il n'était cependant pas fait pour un poste assis à un bureau dans l'administration, souhaitant en faire plus, et même plus que ce qu'on lui demandait, Alric décida de s'engager dans le Cipher Pol en 1616. Cela lui donnerait toute la latitude qu'il estimait nécessaire pour se mettre au service de la justice ainsi que le droit d'exécuter celle-ci. En bonus, il pourrait même éventuellement enquêter sur le mouvement de faction qui avait évincé son père et faire la lumière sur des faits que ce dernier n'avait jamais voulu lui dévoiler.
Cependant, quand il eut six ans, suite à des tensions politiques et des affrontements de factions au sein de l'administration, Alvin fut évincé et se retrouva tout d'un coup à la rue, sans passer par la case rétrogradation. Malgré sa mise en congés brutale et forcée, le père Rinwald continua à soutenir le gouvernement et à chanter ses louanges aveuglément, vivotant de petits boulots de plus en plus petits et d'alcool. Dès son licenciement, la mère d'Alric, voyant la fin du train de vie familial et jouissant toujours d'une certaine beauté, demanda un divorce expresse et quitta le foyer sans s'encombrer de son fils, un bagage envahissant pour son remariage avec l'administrateur qui venait de prendre la place de son ex-mari, et qui appartenait à une faction dont l'influence croissante lui assurait du pouvoir et des promotions rapides.
Le petit Alric passa donc abruptement de la bourgeoisie au prolétariat et, malgré une certaine incompréhension au début devant le nombre d'éléments à assimiler, entre le départ de sa mère et l'alcoolisme de son père, il s'adapta à sa nouvelle vie sans un mot, n'en pensant pas moins. La grande maison principale fut vendue pour permettre à Alvin et Alric de survivre, tout comme les deux maisons secondaires. Les bonnes avaient été licenciées tout de suite après le père et rapidement il ne resta qu'Alric pour s'occuper vaguement du rangement, du nettoyage, et pour bricoler quelque chose à manger.
Au départ, Alvin garda la tête au-dessus de l'eau, se rendant utile dans une myriade de jobs, mais peu à peu la motivation à travailler s'effaça pour laisser la place à un goût prononcé pour la bibine pas chère. Quant à Lena, Alric n'eut plus de nouvelles d'elle dès lors qu'elle eût quitté la maison. Livré à lui-même dans un foyer monoparental qui oublia peu à peu l'amour filial, l'enfant grandit comme un enfant plutôt solitaire, répondant aux contacts extérieurs mais ne le cherchant pas, sans réel ami.
Quelque peu formaté par l'amour de son père pour le gouvernement, et s'en rendant compte, il décida lui aussi de s'engager dans cette branche. Considérant qu'il n'était cependant pas fait pour un poste assis à un bureau dans l'administration, souhaitant en faire plus, et même plus que ce qu'on lui demandait, Alric décida de s'engager dans le Cipher Pol en 1616. Cela lui donnerait toute la latitude qu'il estimait nécessaire pour se mettre au service de la justice ainsi que le droit d'exécuter celle-ci. En bonus, il pourrait même éventuellement enquêter sur le mouvement de faction qui avait évincé son père et faire la lumière sur des faits que ce dernier n'avait jamais voulu lui dévoiler.
>> Test RP
Même pas le temps d'ouvrir la bouche pour gober une mouche que j'suis sur l'île de Chnokoutapé. Parfois, l'administration mondiale m'impressionne. Rectification : elle m'impressionne systématiquement, mais rarement dans l'bon sens.
Bref, on m'a filé un ordre de mission, un sac avec ce que j'avais demandé et roulez jeunesse, comme disent les vioques. Me r'trouve sur une île perdue au milieu d'nulle part. Trouver une taupe d'la base marine du coin et la mettre hors d'état de nuire avant qu'elle divulgue des informations secrètes.
Du coup, j'm'invite dans ladite base. Y'a bien une surveillance, mais j'peux pas dire que les types mettent du cœur à l'ouvrage. S'ils gardaient les yeux ouverts, ça serait plus facile de repérer les intrus. Mais j'les comprends, l'est bien quatorze heure, et le mardi, si j'en crois mon odorat, c'est tartiflette.
Y'a même un Marine qu'essaye de se planquer pour roupiller à l'aise. Mais la bouffe était tellement grasse, il brille à la lumière du jour. Comme un putain de vampire dans les pires torchons de Mariejoa.
Parfois, j'me demande pourquoi j'ai été formé à l'infiltration. On rentre là-d'dans comme dans un moulin. Probablement parce que c'est l'trou du cul du monde, mais du coup, j'sais pas ce qu'un Marine pourrait savoir. Si j'avais l'temps d'y réfléchir deux minutes, j'me dirais qu'c'est bizarre, comme dénonciation, mais il s'trouve que j'ai pas trop l'temps, là.
Les Marines ont beau pioncer ferme, d'temps en temps, ils battent des paupières, des fois que le patron passe dans l'coin. Ca ferait mauvais genre, sur l'dossier, d'avoir écrit ''aime faire la sieste pendant les rondes''.
Maintenant qu'j'suis dans la base, j'marche comme si j'étais dans ma piaule. Ca marche à tous les coups. Vu que j'me souviens du plan qu'on m'a refilé sur l'bateau, j'sais direct où aller. On commence toujours par fouiller le matos du gars bizarre. Ca s'passe dans l'vestiaire.
Quand j'rentre, finie l'odeur de tartiflette. J'lui adresse une pensée émue, elle était pas si mal, cette odeur, finalement. Pasque ça refoule sec, dans l'vestiaire. J'ai du mal à savoir si ça schlingue la sueur avec un peu d'odeur de pieds ou l'inverse. La mort dans l'âme, j'referme la porte derrière moi. J'préfèrerais aérer, mais tant pis.
J'ai plus qu'à trouver et ouvrir le casier du bonhomme histoire de jeter un coup d'œil et éventuellement mes paluches dedans. J'dois avoir du matos pour ça dans le sac qu'on m'a refilé au départ. J'vais pour l'ouvrir, tranquillou, sens aux aguets quand même, pasqu'un type qui essaie de piquer des trucs dans l'vestiaire de la Marine, il doit pas se faire bien accueillir et...
Wut ?
Et putain, mais c'est quoi ce truc ? J'tiens dans mes mains un genre de godasse pour femme, un escarpin, rose avec des paillettes. J'me fige, quasiment la bouche grande ouverte. Okay, une fois de plus, l'administration aura dépassé, et bien cette fois, toutes mes prévisions. Connard d'analphabète, le gars qui prépare le matos. Ou la nana, du pareil au même.
« Mais, qui êtes-vous, qu'est-ce que vous faites là ? »
Une brusque voix masculine derrière moi me sort de mon hébétude. Putain, putain, putain. J'laisse tomber le stiletto dans le sac, en m'demandant si dire que j'cherche les toilettes, ça passe. C'est pas très original mais rien que d'y penser, j'ai un p'tit sourire en coin. Parfait. J'fige mon expression comme ça avant de m'retourner, en fermant le sac d'une main.
« - Bonjour. Rinwald, C.P.D.T.G.. Conseil de Protection du Droit du Travail Général. Vous êtes ? Que j'lui sors avec aplomb et une voix sèche.
- Conseil de Protection de quoi ?
- Protection du Droit du Travail Général. C'est pas grave si vous comprenez pas. Nom et matricule, soldat. »
Quand j'me suis retourné pour faire face au type qui m'avait surpris, j'ai vu la même trogne de connard que celle sur la photo d'identification du suspect. Tu parles d'un coup de bol. Heureusement que j'avais pas le nez dans son casier. Encore que vu l'odeur, jamais j'y aurais mis le pif, en fait.
Le bonhomme est un peu plus grand que moi, un peu plus barraqué, aussi, mais vachement plus jeune. La vingtaine, d'après sa fiche. Y'a un truc bizarre sur ses joues, j'crois qu'il essaie de s'faire pousser la barbe, mais c'est dur à dire. Il a un regard un peu dans l'vide, et un sourire vague, le genre qui donne envie de cogner dessus, pasqu'il donne l'impression que l'type se fout d'ta gueule. Putain j'ai envie d'allumer une clope.
« - Seconde classe Louis Hocourenthe. Je vais devoir vérifier votre identité.
- Laissez ça, seconde classe Bidule. Amenez-moi plutôt voir vot' patron, le colonel Laverdure.
- Seconde classe Hocourenthe.
- J'm'en fous.
- Je dois quand même voir vos papiers...
- Faut que j'vous fasse un dessin ? Les papiers, j'les montre au colonel, pas à un putain d'larbin. C'est clair comme ça ?
- Bah, euh... J'vous amène au colonel, alors, j'crois... Mais restez poli, ho ! »
Bon, j'ai évité la première crise avec brio. J'me jette vite fait une fleur avec émotion. Mais du coup, j'ai pas pu voir le casier du soldat Louis. J'ferai ça plus tard, si j'trouve un moment. Le colonel, j'vais lui dire que j'ai une mission du Cipher Pol et ça devrait l'faire. Ma cible me fait sortir du vestiaire et entrer dans le bâtiment principal, sous le regard un peu plus vif que tout à l'heure des sentinelles. Fallait impressionner l'visiteur, heh ?
J'le laisse me mener au bureau du patron, tout en l'observant en douce. Sa manière de marcher, surtout. Vu comme c'est parti, j'vais probablement devoir le filer. Il m'jette un regard en fronçant les sourcils. De là où il est, il doit croire que j'mate son cul. J'hésite à baratiner sur l'état de son uniforme, mais j'laisse pisser, par flemme.
On finit par arriver devant deux Marines qui doivent garder la porte du bureau du grand manitou. Modèle armoire à glace. Rien qu'à la vacuité de leurs regards, on sent que c'est écrit ''A louer'' sur leur front. J'm'avance pour rentrer quand y'en a un qui me bloque du bras et m'fait :
« - On doit vous fouiller avant de vous laisser entrer. »
J'avoue que j'l'ai mauvaise, mais 'sont trois bourrins, et un gratte-papier de l'administration, ça fout pas des beignes à la glorieuse Marine. Du coup, j'déballe mon matos, mes ptits couteaux persos. Le mousquet et quelques autres surins sont restés dans l'sac.
« - Faut qu'on regarde le sac, aussi. »
J'le vis mal. S'ils regardent dans le sac, ils vont voir la godasse rose à paillettes, et j'suis pas sûr d'assumer. Nan, j'suis sûr de pas assumer, plutôt. Plusieurs idées flashent dans ma tête. Dire que j'ai ramassé ça dans l'vestiaire, qu'c'est scandaleux. Passer pour un type aux goûts douteux. L'soldat Louis va y croire, lui, c'est vendu. Il ose déjà pas trop m'toucher, de peur de m'donner des idées.
Finalement, j'botte en touche.
« - Ouais, nan, laissez tomber le sac.
- Si, faut qu'on regarde dedans, c'est important.
- Pourquoi c'est important ?
- On nous a dit de regarder dans les sacs.
- Oui, mais pourquoi ?
- Parce qu'on nous a dit que c'est important. »
Oulah, vraiment aux abonnés absents, tout là-haut. J'ai essayé de l'embrouiller ni vu ni connu, mais l'est tellement obtus que ça a pas marché. Ptet que si j'l'enfume avec des mots de plus de deux syllabes...
« - En vertu des prérogatives qui sont miennes en tant qu'inspecteur du Conseil de Protection du Droit du Travail Général, je vous demanderai de garder ce sac et de ne surtout pas l'ouvrir pendant que je m'entretiendrai avec le colonel Laverdure.
- Huh ? »
Ca y est, j'les ai paumé. Nickel.
« - Vous avez pas l'droit d'ouvrir le sac sinon j'vais m'arranger pour que vous récurriez les chiottes d'une prison où tous les occupants ont la chiasse.
- Oui mais on doit regarder le sac et... »
Là, ça commence à me gonfler. J'pensais que ça allait passer tout seul, mais comme ils captent que dalle à la discussion, j'jette le sac fermé par terre et j'enfonce le passage. En m'mettant d'profil et en rentrant le bide, j'parviens à m'glisser entre les deux mastodontes avant qu'ils aient le temps de réagir, distraits qu'ils sont par le sac par terre. J'ouvre la porte précipitamment et j'rentre dans le bureau, suivi par les trois Marines qui essaient d'me retenir.
Le colonel Laverdure lève un regard surpris de son bureau et recoiffe ses longues mèches vertes derrière son oreille. Moi, j'montre fièvreusement mon insigne du Cipher Pol tout en le cachant manifestement aux autres grouillots.
« - Secondes classes Hocourenthe, Buffet et Vaisselier. Laissez-moi m'entretenir avec notre visiteur seul à seul.
- On n'a pas vérifié le sac, mon colonel.
- Vérifiez le sac dehors.
- Nan, vérifiez pas le sac !
- Bon, ne vérifiez pas le sac.
- Mais c'est important de vérifier le sac.
- Ne. Vérifiez. Pas. Le. Sac. Fixez-le bien. Sans cligner des yeux.
- A vos ordres, mon colonel ! »
Une fois la porte refermée, j'laisse échapper un soupir et j'reprends mon souffle avant de m'installer sur le siège posé devant le bureau.
« - Je ne me rappelle pas vous avoir donné la permission de vous asseoir.
- On est obligé d'la jouer comme ça ?
- Non, c'est vrai, c'était pour la forme.
- Qu'est-ce qu'on s'bidonne.
- On fait ce qu'on peut.
- C'est pas des flèches, vos gars, hein ?
- Pas tellement. Du coup, je les cantonne à des missions où ils n'ont pas besoin de réfléchir.
- Ca doit pas être facile.
- C'est surtout psychologiquement que c'est dur. J'ai mis deux heures à leur faire comprendre qu'ils devaient rester devant la porte et contrôler les gens...
- Ah ouais, quand même.
- A la fin, je n'en pouvais plus. Je les ai giflé.
- A ce point ?
- Je me suis senti mal, quand ils m'ont regardé, un peu comme des chiots, tristes de pas être à la hauteur.
- Vous pouvez pas les foutre ailleurs ?
- Malheureusement, non. Enfin bref, qu'est-ce qui vous amène ? »
Ha. Il essaie de me faire le coup du j'te raconte un truc, tu m'racontes ton truc. Il croit qu'après son histoire sur les deux débiles de portiers, j'vais lui lâcher le morceau de la mission ? A d'autres. Pendant que j'réfléchis à la manière d'lui opposer une fin de non-recevoir sans l'vexer, parce qu'il a été cool jusqu'à présent, j'sors mon paquet de cigarettes histoire d'en griller une.
« - Désolé, mais vous ne pouvez pas fumer.
- Ah, la fenêtre est fermée, j'vais l'ouvrir.
- Non, vraiment, fenêtre fermée ou ouverte, ne fumez pas.
- Je comprends. »
J'dis ça, mais j'rage. Du coup, au temps pour la manière gentille de le recaler. Ca tombe bien, c'était la crise, j'trouvais plus de gentillesse en stock.
« - La raison qui m'amène est une mission confidentielle du Cipher Pol. En tant que tel, vous comprenez donc que je ne peux pas accéder à votre demande d'information. »
Voilà, j'lui ai fait la version polie, mais uniquement parce que j'veux lui demander un truc derrière. J'resserre ma cravate en m'redressant dans mon siège.
« - De plus, j'aurais besoin de la liberté de circulation au sein de la base, dans le cadre de la mission. »
J'm'attends à ce que ça coince. Ca bloque toujours. La guerre des kikis habituelle.
« - Oui, bien sûr, allez-y. Je vais vous...
- Si vous refusez, vous vous mettrez en travers de la mission d'intérêt général du CP !
- Je sais, c'est pourquoi je compte bien vous donner...
- Si c'est ça, prévenez ma hiérarchie ! Vous verrez ce qui va se passer !
- Voilà, votre accréditation.
- Hein, quoi ?
- Tenez, votre autorisation pour circuler librement dans la base.
- Ah, mais, comme ça ?
- Oui, comme ça.
- Sans discussion ? Sans argumentation ? Sans engueulade ?
- Oh, vous savez, on s'en lasse rapidement, de ça, même si parfois ça allège la monotonie. Allez, bon vent et bon courage. »
Ben là, clairement, j'suis sur le cul. 'Fin j'suis assis, mais j'en reviens pas. Limite déçu, quoi. Le petit duel avec la faction alliée-mais-pas-trop, c'est quand même un moment fort de nos missions, alors si on peut pas donner la pleine mesure de notre talent, à quoi bon... D'ailleurs, c'est pas tout ça, mais l'est temps d'aller s'en griller une, avant d'attraper le p'tit Louis, des fois qu'il ait pas été sage.
J'profite de mon papelard pour me balader dans la base. Elle ressemble à tous les autres Q.G. un peu tristounets de la Marine, mais au cours de mes pérégrinations, j'arrive devant ce que, l'air de rien, j'cherchais : le tableau des affectations. Là, j'trouve le nom de mon bonhomme, Hocourenthe. Y'en a pas beaucoup qu'ont un nom aussi ridicule. J'vois qu'il finit son service à dix-huit heure et qu'il est en permission à dix-neuf. Ca sera le moment d'lui tomber sur le râble.
Satisfait, je sors de la base histoire de m'trouve un p'tit hôtel où passer la nuit, si nécessaire. Dès que j'ai passé le portail, j'sors mon paquet de cigarettes. J'peux enfin m'en griller une. J'me retiens pour pas la finir en deux bouffées, pour savourer. Dès qu'elle est finie, j'reprends ma marche pour trouver une piaule. J'en prends une pas trop dégueu. Après tout, c'est le Cipher Pol qui régale, tant que j'déconne pas trop sur les frais. L'hôtelier est, comme de coutume, petit et gros. Ca doit être une condition pour avoir une auberge ou un truc du genre.
Quand j'lui demande si j'peux fumer dans ma piaule, il m'dit non, ce connard. Même en ouvrant la fenêtre. Les gens de cette île commencent à m'les briser sévère, mais j'fais pas d'esclandre, j'veux quand même d'un coin où pioncer. J'l'ai mauvaise trop souvent, ces derniers temps.
Une fois dans ma chambre au premier étage, j'procède d'abord à un état des lieux. J'ai encore un peu d'temps avant que bidule ne soit libre. Le papier-peint couleur moisi des murs s'casse un peu la gueule, la seule chaise est bancale, mais le lit n'a pas de sales bestioles du genre punaises ou puces dedans. Par contre, le matelas a l'air d'être rembourré avec des galets. Ca f'ra l'affaire.
Du coup, j'compte bien profiter d'mon temps libre pour examiner mon sac. S'il s'est planté sur le stiletto, y'a pas de raison qu'il ait pas fait d'autres conneries, le type qui m'a préparé mes affaires. Pour m'auto-ménager un p'tit effet de suspense –on s'occupe comme on peut en attendant Louis, j'sors les objets un par un au lieu de tout vider en vrac sur le plumard.
Du coup, en premier sort l'escarpin rose. Forcément, il était sur le dessus. J'le laisse tomber sur le lit avec un rictus. Ensuite vient un mousquet, avec de quoi le recharger : de la poudre et quelques balles. Bon. Après, un long couteau, une dague, un coutelas, bref, un p'tit assortiment pas dégueulasse. Le sac est quasiment vide, mais j'sens bien qu'il reste quelque chose.
En toute honnêteté, j'ai peur. A la lumière du jour tombant dans le sac, j'ai cru voir un scintillement pailletté. J'crains le pire. Avec un soupir, j'mets la main au fond et j'ressors le jumeau de l'escarpin que j'avais déjà vu. D'un vif mouvement du poignet, j'le jette à côté de son frère –de sa sœur ? Et j'me gratte le menton, en cherchant à comprendre ce qui est passé dans la tête du type qu'a préparé mon matos.
Finalement, j'vois qu'une façon. Il a dû croire que le stiletto faisait référence à la chaussure au lieu du stylet, le couteau à lame très fine. Et comme il s'est dit que demander une seule godasse, c'était bizarre, il m'en a mis une deuxième. Par contre, pour le rose à paillettes, j'avoue que j'sèche. L'explication la plus simple étant généralement la bonne, ça devait être tout ce qu'il avait en stock et il était pressé par le temps.
Reste qu'une chose à vérifier. J'me sens pas bien, mais c'est encore le meilleur moyen de tester mon hypothèse. Puis, tout seul dans ma chambre, j'devrais pas trop me taper la honte. Y'a qu'mon ego qui s'recroqueville rien que d'y penser.
Assis sur le pieu, j'me baisse pour défaire mes lacets et enlever mes chaussures. J'retire les chaussettes, aussi. Puis j'essaie les escarpins. Ah ouais, carrément à ma taille. J'peux pas dire que ça soit confortable, par contre. Maintenant que ça, c'est fait, j'peux me remettre normalement. Le type a dû se dire que j'aurai besoin de deux chaussures pour marcher ou j'sais-pas-quoi, et qu'en demander une avait dû être une erreur. Putain.
Après avoir rangé le mousquet et deux couteaux dans le sac, et caché les autres lames un peu partout sur moi, j'me laisse tomber en arrière pour m'allonger. En regardant le plafond, j'commence à réfléchir à ce que j'vais faire. J'compte bien filer Louis Hocourenthe. L'info a l'air de dire qu'il va fuiter incessament sous peu, donc faudra l'avoir à l'œil.
Reste à trouver comment faire. Non seulement il a déjà vu ma tronche, mais en plus il a pas de raison de m'apprécier plus que ça. J'pourrais me mêler à la foule, mais ça implique d'avoir une foule, et c'est pas trop l'cas sur cette île paumée. J'sais même pas pourquoi y'a la Marine, en fait. Niveau coin désert, ça s'pose là.
Au bout d'un moment, une esquisse de plan tordu se dessine dans ma tête. C'est complètement con, mais d'une, j'trouve rien d'autre, et de deux, plus c'est gros, mieux ça passe. En général. Au pire, ça changera pas grand-chose.
Du coup, j'embarque le sac avec les chaussures et j'descends. J'ignore l'gros hôtelier quand il me souhaite une bonne fin d'aprèm et j'taille la route, direct vers le port. Tous les ports ont des putes, c'est bien connu. Enfin vu comme c'est daubé, comme zone, y'aura probablement que des vieilles radasses, si tant est qu'il y ait quelque chose.
Après avoir farfouillé un peu, j'trouve un p'tit groupe de péripatéticiennes qui discute en fumant des clopes. Y'a aut' chose qui circule sous l'manteau, probablement d'la came. Pour ce que j'en ai à secouer. J'prends la seule qui ressemble encore à quelque chose, la moins moche du lot. Elle est sûrement plus jeune que moi, mais elle en a pas l'air.
« - Toi, la blonde. Nan, pas toi, la moche, l'autre, celle qu'a l'air baisable. Ouais, toi. T'as une piaule ?
- Oui m'sieur. C'est pour la nuit ou juste vite fait ? Les tarifs sont pas les mêmes. Cinq k vite fait, vingt k la nuit.
- Ca va être vite fait mais si tu t'débrouilles bien, tu pourras avoir plus.
- Sûr, m'sieur, on m'appelle...
- J'm'en cogne, de comment tu t'appelles. On va à ta piaule.
- Hé, restez poli, intervient une des vieilles peaux.
- Occupe-toi d'ton vieux cul moisi, la vioque.
- Ho, dites, si c'est ça, on va appeler not' mac et...
- Nan, calmez-vous, les filles, supplia celle que j'avais choisie. J'm'en charge, vous inquiétez pas.
- Ouais, elle s'en charge. Allez tapiner au lieu d'me les briser.
- Crie si t'as besoin d'aide, on viendra avec Charlie pour les lui briser au sens littéral, assure une autre.
- Ouais, Marjory, j'ferai ça.
- Voilà, super, tout le monde il est content, que j'dis. On peut y aller, maintenant ? »
Maintenant que ça, c'est fait, on enclenche la seconde partie de mon super plan. J'suis Machine jusqu'à son lieu de travail. Une fois tous les deux rentrés dans la chambre minuscule qui pue, elle commence à se dessaper.
« - Holà ! J't'arrête tout de suite.
- Quoi, vous préférez faire ça habillés ? S'pas pratique.
- Nan, en fait, on va pas l'faire.
- Hein ? Mais on va faire quoi, du coup ?
- On va faire ce que je vais te dire de faire.
- J'sais pas si ça rentre dans ce que j'ai l'droit de...
- Boucle-là et écoute-moi. Dis-moi si y'a un truc que tu comprends pas, aussi.
- J'vous préviens, si j'crie, les autres arrivent.
- J'en doute pas, mais t'auras aucune raison de beugler comme un cochon qu'on égorge. »
Devant son air terrifié, et alors qu'elle prend une grande inspiration, j'capte ce qu'elle a cru comprendre.
« - Non ! Putain, non ! Personne va être égorgé ! »
Méfiante, elle se mit à l'autre bout de la pièce, soit bien à deux mètres à tout casser. Genre ça change quelque chose.
« - Okay, c'est tout simple, ce que je te demande, et en plus tu seras payée plein. Tu comprends ?
- Plein comment ?
- Si tu vas vite et bien, quinze k pour un truc qui prendra même pas trente minutes.
- Allez-y, jvous écoute.
- J'espère bien. T'as un nécessaire de maquillage ici ?
- Ouais, j'ai de quoi me remaquiller entre deux clients.
- Nickel. Ouvre bien tes esgourdes. Voilà c'qui va s'passer...
- Mes es-quoi ?
- Esgourdes. Oreilles, quoi. Ah merde, écoute, quoi.
- Sûr.
- Tu vas aller chercher une robe courte genre été, à ma taille, avec une perruque de femme.
- Pourquoi ?
- T'occupes. Tiens, voilà l'pognon. Si tu fais une marge, tu gardes la thune en plus, mais hors de question de m'refiler d'la camelote, pigé ?
- Pigé. C'est pour vous déguiser, pas vrai ? »
J'la regarde d'un air incrédule. Ca la vexe. Pas ma faute si j'pensais qu'elle était totalement liquide là-haut, à sa gueule, ç'aurait pas été surprenant.
« - Me regardez pas comme ça !
- Désolé, j'ai juste été... surpris.
- C'est pas gen...
- Tu veux du fric ou pas ? Bon, bah, tu t'bouges. »
Ravalant son indignation, elle attrape les billets que j'lui tends et passe en trombe devant moi. Ouais, va, cours, vole, et nous fait les courses. Ca m'rappelle un truc. Une formule célèbre d'un bouquin ou une connerie du genre.
Quinze minutes chrono plus tard, la voilà qui revient avec un sac plein. Tant mieux, j'en avais marre d'attendre et d'compter les tâches blanches sur les draps, ça schlingait trop et la fenêtre s'ouvrait même pas. J'ai grillé une clope en attendant.
Elle sort une robe courte rouge vif, une perruque blonde dont les cheveux m'arrivent au milieu du dos quand j'la mets et une paire de bas résilles. Le summum du bon goût. J'commence à m'dessaper.
« - Ah, on le fait, finalement ? Vous voulez que j'mette la perruque ?
- Nan, j'vais la mettre.
- Aaaah, vous voulez le faire déguisé en femme ?
- Nan ! J'ai dit qu'on le faisait pas !
- Ah, mais j'fais quoi, maintenant ?
- Tu m'aides à enfiler tout ça, pour commencer. On a bientôt fini, tu vas pouvoir retourner battre le trottoir avec tes copines.
- Voilà pour la robe et la perruque.
- Ouais, pendant que j'mets les bas, maquille-moi, j'sais pas comment faire.
- Comment ça, j'vous maquille ?
- Tu m'maquilles pour que j'ressemble à une prostituée. Donc mets la dose.
- Ah ! Votre truc c'est de vous déguiser en femme puis de vous promener dans la rue, c'est ça ?
- Pas du tout.
- Par contre, vous auriez dû vous épiler les jambes, au moins. Ca aurait été plus réaliste.
- J'ai dit que c'était pas mon délire.
- Puis vous devriez mettre un manteau pour cacher vos bras. Ils font pas très féminins.
- On est obligé de parler ?
- Enfin, j'imagine que y'a des gens qui trouvent ça attirant, les ''femmes'' un peu musclées.
- Ah ouais, okay. On va faire la version simple à comprendre. Ta gueule, j'te paye pas pour faire la conversation.
- Comme vous voulez, m'sieur. Ou vous préférez que j'vous appelle m'dame maintenant ? Mad'moiselle ? »
Avec un grognement j'fous un coup de poing à l'oreiller. Heureusement que j'ai pas pris une des radasses, j'l'aurais cognée sans aucun scrupule. Et après, le mac serait venu m'casser les couilles. Pas que j'en ai particulièrement peur, mais il risquerait d'tout faire capoter.
« - Okay, on va changer les règles du jeu, Machine.
- Hein ?
- A partir de maintenant, à chaque fois que tu l'ouvres et que c'est pas pour répondre à une question que j'te pose, j'retire mille de ton bonus. Ca colle ? »
Elle reste muette. Putain, elle a pas compris ou quoi ? Devant mon regard insistant, j'vois les engrenages s'mettre en marche dans la vacuité de son regard. Au terme de trente difficiles secondes, elle ouvre la bouche.
« - Oui, ça colle. »
C'est que là que j'vois les restes de poudre blanche autour de ses narines. Chiasserie, elle s'est fait un fix en sortant. M'étonne pas qu'elle ait la tête ailleurs.
« - Maintenant, voilà c'qui va s'passer. J'vais sortir, et t'laisser toutes mes fringues. Tu vas les foutre dans le sac que t'as utilisé pour faire les courses, et tout déposer à l'adresse que j'vais t'indiquer. Tu comprends ?
- Oui m'sieur. M'dame. M'sieur. J'comprends.
- S'il manque quoi que ce soit dans l'sac, j'te retrouverai et j'te referai toute la dentition avec une tarte aux phalanges. Tu comprends ?
- Compris, pas piquer dans l'sac.
- Et pour finir, si tu causes de ça à qui que ce soit, ton mac, les autres putes dehors, un client, ce sera à nouveau la tarte aux phalanges. Pigé ?
- Pigé, j'comprends, pas un mot. »
Juste pour être sûr, j'lui fais répéter toutes les instructions. Elle a l'air d'avoir retenu. Compris, par contre, j'peux pas assurer. On s'prépare à sortir, j'me prépare à pouvoir respirer du vrai air. J'ai gardé mes clopes, aussi, donc j'm'en ferai une en attendant Louis. Elle dit timidement :
« - Euh, vous avez pas de chaussure ?
- Ah, si, bien sûr. »
J'sors les escarpins roses à paillettes et j'les enfile, assis sur le bord du lit. Quand j'essaie de me relever sous le regard éloquent de la prostituée, j'manque de m'casser la gueule. Agent Rinwald, mort en s'cognant sur l'coin du plumard pendant qu'il se déguisait en prostituée. Epitaphe : Il a joué au con.
J'crois que j'ai jamais autant risqué ma vie qu'en marchant là-dessus. J'ai limite le vertige, ha. La prostituée est partie déposer le sac à l'hôtel où j'pionce, j'le récupèrerai plus tard, comme ça. Vaguement, j'ai l'impression d'avoir oublié un truc. C'est assez irritant, comme sentiment. J'laisse ça de côté et j'me mets en planque du côté de la base de la Marine, en attendant l'hypothétique traitre.
Ca va, j'ai bien dix minutes d'avance sur l'heure de sortie de Louis. J'aurais eu plus si j'avais pu marcher à une vitesse normale, mais pas moyen, avec ces chaussures. Quand j'vois qu'il sort à grandes foulées, j'déprime. Il va me semer en marchant, à tous les coups.
Il a l'air carrément pressé, et jette des coups d'œil furtifs tout autour de lui. Son regard s'arrête pas longtemps sur moi. J'dois pas donner envie, en même temps. J'ai dû mal à suivre le rythme qu'il impose, par contre. Il fait une chaleur à crever sous la perruque, et la sueur qui me goûte sur le front fait un peu couler le maquillage, qui m'arrive droit dans les yeux. J'l'essuie d'un doigt en essayant de pas tout virer. Tant que de loin, ça ressemble à quelque chose, ça m'va.
Au bout d'un moment, j'prends le coup pour marcher avec les escarpins. Faut rouler du cul. J'manque juste de m'tordre la cheville à chaque enjambée, donc j'essaie de les raccourcir et de tricoter des jambes. J'ai l'impression d'risquer ma vie chaque fois que j'fous un pied devant l'autre.
Heureusement qu'on s'dirige vers le port, une fois de plus. Là, j'commence à connaître le chemin, j'ai passé ma journée à faire la navette entre les deux. Si j'avais su, j'aurais attendu là-bas, merde. Au moins, j'vais pas détonner dans l'paysage. A un moment, un type bizarre m'accoste. Il doit s'dire qu'entre types bizarres, y'a un genre de lien. J'le jarte vite fait, mais j'ai perdu de vue Louis dans l'processus.
Chienne de vie. J'hésite à enlever mes chaussures et courir au coin de la prochaine rue, histoire de pas être totalement semé. Mon instinct m'dit d'la jouer calme. Au pire, le port est pas bien grand, j'lui retomberai bien sur l'paletot.
En arrivant au coin, j'vais pour tourner la tête quand j'reconnais l'ami Louis tapi dans l'ombre, en train de regarder si quelqu'un lui emboîte le pas. Ha. J'continue ma route l'air de rien, puis j'fais l'tour du pâté de maison pour le garder bien en vue. L'a toujours pas bougé le temps que j'revienne. Pour un peu, il me serait sympathique. A part qu'à cause de lui j'me retrouve déguisé en transsexuel.
Après un p'tit quart d'heure pendant lequel j'en profite pour fumer une clope, histoire de m'remettre d'mes émotions, il se remet en route. Maint'nant, il arrête de regarder à tout-va derrière lui, et c'est tant mieux, ça commençait à m'fatiguer. Comme toute cette affaire. J'ai mal aux jambes, en plus.
Ce brave Hocourenthe me mène tout droit sur le quai. Depuis l'temps, la nuit est tombée, donc il s'arrête sous un lampadaire, seule tâche de lumière dans l'obscurité ambiante. En plus, le temps est très humide ce soir, et la brume commence à monter des vagues. On voit ni la lune ni les étoiles à cause des nuages. Bref, dans quelques heures, il fera nuit noire, mais j'espère bien être rentré pour pioncer un coup.
A peine après qu'il soit arrivé sous le poteau, un autre bonhomme le rejoint. Plus petit, un mètre soixante-quinze à tout casser, mais râblé comme tout. L'a un beau p'tit bidon, aussi, mais les mains qu'il sort de son gros pardessus sont larges comme des battoirs. Ils se serrent la pince.
J'réfléchis fort. Si j'les laisse taper la discute, Louis pourra balancer les infos à l'individu peu fréquentable auquel il fait face. Donc faudrait intervenir vite. Mais en même temps, comme j'y avais pensé, l'histoire est bizarre depuis l'départ. Ca s'trouve, c'est un traquenard. Bah, pas que j'sache grand-chose.
Si on en arrive à une confrontation directe, j'devrais m'débrouiller, j'suis bien entrainé. Un Marine de seconde classe de seconde zone devrait pas avoir une chance. Du coup, j'm'approche des deux, les talons claquant sur le bois du quai, une cigarette éteinte au bec. J'garde la tête un peu baissée pour que ma perruque cache le plus possible de mon visage. Dès qu'ils me remarquent, ils arrêtent de causer et me fixent.
« - Bonsoir, z'auriez du feu ? J'demande, avec une voix eraillée.
- Non, désolé, nous ne fumons pas, répond le type que j'connais pas.
- Ah, tant pis. Et sinon...
- Hé ! Z'êtes le type du C.P.D.T.G. de cet après-midi !
- Révolutionnaires, les mains en l'air ! Que j'réponds en criant. »
Le p'tit râblé me tacle instantanément tout en gueulant :
« - Vite, va t'planquer chez Berthe, j'le r'tiens ! »
Le Louis détale aussi sec pendant que l'autre me colle au sol. Il m'a tellement surpris en m'sautant sur le coin du museau que j'suis tombé cul par-dessus tête, j'en ai perdu mes escarpins. Il se dresse au-dessus d'moi, les mains libres, et j'peux pas bouger. Instinctivement, j'vais pour attraper un de mes surins, celui que j'ai dans la manche droite, avant d'me rendre compte que j'l'ai pas. C'est là que j'me rappelle que j'ai tout filé à la prostipute et que, fatalement, j'suis à poil, niveau armement.
Celui que j'suppose être un révolutionnaire, lui, il a pas à réfléchir, et ça s'voit. Son premier coup d'poing s'écrase en plein sur la pommette gauche. Ma tête tape bien contre le sol. Ca fait mal. Sa main gauche approche à toute vitesse de mon nez, mais j'arrive à détourner un peu l'attaque avec mon bras droit, donc ça glisse le long d'ma tempe.
Le problème, j'me dis, c'est que dans nos positions respectives, lui me chevauchant et moi sur le dos, sans signification salace, ben il a qu'à faire pleuvoir et au bout d'un moment, j'vais m'en prendre une autre. En plus, pendant qu'on discute, Louis se fait la malle pour aller chez Berthe, où que ce soit.
Il arme son poing droit, son faciès prognathe et ses p'tits yeux enfoncés lui donnent une apparence simiesque, de près. Marrant, les choses qu'on remarque. Frénétiquement, j'tâtonne à côté de moi de la main droite. Quand il m'a mis à terre, juste avant, j'ai perçu un scintillement par là. Avec un peu de bol... Le coup m'arrive en plein dans la mâchoire, mais j'm'efforce de pas être sonné en rassemblant toute ma concentration. Ca serait ballot d'y passer, déguisé comme ça.
Il prépare son prochain coup. Visiblement, il compte pas s'arrêter en si bon chemin. J'sens ma perruque qui s'barre. J'sens le sang dans ma bouche quand j'me suis mordu la joue sous l'attaque précédente. J'sens un truc dans ma main droite. J'l'attrape et avec un grognement qui dévoile mes canines, j'tape de toutes mes forces dans sa gueule. L'arc de cercle décrit par le stiletto s'achève droit dans la tempe de l'inconnu.
Il s'écroule immédiatement sur moi, un filet de sang coulant d'une de ses narines. J'le repousse pour m'relever aussi vite que possible. En jetant un coup d'oeil à l'escarpin, j'vois que le talon est un peu ensanglanté. Peu importe.
A une trentaine de mètres, Louis court. Il jette un regard en arrière. Il est pas si loin. L'escarmouche a duré à peine quelques secondes. Avec l'adrénaline, mes pensées vont à cent à l'heure. J'raffermis ma prise sur le stiletto, avant de le lancer de toutes mes forces sur le fuyard. J'suis pas particulièrement bon à ça, mais c'est assez proche de la cible. J'm'élance à sa poursuite.
La chaussure est passée en trombe à côté de la tête du Marine. J'suis pas forcément très précis, mais là, j'ai bourré. C'est parti vite, c'est parti fort. Il a été tellement surpris qu'il a fait un écart et s'est pris un lampadaire. Il se rattrape en posant les mains par terre. J'en profite pour le rattraper. J'suis à fond, là.
Un autre regard en arrière, il voit que j'le rattrape. J'sens la peur dans son expression, joliment illuminée au milieu du port recouvert par la brume. Il se remet à courir. Il veut me semer. Un dernier regard par-dessus son épaule le fait trébucher. Là, j'le loupe pas. J'lui saute dessus comme la misère sur le pauv' monde. Pas très aguerri, le gars.
Cette fois, c'est moi qui suis au-dessus. Il se met à gueuler :
« - J'me rends ! J'suis désolé !
- A d'autres, connard ! Au fait, tu t'souviens, C.P.D.T.G. ?
- Oui, quoi ?
- En fait, ça veut dire Cipher Pol Dans Ta Gueule. »
J'le sens se pisser dessus. L'odeur est pas très agréable. J'l'attrape par les cheveux, et j'tape bien fort contre le quai. Un paquet de fois. J'lui refais le nez et la bouche. Au début, il s'agite, remue les bras et les jambes. Seulement au début. Dans l'noir, c'est pas facile, mais j'jurerais que ses dents ont laissé une marque dans le bois épais de l'embarcadère.
Après m'être bien défoulé, j'me relève et j'm'étire. Mes vertèbles craquent, mes épaules aussi. Comme l'excitation est tombée, j'sens la douleur poindre là où l'autre m'a cogné. Tout un côté de mon visage me fait mal. J'fous deux-trois coups de pieds dans les côtes de Louis pour la faire passer. Evidemment, j'fais gaffe à pas marcher dans la flaque d'urine.
J'le choppe par la cheville et j'le traine jusqu'à l'autre, qu'a toujours pas bougé. A mon avis, ça sent l'sapin pour le p'tit râblé. Pas moi qui vais l'pleurer. J'lui mets aussi quelques coups de pieds, pour la forme, avant d'prendre son pouls. Ouais, l'a passé l'arme à gauche.
En parlant d'arme, j'le fouille. Pas de papelards d'identité, sans surprise, mais une arme à feu, du genre antique et pas pratique. Un truc gros qu'il faut tenir à deux mains et qui pèse une bonne tonne et demie. J'tire par terre, et le bruit de la détonation fait un boucan de tous les diables. Pile c'qu'il me fallait. Par contre, j'sens le recul jusque dans mes épaules.
Plus qu'à attendre un peu, normalement, si le brouillard qui se lève n'amortit pas tous les bruits. J'm'asseois sur le cadavre et j'vais pour allumer une clope. Dans le combat, le paquet a été complètement écrasé, mais ça reste fumable.
Maintenant qu'j'ai un peu d'temps libre, j'peux enfin m'poser les bonnes questions. Ils ont flippé sévère quand j'ai dit révolution, donc ça doit pas être des mafieux ou de simples escrocs. Reste à savoir qui a balancé l'information anonyme sur la trahison. Ptet un camarade Marine qui voulait pas s'charger du sale boulot ? Ca arrive, on en voit, des comme ça.
Ou alors un membre du CP6 qui sape discrètement d'autres cellules. Ca s'est vu aussi. Si c'est ça, peu de chances que ça ressorte un jour. Parfois, c'est même les révos qui se sabotent entre eux. Des querelles de pouvoir entre rebelles, de bonnes blagues. Ma thèse initiale était que quelqu'un voulait s'venger du Louis pour une connerie ou pour une autre, et a balancé une information bidonnée. Du style dettes de jeu, infidélités, d'la merde, quoi. C'est probablement faux, mais j'vérifierai quand même, demain.
En tout cas, il reste encore à remonter la piste du révolutionnaire et d'la nana qui s'appellerait Berthe. Mes pensées sont interrompues par une patrouille de Marines qui débarque au trot. C'est pas trop tôt.
J'lève les mains en l'air. J'voudrais pas qu'ils deviennent nerveux et m'tirent à vue juste pasque j'ai un peu abîmé un de leurs potes et dézingué un autre bonhomme. Ils s'rapprochent en m'gardant en joue. Ils ont pas l'air de faire trop confiance au travelo qu'a tapé le collègue.
Deux Marines me relèvent brusquement avant de me fouiller. T'façon, j'ai rien sur moi à part mes clopes. Après avoir confirmé la mort du p'tit révolutionnaire, ils vérifient l'état de Louis.
« - Hé, les gars. Agent Rinwald, Cipher Pol 5. J'ai déjà discuté avec le Colonel Laverdure cette après-midi. Le seconde classe Louis Hocourenthe est en état d'arrestation pour tentative de trahison. Passez-lui les menottes, s'il vous plaît, j'ai oublié les miennes à la maison. »
Ils ont pas trop l'air de m'croire, sans surprise. J'ai peur que ma tenue n'enlève à ma crédibilité et ma prestance. J'ai gardé mon accréditation de circulation du colonel et la preuve que j'appartiens au CP, en tout cas. Comme quoi j'avais pas tout oublié. Ca leur donne du grain à moudre.
J'en vois un qui sort les menottes. Parfait, on va pouvoir avancer. Il passe derrière moi pour s'occuper du Louis et m'immobilise les poignets pour les attacher. Pris de cours, j'me suis laissé faire. Enfin, pas comme si j'aurais pu faire grand-chose contre toute une patrouille, remarque.
Sur un signe du lieutenant, tout le monde repart. Deux marines portent le cadavre, en queue de groupe. Deux autres m'encadrent, histoire de s'assurer que j'fasse pas le cacou. Juste devant moi, quatre gars se relaient pour trimballer Hocourenthe, qu'a toujours pas émergé. J'manque pas de noter qu'il est pas menotté, lui. Quelle bande de bâtards.
Rapidement, j'me retrouve devant le colonel, assis manu militari sur une chaise, toujours menotté. J'revois mes vieux potes Buffet et Vaisselier. Leur regard aussi expressif que celui d'une vache m'impressionne. Quel stoïcisme. J'manque de les insulter par réflexe, pour m'défouler, mais j'me rappelle au dernier moment que ça arrangera pas ma situation.
Le colonel Laverdure prend la parole :
« - Vous revoilà, Agent Rinwald.
- Semblerait bien.
- J'ai pu contacter quelques personnes, après que vous soyiez partis. Confirmer votre mission, entre autres.
- Super, on peut m'enlever les menottes, du coup ?
- Dans quelques instants. »
L'enflure.
« - J'ai cru comprendre que le seconde classe Hocourenthe était maintenant accusé de trahison ?
- Tout à fait.
- Evidemment, vous êtes assermenté, je ne remets pas votre parole en doute.
- Bien sûr.
- J'imagine que vous comptiez remonter la piste révolutionnaire ?
- Carrément.
- J'espère que vous avez noté l'accent que j'ai mis sur ''comptiez''.
- Votre langue a probablement fourché. Dès demain, j'espère bien faire causer un peu Hocourenthe et remonter la piste de l'individu qui a malheureusement trouvé la mort dans l'affrontement.
- C'est dommage, une telle incompréhension entre nous. Mais je m'attendais à une telle dénégation de votre part. D'un instant à l'autre, nous devrions recevoir par escargophone un message vous ordonnant de rentrer pour une autre mission.
- Hein ?
- Cela dit, je tiens à vous féliciter chaleureusement pour la réussite de votre mission. Être parvenu, dans des délais aussi courts, à empêcher la divulgation d'informations internes à la Marine est un exploit considérable.
- Quoi ?! Mais j'comptais bien...
- Oui, je comprends, j'admire et j'applaudis votre zèle. Cependant, il est maintenant temps pour vous de prendre un peu de repos avant de partir vers de nouvelles aventures.
- Je proteste ! Je ne sais pas comment vous avez fait votre c... »
Le bruit caractéristique d'un escargophone sonne dans le bureau.
« - Ah, mais ce doit être notre appel ! Colonel Laverdure à l'appareil ? Mais bien sûr, j'ai l'Agente Rinwald juste en face de moi. »
Agente ? Quel connard. M'ont même pas donné le temps d'me changer, les autres. Et j'suis toujours menotté, putain. Obligeamment, le colonel approche le combiné de mon oreille. Là, j'reconnais direct la voix de mon supérieur hiérarchique qui, comme le Marine l'a dit, m'ordonne de rentrer par le premier navire qui part demain matin.
J'l'ai carrément mauvaise. J'fulmine. J'ai mal. Pas qu'au visage. C'est comme si j'avais chassé un putain d'sanglier, et qu'au moment d'grailler, j'me fais carotte. On m'vole un morceau d'viande juteux alors même que j'allais mordre d'dans, et dieu sait qu'j'avais les crocs.
La communication se coupe, et le colonel se rassied, un p'tit sourire au lèvres. J'ai envie de lui fracasser la tête sur son bureau, mais menotté, c'est difficile à négocier. Il fait signe à une des deux armoires à glace de m'raccompagner dehors, avant de lâcher :
« - Au fait, quand vous vous déguisez, pour paraître plus féminin, il serait plus seyant de serrer les jambes une fois assis. Cela vous rendrait plus crédible. »
Enculé de fils de putain.
En une minute chrono en main, j'me fais jeter hors de la base de la Marine et la porte se referme derrière moi avec un claquement. Tout seul, dans l'noir, au milieu d'la nuit, avec une robe et des bas résilles, pieds nus. A la vague lumière, j'distingue deux formes bizarres par terre. J'ai l'impression d'les avoir déjà trop vues.
Ce n'est qu'en les ramassant que j'les identifie formellement. C'est les stilettos que j'ai utilisés. Y'a même encore un peu de sang sur un des talons. Des p'tits rigolos, les Marines. J'crache par terre. Qu'l'un d'eux glisse sur ma salive et s'ouvre le crâne.
En arrivant à l'hôtel, j'hésite à rentrer par la porte. Ca ferait mauvais genre. J'en ai marre de m'faire regarder bizarrement ou d'me faire chambrer à cause de mes fringues. Finalement, j'escalade sur un étage et j'force la fenêtre. Du système de sécurité de haut vol, y'a pas à dire. J'ai même pas sué.
Posé joliment au milieu de mon lit, y'a mon sac avec tout mon matos et de quoi m'habiller. M'enfin pour l'moment, pas moyen d'm'y intéresser. J'suis fatigué et écoeuré. Le colonel Laverdure a l'air de connaître quelques bonnes personnes pour réussir à s'faire refiler la suite. Il veut probablement aussi garder le contrôle sur sa base, pas qu'un connard d'CP vienne fouiner partout, ptet suivi par d'autres.
J'jarte tout ce qui traine sur le plumard à coups d'pieds puis j'me couche après avoir enlevé la robe et les bas. Mais j'trépigne. J'hésite même à repartir illico sur la piste, comme ça, à la recherche de Berthe. Mais ç'pas réaliste. J'ai pas d'infos sur le type que j'ai buté, j'ai pas d'infos sur Berthe, on est en pleine nuit, et j'peux plus taper la discute avec Louis.
J'me tourne et j'me retourne sur le matelas désagréable. J'mets et j'enlève la couette. Quand j'vois l'aube poindre à la fenêtre, j'me dis que j'ai pas dû somnoler plus de trente minutes. Mais j'me sens même pas fatigué, juste énervé et déçu.
J'me lève sans hésitation. Vivement que j'me barre de cette île de merde. J'prends une bonne douche qui réveille la douleur sur le côté gauche de mon visage. Dans l'miroir, j'vois un bel hématome qui devrait prendre toute ma joue facile. Quand j'fais jouer ma mâchoire, ça pique. Ca passera. Comme ma colère et ma frustration.
Après avoir remis ma chemise, ma cravate, mon costume, j'descends. L'hôtelier est là, fidèle au poste, toujours aussi gras du bide. J'avais payé ma nuit en avance, j'lui dois rien, même pas un bonjour. J'me mets face à lui, mon visage à quinze centimètres du sien. J'sors une clope, j'l'allume sous son regard d'abord plein d'incompréhension puis de désapprobation. J'prends une longue bouffée, que j'garde quelques instants dans mes poumons, avant de lui souffler toute la fumée dans la gueule, puis j'ramasse mes affaires et j'me casse sans un regard en arrière.
Chiasserie.
Bref, on m'a filé un ordre de mission, un sac avec ce que j'avais demandé et roulez jeunesse, comme disent les vioques. Me r'trouve sur une île perdue au milieu d'nulle part. Trouver une taupe d'la base marine du coin et la mettre hors d'état de nuire avant qu'elle divulgue des informations secrètes.
Du coup, j'm'invite dans ladite base. Y'a bien une surveillance, mais j'peux pas dire que les types mettent du cœur à l'ouvrage. S'ils gardaient les yeux ouverts, ça serait plus facile de repérer les intrus. Mais j'les comprends, l'est bien quatorze heure, et le mardi, si j'en crois mon odorat, c'est tartiflette.
Y'a même un Marine qu'essaye de se planquer pour roupiller à l'aise. Mais la bouffe était tellement grasse, il brille à la lumière du jour. Comme un putain de vampire dans les pires torchons de Mariejoa.
Parfois, j'me demande pourquoi j'ai été formé à l'infiltration. On rentre là-d'dans comme dans un moulin. Probablement parce que c'est l'trou du cul du monde, mais du coup, j'sais pas ce qu'un Marine pourrait savoir. Si j'avais l'temps d'y réfléchir deux minutes, j'me dirais qu'c'est bizarre, comme dénonciation, mais il s'trouve que j'ai pas trop l'temps, là.
Les Marines ont beau pioncer ferme, d'temps en temps, ils battent des paupières, des fois que le patron passe dans l'coin. Ca ferait mauvais genre, sur l'dossier, d'avoir écrit ''aime faire la sieste pendant les rondes''.
Maintenant qu'j'suis dans la base, j'marche comme si j'étais dans ma piaule. Ca marche à tous les coups. Vu que j'me souviens du plan qu'on m'a refilé sur l'bateau, j'sais direct où aller. On commence toujours par fouiller le matos du gars bizarre. Ca s'passe dans l'vestiaire.
Quand j'rentre, finie l'odeur de tartiflette. J'lui adresse une pensée émue, elle était pas si mal, cette odeur, finalement. Pasque ça refoule sec, dans l'vestiaire. J'ai du mal à savoir si ça schlingue la sueur avec un peu d'odeur de pieds ou l'inverse. La mort dans l'âme, j'referme la porte derrière moi. J'préfèrerais aérer, mais tant pis.
J'ai plus qu'à trouver et ouvrir le casier du bonhomme histoire de jeter un coup d'œil et éventuellement mes paluches dedans. J'dois avoir du matos pour ça dans le sac qu'on m'a refilé au départ. J'vais pour l'ouvrir, tranquillou, sens aux aguets quand même, pasqu'un type qui essaie de piquer des trucs dans l'vestiaire de la Marine, il doit pas se faire bien accueillir et...
Wut ?
Et putain, mais c'est quoi ce truc ? J'tiens dans mes mains un genre de godasse pour femme, un escarpin, rose avec des paillettes. J'me fige, quasiment la bouche grande ouverte. Okay, une fois de plus, l'administration aura dépassé, et bien cette fois, toutes mes prévisions. Connard d'analphabète, le gars qui prépare le matos. Ou la nana, du pareil au même.
« Mais, qui êtes-vous, qu'est-ce que vous faites là ? »
Une brusque voix masculine derrière moi me sort de mon hébétude. Putain, putain, putain. J'laisse tomber le stiletto dans le sac, en m'demandant si dire que j'cherche les toilettes, ça passe. C'est pas très original mais rien que d'y penser, j'ai un p'tit sourire en coin. Parfait. J'fige mon expression comme ça avant de m'retourner, en fermant le sac d'une main.
« - Bonjour. Rinwald, C.P.D.T.G.. Conseil de Protection du Droit du Travail Général. Vous êtes ? Que j'lui sors avec aplomb et une voix sèche.
- Conseil de Protection de quoi ?
- Protection du Droit du Travail Général. C'est pas grave si vous comprenez pas. Nom et matricule, soldat. »
Quand j'me suis retourné pour faire face au type qui m'avait surpris, j'ai vu la même trogne de connard que celle sur la photo d'identification du suspect. Tu parles d'un coup de bol. Heureusement que j'avais pas le nez dans son casier. Encore que vu l'odeur, jamais j'y aurais mis le pif, en fait.
Le bonhomme est un peu plus grand que moi, un peu plus barraqué, aussi, mais vachement plus jeune. La vingtaine, d'après sa fiche. Y'a un truc bizarre sur ses joues, j'crois qu'il essaie de s'faire pousser la barbe, mais c'est dur à dire. Il a un regard un peu dans l'vide, et un sourire vague, le genre qui donne envie de cogner dessus, pasqu'il donne l'impression que l'type se fout d'ta gueule. Putain j'ai envie d'allumer une clope.
« - Seconde classe Louis Hocourenthe. Je vais devoir vérifier votre identité.
- Laissez ça, seconde classe Bidule. Amenez-moi plutôt voir vot' patron, le colonel Laverdure.
- Seconde classe Hocourenthe.
- J'm'en fous.
- Je dois quand même voir vos papiers...
- Faut que j'vous fasse un dessin ? Les papiers, j'les montre au colonel, pas à un putain d'larbin. C'est clair comme ça ?
- Bah, euh... J'vous amène au colonel, alors, j'crois... Mais restez poli, ho ! »
Bon, j'ai évité la première crise avec brio. J'me jette vite fait une fleur avec émotion. Mais du coup, j'ai pas pu voir le casier du soldat Louis. J'ferai ça plus tard, si j'trouve un moment. Le colonel, j'vais lui dire que j'ai une mission du Cipher Pol et ça devrait l'faire. Ma cible me fait sortir du vestiaire et entrer dans le bâtiment principal, sous le regard un peu plus vif que tout à l'heure des sentinelles. Fallait impressionner l'visiteur, heh ?
J'le laisse me mener au bureau du patron, tout en l'observant en douce. Sa manière de marcher, surtout. Vu comme c'est parti, j'vais probablement devoir le filer. Il m'jette un regard en fronçant les sourcils. De là où il est, il doit croire que j'mate son cul. J'hésite à baratiner sur l'état de son uniforme, mais j'laisse pisser, par flemme.
On finit par arriver devant deux Marines qui doivent garder la porte du bureau du grand manitou. Modèle armoire à glace. Rien qu'à la vacuité de leurs regards, on sent que c'est écrit ''A louer'' sur leur front. J'm'avance pour rentrer quand y'en a un qui me bloque du bras et m'fait :
« - On doit vous fouiller avant de vous laisser entrer. »
J'avoue que j'l'ai mauvaise, mais 'sont trois bourrins, et un gratte-papier de l'administration, ça fout pas des beignes à la glorieuse Marine. Du coup, j'déballe mon matos, mes ptits couteaux persos. Le mousquet et quelques autres surins sont restés dans l'sac.
« - Faut qu'on regarde le sac, aussi. »
J'le vis mal. S'ils regardent dans le sac, ils vont voir la godasse rose à paillettes, et j'suis pas sûr d'assumer. Nan, j'suis sûr de pas assumer, plutôt. Plusieurs idées flashent dans ma tête. Dire que j'ai ramassé ça dans l'vestiaire, qu'c'est scandaleux. Passer pour un type aux goûts douteux. L'soldat Louis va y croire, lui, c'est vendu. Il ose déjà pas trop m'toucher, de peur de m'donner des idées.
Finalement, j'botte en touche.
« - Ouais, nan, laissez tomber le sac.
- Si, faut qu'on regarde dedans, c'est important.
- Pourquoi c'est important ?
- On nous a dit de regarder dans les sacs.
- Oui, mais pourquoi ?
- Parce qu'on nous a dit que c'est important. »
Oulah, vraiment aux abonnés absents, tout là-haut. J'ai essayé de l'embrouiller ni vu ni connu, mais l'est tellement obtus que ça a pas marché. Ptet que si j'l'enfume avec des mots de plus de deux syllabes...
« - En vertu des prérogatives qui sont miennes en tant qu'inspecteur du Conseil de Protection du Droit du Travail Général, je vous demanderai de garder ce sac et de ne surtout pas l'ouvrir pendant que je m'entretiendrai avec le colonel Laverdure.
- Huh ? »
Ca y est, j'les ai paumé. Nickel.
« - Vous avez pas l'droit d'ouvrir le sac sinon j'vais m'arranger pour que vous récurriez les chiottes d'une prison où tous les occupants ont la chiasse.
- Oui mais on doit regarder le sac et... »
Là, ça commence à me gonfler. J'pensais que ça allait passer tout seul, mais comme ils captent que dalle à la discussion, j'jette le sac fermé par terre et j'enfonce le passage. En m'mettant d'profil et en rentrant le bide, j'parviens à m'glisser entre les deux mastodontes avant qu'ils aient le temps de réagir, distraits qu'ils sont par le sac par terre. J'ouvre la porte précipitamment et j'rentre dans le bureau, suivi par les trois Marines qui essaient d'me retenir.
Le colonel Laverdure lève un regard surpris de son bureau et recoiffe ses longues mèches vertes derrière son oreille. Moi, j'montre fièvreusement mon insigne du Cipher Pol tout en le cachant manifestement aux autres grouillots.
« - Secondes classes Hocourenthe, Buffet et Vaisselier. Laissez-moi m'entretenir avec notre visiteur seul à seul.
- On n'a pas vérifié le sac, mon colonel.
- Vérifiez le sac dehors.
- Nan, vérifiez pas le sac !
- Bon, ne vérifiez pas le sac.
- Mais c'est important de vérifier le sac.
- Ne. Vérifiez. Pas. Le. Sac. Fixez-le bien. Sans cligner des yeux.
- A vos ordres, mon colonel ! »
Une fois la porte refermée, j'laisse échapper un soupir et j'reprends mon souffle avant de m'installer sur le siège posé devant le bureau.
« - Je ne me rappelle pas vous avoir donné la permission de vous asseoir.
- On est obligé d'la jouer comme ça ?
- Non, c'est vrai, c'était pour la forme.
- Qu'est-ce qu'on s'bidonne.
- On fait ce qu'on peut.
- C'est pas des flèches, vos gars, hein ?
- Pas tellement. Du coup, je les cantonne à des missions où ils n'ont pas besoin de réfléchir.
- Ca doit pas être facile.
- C'est surtout psychologiquement que c'est dur. J'ai mis deux heures à leur faire comprendre qu'ils devaient rester devant la porte et contrôler les gens...
- Ah ouais, quand même.
- A la fin, je n'en pouvais plus. Je les ai giflé.
- A ce point ?
- Je me suis senti mal, quand ils m'ont regardé, un peu comme des chiots, tristes de pas être à la hauteur.
- Vous pouvez pas les foutre ailleurs ?
- Malheureusement, non. Enfin bref, qu'est-ce qui vous amène ? »
Ha. Il essaie de me faire le coup du j'te raconte un truc, tu m'racontes ton truc. Il croit qu'après son histoire sur les deux débiles de portiers, j'vais lui lâcher le morceau de la mission ? A d'autres. Pendant que j'réfléchis à la manière d'lui opposer une fin de non-recevoir sans l'vexer, parce qu'il a été cool jusqu'à présent, j'sors mon paquet de cigarettes histoire d'en griller une.
« - Désolé, mais vous ne pouvez pas fumer.
- Ah, la fenêtre est fermée, j'vais l'ouvrir.
- Non, vraiment, fenêtre fermée ou ouverte, ne fumez pas.
- Je comprends. »
J'dis ça, mais j'rage. Du coup, au temps pour la manière gentille de le recaler. Ca tombe bien, c'était la crise, j'trouvais plus de gentillesse en stock.
« - La raison qui m'amène est une mission confidentielle du Cipher Pol. En tant que tel, vous comprenez donc que je ne peux pas accéder à votre demande d'information. »
Voilà, j'lui ai fait la version polie, mais uniquement parce que j'veux lui demander un truc derrière. J'resserre ma cravate en m'redressant dans mon siège.
« - De plus, j'aurais besoin de la liberté de circulation au sein de la base, dans le cadre de la mission. »
J'm'attends à ce que ça coince. Ca bloque toujours. La guerre des kikis habituelle.
« - Oui, bien sûr, allez-y. Je vais vous...
- Si vous refusez, vous vous mettrez en travers de la mission d'intérêt général du CP !
- Je sais, c'est pourquoi je compte bien vous donner...
- Si c'est ça, prévenez ma hiérarchie ! Vous verrez ce qui va se passer !
- Voilà, votre accréditation.
- Hein, quoi ?
- Tenez, votre autorisation pour circuler librement dans la base.
- Ah, mais, comme ça ?
- Oui, comme ça.
- Sans discussion ? Sans argumentation ? Sans engueulade ?
- Oh, vous savez, on s'en lasse rapidement, de ça, même si parfois ça allège la monotonie. Allez, bon vent et bon courage. »
Ben là, clairement, j'suis sur le cul. 'Fin j'suis assis, mais j'en reviens pas. Limite déçu, quoi. Le petit duel avec la faction alliée-mais-pas-trop, c'est quand même un moment fort de nos missions, alors si on peut pas donner la pleine mesure de notre talent, à quoi bon... D'ailleurs, c'est pas tout ça, mais l'est temps d'aller s'en griller une, avant d'attraper le p'tit Louis, des fois qu'il ait pas été sage.
J'profite de mon papelard pour me balader dans la base. Elle ressemble à tous les autres Q.G. un peu tristounets de la Marine, mais au cours de mes pérégrinations, j'arrive devant ce que, l'air de rien, j'cherchais : le tableau des affectations. Là, j'trouve le nom de mon bonhomme, Hocourenthe. Y'en a pas beaucoup qu'ont un nom aussi ridicule. J'vois qu'il finit son service à dix-huit heure et qu'il est en permission à dix-neuf. Ca sera le moment d'lui tomber sur le râble.
Satisfait, je sors de la base histoire de m'trouve un p'tit hôtel où passer la nuit, si nécessaire. Dès que j'ai passé le portail, j'sors mon paquet de cigarettes. J'peux enfin m'en griller une. J'me retiens pour pas la finir en deux bouffées, pour savourer. Dès qu'elle est finie, j'reprends ma marche pour trouver une piaule. J'en prends une pas trop dégueu. Après tout, c'est le Cipher Pol qui régale, tant que j'déconne pas trop sur les frais. L'hôtelier est, comme de coutume, petit et gros. Ca doit être une condition pour avoir une auberge ou un truc du genre.
Quand j'lui demande si j'peux fumer dans ma piaule, il m'dit non, ce connard. Même en ouvrant la fenêtre. Les gens de cette île commencent à m'les briser sévère, mais j'fais pas d'esclandre, j'veux quand même d'un coin où pioncer. J'l'ai mauvaise trop souvent, ces derniers temps.
Une fois dans ma chambre au premier étage, j'procède d'abord à un état des lieux. J'ai encore un peu d'temps avant que bidule ne soit libre. Le papier-peint couleur moisi des murs s'casse un peu la gueule, la seule chaise est bancale, mais le lit n'a pas de sales bestioles du genre punaises ou puces dedans. Par contre, le matelas a l'air d'être rembourré avec des galets. Ca f'ra l'affaire.
Du coup, j'compte bien profiter d'mon temps libre pour examiner mon sac. S'il s'est planté sur le stiletto, y'a pas de raison qu'il ait pas fait d'autres conneries, le type qui m'a préparé mes affaires. Pour m'auto-ménager un p'tit effet de suspense –on s'occupe comme on peut en attendant Louis, j'sors les objets un par un au lieu de tout vider en vrac sur le plumard.
Du coup, en premier sort l'escarpin rose. Forcément, il était sur le dessus. J'le laisse tomber sur le lit avec un rictus. Ensuite vient un mousquet, avec de quoi le recharger : de la poudre et quelques balles. Bon. Après, un long couteau, une dague, un coutelas, bref, un p'tit assortiment pas dégueulasse. Le sac est quasiment vide, mais j'sens bien qu'il reste quelque chose.
En toute honnêteté, j'ai peur. A la lumière du jour tombant dans le sac, j'ai cru voir un scintillement pailletté. J'crains le pire. Avec un soupir, j'mets la main au fond et j'ressors le jumeau de l'escarpin que j'avais déjà vu. D'un vif mouvement du poignet, j'le jette à côté de son frère –de sa sœur ? Et j'me gratte le menton, en cherchant à comprendre ce qui est passé dans la tête du type qu'a préparé mon matos.
Finalement, j'vois qu'une façon. Il a dû croire que le stiletto faisait référence à la chaussure au lieu du stylet, le couteau à lame très fine. Et comme il s'est dit que demander une seule godasse, c'était bizarre, il m'en a mis une deuxième. Par contre, pour le rose à paillettes, j'avoue que j'sèche. L'explication la plus simple étant généralement la bonne, ça devait être tout ce qu'il avait en stock et il était pressé par le temps.
Reste qu'une chose à vérifier. J'me sens pas bien, mais c'est encore le meilleur moyen de tester mon hypothèse. Puis, tout seul dans ma chambre, j'devrais pas trop me taper la honte. Y'a qu'mon ego qui s'recroqueville rien que d'y penser.
Assis sur le pieu, j'me baisse pour défaire mes lacets et enlever mes chaussures. J'retire les chaussettes, aussi. Puis j'essaie les escarpins. Ah ouais, carrément à ma taille. J'peux pas dire que ça soit confortable, par contre. Maintenant que ça, c'est fait, j'peux me remettre normalement. Le type a dû se dire que j'aurai besoin de deux chaussures pour marcher ou j'sais-pas-quoi, et qu'en demander une avait dû être une erreur. Putain.
Après avoir rangé le mousquet et deux couteaux dans le sac, et caché les autres lames un peu partout sur moi, j'me laisse tomber en arrière pour m'allonger. En regardant le plafond, j'commence à réfléchir à ce que j'vais faire. J'compte bien filer Louis Hocourenthe. L'info a l'air de dire qu'il va fuiter incessament sous peu, donc faudra l'avoir à l'œil.
Reste à trouver comment faire. Non seulement il a déjà vu ma tronche, mais en plus il a pas de raison de m'apprécier plus que ça. J'pourrais me mêler à la foule, mais ça implique d'avoir une foule, et c'est pas trop l'cas sur cette île paumée. J'sais même pas pourquoi y'a la Marine, en fait. Niveau coin désert, ça s'pose là.
Au bout d'un moment, une esquisse de plan tordu se dessine dans ma tête. C'est complètement con, mais d'une, j'trouve rien d'autre, et de deux, plus c'est gros, mieux ça passe. En général. Au pire, ça changera pas grand-chose.
Du coup, j'embarque le sac avec les chaussures et j'descends. J'ignore l'gros hôtelier quand il me souhaite une bonne fin d'aprèm et j'taille la route, direct vers le port. Tous les ports ont des putes, c'est bien connu. Enfin vu comme c'est daubé, comme zone, y'aura probablement que des vieilles radasses, si tant est qu'il y ait quelque chose.
Après avoir farfouillé un peu, j'trouve un p'tit groupe de péripatéticiennes qui discute en fumant des clopes. Y'a aut' chose qui circule sous l'manteau, probablement d'la came. Pour ce que j'en ai à secouer. J'prends la seule qui ressemble encore à quelque chose, la moins moche du lot. Elle est sûrement plus jeune que moi, mais elle en a pas l'air.
« - Toi, la blonde. Nan, pas toi, la moche, l'autre, celle qu'a l'air baisable. Ouais, toi. T'as une piaule ?
- Oui m'sieur. C'est pour la nuit ou juste vite fait ? Les tarifs sont pas les mêmes. Cinq k vite fait, vingt k la nuit.
- Ca va être vite fait mais si tu t'débrouilles bien, tu pourras avoir plus.
- Sûr, m'sieur, on m'appelle...
- J'm'en cogne, de comment tu t'appelles. On va à ta piaule.
- Hé, restez poli, intervient une des vieilles peaux.
- Occupe-toi d'ton vieux cul moisi, la vioque.
- Ho, dites, si c'est ça, on va appeler not' mac et...
- Nan, calmez-vous, les filles, supplia celle que j'avais choisie. J'm'en charge, vous inquiétez pas.
- Ouais, elle s'en charge. Allez tapiner au lieu d'me les briser.
- Crie si t'as besoin d'aide, on viendra avec Charlie pour les lui briser au sens littéral, assure une autre.
- Ouais, Marjory, j'ferai ça.
- Voilà, super, tout le monde il est content, que j'dis. On peut y aller, maintenant ? »
Maintenant que ça, c'est fait, on enclenche la seconde partie de mon super plan. J'suis Machine jusqu'à son lieu de travail. Une fois tous les deux rentrés dans la chambre minuscule qui pue, elle commence à se dessaper.
« - Holà ! J't'arrête tout de suite.
- Quoi, vous préférez faire ça habillés ? S'pas pratique.
- Nan, en fait, on va pas l'faire.
- Hein ? Mais on va faire quoi, du coup ?
- On va faire ce que je vais te dire de faire.
- J'sais pas si ça rentre dans ce que j'ai l'droit de...
- Boucle-là et écoute-moi. Dis-moi si y'a un truc que tu comprends pas, aussi.
- J'vous préviens, si j'crie, les autres arrivent.
- J'en doute pas, mais t'auras aucune raison de beugler comme un cochon qu'on égorge. »
Devant son air terrifié, et alors qu'elle prend une grande inspiration, j'capte ce qu'elle a cru comprendre.
« - Non ! Putain, non ! Personne va être égorgé ! »
Méfiante, elle se mit à l'autre bout de la pièce, soit bien à deux mètres à tout casser. Genre ça change quelque chose.
« - Okay, c'est tout simple, ce que je te demande, et en plus tu seras payée plein. Tu comprends ?
- Plein comment ?
- Si tu vas vite et bien, quinze k pour un truc qui prendra même pas trente minutes.
- Allez-y, jvous écoute.
- J'espère bien. T'as un nécessaire de maquillage ici ?
- Ouais, j'ai de quoi me remaquiller entre deux clients.
- Nickel. Ouvre bien tes esgourdes. Voilà c'qui va s'passer...
- Mes es-quoi ?
- Esgourdes. Oreilles, quoi. Ah merde, écoute, quoi.
- Sûr.
- Tu vas aller chercher une robe courte genre été, à ma taille, avec une perruque de femme.
- Pourquoi ?
- T'occupes. Tiens, voilà l'pognon. Si tu fais une marge, tu gardes la thune en plus, mais hors de question de m'refiler d'la camelote, pigé ?
- Pigé. C'est pour vous déguiser, pas vrai ? »
J'la regarde d'un air incrédule. Ca la vexe. Pas ma faute si j'pensais qu'elle était totalement liquide là-haut, à sa gueule, ç'aurait pas été surprenant.
« - Me regardez pas comme ça !
- Désolé, j'ai juste été... surpris.
- C'est pas gen...
- Tu veux du fric ou pas ? Bon, bah, tu t'bouges. »
Ravalant son indignation, elle attrape les billets que j'lui tends et passe en trombe devant moi. Ouais, va, cours, vole, et nous fait les courses. Ca m'rappelle un truc. Une formule célèbre d'un bouquin ou une connerie du genre.
Quinze minutes chrono plus tard, la voilà qui revient avec un sac plein. Tant mieux, j'en avais marre d'attendre et d'compter les tâches blanches sur les draps, ça schlingait trop et la fenêtre s'ouvrait même pas. J'ai grillé une clope en attendant.
Elle sort une robe courte rouge vif, une perruque blonde dont les cheveux m'arrivent au milieu du dos quand j'la mets et une paire de bas résilles. Le summum du bon goût. J'commence à m'dessaper.
« - Ah, on le fait, finalement ? Vous voulez que j'mette la perruque ?
- Nan, j'vais la mettre.
- Aaaah, vous voulez le faire déguisé en femme ?
- Nan ! J'ai dit qu'on le faisait pas !
- Ah, mais j'fais quoi, maintenant ?
- Tu m'aides à enfiler tout ça, pour commencer. On a bientôt fini, tu vas pouvoir retourner battre le trottoir avec tes copines.
- Voilà pour la robe et la perruque.
- Ouais, pendant que j'mets les bas, maquille-moi, j'sais pas comment faire.
- Comment ça, j'vous maquille ?
- Tu m'maquilles pour que j'ressemble à une prostituée. Donc mets la dose.
- Ah ! Votre truc c'est de vous déguiser en femme puis de vous promener dans la rue, c'est ça ?
- Pas du tout.
- Par contre, vous auriez dû vous épiler les jambes, au moins. Ca aurait été plus réaliste.
- J'ai dit que c'était pas mon délire.
- Puis vous devriez mettre un manteau pour cacher vos bras. Ils font pas très féminins.
- On est obligé de parler ?
- Enfin, j'imagine que y'a des gens qui trouvent ça attirant, les ''femmes'' un peu musclées.
- Ah ouais, okay. On va faire la version simple à comprendre. Ta gueule, j'te paye pas pour faire la conversation.
- Comme vous voulez, m'sieur. Ou vous préférez que j'vous appelle m'dame maintenant ? Mad'moiselle ? »
Avec un grognement j'fous un coup de poing à l'oreiller. Heureusement que j'ai pas pris une des radasses, j'l'aurais cognée sans aucun scrupule. Et après, le mac serait venu m'casser les couilles. Pas que j'en ai particulièrement peur, mais il risquerait d'tout faire capoter.
« - Okay, on va changer les règles du jeu, Machine.
- Hein ?
- A partir de maintenant, à chaque fois que tu l'ouvres et que c'est pas pour répondre à une question que j'te pose, j'retire mille de ton bonus. Ca colle ? »
Elle reste muette. Putain, elle a pas compris ou quoi ? Devant mon regard insistant, j'vois les engrenages s'mettre en marche dans la vacuité de son regard. Au terme de trente difficiles secondes, elle ouvre la bouche.
« - Oui, ça colle. »
C'est que là que j'vois les restes de poudre blanche autour de ses narines. Chiasserie, elle s'est fait un fix en sortant. M'étonne pas qu'elle ait la tête ailleurs.
« - Maintenant, voilà c'qui va s'passer. J'vais sortir, et t'laisser toutes mes fringues. Tu vas les foutre dans le sac que t'as utilisé pour faire les courses, et tout déposer à l'adresse que j'vais t'indiquer. Tu comprends ?
- Oui m'sieur. M'dame. M'sieur. J'comprends.
- S'il manque quoi que ce soit dans l'sac, j'te retrouverai et j'te referai toute la dentition avec une tarte aux phalanges. Tu comprends ?
- Compris, pas piquer dans l'sac.
- Et pour finir, si tu causes de ça à qui que ce soit, ton mac, les autres putes dehors, un client, ce sera à nouveau la tarte aux phalanges. Pigé ?
- Pigé, j'comprends, pas un mot. »
Juste pour être sûr, j'lui fais répéter toutes les instructions. Elle a l'air d'avoir retenu. Compris, par contre, j'peux pas assurer. On s'prépare à sortir, j'me prépare à pouvoir respirer du vrai air. J'ai gardé mes clopes, aussi, donc j'm'en ferai une en attendant Louis. Elle dit timidement :
« - Euh, vous avez pas de chaussure ?
- Ah, si, bien sûr. »
J'sors les escarpins roses à paillettes et j'les enfile, assis sur le bord du lit. Quand j'essaie de me relever sous le regard éloquent de la prostituée, j'manque de m'casser la gueule. Agent Rinwald, mort en s'cognant sur l'coin du plumard pendant qu'il se déguisait en prostituée. Epitaphe : Il a joué au con.
J'crois que j'ai jamais autant risqué ma vie qu'en marchant là-dessus. J'ai limite le vertige, ha. La prostituée est partie déposer le sac à l'hôtel où j'pionce, j'le récupèrerai plus tard, comme ça. Vaguement, j'ai l'impression d'avoir oublié un truc. C'est assez irritant, comme sentiment. J'laisse ça de côté et j'me mets en planque du côté de la base de la Marine, en attendant l'hypothétique traitre.
Ca va, j'ai bien dix minutes d'avance sur l'heure de sortie de Louis. J'aurais eu plus si j'avais pu marcher à une vitesse normale, mais pas moyen, avec ces chaussures. Quand j'vois qu'il sort à grandes foulées, j'déprime. Il va me semer en marchant, à tous les coups.
Il a l'air carrément pressé, et jette des coups d'œil furtifs tout autour de lui. Son regard s'arrête pas longtemps sur moi. J'dois pas donner envie, en même temps. J'ai dû mal à suivre le rythme qu'il impose, par contre. Il fait une chaleur à crever sous la perruque, et la sueur qui me goûte sur le front fait un peu couler le maquillage, qui m'arrive droit dans les yeux. J'l'essuie d'un doigt en essayant de pas tout virer. Tant que de loin, ça ressemble à quelque chose, ça m'va.
Au bout d'un moment, j'prends le coup pour marcher avec les escarpins. Faut rouler du cul. J'manque juste de m'tordre la cheville à chaque enjambée, donc j'essaie de les raccourcir et de tricoter des jambes. J'ai l'impression d'risquer ma vie chaque fois que j'fous un pied devant l'autre.
Heureusement qu'on s'dirige vers le port, une fois de plus. Là, j'commence à connaître le chemin, j'ai passé ma journée à faire la navette entre les deux. Si j'avais su, j'aurais attendu là-bas, merde. Au moins, j'vais pas détonner dans l'paysage. A un moment, un type bizarre m'accoste. Il doit s'dire qu'entre types bizarres, y'a un genre de lien. J'le jarte vite fait, mais j'ai perdu de vue Louis dans l'processus.
Chienne de vie. J'hésite à enlever mes chaussures et courir au coin de la prochaine rue, histoire de pas être totalement semé. Mon instinct m'dit d'la jouer calme. Au pire, le port est pas bien grand, j'lui retomberai bien sur l'paletot.
En arrivant au coin, j'vais pour tourner la tête quand j'reconnais l'ami Louis tapi dans l'ombre, en train de regarder si quelqu'un lui emboîte le pas. Ha. J'continue ma route l'air de rien, puis j'fais l'tour du pâté de maison pour le garder bien en vue. L'a toujours pas bougé le temps que j'revienne. Pour un peu, il me serait sympathique. A part qu'à cause de lui j'me retrouve déguisé en transsexuel.
Après un p'tit quart d'heure pendant lequel j'en profite pour fumer une clope, histoire de m'remettre d'mes émotions, il se remet en route. Maint'nant, il arrête de regarder à tout-va derrière lui, et c'est tant mieux, ça commençait à m'fatiguer. Comme toute cette affaire. J'ai mal aux jambes, en plus.
Ce brave Hocourenthe me mène tout droit sur le quai. Depuis l'temps, la nuit est tombée, donc il s'arrête sous un lampadaire, seule tâche de lumière dans l'obscurité ambiante. En plus, le temps est très humide ce soir, et la brume commence à monter des vagues. On voit ni la lune ni les étoiles à cause des nuages. Bref, dans quelques heures, il fera nuit noire, mais j'espère bien être rentré pour pioncer un coup.
A peine après qu'il soit arrivé sous le poteau, un autre bonhomme le rejoint. Plus petit, un mètre soixante-quinze à tout casser, mais râblé comme tout. L'a un beau p'tit bidon, aussi, mais les mains qu'il sort de son gros pardessus sont larges comme des battoirs. Ils se serrent la pince.
J'réfléchis fort. Si j'les laisse taper la discute, Louis pourra balancer les infos à l'individu peu fréquentable auquel il fait face. Donc faudrait intervenir vite. Mais en même temps, comme j'y avais pensé, l'histoire est bizarre depuis l'départ. Ca s'trouve, c'est un traquenard. Bah, pas que j'sache grand-chose.
Si on en arrive à une confrontation directe, j'devrais m'débrouiller, j'suis bien entrainé. Un Marine de seconde classe de seconde zone devrait pas avoir une chance. Du coup, j'm'approche des deux, les talons claquant sur le bois du quai, une cigarette éteinte au bec. J'garde la tête un peu baissée pour que ma perruque cache le plus possible de mon visage. Dès qu'ils me remarquent, ils arrêtent de causer et me fixent.
« - Bonsoir, z'auriez du feu ? J'demande, avec une voix eraillée.
- Non, désolé, nous ne fumons pas, répond le type que j'connais pas.
- Ah, tant pis. Et sinon...
- Hé ! Z'êtes le type du C.P.D.T.G. de cet après-midi !
- Révolutionnaires, les mains en l'air ! Que j'réponds en criant. »
Le p'tit râblé me tacle instantanément tout en gueulant :
« - Vite, va t'planquer chez Berthe, j'le r'tiens ! »
Le Louis détale aussi sec pendant que l'autre me colle au sol. Il m'a tellement surpris en m'sautant sur le coin du museau que j'suis tombé cul par-dessus tête, j'en ai perdu mes escarpins. Il se dresse au-dessus d'moi, les mains libres, et j'peux pas bouger. Instinctivement, j'vais pour attraper un de mes surins, celui que j'ai dans la manche droite, avant d'me rendre compte que j'l'ai pas. C'est là que j'me rappelle que j'ai tout filé à la prostipute et que, fatalement, j'suis à poil, niveau armement.
Celui que j'suppose être un révolutionnaire, lui, il a pas à réfléchir, et ça s'voit. Son premier coup d'poing s'écrase en plein sur la pommette gauche. Ma tête tape bien contre le sol. Ca fait mal. Sa main gauche approche à toute vitesse de mon nez, mais j'arrive à détourner un peu l'attaque avec mon bras droit, donc ça glisse le long d'ma tempe.
Le problème, j'me dis, c'est que dans nos positions respectives, lui me chevauchant et moi sur le dos, sans signification salace, ben il a qu'à faire pleuvoir et au bout d'un moment, j'vais m'en prendre une autre. En plus, pendant qu'on discute, Louis se fait la malle pour aller chez Berthe, où que ce soit.
Il arme son poing droit, son faciès prognathe et ses p'tits yeux enfoncés lui donnent une apparence simiesque, de près. Marrant, les choses qu'on remarque. Frénétiquement, j'tâtonne à côté de moi de la main droite. Quand il m'a mis à terre, juste avant, j'ai perçu un scintillement par là. Avec un peu de bol... Le coup m'arrive en plein dans la mâchoire, mais j'm'efforce de pas être sonné en rassemblant toute ma concentration. Ca serait ballot d'y passer, déguisé comme ça.
Il prépare son prochain coup. Visiblement, il compte pas s'arrêter en si bon chemin. J'sens ma perruque qui s'barre. J'sens le sang dans ma bouche quand j'me suis mordu la joue sous l'attaque précédente. J'sens un truc dans ma main droite. J'l'attrape et avec un grognement qui dévoile mes canines, j'tape de toutes mes forces dans sa gueule. L'arc de cercle décrit par le stiletto s'achève droit dans la tempe de l'inconnu.
Il s'écroule immédiatement sur moi, un filet de sang coulant d'une de ses narines. J'le repousse pour m'relever aussi vite que possible. En jetant un coup d'oeil à l'escarpin, j'vois que le talon est un peu ensanglanté. Peu importe.
A une trentaine de mètres, Louis court. Il jette un regard en arrière. Il est pas si loin. L'escarmouche a duré à peine quelques secondes. Avec l'adrénaline, mes pensées vont à cent à l'heure. J'raffermis ma prise sur le stiletto, avant de le lancer de toutes mes forces sur le fuyard. J'suis pas particulièrement bon à ça, mais c'est assez proche de la cible. J'm'élance à sa poursuite.
La chaussure est passée en trombe à côté de la tête du Marine. J'suis pas forcément très précis, mais là, j'ai bourré. C'est parti vite, c'est parti fort. Il a été tellement surpris qu'il a fait un écart et s'est pris un lampadaire. Il se rattrape en posant les mains par terre. J'en profite pour le rattraper. J'suis à fond, là.
Un autre regard en arrière, il voit que j'le rattrape. J'sens la peur dans son expression, joliment illuminée au milieu du port recouvert par la brume. Il se remet à courir. Il veut me semer. Un dernier regard par-dessus son épaule le fait trébucher. Là, j'le loupe pas. J'lui saute dessus comme la misère sur le pauv' monde. Pas très aguerri, le gars.
Cette fois, c'est moi qui suis au-dessus. Il se met à gueuler :
« - J'me rends ! J'suis désolé !
- A d'autres, connard ! Au fait, tu t'souviens, C.P.D.T.G. ?
- Oui, quoi ?
- En fait, ça veut dire Cipher Pol Dans Ta Gueule. »
J'le sens se pisser dessus. L'odeur est pas très agréable. J'l'attrape par les cheveux, et j'tape bien fort contre le quai. Un paquet de fois. J'lui refais le nez et la bouche. Au début, il s'agite, remue les bras et les jambes. Seulement au début. Dans l'noir, c'est pas facile, mais j'jurerais que ses dents ont laissé une marque dans le bois épais de l'embarcadère.
Après m'être bien défoulé, j'me relève et j'm'étire. Mes vertèbles craquent, mes épaules aussi. Comme l'excitation est tombée, j'sens la douleur poindre là où l'autre m'a cogné. Tout un côté de mon visage me fait mal. J'fous deux-trois coups de pieds dans les côtes de Louis pour la faire passer. Evidemment, j'fais gaffe à pas marcher dans la flaque d'urine.
J'le choppe par la cheville et j'le traine jusqu'à l'autre, qu'a toujours pas bougé. A mon avis, ça sent l'sapin pour le p'tit râblé. Pas moi qui vais l'pleurer. J'lui mets aussi quelques coups de pieds, pour la forme, avant d'prendre son pouls. Ouais, l'a passé l'arme à gauche.
En parlant d'arme, j'le fouille. Pas de papelards d'identité, sans surprise, mais une arme à feu, du genre antique et pas pratique. Un truc gros qu'il faut tenir à deux mains et qui pèse une bonne tonne et demie. J'tire par terre, et le bruit de la détonation fait un boucan de tous les diables. Pile c'qu'il me fallait. Par contre, j'sens le recul jusque dans mes épaules.
Plus qu'à attendre un peu, normalement, si le brouillard qui se lève n'amortit pas tous les bruits. J'm'asseois sur le cadavre et j'vais pour allumer une clope. Dans le combat, le paquet a été complètement écrasé, mais ça reste fumable.
Maintenant qu'j'ai un peu d'temps libre, j'peux enfin m'poser les bonnes questions. Ils ont flippé sévère quand j'ai dit révolution, donc ça doit pas être des mafieux ou de simples escrocs. Reste à savoir qui a balancé l'information anonyme sur la trahison. Ptet un camarade Marine qui voulait pas s'charger du sale boulot ? Ca arrive, on en voit, des comme ça.
Ou alors un membre du CP6 qui sape discrètement d'autres cellules. Ca s'est vu aussi. Si c'est ça, peu de chances que ça ressorte un jour. Parfois, c'est même les révos qui se sabotent entre eux. Des querelles de pouvoir entre rebelles, de bonnes blagues. Ma thèse initiale était que quelqu'un voulait s'venger du Louis pour une connerie ou pour une autre, et a balancé une information bidonnée. Du style dettes de jeu, infidélités, d'la merde, quoi. C'est probablement faux, mais j'vérifierai quand même, demain.
En tout cas, il reste encore à remonter la piste du révolutionnaire et d'la nana qui s'appellerait Berthe. Mes pensées sont interrompues par une patrouille de Marines qui débarque au trot. C'est pas trop tôt.
J'lève les mains en l'air. J'voudrais pas qu'ils deviennent nerveux et m'tirent à vue juste pasque j'ai un peu abîmé un de leurs potes et dézingué un autre bonhomme. Ils s'rapprochent en m'gardant en joue. Ils ont pas l'air de faire trop confiance au travelo qu'a tapé le collègue.
Deux Marines me relèvent brusquement avant de me fouiller. T'façon, j'ai rien sur moi à part mes clopes. Après avoir confirmé la mort du p'tit révolutionnaire, ils vérifient l'état de Louis.
« - Hé, les gars. Agent Rinwald, Cipher Pol 5. J'ai déjà discuté avec le Colonel Laverdure cette après-midi. Le seconde classe Louis Hocourenthe est en état d'arrestation pour tentative de trahison. Passez-lui les menottes, s'il vous plaît, j'ai oublié les miennes à la maison. »
Ils ont pas trop l'air de m'croire, sans surprise. J'ai peur que ma tenue n'enlève à ma crédibilité et ma prestance. J'ai gardé mon accréditation de circulation du colonel et la preuve que j'appartiens au CP, en tout cas. Comme quoi j'avais pas tout oublié. Ca leur donne du grain à moudre.
J'en vois un qui sort les menottes. Parfait, on va pouvoir avancer. Il passe derrière moi pour s'occuper du Louis et m'immobilise les poignets pour les attacher. Pris de cours, j'me suis laissé faire. Enfin, pas comme si j'aurais pu faire grand-chose contre toute une patrouille, remarque.
Sur un signe du lieutenant, tout le monde repart. Deux marines portent le cadavre, en queue de groupe. Deux autres m'encadrent, histoire de s'assurer que j'fasse pas le cacou. Juste devant moi, quatre gars se relaient pour trimballer Hocourenthe, qu'a toujours pas émergé. J'manque pas de noter qu'il est pas menotté, lui. Quelle bande de bâtards.
Rapidement, j'me retrouve devant le colonel, assis manu militari sur une chaise, toujours menotté. J'revois mes vieux potes Buffet et Vaisselier. Leur regard aussi expressif que celui d'une vache m'impressionne. Quel stoïcisme. J'manque de les insulter par réflexe, pour m'défouler, mais j'me rappelle au dernier moment que ça arrangera pas ma situation.
Le colonel Laverdure prend la parole :
« - Vous revoilà, Agent Rinwald.
- Semblerait bien.
- J'ai pu contacter quelques personnes, après que vous soyiez partis. Confirmer votre mission, entre autres.
- Super, on peut m'enlever les menottes, du coup ?
- Dans quelques instants. »
L'enflure.
« - J'ai cru comprendre que le seconde classe Hocourenthe était maintenant accusé de trahison ?
- Tout à fait.
- Evidemment, vous êtes assermenté, je ne remets pas votre parole en doute.
- Bien sûr.
- J'imagine que vous comptiez remonter la piste révolutionnaire ?
- Carrément.
- J'espère que vous avez noté l'accent que j'ai mis sur ''comptiez''.
- Votre langue a probablement fourché. Dès demain, j'espère bien faire causer un peu Hocourenthe et remonter la piste de l'individu qui a malheureusement trouvé la mort dans l'affrontement.
- C'est dommage, une telle incompréhension entre nous. Mais je m'attendais à une telle dénégation de votre part. D'un instant à l'autre, nous devrions recevoir par escargophone un message vous ordonnant de rentrer pour une autre mission.
- Hein ?
- Cela dit, je tiens à vous féliciter chaleureusement pour la réussite de votre mission. Être parvenu, dans des délais aussi courts, à empêcher la divulgation d'informations internes à la Marine est un exploit considérable.
- Quoi ?! Mais j'comptais bien...
- Oui, je comprends, j'admire et j'applaudis votre zèle. Cependant, il est maintenant temps pour vous de prendre un peu de repos avant de partir vers de nouvelles aventures.
- Je proteste ! Je ne sais pas comment vous avez fait votre c... »
Le bruit caractéristique d'un escargophone sonne dans le bureau.
« - Ah, mais ce doit être notre appel ! Colonel Laverdure à l'appareil ? Mais bien sûr, j'ai l'Agente Rinwald juste en face de moi. »
Agente ? Quel connard. M'ont même pas donné le temps d'me changer, les autres. Et j'suis toujours menotté, putain. Obligeamment, le colonel approche le combiné de mon oreille. Là, j'reconnais direct la voix de mon supérieur hiérarchique qui, comme le Marine l'a dit, m'ordonne de rentrer par le premier navire qui part demain matin.
J'l'ai carrément mauvaise. J'fulmine. J'ai mal. Pas qu'au visage. C'est comme si j'avais chassé un putain d'sanglier, et qu'au moment d'grailler, j'me fais carotte. On m'vole un morceau d'viande juteux alors même que j'allais mordre d'dans, et dieu sait qu'j'avais les crocs.
La communication se coupe, et le colonel se rassied, un p'tit sourire au lèvres. J'ai envie de lui fracasser la tête sur son bureau, mais menotté, c'est difficile à négocier. Il fait signe à une des deux armoires à glace de m'raccompagner dehors, avant de lâcher :
« - Au fait, quand vous vous déguisez, pour paraître plus féminin, il serait plus seyant de serrer les jambes une fois assis. Cela vous rendrait plus crédible. »
Enculé de fils de putain.
En une minute chrono en main, j'me fais jeter hors de la base de la Marine et la porte se referme derrière moi avec un claquement. Tout seul, dans l'noir, au milieu d'la nuit, avec une robe et des bas résilles, pieds nus. A la vague lumière, j'distingue deux formes bizarres par terre. J'ai l'impression d'les avoir déjà trop vues.
Ce n'est qu'en les ramassant que j'les identifie formellement. C'est les stilettos que j'ai utilisés. Y'a même encore un peu de sang sur un des talons. Des p'tits rigolos, les Marines. J'crache par terre. Qu'l'un d'eux glisse sur ma salive et s'ouvre le crâne.
En arrivant à l'hôtel, j'hésite à rentrer par la porte. Ca ferait mauvais genre. J'en ai marre de m'faire regarder bizarrement ou d'me faire chambrer à cause de mes fringues. Finalement, j'escalade sur un étage et j'force la fenêtre. Du système de sécurité de haut vol, y'a pas à dire. J'ai même pas sué.
Posé joliment au milieu de mon lit, y'a mon sac avec tout mon matos et de quoi m'habiller. M'enfin pour l'moment, pas moyen d'm'y intéresser. J'suis fatigué et écoeuré. Le colonel Laverdure a l'air de connaître quelques bonnes personnes pour réussir à s'faire refiler la suite. Il veut probablement aussi garder le contrôle sur sa base, pas qu'un connard d'CP vienne fouiner partout, ptet suivi par d'autres.
J'jarte tout ce qui traine sur le plumard à coups d'pieds puis j'me couche après avoir enlevé la robe et les bas. Mais j'trépigne. J'hésite même à repartir illico sur la piste, comme ça, à la recherche de Berthe. Mais ç'pas réaliste. J'ai pas d'infos sur le type que j'ai buté, j'ai pas d'infos sur Berthe, on est en pleine nuit, et j'peux plus taper la discute avec Louis.
J'me tourne et j'me retourne sur le matelas désagréable. J'mets et j'enlève la couette. Quand j'vois l'aube poindre à la fenêtre, j'me dis que j'ai pas dû somnoler plus de trente minutes. Mais j'me sens même pas fatigué, juste énervé et déçu.
J'me lève sans hésitation. Vivement que j'me barre de cette île de merde. J'prends une bonne douche qui réveille la douleur sur le côté gauche de mon visage. Dans l'miroir, j'vois un bel hématome qui devrait prendre toute ma joue facile. Quand j'fais jouer ma mâchoire, ça pique. Ca passera. Comme ma colère et ma frustration.
Après avoir remis ma chemise, ma cravate, mon costume, j'descends. L'hôtelier est là, fidèle au poste, toujours aussi gras du bide. J'avais payé ma nuit en avance, j'lui dois rien, même pas un bonjour. J'me mets face à lui, mon visage à quinze centimètres du sien. J'sors une clope, j'l'allume sous son regard d'abord plein d'incompréhension puis de désapprobation. J'prends une longue bouffée, que j'garde quelques instants dans mes poumons, avant de lui souffler toute la fumée dans la gueule, puis j'ramasse mes affaires et j'me casse sans un regard en arrière.
Chiasserie.
Dernière édition par Alric Rinwald le Mar 24 Fév 2015 - 9:09, édité 5 fois