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Réveil.

Le vide. Ce carcan immatériel que nul ne pouvait saisir. Cette chose d’une ampleur incommensurable, mais qui pouvait paraître si insignifiante. Une véritable entité vivant par elle-même, et profitant à l’occasion du corps d’un hôte pour s’y réfugier. C’était en effet ce parasite imaginaire qui avait investi le sergent tout entier. Non pas au sens propre bien-sûr, mais cela faisait maintenant cinq mois que le corps du sergent n’était pas sorti de cet état. Celui d’un comateux. Jour après jour, les forces qui l’habitaient disparaissaient, aspirées hors de lui. Pourtant, ce souffle de vie que tous inspirent à la naissance n’était pas disparu. Il s’était accroché et à l’aide d’un support médical adéquat, avait finalement réussi à tenir bon. La vie allait continuer chez ce jeune homme. Cela n’avait, toutefois, pas empêché le Temps de l’affaiblir physiquement. Il avait grugé les muscles, réduit la chair, amoindri sa résistance. Il faudrait du temps au marine pour retrouver des forces. Ce géant insaisissable laissait sa marque sur chaque chose de ce monde. On ne pouvait se jouer de lui, car Il prenait, tout comme Il pouvait donner. Quel étrange paradoxe. Une balance capricieuse que l’on ne pouvait faire basculer d’un côté ni de l’autre. Il fallait attendre, rien de moins… et espérer qu’Il prenne une décision. C’est bien ce qu’Il fit.

Le temps était au réveil.

Une simple lueur, interne, faible, mais qu’un soleil ne pouvait égaler. Une chose que peu d’hommes avaient sentie dans leur vie. Était-ce même adéquat d’utiliser le mot «vie» ? Ne fallait-il par être mort pour ressentir cela… ce retour ? Les Limbes, était-ce là, la réponse à cette question ? Toutefois, cette lumière grandissait au sein des ténèbres, sans entrave, sans limite. Elle montrait le chemin, mais vers où, et quoi ? Elle imposait sa loi sans restriction, brillant de mille feux et occupant le vide dans sa totalité.  L’effet était époustouflant.  

Le temps était au réveil.

Certains disent que l’homme a conscience de son environnement lorsque son état est léthargique. Qu’il pense, entend et ressent… mais rien de tout cela n’est vrai. L’esprit, comme le corps, se retrouvait paralysé. Notre conscience disparaissait, noyée sous le poids du Néant intérieur. Le choc pouvait sembler radical, destructeur même, mais l’effet instantané de la chose réduisait considérablement les dommages. Les pensées étaient stoppées, immédiatement, et reprises au réveil. Seul l’instinct de survie était épargné, permettant ainsi au corps de fonctionner.

Mais le temps était au réveil…et les souvenirs se manifestèrent, eux aussi. Peu à peu, les détails les plus simples et les plus heureux de sa vie émergeaient. Les jours paisibles de sa jeunesse, le ragoût de sa mère, l’incident… Cette première tâche d’encre ne pouvait que mener  inexorablement vers le reste. Que ce soit l’enfer de sa première mission ou tout simplement son premier meurtre, tout lui revenait inconsciemment. Il savait qui il était et ce qu’il avait fait. Il prenait conscience des atrocités qu’il avait commises sous le couvert des forces de l’ordre. Regrettait-il ? Le monde était rempli de criminels en tout genre, et lui ne faisait que les réduire au silence. Ses méthodes s’avéraient brutales et la joie qu’il éprouvait alors, était sans égale. Il continuerait à purger ce monde coûte que coûte. Non, il ne regrettait rien.  

Le temps était au réveil…


Dernière édition par Kaze Starn le Lun 22 Sep 2014, 06:02, édité 3 fois
    ...et Kaze ouvrit l'oeil.


    Dernière édition par Kaze Starn le Lun 06 Oct 2014, 03:13, édité 1 fois
      Une chambre, rien de plus. Un mobilier sommaire occupait l’espace disponible dans cette pièce étroite. À sa gauche se trouvait une table de chevet dont le bois semblait avoir connu des jours meilleurs. D’une teinte brunâtre, elle se faisait discrète, dans l’attente que son utilisateur daigne l’utiliser. Malheureusement pour elle, son propriétaire n’avait pas eu le temps de lire, et d’y déposer son roman, cela depuis cinq mois. À sa droite, un objet filiforme soutenait deux sacs transparents remplis de liquides. Kaze n’avait jamais su le nom de cette chose et le découvrir était bien le dernier de ses soucis. Toutefois, cela semblait avoir joué un rôle déterminant dans sa survie, du moins il pensait. Un de ces deux sacs semblait contenir du sang, très probablement le sien, et l’autre, un soluté quelconque. Chacun abordait une tige flexible dont l’objectif premier était de s’enfoncer violemment dans son bras droit. Son membre était en feu. Au centre, trônait un lit simple dont les couvertures se réduisaient au strict minimum. Elles couvraient son corps qui semblait plus maigre que dans ses souvenirs.

      Ai-je tant maigris ?

      La seule façon de le découvrir était de se relever un tant soit peu pour observer l’étendue des dégâts. Ce qui devait prendre un quart de seconde pour toute personne possédant des bras, lui parut impossible. Ses bras peinaient à le soutenir et il ne put réprimer le vertige qui le gagnait.  Le blondinet s’obligea à reprendre sa place à l’horizontal pour calmer son organisme. Ses bras apparaissaient bien plus frêles qu’auparavant et supportaient mal son propre poids.  Inconsciemment, il porta une main à son visage dont le creux des joues s’était accentué.

      Depuis combien de temps suis-je ici à faire le mort ?  Comment est-ce que j’ai atterri ici ?  Que se passe-t-il ?

      Toutes ces questions tourbillonnaient dans son crâne n’accentuant que plus son malaise. Perdu dans cette interrogation interne, il ne remarqua pas le bruit de pas qui se rapprochait. En effet, une infirmière avait été attitrée à ce patient depuis maintenant si longtemps. Il n’y avait pas énormément de blessés dans ce QG des Blues, et encore ils ne restaient pas cinq mois allongés sans parler. Habituellement, la direction n’aurait pas accordé autant de soins à un marine, mais il s’agissait d’un membre de l’élite. Ainsi, les visites de cette demoiselle avaient continuées encore et encore. Il était devenu son patient quotidien et de loin son préféré, car lui ne se plaignait jamais. Elle n’avait jamais vraiment compris comment il avait atterri ici. Une histoire de révolutionnaires et un combat qui avait mal tourné. Et pourtant, il était toujours en vie ! C’était être chanceux dans sa malchance comme disait sa mère.

      La porte s’ouvrit et Ariel, de son prénom, pénétra dans la chambre. Habituée à un patient inconscient, il lui fallut un instant avant de réaliser qu’il était éveillé.

      « Ahhh, mais il était temps! Ça fait cinq mois que vous nous faites attendre.»

      Ne laissant pas la place à la réplique, elle se dirigea vers la porte et cria :

      « Appelez-moi le commandant Themis ! Dites-lui que la Belle au bois dormant est réveillée ! »
        «Alors ça fait déjà cinq mois que je suis ici ?

        -En effet, il aura fallu de la patience pour vous voir éveillé »

        Cette information perturbait grandement le jeune sergent d’élite. Jamais, il n’aurait cru être dans cet état un jour et encore moins aussi longtemps. Il avait donc perdu au Cimetière d’épaves. Les souvenirs avaient afflués avec précision dans son crâne lorsque la commandante lui avait rappelé les évènements. Sa précédente mission avait consistée à un nettoyage en règle chez les révolutionnaires du Cimetière. Il s’était précédemment embarqué avec ce nouvel équipage d’élite que le colonel Mavim avait composé. Tout se déroulait avec une précision chirurgicale jusqu’à ce qu’il rencontre un homme. Le Fauve. Probablement subventionné auprès de ces infectes révolutionnaires, ce mécréant avait tenté de l’abattre. Du moins, c’est ce qu’il avait cru alors. Toutefois, les propos de Themis l’avaient troublé grandement.  Cette dernière avait surgie dans la chambre de Kaze quelques minutes après que l’infirmière ait requise sa présence. Elle s’était ensuite postée près du lit et avait débuté les explications.

        Lorsqu’il avait entamé son dernier combat, il semblerait que le marine d’élite avait été coincé par une attaque de l’ennemi. Des débris en tout genre provenant de l’immeuble s’étaient effondrés sur lui, le réduisant à la merci de son adversaire. Et pourtant… pourtant celui-ci ne l’avait pas abattu.  Pourquoi ? Avait-il eu pitié d’un adversaire si faible à ses yeux ? Kaze ne représentait-il pas une menace à l’on terme et n’était-il qu’un insecte que l’on écarte de la main? Ces questions étaient malheureusement sans réponse et cela lui était insupportable.

        Ne suis-je pas membre de la marine d’élite ?  Oui. Mais alors comment a-t-on pu m’écarter si facilement ? Tu étais faible. Oui, faible…inutile...incompétent. Tu n’as servi à rien, à RIEN ! Tu t’es laissé battre, dominé ! Pourtant tu représentais l’ordre, la loi, la Justice.

        Cette folie interne qui l’avait tant de fois gagnée dans le passé revenait chez elle. Elle s’était absentée, mais elle était belle et bien de retour... et présente comme jamais. L’idée d’avoir failli à sa tâche le rendait fou. La Justice était pour lui un concept primordial dont il se portait garant. Il était de son devoir de la faire appliquer à tous et par tous les moyens possibles. Le meurtre n’était pas une entrave, mais une manière simple et efficace de faire régner l’Ordre.

        Non

        Jamais plus on ne m’humiliera ainsi ! Jamais ! J’anéantirai toute menace, chaque ennemi sur mon passage, TOUT ! ON NE POURRA ÉVITER LE JUGEMENT DE LA JUSTICE, CAR JE SUIS SON BRAS ARMÉ ! JE SUIS LE VIDE ! RIEN NE PEUT LUI RÉSISTER, RIEN NE PEUT ME RÉSISTER ! HAHAHAHA ! RIEN !!!!!


        La brisure mentale était complète, le retour impossible. Le jeune homme avait basculé plus profondément dans la démence. Certains devenaient des tueurs assoiffés de sang par pur problème neurologique et d’autres l’étaient pour le plaisir. Mais les hommes les plus dangereux étaient ceux qui servaient un idéal, un but ultime. Ceux-ci étaient prêts à tout et Kaze était devenu l’un des leurs. Ce fut les paroles de sa supérieure hiérarchique qui lui rappela qu’un monde existait en dehors de son crâne.

        «…….et je sais que vous êtes encore très faible, mais j’ai une proposition pour vous.  Certains de nos hommes se trouvent sur l’île de Boréa, sur North Blue, et je crois que vous pourriez être utile. Du moins, ce serait l’occasion pour vous de revenir au travail. Nos hommes ont pour mission de nettoyer l’île de tous révos qui s’y trouvent, un peu comme vous la dernière fois. Bien sûr, on souhaite un taux de disparition chez les membres de l’opération nettement moindre cette fois.  Le chef de cette mission est un homme disons…. perfectionniste et un tantinet radical, avec une pincé de méchanceté !»

        Kaze avait tout entendu et adorait cette idée. C’était un véritable cadeau du ciel ! À peine réveillé, on lui présentait une chance de se faire pardonner. Son état de santé n’était pas un problème, le moment venu il serait prêt.

        « Acceptez-vous cette offre sergent, déclara Thémis plus sérieuse que jamais.

        - Oui commandante !

        -Parfait, mais cette fois, évitez de tomber dans le coma pour un autre cinq mois ! Vous partez d’ici dans deux petites heures alors reposez-vous pour le peu de temps qu’il vous reste. Le voyage durera une semaine et surtout ne manquez pas votre navire, le prochain pour North Blue est prévu dans deux semaines alors…»

        Sur ce dernier commentaire, elle tourna les talons et se dirigea vers la porte. S’apprêtant à sortir, elle lâcha une dernière phrase.

        « J’allais oublier, nous avons trouvé une jolie surprise cette semaine dans un navire que l’on soupçonnait d’appartenir à la Révolution. Nous ne savons toujours pas comment ils ont réussi à se procurer cette chose mais j’ai pensé qu’elle pourrait vous être utile. Elle vous sera remise avec vos effets personnels, profitez en bien ! »

        Les deux heures qu’on lui avait allouées défilèrent devant ses yeux avec une vitesse vertigineuse. Quelques instants après le départ de sa supérieure, l’infirmière lui avait rapporté que ses pantalons ainsi que sa chemise n’avaient pu être récupérés après l’affrontement. On lui avait donc offert une chemise blanche ainsi que des pantalons bleus, couleurs de la Marine, de bonne taille. Comme promis, on lui avait donné la surprise de Thémis. Celle-ci s’était avérée forte intéressante, mais il patienterait avant de l’utiliser.

        Bien sûr, se trouvant bien trop faible pour marcher seul dans les corridors du QG, l’infirmière avait appelé deux marines pour installer son patient dans un fauteuil roulant. Elle l’avait ensuite conduit jusqu’au navire où les marins l’avaient monté à bord.  

        Assis dans son fauteuil, une légère bourrasque souffla sur le visage de Kaze, emportant vers lui cette odeur saline qui lui avait tant manqué. Il avait été la dernière personne à monter sur le navire et ce dernier était fin prêt à parcourir la mer. Le départ ne se fit pas attendre, et il ne suffit que de quelques minutes à l’océan pour les entourer complètement.

        Kaze avait une semaine pour retrouver ses forces, et ceci l’enchantait. La chasse allait bientôt commencer.