Ayé ! J'ai fait ma B.A de la journée. Baffer du banal clampin qui a cru qu'on pouvait mettre un imposant bonhomme à terre, juste comme ça, en claquant des doigts. Pour la peine, il a donc morflé. Ça a claqué aussi, mais à coups de nibs humides et féroces dans les gencives. Le quichon ne s'en relèvera pas de sitôt, sur ce. Et moi, ça me fait de la monnaie pour la suite de mon parcours. Bah si ! J'ai bien sûr pensé à le fouiller et à me servir, hein !
En effet, quand on vit comme un libertin, -euh... un pirate- on abandonne à peu près tout de son ancienne vie. Résultat, chaque petite dépense qui s'accumule finalement, a vite fait de vous endetter. Si seulement, en échange de berrys, il suffisait de se battre à tout bout de champ contre des dresseurs de bestioles, même un simple gosse de dix ans pourrait quitter son nid et s'en sortir sans maman.
Malheureusement, le monde ne marche pas comme ça. Et donc grossomodo, si tu n'as pas de travail honnête, ça se termine souvent avec les poings... ou en tout cas, la force brute, quoi.
_ Ne vous inquiétez pas. Il va bien. Je suis catcheur professionnel.
Bon d'accord, l'autre clown avait la mâchoire un chouïa démontée, avec du sang à la clé, mais carotte ! Au pire, ça faisait également partie de la mise en scène pour paraître crédible.
Et comme tout le monde sait que le catch, c'est au départ justement "truqué", les trois quarts de mon public préfère s'en remettre à mes conclusions. De toute façon, c'est ça où ils y passent aussi, mouarf !
Bref, après quoi, je me refais une petite beauté devant une vitrine de magasin, et je tapote ma victime du pied, style "allez maintenant, c'est bon... lève-toi, ils en ont eu pour leur argent". Le mec grogne légèrement, convulse coussi-coussa mais reste allongé.
Et hop ! La foule est derechef un peu plus rassurée. Elle a pu constater que le perdant était bel et bien vivant. Le principal, quoi.
_ Sur ce, mes gens ! Bonne journée à vous tous !
Je les salue avec le sourire, puis je m'éloigne de cet endroit. Je sais très bien qu'on ne va pas tarder à se poser des questions en ce qui concerne mon numéro de comédien.
Alors, direction le port de cette petite île. Je crois de toute façon qu'on peut dire que j'ai fait le tour. Et ce, même si je me crève plus vite que ce que je marche. À vrai dire, il n'y avait que dalle à visiter sérieusement sur ce minable caillou. J'ai juste profité d'une occasion pour faire ce que je fais de mieux. Exprimer mes talents de redoutable adversaire pour de vrai, et non plus pour la comédie dans un cirque.
Le covoiturage, un semblant d'équipage ?
Une fois à destination, rien à signaler. Apparemment, personne n'a averti de quelconque autorité depuis tout à l'heure. Pendant ce temps, moi je me suis approché d'une drôle de boutique. Un mix entre la location de transport et de covoiturage, dira-t-on. En clair, on te fournit le véhicule, et tu partages le trajet avec d'autres glandus.
_ Hein, quoi ? Comment ça, je dois payer pour deux ?
_ Eh bien... à cause de votre embonpoint, Monsieur. Je suis désolé mais si chacune de vos fesses empiète sur un siège, ça fait un passager en moins sinon.
L'enf... ! Bon, heureusement que mon précédent larcin avait pas mal porté ses fruits. Le truc qui me chagrine tout de même, c'est que je dois débourser plus que ce que j'avais prévu. Du coup, ça me fait de l'argent de poche en moins pour plus tard. Phoque !
J'apprends ensuite que si les prix sont finalement assez bas, c'est parce que tout le monde va devoir y mettre du sien. On va devoir tous ramer ! Et que leur accompagnateur ne sert simplement qu'à jouer à la boussole, tout en s'assurant que leur barge reste entre leurs mains à l'arrivée. Il ne manquerait plus qu'un petit malin se mette en tête de faire son rebelle au milieu de la course.
_ Et on peut choisir sa place ?
_ Si vous voulez. Vous verrez ça sur le bâteau, par contre.
Mouais. Vu le ton avec lequel l'employé m'a répondu, tu sens bien qu'il a envie de rajouter quelque chose, et puis en fait, non. Genre, tu le découvriras de toute façon bien assez tôt. Alors, surprise !
Donc, comme prévu, je capte enfin le petit détail qui ne m'avait pas turlupiné auparavant. En l'occurrence, puisque tous les clients sont invités à ramer, plus il y en aura, moins on se fatiguera. Et on voguera peut-être même plus rapidement, avec un peu de chance.
Alors quand je vois le tableau, je pense tout de suite que ça me fera moins transpirer. Mais être serré comme des sardines dans cette foutue embarcation, ça ne m'enchante pas plus que ça, quoi qu'il arrive. Sur ce, pas sûr que ce soit un avantage qui va pencher en ma faveur.
Bref, je finis donc par rejoindre toute la troupe qui squatte déjà dans les environs de la longue barque. Puis, un coucou enjoué plus tard, l'ambiance tombe d'un cran. Voire deux. Il y a bien sûr des hommes et des femmes, tous plus ou moins bien constitués dans la normale. Cependant, en voyant mes dimensions extrêmes, ça les calme vachement sur-le-champ.
Je sens déjà dans le regard de plusieurs personnes, qu'elles s'imaginent que c'est un miracle si le bois ne se craque pas sous mon poids.
_ Je suis impatient d'arriver sur le prochain lopin de terre, pas vous ?
Bah quoi ? Il faut bien tenter de décoincer tous ces culs. Sinon avec le bol que je me trimballe, ces cons seront capables de finir avec une crampe du coccyx dès le premier kilomètre parcouru.
Zou, en piste ! Je m'installe direct au milieu, pour ma part. Je me suis dit qu'en répartissant toute ma graisse au centre, le bâteau ne se soulèverait pas d'un bout à l'autre. Et je ne voudrais pas priver tous les ploucs à l'avant de faire moins d'efforts que ceux à l'arrière, et vice versa.
Le guide, quant à lui, se débrouille comme il peut pour faire entendre raison et asseoir les plus insoumis de notre groupe. Ceci fait, le taxi est ainsi prêt pour la navigation. Le service étant basé sur le remplissage de l'appareil, si chaque binôme travaille comme de bons petits soldats, le voyage ne peut que bien se passer, n'est-ce pas ?
_ Tu vas pas chialer, si ça dégouline un peu, m*rde !?
Grrr ! Il fallait s'y attendre, eh ouais. Aussitôt au large, mon partenaire n'a pas mis longtemps à être rebuté par toute cette pluie immonde et odorante.
Pfff ! Si seulement il avait pensé à fermer sa mouille, je n'aurais probablement pas remarqué que je faisais quasiment tout le boulot depuis le début. Alors que là, vu qu'il s'est plaint sans cesse, j'ai remarqué en prime que ses petits bras n'en bronchent plus des masses.
_ Est-ce qu'on peut cogner la feignasse qui ne respecte pas les conditions du voyage ?
Cash, que j'engueule alors le membre du personnel ensuite ! Je ne vois pas comment aborder le sujet autrement sur l'instant, de toute manière. L'accompagnateur grimace bien évidemment et me demande fissa de ne plus parler de la sorte.
La dispute traine alors en longueur parce qu'il n'est pas question que je me laisse faire. J'ai eu beau invoquer l'excuse de l'autre type qui n'aura qu'à se changer d'ici là, ou même de se jeter carrément à la mer. Mais en vain. Le guide est ferme, c'est soi-disant lui qui commande.
Au final, plutôt que d'y passer toujours plus de plombes sur le problème, on incite à changer de place cette petite chochotte qui me sert de voisin. Mais en échange, personne ne semble désireux de venir à mes côtés pour patauger dans une mare dégueulasse et gluante.
_ Bande de...
_ Chut, bon sang de bonsoir !
Vas-y comment il m'a interrompu, l'autre à la boussole ! Je m'apprête bien sûr à lui en remettre une couche verbale dans le mental, mais je me retiens à la dernière seconde. Je soupire alors et je dévisage tous les autres spectateurs muets et timides, pour l'occasion.
Deuxième cassage d'ambiance, quoi.
Après ce petit interlude, un silence pesant s'est donc emparé de la troupe. Parfois, quelques messes basses grésillent tantôt à droite, tantôt à gauche, mais pas de quoi casser trois pattes à un canard. Pour preuve, même mes oreilles ne sifflent pas. Je vais donc me dire qu'ils doivent simplement parler de la pluie et du beau temps, histoire que leur gorge ne s'assèche pas à force d'avoir trop déglutiné précédemment.
_ Félicitations à tous ! Nous avons déjà traversé plus de la moitié du chemin !
Pfff, il peut parler, lui ! À part consulter son aiguille aimantée et nous surveiller, il a la belle vie. Parfois, il a aussi remonté le moral aux plus fragiles, a essayé de les encourager, et même leur a promis un petit cadeau-souvenir d'ici l'arrivée sur la terre ferme... mais bon, on dirait plutôt des paroles en l'air plus qu'autre chose, dans le fond.
À un moment, je crois même qu'on a un peu dérivé et ce bougre ne l'a même pas signalé tout de suite. Pourquoi ? Parce qu'il se la jouait Don Juan auprès d'une demoiselle, pardi ! Je me suis alors redressé en proposant de fouetter les coupables avec mes boobs suintants, mais ça n'a pas eu le succès escompté. On devine pourquoi, hein !
Par contre, plus l'itinéraire s'étire en longueur, plus je commence à avoir faim. Forcément, j'ai encore envie de le faire partager. Et en fin de compte, c'est mon estomac qui s'en mêle avec des bruits dégueulasses. Tant mieux, car ça réveille du même coup les penauds comateux alentour. Ils me rejettent donc évidemment tous en choeur la faute, et je me défends tout en leur remémorrant aussi leur misérable prestation à la rame, mais c'est peine perdue.
_ Bon, ça va ! On s'arrête là, les andouilles ! Sinon, on va encore se disputer et je donne pas cher de votre faciès d'ici la fin de la boucherie.
J'aurais pensé que ça allait donner le point final, mais j'ai apparemment fait pire que mieux. Bientôt, plusieurs moussaillons de pacotille s'excitent et jactent dans l'incompréhensible. De la grosse cacophonie bien crade, quoi.
Le temps que je décrypte leur langage d'otaries, une meute de racailles est en train de débouler vers notre embarcation. Ils sont installés à califourchon sur des drôles d'engins plus vivants que mécaniques, et se mettent à encercler leur proie de choix tandis qu'un bâteau plus énorme s'approche à son tour.
_ À l'aide ! Pleurent mes pauvres équipiers.
_ C'est qui ? Demandé-je connement.
Il n'y qu'à voir le dessin sur leur grande voile. En général, dès que ça parle de tête de mort, obligé que ce soit un équipage de pirates. Et eux, visiblement, ils sont venus aborder, j'imagine.
Moi, j'ai rien contre. Ce n'est pas comme si on aurait à me palper longtemps. Mais pour les autres nunuches qui me servent de euh... en fait, non, ils ne servent à rien. À moins que ?
_ Ne vous laissez pas faire, les gars ! On va tous s'emparer d'une rame et on va les boxer s'ils se ramènent un peu trop près !
_ Vous êtes débile ou quoi ? M'engueule le guide. Et on ramera comment après si elles cassent ou si on se fait tuer ?
Bon d'accord, il n'a peut-être pas tort, c'est vrai. Je grogne quand même parce que j'aimais bien l'idée de la rebellion pourtant. Puis je termine carrément bouche bée quand j'apprends le plan foireux que cet accompagnateur de brun ose nous expliquer dans la précipitation.
En clair, ça consiste à fermer sa gueule, les laisser exécuter leur sale besogne, et comme quoi grâce à notre gentillesse, ils nous laisseront repartir sans effusion de sang. Dans le meilleur des scénarios, du moins.
_ Vous rigolez, hein ? Je vais me les faire en solitaire, si y'a que ça pour vous faire plaisir. Je suis catcheur, façon ! Personne ne peut résister à mes bourrelets, héhé !
Là, l'atmosphère est mitigée et confuse. Certains s'en calent de savoir si je vais m'en sortir ou pas. Tant que je les expédie dans l'au-delà ou que je fasse bêtement diversion, c'est l'essentiel. Puis il y a ceux qui se bornent à mater le groupe de trublions sur leurs montures, au bord de la crise cardiaque. Et au milieu, les plus naïfs, dira-t-on. Ceux qui espèrent que le guide n'en est pas à son premier voyage tumultueux du genre, en quelque sorte, alors autant lui faire confiance.
_ Rha mais l'écoutez pas ! C'est une lopette, lui. Faites-moi confiance. J'ai une super technique de nibards rotatifs. Croyez-moi, vous allez pas être déçus du résultat.
En même temps, je semble être le seul qui ne fait pas dans son froc. Et vu ma carrure, quand bien même je jouerais soi-disant au héros, j'inspire un certain niveau de puissance, bordel !
_ Ne jouez pas au gros dur, Monsieur ! Ce n'est pas la petite bande lambda qui cherche à se faire la main sur les Blues. On parle d'un équipage pirate qui a déjà fait ses preuves.
_ Ah bon ? Connais pas.
_ Ils se font appeler les Loups Beiges à Cobs !
_ À quoi ?
_ À cheval, si vous préférez. Une race connue pour le trait, notamment. Sauf que là, c'est leur forme marine.
Ah d'accord. Un sorte de gang de motards, mais chevauchant de la version monstre marin tout rikiki. Quoique, maintenant que le navire de leur capitaine s'est enfin pointé au plus près pour nous faire de l'ombre, il existe également la version gigantesque permettant de tracter de la big caravelle.
En effet, un impressionnant cheval des mers a l'air de trimballer sur son dos ledit bâteau des vilains, tout bonnement. Délire !
Tout à coup, des coups de feu tonnent dans l'air. Ça doit vouloir dire qu'il est l'heure pour l'assemblée de se taire. Ou de mourir sous peu ? Quoi qu'il en soit, mes compères sursautent en sanglots et se figent vers l'ennemi. La mission de récupération de butin va pouvoir commencer.
Sans déconner, vous y avez cru ? Moi aussi, au début. À vrai dire, les cavaliers-machin devaient juste nous tenir compagnie, de ce que j'ai compris au final. Ni plus, ni moins. Mouarf ! Tu parles d'un équipage de pirates qui cherchait à gagner en renommée !
Au lieu de ça, on a tous fini par monter à bord du navire. Si si ! Bien sagement d'ailleurs. Comme la violence n'a pas encore montré le bout de son nez, j'ai alors estimé que je reverrai d'abord mes plans. Et seulement ensuite, si nécessaire, j'atomiserai tous ces clampins armés.
Résultat, je passe pour une grande gueule prétentieuse, pour l'instant. À cause de mon numéro de fiérot de tout à l'heure, déballé trop vite, j'aurais sans doute mieux fait de garder ce genre de carte joker dans ma manche. Maintenant, je risque de me faire dénoncer par mes potes à la moindre entourloupe, je parie.
_ Toi, dit le Capitaine pirate. Tu veux faire partie de mon équipage ?
_ Euh...
_ C'est oui ou c'est non ?
_ Prenez tout ce que vous voulez et laissez-nous partir, ce serait pas plus raisonnable ?
Bang !
Holy sh*t ! Le capitaine n'est vraiment pas un tendre, y'a pas photo. Par contre, ses questions sont assez 'space'. Il compte demander à chacun si on veut garnir ses rangs ou quoi ? Et si on répond mal, c'est le sort qui nous sera réservé ? Une mort brutale.
En tout cas, le reste des ôtages a de quoi tirer la tronche, car ils savent qu'ils seront tôt ou tard les prochains. Et ce qui suit n'est pas près de leur raviver une flamme, au moment où les sbires de cette horde sordide ramasse le cadavre de notre accompagnateur, et le balance dans une caisse bourrée de glaçons. Après l'avoir fouillé rapidos, bien entendu.
Bizarre, bizarre...
Sur ce, le boss réitère son interrogatoire bidon avec le prisonnier suivant. Ce dernier se dit alors qu'en acceptant l'offre, il sauvera ses miches. Au lieu de ça, une énième étrangeté saugrenue le paralyse aussitôt.
_ Très bien. Alors puisque tu fais à présent partie de l'équipage, prouve-le moi. Descends-un de ces guignols !
Eh ouais ! Tel est pris qui croyait prendre, en somme. Voilà en quoi consiste le but de la manoeuvre de ces types. Si tu refuses, tu meurs. Si tu adhères, tu élimines ton prochain d'il y a peu. Pouah !
En revanche, mis à part pour nous mettre la pression ou les divertir, leur procédé n'est pas très malin. Beh oui ! Si pour survivre plus longtemps, le mec a juste à se constituer hors-la-loi temporaire, il peut toujours donc s'échapper la prochaine fois. Voire, se débarrasser de l'équipage pendant la nuit, ou que sais-je...
Bref. Toujours est-il que l'ôtage désigné n'aura bientôt plus rien à se mordre, à force de se ronger la langue. Et même les lèvres pour le même prix, tellement le choix est difficile... pour ne pas dire impossible à trancher.
Bang ! Oups. Temps écoulé, je suppose.
_ À moi ! Dis-je, feignant l'impatience, index levé, le tout en sueur. Moi, moi, moi !
Je sais. Ça paraissait louche et surtout sorti de son contexte.
Le capitaine a d'ailleurs froncé les sourcils, et s'est interrogé longuement avant de venir à ma rencontre. Heureusement que j'ai de la mensuration à revendre. Au moins maintenant, il peut enfin se rendre compte que je suis une belle bête à moi tout seul. Donc, contrairement au club des maigrelets traumatisés qui font plutôt dans la figuration, il y a des chances qu'on me classe dans une catégorie particulière.
Qui sait ? Un traitement de faveur spécial, quoi.
_ Hin hin hin ! Qu'est-ce que nous avons là ? Une grosse truie pressée d'en finir.
_ Meuh nan, tu m'as bien maté ? On appelle ça "saisir l'opportunité". Je vois bien que vous en avez plein les balloches. Et regarde-les... t'en tireras rien de ces foutues loques geignardes. Alors, permets-moi de montrer ce que je vaux.
_ Hmm... en effet, je reconnais que t'es pas comme les autres. Et t'as sans doute raison. On a besoin de balaise comme toi dans ce monde de brutes, haha.
Bon bah je crois qu'on peut dire que je lui ai tapé dans l'oeil, hein ? J'avoue, j'ai été un peu brusque et déterminé. Mais justement, ça passe ou ça casse. Alors si cet équipage est aussi vilain que ce qu'on prédend, soit il n'aimerait pas qu'on marche sur leurs plates bandes. Soit il aimerait avoir à rivaliser avec du mâle qui sait se mettre à leur niveau sans couiner.
Après quoi, d'un geste de la main, le capitaine s'écarte d'un grand pas pour me laisser le champ libre. Je n'ai donc plus qu'à mettre en pratique ce dont je suis capable. L'un des hommes de main s'apprête alors à me filer une arme à feu, mais je décline son offre.
_ Toupie Booblade ! Annoncé-je dans la foulée.
Et paf ! Tout le monde ou presque, qui se trouve dans les parages, ne tarde pas à goûter de mon combo de tétons tourbillonnants. Deux ou trois sbires trop curieux, le capitaine pas assez éloigné, et bien sûr les autres résidents recroquevillés.
Ces derniers en priorité, plus précisément. Du coup, entre se prendre un plomb dans le coeur ou de la mamelle foudroyante dans le nez, je crois qu'ils sauront jauger ce qu'il y a de mieux pour leur karma. Et tant pis si certains ne savent pas nager une fois éjectés par-dessus bord, cela va de soi. Mais bon, que voulez-vous ? On ne peut pas tout avoir, comme dirait l'autre.
_ Mais qu'est-ce que t'as foutu, espèce d'idiot !?
Je joue l'innocence d'une part, et je vante les mérites de ma technique d'autre part. Comme quoi, moralité, personne ne se relève jamais après un tel déchaînement de coups dans le bocal.
Sauf que tout mon public a survécu, alors je suis obligé d'ajouter que dans ces cas-là, les victimes finissent toujours avec de graves séquelles, quoi qu'il arrive. C'est juste un sursis avant la fatalité, quoi.
_ Tada ! Comme ça, plus de chialeuses sur le pont, mon Capitaine.
Bon d'accord, je reconnais que je me suis un peu beaucoup mis à l'aise. Mais entre devenir pirate, partir à l'aventure, en quête du One Piece... et dézinguer tous mes ex-camarades d'aviron, non merci. Enfin, je ne me suis pas encore préparé dans cette optique du massacre, on va dire.
Du coup, tout ce que je gagne finalement, c'est de me faire assaillir par toute une ribambelle de flingues et de sabres. Pour l'instant, certes, ils ne font que me viser. Mais tout porte à croire que si le grand manitou de ce rafiot l'ordonne, je suis bon pour ressembler à du pâté de campagne.
_ Euh... désolé, pardon, moi j'ai cru que...
_ Ouais ouais, je vois clair dans ton jeu, mon gros enf*iré ! Tu t'es payé ma tête, picétou ! Alors désormais, tu vas mour...
_ Rejoindre ton équipage, c'est bon quand même ?
Foutage de gueule, quand tu nous tiens, hein ! Mais bon, je n'ai plus beaucoup d'options, il faut bien avouer. Alors peut-être qu'en les attendrissant d'une manière ou d'une autre, ils vont enfin s'apercevoir que j'ai au moins cherché à glisser de la bonne volonté.
_ Et puis même que si on les laisse flotter un peu trop, des poissons vont sûrement les manger tout cru. Et euh... euh... ça vous fera économiser des balles. Alors merci qui ?
_ Pfff, décidément tu ne comprends vraiment rien à rien ! On est des chasseurs, tu t'en rappelles ?
_ Ouaip, j'ai pas oublié. Aaouuuh !! j'le fais bien, hein ? Allez ?
Étonnamment, le capitaine soupire en baissant les yeux, ce qui suffit aussi à faire baisser les armes de ses hommes. Moi qui étais persuadé que c'était des sauvageons, aurais-je réussi à leur faire miroiter des doux rêves à la sauce Disneyland ?
Ou pas.
En fait, le capitaine se dirige ensuite vers le second macchabée. Il le chope par le col pour le ramener à sa hauteur. Et il se met à le croquer à pleines dents, sans rechigner. Ouate de phoque !?
Je fais style d'avoir envie de vomir soudain, puis détourne le regard vers ses collègues en train de se marrer. Je les interroge alors des yeux, mais pas de réponse. Ils préfèrent continuer de s'esclaffer.
Ça n'en finit plus. Le morfale déchire ensuite les vêtements de son repas, et entame un autre morceau du cadavre, au niveau du torse. Je me gratte alors l'occiput, me caresse le menton, me tripote le nombril. Bref, tout y passe... sauf l'oignon, bien sûr. On essaie de rester un brin civilisé, s'il vous plaît ! Mais je n'arrive pas à me faire une raison, tellement ce festin est horrible.
Puis, de grimaces en grimaces, une idée me vient à l'esprit enfin. C'est dur à envisager encore, mais si le gars ne possède pas un fruit du démon, il est tout simplement nécrophage, cannibale ou quelque chose du genre. Charognard, style la hyène, quoi.
D'ailleurs, pourquoi ils se considèrent comme des loups ? À moins que ce soit l'autre terme utilisé en zoologie pour certaines poiscailles, style le bar ou le requin. On va dire ça, ouais. Adjugé !
_ Et il s'arrête jamais ?
En effet, depuis tout à l'heure, le goinfre n'en rate pas une miette. Il est quasiment arrivé à l'entrejambe en moins de cinq minutes. Wouah ! Je prie juste pour que je ne sois pas le prochain. Après tout, il reste toujours l'accompagnateur du début, si je ne m'abuse, conservé dans la glace.
_ Tu vois mieux maintenant pourquoi j'aime tuer ? C'est pour ma réserve perso, haha. J'ai besoin de mon quota de viande, sinon je ne me contrôle plus.
_ Beurk ! Tu devrais te faire soigner, je pense.
_ C'est vrai, je pourrais. Mais tu trouves pas que c'est plus fun comme ça ?
_ J'en sais trop rien. Moi, vois-tu... j'ai sacrément ingurgité par le passé, parce que j'me contrôlais justement pas... et voilà le résultat. J'ai hérité d'une belle mise en pli, façon Sumo.
J'en profite pour lui dédicacer une petite danse tahitienne. Tournicoti, tournicota, vas-y que je me trémousse du bassin en exécutant un langoureux 360 sur moi-même.
_ Alors fais gaffe que ça t'arrive pas. Enfin... même si j'm'en fous, pour ne rien te cacher.
_ Héhé, j'ai su garder la ligne, comme tu peux le remarquer.
Dans le fond, je n'ose pas imaginer ce que ce glouton insinuait véritablement par "ne plus se contrôler". Est-ce que ça signifie juste qu'il s'empiffre de cadavres plus que la normale ? Ou pire, qu'il saute sur tout ce qui bouge, même les vivants, quitte juste à les croquer une fois ou deux à peine et passer au suivant ?
Ainsi, on ne parle plus vraiment de satiété mais de sauvagerie.
Quoi qu'il en soit, lorsqu'il a fini de déchiqueter son met de choix, il se débarrasse de la carcasse comme d'une vieille chaussette. Par-dessus bord. C'est toujours aussi moche à suivre en direct, mais je devine surtout que c'est le meilleur moyen d'attirer d'autres monstres des eaux. Et puisque il y a toujours des naufragés à la flotte pas loin, tous n'ont donc pas su ou pu atteindre notre embarcation de départ.
Conclusion, si ce n'est pas le foutu capitaine vorace qui avale les autres baigneurs, les créatures des abysses s'en chargeront bien assez tôt.
Bon, et après quoi ? Qu'est-ce que je deviens, en fin de compte ? J'ai pratiquement réussi à faire ami-ami avec cette bande de rats. Ça mérite bien une petite liberté conditionnelle, non ? Et puis, ce n'est pas comme si je leur avais ôté toute chance de récupérer le restant des rameurs. Donc, plutôt que de m'encercler comme des assoiffés de vengeance, il ne tient qu'à eux de remonter les personnes dans l'eau encore accessibles. Et ce, même si je les ai pas mal éparpillées.
_ Alors ? Y'a pas moyen que vous me laissez la vie sauve ? On s'est quand même bien amusé, n'est-ce pas ? C'était... fun, comme dirait le chef. Je suis même prêt à vous faire de la pub, dès que je suis de retour sur la rive.
Bah quoi ? Les cartes Vista Print ne se fabriquaient pas trop dans la région, de toute façon. Il faut donc bien parfois penser à lâcher du bouche-à-oreille d'île en île. Et ma foi, ça a l'air de les satisfaire.
Un survivant qui revient du front pour raconter ce qui l'a terrorisé, ça a du bon. Enfin, ça dépend de quel côté on se place, bien sûr. Du coup, c'est décidé ! Ils règlent deux ou trois derniers détails en feuj, et on officialise le deal.
Cependant, j'ai peut-être un peu trop cru en la fin heureuse. Que je revienne à la civilisation, c'est une chose. Mais dans quel état ? Pour la peine, chacun me passe dessus... avec leurs armes, je précise, hein. Ils me tailladent donc tous chacun leur tour comme des sagouins. Même deux d'entre eux m'éraflent quelques bourrelets avec leurs pistolets, les saligauds !
Au moins maintenant, sanguinolent, il est clair que je vais paraître super crédible au sujet de la cruauté de ces méchants pirates. N'empêche, je finis même par trébucher carrément, perdre l'équilibre, et m'affaler au sol comme une masse.
_ Le jour où je vous recroise, je...
C'est tout ce que j'ai pu marmonner, en tout cas. Après, j'ai dû m'embarquer dans un rêve bien profond.
Comme promis, je me suis retrouvé être le seul survivant de cette balade en mer, à mon réveil. Et en prime, sur l'île où il était prévu que je me rende, si ce n'est pas magnifique ! Par contre, une fois rétabli de mes nombreuses blessures, quand il a fallu expliquer à la compagnie de transport que leur location avait probablement sombré au fond depuis, ça n'a pas enchanté le personnel administratif sur place.
Ohé ! Et les morts, vous vous en foutez, au fait ? Les mecs m'ont fait comprendre par voie détournée que les clients, ça se remplace. Mais en revanche, pour un bâteau, faut tout repayer d'abord. Donc, soit ils augmentent le prix de leurs expéditions, soit ils trouvent une autre solution financière-trucmuche dont j'ai zappé le concept. Trop compliqué pour mon cerveau de poule, sans doute.
Bref, j'ai fait mine de compatir à leurs pertes de profit, puis je suis passé à autre chose, vers un nouvel horizon, de nouvelles aventures.