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A Link To The Past

«  Commandant, l’île, l’île est en flammes ! »

Quelques secondes avant que le poète ne fasse irruption, le constat s’est posé : quelque chose sent mauvais sur cette lande de terre.

« Le représentant officiel des autorités en présence, Harvey Quételle, est mort pendant l’exercice de ses fonctions. »

Et il a bondi. Il a franchi les obstacles pour me retrouver. Lui, l’enfant maudit, le paradoxe de l’homme. Celui qui m’a enlevé un apprenti pour me donner un fils. Ses muscles sont noueux, son visage est marqué par les épreuves de la vie. Tu as résisté jusqu’ici Layr, et pour ceci tu as un respect que je ne t’avouerai jamais.

« Te voilà. »


Le corsaire s’en va sans prendre de parti. Futé. Tout ce qui se passe ici, il ne doit pas y être étranger. Mais qu’importe pour le moment. Je calmerai la rage de jeunes insolents plus tard. Devant moi j’ai ce qui me permettra de rester en vie, ce que j’attends depuis un moment, un match retour en face à face.

« Commandant, que faisons-nous ? »

Ils le tiennent en joue. Mais ça ne lui fera rien, il le sait. Est-il plus fort que moi ? La puissance, ce n’est pas imbriquer ses phalanges plus précisément. La puissance, c’est savoir quand respirer et quand se couper du monde.

« Continuez à avancer puis accostez. Nous règlerons ce conflit sur le chemin. Une fois débarqués, la moitié des hommes ira aider les civils et voir ce qu’il se passe. Quant à mon escouade, nous nous occuperons du fugitif s’il est toujours en vie. »

Et il le sera. Il ne me décevra pas. Et je ne manquerai pas la fête. Corsaire ou non, mes mains se serreront autour de sa gorge ce soir.

« Feu ! »
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1614, sur Grand Line


« Harvey.
- Je suis occupé.
- Z est à l’infirmerie.
- Quoi ? »


Harvey court. Il court parce qu’il a peur. Si la cinquantaine commence à se faire sentir, son corps demeure ferme et agile. Alors quand il se meut dans la forêt en direction du navire, les feuilles ne tremblent pas à son passage. En moins d’une minute, le voilà qui foule déjà le pont en direction de la cabine de soins. Pour voir son protégé allongé, un bandage lui enveloppant le bras.

« Que s’est-il passé ?
- Il a voulu grimper le versant ouest et il a chuté. »


Le petit a dans ses yeux le regard du coupable prêt à recevoir une punition exemplaire.

« Adder, laisse nous.
- Le doc est parti, je peux...
- Adder. »


Le second actuel de l’équipage du Death Dog soupire avec agacement et sort de la pièce.

« Z...
- Je voulais prendre un raccourci.
- Efficacité, pas inconscience.
- Mais je...
- Qu’est-ce que tu cherches ? Te briser une jambe ? Finir infirme ? Moi qui pensais que tu voulais entrer dans l’escouade. »


Il voulait bien faire. Il voulait l’impressionner, comme l’enfant incroyablement doué qu’il est. Mais le temps est à la leçon, pas à une compassion qui n’apporterait pas grand chose.

« Tu resteras ici une semaine.
- Non ! Je ferai attention...
- Négociation inutile. On écoute et on applique. Tu n’apprendras donc jamais ! »


Z se tait. Il accepte. Un silence d’or s’installe. Au mur, une dent de requin placardée rappelle le plus grand exploit qu’Harvey ait pu accomplir. Celui-ci s’assied, regarde le vide quelques instants. une mouette passe devant le hublot, à la recherche d’une proie aquatique. Le petit garçon de huit ans s’est tourné vers le mur pour pleurer, fier comme un homme se doit de l’être pour lui.
Harvey hésite. À sortir et à le laisser épuiser sa peine tout seul. Lui n’a jamais été cajolé, son père l’avait vite envoyé se former. Avant de mourir. Le réconfort d’un enfant, il ne sait pas trop comment ça marche.
Alors il se lève, arrive à l’encadrure de la porte. Derrière lui, son fils appelle inconsciemment à l’aide.

« Dale. »

Il ne l’appelle jamais par son prénom.

« Dale, je fais ça pour ta sécurité. »

Les sanglots étouffés s’arrêtent. Sur le pont, deux matelots se racontent apparemment une bonne blague.

« Ton heure viendra.
- Je dois toujours rester ici tout seul. J’en ai assez de devoir prier en espérant que vous rentriez tous en vie chaque fois que vous partez en mission.
- Ce serait dangereux de t’emmener. Bientôt...
- J’en ai marre d’être seul. Tout seul. »


Silence. Les partenaires de vie se regardent sans ciller.

« Harvey.
- Oui ?
- Tu as connu ma maman ? »


Le cœur d’Harvey se pince. À l’extérieur, la mouette rentre chez elle, bredouille.
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Il a encore bondi. Sur un autre navire. Le voilà qui se balade presque sur cinq représentants de la justice absolue de ce monde.

Les balles l’ont troué, sans lui faire de mal. Son pouvoir le protège et l’immunise contre la douleur. Mais il y a autre chose. Sa mobilité, sa force. Il est passé dans une toute autre catégorie. Dans son regard, une détermination que je recherche chez tous mes hommes. Et les mêmes yeux, les mêmes yeux que Dale. Salopard de père, je peux sentir que pour lui ce combat maritime n’est pas du tout déséquilibré. Et il a à moitié raison. Le corsaire qui devait nous aider a trouvé une parade pour s’enfuir sans avoir à faire de choix. Peut-on parler d’abandon de camarade ou juste de faveur pour un règlement de compte ? J’aurai quelques questions à poser à ce sujet.

Mais plus tard. Là, mon corps fatigué s’élance et montre à tous que je ne suis pas fini. Pas encore. Je change de bâtiment pour le suivre, une gigantesque traque alors que nous nous rapprochons du rivage.

« Encerclez-le ! Il est fait comme un rat. »

Mes poumons crachotent mais mes muscles se bandent. Sous mes yeux, Layr repousse les vagues les unes après les autres, restant constamment en mouvement. Un officier, une jeunette visiblement à l’aise, parvient à l’atteindre. Elle possède le haki ? Il parvient à parer et la repousse violemment. Ils ne font que nous retarder, ils ne font que te fatiguer. C’est à moi de finir le travail.

«  Escouade Lupus. Trioménie ! »

Mes hommes se déplacent par groupes de trois, triangles encerclant parfaitement la proie. Et frappent, les uns après les autres. Échouent. Une centaine de matelots a dû tomber par dessus bord depuis le début de l’opération alors que lui n’a rien sinon qu’un essoufflement relatif.
Le voilà qui revient sur mon navire. Et qui s’approche de moi. Oui, viens ! Nous fonçons sur le grand pont et dans un énorme fracas nos poings se rencontrent. C’est la première fois. C’est la première fois que je peux enfin le toucher, lui le dernier rempart avant la libération de notre fils. Mon fils. L’air semble se craqueler alors que nous sommes repoussés tous les deux.

Une certaine forme de compassion m’apparaît soudain. Lui, le vagabond, lui qui a perdu sa femme si jeune et qui doit encore lutter aujourd’hui seul contre tous. Voilà une forme de courage. Mais c’est un criminel, un tueur, un pirate qui a vendu son âme à la boisson et à la déchéance. La sentence ne peut être différente, mes actes sont tout à fait justifiés.

Le loup bondit encore, plus haut, plus fort, et sort ses armes. Me viser à distance ? Non, il pointe ses pistolets sur un autre navire...et déclenche une salve explosive sur le pont voisin. Le mât chancèle, le pont prend feu. Autour de nous, un chaos indescriptible fait de rugissements et d’encouragements couvre les battements de nos cœurs. Il revient sur le pont, et pendant quelques instants l’intégralité des protagonistes se fige à nouveau.

« Marisa. »


Il a murmuré mais tout le monde a entendu. Il a soupiré et tout le monde a senti son souffle. Une voix rauque et profonde, comme un appel vers sa walkyrie, celle qui lui donne la force de continuer à tenir debout.

FFFFFFFRRRRRRRSHHHHHH

Il n’y a plus que quatre navires de guerre fonctionnels.
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1617, sur une île des Blues



Le quartier sent mauvais. Empeste la sueur, le sang, les larmes. Ce n’est pas ici que viennent jouer les enfants de bonne famille après l’école. Le projet de reconstruction des bâtiments détruits par une attaque pirate quelques années plus tôt a échoué. L’architecte était ambitieux et philanthrope mais s’est heurté à la collaboration infructueuse des locaux. Des ruines et quelques troquets obscurs, voilà ce qu’il reste de cette partie de la ville.

Une silhouette encapuchonnée arpente les ruelles faiblement éclairées. À cette heure-ci, les notables doivent finir leur repas de l’autre côté du fleuve. L’homme ne craint pas la rue, il la connait bien. Des coins comme ceux-ci il en a vu des dizaines. Bien assez pour ne plus avoir le cœur pincé par la misère.

Voilà le bar. Là où il peut apparemment trouver celui qu’il recherche. En abaissant sa capuche, Harvey pénètre dans le lieu.
Il fait chaud. La chaleur des rixes et des soiffards insatiables l’assaille. Ici se sont jouées des parties inconnues du grand public, ici se sont rassemblés les anges déchus d’une génération oubliée. Un billard délabré est réquisitionné tant bien que mal par quatre hommes. Ce sont sans doute des criminels, qui mériteraient des peines exemplaires. Mais il n’est pas là pour ça.

Le voilà qui s’installe au comptoir, commande une pinte. Il n’est pas en service.

« Dis, je cherche un collègue de travail. »

Le barman harangué de la sorte, une montagne au nez écrasé par les combats de rue, s’arrête quelques instants pour répondre à l’étranger qui ne se montre pas très courtois.

« On cherche tous quelqu’un mon gars. »


Bière servie, torchon sale remis sur l’épaule, l’hôte de ces bois prend congé. avant qu’un billet supplémentaire n’apparaisse devant lui. Tout s’achète là où personne ne possède rien.

« Un collègue chasseur de primes. Jay Die. »

Voilà comment il se fait appeler aujourd’hui. Mais si cacher ses ascendances nobles aux péquins sans substance peut paraître aisé, on n’échappe pas comme ça au Death Dog.

« Qu’est-ce que tu lui veux à Jay ? Il t’a piqué une prime ? Je te conseille de pas trop l’emmerder. L’est pas commode le garçon.
- Je dois reprendre mon billet ou tu me dis où il est ?
- Calmos, calmos. C’est pas bien difficile, enfonce toi juste un peu plus dans notre bel établissement. Il s’échauffe ce soir. »


Il est ici. Harvey est content. Il va pouvoir voir à quoi ressemble cette vie qu’il a dû prendre pour la donner à Dale. Il va pouvoir répondre à une simple question qui le tracasse depuis un moment : a-t-il fait le meilleur choix pour son fils ?

Un tabouret branlant. Deux, trois, six verres. Il le reconnait sans l’avoir jamais vu. La barbe hirsute, la moustache broussailleuse, la tête de côté dans un rictus trop irréel pour être comique. Harvey le regarde. Il essaie de ne voir qu’un ivrogne consumé par ses excès, un homme qui aurait de toute façon basculé vers l’ombre.

« Tu veux quoi ? »


Les regards se croisent. Des yeux gris, comme ceux de Dale, plus perçants que des lames affûtées. Et à l’intérieur, un vide insondable, une tristesse sans fin. Tuer un homme, c’est facile parce qu’il ne vous parlera plus jamais. Briser un homme, c’est plus délicat, le souffle de son désarroi peut encore vous refroidir la nuque.

« Je suis désolé. »

Silence à travers le tumulte. Harvey se retourne. Il en a vu bien assez.

« Mais je ne le rendrai pas. »

L’officier, qui pourrait raser cet endroit sans s’essouffler, marche la tête basse. Il faudra être encore plus fort. Pour Dale. Pour supporter les péchés.

« On n’rend jamais ce qu’on a pris mon gars. Même si c’est pas à nous. »

Entre deux hoquets et avant une longue nuit, les dernières paroles adressées aux ténèbres. Le corps d’Harvey se raidit. Il faudra être encore plus fort.
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