Nouvelle journée, nouvelle mission. J’débarque sur Inari au p’tit matin. Le froid m’pince un peu, donc j’engonce mes pognes dans les poches de mon pardessus après m’être allumé une clope. En levant la tête, j’vois le caillou volant, le Boru Bodur, comme il s’appelle. Une sacrée vision, quand même, dommage que l’île vale que pour ça.
Ouais, un repaire de religieux. Au moins, ils se sont tous foutus au même endroit, et ça c’est pratique. C’est même ce qui m’amène. Dans c’coin à touristes et croyants sectaires, y’a un genre de nouvelle religion qu’est apparue. Une secte. Un groupe de fanas.
Y’a des rumeurs un peu bizarres qui trainent sur eux. Des sacrifices humains. Ou pas, ptet que des moutons, des bœufs. Des trucs un peu sanglants, en tout cas, tous les bruits qui courent parlent de ça. Si c’étaient que des on-dit, sûr que j’serais pas là, j’me doute. Soit quelqu’un qu’a des amis haut-placés se sent le cul qui chauffe, soit ces haut-placés voient pas d’un bon œil l’essor d’une religion pareille.
Ouais, y’a un putain d’essor, apparemment. C’est la même religion, mais elle a pas l’air si sanglante à la lumière du jour. J’me suis pas encore trop intéressé au concept, toujours des histoires de salut, de paix, de bonheur, et des prophéties en veux-tu en voilà. Tant que les gens restent sages dans leurs chaumières et respectent la loi, ils peuvent bien croire ce qu’ils veulent.
J’écrase mon mégot de cigarette par terrre avant d’en sortir une autre. Un type avec l’allure parfaite du grouillot s’approche de moi. Petit, s’frottant les mains dans l’froid matinal, habillé n’importe comment avec des fringues repiécées tellement de fois qu’on distingue même plus la couleur initiale. Quant à moi, j’dois ressembler à la proie parfaite : le type un peu négligé qui débarque à l’aube sur Inari à la recherche du Salut et de l’Absolution Divine, pour donner un sens à ma vie.
« - Bonjour, bonjour, m’sieur, vous voulez une réplique 100% argent du Boru Bodur ? Pas chère, pas chère, une bonne affaire !
- Non, merci, pas intéressé.
- Mais si, mais si, regardez ! Une affaire en or, si j’puis dire, même si c’est d’l’argent, héhéhé…
- Vraiment pas. Dites, j’cherchais le…
- Aaaaah, la mémoire du vieux Charlie n’est plus ce qu’elle était ! Mais un petit geste l’aiderait sûrement à… »
Putain. J’ai envie de le bousculer pour tailler la route et demander où trouver ce culte à quelqu’un qui me fera pas raquer, et qui schlingue pas, idéalement. Ouais, le vent a tourné depuis le début de la conversation, et le mélange de la sueur rance et de la mauvaise bière, c’est à gerber. Pourtant, j’suis à jeun.
Bref, j’allais l’envoyer valdinguer, mais l’problème sur ce genre d’île, c’est qu’on sait jamais sur qui on tombe. Qui regarde les nouveaux arrivants. M’étonnerait pas que quelques guetteurs des cultes zonent dans l’port toute la journée histoire de foutre le grappin sur les gens qui débarquent, histoire de les convertir pronto. Du coup, si, manque de bol, un bonhomme du Culte de Raos, comme il s’appelle, m’regarde, j’voudrais pas qu’il m’renvoit dans les dents que j’suis légèrement irritable quand j’vais m’pointer au temple.
« - Tant pis pour l’vieux Charlie, alors. Tiens, regarde là-bas, d’autres touristes, va tenter ta chance, mon gars.
- Vais pas pouvoir. L’quai numéro 6, c’est celui du Petit Jean, et l’seul truc petit, chez lui, c’est sa patience. Depuis qu’il est pote avec les prêtres de Raos, personne il s’approche de son morceau de quai. Déjà qu’il était pas bien sympa avant…
- Bah voilà, tu vois, quand tu veux, tu renseignes les gens. Ciao Charlie.
- Rev’nez ! Z’avez pas encore vu mes répliques hyper réalistes d’Hubert ! Made in Inari ! 100% coton ! »
Laissant là le type qui refoule, j’me dirige droit vers Jean, dit le Petit, un marmule qui doit bien taper dans les deux mètres fastoche. A voir sa gueule, le genre qui manque singulièrement d’humour, aussi. Les yeux rapprochés, la machoire prognathe et les coins des lèvres s’affaissant dessinent un visage tout à fait antipathique. Bien ma veine.
« - Bonjour, monsieur. Jean, n’est-ce pas ? »
Dès qu’il se tourne vers moi, brusquement, son regard s’illumine et un grand sourire aux dents gâtées m’accueillent. Tu parles d’un changement, j’ai fait un demi-pas en arrière, prêt à m’enfuir.
« - C’est moi-même ! Vous venez d’arriver ? Vous avez fait bon voyage ? Je peux vous aider ? »
Elocution parfaite, aimable, souriant. Au moins, il devrait m’donner un coup d’main.
« - Très bon voyage, merci. J’viens d’arriver, j’ai débarqué y’a même pas quinze minutes. Vous voulez une cigarette ?
- Non, merci, je ne fume pas. Je chiquais, avant, mais depuis que j’ai trouvé ma Voie, ma vie a pris un tour pour le meilleur.
- Oui, justement, c’est cette voie que je cherchais.
- La Voie. »
Oui, on sentait bien la majuscule quand il le disait.
« - La… Voie, donc, que j’reprends. Le Culte de Raos, pas vrai ? J’en ai entendu parler et…
- Oh, bien sûr. Vous voulez que je vous indique le chemin ?
- ‘Xactement !
- Vous voulez d’abord une auberge pour poser vos affaires ?
- Idéalement, oui.
- Nous arriverons juste à temps pour le sermon du matin, en plus. Suivez-moi ! »
Ouais, j’avais une p’tite valise avec le nécessaire. De quoi changer de fringues, quelques couteaux en plus, des machins utiles, quoi.
On part pour s’enfoncer dans Inari, histoire de m’trouver un coin où m’pieuter et grailler. Ca discute budget, situation, ça blablate, quoi. J’improvise une histoire bidon. Licenciement. Quête de vérité, prendre un nouveau départ. Ca fait mouche. Crédule, le Jean, mais ça m’étonne moyennement d’un type qui était docker du genre violent et qui finalement est devenu doux comme un agneau après un sermon.
Comme j’suis censé être un peu fauché, il m’dégotte un truc bas d’gamme. Pas que ça m’dérange, j’comptais pas y passer ma vie. J’largue mon sac et on bouge fissa vers le lieu du sermon. Apparemment, y’en a plusieurs par jour, tous dans des endroits différents.
Il commence à m’causer de sa religion. J’suis plutôt intéressé par les gens, moi. Style les penseurs du mouvement, les têtes de l’organisation. Les types les plus susceptibles d’être impliqués dans les machins douteux, quoi. Mais pas moyen de lui tirer les vers du pif, il fait une fixette sur les préceptes.
On arrive à une place sur laquelle les gens commencent à se masser. Un vioque monte sur une estrade, mais le genre vioque en forme, le dos droit, fière allure, mal sapé mais la classe. Tout le monde discutait, mais là, ça se calme. L’homélie va commencer. J’écoute vaguement le blabla religieux en grillant une clope. Ma voisine, une virago qui doit peser son quintal, me regarde de traviole.. J’tends l’oreille juste assez pour savoir de quoi ça parle.
Et j’réfléchis à ce que je vais faire. Identifier les patrons, les filer, voir ce que ça donne. Simple et efficace, si j’me fais pas gauler. Pas l’temps d’monter tous les échelons internes, si tant est que ça soit possible, de toute façon.
Dernière édition par Alric Rinwald le Ven 05 Déc 2014, 22:45, édité 3 fois