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Souvenirs mouillés

* Je repose ma nuque sur le rebord en céramique de la baignoire. Le bout de mes pieds atteint tout juste l’autre extrémité. Je veille à garder mes oreilles sous l’eau…les bruits ne m’atteignent pas, comme ça. Je ne sais pas si j’ai vraiment le droit de me rendre dans la salle de bain des officiers, mais ce lieu est particulier. Aucun bruit, aucune odeur, les murs sont blancs. On peut facilement oublier son existence ici.

La dernière fois je suis restée immergée sans même me rendre compte que l’eau était devenue glaciale. Tant pis. Le confort de l’esprit avant celui du corps.
Mon père adoptif disait qu’à force de m’endormir en prenant des bains je finirais par mourir noyée. Pourquoi c’est toujours ce genre de remarques qu’on garde en tête ? Si j’étais resté avec lui, je serais surement devenue un monstre.  Je pense encore trop. Se souvenir, c’est plus simple.
*

Elle se contenta alors de fermer les yeux, de rejeter la tète en arrière puis de s’immerger complètement.

- J’ai 2 ans -

C’est flou. Les visages ne sont pas nets. Je dois sûrement remplacer les souvenirs qui me manquent par des inventions. Certains passages défilent en noir et blanc. Je n’entends plus les voix des gens du passé, leurs répliques sortent comme des bulles de personnages de bandes-dessinés. La plupart des gens n’ont aucun souvenir de cette époque de leur vie.
Mon père adoptif me traine dans une sorte de balle de tissus, sur son dos. Je viens avec lui jusque sur les chantiers navals. Son chapeau de paille à large bord fait assez d’ombre pour me protéger du soleil. Une mouche me cours sur le visage. Pas de pleurs. Je ne pleurs jamais. Ses collègues se moquent de lui, je crois.

… Hé, Charles, cette foutue petite me moufte pas et ne fait pas un bruit, elle doit sûrement être malade…
…Hoy, Charlot, tu aurais pus dire à ta sœur de chercher quelqu’un d’autre pour garder ta nièce stupide…
…Hey, Charles, tout le monde dit que tu veux en faire ton apprentie plus tard…vous vous êtes bien trouvé tous les deux…


Le grand avec une moustache lui parle.

…Charles, tu ne peux plus continuer à emmener ta nièce ici. Ce n’est pas possible. Avec elle pour te distraire tu ne fournis plus un aussi bon travail. J’ai bien voulut te donner du travail en souvenir de notre amitié, mais dit toi bien que je suis le seul à passer outre ton mauvais caractère. Personne en ville ne veut plus t’embaucher. Tu va devoir faire un choix.

Nous retournons à la maison. Sur le pont, il s’arrête, me tire de sur son dos et me tiens dans ses bras. Il les tend, ses bras, et je suis au dessus de l’eau. Est-ce qu’il veut me lâcher ? Il hurle quelque chose, me sert fort. Je ne bouge pas. Nous finissons par rentrer.

- J’ai 4 ans-

Nous passons tout notre temps ensemble. Il ne part plus travailler. Tout son temps il le passe dans son atelier. Il dit que cet outil le rendra riche…le clapet modulateur pour voile. Nous avons faim. Nous avons froid. Mais je m’en moque. Je reste assises à côté de lui, quand il travail. C’est la seule chose qui lui fait plaisir. A deux, nous pourrions achever cette invention révolutionnaire plus vite. C’est ce qu’il pense. Richesse, Gloire. Je le laisse dire. Avoir quelqu’un à proximité me fait sentir plus vivante.
Tous les outils défilent devant mes yeux. Il me dit leurs noms, leur utilité. Se contenter de hocher la tête est une bonne parade. A de rares occasions je laisse échapper quelques mots. Mais cela ne sert strictement à rien. Nous sommes l’un pour l’autre des ombres. Pour lui seul son invention compte, et pour moi…je ne sais pas.
Mais j’observe. Je réfléchit. Je sais que nous ne sommes pas une famille normale. Il ne m’aime pas, je n’ai pas de mère et il fait croire que je suis sa nièce.

- J’ai 8 ans -

Fred Gibbons et Louis Domino m’invitent souvent à jouer avec eux. Mon père soutient que c’est pour voir ma culotte. Si je me contente de hocher la tête en prenant un air sérieux pendant ses sermons il me laisse faire tout et n’importe quoi. Depuis aussi longtemps que mes souvenirs reviennent il reste dans son atelier, à travailler sur une chose qui lui rendra sa gloire d’antan. Pour moi cela ressemble juste à un bout de bois percé de leviers et de pivots.

Nous jouons. Gibbons tire sur un oiseau avec sa fronde et lui et Domino rient. Je fais pareils jusqu’à qu’ils se mettent à pleurer tous les deux. Ce n’est plus du jeu, l’oiseau est mourant. Impossible de comprendre pourquoi ils ont tous les deux peur. Il me suffit de ramasser une pierre, puis de l’abattre sur l’oiseau. C’est bien plus drôle qu’avec la fronde.
Pour ne pas paraître folle, suffit de dire que c’était pour abréger ses souffrances. Papa insiste beaucoup sur le fait que je ne dois pas paraître folle.  Après ça,  ils me montrent du respect. C’est une bonne chose.

Nous croisons Mia, sur le chemin de notre cabane. Mia adore se moquer de moi et de mon père. Pour moi, Mia est une sorte de gros oiseau. Je n’étais jamais arrivé à la faire avant, mais quand je prends une grosse pierre et que je la lui lance sur la cheville, c’est beaucoup mieux. Elle pleure, mais ne rigole plus. Faire peur, c’est une bonne méthode pour se faire respecter. Mais le plus simple c’est encore de mentir. Avec la peur ont court toujours le risque de se faire prendre par un adulte par la suite. Pas avec le mensonge.

Il fait chaud cet été. La glace coute cher. Tout coute cher pour nous, mais la glace c’est encore pire. Heureusement il me suffit de promettre à Gibbons de l’embrasser sur la joue pour qu’il vole chez lui des esquimaux et me les rapporte en cachette.

- J’ai 10 ans-

Je me souviens beaucoup plus des étés, sans trop vraiment savoir pourquoi. La chaleur fixe les souvenirs dans la mémoire. La chaleur. Le feu. Le soleil. L’incendie.

Il y avait eu cette année un incendie sur le grand chantier naval ou travailler Papa. Son contremaitre est mort. Papa à beaucoup rit, puis beaucoup pleurer. Nous avons tous les deux répandus partout de la poix sur le site du chantier, puis il nous à suffit de lâcher une allumette.
Mon père dit souvent que si un homme veut se venger proprement et honnêtement, il doit se faire justice lui-même, sinon les Tribunaux vous fourrent…je ne comprends pas tous, mais il le dit souvent. Puis à force de le dire, il l’a fait.
Je suis d’après lui une excellente complice volontaire, mais bien plus coupable que lui aux yeux de la loi.
Il dit que le contremaitre lui à voler ses plans, et que grâce à sa main d’œuvre il aurait finit par mettre au point son le clapet modulateur pour voile. Papa ne pouvait pas le permettre.

Les bulles de savon sont grosses cette année. Louis Domino voudrait me faire croire que ce sont elles qui recueillent les âmes des gens morts dans l’incendie. Je ne crois pas que nous avons des âmes. Les objets n’ont en pas, non ? C’est soi-disant grâce à elle que l’on reste bon, en réfléchissant sur ses mauvaises actions, à cause des REMORDS. Mais si quelqu’un ne ressent pas de REMORDS ?

Je ne comprends pas le principe du BONHEUR. Moi je suis calme, sereine, et c’est tout. Je suis bien comme ça. Mais depuis quelque temps Papa insiste pour que je prenne sa place dans son atelier. Ses mains tremblent tout le temps…il ne peut plus bricoler comme avant. C’est selon lui une maladie, mais c’est le liquide ambré dans les bouteilles de verre qui fait ça. Depuis deux mois il ne parvient plus à avancer sur son projet.

- J’ai 15 ans -

Je hais les disputes. Elles éveillent de mauvaises choses en moi. Quand quelqu’un hurle ou s’en prends à moi, il trouble mon calme. Mon calme est tout ce que je possède. Je ne laisserais personne marcher dessus impunément. Nous nous disputons beaucoup ces temps ci. Il sait ou me trouver, même quand je ne suis pas à la maison. Ce jour là il à sut me retrouver. Je me suis bâtis une maison intérieure. Celle de mon père me dégoutte.  Je suis allé me promener sur les bords de la rivière, dans la mangrove 63.  A cause de la couleur des bulles. Personne ne peut oublier la couleur de ces bulles.
Ce soulard gâche le paysage et la quiétude. Autour de lui les bulles de savons explosent toute seule. Normalement ça arrive uniquement quand les foules de touristes font trop de bruits. Je hais les touristes. Ce sont des voleurs. Ils croient pouvoir voler la beauté de notre ile pendant leur séjour éclair. Mais pour posséder la beauté il faut la comprendre.

Je hais les disputes. J’aimerais le faire taire, sans savoir comment.

Il me demande quand je vais enfin faire quelque chose de ma vie. Que pour survivre, il faut travailler…et que les seuls à passer leur vie sans un outil en main sont les pirates et les putains. Il arrive à me faire peur en me parlant de la vie des prostitués et des brigands. Il voit qu’il n’arrive pas à me blesser avec des mensonges, alors il me crache toute la vérité. Ma mère.mon histoire, et mon nom.

Et…

- J’ai 26 ans -

…et j’ouvre les yeux sous l’eau, et je confonds un instant les bulles du bain moussant avec celle des mangroves de Sabaody. Quand ce genre de mauvais trip arrive, je ferme les yeux très forts et les choses retrouvent leur cours. Même sous l’eau je perçois les coups que frappe  Fred Gibbons contre la porte…
J’avais oublié. Complètement oubliée que je lui avais demandé de faire le guet.

Je déteste cette idée mais je sors de l’eau. Je reviens en un instant à la vie…

- Oui, Gibbons ?
- Gibbons, il en a marre ! Je flippe sérieusement. J’entends des bruits de pas qui viennent de je ne sais pas ou…et j’aime pas ça. Je devais le garde une trentaine de minutes, pas le kamikaze depuis une heure en risquant de me faire chopper par Fattynuts !
- Depuis combien de temps je suis là dedans, Fred ?
- Environ deux heures…Me faire faire le plantin devant la salle de bains d’une poupée sans que je puisse y jeter un coup d’œil, c’est pas fair-play… Il devrait y avoir une loi contre ça.
- Va te plaire au Sergent, c’est lui qui fait les lois ici…
- Les bains on un effet comique sur toi…maintenant bouge toi les miches et sort.
- Oui, mais je préfère encore être prise et punie pour incursion dans une salle de bain interdite que pour avoir aux yeux du Sergent jouer au docteur avec une recrue. Je vais sortir par l’autre porte. C’est plus long et je vais devoir traverser le mess, mais ça vaut mieux.
- Reçus cinq sur cinq…je me casse maintenant.

Le clapotis de l’eau quand elle sortie du bain l’empêcha du coup d’entendre les pas furtifs de Gibbons qui s’éloignait.