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Pareil, mais Empire



[Suite directe de La Nuit. Bonne lecture !]

-

Boréa, Lavallière, zone militarisée de la Marine.

3h11

Une ombre est postée devant une prison. Devant l’entrée, deux soldats à moitié endormis. A l’intérieur, les veilleurs de nuit qui luttent certainement contre le sommeil. Et au fond, Nayami, enfermée dans une cellule. L’ombre ne sait pas combien d’hommes il y a, ni vers où se diriger. Qu’importe, ce sera de l’improvisation. Shintaro a été formé pour cela, alors Alrahyr sait comment faire. Ou du moins, il a confiance en ses capacités.

Blesser ? Oui. Tuer ? Mieux. Un soldat mort fait moins de bruit. Et le but, actuellement, est de libérer Nayami, quel qu’en soit le coût. De toutes manières, si le jeune homme est arrêté, il sait parfaitement ce qu’il subira, même s’il ne tue personne. Après tout, il est celui qui a organisé cette rébellion d’il y a quelques mois. Il est recherché, pendant que ses anciens compagnons se font dévorer par les vers. A sa connaissance, seule son amie est encore vivante.

Nayami. Celle qui a embrassé sa cause avec tant de convictions. Qui l’a soutenu pendant tout ce temps. Et qui s’est sacrifiée pour lui, sur la plage de Boréa, en affrontant Earl Grey. Souvenir tragique.

Mais désormais, Alrahyr est là. Il se tient prêt à entrer dans la prison.

- EH VOUS !

Hein ? Merde ! Une main sur son épaule. Le jeune homme fait volte-face. C’est un soldat, il se tient maintenant devant Alrahyr, main droite posée sur l’épaule de l’ombre, bras tendu. Il n’y a plus de place pour penser, il faut agir. L’équation est simple : un soldat face à lui, deux à côté de l’entrée de la prison, sa présence repérée, des gardes dans le bâtiment, et Nayami au fond.

- Qu’est-ce que vous faites ?

Un seul résultat possible.

- J’fonce.
- Mmh ?
- Dans l’tas, ma poule !

D’une main droite agile, Alrahyr saisi la prise du soldat sur son épaule par le dessus, en calant son pouce entre l’index et le pouce de son adversaire. D’une rapide pression et en effectuant une rotation dans le sens horaire, il se défait de cette gêne. Puis, sans lâcher la main du soldat, il continue sa rotation, mettant à mal l’épaule du Marine. Et avant que celui-ci n’ai même eu le temps de crier, l’ombre sort un couteau de sa main gauche et le fait taire à jamais.

Un.

Les gardes ont entendu un bruit, un cri. Un « EH VOUS » qui a percé le silence nocturne. Mais la suite a été silencieuse, de sorte qu’ils ne déclenchent aucune alerte. Non, ils ne déclenchent rien, mais l’un d’eux avance vers la ruelle sombre où l’ombre l’attend, prête. Et, alors que le soldat disparaît aux yeux de son collègue, Alrahyr fonce et semble le traverser de part en part, passant presque à travers. Du moins, c’est ce que perçoit l’autre garde, la nuit et la peur lui jouant des tours. Il est comme pétrifié pendant un instant, un instant beaucoup trop long pour lui assurer un destin moins tragique que son défunt camarade. Le sabre long de l’ombre, désormais ensanglanté, met une fin définitive à la peur du soldat.

Deux. Trois.

Combien de vies Nayami coûtera-t-elle ?

Alrahyr hésite le temps d’un soupir, se remémorant toutes ces autres vies prises par la Marine aux membres du Teiko. Son amie ne doit plus souffrir au fin fond d’une prison, elle doit être libérée. C’est pour cela qu’il est revenu, plus fort.

Autant qu’il en faudra.


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Toujours pas d’alerte donnée, c’est plutôt bon signe. L’ombre pénètre dans l’enceinte. Les couloirs sont déserts, les lumières des nombreuses torches dansent sur les murs pour le seul plaisir de la nuit. Mais quelque chose sous une torche attire son attention. Il s’en approche, toujours aux aguets.

Pareil, mais Empire Prison10


Quel bordel... Plus qu'à trouver où est Nayami !
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[J’ai tiré au hasard la position de Nayami. Elle se trouve… Haha, vous saurez à la fin !]

Le jeune homme prend le temps d’étudier le plan. Quelques minutes au plus, mais suffisantes pour comprendre l’architecture globale du lieu. Il s’agit de faire très vite, en prenant garde à se faire repérer le moins possible. Sabre long en main droite, lame courte dans l’autre, il se faufile dans le premier couloir, jetant un œil à travers la porte de l’administration. Personne. Normal, à cette heure… Déjà qu’ils ne travaillent pas dans la journée !

Quelques pas de plus, il arrive dans le hall d’attente. Les postes 0 et 1 sont en vue, de la lumière en sort. La garde de nuit y est. Alrahyr se colle à l’angle de la salle des visites, le temps de se remémorer rapidement le plan. Le cheminement normal le forcerait à passer juste à côté des deux postes, et de se heurter à deux grilles. Il tente alors autre chose.

Rapidement, il entre dans la partie « civils » de la salle des visites. Heureusement, la porte n’est pas verrouillée. C’est une assez grande pièce, dont l’un des murs est constitué de sortes de parloirs. Normalement surveillée, la nuit aucun garde ne vient la vérifier. Ah, les erreurs de conception… Elles viennent même hanter les prisons !

Alrahyr longe successivement les murs qui séparent les deux côtés de la salle des visites. La porte qu’il peut voir de l’autre côté des parloirs donne juste à l’entrée de la zone des blocs, il l’a vu sur le plan. Il tapote les pans de bois.

Tac

Tac

Tac

TOC


Celui-ci n’est qu’une cloison, plus fine que les autres. Une mince planche de bois.

Alrahyr s’écarte, arme son sabre, et donne trois coups en triangle. La finesse de son œuvre de forgeron permet aux coupes de ne faire presque aucun bruit, tout en ayant fendu net le bois. Il insère doucement son couteau dans la rainure formée pour tirer le panneau triangulaire vers lui, puis empêche sa chute, pour le poser sur le côté.

Le voilà à l’autre porte de la salle des visites, après s’être faufilé à travers l’ouverture. Si ses souvenirs sont bons, la zone des blocs est juste derrière.

Tap tap tap tap…

Le jeune homme se fige.

Critch. Clac.

CLANG

Tap tap tap

CLANG

Critch. Clac.

Tap tap tap tap…


Deux gardes viennent de passer la grande grille de la zone des blocs. Ils sont sortis de la zone et se dirigent certainement vers le poste 1. Alrahyr entrouvre lentement la porte, lui permettant de voir les soldats disparaître à l’angle du mur. Maintenant, il peut sortir de la salle des visites.

Et voilà la grande grille. Merde ! Quel con, la clé…

Ni une, ni deux, il se précipite dans le couloir emprunté il y a un instant par les patrouilleurs. Ses pas sont de velours, il fend l’air à la poursuite de son laisser-passer. Son couteau s’envole vers la gorge d’un garde, lui ôtant la possibilité de crier à l’aide. Et avant que son collègue ne puisse réagir, le sabre long lui déchire le cœur. Dans un hoquet glauque du second, les deux corps mourant s’effondrent, rattrapés in-extremis par l’ombre guerrière.

Quatre. Cinq.

Alrahyr s’empare alors du précieux trousseau, avant de laisser étendus là les deux masses inertes, disposées au milieu du couloir. Qu’importe si on les trouve, la suite doit se dérouler rapidement de toute manière.

La grande grille se dresse devant lui.
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Mince… C’est qu’il y a beaucoup de clés sur ce trousseau… Le jeune homme en essaye plusieurs, les unes après les autres, avant d’enfin tomber sur la bonne.

Critch. Clac. La serrure est déverrouillée.

CLANG. Il pousse la porte, puis avance de quelques pas, sans bruit.

CLANG. Il ne peut pas empêcher le métal de faire ce maudit son.

Critch. Clac. Et cette serrure, toujours bruyante…

Le voici enfin dans la zone des blocs. Il ne sait pas où est Naya, il s’agit donc de parcourir la totalité des cellules. Et ça, c’est pas cool.

Commençons tout d’abord par le bloc A, à sa gauche. Encore une fois, le jeune homme perd un temps fou à trouver la clé adaptée à la serrure…

Clac.

Enfin ! Il lève les yeux au ciel, énervé par la situation et par le fait de mettre autant de temps à simplement avancer. D’autant plus qu’il y a une multitude de grilles tout le long du chemin, à en croire le plan d’évacuation.

- Eh mais…

En levant les yeux au plafond, Alrahyr remarque un petit écriteau juxtaposé à la grille. Saisi d’un doute, il jette un œil à la clé qui vient de fonctionner… et aperçoit le même marquage que sur l’écriteau.

Ah bah oui, fallait pas être magicien pour deviner qu’il y avait un moyen de relier une clé à sa grille hein… Et pourtant, il n’en avait pas été capable. Raaaaaaah !

Alors qu’il effectue rapidement le tour du bloc A, une voix s’éveille d’une cellule, chuchotant :

- Eh, vous !
- Mmm ?
- Pouvez pas me faire sortir ?
- Je suis venu chercher quelqu’un en particulier.
- Aaaah, mais si vous m’ouvrez pas, je gueule et vous êtes foutu !

… Saletés de prisonniers. S’ils commencent à se mettre en travers de la libération de Nayami, ils auront le même sort que les gars de la Marine.

- Approche de la porte de ta cellule.
- Hein ?
- Viens, je te dis !

Rapide coup de sabre à travers la petite ouverture, le prisonnier s’effondre.

Six.

- Eh mec, si tu nous libères pas, on gueule tous !
- Tu veux aussi que je te tue ?
- Les autres gueuleront ! Pas vrai ?
- Ouais, bouge-toi et libère-nous !

Saletés de prisonniers. Alrahyr ne peut pas tous les tuer quand même, et encore moins les empêcher de crier. Il se résout donc à ouvrir leurs cellules, totalement contraint.

Clac. Clac. Clac. Clac.

Quatre cellules ouvertes, quatre prisonniers libérés.

- Un bruit, et je vous égorge. Compris ?
- Oui m’sieur.
- On va vers le bloc B, je dois voir chaque cellule.
- Tu cherches qui ?
- Une femme.
- On libère les autres ?
- J’ai le choix ?
- Non.
- Alors pose pas la question, abruti !

Critch. Clac. CLANG.

Bienvenue au bloc B. Alrahyr passe devant toutes les cellules, sans voir son amie.

- Donne-nous le passe des cellules et avance, mec.

Critch. Clac. CLANG.

Bloc C. La jeune femme n’y est toujours pas. Pendant ce temps, les prisonniers sortent peu à peu de leurs cellules et jettent un regard de remerciement à l’ombre.

Tap tap tap…

Des soldats arrivent.

- Hep, cachez-vous derrière le mur, ils sont dans le grand couloir.

Une nouvelle patrouille a certainement dû partir du poste 2.

Critch. Clac. CLANG.

Critch. Clac. CLANG.


Hein ? Mais c’est pas dans cet ordre ! Le « critch clac » c’est pour déverrouiller la porte, le « clang » c’est quand on l’ouvre, puis normalement, nouveau « clang » pour refermer, et enfin « critch clac » pour re-verrouiller.

CLANG. Critch. Clac.

CLANG. Critch. Clac.


Ok, donc ça, ça signifie que deux portes viennent d’être ouvertes, presque en même temps.

- EH, VOUS !

Alrahyr jette un œil vers l’entrée de la zone des blocs. Une patrouille vient également de partir des postes 0 et 1 vers le 2. Ils ont dû voir les deux cadavres et alerter silencieusement les gardes.

- Je crois qu’on est repéré, m’sieur.
- Oh ta gueule toi !

Pas le temps de tergiverser, il faut atteindre l’armurerie. Celle du poste 2. Et au plus vite…

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POM
Pfiiuuuuuuuuuuuuuuuuuu
BAM
Plaplaplaplaplaplapla

POM
Pfiiuuuuuuuuuuuuuuuuuu
POM
Pfiiuuuuuuuuuuuuuuuuuu
BAM
BAM
Plaplaplaplaplaplaplaplaplaplaplaplaplapla


- Ah, il est 3h30.

Tous se figent un instant. Le prisonnier qui a dit ça lève la tête au ciel, comme s’il pouvait le voir à travers le plafond du bâtiment.

- Qu’est-ce que tu racontes ?
- Bah ils avaient prévu de le tirer à 3h30, là on les entend le tirer, alors il est 3h30.

POM POM POM
Pfiiuuuuuuuuupfiiuuuuuuupfiiuuuuuuu
BAM BAM BAM
Plaplaplaplaplaplaplaplaplaplaplaplaplaplaplapla


- Tirer quoi ?
- Le feu d’artifices !
- Le quoi ?
- Le feu d’artifices !!!
-
- Pour la nouvelle année !

La nouvelle année ? Déjà ? Alrahyr a totalement perdu pied face au calendrier… Et il a tellement été submergé par les émotions, dernièrement, qu’il n’a pas prêté attention aux préparatifs. Quelques instants, il se remémore les images de la journée. Son retour à Lavallière, son arrivée au port en compagnie de Chryses, qui l’a laissé là pour repartir en mission. Et voilà que cela lui saute aux yeux : les gens dans les rues, affairés à faire leurs courses, à tirer des banderoles partout, les préparatifs de la mairie pour les fêtes, tout était là, sous ses yeux, alors qu’il l’ignorait.

Son esprit était restreint à la seule pensée de la libération de Nayami.

Et désormais, une vision plus qu’étrange s’étend devant ses yeux.

Les prisonniers se prennent dans leurs bras, s’embrassent, se souhaitent une joyeuse et heureuse année. Les gardes laissent tomber leurs armes et font de même, entre eux. Plus personne ne semble s’occuper de la situation pourtant si préoccupante. Je te souhaite une bonne année. Moi aussi. Que tout aille bien avec ta famille. Et tes résolutions ? Oh, tu sais, pour ce que ça vaut !

Effarant. Tout simplement bluffant ! C’est comme si… Comme si le monde s’était arrêté de tourner un instant !

Mais pour Alrahyr, le monde tourne autour de la libération de son amie. Il arrache une porte de cellule en acier renforcé pour s’en servir comme bouclier, puis se place devant la grille qui mène au poste 2.

- Maintenant, on va voir si ce sabre a été correctement forgé…

Il resserre sa prise sur son arme, prépare son bras droit vers l’arrière, et frappe.

La lame rencontre le premier barreau. Elle l’entaille, le pénètre, et le découpe sans le tordre. Deuxième barreau, entaille, pénétration, découpage. Troisième, quatrième, cinquième. Puis tous.

Deuxième frappe. Troisième frappe. Un pan triangulaire de grille s’effondre, dans un vacarme assourdissant pourtant couvert par le feu d’artifices. Les gardes se serrent dans leurs bras, se sourient, s’embrassent. Ils sont heureux. Ils ne font pas attention au jeune homme.

Et ce jeune homme, il ne s’arrête pas pour eux. Il avance et découpe un nouveau triangle dans la grille suivante, dernière obstacle avant l’armurerie. Il passe à travers, tourne à droite, ouvre la porte du poste 2.

Tout semble tourner au ralenti. Les gardes sautent dans tous les sens, font péter le champagne, lancent des confettis, s’agrippent aux banderoles et dansent ensemble. C’est un spectacle époustouflant, totalement ahurissant qui se déroule ici. Indifférent à la bonne humeur générale, Alrahyr avance droit vers le fond de la pièce, slalomant entre les soldats enthousiasmés par cette nouvelle année. Il pousse la porte, pour qu’un univers salvateur se déploie sous ses yeux.

Des armes. Sabres, pistolets, fusils, lances, munitions, canons à main. Il en fourre un maximum dans un grand sac de toile, qu’il accroche dans son dos, avant de ressortir de l’armurerie. Toujours armé de sa porte de cellule en guise de bouclier et de son sabre forgé en Acier Kaltershaft, il traverse à nouveau la foire qui règne dans le poste 2, s’en extrait, tourne à gauche, franchi la première grille, les gardes fêtant la nouvelle année au milieu du couloir, la seconde grille, pour enfin revenir à son point de départ, au bloc B, avec ses compagnons prisonniers.

Qui sont dans le même état étrange que les gardes.

Il les compte, ils sont quatorze.

- ON ARRETE LES CONNERIES MAINTENANT !


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Alrahyr balance le sac d’armes à ses nouveaux compagnons de fortune.

- On prend le contrôle de cette prison !

Marre des imbécilités de ce monde et des incohérences qui rendent certaines situations si irréelles. Tous prennent les armes. Les soldat interrompent également leur ivresse de nouvelle année et se mettent en garde.

- Suivez-moi !

Un sac d’armes à moitié plein sur le dos, sa porte en acier en main gauche et son sabre en main droite, Alrahyr traverse les quelques Marines qui tentent désespérément de l’arrêter. Il découpe la grille du bloc E, ouvre toutes les cellules à la recherche de Nayami, distribue des armes à ceux qui rejoignent petit à petit le mouvement des prisonniers libérés, et continue.

Bloc D, grille défoncée, cellules ouvertes de force, armes données aux évadés. Les combats font rage dans toute la prison, et le groupe du jeune homme prend l’avantage au fur et à mesure que les prisonniers sont libérés et armés. Ce ne sont pas des enfants de chœur, et leurs compétences au combat est impressionnante face à ces pauvres soldats démunis.

Le plan d’évacuation mentionnait : en cas d’attaque externe, paniquez, s’ils viennent, c’est pas pour une visite touristique. Le souci, c’est que ce paragraphe se mêle également au précédent : tentative d’évasion, vous avez été formé à ça, pas besoin de vous faire un dessin. Mais là, les gardes ont plutôt l’air de paniquer que d’avoir été formés à cela.

Des dizaines de corps recouvrent le sol, autant en uniformes de la Marine qu’en tenue de prisonniers. Alrahyr a arrêté de compter, trop de morts arrivent trop rapidement. Il ne réfléchit plus, il avance.

Et là, il avance dans le bloc F, scrutant chaque cellule, ne prenant même plus le temps d’ouvrir les cellules. Ses alliés sont suffisamment nombreux pour s’en occuper. La seule chose qu’il a à faire, c’est découper les grilles séparant chaque bloc. Le poste 2 a été mis à sac, l’armurerie pillée plus que de raison, jusqu’à utiliser le mobilier comme armes.

Vient ensuite le bloc G, dans lequel le jeune homme déplore à nouveau l’absence de Nayami. Des renforts viennent d’arriver des postes 0 et 1 de l’entrée, et il devient vital de libérer rapidement d’autres prisonniers. Il défonce alors la grille du bloc H, parcours d’un coup d’œil les cellules H5, H4, H3, H2…

- Al’ ?

H1.

Nayami.


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Nayami, totalement dévastée par l’enfermement. Cela ne lui convient vraiment pas, elle qui trouve sa joie dans l’air frais de la mer. Elle semble exténuée, à bout de forces. Sa peau porte les marques des nombreux interrogatoires qu'elle a eus à subir, dont certains par le Sergent d'Elite Edwin Morneplume. Des larmes perlent au creux de ses yeux, puis coulent le long de ses fines joues.

- Al’… tu es revenu me libérer…
- Oui, je suis là, calme-toi. On va vous sortir d’ici, je suis revenu pour vous libérer.
- Non, pas nous. Moi.
- Comment ça ?

La jeune femme le regarde d’un œil vide.

- Il n’y a plus de nous. Ils les ont tous tués. Jusqu’au dernier.

Il s'en doutait un peu, à vrai dire...

- Alors on va éviter qu’ils fassent pareil avec toi. Viens !

Alrahyr fait signe à l’un des prisonniers libérés.

- Toi, occupe-toi d’elle !

Maintenant, réunir le maximum d’alliés. Bloc I, et finalement Bloc J. Tous sont sortis de leur cellule, armés jusqu’aux dents. Lorsque le jeune homme retourne dans le couloir principal, seuls les prisonniers bougent encore. L’uniforme de la Marine pave le sol, se mêlant à ce liquide rouge qui représente tant de choses.

- On sort.

Direction la porte principale. Les gardes encore vivants ne sont qu’une formalité. Prenez une bonne cinquantaine de détenus, donnez leurs des armes, et vous avez votre petite armée.

- Pourquoi on te suivrait ?
- Parce que je suis venu vous libérer, imbécile !

Alrahyr colle un fusil dans les bras du fauteur de troubles.

L’air frais du bord de mer. Le silence de la nuit, dû à la fin du feu d’artifices. Et là, à une centaine de mètres, la caserne principale de la Marine.

- On va la mettre à sac. J’ai un truc à récupérer, ensuite on pourra y aller.
- Al’, tu cherches quoi ?

La jeune femme a rapidement repris du poil de la bête. Elle est loin d’être un poids, au contraire.

- Earl Grey.


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- Mec, je ne me mettrai pas sous tes ordres, c’est mort.
- Et pourquoi tu me suis alors ?
- Je te suis pas, je vais défoncer les soldats. Pas pareil.
- Mais du coup, on va au même endroit…
- Coïncidence. Cherche pas, je te suis pas.

Il y a des gens, j’vous jure… La bonne cinquantaine de prisonniers évadés courent en ligne droite vers la caserne pour la saccager. Certains parce qu’ils suivent simplement Alrahyr, d’autres parce qu’ils font semblant d’avoir leur propre libre arbitre. Mais, quoi qu’il en soit, ils vont tous dans la même direction, pour péter du Marine.

L’un d’eux semble se placer en tête du groupe, plus grand, plus gros, plus rapide, plus fort. Il tient deux portes de cellule dans ses mains, portes qu’il a rapidement frotté l’une contre l’autre pour faire des bords coupants. C’est un peu comme deux grosses haches, mais sans le manche. Juste la partie métallique. Quelque chose de vraiment… étrange… Mais certainement très efficace.

- Cette nuit, c’est MOI que vous suivez !

Sa voix grave et profonde résonne dans le chaos ambiant. Celui-là, personne n’ira le contredire. Et Alrahyr n’en éprouve de toute manière pas le besoin.

La brute défonce littéralement la porte d’entrée de la caserne, aplatissant par là même les soldats postés devant, derrière, et autour. Plaf, les crêpes sont servies. Avec du sucre ?

La vague rebelle s’engouffre dans les larges couloirs du bâtiment militaire. Cette heure de la nuit est propice à la prise par surprise des gardes, qui, de plus, sont en train de fêter la nouvelle année. Si bien que le chaos est à son comble très rapidement. Objectif : répandre la pagaille la plus importante.

Alrahyr et Nayami se suivent, progressant rapidement vers le haut de la caserne. Leur but : le Colonel Earl Grey.

- Il va payer.

Les deux amis grimpent les escaliers, passant leur temps à donner des coups à droite et à gauche pour dégager les soldats qui se dressent devant eux. Aucune difficulté, si ce n’est de mettre la main sur les quartiers du Colonel. Il va payer pour avoir massacré le Teiko, certes, mais surtout pour avoir blessé Nayami.

Les nouvelles et le bruit n’ont peut-être pas encore eu le temps de parvenir en haut : le bureau est entrouvert, avec de la lumière à l’intérieur. Une voix.

- Alors, voyons ce petit bijou…

Alrahyr fait irruption dans la pièce, surprenant Earl Grey, penché sur une boîte. Celui-ci n’a pas le temps de réagir que le jeune homme est déjà sur lui, le transperçant sans l’ombre d’une hésitation de son sabre, plus le repoussant d’un coup de pied, contre le mur. Le Colonel jette un œil à son épée, posée dans le coin opposé de la pièce.

- N’y pense même pas !

Nayami, armée comme à son habitude d’une lance, s’empare de l’arme de l’officier et la brise. Elle vient lentement près de lui et lui place la pointe de sa lance sous la gorge.

- Attend une seconde.
- Mm ?

Le jeune homme s’approche de la boîte que sa victime observait juste avant qu’ils entrent. Il se penche, et… écarquille les yeux.

- C’est… ce que je pense ?
- Vous n’en êtes pas digne…
- Il fait quoi, celui-là ?
- Allez vous faire foutre, Kaltershaft.
- Oh, vous me reconnaissez ? Malgré mes cicatrices ?

Il montre son visage.

- Je suis devenu plus fort, depuis la dernière fois, n’est-ce pas ? L’Elite m’a appris beaucoup de choses, y compris à propos de la torture.

Le Colonel dégluti difficilement, visiblement anxieux.

- Vous connaissez leurs techniques, n’est-ce pas ? Allons, ce n’est pas quelque chose de très sensible ce que je vous demande. Il fait quoi, celui-là ?
- Je… je n’ai pas encore eu le temps. Je viens de le recevoir.
- Me baladez pas, Earl Grey !

Un cri se fait entendre dans le bâtiment. Le meneur de tout à l’heure, aux deux portes de cellule, sonne le retrait par un « On se casse » qui résonne dans toute la caserne. Alrahyr regarde successivement la porte, puis l’officier.

- Fais toi plaisir, Naya’. On y va. Et j’embarque ça, pas le temps de réfléchir.

Il referme la boîte et s’en empare, alors que Nayami assène un grand coup en travers du torse du corps déjà à l’agonie.

- Viens, on y va !

Ils sortent et dévalent les escaliers, pour rejoindre le reste du groupe. Une fois en dehors de la caserne, ils se retournent rapidement pour voir le bâtiment brûler, les fenêtres dégouliner de sang, et les soldats crier de douleur. La grande brute prend le commandement de la petite troupe. Alrahyr n’a ni la force, ni l’envie, ni même la possibilité de se placer en dirigeant.

- Direction le port !


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- Allez on se bouge ! Faut quitter l’île !
- On vole un bateau ?
- Ouais, va falloir combattre les équipages qui surveillent leur navire.

Ils courent. Ils courent en direction du port, poursuivis par les soldats qui affluent des ruelles alentours. L’alarme a été donnée, tous convergent vers la zone d’affrontement. Des remparts de soldats se dressent devant les prisonniers en cavale, dans de vaines tentatives pour les arrêter. Mais le fer de lance de ce bataillon, enivré par la liberté, a raison des militaires en quelques secondes, brisant leur rang et passant outre leur autorité.

- On prend le Lame de Fond.
- Qui t’es, toi ?
- Moi, je suis celui qui vous a libérés, je suis Sergent d’Elite.
- Et tu te bats contre la Marine ?
- Raisons personnelles.
- Mouais. C’est quoi, le Lame de Fond ?
- Mon navire.
- Rapide ?
- Ouais, et avec mes armes dedans.

Va pour le Lame de Fond, semble-t-il. Bâtiment équipé par la Marine, pour la Marine, pour maintenant s’enfuir après avoir libéré de nombreux prisonniers et massacré la Marine. Ironie du sort.

Les soldats continuent de surgir de part et d’autre de la rue menant au port, réduisant petit à petit la horde d’évadés. Seuls les plus forts s’en sortent, une sorte de théorie de l’évolution appliquée à un cas concret.

- Eh la brute, t’as appris où à te battre comme ça ?

Il balance des coups de portes de prison à tout va, envoyant valser les militaires.

- J’ai pas été prisonnier toute ma vie, hein !

Il a dit cela sur le ton de la blague, comme pour ne pas répondre à la question.

- Et ton nom, c’est quoi ?
- Labrute.
-
- Nan mais je suis sérieux !

Il est impensable d’avoir ce type de discussion dans une situation de combat en temps normal, mais il y a quelque chose ici qui le permet. Tous sont à l’aise, ils pourraient se défendre avec le petit doigt que cela ne changerait pas grand-chose.

- Et toi ?
- Shin… Non, Alrahyr. Alrahyr Kaltershaft.
- Sérieux ? LE Alrahyr ? Celui de la nuit rouge de Bocande ?
- C’est ça.
- Je t’aime bien, toi. Même si t’es Marine.

Marine… Certes, mais dans un but précis : devenir plus fort. Désormais, cela n’a plus d’intérêt.

- Mais je préfère te prévenir, tu risques pas de rester dans leurs rangs après ça.
- Noooon, tu crois ?
- Sérieusement, tu pensais quoi ?
- Nan mais c’était de l’ironie hein, bien sûr que je vais dégager. Je ne vais pas moisir ici. Certains sont cools, mais je n’aime pas leurs donneurs d’ordres.
- Ah.
- Le Gouvernement Mondial. Je ne peux pas blairer ces types.
- Ah.
- Et puis les nobles, marre aussi.
- Ah.
- En fait, t’en as rien à foutre de ce que je te raconte.
- S’cuse moi le rebelle, mais là on doit s’évader, alors si tu pouvais me raconter ta petite vie plus tard, ça m’arrangerait.

Labrute se retourne, sans s’arrêter de courir, vers le reste du groupe, comptant désormais seulement une petite vingtaine d’hommes.

- ALLEZ ON SE BOUGE !

Le port est en vue.


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Et, plus que le port, le Lame de Fond. Il est amarré un peu à l’écart, de sorte qu’ils pourront passer à travers les barrages de fortune mis en place par la Marine. Les militaires n’ont pas prévu tout cela, ils ne pensaient pas que de tels événements pourraient arriver, d’autant plus le soir de la nouvelle année.

Adieu 1625, bonjour 1626, et avec cela, la libération de Nayami. Une bonne année qui commence.

Enfin, pas tout à fait. Il reste encore à quitter le port, et des petites batailles à livrer pour cela.

- Arrêtez-les !

Les sergents et caporaux hurlent sur leurs hommes, incapables de mettre le grappin sur les fugitifs. Ils sont armés, autant avec du fer qu’avec leur volonté et leur désir de liberté. Désormais, ils touchent du doigt cette fameuse liberté qu’ils revendiquent.

- C’est lequel, ton navire ?

Labrute mène bien sa troupe, et Alrahyr s’en satisfait. Après tout, cela fait plaisir de ne plus être le responsable, de pouvoir décharger ses décisions sur quelqu’un d’autre, tout en ayant son mot à dire. Mot à dire qu’il a obtenu en menant à bien les premiers pas de l’évasion. Evasion, saccage de la caserne, vengeance contre Earl Grey, et vol d’un objet précieux. Un de ces fruits défendus, détenteurs d’un pouvoir immense. Alrahyr l’a toujours, dans un petit coffre, sous le bras, et il n’est pas question qu’il le laisse tomber.

Il montre une caravelle à Labrute, geste accompagné d’un « celui-là ». Et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, ils montent à bord, écrasant sur leur passage les rares soldats qui tentent encore des actes d’héroïsme.

Naturellement, le petit groupe s’organise autour du colosse, ce donneur d’ordres désigné arbitrairement grâce à ses faits d’arme et son charisme. Tous connaissent plus ou moins la navigation, ce qui facilite la tâche. Le jeune homme participe à l’effort général, hâlant les voilures du bâtiment qui était il y a si peu de temps encore sous son commandement, lié à la Marine.

Mais désormais, ce navire entame son échappée du port de Lavallière, avec à son bord une petite trentaine de prisonniers évadés. En pleine manœuvre, certains prennent l’initiative de tirer au canon sur les autres embarcations militaires, mettant en déroute ceux sur le point de les poursuivre. Les tours de guet sont également visées, les privant de la possibilité d’interrompre la course du Lame de Fond, qui essuie quelques tirs au milieu de ce capharnaüm. Mais c’est une solide caravelle, qui en a vu de pires, et qui est capable de surmonter cet obstacle.

Alors, ainsi commence une nouvelle vie ? Nayami libérée, Alrahyr bien plus fort qu’auparavant, rebelle de Boréa, meurtrier de nombreux nobles, traître de la Marine d’Elite, organisateur d’une évasion, déclencheur du saccage de la caserne de Lavallière, assassin du Colonel Earl Grey et voleur d’un fruit du démon ?

C’est un CV intéressant… Mais cela ne s’arrête pas là. Du moins, pas encore.


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Le Lame de Fond a vogué toute la journée au gré du vent, direction le sud, en quête de terre plus hospitalière. Labrute ne sait pas vers où se diriger, à l’instar du reste de l’équipage de fortune. Alors la caravelle avance, inlassablement.

La nuit venue, on décide de se reposer. Le temps est clair, le vent quasiment inexistant, conditions parfaites pour stopper le navire au large de toute côte et dormir. Des tours de garde sont instaurés, de manière à veiller sur l’horizon. Sait-on jamais…

Alrahyr et son amie sont sur le pont, le regard fixé au loin. Ils discutent depuis déjà un bon moment, pour apprendre à l’autre le déroulement des derniers mois.

Ainsi le jeune homme lui a raconté son entraînement, ce qu’il a appris, dans quelles circonstances.

- Et toi ?
- Rien de bien palpitant tu sais…
- Tu as été interrogée ?
- J’ai l’impression de n’avoir fait que ça. La salle d’interrogatoire était mon principal lieu de vie. Enfin, si on peut appeler ça une vie.
- Ils t’en ont fait baver, hein…
- T’imagines même pas à quel point.
-
- Al’…
- C’est fini maintenant Naya’.

Elle se met à pleurer.

- Pour moi ce ne sera jamais terminé ! Ils ne m’ont pas lâchée, pas un seul instant. Ils voulaient tout savoir du Teiko.

Il la prend dans ses bras.

- On a fait une erreur…
- Je suis restée en prison pour une erreur ? C’est ça que tu veux me dire ?
- Eh, calme-toi ! J’essaie juste de t’expliquer. Si on n’avait pas fait tout ça, on n’aurait pas su que c’était une erreur.
- T’es pas clair, toi…
- On ne peut pas prendre les armes, tuer les nobles, et dire à la population « coucou, maintenant on dirige, on est les gentils ».
- Pourtant, c’est ce qu’on a fait.
- Et ça ne pouvait pas marcher. Le monde n’est pas comme on le pensait, les bourgeois ne dirigent rien, la Marine n’est pas le camp adverse… C’est beaucoup plus compliqué que cela.
- Rappelle-toi que tout ce que tu as lu, c’était dans les bibliothèques de la Marine.
- C’est ça que je veux te faire comprendre. Ces bouquins sont destinés à donner confiance aux futurs officiers. Ils essaient de leur mettre dans le crâne toutes ces idées préconçues qu’ils vont œuvrer pour le bien du monde. Mais j’ai lu entre les lignes. Ma manière de percevoir le monde avant cela était tellement étrange que j’ai pu comprendre ce dont il s’agissait.
- Et de quoi s’agit-il ?
- La Marine n’est qu’un écran, un bras armé parmi tant d’autres, manipulé par le Gouvernement Mondial.
- Cela, on le sait déjà plus ou moins…
- Oui, mais ce dont on ne nous parle pas, ici, c’est de ceux qui tirent les ficelles du Gouvernement. Les dragons célestes, qu’ils les appellent. Ceux qui dirigent réellement le Monde par leurs caprices. Nous allons mal pour qu’ils aillent bien.
- Toi, tu as une idée derrière la tête.
- Fonder un Empire, tout ça, c’est idiot. Il faut renverser les nobles mondiaux. Je ne sais pas comment, je ne sais pas quand, mais c’est cela qu’il faut faire. Mais ça prendra du temps.
- Maintenant, on en a… Merci.
- De ?
- Je ne t’avais pas encore remercié. Merci d’être revenu me libérer…
- Tu m’as sauvé, contre Earl Grey, au matin de la nuit rouge.
- Chacun son tour, alors…
- Chacun son tour.

Leurs yeux se perdent au loin, une fois encore.


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- VOILE !

Le cri perce le froid de la nuit. Tous se précipitent à bâbord pour voir ce que la vigie vient d’annoncer. Au loin, sortant des ténèbres, une forme blanche se dessine peu à peu. Une voile, puis d’autres, font leur apparition à l’horizon.

Labrute sort sur le pont, alerté par le cri. Le jeune homme s’approche de lui.

- Il ne faut pas traîner.
- La Marine ?
- Qui d’autre ? Donne les ordres, on n’a pas une seconde à perdre.

Le colosse se tourne alors vers les membres de l’équipage, tous réveillés par le raffut.

- HISSEZ LES VOILES, ON BORDE LE TOUT, JE NE VEUX VOIR PERSONNE SE LA COULER DOUCE !

Puis, à Alrahyr :

- J’espère que ta petite caravelle peut les distancer.
- Elle a intérêt…

Les prisonniers évadés s’attèlent alors à manœuvrer au mieux le bâtiment pour tenter de semer leurs poursuivants. Mais ils ne forment pas un équipage aguerri, et leur efficacité est plus faible que ceux des navires qui sont à leurs trousses.

Lorsque le maintien de la voilure demande moins d’hommes que ceux disponibles, et qu’en rajouter serait superflu, le jeune Kaltershaft prend en main l’organisation de l’armement et la disposition des canons, les vérifiant tous et prenant soin de resserrer toutes les attaches. La poudre est bonne, les boulets sont neufs, il le sait. Il a confiance en son bâtiment et il sait pouvoir repousser de puissants adversaires.

Alors qu’il est au pont inférieur, il entend un matelot crier à Labrute :

- Capitaine ! Le vent devient plus fort, on va pouvoir les distancer !
- Parfait ! Hâlez-moi tout ça, bordez les voiles !

C’est une bonne nouvelle.

Soudain, une secousse, qui propulse Alrahyr contre les panneaux de bois. Pas d’explosion, pas de détonation, non, ce n’est pas un tir de canon. Il ne s’agit pas non plus d’un récif ou quoi que ce soit de ce genre. C’est simplement la mer, agitée. Il remonte sur le pont supérieur et jette un œil à l’étendue d’eau.

- Tempête…

Un murmure. Un mot qu’il se chuchote à lui-même, inquiet. Un avertissement qu’il répète en criant, sans quitter l’océan des yeux.

- Tempête !

Mais les vagues, les embruns et le vent dans les voiles couvrent sa voix, tant et si bien que son alerte passe inaperçue. Il réagit alors, détournant le regard et se précipitant vers le Capitaine arbitrairement nommé.

- TEMPETE ! Lâche de la voilure !
- Non ! Ils nous rattraperaient !

Le vent forci beaucoup trop vite, les creux se forment rapidement.

- Lâche de la voilure ! Sinon, on v...
CRAAAAC

Il s’interrompt, tournant un regard horrifié vers le grand mât, qui commence à s’effondrer, brisé par l’effort des rafales répétées. Sous les yeux ébahis de l’équipage, le mât tombe par tribord, emmenant des bouts et de la voilure. Beaucoup trop de voilure.

- Le grand mât…

Encore un murmure. Labrute ne réagit plus, il est tétanisé. Alors Alrahyr prend les devants.

- BRANLE-BAS DE COMBAT ! TOUS LES HOMMES SUR LE PONT !

Il jette un œil à leurs poursuivants qui s’approchent dangereusement.

- On n’a qu’une heure avant qu’ils soient à portée de canon ! Immobilisez le navire, enlevez-moi ce mât, coupez les bouts, libérez-nous de cette charge !

Tous s’activent et parviennent à se débarrasser de ce fardeau assez rapidement.

- Une demi-heure ! Faites pivoter le Lame de Fond, je veux voir tous les canons dirigés vers la Marine !

La manœuvre est difficile sans vitesse ni grand mât. Mais ils y parviennent, in-extremis.

- Tous aux postes de combat ! Parés à tirer !

L’attente est insoutenable. Alrahyr ne connaît pas la portée de ses canons, il sait juste qu’il aura la même porté que ses adversaires. Mais eux, ils arrivent de face. Alors, lorsqu’ils seront à portée, ils vireront de bord de manière à positionner leurs canons dans le bon axe. Ainsi, au premier virement de bord suspect, il sera temps de faire feu.

- Attendez…

Le jeune homme distingue de nombreuses voiles, au moins six navires. Et pas de simples caravelles, il s’agit de véritables bâtiments de guerre. L’affrontement va être rude, mais s’ils font feu en premier ils peuvent s’en sortir. Et surtout, ils devront miser sur l’abordage. Mais sans manœuvre possible, ce sera une tâche extrêmement difficile.

- Attendez…

Les premiers navires virent de bord. L’un vers la droite, l’autre vers la gauche, lentement. Ils amorcent leur mise en joue. C’est le moment décisif, ils sont à portée, il faut tirer.

- FEU !

Les gueules d’acier crachent leurs flammes d’une manière presque synchronisée. Pas mal, pour une première salve. Les boulets fusent, filant à travers le vent droit vers la Marine. Et ils tombent dans l’eau, sans même avoir parcouru la distance suffisante.

A leur tour, leurs adversaires donnent leurs ordres. Mais leurs canons sont plus puissants, ce sont des bâtiments de guerre. Ils sont inatteignables, mais Alrahyr le sait, ces canons-là peuvent les atteindre.

Les boulets déchiquètent le pont inférieur, de la proue à la poupe, dévastant l’armement de la caravelle, causant de terribles dégâts. La Marine va les avoir à distance. C’est un sentiment atroce d’impuissance que d’être dans cette situation.

Et les navires ennemis continuent d’avancer, décrivant un arc de cercle autour de leur cible, immobilisée. Les autres les suivent, virant également de bord. Pourquoi ils ne tirent pas ? Ils attendent d’être synchronisés avec les deux qui ont déjà fait feu, le temps qu’ils rechargent. Désormais, quatre bateaux sont parés.

Et la salve suivant est encore plus destructrice, tuant les uns, démembrant les autres. Certains se jettent à l’eau, tentant d’échapper au désastre, parfois happés en vol par un boulet, parfois écrasés sous les débris qui pleuvent du Lame de Fond.

Les deux derniers bâtiments de guerre s’alignent, les six navires forment un demi-cercle autour des prisonniers évadés.

Effrayé, Alrahyr lance un regard vers l’un d’eux, tentant désespérément de trouver une solution. Et sur un pont, il aperçoit Earl Grey. Vivant. Qui lui esquisse son sourire le plus mesquin, signe de vengeance, signe de mort. Il a une tasse de thé en main, il la savoure. Et de l’autre bras, il donne un signal. Un signal que l’ex Sergent d’Elite connaît. Le feu à volonté.

Les éclats s’abattent sur ce qu’il reste de la caravelle, la réduisant rapidement à l’état d’épave. La puissance de feu de la flotte qui les a rattrapés dépasse tout ce qu’aurait pu envisager le jeune homme. Elle les réduit à néant.

A bord, c’est la panique générale. Des morts, du sang, des membres arrachés, des cris, des pleurs, des supplications. Et, au milieu de cette atrocité, Nayami, le bas du corps arraché, un morceau de bois en travers de la gorge. Morte rapidement, mais non sans souffrances. Cette vision d’horreur fait perdre à Alrahyr le sens de la réalité. Les sons s’atténuent, plus rien ne bouge, plus rien ne compte. Son amie, sa partenaire, voilà ce qu’il en reste.

Il veut alors se venger. Il est temps de les faire payer ! Il sait ce qu’il a à faire, il doit quitter l’épave du Lame de Fond, à la nage. Il doit atteindre le navire d’Earl Grey. Il sait qu’il peut le faire. D’ailleurs, il va le faire.

Il se lève. Enfin, il ordonne à ses muscles de se lever. Mais ils ne répondent plus. Et, soudain, il prend conscience de sa situation. Il baisse les yeux vers son ventre et commence à ressentir une douleur lancinante. Un débris le traverse, de part en part, au niveau du bas des poumons, le paralysant par la souffrance.

Earl Grey a eu sa vengeance.

Alrahyr ferme les yeux, et tombe, sous la pluie sans fin de boulets de canon.


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[Fin de ce RP ! Merci d'avoir lu ! Suite : Solution empirique]
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