- Quelque part aux abords de la ville--Vous êtes sûr qu’on est mieux ici.
-Sûr de chez sûr.
-Une vieille cave à moitié écroulée et pleine de m*/
-Bon écoute, ta cabane dans la foret c’est tout sauf du sûr.
-Beuh, j’vois pas pourquoi, moi elle me parait très b*/
-Si Rachel et toute la clique de charlots a su nous y trouver, crois moi qu’tout l’monde le peut.
-Et on va devoir rester là combien de temps ?
-Le temps pour moi de régler quelques affaires et d’vous trouver un moyen d’vous barrer d’ce merdier.
-Ok… mais traînez pas hein !
-Roh ça va hein, j’vais faire c’que j’peux !
D’un geste je m’extirpe de la pénombre étouffante où je laisse Pénélope et un frère alors profondément endormi, avant de commencer à camoufler l’entrée par quelques débris épars que je n’aurais aucun mal à trouver et encore moins à déplacer. Aux abords de la ville, nombreuses sont les chaumières a avoir déjà goutté aux joies de la guerre. Le conflit semblant s’être déplacé vers les ports, les deux moutards devraient être sereins ici. Puis, alors que je finis tout juste de reposer en équilibre une épaisse porte de bois par-dessus l’ouverture, une petite voix qui filtre d’en dessous.-Merci.
J’en reste un peu con… puis non sans une pointe de perplexité :
-Merci pour quoi ?
-Pour nous aider. Encore.
J’sais pas trop quoi dire, alors j’reste là à chercher des mots et des réactions qui m’font défaut. Faut bien l’avouer, on n’m’a pas habitué à c’genre d’lexique, sauf un flingue sur la tempe à la limite. Alors j’improvise évidemment, comme obligé d’lacher un truc pour pas laisser la p’tite en plan. Et j’improvise mal, ‘videmment.
-Pas d’quoi, j’fais ça pour les thunes. Faut bien qu’quelqu’un les garde le temps que j’revienne.
-C’est ça.
-Alors fais bien gaffe à mes millions et n’te barre pas avec cette fois encore, compris la pisseuse ?
-Compris ! Et arrêtez de m’appeler la pisseuse !
-Bon j’y vais.
Et j’y vais.(…)
La chaleur étouffante de mon costume me frappe tel un marteau, comme si soudain’ment le fait de ne plus avoir mes deux p’tits protégés m’permettait enfin d’voir le monde tel qu’il est. Fini l’Toji paternaliste. Fini les faux-semblants rassurants et les paroles réconfortantes. J’laisse revenir à moi c’monde de crasse maint’nant que j’n’ai plus peur qu’il ne les salisse.
Alors de mes deux mains j’ôte mon horrible masque de lapin, humant d’une brutale inspiration l’air soudainement si frais, avant d’ouvrir les yeux comme pour la première fois. Des relents de poudre, de fer de charbon et de sang. L’odeur de la guerre… qui m’appelle. Je me débarrasse ensuite du reste de mon costume, que je plie délicatement dans un coin discret à ma plus grande surprise.
Le vent du large -si fort en odeurs et en sons- vient alors me lécher, glissant sur mes écailles, inondant mes sens. Les pans de ma chemise et de mon short à fleur claquent derrière moi. Une narine se dilate, accrochant dans l’air des zestes de la brise marine… si légère en comparaison du reste. Je referme les yeux… et je renais.
Inconsciemment, une main glisse dans ma poche intérieure et en extirpe un épais cigare, qui va aussi sec se coincer entre deux rangées de dents acérées. Au contact de la flamme d’un zipo, la bâton de mort m’inonde les poumons de son goudron épais, envahissant chacune de mes cellules et les gorgeant de son goût si puissant, presque agressif. Il amène avec lui tant de souvenirs, tant d’impressions… presque tous funestes. Il est ce qu’il y a de pire en moi. Il est Thunder F.
Alors, soudainement, mon œil valide se rouvre, empli d’une étincelle prédatrice qui brille de mille feux. Puis, un à un mes pas se succèdent, toujours plus amples et impérieux, droit vers la ville et ses vacarmes. Une seule pensée en tête. Un seul nom…
Flist, nous avons à causer tous les deux……Et rien ni personne ne pourra s’interposer.
Ce qui vous coûte un bras
Sir ? Y'a un petit problème...
Flist raccroche brutalement son escargophone en se tournant vers l'homme qui vient juste d'entrer. Son chapeau vissé sur la tête et la moustache si bien peignait se défrisant après cette entrée impromptue, il moufte en fixant son sbire avec des yeux sombres :
Vous voyez pas que je m'amuse, là ? Non mais c'est infernal c'est gens qui viennent jouer les empêcheurs de tourner en rond comme ça ! On peut pas déconner tranquille, faut toujours qu'il y ait un « petit problème » quelque part !
Euh...
Oui, bon, parle !
Y'a un type qui veut vous voir, en fait.
S'enfonçant dans le dossier de son fauteuil moelleux, Flist pousse un long soupir désapprobateur, regardant son vis-à-vis en secouant la tête négativement. Y'avait de sacré suicidaire sur terre, quand même...
Et donc, tu me déranges parce qu'à type veut me voir ?
Oui...
Et avant de venir me déranger parce qu'un type voulait me voir, est-ce que tu t'es dit qu'allumer tes deux neurones serait pas une si mauvaise idée ?
Si, si, Sir... C'est juste que...
C'est juste que QUOI ?
Bah en fait... Commença le pirate en se grattant son crâne chauve...
En fait ?
Bah, le type a dit « soit je cogne à la porte, soit je cogne sur vos têtes », et il fait un petit peur quoi...
Plus peur que moi ? Coupe le second du Malvoulant en se levant noblement.
Ça se discute...
…
ça se discute ? Un sourire se dessine sur les lèvres fines du fat quand ses deux yeux s'illuminent :
Intéressant ! Fais le entrer !
Vous êtes sûr, Sir ? Hésite son homme de main en se grattant la barbe.
Faut-il vraiment que je me répète ?
Son vis-à-vis secoue la tête et s'apprête à sortir sur le champ.
Il a dit son nom ?
Toji, Sir.
Et le sourire de Flist s'étend.
Houhouhou ! Ce soir la foule va garder les moutons à la lune !
-Houhouhou ! Ce soir la foule va garder les moutons à la lune !-Jamais entendu c’proverbe là moi.
Ma voix fait irruption dans la pièce, arrachant un hoquet de stupeur au pauvre pirate pris entre le marteau de la terreur et l’enclume de l’angoisse. Et aussi sec, une main large comme une pelle s’insinue avec la délicatesse d’un forceps entre lui et l’chambrant de la porte, avant de le dégager d’un rapide mouvement du poignet. Et me v’là apparaître dans l’encadrure d’la porte, les extrémités toujours cachées par tout c’que l’ouverture à proportion humaine ne parvient à dévoiler.
Et ouais les mecs, vous croyez tout d’même pas qu’j’étais du genre à attendre sagement en bas qu’on m’appelle ? Sans dèc’ vous lisez pas les livres ? Nan, dans les moments comme celui là moi j’suis du genre à avoir autant d’patience qu’un môme sous acide et à emboiter l’pas en douce dès qu’on a l’dos tourné. Mais t’inquiètes pépère, tu t’feras pas tirer les oreilles par ton boss, tes copains d’en bas j’leur ai pas bouffé les os. Ils font juste dodo avec la grâce d’une serpillière passée sous essoreuse ; d’la mandale de précision et garantie avec moins d’mal de crâne qu’une bonne soirée d’gnole. Et puis, j’aime écouter aux portes furtiv’ment, connaître les réactions et casser le rythme des gens avant d’passer éventuell’ment à leurs rotules. Martial jusqu’au plus p’tit des poils de couille, la prise d’initiative est restée dans mes habitudes malgré les galons en moins.
Alors sans plus attendre et sans un son j’entre dans la pièce, laissant son occupant me jauger tout comme moi dans l’instant. Flits… ou Flist, j’sais jamais. L’type paye pas d’mine pour sûr, ni en taille ni en apparat. Mais bon, l’passé m’a bien appris qu’l’allure donne pas l’pouvoir si c’n’est sur les faibles ; et être le second du plus terrible Yonkou des océans ne s’fait pas sans une bonne présence et une sacrée faculté à rester en vie aux dépends des autres. Et ça j’peux l’voir sans mal dans ses yeux. Des yeux qui vous hisse en haut d'la chaîne alimentaire plus surement qu'une paire de crocs d'six pieds d'long. Ces putains d’yeux qui vous disent qu’un faux pas s’ra toujours synonyme du dernier.
Sauf que moi des faux pas j’en fais pas. Ou en tous cas j’compte plus en faire, quitte à d’voir remettre le monde sous ma botte à la force du verbe et du poing pour que l’chemin soit l’bon.
Mais il ne s’ra pas dit que j’viens là avec la guerre pour seule pensée. Enfin, pas plus que d’habitude. Et comme l’hostilité entre deux prédateurs n’a jamais empêché d’être poli, j’garde mes airs civilisés. Pas joueurs comme à l’accoutumé c’la dit ; faute au climat local ou au loustic, allez savoir. Non, juste poli… mais aussi ferme qu’une plaque de granit marin.
-Salut Flist. On a à parler tous les deux.
Comme tu vois, mon brave, je suis un petit peu occupé actuellement...
Flist lâcha ça entre un allé retour vers son bar, le temps de retomber dans son siège après avoir posé devant toi un petit verre d'un très bon whisky. Il t'invite de la main gantée à prendre place ou bon te semblera, gardant ses bonnes manières de gentleman sachant accueillir ses invités.
Même si ça me fait grand plaisir d'accueillir un homme de ta stature et réputation, ne manque-t-il pas d'ajouter en toute sincérité.
L'homme est pas tout à fait le genre à s'extasier sur les petits méfaits, mais tu as tellement fait les gros titres sur Grand Line qu'il t'avoue bien vite que tu as été un peu comme sa saga préférée dans le journal. Et puis, s'il est occupé comme il le dit (ce que tu entends parfaitement aux bruits que font les canons qui vomissent sur Jaya, les sabres qui transpercent les hommes l'étage en dessous et les fusils qui déchargent leur plomb un peu partout), il te glisse d'une voix mielleuse en sirotant son vice :
Entre génie du mal, je suis sûr qu'on trouvera de quoi parler et un peu de temps à se consacrer. Que me vaut ta visite ?
Mon « brave » ?! Putain mais il s’est cru où lui ? Y a que moi qu’y ai l’droit d’être outrageusement familier ici bordel ! Pour un peu j’en s’rais à commencer notre entrevue sur une mauvaise impression, qui entre fauves de notre genre se règle en général par du sang sur un peu toutes les parois d’la grotte et des touffes de poils humides accrochées aux buissons.
Sauf que l’gars use d’une arme qui bien malgré moi aura toujours son accroche sur un caractère indécrottable d’égocentrique patenté : la flatterie. Certes pas mielleuse, mais tout juste suffisante pour m’calmer et m’empêcher d’partir dans les extrêmes.
Et comme un cadeau, Flist m’offre à son tour c’qui peut être un d’ces plus beaux défauts. « Génie du mal » ?! Ça semble sonner si bien à ses oreilles, comme une qualité rare et ô combien valeureuse. T'aimes ça toi aussi hein ? Te sentir au dessus des autres, différent, meilleur ? J’te comprends l’ami, même si ça f’ra pas d’toi un pote pour autant.
J’prends le verre qu’il m’a laissé, et sans compassion pour son tapis le renverse d’une traite mais sans hostilité. Puis, sortie d’une de mes poches, ma flasque personnelle apparaît avant de verser dans le verre fin un breuvage du même type, liqueur des rois. Au moins il sait maintenant qu’j’suis pas du genre à boire c’que me tend un pirate sans once de méfiance, et que mon assurance apparente n’exclue pas une capacité à éloigner la faucheuse. Poli, oui ; parano, toujours. Et sur ce, je m’affale avec la nonchalance du félin dans un fauteuil confortable, avant de porter le breuvage à mes lèvres, non sans un salut du verre sincère.
Pour ce qui est du retour de flatterie par contre… Toji ne flatte que lui-même. Simple ligne de conduite.
Du coup, ne m’reste qu’à rentrer dans l’vif du sujet avec le tact d’un crochet d’bouch’rie.
-Je suis à la recherche d’une de vos Nakamas. Nazca Andarielle.
J’marque juste la pose pour laisser le temps à Flist de m’dévoiler quelques émotions à la pointe de ses moustaches, en vain.
-Et quelque chose me dit qu’en tant qu’second du Malvoulant tu pourrais m’renseigner.
Nazca ?
L'homme pousse un long soupir en jouant avec sa moustache entortillée. Rien qu'entendre ce nom semble lui donner de l'urticaire. Il lève les yeux au ciel en portant son verre à ses lèvres, et siffle ensuite à travers ses dents parfaitement rangées :
Qu'a encore fait cette abominable furie ?
Sans doute un truc mal. Comme toujours. Sans doute quelque chose qui va l'embarrasser grandement, comme à chaque fois. Il a l'impression de passer le balai derrière elle...
Elle est tout bonnement intenable, je ne comprends même pas pourquoi Teach la garde. Paraitrait qu'elle a les cheveux doux et qu'elle est « mignonne ». Mais si tu veux mon avis, elle est surtout pas tout à fait tranquille dans sa petite tête... L'homme marque une pause en portant à nouveau son verre à ses lèvres, avant de rajouter tout à fait naturellement, comme s'il faisait la conversation avec un vieil ami : Elle attire beaucoup plus d'ennuis d'autre chose, celle-là.
Mais sa mine morne se transforme rapidement lorsqu'il t'esquisse un grand sourire content. Posant son verre, il se redresse légèrement, comme un dandy fier, et te demande avec entrain :
Du coup... à la recherche ? Tu m'en débarrasserais si je te l'offrais sur un plateau ?
Il se frotte déjà les mains à cette idée. Un petit rire sort de sa gorge, comparable au cri d'une chouette, tandis que ses petits yeux brillent d'une malice résolument mauvaise :
Je prends la disparition propre et sans preuve comme le truc sale, ça ne me dérange pas.
En vain ? Ou pas.
Visiblement Flist a une dent contre les poupées d’porcelaine ; et se savoir sous le même étendard n’inquiète en rien le second du Malvoulant. Intéressant. Prend-il un risque en me livrant ainsi la petite protégée de son seigneur ? Peu probable, la notion de confiance entre hommes de notre style ne valant guère mieux que l’prix du rêve pour y croire. Ou alors est-ce un piège grossier ? Trop grossier alors… ou pas assez. Peut être juste que le coup d’pute et la sélection naturelle à tous prix sont des règles de vie implicites chez les hommes de Mannfred ; et que celui-ci fera peu de cas de la disparition de son jouet ?
Dans tous les cas cela fera mon affaire, piège ou pas peu m’en chaut. Une seule chose est sûre : Flist est de la trempe de ceux dont je me méfie ; et de ceux que l’on élimine à la première occasion. Un homme dangereux à côtoyer et encore plus à laisser en vie donc. Mais pour le moment, laissons ; le temps viendra où le destin le rattrapera. De ma main de celle de Mannfred ou d’un autre peu importe, Flist ne m’a pour le moment rien fait. Et si je crevais les enflures par principe, non seulement mon cercle de connaissance serait sérieusement amputé, mais le suicide serait à l’ordre du jour, croyez le.
-Tout dépend du plateau.
Avide mais pas crédule, je prends tout : emplacement, destination, moyen de transport et escorte, pouvoirs et habitudes… Puis je dévore goulûment les éléments, les digère et recrache les indigestes ou ceux jugés toxique pour faire des autres mon affaire. La bête a un appétit insatiable quand elle est en chasse ; et je ne compte pas la laisser s’échapper celle-là.
Dernière édition par Toji Arashibourei le Mar 28 Oct 2014 - 23:05, édité 1 fois
A dire vrai, je n'ai pas grand chose pour toi, souffle-t-il doucement en jouant avec la tranche de son verre en cristal. J'aimerais.
Il semble pensif, jouant toujours avec sa moustache avec l'air un peu détaché et ailleurs. Dehors, les coups de canon tonnent comme le tonnerre, on entend les hurlements des morts et des tueurs, sans que ça ne le fasse sourciller. C'est pour lui comme une jolie mélodie qui rythme son whisky du soir. Soupirant bruyamment, il reprend avec un petit sourire déçu :
Depuis ses dernières frasques au Trou, je n'ai guère de nouvelles d'elle, et ça m'arrange. Par contre... Elle est soit rentrée dans le jupe du Capitaine pour pleurnicher, soit partie se planquer dans un coin où elle ne craint rien. Un endroit avec des pirates. Mais ici, je l'aurais fait pendre sinon. Je pense qu'après ces échecs répétés, elle doit lécher ses blessures en attendant de se faire oublier : Teach tolère mal l'échec.
Sa risette se transforme en quelque chose d'immédiatement plus malsain, finalement. Ces nouvelles ont l'air de l'enchanter. Il espère assister à ce moment où Mannfred n'aura plus la patience d'attendre après elle. Et du coup, il poursuit un peu la conversation en te lançant quelques informations : sur son fruit de la porcelaine, les effets, son haki de l'empathie qu'elle maîtrise bien, ses petits airs de psychopathes, jusqu'à ses tenues ridicules. Décidément, Flist ne la porte pas dans son cœur, mais il passe très vite à autre chose :
Tu ne rechercherais pas un travail sur le long terme, par hasard ? Je connais quelqu'un qui serait très intéressé par un homme de ta trempe dans ses rangs...
Pas la peine d'en dire plus, le sous-entendu est assez gros pour être entendu par tout le monde.
Pas de localisation… Voilà qui est bien dommage en vérité. Dommage et… ô combien irritant. Dire que je suis venu ici pour ça. Un moment je rumine la nouvelle, tournant le goût amer de la déception dans ma bouche comme un mauvais vin. Et ni le délicieux breuvage avec lequel j’essaye tant bien que mal de ma laver les papilles, ni même les précieuses informations dont me gratifie mon hôte n’arriveront à en effacer complètement les traces. Mais bon… Sans aucune contrepartie ni prix, je devrais déjà m’estimer heureux non ? Non, pas pour un être aussi avide que moi. Bien qu’amer je prends donc mentalement note de tout dans un recoin de mon esprit, bien décidé à en extirper jusqu’à la plus infime essence lorsque je m’assiérai à la table des machinations et que j’aurais enfin tout le temps de me consacrer à cette chère Nazca.
Puis, tandis que mon esprit se perd à moitié dans des visions de futurs funestes, la voix de Flist qui me tire vers la surface par son intonation, manigance incarnée :
-Tu ne rechercherais pas un travail sur le long terme, par hasard ? Je connais quelqu'un qui serait très intéressé par un homme de ta trempe dans ses rangs...
Un moment le silence se répand sans le feutre de la pièce, faisant taire jusqu’au fracas des canons et de la mitraille. Puis…
-MWOUAHAHAHAH !
Un rire sincère et spontané, à vous en décrocher une mâchoire pourtant à même d’arrêter un boulet de canon et à vous arracher les tapiss’ries ! J’en renverse presque mon fauteuil tant j’en ai été pris de soubresauts !
Puis aussi sec je me reprends, me rappelant la politesse élémentaire face à un hôte de marque, qui jusque là s’est montré suffisamment courtois pour que je limite un minimum mes effusions. Je coupe donc ce rire guttural pour le confiner en un ricanement amusé, sifflant de ma carcasse comme d’une outre fuyante. J’en aurais presque les larmes aux yeux s’il ne m’en manquait pas un.
-Moi à la solde de Mannfred ? MOI à la solde de qui que ce soit ?!
Y a un temps pas si lointain je me serais épancher en imbécillités provocatrices, débordant d’une assurance aveugle à même de me faire croire que c’est Mannfred qui devrait être sous mon commandement. Mais non. Plus maintenant, plus devant Flist. J’ai changé et j’me rends compte aujourd’hui que je n’aurais alors guère valu mieux que ces jeunes têtards qui se pavanent et provoquent jusqu’à manger trop grosse mandale pour leur petit estomac. Et je n’suis plus de c’genre là ; je connais ma place désormais, même si je la sais haute.
Alors du coup, je me contente de répondre à Flist avec un sourire sincère, amusé mais qui ne se voudra pas insultant. Le pauvre ne mérite surement pas ça ; et l’idée a de quoi en flatter plus d’un au demeurant. Seulement, pas moi.
-Huhuhu, navré, mais je n’pense pas que ce s'rait judicieux.
Aux « ordres » de Mannfred je finirais probablement par te tuer toi, pour ensuite aller lui sauter à la gorge juste avant que lui ne se décide à l’faire. Et j’ai bien mieux à faire en ce moment que d’aller jouer à ça, du moins avec lui.
Je marque une pose, jouant avec l’idée, m’en amusant un court instant avant d’écarter cette idée folle.
-Non vraiment, je n’pense pas qu’ce s’rait une bonne idée, huhuhu.
Finissant mon verre d’un ultime trait, je semble alors me rendre compte du temps qui défile et du chaos dans lequel j’ai tant à faire. Rester ici ne m’apporterait rien de plus, j’ai eu le plus d’information que je pouvais sur Nazca ; et je ne pense pas que briser les os de ce cher Flist m’en apporterait d’avantage. Alors il est sans doute temps d’écourter notre entretient avant que de nouvelles propositions fusent et que l’une d’elle ne dépare sur un terrain où l’un de nous pourrait perdre pied. Ou tête en l’occurrence. Je préfère garder cette opportunité pour une prochaine rencontre, qui je l’espère saura tout aussi riche que celle-ci. Car pour le moment, j’ai d’autres impératifs en tête que de manipuler ou de comploter dans le dos de Teach, non pas que l’idée en elle-même soit déplaisante, bien au contraire. Seulement voilà, il y a un temps pour tout : Nazca d’abord, ce qui en découlera et ce qu’on pourra en faire ensuite.
Et puis Flist a sans doute encore beaucoup de chose à faire ; et diligent comme il l’a été il serait malvenu de ma part de nous faire perdre plus de temps à tous deux. Quoiqu’en l’occurrence le sien j’ai en rien à foutre à vrai dire, c’est surtout le miens qui importe. Mais bon.
-Bon, sur ce, il n’est de mauvaise compagnie qui n’se quitte.
Je me lève donc d’un bloc, avant de fouiller dans ma poche pour en extraire deux magnifiques cigares estampillés SW. L’un fin et serré tel un stylé, que je pose alors avec délicatesse sur la table, proche du verre vide ; l’autre épais et surchargé de saveur, que j’me plante brutal’ment dans un coin des lèvres avant de marmonner sur un salut :
-Four les infos et la propochichion. Au plaichir de che refoir Flist.
J’offre pas beaucoup d’cigares, et encore moins accompagnés d’politesses vous not'rez.
Houhouhou...
Flist a ce petit rire, mais ne cache pas sa déception. Il aurait apprécié un homme comme toi dans ses rangs, même si les tentatives de meurtres restaient à désirer. En soi, rien de spécialement anormal dans un équipage de la trempe du Malvoulant. L'estime et le respect n'y sont pas des qualités exigés sur le CV, et Flist n'en est pas pourvu de toute façon. En même temps que tu lui tends ton cigare, le denden sur la table à côté de son fauteuil se met à vibrer. Il te renvoie un petit sourire en attrapant ce que tu lui offres, et te salue de la main :
Je ne te raccompagne pas, je dois prendre cet appel.
Il attend néanmoins que tu quittes la pièce pour se relever et décrocher l'escargophone. Se rapprochant de la fenêtre pour regarder en bas, et admirer sa plus belle œuvre, la voix d'une jeune femme tonne à l'autre bout et semble soucieuse :
Sir...
Jess.
Il y a un problème.
Soupirant en jouant de son crochet sur la vitre pour faire un son particulièrement désagréable, il reprend :
A croire que c'est tout ce que vous savez dire par ici...
Les deux marines ne veulent pas se laisser tuer...
Et qu'est-ce que ça peut bien me faire ? Depuis quand on demande permission, Jess ?
J'en sais rien, mais ils vont s'enfuir à un moment si ça continue comme ça...
Jess, je t'ai chargé d'une chose ! Une seule chose ! Une mission pour avoir ce que tu veux ! Et tu n'es pas fichue d'en venir à bout ?
Mais qu'est-ce que j'y peux, moi ?! La gothique arrête pas de rouler et de vomir, elle évite toutes mes balles en faisant ça ! Et l'autre, là, il fait trempette dans son propre sang sans en mourir ! J'en ai marre !
Et depuis quand tes états d'âmes m'intéressent ? J'ai compris ! Si on veut que quelque chose soit fait, faut s'en charger soi-même ! On peut pas s'amuser tranquille à jouer les marionnettistes diaboliques ! Faut toujours que je me salisse les mains ! Est-ce que tu sais que je me suis offert cette nouvelle tenue hier ? Et est-ce que tu sais que ça m'agace prodigieusement de risquer de la salir ou l’abîmer ?
Oui, sir...
T'as intérêt à m'en trouver une qui me va aussi bien s'il lui arrive quelque chose...
D'accord, sir... Vous arrivez, donc ?
Oui. Mais avant, je dois aller motiver les hommes qui vont prendre les terres de l'autre catin des neiges...
Bien, je vous attends.
Tsss...
L'homme raccroche en serrant les dents.
Et la seconde d'après, un courant d'air se fait sentir dans les couloirs.
Étrange entretient, vraiment. Tout s’est passé au poil ou presque, j’suis bien obligé d’l’admettre. Car niveau bilan voyons voir : j’me tire de là avec une bonne part des infos que j’étais v’nu chercher, un pseudo-allié de taille pour ma p’tite vendetta envers la poupée dans la poche, et l’tout sans l’moindre accroc ni l’moindre bouton d’la chemise de défait. Nan, décidément, j’aurais pas à jouer d’la couture, qu’ce soit pour d’la reprise ou pour mes écailles.Ça s’est bien passé quoi…
Presque trop.
Je piétine sans un regard les corps toujours inconscients qui jonchent le rez-de-chaussée ; et me v’là dehors, libre de toute pression et d’agir où et comment bon m’semble. Et cette idée qui n’voudra pas m’lâcher d’ci tôt…
Mais que voulez vous… J’saurais trop dire pourquoi… mais j’ai cette sale envie d’lui foutre une méchante mandale qui veut pas s’décoller d’ma caboche et qui y tourne et s’retourne sans cesse. L’a pourtant été sympa comme tout. Poli le mec, arrangeant qui plus est. Puis l’m’a rien fait faut bien avouer ; c’est Nazca que j’veux et il m’en a même offert sa bénédiction. Alors quoi ? J’aurai préféré lui arraché sa loyauté à la force de la hargne et sous le crissement d’ses vertèbres malmenées ? Possible ouais… probable même. Ça m’aurait fait plaisir j’dois l’reconnaître. Non pas que j’l’aime pas, au contraire, mais là n’est pas la question. Nan… juste que, lorsque deux prédateurs comme nous se rencontrent… c’est dans leur nature sauvage, profonde, que d’se sauter à la gorge. L’instinct qui vous hurle ça sans l’creux du subconscient et dans l’palpitant.
Bordel Toji, ressaisis-toi. Heureusement qu’t’es plus comme ça. L’instinct j’l’entends, mais j’l’écoute pas forcement. Et j’ai appris à plus souvent faire passer la raison avant l’plaisir. Sans ça j’peux vous certifier que j’serais d’jà en train d’remonter quatre à quatre les marches de sa bicoque afin d’lui imprimer mon bon souv’nir dans l’coin d’la gueule ! Juste comme ça, pour mémoire.
Mais non, plus maintenant.
J’suis sympa maintenant, cordial, urbain même.
Bon c’la dit, j’ai toujours cette furieuse envie d’réduire en poussière les os du premier corniaud à être assez malchanceux pour m’tomber dans les pattes. Entre l’lapin, Arturo, Rachou, les zouaves et Mister Flist… c’est pas les occasions qui m'ont manqué d’voir monter la pression. Alors pour c’qui est des émanassions sanguinaires qui pulsent en vagues régulières autour d’ma personne, j’peux vous dire que là dans l’instant j’me pose bien comme il faut.
Reste à savoir sur qui j’vais tomber, au grès du hasard bien sûr huhuhu…A moins…
A moins que je n’fasse d’une pierre deux coups. Quitte à mandaler d’la victime, autant qu’ça m’rapporte un minimum. Et si Tarticher d’la marine me rapportera pas un kopeck en dehors d’un peu plus de rancœur chez les corvidés et les mouettes, y devrait bien y avoir quelques flibustiers qui feront mes affaires. Si dans tous c’bordel y a pas moyen d’tirer profit d’la situation, j’m’appelle pas Arashibourei nom d’une bitte d’amarrage en mousse !
Mon esprit s’oriente alors lentement entre deux bouffées de cigare vers l’image de la sorcière des glaces, qui m’apparait en posture plus que précaire à c’que j’ai pu l’comprendre. L’idée à d’quoi séduire assurément, huhuhu. J’la sens déjà m’plaire de plus en plus.
Reste à savoir si le loup frappera à la gorge l’agneau blessé, ou pas.
Fredonnant entre deux rangées de dents une marche militaire sur un ton décidément bien inquiétant, me voilà donc me mettant en marche dans les rues de Jaya, pas encore bien décidé sur la suite des événements mais ô combien certain de l’atmosphère dans laquelle ça s’pass’ra.... Une atmosphère poisseuse à n’en pas douter.