Le ponton claque sur le quai dans un fracas assourdissant. Quelques téméraires descendent d’un pas maladroit du navire, sous le regard inquisiteur des insulaires. Ils ne sont clairement pas les bienvenus en ces lieux. Dans les yeux des habitants de Zaun, on peut lire une lueur d’arrogance et de mépris. Ces nouveaux arrivants sont au niveau le plus bas de l’échelle sociale de l’île. Ici, on ne grimpe les échelons qu’en faisant preuve de talent, de force ou d’intelligence. Chacun son domaine de prédilection, aucun jugement sur la nature de l’activité, mais une seule règle : il faut être le meilleur. C’est pour cela que les nouveaux arrivants sont tous, sans distinction, au niveau zéro. Personne ne prête attention à la réputation, à la renommée ou aux titres gagnés en dehors de l’île. Pour se faire une place en haut, il faut attraper celui qui y est déjà par la cheville, le faire tomber et prendre sa place.
Un groupe armé accueille les visiteurs et les parque dans un coin. L’île est régulièrement la cible de gens mal intentionnés désirant profiter du haut niveau de la population pour ses propres fins. Mais Zaun est une des seules îles des Blues à être totalement indépendante, n’étant rattachée ni au gouvernement ni à aucun groupuscule. C’est pourquoi les intrus sont étroitement surveillés. Ceux n’ayant aucun talent particulier pouvant profiter à l’île sont immédiatement renvoyés d’où ils viennent. Un homme plutôt imposant marche lentement devant les visiteurs placés en ligne. On se croirait à l’armée. Il observe chaque nouveau venu de haut en bas et lui demande sa spécialité.
-Dessinateur !
-Ouvreur d’huître !
-Médecin !
-Danseuse de claquettes !
Vient finalement le tour de Barracuda. Il hésite. En quoi pourrait-il prétendre être le meilleur ? Esclavagiste ? Botteur de cul ? Kidnappeur ? Il ne pouvait décemment pas dire un truc pareil, il se verrait refouler immédiatement.
-Combattant !
-Peuh… Encore un… Tous les glandus des 7 mers prétendent être le meilleur combattant. Va avec le groupe au fond là-bas. Ce sont tous les imbéciles qui se croient forts comme toi.
Barracuda souffle et va rejoindre les autres. Il sent une pointe d’humiliation poindre en lui en constatant que les gens de ce groupe sont tous des brutes épaisses sans cerveau. Certains ont déjà commencé à se battre pour une histoire de regard ou de comportement déplacé. L’esclavagiste refuse de se mêler à ce troupeau de bœufs et va s’asseoir dans un coin en attendant la suite. Alors qu’il est sur le point de s’endormir, il est réveillé par une semelle ayant décidé de venir s’écraser sur sa joue à grande vitesse. Henry fait plusieurs tours sur lui-même, roulant dans la poussière avant de s’immobiliser face contre terre. D’un geste vif, il redresse la tête et regarde l’homme qui vient de le frapper. Grand, très massif, il semble plus large que haut et son sourire arrogant occupe plus de la moitié de son visage. Il a de tous petits yeux qui le fixent d’un regard mauvais. Il n’en a pas conscience, mais il est déjà mort.
L’esclavagiste pousse sur ses bras et se relève d’un coup avant de charger face à l’immonde boule de graisse ! Il est absolument hors de lui, en proie à un de ses colères noires dévastatrices. L’autre ne s’attendait pas à une telle vivacité de la part du colosse et n’a pas le temps d’esquiver la charge. Henry plonge en avant, bras écarté et fauche littéralement son agresseur qui tombe à la renverse. Autour d’eux, les hommes font un cercle et se mette à hurler de joie devant le spectacle. Les paris commencent à flamber. Personne ne tente de les arrêter, un combat clandestin faisant office de présélection naturelle. Morgan parvient à se hisser à califourchon sur le torse du gros porc et commence à le frapper en plein visage. Son poing de fer s’abat sur le visage bouffi duquel tout sourire à disparu. Le poing de chair prend la relève avant de céder à nouveau la place au poing de fer. Très vite, la côte de l’obèse diminue jusqu’à disparaître. Les poings maculés de sang d’Henry continuent de frapper, encore et encore, mais il n’y a plus de répondant. Ce n’est qu’après quelques minutes qu’Henry retrouve ses esprits. Le visage face à lui ferait pâlir de jalousie une bouillabaisse.
Il se relève sous le regard ébahit des autres prétendants au titre. Son visage et sa barbe sont mouchetés de rouge. Dans son regard, une lueur de folie brille encore.
-C’est qui l’suivant ?
La plupart des prétendants reculent d’un pas. L’homme au sol au visage éclaté en avait déjà vaincu beaucoup parmi eux. Ils ne veulent pas se frotter à celui qui vient de le vaincre. Tant pis, ils essaieront d’entrer sur Zaun une prochaine fois, une fois où la concurrence sera moins forte. Toutefois, trois hommes se dressent encore, droit comme des I. Ils ne semblent pas particulièrement impressionnés par la démonstration de barbarisme dont ils viennent d’être témoin. Le premier porte une armure grise sur tout le corps. Le second semble être un utilisateur d’arts martiaux. Il est entièrement torse nu, exhibant fièrement ses muscles qui semblent avoir été taillés dans la roche. Ses poings sont recouverts de bandages. Le troisième enfin est du calibre de Barracuda, un gros colosse dont le biceps fait le diamètre d’un torse moyen.
Le chef des dockers a observé la scène avec un sourire. Il adore la violence, ça se voit. Pour éviter les incidents fâcheux, tous les combattants se sont fait encercler par une milice et sont maintenant braqués par des dizaines de fusils.
-Plus que vous quatre ? Bien, les autres remontez dans vos navires respectifs et barrez-vous. Vous quatre, vous pouvez entrer sur Zaun. Reste à savoir si ce sera par la grande porte ou en rampant comme des larves. On a toujours besoin de larbins ici.
-Hey, minute ! J’viens pas pour habiter ici, hein ! J’suis de passage !
-Peu importe, les lâches ne peuvent pas entrer. Toi ! Contre toi ! Et toi ! Contre toi !
Ces combats n’ont en effet d’aucune utilité, les gens de passage n’ayant aucun rang dans la société de Zaun. Mais le chef des dockers est violent de nature et la vue du crâne défoncé et du sang sur le visage d’Henry lui a donné envie d’en voir plus. L’esclavagiste se retrouve face à l’homme en armure. Ce dernier brandit une épée batarde dans sa main droite et une énorme hache dans la gauche. Ridicule… Comment peut-il espérer toucher sa cible avec des armes aussi lourdes ? L’esquiver va être un jeu d’enfant. Enfin c’est ce que pense Barracuda mais le chevalier fonce vers lui à grande vitesse en moulinant de sa hache sans difficulté apparente. Ne voulant pas parer un tel coup avec sa prothèse, il plie les genoux et se laisse tomber en arrière. La hache lui passe juste au dessus du nez. Lorsque son adversaire passe au dessus de lui, trébuchant presque, déstabilisé par le mouvement inattendu, Henry frappe un bon coup en plein dans son ventre. Mais l’armure encaisse tout.
-Pfeuh ! Il va falloir trouver mieux que ça !
-J’ai déjà gagné.
Irrité par cette provocation minable, l’homme en armure charge à nouveau, mais avec ses deux armes cette fois-ci, ne voulant pas laisser son adversaire l’esquiver à nouveau. Mais Henry est habitué aux hommes arrogants et trop sûrs de leur force. Depuis qu’il a rejoint Carcinomia, il passe ses journées à s’entraîner au combat avec Red Foster, le chef du réseau d’esclavagiste. Alors ce n’est pas un clown dans une boîte de conserve qui va lui faire peur. Henry saute et effectue une vrille sur lui-même. Son pied frappe le poignet droit tenant l’épée. Le chevalier frappe alors sa propre hache avec son épée. Profitant des quelques secondes de désorientation, Henry court vers l’homme et glisse sa main entre les deux lames de l’armure. Grâce au coup donné précédemment, une lame est enfoncée et il peut y glisser ses doigts. Il referme alors sa prise et soulève son adversaire, le retourne et l’écrase par terre. L’homme lâche ses armes sous la violence du choc. Henry utilise ses deux mains pour affermir sa prise, le soulève à nouveau et l’écrase encore. Encore. Et encore. Le heaume est tout défoncé, complètement aplati par les chocs répétés. Du sang s’écoule par les interstices prévus pour les yeux et pour le nez. Les membres pendant lamentablement, comme ceux d’une poupée de chiffon. C’est fini. Il était ridicule de vouloir combattre en s’alourdissant volontairement et en offrant des prises à l’adversaire. Henry finit par le lâcher et part d’un grand rire en voyant que le vaincu tient en équilibre, sur sa tête et son épaule gauche.
A sa gauche, l’autre combat prend fin également. Le catcheur finit son vol plané après s’être pris un majestueux coup de pieds sautés en plein dans les dents de devant. L’artiste martial est le vainqueur. Ce dernier n’a pas tué son adversaire. Ce n’est aucunement obligatoire. Cette fois, cela risque d’être plus ardu, bien que plus mince et plus léger, cet homme est rapide et précis. Le docker fait un signe de la main impatient. Mais personne n’attaque. Henry observe le jeune homme. Pas plus de vingt-cinq ans, il a l’avantage de la jeunesse tandis que lui a celui de l’expérience. Ca fait trente ans qu’il botte des culs, le Barracuda. Il n’a pas l’intention de laisser un petit jeune lui poser des problèmes. D’un doigt, il fait signe au combattant d’attendre et se dirige vers son sac, laissé sur le côté, sous le regard curieux des spectateurs. Il ouvre la fermeture éclair et décroche son poing de métal dans un bruit de succion, provoquant quelques réactions d’écœurement. Il pose son poing au fond du sac et sort une lame qu’il enclenche à la place. Puis, il revient à l’intérieur de l’arène improvisée.
D’un geste du menton, il fait signe qu’il est prêt. Sans rien faire, Henry vient de gagner un point sur le plan psychologique. Le simple fait de posséder une lame à la place de la main impressionne, même si l’autre n’en montre rien. Le jeune court vers Henry sans prévenir, saute en l’air et tend sa jambe. Il utilise la même technique que pour son précédent adversaire. Mauvaise idée. Barracuda est un crétin fini, sauf en ce qui concerne l’art de se battre. Là, il peut faire preuve de génie. Il se recule pour prendre de l’élan et, à la surprise générale, donne un violent coup de boule dans le pied du karatéka. Totalement inattendu. En frappant avec son front avec une force égale à celle du coup du pied, non seulement il évite un coup au niveau di visage, mais en plus, il s’assure d’affaiblir un des appuis de sa nouvelle proie. C’est très douloureux, pour les deux. Henry à la vision brouillée pendant quelques secondes, mais le jeune ne peut presque plus utiliser son pied droit. Il reporte son poids sur la gauche en pestant.
Barracuda ne lui laisse pas le temps de réagir et charge. Il se décale légèrement de façon à le frapper au niveau de son pied affaibli. Il sait que son attaque est grossière et prévisible. Il va se faire esquiver sans le moindre doute. C’est pourquoi il tient sa lame prête. Au moment de l’impact, le jeune homme saute sur le côté, utilisant son pied encore utilisable. La lame lui ouvre alors le flanc, lui arrachant un cri de douleur. C’est une entaille superficielle, mais le sang coule abondamment. Il n’a pas suffisamment de graisse pour encaisser ce genre de coups. Le pied droit probablement cassé, le flan gauche tailladé, il préfère jeter l’éponge. Il n’a plus aucune chance à présent. Henry lui fait un clin d’œil et se tourne vers le docker. Il est fort mais manque de technique.
-C’est bon, j’peux y aller maintenant ?
-Ouaip. Allez devant la grande porte là-bas, on vous ouvrira.
Dernière édition par Henry Morgan le Mer 29 Oct 2014 - 23:25, édité 1 fois