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Pyromancie


C’était un début de soirée tranquille, et on ne peut plus normal pour tout l’équipage. Nous n’étions qu’un mois après les évènements qui avaient eu lieu à Panpeeter, et que Dogaku avait décidé, au moins temporairement, de rejoindre la Santagricole.

Ce jour là, le jeune homme paressait seul sur le pont du Meggido, le navire du distributeur commercial de la Santagricole sur Inu Town, en compagnie de quelques autres marins en poste. Les hommes et le bâtiment commercial étaient tous en la possession de l’armateur ; Dogaku en était le capitaine temporaire, le temps de la tractation, et en profitait pour décrocher des contrats à l’occasion. Il avait prit sur lui d’essayer de tirer la Santagricole vers le haut, et, bien loin de se contenter de livrer les biens, avait décidé de s’improviser commercial pour convaincre leurs clients de renouveler leurs affaires avec l’entreprise du héros de Panpeeter.

En cette heure tardive, la majorité de l'équipage se partageait entre le port, ses restaurants, ses tavernes, et la salle à manger du Meggido pour les plus casaniers. Pour les plus aventureux, au contraire, la ville portuaire offrait un grand nombre d'opportunités. Pour se divertir, très certainement. Mais pas seulement.

Car pour ceux qui savaient où regarder, pour ceux qui avaient du flair, cette ville recelait d’opportunités.

Or, le navire comportait bel et bien une personne de ce genre.

C’était une petite fille.

C’était…

-Eh, Sigurd! Regarde ce que j'ai trouvé! Un cadeau pour Eva qu'elle va adorer! Et même qu'il est vraiment trop bien! Vrouh, vrouh!

Il n'en croyait pas ses yeux. En fait, il secoua énergiquement la tête de gauche à droite, comme pour se remettre les idées en place, tant ce qu'il voyait lui semblait aberrant. Il y avait Kahlia, et il y avait ce geyser de flammes qui poussait haut dans les airs, sur peut être bien cinq mètres de hauteur. Un artifice qui avait lieu juste au dessus d’elle, et qu’elle contemplait en riant aux éclats. Rien que la voir jouer à ça lui soulevait le coeur, et il se précipita vers elle pour la mettre hors de danger.

-Ohputaaaakeskecestquessa? Kahlia, reviens! C'est dangereux, et... bordel c'est quoooiii ce truc?
-Bah de la magie, comme Eva. T'es malin, toi. Et maintenant, moi aussi, chuis une sorcière! Vrooooouuuuuuuh!
-Tu descends tout de suite, maintenant!

Sigurd ne comprenait plus rien. Dieu seul savait comment elle s'y était prise, mais la petite Kahlia, sept ans tous mouillés et dotée d'une tragique expérience de la rue, venait d'obtenir un dial. Peu importe où ça, peut importe comment ; pour le moment, il avait surtout peur que quelque chose ne lui arrive. Une enfant avec un lance flamme pouvait être bien plus dangereuse qu’un tueur armé d’un revolver. Déjà, trois autres marins s'étaient joints à lui pour la rattraper, au cas où le pire arriverait. Pourtant, là haut, la petite s'amusait comme une folle. Et elle entendait bien faire en sorte de continuer.

Sigurd lâcha un long cri en voyant un souffle de flammes pousser dans sa direction. De même que lui, plusieurs hommes reculèrent prestement, face au rideau de flammes qui rongeait désormais le quai rocailleux et ses dalles de pierres.

-Peuh! T'es même pas cap de m'attraper!
-Nan mais je suis pas en train de... hurmf... aaaah tu crois ça? Regarde ce que peut faire un VRAI marin, alors!

Ni une, ni deux, Dogaku enjamba un tas de caisses, attrapa le cordage, et commença à se hisser sur la mâture d’un navire adjacent en faisant preuve d'une agilité saisissante. En passant par les seules hauteurs, il parvint à contourner les flammes qui lui coupaient la route. La fillette accueillit son escalade en riant aux éclats, et esquiva sa manoeuvre en s'éloignant un peu plus des cordages. Pour faire bonne mesure, la petite déversa quelques flammes à son emplacement précédent, pour lui barrer complètement le passage.

Dix secondes plus tard, Sigurd, maintenant reconverti en homme araignée, resta suspendu au dessus du vide sans trop savoir que faire. Sans autre cordage pour continuer sa progression, il était coincé. Impossible de l'atteindre.

-Hurrrrrmf.
-Tu m'attraperas pas, tu m'attraperas paaas ♪ !
-Grrrrmph. T'as intérêt à revenir tout de suite si tu veux pas être privée de dessert jusqu'à la fin de tes jours.
-Même pas cap'!
-Ooooh que si. Tu veux voir?
-Hihihihaha!

Et voilà. C'était ça, se lamenta-t-il. Le problème avec l'étiquette de gentil bouffon qui lui collait à la peau, c'était que personne, et en particulier les fillettes de sept ans, ne le prenait au sérieux.

-Allez, vas-y, j'te laisse une chance. Viens!

Kahlia agita son coquillage, et en dégagea des nuages de flammèches qui se diffusaient comme l'aurait fait de la fumée de cendres. Pour toute réponse, Sigurd dénoua quelques cordes, vérifia que leurs mailles correspondaient bien à ce qu’il espérait, et s’apprêta à s’en servir comme d’une liane, pour se balancer d’un seul coup au dessus des flammes jusqu’à la fillette. Une manœuvre dangereuse, qu’il préféra ne pas employer tout de suite.

-T’es sûre que tu veux pas arrêter ça ? Et puis d’où il sort, ce truc ?
-J'l'ai trouvé, il est à moi d'abord!
-Trouvé. Ça veut dire quoi ça, volé?
-Meuh nan!
-Chuis une sorcière, moi aussi ! J’ai des pouvoirs !
-Kahlia. Pose ce truc. C’est dangereux.
-Pfeuh ! Non non non ! Chuis une sorcière et je lance du feu, comme Eva !
-Tu parles d’un exemple à donner aux gamins. Nan mais vraiment, je plaisante pas, pose ce…

Sigurd lâcha un bref glapissement aigu en voyant le satané coquillage vomir des trombes de flammes dans sa direction. Le blondinet se recroquevilla précipitamment, ce qui ne lui servit en rien à éviter de très loin l’impressionnant amas rougeoyant qui s’épancha dans les airs.

-Si tu n’arrêtes pas, je vais… euh… le dire à Santa !
-M’en fiche, de Santa !
-Mais c’est le Père Nowel !
-Il veut pas me faire plein de cadeaux ni me prendre sur ses genoux. L’est nul !
-Tu lui as demandé, au moins ?
-…
-Aaah. Eh bah il faut lui demander. Moi chuis sûr que si je le faisais, il accepterait.
-…
-Tu n’oses pas lui demander ?
-…
-Rhahaha. Mwarharharh. Depuis quand t’es toute timide, toi ?
-Beuh, chuis pas timide, d’abord !

Penaude, gênée, Kahlia baissa sa garde. Et c’était précisément l’instant que Sigurd attendait. Assuré qu’il ne serait pas intercepté par une gangue de flammes, le marin s’élança dans les airs et brava la gravité du bout de sa corde. Décrivant un large arc de cercle dans le vide, Dogaku bascula bien au dessus des flammes, arriva jusqu’à la petite…

-Ooooooh !
-Bwaaaaaaah!

Et continua sa course bien au-delà d’elle, sur plusieurs mètres, pour finalement atterrir en pleine mer dans un claquement d’eau mémorable.

*
*     *
*

-Erf. Saleté.

Une heure plus tard, le mal était maîtrisé. Kahlia avait été reconduite au navire pour y prendre son souper, délestée de ses coquillages maudits, qui étaient maintenant entre les bonnes mains du capitaine du navire. Sigurd Dogaku. Autour de lui se tenaient les quelques officiers supérieurs du navire marchand, qu’il avait fait venir pour tenir un petit conciliabule en urgence.

La situation n’avait rien de dangereuse, mais il y avait de quoi s’inquiéter. Il s’était renseigné sur ce qu’étaient de tels coquillages, depuis le temps. Et n’avait pratiquement rien appris, si ce n’est leurs noms. Des dials. Il ne doutait pas que ces mystérieux objets livreraient bientôt leurs secrets, pourtant : sa plus proche amie en avait récemment acquis deux exemplaires, et éprouvait une attirance particulièrement inquiétante envers ces petites choses.

Un penchant déraisonnable qu’il ne voulait en aucun cas encourager.

-Et surtout, permettez moi d’insister, mais personne ne dit absolument rien à Haylor.
-Pourquoi ça?
-Parce que si elle apprend qu'on ne lui a pas donné un de ces coquillages alors qu'on l'avait, elle va tous nous tuer.
-Par nous, c'est juste vous, non?, signala un officier.
-'Xactement. Parce que ça déconne pas. Elle devient vraiment folle, avec ces trucs, et c'est carrément flippant. Pis ça donne de sales idées aux enfants, visiblement.
-Rends le moi! J'veux faire la sorcière!
-Qu'est ce que je disais, hein. Kahlia, t’es pas censée être au lit  à cette heure?
-Mé euh !
-Booon. Plan B, dans ce cas. T’es pas fatiguée ?
-Pas du tout !
-Bon. Dans ce cas, tant mieux. Parce que plus vite on sera débarrassés de ces trucs, et mieux ce sera.
-Hein ?
-Tu les as trouvés, ou volés, ces trucs ?
-…
-Je crois que je connais la réponse. Et je crois surtout que quoi qu’il en soit, il faut les rendre. Et c’est là que tu rentres en jeu. Parce que tout seul, j’vais jamais pouvoir savoir d’où ils viennent. Mais toi…

*
*     *
*

-Alors, d’oùssqu’ils viennent ?

Malgré l’heure tardive et la nuit tombante, Sigurd tirait littéralement la petite Kahlia derrière lui. Même maintenant qu’il avait confisqué les lances flammes et attrapé fermement le poignet de la fillette, il la savait tout à fait capable de se dérober pour disparaître avec les objets de son larcin. Et c’était mal, en plus d’être dangereux.

-Ayeuh ! J’vais l’dire à Santa !
-Si je lui dis que tu voles des coquillages magiques aux gens, t’inquiètes pas que c’est pas moi qui va prendre le plus cher.
-Si j’lui dis que t’es méchant avec moi, t’auras pas de cadeau à Nowel !
-…
-…
-…
-Bah quoi ? Santa c’est bien le Père Nowel, nan ?
-…
-Quoi, c’est pas le cas ?
-Euh… nan, rien. Correct, t’as raison. Je crois. Sûrement.

Il avait beau râler, il pouvait bien être de très mauvaise humeur, mais jamais, même au plus noir de lui-même, Dogaku n’aurait l’audace de détruire le rêve d’une enfant. Kahlia croyait au père Nowel, et bien soit : ça ne serait très certainement pas lui qui dirait le contraire. Canaliser les mauvaises habitudes d’une petite fille était une chose, et il pouvait très bien le faire sans être sa mère, ni même un tuteur. Mais lui expliquer quelles étaient les dures réalités de la vie ? Oh grand dieu, jamais il n’endosserait cette responsabilité !

-Mais par contre, si tu ne me guides pas gentiment jusqu’aux monsieurs à qui tu as chipé ces trucs, ça va vraiment pas le faire. Imagine comme ils doivent être tristes, maintenant qu’ils ont perdu leurs jouets ? Tu ne te sens pas mal, quand tu perds tes jouets ?
-Non.
-Ah ? Vraiment.
-Bah j’aimerais bien, mais je n’ai jamais eu de jouet. Ca fait quoi, un jouet, ça couine ?

C’était une enfant de neuf ans, rapidement passée de sa maison à un orphelinat misérable, où son éducation avait été faite dans la rue.  Au cours de son existence, Kahlia avait été tour à tour serveuse, écuyère, chapardeuse, messagère, petite main et bien d’autres, pourvu qu’elle puisse survivre.

Un récit qu’elle leur avait raconté avec une incroyable bonne humeur, et que Sigurd avait écouté en ayant l’impression de se noyer dans ses larmes. Ca n’avait pas coulé, mais les trémolos de sa voix en avaient attesté.

L’entendre dire qu’elle n’avait jamais eu de jouet était pratiquement… normal, à ce train là.

-Dis, dis, Sigurd ! Ca fait quoi, aux gens, quand ils perdent leurs jouets ? C’est grave ?
-Quand les gens perdent leurs jouets… euh… ils sont tristes, ouais.
-Tristes comment ?
-Baaah… triste triste ?
-Ils pleurent ?
-Ha. Pas vraiment, non. Mais ils sont déçus. C’est comme… euh… exemple, exemple… imagine Haylor, tiens. T’as vu comme elle est folle de ses coquillages ?
-Oui… et ?
-Imagine comment elle serait si on lui volait ces trucs. Elle serait comment ?
-Elle hurlerait sur tout le monde en leur envoyant des boules de feu. Et c’est comme ça que les gens sont quand ils sont tristes ?, s’inquiéta la petite en écarquillant les yeux.
-… erh. Mauvais exemple. Imagine plutôt… euh…
-J’t’ai eu !
-Eh ?
-Bah j’ai eu des jouets quand j’étais petite. Bien sûr. T’es bête, toi. Comme si on pouvait ne pas avoir de jouet. Même les chats, ils ont des jouets ! Et même que c’est des pelotes de laines !
-Aw. Sale gosse.

*
*     *
*

Après une vingtaine de minutes à parcourir l’obscurité, ils arrivèrent à leur destination. C’était un large entrepôt placé au plein cœur de la ville, non loin d’un vaste bâtiment qui faisait vraisemblablement office de halles marchandes. Vu l’heure nocturne, les rues étaient désertes. Et pourtant, des hommes s’activaient déjà à déplacer, entreposer des marchandises en tous genre dans l’entrepôt. Ca n’avait rien de surprenant : de la même manière que le jour était consacré au commerce avec la clientèle, c’était la nuit, à des heures incroyablement matinales, que les marchands avaient à faire avec leurs fournisseurs. En l’occurrence, ils étaient vraisemblablement en train de refaire les stocks de tout l’entrepôt, et Sigurd n’aurait pas regardé beaucoup plus loin que ça si les circonstances avaient été différentes.

Mais il y avait plusieurs détails qui l’intriguaient.

Tout d’abord, l’absence presque complète de toute source de lumière. Que les rues de la ville ne soient pas éclairées était une chose ; mais voir des travailleurs habilités à œuvrer pour un groupement économique se priver d’un confort pareil le dérangeait. La misérable petite loupiotte que lui-même transportait dégageait à elle seule plus de lumière que les outils des dockers. Sans surprise, on repéra bien vite leur arrivée. Quatre gorilles étonnamment bien armés se chargèrent de les intercepter poliment, pour leur expliquer diligemment qu’il s’agissait d’opérations de manutention de haute sécurité, et que les intrus n’étaient pas autorisés dans le périmètre de l’entrepôt pour les quatre heures à venir. Dociles, les deux autres se laissèrent reconduire à l’écart. On avait été correct avec eux ; on ne les avait pas maltraités, ni même menacés. Ils avaient été fermes, voilà tout.

Et pourtant…

Dogaku n’avait pas pu s’empêcher de remarquer un détail particulièrement inquiétant. L’une des dagues que portait l’un des gardiens portait un blason aisément distinguable. C’était de l’héraldique. Et c’était…

-Sigurd, Sigurd ! C’est les deux oiseaux avec les deux T sur le bouclier !
-Ouais.
-C’est la famille Tempiesta !
-Ouais.
-…
-Hé ! Comment tu sais ça, toi ?
-Bah c’est connu, voyons ! Le chef des Tempiesta il a 500 pp, selon Loromin ! On le connait dans le monde entier !
-Ah, pas faux. Encore que… je sais pas ce genres de trucs, à ton age.
-Normal, t’es nul.
-Merci…


Mal à l’aise, il lui demanda de détailler un peu plus dans quelles circonstances elle avait acquis ses coquillages. Et la petite resta étonnamment floue dans son discours. Du baragouin, de la salade, et assez de détails inutiles pour qu’elle puisse se dédouaner de lui dire quoi que ce soit d’utile. Elle indiqua toutefois que les coquillages provenaient d’un petit coffret sur lequel était également inscris le blason de la famille de Manshon. Ce seul détail convainc Sigurd de rebrousser chemin. Kahlia avait peut être volé quelque chose qu’il aurait dû restituer, mais il ne se voyait aucunement expliquer à des mafieux qu’on les avait volés. Les choses auraient dû s’en arrêter là… et pourtant…

Un petit coup d’œil, tout de même. Juste pour être sûr. Sigurd était un civil, pas un gardien de l’ordre. Il avait été militaire, mais cela ne faisait que conforter son opinion : pour combattre le crime, il fallait des moyens. Des moyens comme ceux de la marine, ou de n’importe quelle milice. Jouer les héros n’était pas dans son répertoire.

La dénonciation restait une arme tout à fait à sa portée, par contre. Il comptait bien rendre une visite immédiate et anonyme au poste de marines du port, avant de terminer sa nuit. Mais pour ça, il lui faudrait vérifier quelques petites choses, afin de confirmer qu’ils ne se trompaient pas. Aussi éteignit-il sa loupiotte, avant de faire demi-tour, en disparaissant précautionneusement dans l’obscurité.

-Et en silence, hein.
-Ah, on va les battre ? Wouhou, t’es vachement fort en fait !
-Nan, on va juste vérifier que ce sont vraiment des méchants avant d’aller conseiller aux marines d’aller leur taper dessus.
-Rhooo… Santa il les aurait battus, lui !
-Ouais, mais chuis pas Santa tu vois.
-Pfah !


*
*     *
*

Avait-il vu ce qu’il souhaitait ? Kahlia aurait été incapable de le dire. Et pourtant, ç’avait été bien assez à ses yeux, quoi qu’il puisse en être. Sigurd décida finalement de se retirer, ce qui arracha quelques exclamations à la petite.

-Quoi, déjà ? On va pas les battre, finalement ?
-Non, non. Ce sont des types vraiment sales.
-Pfff. Si méchants que ça ?
-Ouais. Et dans le genre, vraaaiiimmmeeeent sales. On se tire d’ici en douce, point barre.
-Nan mais si ce sont des méchants, est-ce qu’ils sont plus méchants que Crachin et…
-Que non que non que non !

Joignant le geste à la parole, Sigurd attrapa la fillette par la taille et la souleva sur le champ, en faisant demi-tour. Tout allait bien… jusqu’à ce qu’il se cogne contre un tas de caisses, qui manquèrent bien de basculer pour l’occasion. L’avait-on entendu ? Peu importe, il fallait disparaître. Avec un peu de chance, s’ils s’y prenaient bien, ils pourraient encore réussir à s’éloigner sans attirer l’attention sur eux, et s’en tirer à bon compte. Le jeune homme parvint à effectuer dix pas sans incident supplémentaire ; Kahlia avait beau protester vivement, il parvenait à étouffer sa voix en mettant sa main devant sa bouche, maugréant contre les parents déplorables qui léguaient leurs enfants à la rue et les laissaient sans la moindre forme d’éducation. Il essayait de s’éclipser discrètement, et vivait la chose comme si elle s’efforçait de saborder sa retraite.

Et pourtant, la petite Kahlia ne fut pas celle qui sabota véritablement sa manœuvre. Ca, quelqu’un d’autre décida de s’en charger.

C’était pire.

Infiniment pire.

Tout commença avec une énorme boule de feu, qui traversa l’air jusqu’à s’écraser contre un mur, face à lui. Les gerbes de flammes vomies par le projectile se répandirent dans l’allée, lui barrant la route en plus de l’éclairer abondamment. Le vacarme résultant de la collision, et le crépitement des flammes bien formées firent trembler le jeune homme.

Et comme si ça n’était pas suffisant, quelqu’un se mit à hurler. C’était une voix de femme.

C’était elle.

-CAPITAINE. DONNEZ-MOI CES COQUILLAGES. TOUT DE SUITE.
-Quoi ? Haylor ?
-OUI. JE SAIS CE QUE VOUS ESSAYEZ DE FAIRE, ET JE VOUS L’INTERDIS ! COMMENT AVEZ-VOUS PU NE PAS M’EN PARLER TOUT DE…
-Chhhhhhhhhuuuutc’estvraimentpaslemomentespèced’affreusesorcièremalfaisanteilsvontvousentendreonvasefairepincerçavatrèstrèstrèsmalfinr !
-JE VEUX VOIR CES COQUILLAGES IMMEDIATEMENT, ET JE NE PLAISANTE PAS. ET JE NE… MAIS QU’EST-CE QUE VOUS FAÎTES ? MAIS LACHEZ MOI !!!

Sans réfléchir, Sigurd avait brutalement relâché Kahlia pour se précipiter en avant, et étouffer les cris de la nouvelle venue. Mais trop tard. Il s’était jeté sur elle, avait commencé à étouffer ses cris, et fut immédiatement tiré en arrière par deux paires de bras suffisamment musclées pour le détacher du sol. En voyant son compagnon transporté par les deux malabars, et quatre autres armoires à glace converger vers eux, miss Haylor réalisa que quelque chose ne tournait pas rond.

-Mmmh… oh. Je n’aurais peut être pas dû ?
-On peut voir ça comme ça.

-CHOPPEZ LES !

Tout se fit en un instant. Un loubard, aussi gras que musclé, bouscula la jeune femme en lui arrachant son dial. Evangeline brûlait de riposter, mais se ravisa en observant la suite. Un second malfrat, plus petit et trapu, attrapa une Kahlia frétillante par la jambe pour la soulever comme du gibier. La petite se débattait en protestant, en vain. Et Sigurd… Sigurd tenta bien de se débattre. Lui fut cueillit d’une mandale en plein visage, sentit ses yeux le brûler sous la douleur, et manqua bien de perdre connaissance sur cette seule attaque. Des étoiles plein la tête, le crâne sens dessus dessous et l’esprit complètement embourbé, Dogaku cessa toute résistance.

Quelqu’un l’écrasa contre le sol, après quoi on le souleva, et…

Plus rien. Il se sentait tellement mal que ça lui suffisait.

*
*     *
*


-VOUS AVEZ CRACHE DU FEU SUR MOI ?
-J’ai fait bien exprès de vous éviter, tout de…
-VOUS ETES FOLLE ? C’EST ULTRA MEGA DANGEREUX, VOTRE TRUC !
-Et je vous dis que j’ai très précisément visé et touché devant vous ! Je sais ce que je fais !
-QUE DALLE ! QUAND JE DIS QUE VOTRE TRUC VOUS REND COMPLETEMENT MALADE, J’AVAIS COMPLETEMENT RAISON ! Y’A UN AN, VOUS AURIEZ JAMAIS FAIT UN TRUC PAREIL ! HECK, VOUS M’AURIEZ TUE SI J’AVAIS FAIT UN TRUC PAREIL ! ET J’AURAIS JAMAIS FAIT UN TRUC PAREIL !
-Mais… euh… enfin… non !
-NON ? VOUS AVEZ CRACHE DU FEU SUR MOI ! UNE BOULE DE FEU GEANTE ! DU FEU !

Ils étaient maintenant dans une cave, ou quelque chose de ce goût. Autour d’eux, tout n’était que caisses, barils, étagères et débarras dans la pièce où on les avait enfermés. Lorsqu’il respirait, Sigurd pouvait percevoir la poussière dans l’air, même s’il ne la sentait pas au contact de ses doigts contre le sol. C’était caractéristique des pièces sans fenêtres. Et la seule porte du local était verrouillée. C’était sans issue. Le peu de lumière qui leur parvenait était celle qui passait sous cette porte, d’après ce que lui avait dit Haylor. Car lui-même ne parvenait pas à voir quoi que ce soit. Les coups qu’il avait reçus lui avaient fait enfler l’œil gauche, et il ne savait pas encore ce qu’il était advenu de l’autre. Il avait la bouche pâteuse, et…

Etait d’extrêmement mauvaise humeur.

-ET TOI KAHLIA, FRANCHEMENT, IL N’Y A ABSOLUMENT RIEN DE QUOI ETRE CONTENT ! TOUT CA N’AURAIT…
-Ne lui criez pas dessus, c’est une enfant !
-Une enfant qui fait n’importe quoi ! Nan mais franchement. Avec tout ce que Santa t’as dis sur les gentils enfants et comment le fait que voler, c’est complètement contraire à l’Esprit de Nowel, vraiment…
-Blablabla. Ouaaaais, c’est ça. Sauf que là… pouf ! La porte est ouverte. C’est qui la plus forte, hein ?

Un gros silence gêné retentit. Le temps que les neurones lourdement perturbés du blondinet comprennent ce qu’on venait de lui dire, et que…

-... la porte est quoi ? Comment t’as fait ça ?
-Bah avec une épingle à cheveux.
-Un épingle à… je croyais qu’on t’avait débarrassé de tout ton matériel de voleur ?
-C’est pas moi, la voleuse. Elle est à Eva, d’abord !
-Guh ?
-Son chignon. Des épingles à cheveux. Youhou ?
-Ah. Oh. ‘Kay. ‘Sûr, pourquoi pas.
-Et ouais. Les filles, un, Sigurd, zéro. T’es nul.

Cette fois, Sigurd pencha la tête vers la gauche. Il cligna plusieurs fois de l’œil, jusqu’à finalement discerner correctement ses environs. Convenablement, du moins. Il pu constater par lui-même que Kahlia disait vrai : l’éternel chignon d’Haylor n’était plus, et avait cédé la place à une masse de cheveux décoiffés qui retombaient en vrac sur les épaules de la concernée. Faute de matériel, Evangeline se contenta de les brosser machinalement avec ses doigts, sans succès.

-Atta, atta… la porte est ouverte, répéta Dogaku en comprenant enfin. On peut sortir ? Sérieux ?
-T’as vu comme chuis forte ? C’est qui la meilleure, hein ?
-Sauf qu’avec les cinq autres gorilles… va falloir faire ça en douce.
-C’est hors de question, déclara Haylor. Ils m’ont pris un coquillage. Je le récupère. Et je récupère aussi les deux autres dans la foulée.
-Vous êtes folle ?
-Certainement pas. Vous avez vu ce qu’ils nous ont fait ?
-Han. Ben voyons. Et vous allez faire quoi ?
-Ecoutez bien. Ils m’ont pris. UN. Coquillage. J’en ai un autre. Un deuxième.
-Ah ?

Illustrant son propos, la sorcière autoproclamée empoigna l’un de ses talismans fétiches, le coquillage enfermant les flammes. Avec ça entre les mains, elle ne se sentait pas en danger, après. Car le danger, c’était elle. Et elle n’était pas la seule à en être convaincue.

-‘Spèce de folle.
-Sorcière, corrigèrent Kahlia et Haylor en même temps.
-Folles.

Elles se regardèrent un instant, surprises, puis échangèrent un sourire. Ce que l’autre trouva particulièrement inquiétant. Mais elles n’avaient pas tort, et c’était probablement là leur meilleure carte à jouer. A condition de ne pas faire de choses excessivement vaines et dangereuses. Ils allaient avoir besoin de faire preuve de prudence, et de progresser selon une approche réfléchie et méthodique. Ce qu’il s’escrima à leur expliquer.

-Beuh, la prudence, c’est pour les faibles, répliqua Kahlia. Santa il dit qu’il faut savoir prendre des risques pour avancer dans la vie, d’abord !
-C’était pour te faire manger tes légumes, ça.
-Et Yoshi il dit que qui ne tente rien, et bah il n’a rien !
-Ca c’était pour t’apprendre à bien lire.
-Et Kalem il dit que tu sais rien faire d’autre que rouspéter et que tu ne sers strictement à rien ! Alors arrête de parler de prudence parce que ça ne concerne que toi !
-...
-…
-…
-Alors ?
-Alors plus rien pour moi, j’abandonne. Haylor, dîtes lui, s’il vous plait. Expliquez-lui ce que c’est que d’être raisonnable.
-Elle a raison. Je crois.
-…
-Quoi ?
-Vous aussi ? Miss Parfaite qui dit au diable la prudence ?
-Eh bien… oui.
-J’abandonne, okay.

-Touché ! Les filles deux, Sigurd, zéro !
-Ohputainonestmorts.

Pour toute réponse, Kahlia ouvrit la porte à la volée en lançant un taïoooh retentissant, enjambant le pas à une Evangeline particulièrement remontée contre leurs tortionnaires. C’était bien simple : en cas de doute, la sorcière ouvrait le feu, tout simplement. Pour l’instant, ils étaient dans tout un réseau de pièces souterraines mal éclairées, du même acabit que celle qu’ils venaient de quitter, et vraisemblablement en sous-sol. Personne ne traînait là dedans, visiblement. Dogaku s’étonnait de ne pas avoir encore rencontré quelqu’un ; peut être plus tard, à l’approche d’un escalier, ou une fois à l’étage, supposa-t-il.

-Tiens, Haylor. Ca s’appelle des dials, au fait. Apparemment. Vos trucs. Coquillages, là.
-Hum ?

Elle ne l’écoutait pas ; la miss était toute occupée à embraser les angles morts des couloirs qu’ils pratiquaient, puis à réintégrer les flammes orphelines dans son coquillage magique. Ce qui correspondait assez bien à ce que Sigurd avait qualifié de méthodique un peu plus tôt, même si la manœuvre manquait de discrétion. Les jets de flammes émettaient un bruissement caractéristique, même s’il ne portait pas si loin que ça. Néanmoins, les éclats de lumière qui en résultaient portaient beaucoup trop loin à son goût.

Au bout d’un moment, il interrompit pourtant sa partenaire. Sigurd avait entendu quelque chose. Plusieurs grincements, comme une porte de bois qu’on ouvrait, et le bruit d’un parquet que l’on écrasait par à coups, dans une cadence hoquetante. Quelqu’un descendait des escaliers. Sur leur gauche, comprirent-t-ils.  Cette fois, le jeune homme prit les deux autres par les poignets, et les amena au devant. De sorte que lorsque l’autre entra dans la pièce, les trois Chevaliers de Nowel purent le prendre à revers. Sur l’instant, il ne comprit pas grand-chose.

-Si vous ne voulez pas que je vous rôtisse comme un gigot à la broche, je vous conseille de faire ce que je vous dis.
-Geuh, répliqua l’autre en brandissant une arme.
-JE NE PLAISANTE PAS !, hurla-t-elle.

La jeune femme leva le bras, et actionna sa coque. Le jet de flammes engloutit un bon quart de la pièce sous un amas de rideaux écarlates ; l’autre fit à peu près la même tête que Sigurd en ce moment même.Lles yeux gros comme des soucoupes, il ouvrit grand la bouche et lâcha son arme.

-Okay, okay ! Je lâche, je fais rien, déconnez pas !
-Feeeeeuuuuuu !, s’exclama Kahlia. Allez, Eva, j’veux voir !
-Nononononon, bredouilla Sigurd en s’avançant. J’vais le ligoter bien comme il faut, et ça sera suffisant, et… essayez pas de faire le malin, parce qu’elle sait très bien viser et peut vous rôtir les moustaches sans me toucher moi même si vous m’utiliser comme paravent, hein.
-J’ai dis que je ferais rien ! Pas envie de finir comme ça, merci. Putain, nan mais… vous êtes qui, vous ?
-Non. Vous. Qui êtes vous ?
-Ca on s’en fiche, coupa Kahlia. Vous êtes des Méchants, alors rendez-vous !
-Probablement plein de trucs qu’on a pas besoin de savoir, rumina Dogaku. On va laisser la marine se charger gentiment de ça, hein. Moi j’propose qu’on garde ce bonhomme sous la main, qu’on l’amène aux forces de police locales, et…

Avec l’expertise propre aux marins de longue date, Sigurd n’eut pas le moindre mal à manier ses cordages pour neutraliser son homme. L’autre se laissa faire docilement. La seule idée de finir en rôti lui donnait l’impression d’avoir du plomb dans l’estomac. Il ne prendrait certainement pas le risque, que non.

Et c’était tellement vrai que le patrouilleur se mit à craindre pour sa vie lorsque, trente secondes plus tard, un de ses collègues apparut à son tour dans la petite pièce.

-Eh, Skörg, est-ce que t’as… oh merde…
-Je vous carbonise si vous tentez quoi que ce soit, articula Haylor en libérant quelques flammèches devant le nouveau venu.
-Elle peut le faire, déconne pas et laisse toi faire comme moi, j’tiens vraiment pas à crever pour tes conneries.
-Aie. Aaaaaaarh. Ayayaie.
-Oh que oui, confirma Sigurd. Venez là, j’vais gentiment vous ligoter et tout sa passera bien. Chacun son tour, tant qu’à faire, on a l’air bien partis pour. Y’en a encore combien, qui arrivent ?
-Personne.
-Dîtes pas ça, vous étiez au moins cinq, tout à l’heure. Et c’est qui qui m’a explosé la tronche, tant qu’à faire ?

Pas un des deux ne répondit. Et pour cause, ils n’en eurent pas le temps.

La procession continuait, avec cette fois-ci, un beau jeune homme musculeux qui se présenta à eux.

-Eh, Rolof, Skörg, qu’est ce que vous fichez en…

Le troisième venu resta un moment interloqué, incapable de réfléchir. Tout d’abord, il y avait ses deux collègues, dont l’un était complètement ficelé, et l’autre en train de se laisser docilement bâillonner par un blondinet qui n’avait rien à faire là. Et puis, il y avait cette gamine qui brandissait un bout de bois dans sa direction, et… l’autre femme, qui donnait l’air de tenir un geyser de flammes dans la main. Cette fois, personne ne pipa mot, jusqu’à ce que finalement, Sigurd lui fasse signe d’approcher.

-Attendez gentiment votre tour, s’il vous plait. Y’a quelques années, j’étais super bon pour ligoter les gens, mais ça fait hyper longtemps que j’ai pas joué à ça.
-Qu’est-ce que c’est que ce…
-SILENCE !, tempêta la sorcière en déchaînant ses flammes pour appuyer ses propos.
-Fuuuuuu’….

*
*     *
*


Ils étaient tombés sur un petit ensemble criminel de fin de chaîne ; un artisan du marché noir. Ces personnes travaillaient au grand jour comme employés et commerçants parfaitement normaux, avec un sérieux et une réputation tout à fait louables. Et parfois, lorsqu'ils recevaient des commandes ou des arrivages plus particuliers, leur activité se poursuivait dans l'ombre, à l'abri des regards. Et des impôts.

À ces occasions, la majorité du personnel manutentionnaire et des vigiles étaient identiques. On faisait simplement appel aux services de quelques spécialistes afin de fluidifier les affaires.

C'est ainsi que Sovngärd Forgensen, marin de profession et bretteur par vocation, avait atterri ici. Homme aux origines nébuleuses, il avait tour à tour été sous-officer dans la marine, puis lieutenant au sein d'un équipage marchand, avant de s'établir comme mercenaire indépendant. Aujourd'hui, il supervisait le bon déroulement de ces opérations de recel et de contrebande des marchandises que son propre groupe avait récupérées.

Et quand le petit groupe de prisonniers se présenta face à lui, en débouchant de la seule porte qui donnait sur leurs geôles, c'est avec un calme tout professionnel qu'il dégaina sa lame. Il n'aimait pas les ennuis. Si l'intimidation ne suffisait pas, il ne leur ferait pas de cadeau.

Ce qu'il ignorait, c'est qu'il n'avait jamais eu affaire à quelqu'un comme ça.

Des adversaires mortellement dangereux, oui. En quantités innombrables, et bien plus souvent qu’à son tour. Son corps portait encore les marques des plus terribles de ces rencontres.

Mais une sorcière? Certainement pas.

-Je vous conseille plutôt de lâcher votre arme, annonça tranquillement Haylor.
-Certainement pas.
-Hum. Soit.

Sovngärd eut tout juste le temps de voir la déflagration enflammée jaillir dans sa direction ; il esquiva prestement d'un bond sur sa droite, sans la moindre difficulté. Le projectile était lent, et imprécis. Il pu se rétablir sans adresser un seul regard au voile ardent qui consumait son emplacement précédent. Une erreur, pour le coup. Avant même qu'il ne puisse s'avancer, un souffle de flammes arrosa copieusement le sol au devant de sa position, pour finalement déborder sur tout un tas de caisses adjacentes. Et maintenant, le voilà qui était incapable de s'avancer: un épais rideau de flammes lui faisait barrage, et interdisait toute progression au bretteur.

-Bon sang... à quoi vous jouez?
-C'était une démonstration. Si vous ne lâchez pas votre arme sur le champ, j'incendierai tout l'entrepôt.
-Ouéééééé! Du feu, du feu! J'veux le voir!
-Haylor, c'est une super MAUVAISE idée, ça.

-Eh, vous êtes folle?! Vous allez cramer toute la ville!
-Une autre bonne raison de faire ce que je dis. Ce sera de votre faute. Alors lâchez votre arme. Maintenant.

Forgensen hésita. Les secondes s’écoulèrent. La température était déjà désagréable, et il sentait les vagues de chaleur commencer à lui cuire l'épiderme. Quoi qu'il fasse, il fallait le faire vite.

Mais se rendre ? Certainement pas.

Et c'est pour cette raison qu'il s'agrippa à une poutre contre le mur, et en entreprit l'escalade. Sans surprise, la sorcière arma à nouveau une boule de feu dans sa direction. Mais le projectile manqua complètement sa cible, au point d'aller s'écraser contre la porte principale de l'entrepôt. Une erreur, là aussi.

-Du feu, ouais!
-Vous allez VRAIMENT foutre le feu à la ville, là!
-Mais non, bien sûr que non, maugréa l’autre en recommençant.

Sigurd avait raison, pourtant. Que ce soit au sol ou sur la paroi, les flammes commençaient à déborder dans toutes les directions. Elles ne tarderaient pas à se diffuser, incontrôlables. Ce qui donna une nouvelle idée à la sorcière. Evangeline leva la main au ciel, en direction du plafond de tôle, et l'arrosa généreusement de boules de feu libérées en rafales.

Elle provoquait délibérément un incendie, comprit le jeune homme.

-PUTAIN MAIS VOUS AVEZ CRAQUÉ OU QUOI!? VOUS FAITES EXPRES !
-Je sais ce que je fais, Capitaine. Merci.
-MAIS NOUS ON EST PAS IGNIFUGÉS HEIN.
-JE SAIS CE QUE JE FAIS, TAISEZ VOUS.

Du coté des employés, c'était la débâcle. Eux qui avaient jusque là regardé leur mercenaire gérer les fauteurs de troubles étaient maintenant aux prises avec l’un des pires sinistres qui pouvait leurs arriver. Quelques uns essayèrent d'étouffer les flammes, avant d'abandonner devant l'ampleur de la tâche. D'autres avaient finalement pris sur eux de quitter l'entrepôt pour rejoindre la rue, et lancer un appel à l'aide en criant au feu. Au diable les manutentions fantômes, il s’agissait de sauver un maximum de marchandises, et d’empêcher que le pire n’arrive.

Et bien loin de toutes ces considérations, Forgensen, complètement dépassé, s'efforçait maintenant d'évoluer dans les hauteurs pour échapper aux flammes. Il avait déjà quitté sa poutre pour en rejoindre d'autres, horizontales, et se dirigeait vers la pyromane. La situation était dangereuse, et son instinct d’aventurier avait repris le dessus : il s’agirait de tuer pour ne pas être tuer. L'arme à la main, prêt à donner la mort, Sovngärd s'apprêtait à bondir sur les intrus. En contrebas, Dogaku le surveillait attentivement, sans savoir que faire.

-Haylor? Là haut.
-Mmmh? Oh. Oui, le singe.

Cette fois, le bretteur ne cessa de grogner: non seulement il était là, à s'improviser acrobate, mais en plus il le faisait en étant la cible de projectiles enflammés. Il s'escrima malgré tout à continuer, se félicitant intérieurement de la précision lamentable de la sorcière: jusque là, elle n'avait pas réussi à cadrer un seul de ses tirs. Il serait bientôt sur elle, et en pleine possession de ses moyens.

-Peuh, tu vises comme un manche, Eva! Laisse moi faire! Moi aussi, j'veux jouer!
-Ce n'est pas vraiment le moment de jouer, Kahlia.
-Mais si! Dix points si je touche le méchant, et cinquante si je le fais tomber!

La situation ne s'y prêtait guère, mais Haylor ne put s'empêcher de sourire. Sigurd, lui, attendait nerveusement que Forgensen finisse sa manoeuvre. Il avait récupéré une barre de fer qui traînait dans les environs, et, même si elle n'avait rien de maniable, il espérait pouvoir asséner un choc suffisamment important au bretteur pour le désarçonner s'il essayait d'approcher. Mais pour ça, il fallait déjà que l'autre se hasarde à sauter. Car l’acrobate se situait à plus de six mètres au dessus du sol. Ça n'avait pourtant pas l'air de le déranger, songea Sigurd en levant son arme.

Mais Haylor trouva un autre moyen de l'en dissuader. C'était simple. La demoiselle décrivit de arcs de cercles avec sa main, tout autour d'eux, érigeant de la sorte de véritables remparst de feu tout autour d'eux. Maintenant, Forgensen ne pouvait plus se jeter sur eux sans courir à sa perte. Il aurait fini prisonnier d'un piège mortel. Celui à l'intérieur duquel ils s'étaient réfugiés.

Une position qui ne réjouissait absolument pas Dogaku. Car lui aussi, était maintenant prisonnier des flammes.

-PUTAIN HAYLOR ON CRAME LÀ!
-Wouhou! Encore du feu!
-LE FEU CA BRULE!
-Bah bien sûr, sinon ça serait pas normal. T'es malin, toi.
-NAN MAIS VOUS ÊTES DINGUE! ET MAINTENANT ON FAIT QUOI, HEIN, ON FONCE À TRAVERS ÇA SÛREMENT? ÇA MARCHERA JAMAIS!
-Capitaine. Je peux aussi faire disparaître les flammes, je vous rappelle.
-Vous pouvez... geuh?

Derrière son champ de flammes, Haylor ne restait pas inactive ; elle devait constamment veiller à leur sécurité, et absorber les débordements intérieurs de son incendie. Pour s’être déjà exercée pendant ses temps libres, elle n’en était plus vraiment à son coup d’essai. Car même si elle ignorait tout de ses dials, elle avait parfaitement compris comment ils fonctionnaient. Ils pouvaient recracher les flammes qu’ils avaient absorbées. Ou, et c’était bien le plus pratique, absorber les flammes qu’ils venaient de cracher.

C’était le meilleur moyen de boucler le problème. C’était incroyablement complémentaire, et autosuffisant. Elle pouvait faire tout ce qu’elle voulait sans avoir l’impression de courir le moindre risque tant qu’elle gardait le contrôle. Son coquillage était aussi efficace pour absorber les flammes que pour les vomir, et il ne tenait qu’à elle d’être à la hauteur de la tâche.

Il s'agissait surtout de rester attentif: ses rideaux de feu demandaient une gestion minutieuse et permanente, même si le résultat était à la hauteur des efforts investis. Et quand les choses menaçaient de dégénérer au delà de tout ce qu'elle pouvait contenir, Haylor avait toujours la solution de secours: tout éteindre.

Un tour de force qui impressionna particulièrement son compagnon.

-Ah ouais, j'avais oublié. 'Tain, vachement pratique. Waw. Chapeau bas, sorcière.
-...
-Mwarharhar. Désolé. Mais quand même. C'est vraiment zarb', votre truc.
-C'est de la magie.
-Nan, mais je veux dire...
-Les filles, trois, Sigurd, zééérooo!
-Hurrrrmph.


Haylor ne répondit pas. Elle était beaucoup trop concentrée sur ce qu'elle faisait pour se sentir à l'aise et bavasser. Son attention n'allait pas plus loin des quelques mètres embrasés qui l'entouraient. Sigurd était d'ailleurs le seul à se soucier de ce qu'il y avait au delà des flammes. L'incendie, le hangar, et les autres. Il y avait Forgensen, notamment, qui était descendu de son perchoir pour une seule et bonne raison. Ça n'était pas parce qu'il avait jeté l'éponge, décidé qu'il n'était pas assez bien payé pour ça, ni même parce qu'à ce rythme, tout l'édifice gangrené par les flammes finirait par s'écrouler sur eux. Tous ces motifs étaient valables, et s'étaient rapidement bousculés dans sa tête. Mais ce qui l'avait contraint à descendre, c'était les fumées toxiques dégagées par l'incendie, et qui s'accumulaient dangereusement dans n'importe quel espace clôt. Ça n'était qu'une question de temps avant que leur effet se fasse ressentir en contrebas, plus près du sol. En attendant ? C’était comme si les ténèbres avaient envahie l’entrepôt. Une véritable masse de brouillard cendreuse occupait maintenant l’espace supérieur du bâtiment.

Étrangement, Sigurd comprit bien avant les deux autres ce qu’ils risquaient. Et encore. Seulement en partie.
Tout l'entrepôt commençait à s'enfumer, et ils ne pourraient pas tenir là indéfiniment.  C'était la première fois qu'Evangeline essayait quelque chose de cette ampleur. Elle ne maîtrisait pas tout.
Et déjà, il pouvait sentir sa gorge et ses narines s’irriter sous l’effet des fumées toxiques. Même s’il n’en connaissait pas les détails, il savait à quel point ces choses pouvaient être dangereuses. S’ils ne partaient pas maintenant, ce serait la mort.

-Haylor, ravalez vos flammes maintenant. Vite.

Il ne cria pas, cette fois. Son ton était ferme, impératif, mais pas nerveux. Et l'autre s'exécuta docilement. C'était le genre de situation où il fallait agir et réfléchir, vite et bien, et prendre les bonnes décisions sans perdre de temps à hésiter. Et en pareilles circonstances, il savait que près de neuf personnes sur dix étaient prêtes à faire tout ce qu'on leur disait d'un ton assuré. Même lorsqu'elles étaient capables d'accomplir pareils miracles.

-Kahlia, Haylor, vous me suivez. Éteignez ce qui traîne au sol, et en file indienne. Kahlia, tu me donnes la main. Hop.

Même la petite décida d'obéir en silence. Une chose impensable en toutes autres circonstances. Mais là, les alentours prenaient maintenant une allure de fournaise.

-Restez groupés, et ils ne feront rien.

Sigurd n'était pas sûr de son plan, mais il n'avait pas besoin que les deux autres en doutent. Forgensen était occupé à superviser les secours, et personne n'osait plus s'approcher de la folle à lier capable de mettre le feu partout. Ils n'eurent, au final, aucun mal à se frayer un chemin dans l'entrepôt. Ni à le quitter.

L'incendie avait évidemment attiré l'attention, au beau milieu du port et de ses chantiers. Déjà, les secours extérieurs se mettaient en place, les locaux et les forces de police aidant de leur mieux.

Et en parlant de forces de l'ordre, un cordon entier de ces hommes s'était formé devant le grand bâtiment. Les secours étaient là, et déjà, s’approchèrent pour les prendre en charge.

-Vous allez bien?
-Vous êtes de la milice?, demanda Dogaku.
-Non.
-Moi, de la marine. Pourquoi ça?
-Je crois qu'on a beaucoup, beaucoup de trucs à vous dire. Sur ce qui s’est passé ici. Sur plein de trucs.
-Vous savez ce qui s'est passé ici?
-Haha. Mwarharhar. Vous avez même pas idée.

Un peu plus loin, le mercenaire remarqua leur disparition. Il lui fallut quelques instants d’observation pour les distinguer dans la foule. Quelques sauveteurs leurs avaient apporté des couvertures, et les escortaient maintenant un peu plus à l’écart.

Et puis, il y avait cet homme, en uniforme marine.

Il n’était pas idiot. Forgensen savait globalement ce qui allait arriver.

Non. Il n’était pas idiot.

Les idiots, c’étaient eux.


Dernière édition par Sigurd Dogaku le Mar 28 Oct 2014 - 14:48, édité 1 fois
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-Excusez-moi, vous trois ? J’aimerais que vous veniez avec nous… vous poser quelques questions sur tout ça… si vous le permettez.

Deux heures s’étaient écoulées. Ils étaient maintenant en plein cœur de la nuit. La petite Kahlia s’était assoupie, et dormait profondément sur un lit qu’on lui avait laissé pour l’occasion. Ils étaient dans une petite caserne qui faisait office de point de poste pour les forces de la marine, au sein de cette ville. Pendant ce temps, Haylor et Dogaku, empestant tous deux d’une effroyable odeur de fumée, attendaient patiemment que l’officier qui les avait récupéré décide ce qu’il allait faire d’eux. Suite à leur témoignage, on les avait parqués en salle d’attente, où ils s’étaient mollement assoupis l’un contre l’autre, dans le froid et l’inconfort, l’espace d’une demi-heure.

Ils leurs avaient tout raconté. Tout. Du début jusqu’à la fin.

Et c’était là qu’avait eut lieu leur première erreur. Car leur interlocuteur n’avait retenu de tout cela que ce qui l’intéressait. Ce qui n’était pas sans raison.

Après l’attente, venait le moment du second témoignage. L’officier en charge d’eux les avait fait venir dans son bureau, et préparé deux chaises, côte à côte, sur lesquelles ils s’écrasèrent paresseusement. Militaire oblige, elles étaient aussi inconfortables que possible, ce qui ne manqua pas de les déranger.

-Alors, alors, alors. C'est vous, qui êtes à l'origine de tout ça?
-Tout ça quoi?
-Le feu.
-Mmmh. Directement, oui. Mais...
-J'le savais. Putain, j'le savais. Espèce de pirates. Bande d'arsonistes. Bouffeurs de kérosène à la con.
-Ah...
-C'EST LE TROISIÈME INCENDIE CE MOIS CI! PUTAIN, VOUS VOUS ÊTES PASSÉS LE MOT OU QUOI? QU'EST CE QUI VOUS ECLATE TOUS À VENIR CHEZ NOUS? CA BRÛLE MIEUX ICI, SÛREMENT?
-C'était de la légitime défense, monsieur. Ils nous voulaient du mal. J'ai relâché ce feu pour leur barrer la route... attirer l'attention... et les distraire le temps que des secours arrivent. Sans vous, nous serions peut être...
-Donc vous le répétez et le maintenez, hein ? C'est vous qui avez déclenché ce feu?
-Hum... euh...

La voix pâteuse, l’esprit embourbé, Haylor ne parvenait même plus à comprendre ce qu’il se passait. De quoi s’agissait-il ? Ils n’avaient rien fait de mal. Pas sur le fond. Et cet homme les considérait, leur parlait, les reprenaient comme s’ils étaient des criminels. Impensable.

Pas à cette heure, non. Le sommeil et l’épuisement rendaient la chose impossible à suivre.

-Mademoiselle, j'ai le plaisir de vous annoncer que vous êtes dans la merde. Jusqu'au cou.
-Quoi ?
-Eeeeeeeh, bailla Dogaku, vous avez rien pigé. Nan, nan. Ils nous ont enlevé.
-Vous traîniez sur une zone interdite au public.
-En plein cœur de la ville ?
-En pleine nuit. Les honnêtes gens dorment, la nuit, selon le code de la marine.
-Beuh…
-Et ils ne se déplacent pas dans les rues avec des objets volés.
-Volés… un instant… à ce propos, justement, commença Haylor…
-Et je garde le coquillage. C'est des dials, c'est ça? Tah ha ha. Confisqué en tant que pièce à conviction.

Cette fois-ci, la mécanique éreintée des neurones d’Evangeline commença lentement à reprendre du service. A son arrivée, on l’avait délestée de son coquillage, oui. Pourquoi, d’ailleurs ? Elle n’avait pas réagi, fatiguée qu’elle était.

Celui qui réagit le plus vite fut néanmoins Dogaku. Et lui avait bien compris que les choses viraient au plus grand des n’importe quoi.

-VOUS PLAISANTEZ? CES MECS NOUS ONT SÉQUESTRÉ DANS UNE CAVE ET ONT AURAIT FINI EN PETITS BOUTS SI ON S'ÉTAIT PAS CASSÉS, JUSTE PARCE QU'ON LES A VU FAIRE LEUR TRAFIC DE MERDE!!
-Ca c’est votre version, ouais...
-ALORS LA DERNIÈRE CHOSE DONT ON A BESOIN, C'EST QU'UN SAL@&%#! COMME VOUS S'ÉCLATE À NOUS DÉPOUILLER PAR DERRIÈRE, MERCI!
-Insulte à représentant des forces de l’ordre… cool, facilitez-moi le travail…
-‘TAIN MAIS VOUS ETES UN CHIEN OU QUOI ? ON VOUS DIT QUE VOUS AVEZ DES CRIMINELS A PORTEE DE MAIN ET VOUS VOUS ECLATEZ A VOUS ACHARNER SUR NOUS ? MAIS QU’EST-CE QUI TOURNE PAS ROND CHEZ VOUS ?

Le marine leva les bras, sourire aux lèvres. Et à ce seul geste, deux autres militaires se présentèrent de part et d’autres de lui, signifiant clairement à leur témoin qu’il ferait mieux de se taire s’il ne voulait pas qu’on l’aide à le faire.

Sentant bien que son partenaire n’était pas en état, l’autre décida de l’interrompre. Les paupières lourdes, le teint blême, Evangeline s’écrasa contre lui en baillant pour le faire taire.

-Capitaine. Je prends le relai.
-NAN, JE MANQUE CRUELLEMENT DE SOMMEIL, JE MEURS DE FAIM, C'ÉTAIT UNE PUTAIN DE SOIRÉE, ET CA ME SORT PAR LES YEUX QUE VOUS LA, ESPECE DE TARE, VOUS VOUS IMAGINIEZ QU’ON PUISSE…

Dogaku était d’un tempérament doux et conciliant, même s’il n’aimait pas être brusqué. Généralement, en tout cas. Mais avoir été séquestré à trois heures du matin pour finalement traverser un tabassage et un incendie avait anéanti les trésors de bienveillance qu’il pouvait avoir. Ne restait plus que l’injustice, et l’indignation qui allait de pair.

-Capitaine. Maintenant.
-‘Kay…
-Pas la peine de vous fatiguer, jeune femme. J’ai déjà entendu tout ce que je voulais.
-Je ne pense pas, non. Vous aller nous écouter, maintenant.
-Non, à moi de parler. Vous voyez… il s’agit vraisemblablement d’une situation complexe. L’incendie volontaire est l’un des pires crimes qu’il soit donnés de commettre. Et avec les lourdes accusations que vous me donnez… sans preuves… non.
-Ces preuves vous tendent les bras, pour peu que vous vous décidiez à…
-Heureusement, repris le marine sans céder à l’interruption, nous allons pouvoir reprendre votre témoignage, et le croiser avec celui d’un nouvel élément. Il vient tout juste de nous rejoindre, et était lui aussi présent sur la scène.
-Guh ?
-Tu peux entrer, Forg’.

Lentement, la porte du petit bureau où ils se trouvaient s’entrouvrit… et grinça étrangement. Comme si la personne qui venait d’entrer s’était mise à jouer avec la porte. Et c’était bel et bien le cas. L’homme qui se présenta à eux ne l’avait fait que dans un seul but : pour attirer leur attention.

Le plus naturellement du monde, ils se retournèrent tous les deux pour faire face au nouvel entrant.

Et s’alarmèrent en même temps à sa vue.

Ils l’avaient aisément reconnu.

Ils venaient tout juste de le voir, quelques heures plus tôt.

Le bretteur.

Il était là.

*
* *
*

De vrais idiots.

De purs.

D’incroyables.

De vrais idiots.

Sovngard Forgensen ne pouvait s’empêcher de sourire à la vue de leurs mines déconfites.

Ils avaient su qu’ils faisaient face à des membres de la mafia. Et la seule réaction qu’ils avaient eu avait été… d’aller voir les forces de l’ordre. Comme si cela pouvait marcher, bien sûr. Comme si eux n’avait pas prévu la chose. Et comme si l’incroyable tissu de relations imbriqués au sein des affaires Tempiesta n’avaient pas infesté et corrompue jusqu’aux belles institutions militaires de la marine mondiale. C’était évident, pourtant. A ce stade, avec le niveau d’envergure monétaire qu’ils brassaient au quotidien, le politique était évidemment lié aux affaires de la mafia de cette famille du Nord.

-Je crois que je commence à piger, articula Dogaku.
-Vous êtes des…
-Vous êtes dans la merde jusqu’au coup, sourit le marine.
-Non ! Non !
-On se calme, Haylor. On se calme.

La peur, la tension, l’adrénaline leur donna un coup de fouet à tous deux. Ils étaient épuisés, physiquement, mentalement. D’un même mouvement, ils firent mine de se relever. La situation devenait dangereuse. Ils devaient…

-Restez assis, voulez vous ? Vous ne voudriez pas qu’il arrive quelque chose à la petite, n’est ce pas ?
-VOUS N’OSERIEZ PAS !?, s’emporta Haylor.
-Non, sourit le marine. On est des types chouettes, contrairement à ce que vous avez l’air de penser. Mais quand même… réfléchissez. Je ne sais pas le lien que vous avez avec elle, mais réfléchissez à ce qu’elle deviendrait s’il vous arrivait quelque chose. Ne faîtes pas les cons. Enfin, je dis ça, mais… c’est à vous de voir, hein. On peut faire ça de deux manières. Vous avez l’air d’être des gens civilisés, si on oublie le coté pyromane, et ça me changera agréablement… maintenant, j’ai parfaitement l’habitude de tacler les petites merdes récalcitrantes, et Forgensen aussi. Sans compter nos deux compagnons. Et je suis convaincu que vous n’apprécieriez pas le moins du monde qu’on vous explose les dents à coups de matraque. Je me trompe ?




-Hahaha. J’adore la tête que vous faîtes. C’est toujours la même. Des pigeons qui se rendent compte qu’ils se sont frottés à très, très mauvais, et qu’ils vont passer un très sale quart d’heure. Eh bien oui, les enfants. Compte tenu des dégâts que vous avez causé à nos stocks et à notre entrepôt, avec le préjudice qui s’établit à plusieurs milliers de berries, je peux vous assurer que si vous n’avez pas de quoi payer rapidement, vous devrez trouver un moyen de nous rembourser… d’une manière… ou d’une autre. Le nombre d’options. Vous, par exemple. Vous êtes pas une bombe, mais eh, parmi les pauvres jougasses qui font le tapin, vous sortiriez comme une fleur. Mais si vous voulez pas, vous pouvez toujours choisir de rendre service à la communauté, et faire don de votre corps à la science. Entre le don d’organes, le volontariat pour expérimenter des médocs à… haut potentiel… y’a de la marge. Et si vous préférez le travail en plein air, on peut aussi vous refourguer à des esclavagistes. Choisissez votre poison, comme ils disent. Hein ?




-Naaan, je déconne. Vous ne pouvez pas payer les réparations ? Vous en faîtes pas. L’assurance elle peut, elle. Mais seulement si vous donnez un témoignage… sage et avisé sur la question. Bien sûr, des experts seront mandatés. Le bâtiment est un bien commun, et ne nous préoccupe pas vraiment. Les stocks n’étaient pas les nôtres, non plus. En fait… nous serons probablement gagnants sur toute la ligne. On peut décharger ailleurs, bien sûr. Les dédommagements de l’assurance… seront juste un petit bonus. Mais pour ce faire, si vous pouviez nous faire un récit… une retranscription fidèle de ce qui s’est passée… en précisant bien évidemment comment tout était un accident, parce qu’on va pas forcément vous faire porter le chapeau, et que les entrepôts étaient pratiquement déserts quand vous êtes arrivés sur place en constatant le sinistre. Avec juste le minimum de sécurité syndical pour surveiller convenablement les lieux. Ca serait chouette, vous voyez ?




-Et pour répondre à votre question –si, si, je l’ai entendue- nous ne comptons pas nous débarrasser cruellement de vous en vous menottant les bras et les jambes pour vous balancer en pleine mer. Y’a un an de cela, en flashback, on l’aurait ptêtre fait, mais eh, y’a tellement de sales types qui sont venus me forcer à utiliser cette option –des pirates, des marines et des révos, vous n’avez pas idée…- que j’ai malencontreusement attiré l’attention d’un de mes supérieurs, à force. Et je préfère faire en sorte qu’il n’ait aucune raison de me faire couler en confirmant ses suppositions. Donc, pour être tout à fait franc avec vous, vous avez une possibilité de ne rien risquer… pour peu que vous décidiez de jouer correctement vos cartes. D’ailleurs, à ce propos, si vous pouviez vous arranger pour ne pas crever malencontreusement dans les six mois à venir, ça m’arrangerait. Pas envie qu’on me suspecte non plus d’une vengeance à retardement. Du coup, on va faire ça comme ça. On vous donne dix millions de berries. Dix millions chacun. Et avec ça, vous faîtes tout ce qu’on vous dit de faire en ce qui concerne le témoignage, le deal avec les experts, et ainsi de suite. Il y aura un début d’enquête. On va partir sur le plan de l’accident. Vous étiez là. Vous avez vu. Et vous allez dire ce que vous avez vu. Et si vous dîtes quelque chose qui ne nous plait pas… vous recevrez une petite visite nocturne. La dernière de votre vie. Quelque chose comme ça. Compris ?




-Vous voulez des garanties supplémentaires ? J’en ai aucune à vous filer. Par contre, je peux vous assurer que ça finira incroyablement mal pour vous si vous ne participez pas à notre petite affaire. Un faux témoignage, ça se bricole très facilement. Et pour être sûr que rien ne perturbera la véracité de ce discours… eh bien, on peut trouver des moyens de se charger de vous. Plusieurs à la fois, si nécessaire.




-Hahaha. C’est amer, hein ? Allez, mettons que je vais rajouter une petite carotte pour vous en faire passer le goût. On va vous rendre vos coquillages, ma douce. Une gamine armée de lance-flammes, c’est assez marrant pour pas qu’on vous en empêche. Et on va vous filer une petite compensation pour s’excuser gentiment de la sale soirée que vous avez passée. Mettons quoi… allez, deux dials supplémentaires ? Pas ceux que vous nous avez chourrés au début, nan. Ca coûte cher, ces petites bêtes. Vous devriez surveiller votre petite voleuse, d’ailleurs, ça me ferait franchement bizarre de vous revoir convoqués ici pour un truc banal. Encore que si vous foutez le feu à tout bout de champ, y’aura plus beaucoup de trucs banals.




-Bref. Mettons donc qu’on va vous restituer ce qui vous appartient. Et pour le reste… allez, deux coquilles dont vous nous direz des nouvelles. Pour savoir à quoi ils servent… eh bah pas à grand-chose, en fait. J’vous conseillerais juste de ne plus jouer aux arsonistes, merci. Je ne déconnais pas, tout à l’heure. C’est vraiment l’un des crimes les plus sales qui soient. Capiche ?


*
* *
*

La suite des évènements se déroula conformément aux plans des complices. Coincés, terrifiés et abrutis par l’épuisement, les deux civils ne purent rien faire d’autre que coopérer. Le témoignage qui fut sauvegardé dans les registres de la marine n’avaient plus rien à voir avec la réalité. Mais qu’importe. Ils étaient saufs. La requête des malfaiteurs avait été satisfaite. Peut être même allaient-ils s’enrichir, en détournant quelques fonds de leur assurance. Ils ne les pourchasseraient pas. Pas s’ils tenaient parole, en vérité. Et pas dans l’immédiat, à tout le moins.

Une fois de retour à bord de leur navire, les deux compagnons d’infortune n’avaient plus la moindre énergie pour faire quoi que ce soit. Ils déposèrent le petite Kahlia dans sa chambre, avant de s’en retourner dans la salle commune. Pas un seul ne lâcha le moindre mot. C’était tout juste s’ils eurent la force de se traîner jusqu’à l’un des canapés de la salle commune ; sans son amie, Sigurd se serait écroulé sur le premier tapis venu. Ils auraient pu regagner leurs cabines. Mais après tous ces affreux souvenirs, ils n’avaient pas la moindre envie d’être seuls. Il ne leur fallait qu’une seule chose : dormir. Leurs cervelles étaient vides, et douloureusement confuses. Il ne leur fallut pas vingt secondes pour sombrer dans un sommeil bien nécessaire.

Dans un coin de sa tête, pourtant, la commissaire avait su retenir une information utile. Ce n’était qu’un petit écriteau qu’elle avait vu exposé sur le bureau du marine. Un écriteau qui portait le même nom qu’elle avait entendu prononcer à quelques reprises, et qu’elle avait également aperçu sur l’uniforme du militaire corrompu.

Battista Brocolinni.

Sovngard Forgensen.

Ces noms…

Elle ne les oublierait pas.
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