- Guuuugugugugugugugugugu
Face au jeune homme, un vieillard grassouillet, du type ermite mais qui a mangé toutes les mites. Alrahyr a perdu de vue le navire. Qu’importe, son nouvel interlocuteur est vraiment étrange.
- Guuuugugu, bonjour toi !
Sa voix est vacillante, son rire crispant. Il porte des haillons salis par l’air iodé et par des oublis de lavage successifs, et fourre ses panards dans de hautes bottes de cuir trouées au niveau des orteils. D’ailleurs, ses ongles sont… étrangement pointus.
Et son visage ! Ridé au possible, sauf sur la joue droite. Cette joue là est lisse comme une peau de bébé, propre de toute salissure – au contraire du reste, bien entendu – et dénué de cicatrices. Balafré au niveau des yeux, entaillé au menton, découpé dans le cou, son corps ressemble à une expérience chirurgicale qui aurait mal tourné.
- Je m’appelle Bernarle R. Myth, guuuugugugugugugugu !
Et son nom a une odeur de fruit de mer.
- Réussiras-tu, gugugu, à franchir mon domaaaaaine, vaillant aventurieeeeer ?
Encore un taré… Décidément, quelle île !
- Excusez-moi, monsieur, mais…
- Teuteuteu ! Ma queeeeestion, gugugugu, était à réponse feeeerméééée ! Ouuuiiiiii, ouuuuuuuuuu…
Et là, il s’arrête, mettant le doigt devant sa bouche, cherchant par terre du regard. Soudain, il se jette au sol, les fesses en l’air, et chope une fourmi dans ses doigts, sans l’écraser.
- Ah ! Guuuugugugugugu, je t’ai trouvée petite chapardeuse ! C’est pas bien de voleeeer gugugu !
Il attrape une minuscule miette que tenait l’insecte, qu’il glisse dans sa poche.
- Et que je t’y reprenne pluuuus gugugu ! Alors. Où que j’en étais… Ah oui ! Guuuugugugugugu ! Ouuuiiiiiii ouuuuuuu Noooooon !
Alrahyr est sidéré par le comportement de l’inconnu.
- Je te répèèèète la questioooonnnn gugugu. Réussiras-tu à franchir mon domaine, vaillant aventurieeeer ?
- Euh… oui ?
- Bieeen gugugu ! Alors viens, je t’attends !
Il tend son bras vers des épaves et un bâton en bois en jaillit, venant directement se placer dans sa main. Un combat ? Avec ça ?
- Non mais monsieur, je ne veux que passer…
- Pas sans me combaaaaaattre guuuuugugugugugugugugugugu !
Et il se précipite vers le jeune homme. D’un coup sec de bouclier, il pare le coup, avant de recevoir un revers dans la tête.
- Aïe !
- Guuuugugugugu, je ne serai pas gentil la prochaine foiiiis ! Gare à toiiiii !
Le vieillard attaque à nouveau, mais Alrahyr y est préparé. Il bloque chaque coup, l’un après l’autre, forçant son adversaire à renouveler ses mouvements, toujours plus rapidement. D’un coup plus puissant que les autres, le jeune homme passe la défense de son assaillant puis se précipite plus loin, de manière à fuir le combat. C’est vrai, inutile de blesser un vieil homme ! Surtout avec un bâton.
Mais, après avoir administré un puissant coup sur la tête du fuyard, Bernale apparaît comme par téléportation devant lui, un nuage de poussière glissant sous les pieds.
- Tu ne t’enfuiras pas ! Guuugugugugugu ! Tu dois me battre.
S’il le faut… Alrahyr sort son sabre long, qu’il empoigne en main droite, et resserre sa prise sur son bouclier. S’engage alors un échange de coups, tous parés par le bâton de bois, y compris les attaques au sabre. De temps à autres, le jeune homme est victime de petites tapes un peu partout sur le corps, qui ne le blessent pas mais qui l’horripilent au plus haut point.
- Mais… Vous êtes qui, vous ?
- Guuugugugugu, je te l’ai diiiit ! Bernale R. Myth !
Le nom n’est pas important, mais pourquoi l’ex-Sergent d’Elite ne parvient pas à passer la garde de cette vieille loque ? Peut-être pas si loque que ça, après tout. Le vrai problème, en fait, c’est qu’il semble s’amuser à lui foutre des petits coups partout.
Et, plus embêtant, malgré la superbe facture du bouclier en acier kaltershaft, qui est censé réduire la puissance des coups, voire de les amortir totalement, Alrahyr ressent une douleur dans le bras gauche, correspondant aux chocs bloqués. Et cela, c’est inhabituel.
- Tu abandoooonnes ? Guuugugugugugu !
Non, il n’abandonne pas. Il passe simplement à la vitesse supérieure. Dans un premier temps, il faut déstabiliser.
- KIRETSU !
La frappe au sol administrée par le bord du bouclier déclenche une fissure qui se propage à pleine vitesse vers Bernale, déchiquetant le sol et faisant valser des débris dans tous les sens. Le vieux, certainement surpris, ne voit pas son adversaire fondre sur lui, et placer le bord de son bouclier contre son torse.
- HAKAI !
Le premier impact détruit la résistance externe de la cible, le deuxième répartit l’onde de force dans son corps, et le troisième provoque une onde inverse qui libère toute l’énergie emmagasinée. Puis Alrahyr bondit en arrière, et, en vol :
- BUMERAN !
Le bouclier fend l’air, pour aller se ficher… droit dans la main de Bernale. Alrahyr retombe au sol, sur ses jambes, sabre long en main.
- Hein ?
- Guuugugugu ! Belle tentative, l’aventurier ! Mais il va falloir en faire plus !
Il lâche le bouclier, qui tombe au sol, trop loin de son utilisateur. C’est très embêtant, tout ça… Les deux adversaires se lancent à l’assaut de l’autre, et c’est cette fois-ci un échange entre sabre et bâton qui s’exécute. Chacun connaît son arme, mais le jeune homme ne parvient pas à prendre le dessus. Malheureusement, au bout d’un moment, Bernale le désarme, envoyant la lame à quelques mètres. Dans l’espoir de le surprendre, Alrahyr décide de se jeter sur lui, pour l’emmener au sol.
- Arrête-toi !
Il l’attrape avec son bras, au niveau de la taille. Et là, le phénomène qui était déjà arrivé une fois, contre le pirate, se renouvelle. Son bras s’allonge, jusqu’à entourer complètement le corps de sa cible, puis s’en décroche, reconstitué de l’autre côté, comme s’il était passé au travers. En lieu et place du coup, un épais anneau d’acier entrave le vieux. Sans soudure, sans défaut.
Bouche bée, il regarde son œuvre.
- Guuuugugugugugugu, je me doutais bien que tu avais mieux en poche ! Là, tu m’intéresses, l’aventurier !
CLAC
D’un gigotement, il éclate dans un bruit sourd la prison de métal.
- C-c-c-comment vous avez fait ?
- Pas mal hein ? Gugugu ! Essaye encore !
Bernale se place debout, bâton au sol, les bras en haut, les yeux fermés. En toute confiance. Alors, sans trop réfléchir, Alrahyr recommence.
- Gouf ! Argh !
Mais cette fois, ça n’a pas fonctionné. Le vieux s’est bêtement pris un coup dans le bide.
- Gu…gu…gu… J’l’avais pas vue venir celle-là ! T’as pas l’air bien au point, hein ?
- Euh… je découvre… Mais…
- Pas de « mais » ! Concentre-toi, et tu y arriveras !
Après plusieurs autres coups dans le ventre, et des claques supplémentaires en guise de punition, le jeune homme parvient enfin à reproduire le mouvement initial.
- Guuugugugugu ! Enfin !
CLAC
- Bon, encore ?
Et encore, et encore, et encore.
- Bon, ça ira pour cette fois ! Guuuugugugugu ! On se reverra l’aventurier ! T’avais pas un truc à faire ?
Alrahyr regarde vers la mer. Le navire a dû accoster, maintenant. Mais lorsqu’il se retourne vers Bernale, pour le questionner sur la raison de cette apparition, il n’est plus là.
- Parti comme arrivé, hein…
Alors le jeune homme ramasse ses armes et reprend son chemin vers la rive.