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De pire Empire


Un navire-navette au service du Cipher Pol sur South Blue voguait paisiblement sous le chaud soleil. Le ciel sans un nuage et le beau blond donnaient une châleur estivale à l’atmosphère saline. Normalement, j’zonais à la proue ou à la poupe du bateau. J’voulais pas trainer dans les pattes des marins, et eux voulaient pas d’moi dans les leurs.
Les seuls moments où on discutait un peu, c’était autour des repas. Le coq était d’une nullité crasse, donc une compagnie supportable était l’seul moyen de réussir à avaler ce qu’il nous filait. Par contre, ç’avait l’air édible, vu qu’aucun de nous n’était malade. Pour l’moment. Pis les matelots étaient dix fois moins chiants que les officiers, en l’occurrence. Dans le genre pas de conversation, ils se posaient là.

« Agent ? Me hèle le bosco.
- Ouais ?
- Un appel par escargophone pour vous.
- J’arrive. »
D’une pirouette, j’me redresse du bout de bastingage sur lequel j’étais plus allongé qu’assis. Un coup d’œil aux voiles. Pas affalées, elles, pas comme moi. On file bon train, j’serai bientôt au Cimetière d’Epaves. J’saute à bas du château arrière, des fourmis dans les jambes. J’suis pas hyperactif, mais glander en mer, j’ai jamais trop aimé. Vivement qu’on puisse bosser.

J’vais droit dans ma cabine, là où s’trouve le den-den. La porte est même verrouillée par une clef que j’suis l’seul à avoir. Des fois que j’veuille consulter ou manipuler de la paperasse qui doit pas tomber entre toutes les mains. Le grand luxe, ces navettes, si on excepte le lit en bois, la bouffe dégueulasse et les gueules de dix pieds de long des offs et sous-offs. Au point que j’ai pioncé dans le fauteuil, bien plus agréable, ou même sur le pont, à la belle étoile.

J’essuie la sueur qui m’perle sur le front et j’décroche.
« Rinwald ?
- Oui, chef !
- Enfin vous répondez !
- Désolé, chef, j’fraternisais avec les marins. »
J’vais pas lui dire qu’il fait trop étouffant dedans, ça fait pas sérieux.
« Du nouveau pour votre mission.
- L’identité révolutionnaire est arrivée ?
- Pas tout à fait.
- Comment ça ?
- Il y a eu…
- J’devais pas récupérer l’identité d’un révolutionnaire mort récemment ou bien utiliser l’introduction d’un collègue infiltré ?
- Si, si, c’était ça le plan.
- ‘’C’était’’ ?
- Il y a eu du changement.
- J’imagine bien, chef. »

Il a jamais été du genre à prendre des gants. Du coup, j’ai un mauvais pressentiment. Ca doit vraiment schlinguer du cul pour qu’il hésite. Après une pause, il reprend :
« Rinwald ?
- Oui, chef ?
- C’est la crise.
- Crise mondiale ? Economique ? Financière ? Politique ?
- Non, non, enfin si, mais non.
- Allez-y, chef, j’peux encaisser.
- La crise des identités, on a décidé de les économiser.
- Ah. La mission est annulée, c’est ça ?
- Oh que non ! J’ai même trouvé personnellement comment vous allez vous infiltrer, Rinwald.
- J’vous écoute, chef.
- Vous allez vous faire passer pour un naufragé.
- Comment ça, chef ?
- L’équipage va vous préparer un morceau de barque avec une rame et vous lâcher ici. Les courants vous amèneront au Cimetière.
- Au Cimetière ?
- Le Cimetière d’Epaves, évidemment.
- Mais on est encore à plusieurs jours de l’île !
- Justement, ça n’en sera que plus crédible.
- C’est une blague ?
- Non, Rinwald, ce n’est pas une blague, ce sont vos ordres. A partir de là, vous avez carte blanche pour infiltrer les éventuels révolutionnaires se trouvant sur l’île, ainsi que remonter à ceux qui les recrutent ensuite.
- Putain, je risque de mourir, chef.
- Ne vous inquiétez pas, prenez un peu d’eau, d’ici trois ou quatre jours vous serez arrivé.
- Bien, chef.
- Le bateau vous couvrira de loin quelques temps. Vous êtes en plongée totale, Rinwald, pas d’escargophone, pas de filet. Juste un morceau d’identité.
- Oui, chef. »

J’pensais pouvoir encaisser. Elle est raide, celle-là. J’devrais pouvoir survivre, mais dans quel état, j’en avais pas la moindre idée. J’commence à tirer des plans. Un naufrage. Un gars en marge de la société. Victime de l’administration. Comme mon daron, tiens. J’préfère me projeter à quand j’aurai survécu plutôt que du reste. J’révise ce qu’il m’a dit de ma future identité. Ca devrait être invérifiable, un gars qu’a canné récemment et dans le secret.
J’enlève mes couteaux. Un ou deux suffiront, plus serait suspicieux. J’en garde une paire pas trop moche. Pas envie de me balader avec des trucs de prix. Qu’on m’les fauche. Qu’on s’pose des questions. La navette me ramènera les autres à la maison, j’les récupèrerai.
J’remonte avec juste ma chemise et mon pantalon, plus de godasses et plus de cravate. Mes pieds nus sur le pont m’envoient un signal de chaleur. Ca commence à taper fort, ici. J’crois que j’choppe aussi une écharde ou deux. Ca m’occupera en mer.

J’dois tirer une gueule de déterré, vu que deux-trois matelots avec lesquels j’ai sympathisés m’adressent un p’tit signe ou m’tapotent l’épaule. Leurs collègues sont en train de cogner sur une barque. Histoire de l’amocher un peu. Ca serait dommage que j’coule pas avant d’arriver. Nan, tapez un peu moins fort, s’il vous plaît…
Le capitaine vient m’voir avec son tronche de dix pieds d’long. De circonstance, on fait la paire. Il m’file une gourde en cuir et m’rappelle de la bazarder avant d’accoster. Y’a le symbole de la mouette, dessus, en même temps. Puis l’est temps d’embarquer.


****

Le voyage en mer a été dur. Putain d’dur. Même avec une gourde dont l’eau schlinguait au départ avant de devenir un putain d’nectar. Le soleil tapait fort, j’ai bien dû passer une huitaine d’heures par jour à le maudire. J’ai des putains d’coup d’soleil, aussi. Nuque. Mains. Pieds. Rudement mal.
Le deuxième jour, j’ai démonté ma barque moi-même. J’ai gardé deux planches clouées entre elles et la rame. M’suis allongé, j’ai regardé le temps passer. Les pulsations de la soif, de la faim. J’crois que j’ai pleuré, aussi.

J’avais tablé, avec les marins, sur trois jours pour arriver. Du coup, à la fin du deuxième, j’ai balancé la gourde. Pour faire un assoiffé crédible, rien de mieux que d’rentrer dans le rôle. Cent pour cent réel. En parlant de rôle, d’identité, j’me suis répété la mienne jusqu’à y croire.

Au final, j’ai mis quatre jours. J’étais mal, à la fin. J’espère que mon chef se fera taper sur les doigts.

Chiasserie, putain.


****

J’ai tourné d’l’œil. La houle qui changeait m’a réveillé. J’étais à une dizaine de mètres d’un amas de bouts de bois. Le Cimetière d’Epaves. Faut croire que j’étais en vie. J’ai aspiré de l’air par la bouche. Ca m’a fait mal. J’entrouvre mes lèvres, sors ma langue pour les humecter. J’aurais pu passer du sable dessus que ça aurait été la même. Putain, j’ai soif.
J’vois flou un gars qui marche vers moi. Il a pied. J’ai une rame. Ma main toujours crispée dessus. J’ai un couteau. Non, deux. Pas la force de les sortir. J’essaie de bouger mon bras, mais ça marche pas trop. En tout cas, j’en donne toute l’apparence. S’il a des intentions mauvaises, il risque d’avoir une sale surprise.

Il a l’air content de m’voir, se grouille. Tire les planches au sec, regarde si j’suis en vie. J’le regarde faire, les paupières à demi baissées. Comédie ou pas, j’joue tellement bien le mec sur le point de s’évanouir qu’on croirait que c’est vrai. J’me rends compte que c’est vrai.
J’me concentre, j’ai l’impression de sentir la peau à l’arrière de mon crâne qui s’tend. Le bonhomme a l’air de s’être rendu compte de quelque chose, il me file un filet d’flotte qui, en coulant dans ma gueule desséchée, m’donne l’impression que toute la poussière du monde est lavée par les pluies torrentielles du déluge. Rien qu’ça.

Quelques jours plus tard à bouffer du bouillon et à lamper de la flotte, j’suis assez d’attaque pour avoir fait le point sur ma situation. Le gars qui m’a récupéré, dans toute la bonté de son âme, c’est Sami, un type qui émarge dans l’coin depuis une trentaine d’années. Il en a vu, des nettoyages, des feux, d’la merde. Quand j’suis gaillard, j’l’accompagne, on fait la ronde des coins où y’a des naufragés qu’arrivent.
J’lui lâche des bouts d’moi, il m’lâche des bouts d’lui. Il a l’air un peu trop révo pour être un chic type. Taille moyenne, gueule moyenne, juste marqué par la pauvreté et les embruns. Un gars lambda. J’le baratine. J’y crois moi-même. Les identités, c’est comme une seconde peau, mais faut que ça recouvre tout, plus vrai que vrai, avec juste la vérité qui brûle doucement derrière. Un feu tout doux mais hargneux, pugnace. Qui s’éteindra pas.

Alex Garfield, couteaux à vendre. J’faisais quelques extras à côté, j’l’avoue. Du genre salissants. Fallait bien vivre. Puis les extras m’ont rattrapés, comme qui dirait. J’ai fui, mais ça s’est mal passé. Et me v’là, c’est fou l’destin ? J’retiens les commentaires sarcastiques, j’voudrais pas lui donner du grain à moudre.
Sami, il m’raconte des trucs. Comme j’suis réceptif, il en raconte d’autres. Des potes à lui devraient pas tarder à arriver. On est une p’tite bande qu’il a rassemblée, avec d’autres collègues à lui. Ils se serrent la main bizarrement, ils toquent aux portes avec des rythmes étranges. Ca pue le conspirationniste, un aveugle le sentirait direct.

Puis, un beau jour, y’a une voile à l’horizon. V’la les potes de l’autre qui s’pointent. Ils débarquent comme en terre conquise, font comme chez eux. J’aime pas trop leurs airs, mais ils sont sympas. Sami nous raconte à un grand type brun. Tout ce qu’on lui a lâché comme infos persos et comment on est arrivé là. Si j’avais su qu’il raconterait ma vie inventée à la moitié du monde connu, j’l’aurais ptet bouclée.
Et j’suis pas l’seul à penser ça. Ca grince des dents, ça rougit à côté de moi. Pasqu’on nous a tous foutu en rangs d’oignon, limite au garde-à-vous. Puis, subitement, ça devient plus intéressant que les histoires de misère ambiante :
« Et sinon, ça remue pas mal chez les clochards du bas de l’île, dit Sami.
- Depuis ?
- On a appris ça aujourd’hui. Ca ferait quelques jours.
- Je vois. »

Le grand brun appelle un dénommé Gaspard. Le même modèle que son chef, avec la gueule encore plus arrogante. J’l’aime pas trop, il parade avec un sabre d’abordage et marche avec le pif en l’air.
« Gaspard, prend Georges avec toi et deux des gars-là, puis allez voir.
- J’suis volontaire. »
On me scrute bizarrement. Quoi, c’est bizarre, de vouloir rendre service ? J’soutiens le regard de Gaspard, l’air du gars sûr de lui qu’a rien à cacher. Ca a l’air de l’énerver. Il s’rapproche à dix centimètres de moi pour m’impressionner. Manque de bol, j’lui mets quelques pouces, et il s’en rend compte sur le tard. J’crois que ça le fait pester. Il crache par terre, désigne un type au pif et nous fait signe de le suivre. J’sens qu’une collaboration saine va s’engager.

Et voilà que j’suis envoyé avec le duo de révolutionnaires pour touiller la merde des clodos du sous-sol.


Dernière édition par Alric Rinwald le Lun 17 Nov 2014 - 16:54, édité 1 fois
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Le capitaine a tenté de le convaincre, encore quelques pas, le suivant alors qu’il s’avançait vers la côte.

- Attend attend, fais pas le mariole toi, c’est pas des enfants de chœur !
- Et moi, tu crois que j’en suis un ?
- J’ai pas dit ça hein, mais ce serait dommage que tu crèves ici.
- T’en fais pas pour moi.
- Comprend moi, j’protège mes intérêts, je préfère t’avoir avec moi qu’autre part, tu vois l’idée ?

Alrahyr s’est alors arrêté quelques instants.

- Bon… L’île flottante, là, c’est réel ?
- Armada ?
- Ouais, ça. Est-ce que ça existe vraiment ?
- Pour sûr que ça existe !
- Une île dirigée par des pirates ? Qui bouge dans Grand Line ?
- Yup, exactement. Les « libres pirates » qu’ils se font appeler.
- Comment tu sais tout ça ?
- Faut aller un peu plus dans les tavernes hein. C’est connu partout, même dans les Blues.
- Pas eu beaucoup l’occasion de vadrouiller dernièrement… T’es déjà allé sur Grand Line ?
- Jamais…
- Tu sais que la navigation y est différente d’ici, j’espère ?
- Bien sûr… Tu vois le type à lunettes de mon équipage ?
- Ouais.
- C’est le navigateur. Il lit beaucoup, il est bien au courant de tout ça… Et on a aussi le matériel nécessaire de navigation.
- Bon, au moins on ne partira pas à l’arrache… Et, pour te rassurer, t’en fais pas : je compte aller sur Grand Line, pour découvrir Armada. J’y tiens. Donc je vous laisse pas tomber.
- Ok…
- Je vais jeter un coup d’œil au navire qui arrive. Commencez à rassembler le nécessaire pour un navire.

Et le jeune homme a continué sa route vers la mer.

---

Après une rencontre impromptue avec un vieux bizarre, il atteint enfin la rive.

Mais le temps qu’il y arrive, le navire a eu le temps d’accoster. Il aperçoit plusieurs petits groupes s’éparpiller, partant certainement à l’exploration de l’île. Le Capitaine pirate auquel il s’est joint l’a prévenu : ils viennent certainement pour recruter des nouvelles têtes pour la révolution. Des clodos du coin, qu’il a dit.

Alrahyr les a presque oubliés, ces clochards. Mais pourquoi diable s’est-il fourré dans cette histoire de direction d’un clan dominant des profondeurs ? Evidemment, il a eu l’occasion de combattre, et il a voulu récupérer son fruit… Et en plus de cela, il a vu la possibilité de commander quelque chose, à nouveau. Décidément, cela ne lui réussit pas. Pourquoi toujours se placer à la tête d’autres personnes ?

Heureusement, il n’a pas renouvelé cette erreur avec l’équipage pirate.

Mais maintenant, il doit assumer cette responsabilité, au moins pour garder la main mise sur les ressources des profondeurs, dont il aura certainement besoin pour la construction du navire. Et il semble que ces révolutionnaires ont la volonté de venir recruter des clodos. Enfin, toujours selon les dires du Capitaine.

- Allons donc voir ça…

Il s’approche, et arrive bientôt en vue des hommes qui ont débarqué. Enfin, il ne reste pas grand monde depuis que plusieurs groupes s’en sont éloignés.

Un grand brun le hèle :

- Hep toi là-bas, viens-là ! T’es qui ?

Le jeune homme a bien l’intention de venir, faut qu’il se détente ce mec, avec son air arrogant. Alors il approche, équipé comme à son habitude avec son bouclier en main gauche et ses trois sabres à la ceinture. Bien entendu, son attirail provoque chez les hommes une certaine méfiance, et ils portent lentement leurs mains à leurs armes, l’air de rien.

- T’es sourd ? T’es qui ?
- Je vous retourne la question, vous débarquez, vous vous présentez.
- Hé, tu t’prends pour qui, tu t’crois influent ici ?
- P’t-être bien.
- J’crois pas, non.

Le grand brun fait signe à ses acolytes, un léger signe de main dirigé vers le jeune homme. Deux d’entre eux s’avancent, sabres sortis, doucement.

- Dernière chance, l’indigène, t’es qui ?
-

Inutile de les blesser, le but n’est pas de s’en faire des ennemis. Au contraire, il y a un quelque chose en ces hommes d’intriguant. Après tout, Alrahyr a pu en apprendre beaucoup sur ce monde ces derniers temps. Et sa vision des pirates, des révolutionnaires et de la marine a beaucoup changé. Autant continuer à en apprendre, plutôt que de les abattre sur le champ.

- Comme tu veux. Un muet c’est inutile pour nous.

Alors l’un des hommes d’armes attaque. Calmement, le « muet » dévie le sabre d’un mouvement de bouclier et bouscule son assaillant, qui trébuche et tombe sur les fesses. Et lorsque le second passe également à l’offensive, il ne faut qu’un instant pour qu’il se fasse balancer à quelques mètres, d’un coup tournant. Pas de mort, pas de sang, propre. Pas de sang, mais pourtant son bouclier est encore teinté de celui acquis dans l’arène des clochards.

- Dans les sous-sols, ils m’appellent le Bouclier Rouge.
- Pour qui tu te prends ? Eh, attend…

Le grand brun change totalement de manière d’être. Il semble s’être complètement détendu, malgré le début de combat qui vient d’avoir lieu.

- Dans les sous-sols, tu dis ? T’y es déjà allé ?
- En quoi ça intéresse ?
- Les clodos, y en a ?
- Y a que ça. Va falloir être plus clair si tu veux des infos.
- Hmm… En réalité…

Mais il est interrompu par un clochard pouilleux qui se précipite vers Alrahyr, jusqu’à son niveau, clampin-clopant.

- Maîîîîîître ! Faut qu’vous v’niez, des gens bizarres !

Et il s’arrête, comme se rendant compte uniquement maintenant de la présence des hommes autour.

- Des gens comme eux !

Alors, sans un mot, sans un regard, le jeune homme quitte la discussion, laissant en plan ses interlocuteurs, après un signe de main qui signifie clairement de ne pas le suivre.

- T’barre pas comme ça !
- Je reviens.

Quelques mètres plus loin, Alrahyr s’adresse au larbin :

- En quoi ils sont bizarres ?
- Y puent la conspiration et les sales magouilles à plein nez !

Etrange, venant d’un type qui schlingue la crasse et la merde…

- Nombreux ?
- Des petits groupes, ils essaient de trouver l’entrée des souterrains.
- On peut retourner dans les profondeurs sans qu’ils nous voient ?
- Yep maître, suivez-moi vers les passages secrets !

Bien plus loin, ils s’engouffrent dans des successions de tunnels, avant même d’avoir pu apercevoir les groupes dont le clochard parlait, pour enfin arriver dans les profondeurs dominées par Alrahyr. L’odeur ne s’est pas arrangée, mais il ne l’avait pas perçue la première fois, certainement à cause de son état léthargique. Mais, maintenant qu’il a pu rencontrer des pirates un tant soit peu plus propres, et goûté à l’air plus pur de la proximité de la mer, il comprend que l’état d’hygiène de cet endroit est… lamentable.

Et il semble qu’il soit arrivé à temps. Car des voix se font entendre dans le tunnel principal qui sert à rejoindre les profondeurs. Un petit groupe, peu de pas.


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Et on est parti avec Sami, Gaspard et Georges. Les deux nouveaux venus ont commencé à marcher devant dans une direction. Du coup, on les a suivi sans dire un mot. Au bout d’une dizaine de minutes de marche, y’en a qui se réveille. C’est Georges, il a l’air plus sympa qu’son pote.
« C’est par où, en fait ? »

Dommage, j’aurais bien aimé les regarder pédaler dans la semoule encore un p’tit peu. Et voir Gaspard douiller. Ouais, il m’est franchement antipathique. Mais j’fais abstraction de ça pour prendre le rôle du bon gars qui rend service. C’est-à-dire que j’ferme ma gueule pour laisser le type qui connait le patelin discuter à ma place.
« Oui, fait Gaspard, j’imagine qu’on va dans la bonne direction ?
- Plus ou moins… répond Sami.
- Comment ça, plus ou moins ?
- Il existe de nombreuses entrées pour aller au sous-sol. La plupart sont difficilement praticables et d’ailleurs peu pratiquées.
- Super, lâche le prétentieux. Par où ?
- A droite, j’crois. »

Sami passe devant et nous guide au milieu d’un amoncellement de bois pourri dans lequel j’aurais probablement jamais mis les pattes en temps normal. Les planches sont tellement humides et mitées qu’elles gouttent encore de la flotte alors qu’il avait pas dû pleuvoir depuis des heures.
Des formes engoncées dans des couvertures se sont retournées sur notre passage. Ca pue la vieille sueur rance là-dedans. Mon bon copain Gaspard a le fourreau de son sabre d’abordage à la main et l’utilise pour écarter les débris en travers de son chemin, pour pas avoir à les toucher directement. Puis ça doit être dissuasif pour les types qui pioncent là.

On passe un long moment à chercher, à se promener, à tourner en rond. Sami murmure dans sa barbe inexistante qu’il était sûr que c’était dans l’coin, putain d’clodos qui déplacent tout tout l’temps.

Le guide écarte un panneau de bois aussi naze que le reste et révèle un étroit passage qui s’enfonce dans les épaves.
« Je pense qu’on peut passer par là, dit-il.
- ‘’Pense’’ ?
- Les chemins pour descendre varient en permanence, et ça fait un certain temps que j’ai pas pris celui-là. Il est probablement encore praticable, mais c’est pas sûr.
- Et si c’est pas le cas ?
- Il pourrait s’effondrer sur nous ou, moins dramatiquement, nous empêcher d’arriver jusqu’aux galeries. »
Gaspard grimace. Il a pas l’air chaud à l’idée de s’enterrer sous des tonnes de bois branlant.
« Une autre entrée ?
- Loin, désolé, fait Sami.
- Si ça s’écroule, tu seras encore plus désolé, grince le chef de notre quatuor. »

Sur ces mots, il fait signe à Sami de passer le premier, ce que l’homme fait en écartant les morceaux qui gênent avant de se baisser pour s’enfoncer, plié en deux, dans le conduit. Gaspard me pointe son sabre dans les côtes pour m’motiver à passer avant lui. Sur un grand sourire confiant, j’m’exécute. Hé quoi, j’suis content d’être là.
Sur une dizaine de mètres, la progression est franchement difficile. Fastidieuse. J’me tasse, j’me sers, j’me contorsionne. En plus, on est petit à petit dans l’noir, à mesure que la lumière a du mal à passer entre les fragments d’épaves.

On est tous les quatre accroupis. Sami et moi, on peine à s’retourner vers les deux autres. Du coup, on s’contente de regarder par-dessus nos épaules respectives. J’espère qu’on va pas rester des heures comme ça, ça m’nique le cou.
« Maintenant, il va falloir ramper un coup, il semblerait.
- On est sûr que le chemin débouche quelque part ?
- Pas vraiment. »
Gaspard se concentre. Vas-y chef, montre-leur !
« Sami, tu passes devant. Si on va tous à la file, on risque des ennuis s’il faut rebrousser chemin.
- Okay. »

Sami, il a pas l’air ravi. Mais c’est lui qui connaît le coin, alors il y va. Au bout de cinq minutes, un long sifflement nous parvient. Le signal sur lequel on s’était mis d’accord au préalable. Du coup, c’est mon tour. J’y vais dans la joie, l’allégresse et la bonne humeur.
J’rampe dans l’noir, j’m’érafle les doigts sur des échardes et autres bouts pointus qui dépassent. Mais j’sais qu’au bout, a priori, y’a quelque chose. Sinon, Sami aurait pas sifflé. C’est assez un chic type pour pas nous buter, j’crois. Ouais, ramper dans le noir, c’est déprimant, on pense pas à des trucs jojos.

Finalement, j’sens une main devant moi. J’l’attrape au poignet, elle fait de même, et me tire hors du trou. J’atterris dans une galerie assez large pour deux de front, dont le plafond doit faire dans les deux mètres de haut. C’est un peu humide, mais éclairé chichement par des trous positionnés à intervalles réguliers, qui amènent un peu de lumière.
Un peu après moi, Gaspard et Georges arrivent. Ils ont douillé, à cause de sabre de l’autre empaffé. Il l’a attaché dans  son cul, mais ça devait quand même s’accrocher partout. Pas une partie de plaisir, quoi.

Une fois qu’on est tous prêts à repartir, on taille la route, vers le bas. Y’a d’autres galeries qui coupent la nôtre, et j’vois Sami hésiter. Visiblement l’architecture change souvent, par ici, ou alors ça fait longtemps qu’il est pas venu. Mais on continue d’avancer. Au début, on était sur nos gardes, mais à force qu’il se passe que dalle, j’sens les autres derrière moi s’relâcher.
On commence à tailler la discute, le bout d’gras. Enfin c’est surtout Gaspard qui nous emmerde. Il demande quinze fois si c’est bien par là. Si on est sûr. Comment on repart. Sami est poli, mais j’ai l’impression que ça lui tape sur le système. Déjà qu’il doit trouver le chemin… J’le plains.

D’un coup, cinq types jaillissent d’une galerie perpendiculaire devant nous. Ils sont armés de gourdins et gueulent. Six autres apparaissent derrière nous. Le même modèle clochard des profondeurs, en haillons avec un vieux bout d’bois comme arme. Les mieux lotis ont quelques clous rouillés qui dépassent de leur masse. De quoi chopper l’tétanos. Si tu meurs pas dans l’échaffourée, tu clamses quelques semaines après d’une chiasserie que tu choppes.
Y’a qu’un seul type qui s’démarque du lot. Bien découplé, avec un bouclier et trois sabres encore au fourreau. Et un sugegasa sur le crâne, donc on voit pas trop son visage. Il a l’air autrement plus menaçant que les autres débris.

Le gars au chapeau fait un pas supplémentaire et se retrouve tout pile dans une flaque de lumière, avant de faire pivoter légèrement son bouclier. J’plisse les yeux, j’crois qu’il veut nous éblouir avant de nous sauter dessus. Mais en fait, ça nous montre juste les tâches rouges qui parsèment son matos de défense.

Y’a pas à dire, il a le sens du théâtral.

Y’a que Gaspard qui bite rien à la situation. Sont ptet bouffés aux mites, les clodos, mais ils sont un paquet d’plus que nous.
« Vous êtes ? Qu’il demande.
- C’est plutôt à vous de vous présenter, répond le type au chapeau.
- En quel honneur ? Fait Gaspard en haussant un sourcil méprisant.
- Vous êtes chez moi.
- C’est toi qui as unifié les… eux ?
- Qui êtes-vous ? »

Le chef des vagabonds soupire. Il a l’air blasé. Ca doit être la discussion façon cours de récré qui l’amuse pas.
« Alrahyr Kaltershaft. J’ai unifié les clans des profondeurs. J’ai aussi discuté avec votre chef, à la surface. »
Gaspard dégaine son sabre d’abordage. Du beau matos, quand même, l’air de rien. Il garde le fourreau à la main gauche et se met en garde. J’secoue la tête. J’ai pas envie d’me battre.
« Je ne vous veux aucun mal, reprend Alrahyr. Votre chef a déjà essayé de m’intimider par la force. Cela ne lui a pas réussi.
- Vous les avez tués ?
- Non, simplement désarmés.
- Et vous voulez quoi ? Demande Gaspard. »

Enfin il pose les bonnes questions, çui-là. Putain.

Et y’a un truc qui m’tiraille l’esprit. J’ai l’impression que ça traine à l’arrière de mon crâne, un raccord à faire. Chiasserie.
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Qu’est-ce qu’Alrahyr veut ? La belle affaire… Oh, rien, juste construire un navire, aller sur Grand Line, se perfectionner dans l’utilisation de son nouveau pouvoir, et enfin trouver une île flottante appelée Armada dans le seul but de comprendre en quoi cet ensemble hétéroclite fonctionne à travers les mers. Enchanté. En fait, ça n’est peut-être pas la meilleure manière d’aborder quelqu’un.

Quatre gaillards : deux frais, deux pas frais. Une seule arme, mais tous en bonne condition. Du côté des clodos, dix pouilleux plus intéressés par la défense de leur clan que de leur peau. Et un ex-Sergent d’Elite, qui pose directement les bases, un genre de « cherchez pas, je suis plus fort que vous, on va commencer par discuter ».

Ce qu’il veut ?

- Que font des révolutionnaires ici ?

Alrahyr a tapé au pif, mais il semble qu’il ait tapé juste. D’instinct, étant en situation supérieure, il s’est permis d’avancer au hasard. Le Capitaine de l’équipage qu’il vient de rejoindre avait suggéré l’hypothèse de l’arrivée de révolutionnaires, ayant la volonté de recruter des clochards, alors le jeune homme s’est précipité sur cette idée. Et il n’a pas l’air si loin de la réalité.

Le type armé jette un regard surpris à ses collègues, comme cherchant une réponse valable.

- Des révolutio-quoi ? Euh nan, j’vois pas de quoi vous parlez, on est juste…

Un type de son groupe, à l’apparence classique, le genre brun habituel qu’on croise à tous les coins de rue, soupire assez bruyamment, comme pour lui signifier qu’il raconte de la merde. Après un regard assassin, l’homme armé se reprend.

- Pourquoi on s’rait des révolutionnaires ?

Le moyen détourné de dire « bien vu, comment tu savais ? ». Donc Alrahyr ne prend pas le temps de répondre à la question : il en a posé une, il n’a pas eu sa réponse. Et en ce moment, ça l’agace pas mal de ne pas avoir de réponse. Alors il s’avance, pas à pas, marquant chacun de ses mots par un pas supplémentaire.

- Que faites-vous ici ?

Et, à l’intonation ponctuant l’interrogation, il s’arrange pour que la pointe du sabre dégainé de l’homme entre en contact avec son bouclier, provoquant un petit crissement strident. Une leçon essentielle de sa formation au BAN : la mise en scène compte pour beaucoup dans l’obtention d’informations. Ici, ça n’est rien d’autre qu’un interrogatoire déguisé en embuscade à l’entrée d’un domaine souterrain. En d’autres termes : « défense d’entrée, vous êtes entrés, faut vous expliquer ».

- On explore. A ce qu’il paraît, ça bouge pas mal dans le coin, on veut se tenir au courant.
- Qui ça, « on » ?
- Les révolutionnaires ! C’est vous qui l’avez dit.
- Jouez pas au plus malin avec moi.

Le type au sabre grommelle.

- La cellule révolutionnaire de Luvneel.
- Vous explorez, hein ?
- Ouais.

Il a commencé à bâtir son mensonge, à s’inventer une vérité dans laquelle il va réussir à s’enfermer si le jeune homme n’intervient pas. Bientôt, il va avoir esquissé plus de détails, lui permettant de donner des réponses détournées sans hésiter. D’ailleurs, il ne vacille presque plus. Il faut agir. Maintenant.

- J’ai dit, jouez pas au plus malin avec moi.

Alrahyr, d’un coup sec sur la partie non tranchante de la lame, désarme son interlocuteur, surpris par le mouvement. Après la mise en scène, la déstabilisation.

- Vous venez recruter dans les profondeurs de l’île. Je me trompe ?

Et la réalité. Ta frêle histoire s’écroule, bonhomme. L’homme gigote, mal à l’aise. Nouveau soupire du type brun. Il cherche à se faire remarquer, lui. Celui qui cherche à omettre la vérité semble maintenant vaincu. Il abdique.

- On peut rien vous cacher, hein ?

Silence.

Brisé par l’ex-Sergent d’Elite.

- Suivez-moi, on va discuter au calme. Pas besoin de se foutre sur la tronche.

Il lance un regard vers le plafond et ses débris pourris, imbibés d’eau.

- Surtout que c’est fragile ici.

Le quatuor lève la tête comme un seul homme, rempli d’inquiétude. Puis ils emboitent le pas aux clochards, sans pour autant s’en rassurer.

Quelques couloirs et intersections plus loin, après avoir croisé des dizaines de pouilleux intéressés par le remue-ménage, la petite troupe arrive dans la salle dans laquelle Alrahyr a pris le pouvoir, tuant l’ancien chef de clan. Depuis, personne ne l’a encore défié en duel à mort, nécessaire pour revendiquer la domination.

Le jeune homme s’assied sur sa chaise, légèrement rehaussée par rapport aux autres qu’on apporte à sa demande à ses hôtes. Il ordonne ensuite qu’on les laisse tranquille, non sans conserver ses armes, et surtout son bouclier, à ses côtés.

- Alors, on va faire simple.

Assis, le quatuor écoute, forcé. Alrahyr parle plus bas, en se penchant vers eux.

- Les clodos des profondeurs, j'en ai pas grand chose à cirer. Tout ce que je veux, c'est au final quitter cette île. Dominer des pouilleux, c'est pas mon objectif de vie. Mais peut-être l'aviez-vous déjà deviné ?

C'est vrai, quoi... Il leur a donné son nom, ils n'ont pas réagit. Alrahyr Kaltershaft, pourtant, c'est censé évoquer quelque chose à la révolution, d'une manière ou d'une autre. Boréa, sans dessus-dessous suite à de nombreux événements, ça ne passe pas inaperçu.

Et, finalement, pourquoi leur cacherait-il les grandes lignes. Oui, il hait le Gouvernement Mondial pour la place qu'ils donnent à la noblesse. Mais il ne peut rien faire contre.

Pour l'instant.


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Assis sur ma chaise branlante, j’me retiens de faire taper le pied déséquilibré par terre en rythme avec les gouttes d’eau qui flottent du plafond et tombent avec un floc sonore. Les clodos sont massés contre les murs de la salle, qui a un tapis rouge humide et délavé pour toute décoration. J’ai entendu dire qu’ils récupéraient tous les trucs les plus pourris. Ils doivent pas les avoir amassés ici en tout cas.

Alra-truc nous pose une question toute réthorique qu’il laisse flotter quelques instants. On médite sa phrase, on médite la situation. C’est pas jojo, on est coincé dans le territoire des trouducs, enfouis sous terre, ou plutôt sous épaves. On connaît pas le chemin pour sortir, en plus. Va falloir la jouer finaude.

Gaspard ouvre la bouche pour parler. Merde.

Heureusement, Alra lui coupe la parole.
« Maintenant que je me suis présenté, vous allez en faire de même. »
Péremptoire, le roi des clodos. Mais pas très investi de sa mission, d’après ce qu’il dit. Gaspard, qui avait la gueule prête à gober les mouches, décide de pas perdre de temps à la boucler et répond :
« Gaspard Ollectair, membre de la cellule révolutionnaire de Luvneel.
- Georges Alistair, membre de la cellule révolutionnaire de Luvneel.
- Sami, juste Sami, recruteur pour la cellule révolutionnaire de Luvneel. »

Ils disent tous ça avec un bel ensemble. On sent qu’ils se sont entrainés. Il reste que moi, le regard de Bidule posé sur ma personne.
« Alex Garfield, coutelier. Ex-coutelier, plutôt. Suite à quelques démêlés judiciaires, j’ai fait naufrage et atterrit sur le Cimetière. Actuellement sans activité professionnelle. »
J’suis un peu plus loquace que les autres. Ca fait un moment que j’essaie de court-circuiter Gaspard avant qu’il fasse une connerie.
« Maintenant que nous avons fait connaissance, fait le révolutionnaire, et si nous allions parler à la surface ? »
Ce genre de connerie. Putain.

De dépit, j’sors une clope humide que j’peine à allumer. Quand j’parviens enfin à tirer quelque chose, le roi répond.
« Peut-être plus tard. Je veux profiter de vous avoir là pour discuter un petit peu. En apprendre plus sur vous. Sur Luvneel, aussi. »
J’avoue que j’suis tout ouïe. Si les autres commencent à cracher des informations sur la Révolution, ça va m’être bien utile.

Alors que Gaspard se prépare à répondre, le maître des lieux pointe Georges. Un gars plutôt sympathique mais pas bien finaud, exactement le genre de sous-fifre qui plaît à Gaspard, qui le met en valeur et discute jamais les ordres.
Mais le copain Georges, il a pas grand-chose à raconter. Comme j’le sais, la Révolution cloisonne énormément son organisation en une myriade de cellules étanches. Du coup, à part par l’intermédiaire de leur chef là-haut, ils n’ont pas réellement de contact avec les pontes de Luvneel. Et ledit chef parle parfois d’un type qui le contacte à visage masqué la plupart du temps, le reste par l’intermédiaire de billets codés. Pas grand-chose à en tirer, quoi.

Georges, il est trop con pour mentir. En tout cas, c’est ce que je pense après l’avoir côtoyé même pas une heure. Du coup, ptet que c’est un genre de super comédien. Mais j’y crois pas trop. Faisant signe à Gaspard de se taire d’un geste du bras, Alra ordonne à Sami de s’exprimer.
Le recruteur nous sort un désolant couplet d’un pathétisme rare. Une vie dans le dénuement le plus total à cause d’une conviction mal placée. A sauver des naufragés, entretenir des clodos pour les refourguer ensuite à la révolution comme chair à canon. Jusque-là, c’était émouvant. Ensuite, quand il s’est mis à geindre pour sa vie, c’est devenu chiant.

Le roi l’a coupé quand c’est devenu trop monotone. Il m’a fait signe. J’ai développé, raconté la même histoire qu’à Sami. M’assurant que tout était raccord. J’ai pas spécialement de conviction. J’suis rationnel, j’veux un toit, de quoi bouffer. J’ai perdu mon magasin. J’brode un peu là-dessus. Quatre gars qui tentent de me suriner avec mes propres couteaux dans une ruelle un soir. Ironie du sort, j’les leur ai vendus la journée-même. J’suis plutôt fier de moi sur ce coup-là. Bien trouvé, j’trouve.
J’dis que ces quatre bonshommes, ils bossaient pour un fonctionnaire gouvernemental. Que c’est dégueulasse. Qu’je les retiens. Que j’suis désoeuvré, que j’cherche ma voie. J’m’arrête là, j’ai plus rien dans ma besace à histoires.

Quand j’écrase ma clope que j’viens de finir, le plafond laisse échapper un long grincement. On lève tous les yeux, nous cinq. Pas les clodos, ils ont l’air d’avoir l’habitude. L’autre avec son sugegasa déchiré a pas l’air plus en confiance que ça.
Le roi se lève, s’approche de moi.
« Coutelier, hein ? Jette donc un coup d’œil à ça, qu’il dit en m’tendant un de ses sabres. »
J’dégaine l’arme, qui brille d’un éclat différent de celui de l’acier dont j’ai l’habitude. Ca a pas l'air pourri du tout, en plus. Après, si c'est franchement mieux, dans l'fond, j'saurais pas dire, j'suis pas vraiment coutelier, j'aiguise juste mes propres couteaux. Et j'suis pas mauvais à ça, c'sûr.
« Tu en penses quoi ?
- C'très différent de ce que j'ai l'habitude de voir, dis-je en improvisant. Après, je ne forge... forgeais pas. Plutôt entretien, maintien, quelques menues réparations. Aiguisage, aussi.
- Tu l'aiguiserais comment ?
- Mmh, chiffon, huile. Une pierre plutôt douce. Prendrait probablement plus longtemps, cela dit.
- Je vois. »
Il acquiesce en disant ça. J'sais pas si j'ai passé l'test. Comme il dit rien d'plus, j'suppose que oui. J'lui rends son sabre et il retourne vers son trône.

A côté de moi, Gaspard s’agite. Ca va être son tour de parler, il le sait bien. Il biche, il bande, , il bée, il bave presque. Alra prend la parole.
« On va s’arrêter là pour les histoires. Remontons à la surface. Je souhaite parler à votre chef. »

Le chef de notre quatuor veut l’ouvrir. J’lui flanque un coup de pied dans l’mollet qui passe pas inaperçu. J’ai l’impression d’être à la garderie, de faire du babysitting.
« Hé, qu’est-ce que tu fais, Alex ? Tu crois que j’ai peur d’un naufragé comme toi ? J’aime pas trop ton attitude depuis l’début, qu’il me fait.
- Tu préfères rester ici que remonter au plus vite ?
- Le chef du groupe, c’est moi, pigé ?
- Pigé, chef »
J’lui lance ça en haussant les épaules, l’air de m’en foutre. Le roi regarde notre dispute, attentif. Sami regarde notre dispute, inquiet. Georges regarde notre dispute, anxieux, prêt à intervenir. Les clodos regardent notre dispute, l’œil vide, hagards.

« C’est bon, on peut y aller ? Fait le possesseur du sugegasa. »
Sur des hochements de tête de notre part, il fait signe à son larbin de montrer la route. Autour de nous, les carcasses de vaisseaux s’agitent. Pendant qu’on marche, ça se met à grincer de plus en plus. J’suis pas claustro de base, mais j’suis pas en confiance, faut bien l’dire. En tout cas, reste à taper la discute avec le grand patron là-haut, j’imagine.

Sugegasa, Alra-truc... J'l'ai sur l'bout de la langue. C'que j'cherche. Plus frustrant, tu meurs. Du coup, j'me coince une clope au coin des lèvres. Et j'turbine.
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Ils se chamaillent, se bousculent, se disputent. Le meneur veut sans cesse prendre le contrôle de la situation, et le type brun, le coutelier, a l’air de vouloir l’empêcher de faire une bêtise. De vrais gamins, une bande de zouaves en culotte courte. Alors c’est ça, la révolution ? Quelle image… Loin de la belle organisation bien ficelée dont l’ex-Sergent d’Elite a eu un aperçu à Boréa lors de sa mission avec Edwin Morneplume.

Enfin, il semble que leur hiérarchie soit quelque chose de bien plus complexe, et surtout de totalement inconnu pour eux. Ils ne savent pas de qui ils reçoivent leurs ordres, mais ils les appliquent. C’est beau, la confiance. Comment peut-on s’investir autant dans une cause qui ne nous donne que si peu d’informations ? Et surtout, qui d’un point de vue extérieur, n’a pas l’air de bien faire bouger les choses. Mais ça, c’est encore une autre histoire.

Pour le moment, il est temps d’en apprendre plus. Le chef de cette expédition est là-haut, au-dessus de tout ce fatras d’épaves entassées, qui tremblent de plus en plus fort. Même le guide clodo s’agite.

- Oh qu’j’aime pas ça. Pas du tout du tout.

Alrahyr et le quatuor non plus, d’ailleurs.

Le jeune homme observe d’un œil égaré le coutelier. Il est bizarre, ce type, mais il a l’air plus intelligent que les trois autres. Ce qui, de toute manière, ne semble pas si compliqué… Coutelier, de métier, c’est possible. Oui, l’acier s’affute de cette manière : chiffon et huile. Mais Karl, le père d’Alrahyr, lorsqu’il a créé l’Acier Kaltershaft, a trouvé que cette technique abîmait trop le fil des lames forgées dans ce métal amélioré.

D’après ses recherches, il est nécessaire d’utiliser de l’huile de coquillage et un chiffon en laine de Tanuki. Ne demandez pas pourquoi, ni comment on peut faire de l’huile de coquillage, mais il semble que ce soit la meilleure solution. Après tout, quand on sait quels matériaux sont nécessaires à l’alliage de l’Acier Kaltershaft… Comment ça, vous ne savez pas ? Bande d’incultes ! Enfin, quoi qu’il en soit, la structure cristallographique de cet acier permet également de l’affuter moins souvent. Heureusement d’ailleurs, étant donnée la complexité du matériel d’affutage.

Alors qu’Alrahyr est à moitié perdu dans ses pensées, un énorme craquement se fait entendre au-dessus du groupe.

- Faut s’dépêcher vot’ grandeur, j’aime pas ça !

Le guide commence à paniquer. Et puis, il n’arrête pas de donner du « vot’ grandeur », « vot’ majesté », faudrait qu’il arrête un peu. C’est que ça devient lassant. Le jeune homme commence à en avoir marre de ces profondeurs.

Un nouveau bruit sourd se fait entendre, suivi d’autres, et encore d’autres, de plus en plus nombreux. Au-dessus de leur tête, dans toute l’épaisseur qui les sépare de la surface, des débris se fracassent sous le poids de la couche supérieure. Des morceaux tombent, le sol tremble, vacille, les murs bougent, des planches de bois explosent sous la charge, et un vacarme du tonnerre résonne dans toute la structure.

Puis tout se calme. Plus aucun bruit, plus aucune vibration. Seul le souffle des six hommes brise le silence absolu. Ils halètent, lèvent les yeux au plafond, encore cramponnés soit les uns aux autres, soit aux murs. Ils se regardent, interloqués, chacun à l’arrêt, de peur que cela ne reprenne. Des gouttes de sueur, de peur et d’effroi glissent inlassablement le long de leurs tempes, du haut de leur front jusqu’à leur menton. Certaines finissent leur interminable course sur le sol, s’écrasant, allant rejoindre l’humidité naturelle du lieu.

De l’eau s’est infiltrée, un peu d’eau. Juste de quoi saturer l’air. Si les tunnels sont assez bien entretenus – enfin, vis-à-vis du reste – les parties non utilisées ne sont que moisissures, pourritures, et dégradations naturelles par l’humidité et l’érosion des matériaux. Alors forcément, parfois, ça craque. Heureusement, les passages sont aménagés pour résister aux écroulements. Enfin, normalement.

Le meneur du quatuor est le premier à reprendre la parole :

- C’est passé ?

Le coutelier le regarde, fronçant les sourcils. Il n’a vraiment pas l’air de l’apprécier, chaque parole de l’autre semble l’insupporter. Et le clochard de répondre :

- J’aime pas, j’aime pas, j’aime pas.

Et dans un nouveau vacarme assourdissant, l’ensemble de la structure cède à la fatigue engendrée par les récents mouvements des carcasses. Les murs flambent, le sol s’effondre, le plafond s’écroule. Tous les débris se tassent les uns sur les autres, le groupe des six hommes fait une chute d’une dizaine de mètres. Dans cette chute, ils tentent de s’agripper à quelque chose, un bout de bois, une poutre, une planche, un objet quelconque. Tout ce qui leur permet en fait de se raccrocher à quelque chose de tangible.

Comme s’ils se raccrochaient à la vie.

Mais c’est inutile. C’est inutile, car ils ont au-dessus d’eux une incommensurable masse de débris de toutes sortes qui leur tombe dessus. C’est inutile, car même un surhomme ne pourrait pas résister à une telle masse sur lui. C’est inutile, car ils sont trente mètres sous la surface, trente mètres de carcasses pourries, trente mètres qui les séparent de possibles secours. Trente mètres qui empêchent le son de passer, trente mètres qui les privent d’appeler à l’aide. Trente mètres qui les condamnent.

Trente mètres qui auraient dû les condamner sans l’intervention de leur bonne étoile, qui a placé une coque de navire retournée sur leur tête. Une coque encore solide, en bon état, résistante, étanche. Une coque qui vient de leur sauver la vie.

Ils émergent chacun à leur rythme de leur stupeur, qui a paralysé les uns, assommé les autres. Ils se relèvent péniblement, les membres endoloris comme après une semaine de combats, le corps fatigué, l’esprit perturbé. Ils se jettent des regards tantôt effrayés, tantôt rassurés. Sommes-nous vivants ? Leurs yeux posent les questions que leur voix ne parvient pas à formuler. Que s’est-il passé ? Tout le monde va bien ?

Et puis… Comment va-t-on faire ?

- J’l’avais dit, que j’aimais pas ça…

Le larbin semble s’en être remis plus vite que les autres. Ils regardent la coque qui les protège de l’amoncellement de débris qui se sont accumulés là-haut. Un bon bois, du bon travail. Si le charpentier se doutait de la vie de son travail après la mort du navire…

Le sol est jonché de morceaux de bois, mais a l’air bien plus stable qu’auparavant. La seule lueur résiduelle provient d’une lanterne qu’avait heureusement embarquée le guide. Alrahyr s’adresse à lui :

- Un truc comme ça… ça t’es déjà arrivé ?
- Bien sûr !
- Et comment on en sort ?
- Faut attendre. Nous on peut rien faire, trop de masse. Normalement ça provoque un effondrement du sol en surface. Et c’est courant qu’dans c’cas, tous ceux qu’ont entendu viennent voir. Vu qu’y a souvent des corps, et donc des trucs à piquer.

Rassurant…

- En général c’est des types louches, comme les quat’ là, qui viennent.

Le larbin pointe de son doigt cornu le quatuor de révolutionnaires en devenir.

- Y font fuir les autres et récupèrent des trucs pour eux.

Son ton de voix est méprisant, comme si ces révolutionnaires lui ôtaient le pain de la bouche. Le meneur, le type que le coutelier ne semble pas apprécier, l’ouvre encore une fois :

- Et ça met longtemps ?
- Tss… Parfois on peut rester des jours coincé. Mon record c’est trois semaines. Mais ça arrive que ça soit plus court.

Encore plus rassurant. Tous font des grands yeux, horrifiés, impuissants. La structure ne fait plus de bruit, seul un plic-plic régulier rythme l'ambiance terne. La flamme de la lanterne vacille péniblement. Elle ne tiendra pas plus d'une demi-journée.

Bon, comme ça, on va avoir pas mal de choses à se dire.


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La chute. La dernière pensée cohérente que j’ai eue avant la chute. Un gros ‘’PUTAIN !’’ qui s’est imprimé en surbrillance sur mon cerveau, tellement fort que j’ai cru le voir devant ma rétine. Puis le vide cérébral. L’adrénaline montée tellement brusquement que chaque contour est devenu d’une netteté presque douleureuse, que chaque geste est devenu flou sous la vitesse.
Les débris qui tombent tout autour de nous. J’crois qu’on a tous tenté de se rattraper quelque part. Pas moyen. Dès qu’une main agrippait un bout d’bois qui saillait, un fragment frappait une tête, un bras, un poignet. Faisait lâcher. Quand ce n’était pas la saillie elle-même qui se brisait en échardes ou pourrie par l’humidité. Quand ce n’était pas moi qui repoussait brusquement la paroi pour éviter un bout de bois plus gros que les autres qui m’aurait à coup sûr cassé le crâne, un membre.

On a rebondi, on est tombé en biais. Heureusement. Sinon on serait mort. Après coup, toujours après coup, j’ai regretté de ne pas avoir eu le temps d’apprendre le geppou. Je refais l’enchainement des événements. Est-ce que ça m’aurait aidé ? Probablement pas. On avait des dizaines de pieds de carcasses de navires au-dessus de la tête.
J’avais une couverture, aussi. Marcher sur l’air, c’est assez peu courant. J’aurais pas parié cher sur mes chances de survie. Et pourtant. Nous voilà en bas. On a tous l’air vivant, en plus ou moins bon état. J’me tripote. Des hématomes. Mal aux articulations, aux côtes. L’épaule gauche démise. J’serre les dents en me la remettant en place de la main droite tout en m’appuyant sur le mur.

La douleur fait venir des larmes à mes mirettes. J’cligne des yeux et j’me les sèche avec mon avant-bras. Puis j’regarde autour de moi, histoire de voir où la chute infernale s’est achevée. On a une espèce de lanterne de traviole dans laquelle il reste pas beaucoup d’huile. J’espère que personne a peur du noir.
Une grande coque de navire en plutôt bon état nous surplombe. On doit être dans une douzaine de mètres carré. Sur les côtés, des débris en vrac. Suffisamment compactés pour tenir, a priori. Y’a juste un côté un peu moins fourni. Pas mal de moisissure. Sûrement ce qui se trouvait dans les interstices et qui s’est retrouvé avec nous pendant la descente.

Puis j’mate mes camarades d’infortune. Gaspard, le p’tit chef, a l’air de s’en être sorti sans une égratignure. Ah, si, l’a l’air d’avoir la cheville vachement enflée, quand même. Georges a l’air totalement flagada, et saigne du cuir chevelu. Un mauvais choc à la tête, ça présage rien d’bon. Sami a l’air d’avoir juste des éraflures et des hématomes. Le larbin clodo, pour le coup, n’a vraiment rien. Il s’est roulé en boule dans ses vêtements d’infortune et aurait été protégé par la couche de pourri qui y traine ? Il a l’air d’avoir l’habitude.
Puis le roi. Alrahyr Kaltershaft, qu’il s’appelle. Enfin, ça m’revient. Le choc a dû me remettre les idées en place, faire toucher les fils qui s’touchaient pas au-dessus de mes yeux. Boréa. Tentative de révolution, puis fuite. Revenu sous le couvert d’une identité de marine d’élite. Il a bien foutu le dawa dans la caserne, a vaincu un colonel en duel. Et s’est enfui. Son navire a fait naufrage, et le voilà ici.

J’glousse. La brusque baisse d’adrénaline, l’essoufflement, le choc. La découverte de l’identité du roi, arrivé ici de la même manière que moi, par les courants. C’est cocasse, j’trouve. J’hésite à faire partager aux autres, qu’on rigole. Déjà qu’ils me regardent bizarrement…
« On a survécu, les gars. »
Ca a pas l’air de les mettre en joie. La perspective de devoir attendre quelques semaines avant de se faire sauver est pas plus réjouissante que ça, c’est vrai.

Gaspard et Georges côte à côte, Alrahyr en face, moi sur un côté avec Sami et le clodo à une poignée de mètres de son roi, on a tous un mur derrière nous. Pas qu’on se fasse pas confiance, encore qu’il y a d’ça. Mais c’surtout qu’on a chacun notre p’tit coin à nous, près duquel on a atterri, et on n’a pas trop eu la force de bouger jusqu’à présent.
Le regard dans l’vague, on tend l’oreille, on essaie de voir des fois que les secours arrivent pas déjà. Chiasserie d’espoir, j’sais bien que c’est impossible mais j’peux pas m’empêcher d’y penser. Comme les autres. Dès qu’un son retentit plus haut, on lève tous les yeux, on arrête de respirer.

Putain ! J’veux pas clamser fait comme un rat !

« Hé, la lampe va plus tenir longtemps, dit Alrahyr. »
Il a raison. J’cligne des yeux pour pas être ébloui, pour pouvoir bien voir. La flamme a l’air plus faible que dans mon souvenir. J’sais pas si mon anxiété me joue des tours. J’ai entendu des histoires. Du style un équipage de naufragés, à la fin, il n’en restera qu’un ! Parce qu’il aura bouffé les autres.

Le clodo, que tout le monde semble appeler ‘’Hep, toi !’’ nous tourne maintenant le dos. Il s’est dirigé vers le mur le plus instable. Il plonge le bras dans l’assemblage précaire de débris. J’crois voir vaciller l’bouzin, j’me raidis.
« Tu fais quoi ? Aboie Alrahyr.
- Vot’ Majesté, je cherche l’eau ! L’eau nous sauvera ! »
On regarde le bonhomme s’affairer, se tordre, déplacer précautionneusement quelques fragments de bois. Il tend l’oreille, il tâte, il sent. Puis le ‘’ploc ploc’’ de l’eau qui sonnait depuis qu’on était tombé s’est arrêté. On s’regarde, on mate le cul du serviteur, tout ce qu’on peut voir de lui.

Quand il se retourne vers nous, il boit de sa main.
« L’eau semble relativement bonne. Il suffit de tendre la main et de la cueillir au creux de la paume pour boire. Concernant la nourriture, de nombreux champignons et de la moisissure sont tombés par ici, on aura de quoi manger. »
Autant l’eau est une bonne nouvelle, autant manger du moisi, j’manque d’enthousiasme. Mais j’sais que si la faim se fait trop forte, on s’y résoudra tous. Personne ici a l’air d’être du genre à mourir pour les beaux yeux de nos vieux principes. D’ailleurs, le fait qu’on doive probablement rester quelques temps ici semble avoir pénétré toutes les consciences, la mienne comprise.

Il ajoute :
« Il vaudrait mieux se rapprocher pour sauvegarder notre chaleur corporelle, aussi. »
Maintenant qu’il en cause, j’frissonne. J’ai pas mon costume pour cette infiltration, c’est vrai. Du coup, j’suis moins couvert que d’habitude. Cela dit, j’suis toujours d’un naturel soupçonneux.
« On peut poser les armes à l’autre bout, alors ? J’veux pas m’coller à quelqu’un qu’a un couteau. Bon, les surins, c’est moi qui les ai, okay, mais quand même. »
Ils me regardent mal. Genre j’étais le seul à avoir pensé à ça. J’lève les mains au ciel, j’pose mes deux couteaux et j’vais m’asseoir à côté d’Alrahyr alors même qu’il se lève et pose son bouclier et ses trois sabres. Puis ordonne aux autres de faire de même.

Ma proposition leur faisait pas plus d’effet que ça, mais quand c’est le roi qui cause, on se trouve plus coopératif, heh ? Connards. Tout le monde s’exécute et on se colle les uns à côté des autres, adossés à la partie de la coque du navire qui touche le sol de notre pièce.
Maintenant vient le plus long. L’attente. Et j’pense pas qu’on soit prêt d’en sortir, si tant est qu’on s’en sorte. En tout cas, j’me promets de pas clamser ici. J’sors une clope que j’allume à la flammèche de la lanterne qui s’éteint dix secondes après.

Dans le noir le plus complet, j’tire sur ma cigarette, tranquillement, les yeux fermés. Rien ne sert de regarder, il n’y a rien à voir. A la place, j’écoute la respiration de mes voisins. J’suis entouré par Alrahyr sur ma gauche et Sami à droite. Au gauche du roi au sugegasa, y’a les deux révos que j’peux pas trop sacquer et en bout de file le larbin clodo.
J’sens leur chaleur, le battement sourd du sang dans leurs veines. J’sens le léger clapotis de l’eau et j’entends le bruit irritant du goutte à goutte. Puisqu’on est là pour un moment…
« Et si on causait ? »

J’ai déjà pris le parti de faire semblant d’ignorer qui est Alrahyr. Ca le fera bisquer, il doit avoir besoin de reconnaissance. Il parlera d’autant plus de lui. Tous les mêmes, ils veulent juste un câlin de leur môman.
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Il a de bonnes idées le clodo. Tellement bonnes, et correctement justifiées, qu’elles font l’unanimité.

Dans le noir, Alrahyr sent la présence du type brun, le coutelier, à sa droite, qui tire doucement sur sa clope. Il le reconnaît à ses manières calmes, son tempérament posé, cette sensation de lassitude qui émane de lui, même sans l’ombre d’une lumière.

A sa gauche, Gaspard et Georges claquent des dents et grelottent assez fort pour remplacer un shaker. Ils tentent de discuter entre eux, se lamentant sur leur propre sort, malheureux ici-bas. Irrécupérables. Plus loin, le larbin murmure une chansonnette toute douce, à l’air lugubre. Une mélodie qui exprime autant la douleur que la joie, quelque chose de beau et qui vous prend aux tripes. Les paroles échappent à tous, tandis que les tonalités parviennent difficilement aux oreilles de chacun.

Les deux shakers s’en fichent, peut-être ne le remarquent-ils pas… Ils continuent à débiter leurs imbécilités, comme quoi personne ne viendra les sauver. Mais ils parlent entre eux, chacun renchérissant ce que l’autre vient de dire. Ils ignorent les autres, et c’est tant mieux. Pas besoin de se mêler à leur débat pseudo-philosophique sur la fin de leur vie.

Le Sami, lui, semble pris d’une transe. Il prie. Il récite, inlassablement, des mots qui s’accordent en des phrases emplies de sens divin. Des paroles qui demandent à être sauvé, des doléances qui réclament un appui d’un hypothétique dieu. Après tout, pourquoi pas. Qu’il fasse ainsi si cela le détend.

L’air sombre de la mélodie du larbin embaume l’atmosphère renfermée sous un voile noir. Décidément, il a une belle voix. Triste, certes, mais magnifique. Il enchaîne les phrases musicales avec un aplomb poignant digne d’un grand mélomane, passant d’un couplet à un autre, s’enfonçant encore plus profond dans les noirceurs de cette solitude.

Petit à petit, les mots incompréhensibles disparaissent pour laisser placer à un fredonnement qui s’appuie toujours sur le même air. Et il continue, encore et toujours, sans s’arrêter.

- Putain…

Alex écrase machinalement son mégot entre deux débris trempés. La faible lueur de la cigarette a même disparu. Sami prie toujours, les shakers en arrivent à parler de la fin du monde, et le clodo chante dans sa barbe. Il y a pas à dire, il met l’ambiance celui-là. Et Alex, lui, est aussi impassible qu’Alrahyr. Il se cachait derrière sa cigarette, l’utilisant comme excuse pour justifier son calme, mais désormais il n’a plus que les ténèbres pour le dissimuler.

Et le jeune Kaltershaft le remarque. Il est calme, tranquille, comme détendu. Le « Et si on causait » s’est perdu dans le noir, ne faisant que lancer les deux shakers dans leur complainte sans fin. Alrahyr n’y a pas réagi, et Alex a continué à fumer.

Ce type est calme. C’est peut-être courant, chez les couteliers, mais là, c’en est trop. Alors il lui chuchote, prenant garde à ne pas interrompre ses autres compagnons. Ce n’est pas une discussion de groupe, c’est un dialogue, couvert par un fond musical lugubre.

- Coutelier, hein ?

Il n’a plus sa clope derrière laquelle se réfugier. Alrahyr sent son interlocuteur se tourner lentement dans sa direction, pour lui répondre.

- Ex…

Il laisse traîner, en suspens.

- Pas comme si j’avais mon matos sous la main.

Certes… Et Alrahyr de répondre :

- Cette île est moisie, personne n’a rien, ici.
- T’as les profondeurs.
- C’est ce que je dis. J’ai « rien ».

Alex soupire.

- Le larbin, là, il t’est dévoué. Et tu l’respectes même pas.
- Si c’est un reproche, garde le pour toi. Moi aussi, j’ai fait naufrage. Je compte partir au plus vite.

Ah, un petit mouvement d’épaules ? Le coutelier semble intrigué. Intéressé, même.

- Et comment ?

Mais Alrahyr se méfie. Il apprend de ses erreurs, de son passé. Certaines personnes ne sont pas celles qu’elles prétendent être. Lui-même a beaucoup abusé de cette perfidie, lorsqu’il a fait un tour dans la Marine d’Elite.

Alors une réponse banale conviendra.

- Je trouverai.

Cela ne semble pas convenir, Alex bouge un peu, se réinstalle. Mais il laisse couler.

- Et toi ?
- J’sais pas. A priori j’me suis fait recruter par ces types, là.

Il désigne les deux shakers. Sa main est imperceptible dans le noir, mais on peut sentir son geste.

- Alors j’vais peut-être les suivre.

Logique. Ces types… Des révolutionnaires… Venus recruter des clodos ? Pourquoi pas. Mais la révolution est tombée bien bas.

- Vous occupez pas de moi, pour les pouilleux des profondeurs. Faites-en ce que vous voulez.

Alrahyr fait une pause. Le chant perdu du clodo est imperturbable. Les prières de Sami continuent. Georges et Gaspard vont pouvoir ouvrir un bar à milk-shakes en sortant.

- J’aimerais juste parler à votre chef. La révolution m’intrigue.

Bon, il va juste falloir sortir de là.


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J’réponds pas au commentaire d’Alrahyr. Il veut parler au chef de la révolution. Enfin le chef de l’expédition. J’lui avouerais bien que moi aussi. J’ai pas grand-chose à raconter. La chanson du clodo m’file le cafard. J’remonte mes genoux et j’pose mon menton dessus. Mirettes fermées, j’me concentre. J’réfléchis.
Ma mission, c’était de voir si y’avait toujours des révolutionnaires sur le Cimetière d’Epaves, et si oui d’où ils venaient, puis m’y infiltrer. Les deux premiers objectifs, c’est du tout cuit. Luvneel, qu’ils viennent. Maintenant, faut que j’aille me coller là-bas.

Mais j’ai croisé Alrahyr Kaltershaft, qui défraye la chronique en ce moment. M’en débarrasser moi-même, ça va être hors budget. Le capturer, j’en parle même pas. Du coup, j’hésite quand même à trainer un peu avec lui, histoire de l’tracer. Il a des chances de devenir un gros morceau. Cinquante millions de prime du premier coup. Un Fruit du Démon tout juste graillé.

Putain, pourquoi j’ai pensé à la graille. J’ai déjà mon estomac qui s’serre, la salive à la bouche. Alors que j’ai bouffé y’a pas si longtemps, en plus. Le stress de manquer plus tard. J’avale, j’déglutis mal, ça résonne. J’sens Sami à côté de moi qui se tourne dans ma direction. J’vois pas son expression dans notre noir d’encre, j’le connais pas assez pour deviner ce qu’il pense.
Le larbin clodo termine son chantonnement sur une phrase nouvelle d’une mélancolie encore plus accentuée qu’auparavant et se tait sans résolution majeure. Dans l’obscurité, sans rien à faire que l’écouter, j’ai une boule qui s’est formée dans ma gorge. J’évacue imperceptiblement en maintenant une respiration douce et régulière.

Les deux révolutionnaires aguerris l’ont bouclé aussi, leur clape-merde. J’voudrais bien dormir un coup. Rien ne sert d’être pressés, on est là pour un moment, j’crois. Clodo –j’vais l’appeler comme ça, s’lève pour aller prendre de la flotte. Chanter a dû lui donner soif. J’ralentis ma respiration, ça baisse les battements de mon cœur. J’avais pas fait gaffe que j’avais le palpitant aussi énervé.

J’m’endors, les sens aux aguets.

Un brusque mouvement dans la chaîne des corps me réveille en sursaut. Ou je somnolais ? J’me sens pas du tout reposé, en tout cas. J’ouvre les yeux, en grand. Evidemment, j’vois que dalle. L’inverse aurait été étonnant, mais agréable. A mes côtés, Alrahyr et Sami se sont raidis. C’est ça qui m’a réveillé ?
J’prête attention, j’essaie de savoir. Devant nous, quelqu’un tousse, quelqu’un d’autre se lève, lui murmure des conneries. Mon ouïe exacerbée par l’absence de mes autres sens capte la voix de Gaspard :
« Ca va aller, tu verras. Dans quelques heures, quand on sera sorti de là, tu seras soigné et tout ira bien… »

Des conneries, comme j’disais. Le coup au crâne qu’il a subi pendant la chute a dû laisser des séquelles. J’suis pas toubib, mais c’est très mauvais signe, ça j’le sais. J’moufte pas. J’veux pas qu’il panique, qu’il chiale, qu’il nous mette à cran. Me mette à cran.
Quand Georges dit vaguement qu’il va vomir, j’l’attrape par les aisselles pour le trainer plus loin. On va tous en pâtir, sinon. L’odeur. L’insalubrité. Il laisse un peu de gerbe sur le chemin, rien de bien méchant, heureusement. Et pas sur mes pompes. Pendant qu’il soulage son estomac en glapissant, j’demande :
« On fait quoi pour les besoins naturels ?
- Faisons-les là où il vomit, propose Clodo. »
Ca m’va, ça va à tout le monde, on accepte, motion votée à l’unanimité.

J’profite d’être debout pour me remplir le bide de flotte. Ca fera illusion de m’caler l’estomac. Puis j’me rasseois à tâtons à ma place. J’chuchotte, dans un souffle, pour pas alerter les autres :
« Alrahyr ? J’pense que les clodos feraient bien plaisir à la révolution.
- Possible.
- Tu voudrais pas nous les amener ? Enfin, si j’suis recruté aussi.
- Comment ça ?
- J’suis pas encore officiellement membre de leur cellule révolutionnaire.
- Ah bon ?
- J’ai fait naufrage ici. Plusieurs jours en mer sur une planche en bois. Sami m’a retrouvé.
- Ah.
- Pour ça, j’lui suis redevable, quand même.
- Je vois. »

Pas très loquace, tout d’un coup. J’ai pas été trop convaincant dans mon rôle. J’crois que j’ai merdé quelque part. J’réfléchis à ce que j’ai fait jusqu’à présent. J’trouve tout d’suite. J’ai trop tranché avec les habitants de Luvneel. J’ai couru deux lièvres, les révolutionnaires et Alrahyr. Logiquement, j’ai pas l’air fiable. Enfin, pas comme si grand-monde aurait l’air fiable à mes yeux. J’grogne.
« Quoi ? Demande Alrahyr.
- Rien, j’me demande ce que fout Georges. J’ai pas envie de me lever encore une fois.
- Pas très solidaire, la révo, non ?
- Comme j’disais, j’suis pas encore vraiment dedans. Pour le moment, j’suis qu’un délinquant en fuite. »
Il rigole doucement. Tout le monde peut pas être un grand criminel, mon p’tit pote.

Sami et Clodo se lèvent, vont voir dans l’coin où on a lâché le vomisseur. Ils mettent un moment à le trouver, après moult jurons, imprécations, et cognages dans la structure de bois. J’me concentre sur ce qu’ils font. Ils sont à côté des armes. J’voudrais pas qu’une mauvaise idée leur vienne. Surtout à Clodo, ça m’étonnerait pas trop de lui, au fond. Trois semaines dans un trou, et il est ressorti juste en buvant de la flotte ? Allez, quoi.
Forcément, j’suis surpris, quand Alrahyr reprend doucement, assez fort pour que Gaspard entende :
« Vous amener les clodos ? Tu voulais dire quoi ? »
Je hausse les épaules dans le noir. Forcément, le pirate le sent.
« T’es l’roi, pas vrai ? Tu dois pouvoir les amener.
- Peut-être. »
Il s’avance pas.

« Je… commence Gaspard. »
Il est coupé par un cri de Sami. Clodo appelle son maître. Le trio resté assis se relève comme un seul homme et se dirige vers les voix, butant dans les débris. J’manque de m’étaler deux ou trois fois en autant de mètres. On s’accroupit tous côte à côte, on s’touche des mains. On s’identifie, on identifie le corps allongé par terre.
Georges. Il s’est pas relevé de sa séance vomi. Au toucher, son cœur bat encore, sa respiration est à peu près régulière. Il a pas le nez dans sa gerbe, non plus. On nous dit de toucher ses oreilles. Y’a un liquide humide. J’le porte à mes lèvres, j’sais déjà ce que c’est. Du sang. Très liquide, mais du sang. A mon avis, il va clamser. Quand le raisin s’met à sortir de partout, c’est pas bon signe.

On le retourne sur le dos avant de le ramener à côté de nous, là où on était assis. La chaleur humaine l’empêchera de trop se refroidir. J’veux pas être pessimiste ou dégueulasse, mais s’il claque, ça nous fera à bouffer. Peux pas m’empêcher d’y penser. L’ambiance était déjà pas terrible, ça s’est pas amélioré avec l’état sub-claquant de Georges, en tout cas.

Les heures s’égrènent lentement au rythme de la respiration devenue laborieuse du révolutionnaire.

Putain, ça fait combien de temps qu’on est là ?
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Beaucoup trop longtemps, c’est certain.

Quel bazar ici… Georges n’en a plus pour très longtemps, c’est évident. Tous essaient de le sauver, mais ça a l’air peine perdue. La seule manière qu’il a de s’en sortir, ce serait l’arrivée de secours. Mais ils n’ont pas l’air de se précipiter autour de l’effondrement. Le silence est de plomb, maintenant que le clodo a arrêté de chanter.

Et, dans un râle, le mourant exprime ses dernières volontés.

- G-G-Gaspard… Dis à ma fille que je l’aime…

On se croirait dans un mauvais roman.

- Continuez à vous battre pour la révolution !

Classique. Déprimant. Mais beau.

- Ne laissez pas les poneys passer l’arc-en-ciel !

Pardon ?

- Les sanglots longs des violons de l’automne blessent mon cœur d’une langueur monotone…

Oui, bon. Ses neurones ont lâchés, on a compris.

- Me mangez paaaaaas !

Et, dans un profond soupir, tentant désespérément d’exprimer cette dernière volonté, Georges se tait à jamais. Mais, dans un hoquet à la limite du vomissement, il se ravise, préférant rester encore quelques instants à la surface de ce monde.

- Les…

Tous se rapprochent de lui, sa voix se faisant de plus en plus faible.

- … laissez pas…

Ils écoutent, attentivement.

- … passer la…

Suspens. Georges s’arrête dans sa lancée, se battant contre lui-même pour rester en vie. Ce qu’il a à dire est important, c’est certain.

- Les laissez pas passer…

On a cette partie, Georges, allez, la suite ! Diantre ! Son cerveau semble s’être reconnecté. Comme lorsqu’on veut exprimer ses derniers mots. Comme lorsqu’on revoit sa vie défiler et qu’on veut avertir nos proches d’un danger. Il doit dire ses derniers mots. S’il le cherche, c’est que tous en auront besoin.

- …la porte…

Quelle porte ? Allez, Georges ! Il veut leur dire quelque chose, il a certainement une clé, peut-être pour sortir d’ici ? Peut-être cherche-t-il à avertir ses camarades d’un point concernant la révolution ? Quoi qu’il en soit, il doit y parvenir ! Son cerveau a décidé de leur communiquer une information. Pitié, que ça ne soit pas comme dans tous les clichés, où le mourant ne parvient pas à donner sa dernière phrase complètement !

- Les laissez pas passer la porte…

Georges !

- … des étoiles !

La porte des étoiles ? De… euh… C’est quoi ça ? Qu’est-ce qu’il raconte, le Georges ?

- Les laissez pas passer la porte des étoiles… Sinon les poneys maléfiques franchiront l’arc-en-ciel de la terre ! Et les vautours de l'au-delà pourront dessiner des ronds rayés dans l'apocalypse du gras ! Les vers de terre voleront en éclat, et la menthe fraîche se répandra à travers les siècles ! Pour enfin permettre à l'auto-destruction de s'auto-détruire ! Croyez-moi, c'est un pingouin fumant une cigarette illégale qui m'a dit ça, lorsqu'il est venu dans ma chambre ! Oh, vous savez, il n'y a pas de bonne ou de mauvaise situation. Je crois que c'est d'abord des rencontres ! Après tout, je ne suis qu'amour !

D’accord. Il aurait été bien plus utile qu’il ne termine pas sa phrase, comme dans tous les bons vieux clichés.

- Promettez-le-moi !

Personne ne sait que répondre. Le mourant délire, il raconte de la merde. Son cerveau a totalement perdu pied, lâché prise.

- Les laissez pas !

Crève, Georges, ça ira mieux pour tout le monde. C’est inutile, tout ça.

- Les laissez paaaaaaas…

Cette fois, c’est la bonne. Dernier râle, dernier soupir. Merci, Georges. Sa respiration s’est arrêtée, son cœur ne bat plus. Dix secondes. Trente. Une minute. Deux. Trois. Cinq. Dix.

Le temps semble s’être arrêté. Tous sont là, agenouillés dans le noir devant le cadavre du révolutionnaire. Ils n’appréhendent pas le temps qui passe, ils ne font qu’attendre. Ils reprennent peu à peu conscience de leur environnement, dont ils avaient fait abstraction pendant les si pathétiques dernières volontés du défunt.

L’odeur de pourriture. L’humidité. Le silence sombre. Tout ici n’est que mort. Cette coque de navire placée au-dessus du groupe fera office d’un splendide tombeau.

Mais le clodo n’est pas de cet avis. Après tout, s’il a survécu à trois semaine, ce ne doit pas être pour rien.

- A table, on a d’la viande maintenant. Faut r’prendre des forces !

Mais Alrahyr le saisit par le col, dans le noir total, le trouvant grâce à sa voix nasillarde, et le soulève.

- Dégage de là.

Puis, il s’adresse à tous :

- Je ne veux pas crever ici, mais je ne mangerai pas d’humain. Et vous non plus, compris ? Le premier qui touche à ce cadavre, je l’envoie le rejoindre.

Silence. Interrompu par les gargouillis d’un ventre. Puis d’un deuxième. Puis d’un troisième. Et de tous, Alrahyr compris. Alex prend la parole.

- On a tous faim. C’dégueu, mais on a tous faim.
- Merde. Faites comme vous voulez.

Le jeune homme balance le clodo au sol et se dirige vers ses armes. Il range ses sabres à sa ceinture et place son bouclier dans son dos.

- Continuez à vous morfondre comme ça, moi je vais essayer de sortir de cette merde.

Alors il fait le tour de la cavité, touchant des deux mains les débris en plus ou moins bon état qui les entourent. Au-dessus, la coque de navire retournée, immuable, soutenue en divers endroits par des débris tassés. Cela ne risque pas de bouger.

En d’autres zones, les gravats ne semblent pas porter leur tombeau de bois. Ils sont déjà bouffés par l’humidité. Alors Alrahyr les retire de là, commençant à former un passage. Après des allers-retours entre les différents endroits de la cavité, il récupère, toujours à tâtons et dans le noir, des morceaux plus solides, afin de consolider une sorte de voute au-dessus du passage dont il entreprend la construction.

Au bout d’une petite heure à ignorer totalement les activités du reste du groupe, il a avancé d’une petite demie dizaine de mètres. A force de coups dans toutes les consolidations, le jeune homme s’est assuré de la solidité de son ouvrage. Le petit passage fait un bon mètre cinquante de hauteur pour soixante centimètres de large. De quoi s’il faufiler doucement, mais sûrement.

Les linteaux paraissent solides, ils supporteront la masse de débris. Tant mieux.

D’ailleurs, qu’est-ce qu’ils font, les autres, pendant ce temps-là ?


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Georges avait passé l’arme à gauche dans un magnifique déchainement de stupidité inintéressant au possible. Quel bâtard, il aurait pu cracher le nom des révolutionnaires haut-placés de Luvneel ou quoi. Un truc utile. Au lieu de ça, son cerveau a dit ‘’merde, j’vais claquer mais j’vais vous faire chier un bon coup avant !’’.
On était prêt à passer à table. Fallait bien. J’sais pas depuis combien de temps on est là. La flotte me file mal au bide. La moisissure aussi, en plus d’avoir un goût dégueulasse. Même la texture me rebute. C’est dur à déglutir. Mais il faut bien. Quand ça m’descend dans l’œsophage, j’ai l’impression que des saloperies de bactéries m’envahissent.

‘Sûr, tout ça, c’est dans la tête. N’empêche, dans la noirceur d’un four, des dizaines de mètres sous terre, dans un silence à peine interrompu par la respiration des autres, le froissement d’un habit, le grincement de la structure branlante, dur de pas y prêter attention.
J’ai pas spécialement les jetons, advienne que pourra. Mais n’empêche que j’suis pas bien. Alors j’fais le gars pas touché par tout ça aux yeux des autres, flegmatique, au-dessus de tout ça. Mes allumettes sont mouillées, du coup, que mes clopes le soient aussi n’est qu’un détail. J’fumerai plus tant que j’serai ici.

Alrahyr a récupéré ses armes. J’fais de même. Dès que j’sens le poids et les manches familieux de mes surins, j’vais limite mieux. Limite, pasqu’un couteau ou deux, ça m’aidera pas fort quand trois tonnes de débris me tomberont sur le coin du museau.
Pendant que j’récupère mon matos, les autres discutent de comment manger l’défunt Georges. Clodo est partisan d’attaquer direct les organes, pendant qu’ils sont encore chauds. Ca sera délicieux, qu’il dit. Ca sera cru, que j’réponds.

Alrahyr Kaltershaft, le grand pirate rebelle primé à pas moins de cinquante millions, aussi célèbre que redouté, est parti bouder dans son coin. J’l’entends confusément par-dessus les jurons, les discussions de mes petits camarades. Gaspard est pas trop jouasse.
« Dites, on peut pas manger Georges !
- Mais si, fait Clodo.
- Hors de question !
- Bin pourquoi pas ?
- C’était un camarade révolutionnaire de la lutte armée contre les forces oppressantes du gouvernement !
- Mais…
- Un idéaliste, un visionnaire ! Affamé de justice sociale, de liberté, d’équité !
- Mais…
- Et surtout, un soutien, un ami. »
Merde, moi qui pensais que Georges était juste le larbin de Gaspard. J’suis presque ému par ce discours que le révolutionnaire déclame avec de grands mouvements de bras. J’sens l’air qu’il déplace. Après la première phrase, les sentiments ont arrêté de parler. Il s’est écouté lui-même, a apprécié le son de sa voix.
Moi, j’l’aime pas trop, j’la trouve nasillarde. Mais il me sort par les trous d’nez, c’est pour ça.

« Je doute pas qu’il était incroyable, reprend Clodo.
- Bien vrai !
- Mais il est mort.
- Hélas ! Trois fois hélas ! Laissez-moi plutôt vous raconter cette anecdote. Un jour, y’a… »
Et le voilà parti pour trois plombes. Les organes tièdes, va falloir faire une croix dessus, à ce rythme. La barbaque sera bien rassie, au moins. J’laisse mon esprit virevolter à l’air libre, à la surface. J’fais toujours gaffe des fois que Gaspard lâche une information utile, mais ça m’étonnerait fort. Pas son genre d’servir à quelque chose.
J’me demande ce qu’ils font à la surface. S’ils se battent pour le territoire, comme Clodo avait l’air de le dire. S’ils bossent dans leur coin, s’ils collaborent. Mon bide se manifeste à moi par une série de gargouillis. Pas la faim, cette fois.

J’me lève, j’m’écarte des autres, j’vais là où Georges avait vomi l’autre fois. Accroupi, pantalon sur les genoux. J’ai la courante. C’est la flotte, ça, pas potable. Mauvais signe, si on sort pas fissa, j’vais m’vider comme ça. J’attrape un morceau de champignon qui poussait là en m’relevant.
Mes esgourdes captent le son sourd d’Alrahyr qui fait des trucs, un peu plus loin. Ca fait un moment qu’on l’a pas vu. J’me demande ce qu’il branle. J’m’approche de là d’où vient le bruit. J’appelle doucement.

« Alrahyr ?
- Alex ?
- Tu fais quoi ?
- J’essaie de creuser un passage.
- Ca avance bien ?
- Plutôt, oui.
- C’est pas dangereux ?
- J’assure le toit avec des poutres.
- T’es sûr ?
- T’inquiète, ça tient, j’ai vérifié.
- Si tu l’dis…
- Et toi, la viande était bonne ?
- Pas mangé, pas encore.
- Comment ça se fait ?
- Gaspard nous fait toute la biographie de Georges en calant la sienne au passage pendant que Clodo bave sur le macchab’.
- Tu veux m’aider un peu ?
- Pourquoi pas. »
J’ai les muscles qui m’démangent, à force de rester assis à rien foutre. Alrahyr me guide dans le tunnel qu’il a creusé, sur quelques mètres déjà. Finalement, on pourra p’tet même s’en sortir par là, en fait. L’avait raison de nous enjoindre à nous bouger. Si on s’y mettait tous, ça irait même vite.

On sélectionne des bouts de bois un peu plus solides que les autres, on les teste avec force. Faudrait pas que ça lâche quand on est dessous. Puis on excave du gravats, du moisi, du champi, du débris. Qu’on remplace au fur et à mesure par les planches de bois qu’on a sous la main. Un nouveau mètre de gagné.
On essaie de creuser en biais, vers le haut. Faut bien qu’on s’fasse une galerie pour sortir, aucun intérêt à avancer horizontalement, si ce n’est finir dans la mer. Noyés quand l’eau s’infiltrera. Ca serait débile, tristement stupide. J’vaux mieux que ça.

Au bout d’un long moment d’effort, on sort du tunnel pour revenir dans la salle. On n’a pas prêté attention à ce que faisaient les autres. On sait pas combien de temps on était parti. Impossible de mesurer l’écoulement des minutes, des heures. Le seul truc qui rythme l’obscurité, c’est les battements de nos cœurs. Pas fiables.
La voix de Gaspard résonne toujours. M’fait dire que ça fait pas si longtemps qu’on est dans le tunnel. Clodo s’approche.
« Vot’ Majesté ! Que faites-vous avec ce révo ?
- Nous creusons un tunnel pour sortir d’ici.
- Quoi ?! Si j’puis m’permettre, vot’ Grandeur, c’est trop dangereux !
- Mais non, on a placé des planches pour tenir le plafond.
- Je ne voudrais pas remettre en douce vot’ Grâce, mais ça m’étonnerait que des bouts de bois puissent tenir des tonnes de carcasses.
- Je t’assure que si. Regarde. »
Disant cela, Alrahyr a fait un mouvement qui a déclenché un grand mouvement d’air à côté de moi, son poing passant même à quelques centimètres de mon pif. Un coup sourd a ébranlé la structure de débris à côté de nous. Ca a trembloté. J’me suis figé, léger sur mes appuis, prêt à faire j’savais-pas-quoi. J’suppose que c’était pareil pour les autres.

« Ne refaites jamais ça, vot’ Majesté ! On risquerait d’être tous ensevelis !
- Je t’avais dit que ça tiendrait le choc. »
Le ramdam a attiré l’attention de Sami, muet depuis des heures, invisible et silencieux, et de Gaspard, qui vient faire l’inspecteur des travaux finis. Après une rapide discussion, Clodo va dans le tunnel, les deux révolutionnaires retournent s’asseoir et Alrahyr et moi attendons sans mot dire le retour de notre expert ès clocharderies.
Clodo revient, pas bien convaincu, mais ne peut rien faire contre la volonté de son maître. Il nous persuade tout de même de prendre un peu de repos. J’suis plutôt d’accord avec lui. J’ai la tête un peu trop légère, j’ai l’impression.

J’m’endors.

Quand j’me réveille, le coaltar se dissipe instantannément. Gaspard ronfle, Sami bafouille dans son sommeil. Clodo, pas un son, rien. J’sens l’absence d’Alrahyr, il est pas à côté de moi. J’me lève d’un pas mal assuré. Un coup d’flotte pour humidifier ma bouche, humecter mes lèvres. J’entends du bruit dans le tunnel. Déjà au turbin. Un sérieux garçon, ce pirate.
J’m’approche, ragaillardi par l’eau. M’appuyant sur le chambranle, le premier bout de bois, j’passe la tête à l’intérieur et j’appelle doucement. M’répond pas, m’entend probablement pas. J’m’enfonce sans motivation dans le conduit, testant doucement les renforts.

« Attend, Alex, j’finis ça. »
Il est trois ou quatre mètres plus loin que moi. J’attends. D’une frappe que j’imagine sèche, suivi de quelques coups de pieds, il coince un nouveau morceau en place pour consolider. Pendant ce temps, je note une infiltration d’eau juste à côté de moi. Un gazouillis minime qui goûte jusque dans le tunnel. Ca y était pas hier. Enfin, hier, avant que j’pionce, quoi. Au doigt, c’est très froid. Au goût, ça semble plus pur que l’autre. J’suis plutôt content de ma trouvaille.
« Alrahyr, y’a de l’eau ici. L’a l’air meilleure. »
Il s’approche, légèrement essoufflé. Touche la flotte, la goûte aussi. Ca a l’air de lui plaire, vu qu’il en reprend en s’appuyant sur une planche.

Un craquement de mauvais augure retentit. J’tourne les yeux vers Alrahyr. J’le vois pas, évidemment. Un second craquement. Oh-ho. J’inspire une grande bouffée d’air avant de bondir aussi vite que possible vers la sortie du tunnel. J’sens le rebelle qui me talonne de prêt, limite en train de me bousculer.
D’un bond, on jaillit tous les deux du conduit alors qu’il s’effondre derrière nous. J’vérifie qu’il me manque aucun morceau, non, tout est en place. Pareil pour Alrahyr, apparemment. Pendant dix longues minutes, des débris s’entassent, chutent, s’accumulent avant de glisser à nouveau plus bas. On observe, réfugiés sous la coque du navire qui tient le choc.

Gaspard a essayé de nous faire des reproches. Une rebuffade sèche comme un coup d’trique d’Alrahyr l’a fait taire. Du coup, Clodo a préféré la boucler. J’préfère autant ne pas entendre un détestable ‘’J’vous l’avais bien dit’’. Quand bien même il avait raison.

Putain, on a failli y passer, quand même. Mais, ô joie, un mince rayon de lumière arrive jusqu’à nous…


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Et lui qui pensait avoir fait du bon boulot avec sa charpente et son tunnel… Alrahyr est déçu, certes, mais encore en un seul morceau. Et il semble qu’il se soit rapproché d’Alex, qui l’a pas mal aidé dans son ouvrage. Un bon gars, celui-là. Bien différent des autres, en réalité. Il n’a pas l’air de rentrer dans le moule du « révolutionnaire de base » tel qu’on pourrait le décrire en voyant Gaspard ou Sami.

Quels abrutis, ceux-là.

Enfin, malgré la déception de l’échec du tunnel, un rayon de lumière se montre alors que la poussière de l’effondrement se dissipe, lentement. L’air est lourd, chargé de l’accumulation de crasse, des relents de vomi et de défections, de la puanteur du cadavre déjà attaqué par les vers et autres insectes. L’humidité ambiante a accéléré le processus.

Mais le petit groupe, diminué d’un membre, s’est habitué à l’odeur petit à petit. Ce n’est que grâce à un courant d’air venant de l’extérieur qu’ils se rendent compte de l’insalubrité dans laquelle ils ont passé ces derniers temps. Des heures ? Des jours ? Ils ne sauraient dire. Mais maintenant, les bruits du monde reviennent.

Les coups de pelles, de pioches, les ordres passés à ceux qui déblaient les gravats, le vent qui souffle au dehors, la pluie qui continue inlassablement de tomber sur cette île déplaisante qu’est le Cimetière d’épaves. Un maigre puit de lumière, par lequel un courant d’air passe. Puis un autre, quelques mètres plus loin. Et encore un autre, et un quatrième, et un cinquième. Petit à petit, la zone effondrée au niveau de laquelle Alrahyr a essayé de creuser un tunnel s’effrite, se dégage.

La lumière du jour arrive, progressivement, mais pas assez lentement pour éviter au groupe d’en être aveuglé. Ils ne distinguent pas les mouvements, les gestes, ils ne voient que les ombres. Des ombres d’outils qui enlèvent les débris. Des mains, des bras, des corps, et bientôt des têtes.

Alors ils se rendent réellement compte de la réalité, de leur réalité. On vient les sauver. Et leurs nerfs se relâchent, d’un coup. Gaspard s’effondre lamentablement, à plat, Sami tombe sur les fesses, Alex vacille, toujours debout, les jambes figées, et Alrahyr se laisse tomber sur ses genoux. Et Clodo saute dans tous les sens. Quelle douceur, de ressentir l’air frais sur le visage !

Ils sont sales, affamés, fatigués. Mais cela ne dérange pas leurs sauveteurs, qui pénètrent en vitesse dans la cavité, et aident les survivants à sortir. Le mort, ils le laissent là. Et tous sortent en vitesse, de peur de se faire prendre par un autre désastre. On leur parle, on leur demande s’ils vont bien. Ils répondent machinalement que tout va bien, qu’ils ne sont pas blessés.

Mais en réalité, ils mettent beaucoup de temps à émerger. La pluie leur caresse la peau, cette pluie si détestable d’habitude, mais si plaisante en cet instant. Et ce vent, si puissant, capable d’arracher les débris, qu’est-ce qu’il est agréable ! La brise de l’océan, l’odeur de l’iode. Et de décharge. Car ne l’oublions pas, cette zone est une décharge de carcasses de bois en train de pourrir.

Dur retour à la réalité. Toutes ces odeurs leur chatouillent le nez. C’est fou la vitesse à laquelle on perd certaines sensations lorsqu’on en est privé un certain temps !

On les aide encore à avancer, plus loin, sur un sol plus solide, plus palpable. Qui, « on » ? Des hommes tout de gris vêtus, qui semblent connaître Gaspard. Des révolutionnaires ? Probable. Oui.

Maintenant ils ont tous plus ou moins retrouvé l’usage complet de leurs facultés motrices, regardant alternativement le paysage et leurs sauveurs, les yeux dans le vague. Ils cheminent, en groupe, à travers épaves entassées, pour enfin retrouver la sensation de la vraie terre sous les pieds. Clodo grogne, il ne semble pas apprécier. Mais les autres en sont heureux.

Finalement, ils arrivent à un campement. Un gars crie.

- Les v’là !

D’autres se lèvent, dont un grand brun, vers qui on les conduit. Il s’adresse à Gaspard.

- Eh bein, y vous est arrivé quoi ?
- Bah en fait… Les épaves, les profondeurs… Et puis, crac ? Patatras. Sous un navire, pouf.
- Tu peux p…
- … Et pis Georges, tchac, mort. Comme ça. Et puis l’roi, y creuse, et ça s’écroule. Et là paf, vous êtes arrivés !

Il lève enfin les yeux vers son chef, regard pétillant plein de reconnaissance, comme un gosse à qui on a offert le jouet de ses rêves. Décidément, il est pas clair, Gaspard. D’ailleurs, en disant « roi », il a montré Alrahyr, vers qui se tourne le grand brun.

- Ouais, rien compris. Ah, te revoilà toi. Y s’est passé quoi ?

Mais Alrahyr ignore la question. Tout ce qui lui trotte dans la tête, ce sont les dires de Clodo, plus tôt, lorsqu’ils étaient encore sous terre. Il avait affirmé que, lorsqu’un effondrement arrivait, les premiers sur place étaient souvent les pouilleux des profondeurs. Mais ils étaient rapidement repoussés par des révolutionnaires, venus là pour récupérer un maximum de choses sur les victimes, alors que les clochards ne voulaient qu’aider les éventuels survivants.

- C’est bon, vous avez trouvé votre bonheur ?

Il est acerbe, incisif.

- De quoi ?
- Niez pas. Sales vautours.

Se calmer... Sur ces paroles, il s’éloigne d’une vingtaine de mètres, et va s’asseoir, seul, observant la mer au loin. L’océan, ses vagues, ses embruns. Merde, il a failli mourir ! Incapable d’œuvrer pour s’en sortir seul, en proie à une incommensurable masse de débris au-dessus de sa tête, impuissant. C’était un sentiment vraiment désagréable. Mourir comme ça, après tant de choses ? Après ces mois passés pour se battre pour la vie de Nayami ? Nayami… Il n’y pensait plus. Mais que lui est-il arrivé, pendant les quinze jours entre son naufrage et son arrivée sur l’île ? Pourquoi n’a-t-il pas eu le besoin de pleurer son amie disparue ? L’a-t-il déjà fait ? L’a-t-il oublié ?

C’est étrange.

Enfin, ce qui est passé est passé, semble-t-il. Et maintenant, le voilà secouru d’une mort lamentable par des révolutionnaires. Les mêmes révolutionnaires qu’il a détesté toute son enfance, rejetés du Teiko à Boréa, combattu lorsqu’il était dans la Marine d’Elite. Les mêmes révolutionnaires que Georges, mort là-dessous. Que Gaspard, qui semble avoir perdu la boule. Que Sami, qui a la rage de vivre.

Et qu’Alex, récemment recruté, paraît-il. Personnage mystérieux, qui sort du lot. Il risque de devenir quelqu’un au sein de la révolution, avec son caractère bien trempé et sa motivation cachée derrière un voile de lassitude. Réalité ou outil de dissimulation ? Quoi qu’il en soit, Alrahyr le sait, il devra garder contact avec ce type.

Le grand brun, agacé par la situation, s’adresse alors au coutelier. Alrahyr l’entend, malgré l’éloignement. Il écoute d’une oreille distraite, sans cesser d’observer l’océan, si vaste. Preuve d’une réalité qui le dépasse.

- Mais on va enfin me dire ce qu’il s’est passé ?

Alors Alex lui explique, en détails. Avec toute la précision nécessaire à la compréhension, ni trop, ni pas assez. Bon esprit de synthèse, le mec. Encore une fois, le jeune Kaltershaft se dit qu’il ira haut à terme. Un contact à conserver.

Et le révolutionnaire responsable du campement de continuer :

- Et le grand, avec le sugegasa, c’est qui alors ?

Le coutelier hausse les épaules, il ne sait pas quoi répondre de plus que « Alrahyr Kaltershaft ». Alors son probable futur chef lui fait signe d’aller parler à cet homme imperturbable qui regarde l’horizon.

Il est intéressé par la révolution. Qu’est-ce qu’est cette entité étrange ?


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Putain ! Dehors !

Puis j’ai débranché mon cerveau pour m’contenter de profiter des sensations quelques temps avant de revenir au business. Alrahyr est parti faire un caca nerveux dans son coin, il boude en regardant l’océan, personne a bité pourquoi. J’pensais pas qu’il serait un de ces pirates émotionnellement instables, caractériels, qui se taillent les veines avec des feuilles de papier quand quelque chose les contrarie.

Au temps pour le mythe du rebelle insurgé et héroïque, heh.

L’chef des débarqués m’fait signe d’aller voir ce qui le chagrine, notre grand héros aux cœur tendre et blessé. Faut croire que j’ai été promu confident, psychologue et surtout membre de la glorieuse cellule révolutionnaire de Luvneel. Y’a deux rôles dont j’me passerais bien, mais comme le troisième a l’air d’aller avec, j’moufte pas.
N’empêche, j’voudrais bien pouvoir me laver, et pioncer un coup. L’excitation de la survie, de l’extérieur, elle retombe, et j’ai bien envie de tomber à sa suite. Mais point de repos pour les braves, comme j’ai lu quelque part, alors hardi, cœurs vaillants !

En m’approchant d’Alrahyr, je taxe une clope à un révolutionnaire qui trainait dans le coin, à s’curer les ongles. Puis j’m’asseois à côté du roi des clochards de l’île. Il jette pas un regard dans ma direction, les clignotants braqués sur l’océan. Il a le visage fermé des jours où y’a plus de tartelette au citron au restau.
« Alrahyr ?
- …
- Y’a un problème ?
- Demande donc à tes grands potes révolutionnaires, qu’il crache. »

Il est en train de me faire un caprice. J’arrête de tripoter ma clope et j’l’allume, m’contentant de la savourer en laissant le temps passer. J’crois que le vent lui souffle toute la fumée dans la gueule, mais j’en ai pas grand-chose à foutre. Le silence le fera sûrement causer.
Un temps plus tard, j’ai fini ma cigarette, sans m’presser en plus, et il a la mâchoire toujours serrée. J’retiens un soupir. J’commence à piquer du nez, en plus. Le bruit des vagues, l’air délicieusement frais, la fatigue et le stress accumulés, tout ça se conjugue pour m’faire perdre en attention. J’m’empêche de bailler. Ca le ferait pas trop.

Des pas derrière nous. Le chef révolutionnaire s’laisse tomber à côté de moi. Il sort d’un bel étui argenté une longue cigarette. Ca m’fait bien envie, j’louche dessus sans la moindre discrétion. Avec un haussement d’épaules fataliste, il m’la file avec du feu et s’en sort une autre. Pas mauvaise. Il tire une bouffée puis prend la parole :
« Alrahyr Kaltershaft ou Bouclier Rouge ?
- Ce qui vous fait plaisir.
- On va rester à Alrahyr Kaltershaft alors.
- Si ça vous fait plaisir, je vous ai dit.
- Boréa, tout ça, hein ? »
J’reste muet entre les deux autres. J’suis pas censé savoir pour l’histoire, la célébrité d’Alrahyr. C’était la ligne que j’m’étais fixée, j’compte bien y rester. Ma somnolence s’est un peu évanouie, ce qui se passe a l’air important.

« Vous savez.
- Maintenant oui. J’ai eu le temps de me renseigner.
- Et vous avez trouvé des trucs dans les décombres, alors ?
- On a trouvé ce qu’on cherchait, oui.
- Des bouts de bois ? Des planches ? Peut-être des objets plus précieux ?
- Vous. C’est vous qu’on excavait depuis des jours. La révolution ne laisse pas ses hommes en plan, sauf cas extrême.
- Bien sûr. »
Le roi des clochards se lève et s’casse. J’jette un coup d’œil à mon futur patron. La négociation a pas l’air de s’être très bien passée. Pourtant, le Kaltershaft, c’est un gros morceau, une bonne recrue à avoir dans la révolution. A percé récemment, en bisbille avec le Gouvernement Mondial, recruter ça, ça doit faire plaisir.

Il s’gratte la tête. Perdu. Moi aussi, j’sais pas ce qui prend Alrahyr. Il a pris la mouche tout d’un coup, quand on est sorti.
« Et sinon, y’avait personne d’autre dans l’éboulement ?
- Dans le premier, non.
- Le premier ?
- Il y a eu un second éboulement, celui suite auquel on a pu vous sortir de là. Trop tard pour Georges, malheureusement. C’était un chic type.
- Ouais. »
J’ai pas envie qu’il me parle du mort. Gaspard l’a assez fait. Il nous les a brisées pendant des heures avec son laïus interminable. Ca devait être pour s’occuper, pour penser à autre chose. Quand bien même, on en avait rien à battre.
« Et pour le second éboulement ?
- En fait, on avait collaboré avec les clochards des profondeurs. Les autres habitants n’étaient pas trop intéressés par tout ça. On a dû établir un cordon pour protéger nos possessions et notre navire.
- Collaboré ?
- Oui, ils nous ont dit que leur roi était là-dessous, qu’ils devaient le sauver.
- Quelle fidélité, j’lâche, d’un ton plat.
- Surtout qu’au moment du second effondrement, quelques clodos se sont trouvés pris dans l’éboulement et ont eux aussi fini sous terre.
- Ah, merde !
- Pas tellement. Leurs potes ont utilisé l’ouverture du premier éboulement et sont partis fouiller les décombres.
- Et leur collègues ?
- Je crois pas qu’ils prévoient de les sortir avant un bon mois, histoire d’être sûr qu’ils soient décédés. »
J’me rappelle Clodo, qu’a survécu trois semaines. La durée avant qu’on vienne dépouiller son cadavre ? Ils ont dû augmenter le délai depuis, quand ils ont vu que c’était pas assez pour que ça clamse bien. Une pensée m’vient. Georges, j’me demande si y’a des traces de dents sur le cadavre. Pas que Clodo ait masse de ratiches au râtelier, mais toujours assez pour mordre et mâcher.

J’évacue. J’m’en fous, en fait, ça m’regarde pas.

« Bon. Tu t’appelles comment ?
- Alex. Vous ?
- Tu peux me tutoyer. Gérôme.
- Sûr. Enchanté, Gérôme.
- Pareil, Alex. Bon, ta première mission, c’est de coller à Alrahyr. Tu as dû devenir proche de lui, là-dessous. Essaie de savoir ce qu’il fait, de le guider vers nous. On va pas tarder à repartir vers Luvneel. On va juste rester quelques jours de plus histoire de bien prendre connaissance de la situation.
- Ouais, j’te fais ça.
- Merci. »
Il m’regarde genre pénétrant. J’ai été louche dans ma façon d’agir, faut que j’commence à inventer une histoire qui explique que j’serve à quelque chose, contrairement aux autres touilles-merdes.

J’lui demande encore une clope, il m’file le paquet. Un gars qui sait motiver ses hommes, lui. Puis j’demande par où est parti le pirate boudeur avant de remonter la trace en trottinant, une cigarette au bec. Quand j’le retrouve, il discute avec des pirates, j’suis trop loin pour entendre. J’l’appelle pour signaler ma présence et j’me rapproche au pas.

Putain, j’pioncerais bien un coup, quand même.

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Ces révolutionnaires… Il va falloir qu’ils soient convaincants. Alrahyr a un objectif assez précis pour le moment : construire un navire avec l’aide de l’équipage qu’il a rencontré, naviguer vers Grand Line, et atteindre Armada pour découvrir ce qu’il s’y trame, comment cela a été organisé, etc.

Alors, énervé par la présence de ces vautours gris, le jeune homme est parti à la recherche desdits pirates. Lorsqu’il a enfin mis la main dessus, ceux-ci l’interpellent, s’étonnant de son absence, ce à quoi il fournit de brèves informations, le strict nécessaire. Pas le moment de l’agacer plus qu’il ne l’est déjà. Puis Alex arrive, appelant Alrahyr.

Le capitaine pirate s’inquiète de la situation :

- C’est qui lui encore ? C’est un hall de gare ou quoi cette île ?
- Parfois j’en ai bien l’impression…
- Tu l’connais ?
- Il était coincé avec moi, un type qui sera bientôt recruté par la révo, je pense. Il a un comportement particulier.
- Particulier ?
- Intéressant. Je trouve.

Le jeune Kaltershaft fait signe à Alex de continuer à s’approcher, ce que le coutelier a d’ailleurs commencé à faire sans attendre de réponse. Sûr de lui… S’approcher ainsi de pirates…

Ne faisant pas plus attention à lui que cela, Alrahyr enchaîne sur la suite de sa conversation avec le capitaine.

- Vous avez pu avancer ?
- De ?
- Le navire…
- Ah, ouais pardon. Ouaip, et bien, même ! Mes gars étaient pour la plupart de bons artisans avant de décider de prendre la mer, alors niveau charpente, ça le fait.
- T’as trouvé une coque solide ?

Alex arrive à leur niveau, et écoute sans les interrompre.

- Ouais, sur un sloop en pas trop mauvais état. Coque et grand mât sont encore bien résistants, du coup on est parti sur cette base pour la suite. On a restauré toute la carène jusqu’en haut de la ligne de flottaison et on a vérifié l’étanchéité de la cale. Aucun problème de ce côté-là. La moitié de mes hommes s’occupe de fabriquer un intérieur pas trop dégeu’, l’autre s’intéresse aux voilures et aux bouts.
- On sera prêt dans combien de temps à ton avis ?
- Quelques jours, maximum. Le gros est fait, quand on aura trouvé toutes les voiles ce sera plus que tu détail la suite.
- Super !

Le coutelier les interrompt :

- Le navire, c’est pour aller où ?

Les deux le regardent bizarrement. Genre « ça te regarde ? ».

- Enfin, si c’pas indiscret hein…
- Grand Line.
- Avec des bouts rafistolés provenant du Cimetière ?
- T’es charpentier depuis quand, Alex ?
- Oh, moi c’que j’en dis…

Se tournant à nouveau vers le capitaine, Alrahyr reprend ses questions.

- Pour les armes, on a quoi ?
- Pas mal de lames, des sabres d’abordage, des couteaux… Bon, c’est de la récup’, va falloir aiguiser tout ça. Quelques pistolets et fusils, mais pas des masses, et niveau munition ça craint. On va devoir se cantonner au corps à corps je crois.
- L’équipage peut gérer ça ?
- Ouais, toute façon on n’a jamais eu de vrai matériel, alors…
- Parfait.

Depuis le dessous de son sugegasa, il jette un regard vers le coutelier.

- Alex, ça te dit de mettre à profit tes talents d’artisan ?

Ce dernier fait une moue.

- J’y gagne quoi ?
- Un moyen de continuer à assurer ta mission sans que je te renvoie à coups de pieds au cul.

Genre… Il croyait vraiment que ça passerait inaperçu ? Le type est resté bavasser avec un révolutionnaire, venu exprès ici pour recruter du monde, et quelques instants le voilà revenu sur les traces d’Alrahyr, écoutant comme si de rien n’était, et tentant de participer à la conversation.

- Eh, on s’calme. T’as quoi aujourd’hui ?

Le jeune Kaltershaft se tourne brièvement vers le pirate :

- Cap’, tu nous laisses deux secondes ? J’arrive de suite…

Puis, à Alex :

- J’ai que tes nouveaux amis, ce sont de vrais vautours, venus au Cimetière pour trouver de la chair à canon et pour piller les décombres. T’autorises ça ?
- On s’détend. Déjà c’sont pas mes « amis », et ensuite Gérôme de l’a dit, ils ont fait ça pour nous sortir de là, et principalement pour te sortir de là.
- Dis ça aux clodos, enrôlés de force. Eux quand ils déblaient les décombres, c’est pour sauver des vies, pas pour jouer les charognards.

Le coutelier n’en revient pas.

- Attend, tu t’entends ? T’écoutes ce qu’on te dit des fois ? Les clodos ? T’as de la merde dans les yeux ou quoi, les pouilleux t’ont mené en bateau comme un bleu. Les révos, ils ont fait leur possible pour nous sortir de là, et ça a marché. Les clochards pendant ce temps, ils fouinaient dans les ruines à la recherche de cadavres à dépouiller. Voilà ce qu’ils font, tes petits protégés !
- Et tu tiens ça d’où, môssieur Alex ?
- Mais de partout ! Tout simplement, ça se voit ! On les a vus en sortant ! Et pourquoi tu crois que ton larbin il racontait qu’il était resté trois semaines ? Tu penses qu’il faut vraiment trois semaines pour aller au secours des gars sous terre ? Ils ont juste attendu qu’y crève, et manque de pot pour eux il a survécu.
-
- Tu vois la réalité maintenant ? C’est bon, ça a fait tilt ? La révolution, ils t’ont sauvé, ils sont pas là pour piller.
- … Pour vrai ?
- Pour vrai.

Silence. Alrahyr n’est pas totalement convaincu, mais il attribue le fait de s’être braqué à la situation de stress dans laquelle il a été mis. Alors le coutelier reprend.

- Bon, les lames, elles sont où ? J’vous aide, évidemment.

Les deux hommes rejoignent donc le capitaine, qui attendait à quelques mètres de là. Direction la réserve de matériel et le chantier du nouveau navire.


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Ca fait quelques heures que j’suis à aiguiser des sabres d’abordage ébréchés, des katanas usés, des surins abîmés, et même des couteaux à fromage qui coupent autant que des cuillères. Autant dire qu’Alrahyr et ses potes pirates en profitent pour me faire trimer sur toutes les saloperies possibles et imaginables.
Heureusement que j’touche un peu à ça, pour mes propres lames. Mais même comme ça, j’douille. Les katanas, sérieux, faut pas une roue, normalement ? Le genre de roues qu’on actionne au pied et on aiguise dessus. Ca doit être pareil pour les sabres d’abordage. Au fond, j’en sais trop rien, alors j’fais ce que je peux avec les pierres qu’ils m’ont données et une poignée de chiffons d’huile.

Putain, quoi. J’suis pas larbin, dans la vie. Enfin, si, mais pas que. Puis j’taille pas des lames en pointes. Enfin, si, mais pas que. Rah, j’aime pas ce fil de pensées. Est-ce que le fil de ce couteau est bien aiguisé maintenant ?
La monotonie du travail fait divaguer mon esprit dans n’importe quelle direction, pas toujours appréciable. J’suis assis sur le sol, à côté du bateau que les pirates fabriquent. Y’a un petit paquet d’armes non-aiguisées à ma gauche, un gros paquet retravaillé à ma droite. Et mes chiffons et pierres à aiguiser devant moi. La qualité de mon matos est pas terrible, un aveugle le verrait. J’compte bien utiliser ça comme excuse si on me fait la moindre remarque. D’aucuns disent qu’un bon artisan sait bosser avec des outils moisis. J’ai jamais revendiqué être un bon artisan.

A la fin de cette lame, avec un timing impeccable, un des pirates vient chercher l’pote Alrahyr.
« Alrahyr ?
- Oui ?
- Pas moyen de mettre la main sur des voiles correctes ici. On a juste eu des lambeaux de draps complètement usés jusqu’à la corde.
- Et merde…
- Mais on a p’tet une piste pour en trouver.
- Et ça serait ?
- Lyon-sur-Loques.
- Lyon sur ?
- sur-Loques. C’est une ville de bric et de broc. S’il y a des voiles quelque part, ça sera là-bas.
- Je vois. Et donc ?
- La ville est légèrement fortifiée.
- Vous avez essayé de négocier ?
- Pas encore.
- Très bien, j’arrive. »
Il se relève. Il faisait comme moi, des travaux inutiles. J’me fous debout à sa suite, laissant en plan mon travail. J’m’essuie les mains sur mon pantalon. L’impression de graisse huileuse part pas, mais tant pis. Alrahyr me regarde de dessous son chapeau. Il devrait pas le garder, il est décrépit comme pas permis.
« Hé, on avait dit que tant que j’bossais, j’restais, pas vrai ?
- Hmm. »
Il s’barre sans rien dire. Qui ne dit mot consent, hein ? J’lui emboîte le pas.

On suit notre guide pirate jusqu’à Lyon-sur-Loques. Effectivement, la ville en jette pas vraiment. Enfin, à l’échelle du Cimetière d’Epaves, si, c’est la grande classe, la capitale, le centre culturel. Les murailles de la ville, en tout cas, j’ai pas envie de les prendre d’assaut plus que ça. Y’a des douves dans lesquelles, à l’apparence et à l’odeur, on dirait qu’ils foutent tous leurs déchets. Un pied dedans et tu choppes une maladie qui te terrasse dans l’instant, probablement, si c’est pas l’odeur qui te met K.O..
« Il faut donner l’assaut, demande Alrahyr.
- Je ne sais pas, répond le pirate.
- Vous avez essayé de juste entrer, j’propose.
- Euh, non, pas encore. »

Alrahyr soupire et se dirige vers la porte, enfin l’ouverture dans le rang de bateaux. Y’a des genres de gardes, mi-clodos mi-brigands. J’vérifie mes couteaux dans mes manches. Le primé pose négligemment sa main gauche, armée du bouclier, sur le pommeau de ses sabres. Une sentinelle s’approche de nous, le regard méfiant, les paluches nerveuses sur son gourdin.
« B’jour.
- Bonjour.
- C’est pour quoi ?
- On souhaiterait entrer.
- Et pourquoi, j’voudrais bien l’savoir.
- On cherche des voiles.
- Très bien, pouvez entrer. Faites pas d’grabuge ou toute la milice de Lyon-sur-Loques, elle va vous tomber d’ssus !
- Ce n’était pas notre intention, dit raidement Alrahyr. »

Comme quoi, suffisait de demander. J’jette un regard torve au pirate. Il a un peu la honte d’avoir appelé le patron pour une connerie comme ça. Il doit pas se sentir bien, à passer pour un con. Sans un regard de plus, on rentre en ville.
Enfin, ville, c’est vite dit. J’assimilerais plutôt ça à un genre de bidonville. Des cabanes en bois construites selon une logique que j’ai du mal à comprendre. J’ai l’impression que y’en a une, pourtant. Un coup d’œil derrière moi, j’vois qu’un des gardes de l’entrée nous suit. Sûrement pour nous surveiller. Ils ont bien raison. D’ailleurs, les habitants nous regardent plutôt mal. Z’ont pas l’air d’aimer les étrangers, ici. On doit pas avoir l’air sympathique, faut dire.

Le garde s’arrête trente secondes pour regarder des types qui jouent à un jeu auquel j’comprends que dalle. Les mots s’enchainent, des gens gagnent, d’autres perdent. Moi, j’bite rien.
« C’est quoi, ça ? Que j’demande au jeunot qui nous suit.
- L’jeu local. Faut que j’rattrape les autres. »
J’jette un dernier coup d’œil sur la partie puis j’accélère le pas pour me recoller au groupe.

J’appelle Alrahyr devant, puis j’lui montre le gars qui nous suit, avant de lui adresser la parole :
« Hé, vous sauriez où on pourrait trouver des voiles ?
- Faudrait voir au Grand Amphithéâtre de la Liberté et de la Démocratie, en fait. »
J’retiens un sourire niais en entendant le nom du lieu. J’imagine direct une place toute pourrie avec trois bancs mangés par les termites sur laquelle les gens viennent discuter dans le vent sans que personne les écoute.
Mais ça vaut le coup d’y aller, et j’suis pas le seul à le penser. Le pirate hoche la tête, Alrahyr aussi. Le garde clignote des yeux une dizaine de secondes avant de comprendre qu’il doit nous guider là-bas. Une lumière, si on oublie le faux-contact.

En arrivant à l’amphi, j’dois reconnaître que j’suis agréablement surpris. Bon, pas de colonnes ou quoi, mais une estrade et des sièges de bon aloi, avec des travées nettement dessinées. Y’a un type lambda qui raconte sa vie. J’prête l’oreille à ce qu’il dit, et j’ai beau pas bien connaître les problématiques de la vie sur le Cimetière d’Epaves, ça sonne très populisme. J’en ai pas grand-chose à foutre, jusqu’à ce qu’il nous pointe du doigt :
« Voyez ! Des étrangers qui viennent une fois de plus piller nos ressources pour partir avec !
- A vous d’vous démerder ! Chuchote le garde. »

Du coup, on décide de faire comme il a dit. On s’pointe sur la scène de l’amphithéâtre au nom ronflant comme un sonneur de cloche et on soutient les regards de tous les types assemblés là. D’autres se ramènent, désoeuvrés. Une partie nous a suivis depuis l’entrée, l’autre est venue suite au bouche à oreilles. Ils doivent bien s’ennuyer, ici.
« Nous souhaitons nous procurer des voiles pour vous laisser en paix et partir, entame le jeune homme au sugegasa.
- Vous allez donc nous voler des voiles ! Tel était le but de votre venue ! Intervient l’orateur.
- Pourquoi vous voler ? Nous allons vous les acheter.
- Et contre quoi, je vous prie ? »
Alrahyr tique. Il avait pas prévu jusque-là, semblerait.

Dans ma tête, j’fais l’inventaire de ses possessions. Des lames à peu près aiguisées. Si y’a du pognon, j’l’ai pas vu. Mais pas dit que des pièces les intéressent, de toute façon. Y’a p’tet ce jeu bizarre qu’ils jouent, si on veut pas utiliser la manière forte...

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Ah bah oui, bien entendu… Pas d’argent, pas de voiles. Pas de voiles, pas de navire. Pas de navire…

Pas de navire.

- J’ai bien quelque chose à vous proposer…

Un homme dans l’assemblée est intervenu.

- Voyez, je suis marchand.

Il s’approche d’Alrahyr et lui tend la main.

- Jean-Bob Inléjan & Co., denrées diverses et variées!
- Alrahyr Kaltershaft, forgeron.
- Ah, un artisan ! Nous allons nous entendre !
- Vous aviez quelque chose à proposer ?
- Voyez cher... Alrahyr ? Oui, c’est ça. Je suis joueur. Et ici, à Lyon-sur-Loques, la seule monnaie est tangible. On fait du troc. Vous avez quelque chose à échanger contre des voiles ?

Bah non, rien. Mais il va bien falloir trouver quelque chose. Le pirate qui les a accompagnés jusque-là intervient.

- On a bien des matériaux en trop.
- Quelle quantité ?
- Bof, j’sais pas. De la récup’ hein.

Y a pas à dire, il sait se vendre ce type…

- Oui, ici on appelle ça des débris. Et c’est pas parce que nos maisons sont bâties ainsi que ça a de la valeur. Rien d'autre ?

Alrahyr cherche dans sa mémoire ce qu’il a pu croiser dans les profondeurs. Et à part des breloques, il ne trouve rien d’intéressant.

- Des matériaux en vrac, on peut en avoir une quantité plus que satisfaisante pour vous. Faudra juste nous dire ce qu’il vous faut contre des voiles.
- Hmm… Des voiles de quel type ?
- Pour un sloop, de préférence.
- Ah, vous avez pas de chance…
- Pourquoi ?
- Y m’en reste bien, mais ce sont les dernières, et j’espérais en tirer un bon prix, voyez-vous…
- Dites toujours la quantité de matériaux. On prendra la meilleure qualité qu’on trouvera.
- Comprenez-moi bien mon bon monsieur, parmi tout ce que vous trouverez, il n’y aura pas beaucoup de bonne qualité. Et moi, j’ai pas envie d’avoir ma livraison et d’avoir la mauvaise surprise de trouver 90% de mauvaise qualité.
- Eh bein on vous donnera dix fois plus, comme ça sur les 10% de correct que vous aurez, ça fera la bonne quantité finale !

Alrahyr a toujours une solution pratique… Si si.

- Non, vous ne comprenez pas. Je veux bien prendre des risques, je suis joueur comme je vous l’ai dit. Mais quand j’ai plus de chances de perdre que de gagner, je ne tente pas le diable.
- Alors, que voulez-vous ?
- Je vous propose mieux. Vous connaissez le jeu très en vogue ici ?
- Non.
- Tant mieux, tant mieux ! Comme ça vous allez apprendre un peu de la tradition locale ! Son nom est : « Bière - Bourrin - Lopette - Termite - Clodo - Planche de bois ». Vous voyez ce que c’est, « Pierre Papier Ciseaux » ?
- Ouaip’.

Le jeune homme a toujours détesté ça. Toujours perdre, c’est lassant. Peut-être ce nouveau jeu le réussira mieux ?

- Bon, c’est du même genre, mais en plus… local.
- Expliquez.
- Alors, ça se joue comme suit : le Bourrin boit la Bière qui tabasse la Lopette qui devient ami avec le Clodo qui élève le Termite qui mange la Planche de Bois qu'on utilise pour se venger du Bourrin. De même, le Bourrin défonce la Lopette, mais se fait avoir par les tours du Clodo ; la Bière noie le Termite, mais est sifflée par le Clodo ; la Lopette utilise la Planche en bois, mais est mis k.o par le Bourrin ; le Clodo quant à lui se rince l'gosier avec la Bière, mais dort sur la Planche de bois ; le Termite terrorise la Lopette, mais se fait écraser par le Bourrin ; la Planche en bois éclate le Bourrin et piétine le Termite.
- Euh…
- Vous allez bien vous débrouiller, j’en suis persuadé !
- Si vous le dites…
- Bon, alors je vous propose ceci : on le fait en trois manches gagnantes, ici, sur la scène de l’amphithéâtre, avec monsieur l’orateur en arbitre et le public en témoin. Disons que les voiles que vous voulez, ça vaut 30 stères de bon bois. Si je gagne, vous me donnez gratuitement 30 stères, si vous gagnez je vous offre le lot de voiles !

L’assemblée glousse, Alrahyr y voit une arnaque.

- Vous exagérez pas avec le coup des 30 stères ?
- Bon, je suis bon joueur, on va dire 20 stères ! Partant ?
- J’ai vraiment le choix ?
- Vous voulez vos voiles ?
- Sûr !
- Alors non.
- Bon, c’est parti !
- Bien ! Orateur, s’il vous plaît ?

L’homme envoie plusieurs messagers à travers la ville, pour rameuter la population.

- Bein quoi, c’est l’animation du jour !

Le groupe d’étrangers est un pris de court. Les coutumes locales sont vraiment particulières, celle-ci plus que les autres. Faut-il vraiment un grand public ? Oui. Est-ce la manière traditionnelle de régler les marchandages ? Faut croire.

- Bien ! En jeu, Jean-Bob Inléjan le marchand contre Alrahyr Kaltershaft le forgeron ! Trois points gagnants ! Prix : 20 stères de bois pour Jean-Bob, un lot de voiles pour Alrahyr. Le perdant offre le prix ! Attention, je rappelle que tout détournement des règles entraînera une poursuite par la milice locale ! A mon signal, vous annoncerez en même temps votre choix ! En cas de litige, je me verrai dans l’obligation de trancher !

Espérons que l’arbitre soit impartial…

- Prêts ? 3… 2… 1… Annoncez !
- Bourrin ! Planche !
- La planche de bois éclate le bourrin ! Scores : 1 – 0 pour Jean-Bob.

Super, mauvais début…

- Prêts ?

Alrahyr se concentre… S’il a bien retenu les règles, la Bière semble intéressante.

- 3… 2… 1… Annoncez !
- Bière ! Lopette !
- Erreur d’annonce de la part d’Alrahyr ! Scores : 2 – 0 pour Jean-Bob !
- Comment ça erreur d’annonce ?
- Vous avez annoncé « Pierre », vous vous êtes trompé de jeu !
- Mais non, j’ai dit Bière !
- Non non, Pierre ! Vous osez contredire l’arbitre ?
- Calmez-vous, calmez-vous ! Demandons l’avis du public, peut-être mon adversaire ne s’est-il pas trompé, avec le respect que je vous dois, monsieur l’arbitre ?
- Demandons…

Bon joueur, ce Jean-Bob, il y a pas à dire. Mais à main levée, le mot « pierre » fait l’unanimité. Alrahyr ressent une certaine injustice…

- Bon, donc… Scores : 2 – 0 pour Jean-Bob ! Et un avertissement pour Alrahyr !
- De quoi ?
- Deux avertissements pour Alrahyr ! Au bout de trois, ce sera un blâme.

Magnifique ! Et à trois blâmes, on a quoi ? …

- Prêts ? 3… 2… 1… Annoncez !
- Clodo ! Planche !

Décidément, il aime bien la planche de bois…

- Le Clodo dort sur la planche de bois !
- Ah, bien pour moi ça !
- Eh non ! Scores : 3 – 0 pour Jean-Bob !
- Quoi ? Mais non !
- Eh si, vu que le Clodo dort, c’est la planche qui gagne ! Alrahyr, vous avez trois avertissements !

Le public hue.

- Ce qui vous fait un blâme… Et Jean-Bob et déclaré vainqueur !

Merde.

- Hehe, bien joué, mais vous me devez 20 stères de bois maintenant, cher monsieur ! A moins que…
- A moins que ?
- Que vous tentiez le quitte ou triple !

Le public écoute attentivement la réponse.

- Ah, le perdant va-t-il tenter le quitte ou triple ?
- Le quitte ou triple ?
- Nouvelle partie, si vous gagnez vous annulez votre dette et vous aurez vos voiles. Mais si vous perdez, vous devrez à votre adversaire le prix initial multiplié par trois !

Alex regarde Alrahyr de travers, l’enjoignant à ne pas accepter. Mais le jeune homme a vraiment besoin de ces voiles. Et puis, une dette de 20 stères ne l’arrange pas. Cette fois, il a compris, il va gagner !

- Alors ?
- J’accepte !

Le public applaudit bruyamment.

- Bien ! Quitte ou triple ! Prêts ?

La planche semble fonctionner brillamment, testons…

- 3… 2… 1… Annoncez !
- Planche ! Termite !
- Ah, litige ! Les règles disent : « Le Termite mange la Planche », mais aussi « La Planche en bois piétine le Termite » !
- Ah, alors on refait ?
- Non, litige, donc je dois trancher ! Et les règles disent : en cas de duel avec un étranger, avantage à l’habitant local ! Scores : 1 – 0 pour Jean-Bob !
- Mais c’est dégueulasse !
- Ah, un blâme et un avertissement pour Alrahyr ! Attention !

Nette impression de se faire arnaquer sur toute la ligne. Pas vous ?

- Prêts ? 3… 2… 1… Annoncez !
- Clodo ! Bourrin !
- Le Bourrin se fait avoir par les tours du Clodo ! Scores : 1 – 1 !

Enfin !

- Prêts ? 3… 2… 1… Annoncez !
- Termite ! Bière !
- Ah, erreur d’annonce ! Jean-Bob a dit « Pierre » !
- Je demande l’avis du public !
- Accordé !

Normal, possible d’un côté, possible de l’autre.

- Ah, le public est d’accord avec Jean-Bob, au temps pour moi ! Il a bien dit « Bière » !
- Mais c’est pas juste !
- Ah, un blâme et deux avertissements pour Alrahyr !
- ...
- La Bière noie le Termite ! Scores : 2 – 1 pour Jean-Bob !

Ce jeu est une ignominie…

- Prêts ? 3… 2… 1… Annoncez !
- Planche ! Planche !
- Ah, litige par même annonce !
- On refait ?
- Non ! Litige, je tranche : avantage à l’habitant local ! Scores : 3 – 1 pour Jean-Bob, déclaré vainqueur du quitte ou triple ! Alrahyr, vous devez 60 stères de bois à Jean-Bob ! Applaudissons tous le vainqueur !

Le jeune homme est médusé. Jeu totalement injuste. Il tourne le regard vers Alex, qui semble le comprendre sans avoir besoin d’entendre un mot. Ses yeux disent « On les déglingue » ? Le coutelier répond, sans un mot : « Oui ».

Alors l’ex-Sergent d’Elite envoie l’orateur valser au-delà des gradins d’un grand coup de bouclier.

- HOME RUN !


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Enervé, irrité, excédé. Pendant le jeu, ou le simulacre qui en tient lieu, j’souffle un grand coup puis j’m’allume une des clopes du chef révolutionnaire. Putain, j’crois que j’sais même plus comment il s’appelle. J’sais pas non plus si j’l’ai su, en fait. Probablement pas. Malgré la fatigue, j’aurais fait l’effort de m’en souvenir.

Fatigué, épuisé, exténué. J’aspire qu’à pioncer. Y’a que la colère de me faire entuber qui m’maintient éveillé. La fatigue des quelques jours de dérive n’a pas été résorbée par les jours de repos tout relatifs que j’ai eu avec le recruteur local de la cellule de Luvneel. La fatigue des quelques jours passés sous terre est tellement récente qu’un léger tic agite le coin de ma bouche.

Trafiquées, modifiées, bidouillées. Les règles du jeu préféré local sont floues, de nouvelles semblant se rajouter systématiquement pour nous enlever des points. Les habitants se sont ligués pour dépouiller les connards de touristes trop bons trop cons qui ont osé s’aventurer sur leur terrain de jeu.

Putain !

Alrahyr pète un câble, j’suis d’accord avec lui. Ils ont pas été réglo avec nous. On va pas l’être avec eux. Quoiqu’en y repensant, même si eux l’avaient été, on se serait pas privé de pas l’être, j’pense. Le primé est trop tendu vers son but. Grand Line. Pour y faire quoi ? Trouver le One Piece ? Ca collerait pas trop au profil du type qui s’est révolté contre le pouvoir en place sur son île natale.
Que veut-il trouver sur la route de tous les périls ? J’y penserai plus tard. Déjà pasque mon esprit peine à faire son taf, et ensuite pasque c’est l’heure d’avoir une idée de génie pour sortir de là avec les voiles. Alrahyr envoie balader l’arbitre et orateur d’un puissant coup de bouclier. Il est vraiment, vraiment costaud, le salaud. Un trop gros morceau pour moi, j’suppose. Quoique, dans son sommeil…

Ca va se transformer en bain de sang si j’laisse faire. Et c’pas dit que j’sois dans les survivants. Ni le Boréalin. C’est qu’ils sont nombreux, les pedzouilles, les clodos, les brigands, les peignes-culs. Alors que le marchand tente de se faire la malle en douce par l’arrière de l’estrade, une de mes lames vient châtouiller amicalement ses côtes. Ma main à son collet, il se raidit, ose à peine respirer.
« Inspire, connard, mort tu nous servirais à queud’ ! »

Puis j’prends la parole d’une voix forte alors que mon poto du moment a dégainé un de ses sabres. Le pirate de son équipage, il tremblote, une hachette en main. Le garde est depuis longtemps retourné se mêler à la foule. Pas volontaire pour mourir tout de suite, pas le premier, en tout cas. Probablement pas tout court.
« Ola, tout le monde, calmez-vous ! Bon, on a essayé d’être d’équerre en jouant à votre jeu débile, là. Mais bon…
- Vous avez triché ! S’exclame Alrahyr, l’air de pas avoir digéré la défaite.
- Ouais, z’avez tenté de nous gruger. Du coup, on va vous la rendre et faire ce que vous nous avez suspectés de faire. On va passer en force, prendre les voiles et s’barrer avec, pigé ? »

J’mate l’effet de mon p’tit discours sur la foule. C’a pas l’air de trop les impressionner. Une voix gueule :
« Nan mais on s’en fout s’il meurt, lui ! Taïaut !
- Et merde, que j’grommelle. »
J’fous un coup avec le manche de mon couteau dans la tempe du marchand, histoire de le calmer quelques temps. J’ai des scrupules. J’me rappelle la fois où Pierrot a buté des civils en mission. Il avait une bonne raison de le faire, mais pendant trois jours, on l’a pas vu, tellement il était caché par la paperasse empilée sur son bureau.

Chiasserie.

Brutal, léthal, fatal. Les mouvements d’Alrahyr sont millimétrés, semble-t-il, pour buter ses adversaires en un seul coup. Bon, ils sont pas bien gaillards, c’est vrai, armés de bric et de broc, sans réelle formation au combat autre que le lancer de tabouret dans une taverne, mais n’empêche, il est efficace. Moi, j’en profite pour filer des coups de pieds, de manche de mon poignard, de ma main libre. Tout pour pas tuer. J’les rabats aussi un peu vers les copains. Le pirate a repris du poil de la bête et semble se croire dans une forêt à couper du bois. Tant que j’tue personne moi-même, ça va sûrement passer. C’est c’que je me dis, en tout cas.

La foule reflue, s’éloigne de cinq bons mètres de l’estrade. Les dix cadavres qu’ils laissent sur place à se vider de leur sang les regardent sans dire un mot. En même temps, le contraire m’aurait étonné. J’profite du répit pour immobiliser à nouveau Jean-Bob et m’allumer une clope. Ca murmure sec chez le peuple.
« Ecoutez, entame Alrahyr. A la base, nous ne voulons que des voiles. On les prend, on s’en va et vous pouvez reprendre le cours de vos vies.
- Pillards !
- Oui, effectivement, on vous pille, ajoute-t-il durement. Mais on est plus fort que vous. Si vous n’êtes pas d’accord, venez donc. Le premier qui approchera mourra, par contre. »
Là, y’a plus trop foule. Ca recule même d’un pas, histoire de pas être celui qui est devant. Ils ont l’air convaincu. J’fous des baffes à l’otage pour le réveiller. Pour m’défouler, aussi.
« Demande à un type d’aller chercher les voiles et de les poser à l’entrée de la ville, connard.
- Mais non, ce sont mes voiles et…
- On va la faire plus simple. Les voiles ou la vie ?
- … Giorno ? Apporte les voiles à l’entrée de la ville.
- Mais m’sieur…
- Fais-le !
- Oui m’sieur… »

Le larbin détale en courant. J’croise les doigts pour que ça suffise. J’garde ma prise sur mon bonhomme et on marche lentement vers la sortie. Le sabre d’Alrahyr tient les habitants à bonne distance, mais ils rôdent autour. J’ai pas envie qu’ils nous jettent des trucs quand on passera dans les p’tites rues. La configuration est vraiment trop pourrie.

J’aurais mieux fait de boucler mon claque-merde. Putain.

D’abord, c’est des trucs gentils qui pleuvent. Denrées pas tout à fait fraiches, seaux de pisse ou d’excréments. Du beau, du propre. Ca éclabousse, en plus. Puis viennent les jets moins rigolos. Ca commence avec des cailloux, des clous, de la grenaille. Puis ça monte en gamme.
Notre marche monte en gamme aussi. On trotte, on court, on galope. Quand les portes sont en vue, avec les voiles qui attendent bien sagement auprès d’autres membres de l’équipage d’Alrahyr, j’balance Jean-Bob dans un coin pour pouvoir courir plus vite.

J’suis le sugegasa comme sa putain d’ombre. Son sabre court taille devant, à gauche, à droite. Il frappe pas pour tuer, maintenant, juste pour écarter. Ca marche pas mal. Le pirate à la hache ferme notre trio, agitant frénétiquement son arme sans rien toucher pour pas se ralentir. Ca suffit à effrayer les locaux.

On part pas couverts de gloire, mais on met les voiles avec nos bouts de tissu qui vont nous permettre de nous barrer. Hardi à la barre, moussaillon. Puis j’me rappelle que y’a encore pour quelques jours ou heures de travaux. Mazette. Enfin quoique…
Pendant qu’on court, j’soumets mon plan à Alrahyr :
« Ton bateau, il lui faudra quelques jours encore, huf, pas vrai ?
- Oui, apparemment.
- Mais ça se trouve, les habitants vont pas te laisser de répit, huf puf, après ce que t’as fait.
- Possible.
- J’suis sûr que la révolution serait pas contre te filer un coup d’main. Ca nous laisserait –huf huf- le temps de causer.
- Hum.
- Deal ?
- Deal. »

Nos poings s’entrechoquent en signe d’accord pendant que les derniers lancers finissent à quelques mètres de nous. Mission accomplie. Maintenant, une bonne douche.

Et une sieste, merde.



Dernière édition par Alric Rinwald le Dim 14 Déc 2014 - 19:22, édité 2 fois
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« Sur une île faite de bric et de broc, un improbable assemblage de bouts de bois aux formes et aux qualités les plus diverses…

Dans une ville faite de bric et de broc, un improbable assemblage de bouts de bois aux formes et aux qualités les plus diverses…

Sur des sièges faits de bric et de broc, un improbable assemblage de bouts de bois aux formes et aux qualités les plus diverses…

Dans des cerveaux faits de…

- Ta gueule, putain, Régis-Charles !
- J’donnais libre cours à mon art, Régis-Georges !
- Ben j’aimais pas trop vers où ça allait, voilà !
- Ca y est, j’ai perdu le fil…
- Tant mieux, intervint une troisième voix, plus grave. »

Quatre hommes étaient assis sur des tabourets branlants, appuyés à une table bancale. L’un d’eux portait visiblement un coquard gros comme un œuf sur le côté du crâne, tandis qu’un autre portait une attelle à l’épaule. Les deux derniers se portaient comme des charmes, l’un tenant un genre de luth à deux cordes, l’autre une choppe d’un liquide que d’aucuns appelleraient de la bière.

« Bon, tu voulais nous dire quoi, Jean-Bob ?
- Les pillards de l’aut’ jour…
- Ouais, et ben ?
- Quoi ?! Juste ‘’et ben’’ ?! Ils m’ont volé des voiles quasiment neuves ! Ils ont disgrâcié les règles de notre ville, de notre île !
- …de bric et de broc, un improbable assembl… chantonna Régis-Charles en s’accompagnant doucement de son instrument.
- On a fait ce qu’on a pu.
- Comment ça, on a fait ce qu’on a pu ?! J’ai envoyé cinq hommes à moi avec des lances !
- On joue ?
- Allons-y, dit Jean-Bob d’un air maussade. »

Ponc Ponc Ponc ! L’homme à l’attelle tapa trois coups en rythme sur la table, et tous crièrent un mot. Bière, Brute, Termite et Lopette s’entrechoquèrent avant que la victoire ne soit attribuée au barde.
« Ce que je veux dire, c’est que la ville aurait pu m’aider à reprendre mes voiles.
- Nous l’avons fait. Nous avons envoyé des hommes avec les tiens, une nuit.
- Sans conviction ! »

Ponc Ponc Ponc ! Trois coups plus tard, Jean-Bob redisait Lopette en fixant ses camarades, perdant une nouvelle fois.
« Jean-Bob, on y est allé, ils avaient établi un cordon de sécurité avec des sentinelles…
- Et alors ! Avec l’aide de la ville on…
- On serait mort. Les pirates se sont alliés aux révolutionnaires. Ils étaient armés, et mieux que nous.
- Comme j’disais, avec l’aide de toute la ville, j’suis sûr qu’on les au… »

Ponc Ponc Ponc !
« Lopettes ! S’écria Jean-Bob.
- Encore perdu, commenta celui qui avait été orateur et arbitre, il y a trois jours.
- Tu dis encore une fois Lopette, j’t’éclate la face dans la table, pigé ? Grogna le quatrième homme, qui avait à peine dit un mot si ce n’était pour insulter le barde.
- Pff…
- Oui, ils sont partis, maintenant. Ils sont restés trois jours et sont repartis, et avec un peu d’bol, on les reverra pas de sitôt, affaire close. »

Ponc Ponc Ponc !

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