Des officiers, des civils et des intéressés se massent dans la grande salle de tribunal du QG de Manshon. Des rangées de banquettes de bois ciré font face au bureau du juge, vide. Tout près du juge et des sièges réservés à ses deux conseillers, Kaloupalekis, nommé greffier pour la séance, prend déjà quelques notes, la mine éteinte. À une table faisant face au bureau du juge, tout près de la barre, Edwin classe quelques documents, son chapeau posé, une cigarette en bouche, ignorant magistralement le brouhaha de la salle.
Par les fenêtres, des torrents se déversent toujours sur Manshon. Comme si la simple présence du Sergent d'Élite sur l'île suffisait à en rendre l'atmosphère morne et grise. Derrière lui, l'estrade des membres du jury se remplie, groupe de citoyens ignorants de la vraie Justice. Péons trop facilement influençables, aveugles jetés dans l'arène avec pour seule arme leur pitié.
Aujourd'hui est un grand jour. Le jour où, une semaine après avoir capturé et interrogé Tark Kamina, Edwin achève enfin d'appliquer la Justice sur les pauvres âmes des frères Kamina. Il a broyé Craig, il a vaincu Tark, il a fait abandonner Craig, il a détruit la seule chance de Tark. L'un au cachot, l'autre en garde à vue suite à sa menace à main armée face à Edwin, les deux frères n'ont pu entrer en contact.
Si Edwin n'a pas encore pris connaissance de la sanction réservée à Craig, il s'est empressé d'être présent au procès de Tark pour s'assurer de plaider au détriment de celui-ci. Il ne plaisantait pas, lorsqu'il a informé les deux frères. Il veut voir Tark croupir dans la forêt d'épines d'Impel Down. Il repose sa plume dans son encrier, terminant de sécher un message qu'il relit attentivement et avec satisfaction.
Elsa,
ma tendre,
Aujourd'hui, c'est le grand jour. Tu vas être contente, Tark Kamina fera enfin face à la Justice. Je suis si fier de l'avoir capturé.
Pour toi.
Sois fière de moi aussi, ma douce. La salle de tribunal a une architecture très singulière, tu l'adorerais.
Toujours tiens,
Edwin.
Il se lève, laissant près de ses dossiers la lettre. Comme de fait, l'assemblée se lève à son tour, laissant entrer le juge. Un homme de l'âge d'Edwin, l'air sec, hautain, quelque peu aigri. Dans sa toge noire, un paquet de paperasse sous le bras, il s'avance accompagné de ses conseillers et des juges auxiliaires, serrant des mains d'officiers et d'officiels à droite et à gauche. Ils sont nombreux à s'être déplacé pour assister au procès du tueur de CP. Non seulement ça, mais aussi pour assister au jugement du célèbre juge gouvernemental Howard Turner, responsable de la Haute Cour de North Blue. Spécialiste des cas de lutte contre la corruption et le crime organisé, homme impartial et calculateur, Turner est dans le monde juridique depuis de longues années déjà. Et il connait Edwin. Et Edwin le connait. Howard Turner se trouvant à être celui ayant condamné Morneplume à quinze années de prison, à l'époque.
Votre honneur.
Voix parcheminée, de vieil homme ayant vieilli dans le confort et l'aise.
Ah, Morneplume, je ne suis pas surpris de vous trouver ici.
J'ose espérer que cette séance se passera de façon admirable, Votre honneur.
Oh, Morneplume, avec le temps, épargnez-moi ces politesses.
Je ne voudrais pas que notre discussion passe pour une tentative de partialité.
Oh, entre vous et moi, vous savez très bien qu'il en faut bien plus que ça pour m'influencer.
Il offre à Edwin un sourire en coin, puis échange une brève poignée de main avec ce dernier avant de s'engager vers sa place attitrée. Edwin, lui, s'empresse de regagner sa table alors que des gardes s'avancent dans l'allée centrale, surveillant de près le sujet de toute cette cérémonie.
Tark Kamina. Une semaine de bagnard plus tard.
Point de répit pour les braves.
Au milieu de ces grandes têtes de vioques ridées par la paperasse et tannées par la poussière des grands lieux, et des gens lambdas dont la normalité et l'insouciance me filent le vertige au milieu de mes tourments, moi, fixé sur un banc, les yeux trop lourds pour affronter le nouveau visage de Tark.
Du bagne, il a récolté une constellation d'hématomes qui lui noircissent les écailles à un point qu'il semble comme brûlé au chalumeau à divers endroits. Comme un avant-goût de l'Enfer dans lequel Turner va le jeter. J'assiste au procès. C'est mon droit. Je ne peux pas interférer. C'est mon devoir. Que je ne compte certainement pas tenir tandis qu'on assigne frangin à une ribambelle d'horreurs qu'il n'a pas commis.
En tout cas, j'peux pas croire qu'il les a commis.
Ce costard m'habille d'un gris qui me colle à la peau. On m'a pris mon uniforme, on m'a jugé trop instable pour le porter. Ouais, quand on humilie ma famille puis qu'on tente de la détruire, j'ai une tendance à l'instabilité. Bande de blaireaux, perchés au sommet de leurs protocoles, bien au-dessus de la fange et de la douleur ! Cerné de deux gars de Manshon dont j'connais à peine les grades, autant dire que j'suis calé dans un étau. Ils sont désolés pour moi, ils ont pas manqués de me le répéter des dizaines de fois. Mais s'ils ne sont pas désolés au point de m'aider à délivrer Tark, je me fiche d'attiser leur pitié.
J'ai peur pour nous. Un procès qui m'enfonce dans le rôle impuissant d'un spectateur n'est qu'un supplice de plus, à souffrir les lèvres soudées.
Poser les mirettes sur Mornepute est aussi agréable que de contempler un vautour repu s'étirant dans les viscères de sa proie. J'existe plus, pour lui, mais lui a défoncé les portes de mon esprit pour tenter de s'y imposer en maître. Et il est omniprésent dans ma tête, un portrait accroché aux parois de mon crâne, au regard glacial et aux actes putrides.
Il kiffe voir Tark s'installer lentement au banc des accusés, entre deux médors bien dressés qui n'ont d'autres âmes que celle du gouvernement mondial. Il y boit son ambroisie, à la source du malheur des autres. J'ai cerné cet enculé. C'est un sadique. C'est nos existences qu'il voulait broyer, pas nos fautes, pas nos erreurs : c'est à ma FAMILLE qu'il en voulait, pas à ses actes ! Et cette gonzesse aveugle qui représente la Justice ferait bien de ranger son glaive avant que j'me décide à frapper le premier.
Silence dans la salle.
Trois petits coups de marteau pour enfoncer le clou. Et le silence prend ses aises immédiatement. A en devenir d'un religieux effronté, compte tenu des destins tragiques qu'on scelle tous les jours dans cette salle dans la plus plate indifférence.
Bien. Monsieur Kamina. Vous aviez démissionné de la marine courant 1623 pour apporter votre aide à divers groupes révolutionnaires dissidents jusqu'à aujourd'hui. Vous confirmez ?
Oui.
Voix aussi sèche que l'évidence qui m'écharpe le coeur. J'canalise pas mon choc :
Pourquoi il a pas d'avocat ?!
L'angoisse plane au-dessus de moi, la surprise pleut dans la salle. L'indignation de quelques unes de ces statues de pierre se fait palpable, mais j'force mon corps à rester droit et rigide, fixé par l'amidon de la dignité. Simulée.
Tark aussi m'adresse un regard. J'm'aventure pas à tenter de décrypter la mélasse sentimentale qui flotte dedans. J'sais plus où j'en suis. J'sais plus comment l'comprendre, encore moins tandis que sa cervelle s'est faite comprimée par une semaine de bagne.
Monsieur Kamina a décidé de prendre sa défense seul, lieutenant. Nous respectons son choix.
Il dit ça d'un ton solennel qui se pare d'une voix apaisante pour mieux laisser passer la pilule.
Afin que l'audience se déroule dans les meilleures conditions, je prierai les membres du public de ne plus interférer. N'oubliez pas que vous pouvez demander à quitter la pièce à tout moment, lieutenant.
Comme une invitation à la couardise, qu'il me gigote devant le nez comme un hameçon. Le reste des badauds, suintants de curiosité malsaine, s'interroge visiblement une poignée de secondes avant de faire le lien entre l'homme-requin sur le banc des accusés et celui anxieux, mollement assis parmi eux. Ces deux-là sont amis, voire frères. Oui, passé la couleur de peau, ils ont les mêmes yeux et les mêmes oreilles. La voix vibrant des mêmes tremblements. Ça y est, vous visualisez bien le tableau tragique ?
J'aurais aimé qu'on bâcle ça à huis clos, sans charognards pour s'empiffrer de la vie pourrissante des autres.
Mais Plume était le mieux placé pour organiser sa fiesta...
Passons au récit des griefs retenus contre monsieur Kamina.
Du bagne, il a récolté une constellation d'hématomes qui lui noircissent les écailles à un point qu'il semble comme brûlé au chalumeau à divers endroits. Comme un avant-goût de l'Enfer dans lequel Turner va le jeter. J'assiste au procès. C'est mon droit. Je ne peux pas interférer. C'est mon devoir. Que je ne compte certainement pas tenir tandis qu'on assigne frangin à une ribambelle d'horreurs qu'il n'a pas commis.
En tout cas, j'peux pas croire qu'il les a commis.
Ce costard m'habille d'un gris qui me colle à la peau. On m'a pris mon uniforme, on m'a jugé trop instable pour le porter. Ouais, quand on humilie ma famille puis qu'on tente de la détruire, j'ai une tendance à l'instabilité. Bande de blaireaux, perchés au sommet de leurs protocoles, bien au-dessus de la fange et de la douleur ! Cerné de deux gars de Manshon dont j'connais à peine les grades, autant dire que j'suis calé dans un étau. Ils sont désolés pour moi, ils ont pas manqués de me le répéter des dizaines de fois. Mais s'ils ne sont pas désolés au point de m'aider à délivrer Tark, je me fiche d'attiser leur pitié.
J'ai peur pour nous. Un procès qui m'enfonce dans le rôle impuissant d'un spectateur n'est qu'un supplice de plus, à souffrir les lèvres soudées.
Poser les mirettes sur Mornepute est aussi agréable que de contempler un vautour repu s'étirant dans les viscères de sa proie. J'existe plus, pour lui, mais lui a défoncé les portes de mon esprit pour tenter de s'y imposer en maître. Et il est omniprésent dans ma tête, un portrait accroché aux parois de mon crâne, au regard glacial et aux actes putrides.
Il kiffe voir Tark s'installer lentement au banc des accusés, entre deux médors bien dressés qui n'ont d'autres âmes que celle du gouvernement mondial. Il y boit son ambroisie, à la source du malheur des autres. J'ai cerné cet enculé. C'est un sadique. C'est nos existences qu'il voulait broyer, pas nos fautes, pas nos erreurs : c'est à ma FAMILLE qu'il en voulait, pas à ses actes ! Et cette gonzesse aveugle qui représente la Justice ferait bien de ranger son glaive avant que j'me décide à frapper le premier.
Silence dans la salle.
Trois petits coups de marteau pour enfoncer le clou. Et le silence prend ses aises immédiatement. A en devenir d'un religieux effronté, compte tenu des destins tragiques qu'on scelle tous les jours dans cette salle dans la plus plate indifférence.
Bien. Monsieur Kamina. Vous aviez démissionné de la marine courant 1623 pour apporter votre aide à divers groupes révolutionnaires dissidents jusqu'à aujourd'hui. Vous confirmez ?
Oui.
Voix aussi sèche que l'évidence qui m'écharpe le coeur. J'canalise pas mon choc :
Pourquoi il a pas d'avocat ?!
L'angoisse plane au-dessus de moi, la surprise pleut dans la salle. L'indignation de quelques unes de ces statues de pierre se fait palpable, mais j'force mon corps à rester droit et rigide, fixé par l'amidon de la dignité. Simulée.
Tark aussi m'adresse un regard. J'm'aventure pas à tenter de décrypter la mélasse sentimentale qui flotte dedans. J'sais plus où j'en suis. J'sais plus comment l'comprendre, encore moins tandis que sa cervelle s'est faite comprimée par une semaine de bagne.
Monsieur Kamina a décidé de prendre sa défense seul, lieutenant. Nous respectons son choix.
Il dit ça d'un ton solennel qui se pare d'une voix apaisante pour mieux laisser passer la pilule.
Afin que l'audience se déroule dans les meilleures conditions, je prierai les membres du public de ne plus interférer. N'oubliez pas que vous pouvez demander à quitter la pièce à tout moment, lieutenant.
Comme une invitation à la couardise, qu'il me gigote devant le nez comme un hameçon. Le reste des badauds, suintants de curiosité malsaine, s'interroge visiblement une poignée de secondes avant de faire le lien entre l'homme-requin sur le banc des accusés et celui anxieux, mollement assis parmi eux. Ces deux-là sont amis, voire frères. Oui, passé la couleur de peau, ils ont les mêmes yeux et les mêmes oreilles. La voix vibrant des mêmes tremblements. Ça y est, vous visualisez bien le tableau tragique ?
J'aurais aimé qu'on bâcle ça à huis clos, sans charognards pour s'empiffrer de la vie pourrissante des autres.
Mais Plume était le mieux placé pour organiser sa fiesta...
Passons au récit des griefs retenus contre monsieur Kamina.
Si vous le permettez, Votre honneur.
Sergent Morneplume?
Il se trouve que j'ai fait quelques recherches sur le cursus de Tark Kamina, dans le cadre de l'enquête que j'ai mené sur lui.
Edwin s'est levé de sa chaise, laissant sa cigarette se consumer dans un cendrier. Dans ses mains, il brandit posément une pile de documents qu'il agite légèrement, comme pour appuyer ses propos. Son regard va du juge Turner jusqu'à Tark qui, piteusement, ne le regarde pas. Il l'évite, peut-être, ou n'ose tout simplement pas le confronter.
En vertu des règles concernant un procès militaire de grand public, il m'est légitime, en tant que procureur du Gouvernement, de souligner le parcours de l'accusé afin de justifier sa capture. Capture que j'ai d'ailleurs moi-même orchestré, devrais-je préciser.
S'il y a bien quelque chose d'à la fois effrayant et presque ecclésiastique dans l'attitude de Morneplume, c'est le point d'honneur qu'il semble se faire à suivre ses grosses prises jusque dans leur cercueil. De la capture jusqu'à la mort ou la prison, il s'assure du bon déroulement de tout le processus bureaucratique, mais aussi juridique concernant sa proie. Une méthode ne laissant aucun espoir à des damnés comme Tark. Morneplume ne lâchera pas l'homme-poisson tant qu'il n'aura pas eu confirmation que ce dernier croupit bel et bien dans les tréfonds d'Impel Down. Il en va du chemin du Sergent vers la rédemption. Le regard sombre de Howard Turner ne semble pas troublé par les iris acérés de Morneplume. L'homme en a vu de tous les genres, il a connu Edwin avant que celui-ci ne se prenne en main. Il sait quelle loque le Sergent était avant de purger quinze années de peine. Il enfile des lunettes en demi-lune, s'arme d'une plume qu'il humecte d'encre avant de jeter un œil à Kaloupalekis qui, le front en sueur, l'air déconfit, lui fait un signe affirmatif en s'attablant à sa machine-à-écrire.
Vous pouvez y aller, Morneplume. L'assemblée est toute ouïe.
Froissements de papiers. Toussotements égarés. Raclement de gorge.
Tout d'abord, Votre honneur, j'aimerais préciser que suite à la ratification de la close des "allégeances suite au Service Rendu envers la Marine", le fait de s'associer à des groupes dissidents ou terroristes consiste en un acte de trahison idéologique, ou, si vous préférez, de désertion. En terme simple, l'accusé se trouve à être un traître au Gouvernement.
Ses yeux se lève momentanément. Pas vers Tark. Non. Plutôt vers Craig. Il le fusille un moment de ses pupilles avant de se replonger dans ses documents. Tu vois, c'est un traître, aimerait-il lui faire valoir. Craig Kamina le comprendra par lui-même. Il y a de ça une semaine, il s'est mis à très bien assimiler ce qu'était la trahison…
La suite sera plus simple. Le dénommé Tark Kamina est aussi accusé de relations avec des groupes révolutionnaires notoires et divers, de relations avec la pègre locale -et par extension, de participation à la pérennité du cartel de la drogue- de meurtre d'un agent du Très honorable Cipher Pol et de menaces à main armée d'un représentant de la Marine d'Élite en fonction.
Au fur et à mesure qu'Edwin énumère, Kaloupalekis s'active et rédige rapidement, faisant claquer chaque touche qu'il martèle en s'essuyant le front par intervalle.
Est-ce tout, Sergent Morneplume?
J'en ai bien peur, Votre honneur.
Avez-vous quelque chose à ajouter, Monsieur Kamina, et si non, affirmez-vous que ces chefs d'accusation sont véridiques et justifiés?
C'était pas une désertion, mais une démission. Une reconversion professionnelle, si vous voulez. Pas une trahison.
Soit. Mais vous ne niez pas avoir soutenu plusieurs groupes radicaux qui s'opposent au Gouvernement de façon violente, voire dangereuse pour la population ?
Des groupes radicaux, oui, mais je me suis toujours rangé du côté de ceux qui ne compromettaient pas la sécurité des civils. Contrairement à l'honorable Cipher Pol, qui décima tout ce qui avait été témoin de son exaction.
Gardez en tête que nous ne menons pas le procès posthume de votre victime, mais bien le votre, monsieur Kamina.
Et concernant les maigres relations que j'entretiens avec la pègre de Manshon, elle s'arrête aux affaires immobilières. Ils me vendent une planque, je la loue, point. J'estime que la mollesse de la marine locale les entretient bien plus qu'une poignée de berries...
Il baisse les yeux, le casquetté binoclard, celui qui semblait heurté par le sort de Craig. Désolé, mec, rien de personnel. J'dois baver la vérité en espérant qu'le juge l'avale sans déglutir. Et tant pis si ça doit rayer la fierté des personnages secondaires restés sur le bas côté.
J'en ai trop chié pour larguer mes derniers espoirs pour une raison aussi maigrelette que celle-là...
Mais reconnaissez-vous faire affaire avec eux ?
... Oui.
Bien.
Dévier la conversation vers des sentiers qui leur sont plus familiers, ils savent faire. La maîtrise des mots est plus terrifiante que n'importe quel fruit du démon cueilli dans le nouveau monde. Héhé. J'en ai entendu, des paroles qui causaient plus de dommages qu'un buster call. J'en ai entendu, des pauvres mots qui faisaient rêver à des montagnes de trésors mais qui déclenchaient à contrario un déluge de sang. Pas vrai, Gold Roger ?
Je reste sur mes gardes au moindre verbe prononcé par ce vioque revêtu de la toge noire des bourreaux du gouvernement. On ne leur demande pas d'être honnête, mais de connaître la loi et les intérêts de la hiérarchie sur le bout des doigts et de les fusionner à leur morale. Si je me montre trop impétueux, je ne vais même pas remarquer la toile qu'ils auront tissé autour de moi, et j'vais m'y emmêler comme un moucheron qui volait à l'aveugle.
Le bagne. Ne m'a pas émoussé. Soulagement. Rien ne me sapera ma lucidité.
Un oeil fugace en direction de Craig me conforte dans mon intention de percer leurs pièges. T'es devant ton petit frère, Tark, t'as pas le droit de te dégonfler, pas le droit de perdre, pas le droit de flancher sous les tiraillements logés derrière tes souvenirs douloureux du bagne. T'es son modèle. Fous lui une claque, qu'il apprenne à ne pas s'abandonner, ni lui, ni ceux qu'il aime.
Vous reconnaissez également les accusations de menaces à main armée sur un représentant de la marine d'élite ?
Vous parlez du croque-mort ? Je le reconnais, complètement. Je n'aime pas attaquer la marine, c'est contre-productif. Mais lui, merde, vous ne pouvez pas tenter de critiquer mes méthodes sans vous pencher sur les siennes.
J'aimerais jouer au jeu du démago qui fait chialer des torrents dans les chaumières pour y surfer. Attiser la pitié alors qu'on est des poiscailles ? J'y crois. Quand il s'agit de famille, il faudrait s'appeler Morneplume pour ne pas sentir son p'tit coeur se serrer...
Vous ne pouvez pas défendre l'image d'un gouvernement juste et impartial avec ce taré dans vos rangs. C'est impossible. Il a abattu froidement le propriétaire d'une fumerie sans que le pauvre type n'ait le droit à son jugement dans les règles. Il a manipulé Crai-un lieutenant de la marine, son propre collègue, sans aucun scrupules, dans l'unique intention de le pousser à la faute. Il m'a frappé, m'a étranglé, devant mon petit frère ! En piétinant allègrement tous les droits que j'avais en tant que dissident en "garde à vue".
Laissez moi vous rappeler que...
Que c'est moi l'accusé, que c'est MON procès, je sais. Mais comment pouvais-je collaborer avec une telle pourriture, votre honneur ? Je demande simplement un procès équitable. Je veux que le sergent vienne nous exposer les "méthodes" dont il s'est servi pour m'interpeller, et surtout m'interroger. Et je veux qu'il admette ce qu'il a fait à ma famille. Je veux que tout le monde puisse se figurer ce qu'ils auraient fait à ma place. Je plaide les circonstances atténuantes.
Le vieillard questionne l'enfoiré du regard. J'ai conscience de demander la Lune. J'irai la décrocher moi-même si ça peut nous sauver tous les deux.
Soit. Mais vous ne niez pas avoir soutenu plusieurs groupes radicaux qui s'opposent au Gouvernement de façon violente, voire dangereuse pour la population ?
Des groupes radicaux, oui, mais je me suis toujours rangé du côté de ceux qui ne compromettaient pas la sécurité des civils. Contrairement à l'honorable Cipher Pol, qui décima tout ce qui avait été témoin de son exaction.
Gardez en tête que nous ne menons pas le procès posthume de votre victime, mais bien le votre, monsieur Kamina.
Et concernant les maigres relations que j'entretiens avec la pègre de Manshon, elle s'arrête aux affaires immobilières. Ils me vendent une planque, je la loue, point. J'estime que la mollesse de la marine locale les entretient bien plus qu'une poignée de berries...
Il baisse les yeux, le casquetté binoclard, celui qui semblait heurté par le sort de Craig. Désolé, mec, rien de personnel. J'dois baver la vérité en espérant qu'le juge l'avale sans déglutir. Et tant pis si ça doit rayer la fierté des personnages secondaires restés sur le bas côté.
J'en ai trop chié pour larguer mes derniers espoirs pour une raison aussi maigrelette que celle-là...
Mais reconnaissez-vous faire affaire avec eux ?
... Oui.
Bien.
Dévier la conversation vers des sentiers qui leur sont plus familiers, ils savent faire. La maîtrise des mots est plus terrifiante que n'importe quel fruit du démon cueilli dans le nouveau monde. Héhé. J'en ai entendu, des paroles qui causaient plus de dommages qu'un buster call. J'en ai entendu, des pauvres mots qui faisaient rêver à des montagnes de trésors mais qui déclenchaient à contrario un déluge de sang. Pas vrai, Gold Roger ?
Je reste sur mes gardes au moindre verbe prononcé par ce vioque revêtu de la toge noire des bourreaux du gouvernement. On ne leur demande pas d'être honnête, mais de connaître la loi et les intérêts de la hiérarchie sur le bout des doigts et de les fusionner à leur morale. Si je me montre trop impétueux, je ne vais même pas remarquer la toile qu'ils auront tissé autour de moi, et j'vais m'y emmêler comme un moucheron qui volait à l'aveugle.
Le bagne. Ne m'a pas émoussé. Soulagement. Rien ne me sapera ma lucidité.
Un oeil fugace en direction de Craig me conforte dans mon intention de percer leurs pièges. T'es devant ton petit frère, Tark, t'as pas le droit de te dégonfler, pas le droit de perdre, pas le droit de flancher sous les tiraillements logés derrière tes souvenirs douloureux du bagne. T'es son modèle. Fous lui une claque, qu'il apprenne à ne pas s'abandonner, ni lui, ni ceux qu'il aime.
Vous reconnaissez également les accusations de menaces à main armée sur un représentant de la marine d'élite ?
Vous parlez du croque-mort ? Je le reconnais, complètement. Je n'aime pas attaquer la marine, c'est contre-productif. Mais lui, merde, vous ne pouvez pas tenter de critiquer mes méthodes sans vous pencher sur les siennes.
J'aimerais jouer au jeu du démago qui fait chialer des torrents dans les chaumières pour y surfer. Attiser la pitié alors qu'on est des poiscailles ? J'y crois. Quand il s'agit de famille, il faudrait s'appeler Morneplume pour ne pas sentir son p'tit coeur se serrer...
Vous ne pouvez pas défendre l'image d'un gouvernement juste et impartial avec ce taré dans vos rangs. C'est impossible. Il a abattu froidement le propriétaire d'une fumerie sans que le pauvre type n'ait le droit à son jugement dans les règles. Il a manipulé Crai-un lieutenant de la marine, son propre collègue, sans aucun scrupules, dans l'unique intention de le pousser à la faute. Il m'a frappé, m'a étranglé, devant mon petit frère ! En piétinant allègrement tous les droits que j'avais en tant que dissident en "garde à vue".
Laissez moi vous rappeler que...
Que c'est moi l'accusé, que c'est MON procès, je sais. Mais comment pouvais-je collaborer avec une telle pourriture, votre honneur ? Je demande simplement un procès équitable. Je veux que le sergent vienne nous exposer les "méthodes" dont il s'est servi pour m'interpeller, et surtout m'interroger. Et je veux qu'il admette ce qu'il a fait à ma famille. Je veux que tout le monde puisse se figurer ce qu'ils auraient fait à ma place. Je plaide les circonstances atténuantes.
Le vieillard questionne l'enfoiré du regard. J'ai conscience de demander la Lune. J'irai la décrocher moi-même si ça peut nous sauver tous les deux.
La tête d'Howard Turner se tourne vers Edwin. Duel de mines impassibles, jusqu'à ce que celle de Turner présente une pointe d'amertume. Des chuchotements font écho dans la salle alors que les têtes vont et viennent de l'accusé jusqu'à Morneplume. Le juge, lui, note quelques mots sur une feuille qu'il fait passer à ses conseillers. Signes de tête, échanges silencieux, mines controversées, Turner abat gentiment son maillet pour garder sur lui l'attention. La foule se calme, les membres du jury noircissent quelques lignes alors que Morneplume, lui, attend froidement que le juge Turner prenne la parole. Toujours debout, la mâchoire serrée, il fusille Tark de son regard, regrettant de ne pas s'être débarrassé directement de cette tâche plutôt que de lui avoir réservé un procès.
Il a été décidé que, même si la demande de l'accusé détourne le débat, et ne justifie pas la majorité de ses exactions, un œil serait porté à ses arguments. Sergent Morneplume, seriez-vous à même de nous décrire les actions dont fait mention l'accusé, et qui plus est, de les affirmer ou de les infirmer ?
Silence chez Edwin qui pose un regard sur ses feuilles de note, avant de relever les yeux vers l'homme qui, tant d'années plus tôt, l'a lui-même condamné à une peine de quinze années. Les allégations vont sauver Tark. Déjà, Edwin distingue chez le jury une prise en pitié, faibles citoyens qu'ils sont. S'il pouvait être en colère, il briserait probablement la table à côté de laquelle il se tient. Mais il a mieux à faire, à commencer par livrer l'homme-poisson à la Justice.
Sergent Morneplume?
…Non. Je ne décrirai pas ces actions, Votre Honneur.
Chère Elsa,
La pêche a été bonne, mais même avec l'hameçon en plein dans la gueule, le poisson se débat toujours. Je dois garder la tête haute, garder l'esprit fort, afin qu'il te soit définitivement livré.
Il mérite sa peine. Ce poisson malicieux.
C'est votre choix, sergent.
Obtenir ce round me regonfle de satisfaction. J'en perds pas mon latin ni ma raison, et garde la mine imperturbable du bagnard usé par le fouet et la poussière, qui a depuis longtemps oublié comment fanfaronner. Le plus dur a été fait. Semer les graines du doute dans les cervelles du régiment de citoyens bien-pensants qui cogitent derrière moi, sans qu'le fossoyeur ne passe après les déterrer.
La cerise sur le gâteau, c'est cette gêne qui s'extirpe de chaque pore des écailles lorsqu'il me fixe, possédé d'une manifeste colère parfaitement canalisée. Canalisée, pas assez. Je baisse le museau face à ton regard de tueur, je n'suis qu'un pauvre clebs terrorisé par un bouledogue. Tu ne le calcules peut-être pas, mais l'assistance est touchée par ce malaise que tu suintes, et préférera mille fois s'identifier à une âme intimidée, fut-ce-t-elle à un homme-requin, qu'à un tortionnaire qui séquestre ses suspects comme il séquestre ses émotions.
Après un joli zugzwang, te voilà échec au roi, mon grand.
Toutes les chances que le public comprenne rapidement ce que tu es.
Merci de votre attention, citoyens. L'heure est venu pour vous d'aller délibérer.
Le jury décampe en étouffant son brouhaha. Ça m'arrange. Le silence, c'est un vent de fraîcheur pour mon esprit bouillant. On me choppe, d'une poigne moins impériale que ce matin. Si j'ai aussi touché les p'tits soldats, j'm'en voudrais. Faudrait pas qu'ils doutent trop, les pauvres, ils pourraient faire une bourde. Non ?
L'ombre du verdict plane sur moi, j'suis forcé de m'avouer que je n'peux plus que m'observer devenir peu à peu le nid idéal pour un stress fulgurant. J'ai fais ce que je pouvais pour piquer la pitié du jury et engager les juges sur la voie de la clémence. De la bonne clémence transpirante de démagogie, mais d'la clémence quand même. La seule façon de modeler mon sort était là : jouer sur la réputation du gouvernement, d'une manière ou d'une autre. Et maintenant ? L'attente.
Et j'ose pas chercher du réconfort dans le regard de Craig. Pour ne pas l'intimider, pour ne pas lui faire miroiter une victoire que je ne suis pas sûr d'être parvenu à arracher à ces pisse-copies à l'esprit aussi rigide que les lois qui en naissent. Lunatique comme je le connais, si cette année loin de moi ne l'a pas reformaté, il doit osciller dans ses doutes. Qui sait quelle réaction en chaîne mon regard pourrait initier en lui...
________
Tu les a manipulés comme un vieux polar. On dirait qu'tu as fait ça toute sa vie. Provoquer des émotions vivaces qui prennent le contrôle de la raison des gens. T'as carrément ta place dans la révo, aucun doute. Raf était tout autant doué à convertir sa vulnérabilité en force, et à en galvaniser ses collègues. Merde ! Chez moi, t'as jamais arrêté de faire vibrer mes cordes sensibles. Tu vas t'en sortir, c'plus qu'une formalité. Ta verve a conquis le jury et notre mélodrame doit maintenant tourner en boucle dans leur tête et guetter leur conscience. Ils décideront ce qui leur semble juste, et ils auront raison ! J'crève d'envie d'applaudir et c'est avec peine que j'plaque mes palmes au fond d'mes poches pour les empêcher de gaffer.
J'l'ai vu, Mornepute, plus enragé que jamais, paumer ses mots, être acculé par l'insolence de Frangin. Il n'y a pas de démon que tu ne puisses pas exorciser, pas vrai, frérot ? Les miens, les tiens, ceux de la société, ils y passeront tous.
Ils y passeront tous...
Kalous vient aux nouvelles. Conditionnés, mes deux partenaires bondissent de leurs bancs et l'saluent militairement.
Tu restes dans la salle ?
Ouais.
Prendre l'air pourrait te faire du bien.
Faire les cents pas dehors m'arrangera pas... J'préfère attendre d'être fixé.
Comme tu veux. C'est la pause pour vous aussi, les gars...
On ne doit pas le quitter...
Souffler un peu ne fera de mal à personne.
Ils n'insistent pas, ils tenaient à cette pause. Autant que moi. Et pendant qu'à côté se décide le sort de mon sang, j'deviens pieux et ferme les yeux. J'laisse le néant de la salle de procès devenue église s'installer en moi. Un instant. Un instant, la paix. Et me convaincre que Tark sortira d'ici non pas en vaincu, mais en guerrier toujours honorable.
Obtenir ce round me regonfle de satisfaction. J'en perds pas mon latin ni ma raison, et garde la mine imperturbable du bagnard usé par le fouet et la poussière, qui a depuis longtemps oublié comment fanfaronner. Le plus dur a été fait. Semer les graines du doute dans les cervelles du régiment de citoyens bien-pensants qui cogitent derrière moi, sans qu'le fossoyeur ne passe après les déterrer.
La cerise sur le gâteau, c'est cette gêne qui s'extirpe de chaque pore des écailles lorsqu'il me fixe, possédé d'une manifeste colère parfaitement canalisée. Canalisée, pas assez. Je baisse le museau face à ton regard de tueur, je n'suis qu'un pauvre clebs terrorisé par un bouledogue. Tu ne le calcules peut-être pas, mais l'assistance est touchée par ce malaise que tu suintes, et préférera mille fois s'identifier à une âme intimidée, fut-ce-t-elle à un homme-requin, qu'à un tortionnaire qui séquestre ses suspects comme il séquestre ses émotions.
Après un joli zugzwang, te voilà échec au roi, mon grand.
Toutes les chances que le public comprenne rapidement ce que tu es.
Merci de votre attention, citoyens. L'heure est venu pour vous d'aller délibérer.
Le jury décampe en étouffant son brouhaha. Ça m'arrange. Le silence, c'est un vent de fraîcheur pour mon esprit bouillant. On me choppe, d'une poigne moins impériale que ce matin. Si j'ai aussi touché les p'tits soldats, j'm'en voudrais. Faudrait pas qu'ils doutent trop, les pauvres, ils pourraient faire une bourde. Non ?
L'ombre du verdict plane sur moi, j'suis forcé de m'avouer que je n'peux plus que m'observer devenir peu à peu le nid idéal pour un stress fulgurant. J'ai fais ce que je pouvais pour piquer la pitié du jury et engager les juges sur la voie de la clémence. De la bonne clémence transpirante de démagogie, mais d'la clémence quand même. La seule façon de modeler mon sort était là : jouer sur la réputation du gouvernement, d'une manière ou d'une autre. Et maintenant ? L'attente.
Et j'ose pas chercher du réconfort dans le regard de Craig. Pour ne pas l'intimider, pour ne pas lui faire miroiter une victoire que je ne suis pas sûr d'être parvenu à arracher à ces pisse-copies à l'esprit aussi rigide que les lois qui en naissent. Lunatique comme je le connais, si cette année loin de moi ne l'a pas reformaté, il doit osciller dans ses doutes. Qui sait quelle réaction en chaîne mon regard pourrait initier en lui...
________
Tu les a manipulés comme un vieux polar. On dirait qu'tu as fait ça toute sa vie. Provoquer des émotions vivaces qui prennent le contrôle de la raison des gens. T'as carrément ta place dans la révo, aucun doute. Raf était tout autant doué à convertir sa vulnérabilité en force, et à en galvaniser ses collègues. Merde ! Chez moi, t'as jamais arrêté de faire vibrer mes cordes sensibles. Tu vas t'en sortir, c'plus qu'une formalité. Ta verve a conquis le jury et notre mélodrame doit maintenant tourner en boucle dans leur tête et guetter leur conscience. Ils décideront ce qui leur semble juste, et ils auront raison ! J'crève d'envie d'applaudir et c'est avec peine que j'plaque mes palmes au fond d'mes poches pour les empêcher de gaffer.
J'l'ai vu, Mornepute, plus enragé que jamais, paumer ses mots, être acculé par l'insolence de Frangin. Il n'y a pas de démon que tu ne puisses pas exorciser, pas vrai, frérot ? Les miens, les tiens, ceux de la société, ils y passeront tous.
Ils y passeront tous...
Kalous vient aux nouvelles. Conditionnés, mes deux partenaires bondissent de leurs bancs et l'saluent militairement.
Tu restes dans la salle ?
Ouais.
Prendre l'air pourrait te faire du bien.
Faire les cents pas dehors m'arrangera pas... J'préfère attendre d'être fixé.
Comme tu veux. C'est la pause pour vous aussi, les gars...
On ne doit pas le quitter...
Souffler un peu ne fera de mal à personne.
Ils n'insistent pas, ils tenaient à cette pause. Autant que moi. Et pendant qu'à côté se décide le sort de mon sang, j'deviens pieux et ferme les yeux. J'laisse le néant de la salle de procès devenue église s'installer en moi. Un instant. Un instant, la paix. Et me convaincre que Tark sortira d'ici non pas en vaincu, mais en guerrier toujours honorable.
Vous et votre frère vous en tirez bien, Kamina.
Il est à l'autre bout de la banquette, Morneplume. Il joue pensivement avec une cigarette, l'air indéchiffrable, comme à son habitude. Il n'a pas répondu parce qu'il n'est pas idiot. Parce qu'il sait que, peu importe, Tark sera jeté en prison. Les circonstances atténuantes, néanmoins, l'aideront probablement. Edwin n'en a que faire, finalement. Son principal besoin est de savoir l'homme-poisson livré à la Justice. Le reste lui apparaît moins important. Toutefois, se savoir ainsi joué par le système et par les Kamina le talonne. Oui, tout ça le dérange. Que quelques témoins remettent ses méthodes en question, que le jury prenne en faveur de l'accusé, tout ça ne l'affecte pas.
Car ils sont tous ignorants.
Des ignorants qui ne peuvent comprendre les vrais motifs d'un Justicier. Les raisons qui poussent un simple homme à se livrer corps et âme à un concept aussi abstrait et différemment interprété par tous. Il est le seul sur cette mer à avoir réellement compris. Et rien n'est acquis à l'homme, si bien qu'il s'échinera tout le reste de son existence, s'il le faut, pour appliquer cette Justice envers laquelle il s'est engagé. Elle est son amante, elle est sa route vers le pardon, elle est son dernier amour. Il ne peut pas y renoncer, peu importe que ses désirs de sanction envers Tark ne soient pas réalisés, qu'importe que Craig soit trop faible et laxiste pour renier son traître de frère.
Vous avez vraiment une horrible famille, quand on y pense, Kamina. Un traître et un déserteur comme frère, un paternel infréquentable… La femme qui vous a mis au monde doit être désespérée, car croyez-moi, je me doute bien que ces galons n'auront pas longtemps leur place sur vos épaules.
Vous n'êtes pas un marine dans l'âme, Craig. Vous êtes un de ces milliers de gamins qui pensent réaliser leur rêve de héros en joignant l'organisation. Et comme de fait, vous n'êtes qu'un de ces milliers qui se paralysent à l'idée d'accomplir le véritable devoir qu'est la Justice.
Vous n'avez rien d'un Justicier, Craig. Vous êtes un idéaliste déçu qui ne sait simplement plus à quel saint se vouer La différence entre votre frère et vous, c'est simplement que lui a eu le courage de le réaliser et d'agir.
Il est cru dans ses paroles, Morneplume. Toutefois, c'est avec un fond de déception qu'il se prononce. Déçu de la tournure des choses. Déçu de ce Craig qui n'est qu'un pion de plus entre les mains de la Révolution. Il le tuerait maintenant si ce n'était que pour éviter d'avoir à le faire plus tard. Elsa serait fière de lui. Mais il ne peut que se contenter de jouer avec cette cigarette qu'il ne se décide pas à allumer.
Décidément, il a une pointe de frustration qui le démange, le Morneplume.
Dernière édition par Edwin Morneplume le Dim 11 Jan 2015 - 23:30, édité 2 fois
Je bois ses vérités sans broncher, conscient qu'elles n'arrivent pas sans un fond d'amertume et de violence déguisée en moralisation. Les sermons du sociopathe m'effleurent sans me pénétrer. Il aurait peut-être envie de me tuer pour ne pas avoir à le faire plus tard, il doit se voir volontiers comme un dératiseur qui s'attaque à la vermine avant qu'elle ne prolifère. Il tient manifestement ses pulsions en laisse pour les relâcher au nom de la Justice.
J'en sais bien peu sur la Justice. Je la recherche comme jamais, ces temps-ci, comme une vieille certitude perdue. Tout ce que je sais d'elle, c'est qu'elle ne compte pas l'espèce de Mornepute dans ses disciples, que jamais elle ne s'abaissera à ça.
Et vous, vous êtes un bourreau, pas un justicier.
Vous trouvez mes idéaux bancals, j'trouve les vôtres déviants. Vous faites juste partie de ce cercle vicieux qui répond au mal par le mal. Et la paix que vous créez est transitoire. Tandis que la douleur qui en naît est permanente.
D'une traite, ma langue se délie et s'improvise porte-parole de mes émotions timides. Sur un ton s'approchant de celui d'une confession, c'est comme si je désirais éprouver la résistance de mes dernières convictions, propulsées à toute berzingue contre un mur inébranlable.
Je ne sais pas si je suis marine dans l'âme, mais j'sais que vous, vous n'avez plus d'âme. Sinon, vous vous rendriez compte que la marine ne devrait pas être ce bulldozer invincible dans lequel vous vous sentez si juste et si puissant, mais une machine humaine qui devrait se faire douce et précise, capable de différencier le malheur du crime.
Marine et révolution courent après les mêmes chimères. La paix, le bonheur des innocents et l'égalité des chances, la justice, toutes ces conneries qui rassemblent des illuminés sous les mêmes étendards. Sauf qu'au final, on a qu'un putain de gouvernement sénile et rouillé qui aboie sur une révolution rustre et radicale.
Tous les deux savent pas voir au-delà du bout de leur museau, se refusent à admettre que c'est ensemble qu'ils pourraient apaiser un monde aussi tourmenté que celui-là. Et ça vaut pour vous. Vous avez des putains d'œillères !
L'été dernier, j'ai interviewé un assassin révolutionnaire. J'ai bûché de nombreuses fois en triturant cet étrange souvenir, j'ai du me coller de nombreuses claques pour me persuader que semer la mort n'était pas la seule route vers mes utopies, qu'il existait des sentiers plus sinueux mais plus vertueux qui ne seraient pas jonchées de cadavres anonymes.
Z'êtes qu'un vieux tortionnaire aigri refroidi par l'âge, les désillusions, les traumatismes, qu'est-ce que j'en sais ? Un veule bureaucrate qui pense que les gens se classent aussi aisément et rapidement qu'une pile de dossiers poussiéreux. Z'êtes pas plus spécial que moi, mais vous êtes bien plus désespéré, j'en suis certain. Vous voulez que j'vous dise ? Au fond, vous m'faites de la peine. On dirait que vous avez si longtemps demeuré dans votre passé qu'il a fini par vous ronger. Qu'un jour, votre monde est devenu si noir que vous ne vous souvenez même plus du gris, et encore moins du blanc.
Facile de s'engouffrer dans les failles des autres, à la réflexion, quand on a l'habitude d'enfoncer ses gros doigts crasseux dans nos propres plaies pour trifouiller le passé qui s'infecte à l'intérieur. J'suis pas psy, mais pas con. On ne naît pas persuadé que la mort est le seul remède à tous les maux.
J'aurai toujours foi en la marine tant qu'elle ne sera pas qu'un concentré de niveleurs de votre genre persuadés qu'les reliefs sont des obstacles sur lesquels la paix trébuchera, alors qu'ils doivent au contraire servir de tremplin.
Et c'est précisément parce que j'ai un paternel infréquentable que j'ai pu me rendre compte que les enfants ne sont pas voués à répéter les bourdes de leurs parents.
Et que je me suis trouvé le courage de ne pas connement pasticher les idéaux de Tark. De ne pas le suivre de l'autre côté du drapeau, de me frayer ma propre voie et m'extirper de son ombre une bonne fois pour toutes. Et ce faucheur rempli de frustration n'élaguera pas le champ de nouveaux espoirs que j'ai cultivé tout l'été. Si j'avais l'esprit assez mystique pour m'imaginer une grande trame de fond me concernant, je serais convaincu que rencontrer Mornepute et l'observer enfermer Frangin n'était que le test final d'une longue initiation.
Que c'était prévu. Que c'était pour me tester. Que mes convictions sont mises à l'épreuve.
Y a pas qu'un seul chemin qui mène à la "Justice", comme vous dites. Tark l'a compris.
Pendant qu'ma langue s'emballait, le tribunal dans lequel je planais n'existait plus. Je retourne sur terre, sur mon banc, j'me rassois. J'confronte les mirettes vindicatives de Plume. J'y déniche cette peur qu'il m'inspirait, et je m'acharne à la vaincre. C'est tout ce que je dois à Tark. Me battre. Ignorer ce qu'on dit de moi, et me battre.
J'en sais bien peu sur la Justice. Je la recherche comme jamais, ces temps-ci, comme une vieille certitude perdue. Tout ce que je sais d'elle, c'est qu'elle ne compte pas l'espèce de Mornepute dans ses disciples, que jamais elle ne s'abaissera à ça.
Et vous, vous êtes un bourreau, pas un justicier.
Vous trouvez mes idéaux bancals, j'trouve les vôtres déviants. Vous faites juste partie de ce cercle vicieux qui répond au mal par le mal. Et la paix que vous créez est transitoire. Tandis que la douleur qui en naît est permanente.
D'une traite, ma langue se délie et s'improvise porte-parole de mes émotions timides. Sur un ton s'approchant de celui d'une confession, c'est comme si je désirais éprouver la résistance de mes dernières convictions, propulsées à toute berzingue contre un mur inébranlable.
Je ne sais pas si je suis marine dans l'âme, mais j'sais que vous, vous n'avez plus d'âme. Sinon, vous vous rendriez compte que la marine ne devrait pas être ce bulldozer invincible dans lequel vous vous sentez si juste et si puissant, mais une machine humaine qui devrait se faire douce et précise, capable de différencier le malheur du crime.
Marine et révolution courent après les mêmes chimères. La paix, le bonheur des innocents et l'égalité des chances, la justice, toutes ces conneries qui rassemblent des illuminés sous les mêmes étendards. Sauf qu'au final, on a qu'un putain de gouvernement sénile et rouillé qui aboie sur une révolution rustre et radicale.
Tous les deux savent pas voir au-delà du bout de leur museau, se refusent à admettre que c'est ensemble qu'ils pourraient apaiser un monde aussi tourmenté que celui-là. Et ça vaut pour vous. Vous avez des putains d'œillères !
L'été dernier, j'ai interviewé un assassin révolutionnaire. J'ai bûché de nombreuses fois en triturant cet étrange souvenir, j'ai du me coller de nombreuses claques pour me persuader que semer la mort n'était pas la seule route vers mes utopies, qu'il existait des sentiers plus sinueux mais plus vertueux qui ne seraient pas jonchées de cadavres anonymes.
Z'êtes qu'un vieux tortionnaire aigri refroidi par l'âge, les désillusions, les traumatismes, qu'est-ce que j'en sais ? Un veule bureaucrate qui pense que les gens se classent aussi aisément et rapidement qu'une pile de dossiers poussiéreux. Z'êtes pas plus spécial que moi, mais vous êtes bien plus désespéré, j'en suis certain. Vous voulez que j'vous dise ? Au fond, vous m'faites de la peine. On dirait que vous avez si longtemps demeuré dans votre passé qu'il a fini par vous ronger. Qu'un jour, votre monde est devenu si noir que vous ne vous souvenez même plus du gris, et encore moins du blanc.
Facile de s'engouffrer dans les failles des autres, à la réflexion, quand on a l'habitude d'enfoncer ses gros doigts crasseux dans nos propres plaies pour trifouiller le passé qui s'infecte à l'intérieur. J'suis pas psy, mais pas con. On ne naît pas persuadé que la mort est le seul remède à tous les maux.
J'aurai toujours foi en la marine tant qu'elle ne sera pas qu'un concentré de niveleurs de votre genre persuadés qu'les reliefs sont des obstacles sur lesquels la paix trébuchera, alors qu'ils doivent au contraire servir de tremplin.
Et c'est précisément parce que j'ai un paternel infréquentable que j'ai pu me rendre compte que les enfants ne sont pas voués à répéter les bourdes de leurs parents.
Et que je me suis trouvé le courage de ne pas connement pasticher les idéaux de Tark. De ne pas le suivre de l'autre côté du drapeau, de me frayer ma propre voie et m'extirper de son ombre une bonne fois pour toutes. Et ce faucheur rempli de frustration n'élaguera pas le champ de nouveaux espoirs que j'ai cultivé tout l'été. Si j'avais l'esprit assez mystique pour m'imaginer une grande trame de fond me concernant, je serais convaincu que rencontrer Mornepute et l'observer enfermer Frangin n'était que le test final d'une longue initiation.
Que c'était prévu. Que c'était pour me tester. Que mes convictions sont mises à l'épreuve.
Y a pas qu'un seul chemin qui mène à la "Justice", comme vous dites. Tark l'a compris.
Pendant qu'ma langue s'emballait, le tribunal dans lequel je planais n'existait plus. Je retourne sur terre, sur mon banc, j'me rassois. J'confronte les mirettes vindicatives de Plume. J'y déniche cette peur qu'il m'inspirait, et je m'acharne à la vaincre. C'est tout ce que je dois à Tark. Me battre. Ignorer ce qu'on dit de moi, et me battre.
Tss…
Il l'a cassé, sa cigarette.
Ses yeux froids se posent sur sa paume ouverte où gisent des restants de tabac broyé et le papier chiffonné de sa tige. Sa lèvre tilt momentanément, de quoi couvrir son visage d'un profond dégout. Il est plus qu'agacé, Morneplume, il n'en peut plus de ces jeunes idéalistes à qui cette situation sourit beaucoup trop. Il se lève, laisse tomber le tabac au sol et s'époussette sur son veston avant de rajuster son chapeau. Il quitte la rangée de bancs, puis s'arrête, faisant dos à Kamina. Il ne peut se résoudre à prêter vérité aux paroles du lieutenant, mais à quelque part, il comprend pertinemment Craig. Il ne peut se l'avouer, ne veut se l'avouer, mais à sa manière, il sait qu'il y a longtemps, très longtemps, il a réfléchit de la même façon que l'homme-poisson, lui aussi avec des rêves, une façon de voir le monde et des gens, des choses, des amours, auxquels il tenait plus que tout. Toutefois, c'était il y a longtemps. À une époque où lui aussi était profane à la Justice. Il sait qu'autrefois il n'a pas été mieux que Tark, qu'il a lui aussi été forgé du même fer.
Et savoir que les rêves de ces gamins perdurent toujours le met hors de lui.
Il ferme les yeux, un instant, puis inspire et s'adresse pour une dernière fois à Craig, son ton comme le torrent qui s'écrase sur les rochers.
Tark a raison, sur le fait que plusieurs chemins mènent à la Justice. Mais sachez qu'il n'y a de bourreau que s'il y a des injustes, et qu'il y aura toujours autant de Justices qu'il y aura d'hommes sur cette terre. La seule nuance est que seul une poignée accéderont à la véritable rédemption, les autres ne seront que des souvenirs sur la Grande Toile de l'Histoire. De Tark ou de moi l'on ne saura peut-être jamais qui aura raison. Seulement, lui croupira des années au bagne alors que moi je serai libre, sur les mers, accomplissant mon juste devoir. Entre Tark et moi et il y a un monde, et plus d'idées et de rêves qu'on n'en trouvait à l'époque du Roi des Pirates, entre Tark et moi, des milliers de Justice s'affrontent, toutes aussi valables les unes que les autres.
La vraie question Craig Kamina, c'est si vous faites partie de cette multitude, ou si vous n'êtes qu'un faible, un triste désabusé, qui ne se range que derrière les idéaux des véritables rêveurs.
Ses bottes claquent contre le plancher laqué du tribunal alors qu'il pousse violemment les deux énormes portes de la salle. Elles se referment dans un grondement, laissant seul Kamina. Edwin s'engouffre dans les couloirs du QG, marchant en grandes enjambées.
Décidément, il a besoin d'une cigarette.***
Il est appuyé contre un mur, le regard perdu à travers les carreaux d'une fenêtre, bien perché dans un bureau au sommet du QG. Dans la cour intérieure de l'enceinte, il voit les silhouettes des soldats qui tiennent Tark rigoureusement enchaîné de la tête aux pieds. Quelques hommes encadrent le convoi, les mousquets braqués sur le frère de Craig. La tête basse, Tark ne semble souffler mot, péniblement tiré par les hommes qui vont l'escorter jusqu'au port de la ville, là où il sera expatrié vers le QG de North Blue. Sur Manshon, il pleut toujours. Les gouttes s'écrasent contre les carreaux et brouillent la scène au yeux froids du Sergent d'Élite.
Dans son dos, une pipe au bord des lèvres, le juge Howard Turner remplit d'un air distrait quelques documents.
Dix années de prison et de travaux forcés, ce n'est pas rien, tout de même.
Il aurait pu être interné pour l'éternité, et à Impel Down, qui plus est. Il aurait été facile de le traduire à Enies Lobby dans la semaine à suivre, aux vues de ses crimes.
Il garde le regard rivé vers la cour d'enceinte, Morneplume, là où les larges portes du QG s'ouvrent, à la manière de celles d'un château fort, pour laisser procéder la lente escorte de Tark Kamina. Howard Turner relève la tête, toujours vêtu de sa toge, et souffle une bouffée de sa pipe en jetant un regard peut-être trop sage vers Edwin.
Vous avez joué de malchance, Morneplume. Un procès avec jury, avec la famille de l'accusé dans la salle. Il inspirait bien plus pitié que vous voyons… Et puis, vous avez été victime de vous-même.
Ce sont tous des ignorants, ils ne peuvent comprendre le fondement de mes actions.
Il plisse les yeux, distinguant une silhouette à l'ombre du QG, seule sous la pluie dans la cour boueuse. Craig. Qui regarde, impuissant, son frère lui être à nouveau enlevé. Coïncidence, il lève la tête et son regard accroche celui de Morneplume.
Et un simple instant, une fraction de secondes,
c'est Edwin qui détourne les yeux.
Eh bien, toute une affaire que celle des frères Kamina, n'est-ce pas ? Ah, d'ailleurs, vous avez les compliments du Commandant Toffel qui vous a fait parvenir la médaille Alakys, comptez-vous chanceux, vous brillez tout de même aux yeux des plus grands.
Ce n'est pas pour ça que j'ai signé, Howard Turner, et vous le savez plus que n'importe qui.
C'est une Justice incomplète qu'il a appliqué en ce jour, et se savoir déjoué ainsi par les deux pupilles bleutées de Craig Kamina, mais aussi par la tournure des choses, le met sans dessus-dessous.
Vous aurez encore votre chance, Morneplume. Vous l'avez toujours eu.
Vous restez à Manshon ?
Peut-être.
En tout cas, il ne pleut plus.
Les murmures moqueurs de tes chaînes s'éloignent. J'n'ai partagé avec toi qu'un dernier regard. Classique : avec la connaissance de l'Autre, les mots deviennent superflus. Le gouvernement te volera dix ans de ta vie. Le bagne pissera sur ton ardente volonté pour l'éteindre. Peine perdue. C'sont des flammes gigantesques qui t'animent. Ce même feu que tu m'as transmis, cet incendie qui alimente ma fournaise intérieure.
J'ai des frissons errants à travers tout mon corps. Le froid, la flotte, les démangeaisons qu'apportent ces étranges émotions, une tristesse bariolée de souvenirs, me métamorphosent en une statue d'un marbre digne qu'aucuns de mes collègues n'a osé effleurer. Les gouttes se font timides, le climat s'allège. L'orage s'apaise.
J'suis une ombre et tu as toujours été le soleil qui me permettait de subsister. Sans toi, j'me croyais condamné à m'évaporer. A ne devenir que ce pantin vide manipulé par des forces qu'il ne comprend pas. Le triste tourmenteur a failli me faire rechuter dans cette dépression que je pensais vaincue. Quand je t'ai perdu, la première fois, j'me pensais fini. Corps vivant qui se traîne une âme morte. J'étais naïf. J'croyais pas en moi. En fait, j'me connaissais même pas.
Oui Mornepute, je te vois. Bien au chaud au sommet de ton perchoir, dominant en bon charognard un monde que tu fais semblant de comprendre. Planqué derrière de rassurants discours. Ancré à la réalité par des illusions que tu as transformé en convictions. J'mentais pas, quand j'disais que tu me faisais pitié. C'était pas du bluff. Ça m'lacère l'esprit de me l'avouer, mais nous avons un point commun. Ce désir de se sentir spécial, cette dépendance à de pauvres repères. De distinguer une vérité au milieu d'une toile de mensonges tissée par les hommes et leur nature.
Sauf que moi, j'me prends pas pour un héros.
En essayant de me briser, tu m'as renforcé. Aucune larme ne coulera ce soir.
Ouais, Tark. Notre victoire dérisoire face à Mornepute m'a prouvé que le potentiel que j'ai aperçu en moi cet été était un réel enfant de tes enseignements. Il ne tient qu'à moi de le bichonner. De l'aider à grandir. Que j'aie un héritage à transmettre moi aussi. A transmettre au monde.
Au fond, ça a toujours été une lutte inégale contre le monde entier qu'on a mené, toi et moi. Nos origines, nos valeurs, nos personnalités, notre race, sont autant de cibles placées sur nos ailerons. As-tu trouvé de vrais compagnons dans la révolution, Tark ? Qui seraient prêts à retourner ciel et mer pour t'extirper de ta cage parce qu'ils acceptent aussi peu le destin qu'on t'impose que moi ? Moi, j'me sens isolé dans ma bulle de rêveries, percée par les agressions du monde extérieur.
J'capitulerai jamais, Tark.
L'espoir est un vieil ami que j'avais perdu de vue.
Une faible éclaircie se fraye sa voie à travers le troupeau de nuages noirs. Je susurre au vent :
Prends soin de toi, Tark.
J'ai des frissons errants à travers tout mon corps. Le froid, la flotte, les démangeaisons qu'apportent ces étranges émotions, une tristesse bariolée de souvenirs, me métamorphosent en une statue d'un marbre digne qu'aucuns de mes collègues n'a osé effleurer. Les gouttes se font timides, le climat s'allège. L'orage s'apaise.
J'suis une ombre et tu as toujours été le soleil qui me permettait de subsister. Sans toi, j'me croyais condamné à m'évaporer. A ne devenir que ce pantin vide manipulé par des forces qu'il ne comprend pas. Le triste tourmenteur a failli me faire rechuter dans cette dépression que je pensais vaincue. Quand je t'ai perdu, la première fois, j'me pensais fini. Corps vivant qui se traîne une âme morte. J'étais naïf. J'croyais pas en moi. En fait, j'me connaissais même pas.
Oui Mornepute, je te vois. Bien au chaud au sommet de ton perchoir, dominant en bon charognard un monde que tu fais semblant de comprendre. Planqué derrière de rassurants discours. Ancré à la réalité par des illusions que tu as transformé en convictions. J'mentais pas, quand j'disais que tu me faisais pitié. C'était pas du bluff. Ça m'lacère l'esprit de me l'avouer, mais nous avons un point commun. Ce désir de se sentir spécial, cette dépendance à de pauvres repères. De distinguer une vérité au milieu d'une toile de mensonges tissée par les hommes et leur nature.
Sauf que moi, j'me prends pas pour un héros.
En essayant de me briser, tu m'as renforcé. Aucune larme ne coulera ce soir.
Ouais, Tark. Notre victoire dérisoire face à Mornepute m'a prouvé que le potentiel que j'ai aperçu en moi cet été était un réel enfant de tes enseignements. Il ne tient qu'à moi de le bichonner. De l'aider à grandir. Que j'aie un héritage à transmettre moi aussi. A transmettre au monde.
Au fond, ça a toujours été une lutte inégale contre le monde entier qu'on a mené, toi et moi. Nos origines, nos valeurs, nos personnalités, notre race, sont autant de cibles placées sur nos ailerons. As-tu trouvé de vrais compagnons dans la révolution, Tark ? Qui seraient prêts à retourner ciel et mer pour t'extirper de ta cage parce qu'ils acceptent aussi peu le destin qu'on t'impose que moi ? Moi, j'me sens isolé dans ma bulle de rêveries, percée par les agressions du monde extérieur.
J'capitulerai jamais, Tark.
L'espoir est un vieil ami que j'avais perdu de vue.
Une faible éclaircie se fraye sa voie à travers le troupeau de nuages noirs. Je susurre au vent :
Prends soin de toi, Tark.